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Il y a en ce monde sept choses
qui , soigneusement pesées et attentivement
considérées , apprendraient à l'homme à le mépriser facilement, à le vaincre,
à le fuir et à se porter à servir Dieu. Car servir Dieu, c'est sortir de
l'esclavage.
La première chose, c'est la
peine qui accable les partisans empressés du monde. Quel homme, en effet,
pourra demeurer sans tourment dans les honneurs, sans tribulation dans le
commandement, et sans vanité dans l'élévation ? Aussi les réprouvés
s'écrieront-ils à la fin des temps : « Nous nous
sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition; nous avons marché
dans des chemins âpres. (1) » Ils se fatiguent sur la terre dans leurs
désirs, et après cette vie ils sont en proie aux tourments. Notre coeur
trouvera donc une sécurité profonde à n'être possédé en rien par la
concupiscence du siècle. S'il soupire, au contraire, après les choses de la
terre , jamais il ne pourra goûter ni paix ni
tranquillité : ce qu'il n'a pas excitera sa convoitise, et ce qu'il a le
remplira de la crainte de se le voir enlever. « Gardez-vous donc, mes
bien-aimés, de chérir le monde et ce qui est dans le monde (2), » je veux
dire les délices et les richesses du monde. Bienheureux l'homme qui
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connaît Jésus-Christ et ignore
tout le reste. Malheureux, au contraire, celui qui sait tout et méconnaît
Jésus-Christ. « Savoir beaucoup de choses sans Jésus, a dit quelqu'un ,
c'est vraiment ignorer; mais savoir bien Jésus-Christ, c'est assez, quand même
vous seriez étranger à tout le reste. »
La seconde chose à considérer,
c'est que l'amour du monde nous fait négliger un bien meilleur. En effet, les
hommes pleins de cet amour sont tellement appliqués et empressés à acquérir
les biens terrestres, qu'ils négligent les biens célestes.
Car , plus ils s'avancent, sous l'empire de cet amour, dans l'oubli de
Dieu , plus ils en sont abandonnés et plus leur âme s'endurcit. En même temps
plus ils s'attachent au mal , moins ils comprennent
les biens qu'ils perdent. Arrivés au mépris de Dieu ,
ils ne sentent plus combien déplorables sont les actes d'une telle vie. Mais
les saints, au contraire , n'ayant aucune affection
pour ce monde, ne désirant que la grâce céleste; les saints, dis-je, vivent
dans une tranquillité profonde; car la félicité terrestre n'est rien autre
chose qu'une grande misère. Oh ! combien heureux
est celui à qui il a été donné de mépriser le monde et de servir Jésus-Christ!
Etre esclave du Seigneur est un bien préférable à toute liberté.
La troisième raison qui doit
nous exciter au mépris du monde et des choses temporelles, c'est leur vanité.
La joie du siècle n'est en effet que vanité. On soupire avec ardeur après son
arrivée lorsqu'elle est à venir ; et l'on ne peut la retenir lorsqu'elle est
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présente. Tout passe, tout
s'envole, tout s'évanouit comme une fumée. Malheur donc à ceux qui aiment de
telles chimères ! Aussi quelqu'un a-t-il écrit : « Le jour présent
s'enfuit, et l'on ignore encore quel sera le lendemain. Apportera-t-il la
peine ou le repos ? Ainsi disparaît la gloire du monde. »
Oui ,
le monde passe et sa concupiscence passe avec lui. (Saint Jean, I, 1, 9.)
Que choisirez-vous donc? de vous attacher aux
choses temporelles et de vous en aller avec le temps , ou bien d'aimer
Jésus-Christ et de vivre pour l'éternité? Les hommes parfaits ont sans cesse
sous les yeux la brièveté de la vie présente; ils vivent comme s'ils mouraient
chaque jour, et ils se préparent avec d'autant plus de sollicitude à l'avenir,
qu'une méditation continuelle de la fin de toutes choses leur fait voir que ce
qui passe ne saurait avoir la moindre valeur ; que ce qui vient après cette
vie étant sans limites est immense, et que ce qui finit n'est rien. Leur âme
éclairée par la lumière d'en-haut fixe sur les
biens célestes les regards d'une considération attentive; et plus elle
comprend la réalité de ces biens suprêmes , plus
elle dédaigne profondément ceux de la terre. Aussi les plaisirs de cette vie,
plaisirs tant estimés des pécheurs, ne sont aux yeux des justes qu'une vile
boue, et ils fuient comme une calamité ce qui est cher aux amateurs du siècle;
car ils savent que ceux-là sont ennemis de Dieu , à
qui le monde est toujours prospère. O pécheurs dépourvus d'intelligence et
privés de prudence ! ah! s'ils
avaient la sagesse ! s'ils comprenaient et
prévoyaient la fin
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dernière de toutes choses !
Ils sentiraient combien grande est la multitude des
réprouvés , combien faible est le nombre des élus, combien frivole est
la vanité de ce qui est terrestre. Ils reconnaîtraient le nombre effroyable
des péchés qui se commettent, la grandeur du bien qu'on omet et la perte du
temps; ils se mettraient en garde contre le péril de la mort, le jugement
suprême et le supplice éternel.
La mort nous montre à
découvert que tout ce que les impies poursuivent en ce
inonde , c'est-à-dire les richesses, les plaisirs, les honneurs, doit
être l'objet de nos mépris. Elle nous montre que le travail de ceux qui
recherchent les richesses est un vain travail, puisque l'homme doit rentrer nu
au sein de la terre ; que la fatigue à courir après les plaisirs est inutile,
puisque le corps le plus délicatement nourri deviendra la pâture des vers ;
que l'ambition des honneurs est infructueuse, puisque l'homme sera recouvert
de terre et foulé aux pieds par les autres hommes et les animaux.
Gardez-vous donc, mes frères, d'aimer le monde et ce qui est dans le monde.
Laissons là ces choses vaines et futiles ; portons-nous seulement à la
recherche des biens qui ne finiront point. Cette vie est pleine de misères ;
la mort viendra nous la ravir tout d'un coup, au jour le plus imprévu, et
ensuite il n'y aura plus que des supplices pour celui qui aura négligé d'en
profiter. Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs (1), et attachez-vous
à celui qui vous a créés ; demeurez avec lui et vous serez inébranlables.
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Ce monde est vain et trompeur. L'heure où il doit finir
est incertaine , la mort est horrible, notre juge
formidable, et la peine infinie.
Le quatrième motif qui nous
sollicite au mépris de ce monde, c'est l'inconstance de sa gloire. En effet,
alors que l'homme demeure avec le plus de joie et de bonheur sur cette terre,
alors qu'il espère y passer encore de longues années, il est enlevé
tout-à-coup par la mort; son âme est séparée de
son corps, et , pleine de misères , elle s'avance ,
tremblante et dans la douleur, vers une région entièrement inconnue; elle voit
les démons venir à sa rencontre et lui faire cortége. Où sont maintenant ces
courtisans du monde qui, il y a quelques jours seulement, vivaient au milieu
de nous? Il n'est resté d'eux que de la poussière et des vers. Remarquez bien
ce qu'ils sont et ce qu'ils ont été. Ils furent des hommes comme vous : ils
ont bu , ils ont mangé, ils ont passé leurs jours
dans les délices, et ils sont descendus en un moment au fond des abîmes. Ici
leur chair est abandonnée aux vers, et là-bas leur âme est la proie des
flammes éternelles. Gardez-vous donc, mes frères, d'aimer le monde,
mais suivez Jésus-Christ qui a dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde
(1). » Soupirez de tous les désirs de votre âme après la céleste
patrie , afin de pouvoir la posséder au dernier
jour. Il n'y a point ici-bas de vraie consolation; mais la vie véritable se
trouve là où la mort ne sera jamais à redouter.
La cinquième chose qui doit
nous retirer de l'amour
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de ce monde, c'est le danger
auquel sont exposés ceux qui y vivent. Que font les hommes du siècle vivant
selon le siècle ? Ils s'enfoncent de plus en plus dans le péché, et leur âme
est tellement percée des blessures de leurs crimes qu'ils ne la sentent même
plus. L'adultère, la fraude, le vol, le mensonge et tous les maux se sont
répandus avec abondance. Depuis le plus petit jusqu'au plus grand, tous
s'appliquent à satisfaire leur avarice. Chacun poursuit avec une ardeur sans
frein la femme qui lui est étrangère (1). Chacun ne songe qu'à étendre
davantage les limites de ses domaines. Et il n'en est point, ou du moins il en
est peu qui pensent aux moyens de sauver leur âme. Oh !
comme le démon est triomphant de nos jours. Tous suivent la pente du
péché. C'est à peine s'il en est un petit nombre qui se convertissent. Tout
notre superflu s'en va en folles dépenses; nous soupirons après les biens de
la terre; nous n'avons de pensées que pour les choses de la terre; nous
dédaignons Dieu et ses commandements , et nous
écoutons sans effroi parler de ses jugements formidables. Non, mes frères,
n'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde, car tout ce qui s'y
trouve devient une arme à l'usage du démon ; mais servons Jésus-Christ : «
rien n'est meilleur, rien n'est plus avantageux qu'une bonne vie.
Ce qui nous porte en sixième
lieu à fuir le monde, c'est l'inconstance des choses qu'il renferme. Nous
lisons qu'un philosophe s'écriait : « Quand je pense
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à la joie et au repos que
goûte un coeur pur ; au bonheur qui remplit une intelligence occupée à
contempler Dieu; à la sécurité et à l'espérance dont jouit une âme pleine du
divin amour, je me dis qu'une telle vie est véritablement une image de la vie
de Dieu même. » Il est aveugle celui qui s'adonne à autre chose, car tout ce
qui est incréé nous déifie.
Qu'est-ce donc que notre vie,
sinon une course vers la mort? Qu'est-ce que vivre, sinon subir un long
tourment? Si l'on voulait juger chaque chose d'un point de vue plus élevé, on
verrait qu'en tout il n'y a que peine et misère. O partisans du monde !
pour quelle fia travaillez-vous? Pourquoi vous
tourmenter vous-mêmes pour des riens , quand il est
en votre puissance de posséder le Créateur de l'univers? Que cherchez-vous de
plus? De quoi pourrez-vous être satisfaits si le Créateur lui-même est
insuffisant à vos désirs? O enfants des hommes! jusqu'à
quand aurez-vous le coeur appesanti? Pourquoi aimez-vous la vanité et
cherchez-vous le mensonge (1) ? Gardez-vous d'aimer le monde et ce qui
est dans le monde.
Quiconque veut arriver à la
terre de promission, c'est-à-dire acquérir la gloire de la patrie céleste,
doit nécessairement traverser la mer Rouge en se servant de la verge de la
croix , passer de l'Egypte dans le désert, renoncer
à une vie de délices et aux ténèbres du péché , se soumettre à une vie
laborieuse et mourir avec Jésus-Christ sur la croix de la pénitence.
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C'est ainsi qu'à l'heure de la mort il méritera
d'entendre cette douce parole adressée autrefois au Larron : « En vérité,
je vous le dis : vous serez aujourd'hui avec moi dans le Paradis (1). »
Enfin ,
ce qui doit en dernier lieu éteindre en nous l'amour de ce monde, c'est la
blessure secrète que les biens de la terre ont coutume de faire à ceux qui les
aiment. Il est difficile, en effet, de se conserver sans tache au milieu des
vanités du siècle : sans cesse exposé au danger, vous ne sauriez être
longtemps en sûreté. Elle est donc heureuse, cette âme dont les plaisirs ne
sont accompagnés d'aucune souillure, et qui voit accroître sa pureté dans le
calme de la vérité; cette âme que la loi de Dieu pénètre d'une telle félicité
qu'elle la rend victorieuse de tous les plaisirs de la chair. Oui !
celui qui a commencé à goûter Jésus-Christ ne
trouve plus qu'amertume en ce monde, car la chair devient intolérable à l'âme
qui a joui de son Sauveur.
(2) Saint Augustin s'écrie à
cette occasion : « Je vous en prie, Seigneur ! Que tout me devienne amertume;
soyez vous seul doux à mon âme, vous, la douceur ineffable, qui rendez suave
les choses les plus amères. C'est cette douceur qui changea en délices pour
Laurent les charbons embrasés ; cette douceur qui remplit de joie les apôtres
lorsqu'ils s'en retournaient heureux d'avoir été dignes de souffrir des
injures pour le nom de Jésus. André marche au supplice dans l'ivresse et la
sécurité,
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parce qu'il va entrer en
possession de cette douceur. C'est pour l'obtenir que
Barthélemi abandonne son corps aux bourreaux ; pour la goûter que Jean
avale sans crainte la coupe empoisonnée. Pierre en a à peine savouré les
délices, qu'oubliant toutes les choses de ce monde, il s'écrie comme un homme
en proie à l'ivresse : « Seigneur, il nous est bon d'être ici; faisons-y
trois tentes (1). » Demeurons ici et livrons-nous à la contemplation; nous
n'avons plus besoin d'autre chose. Une goutte seulement de ce bonheur est
arrivée jusqu'à lui, et tout autre bonheur lui devient insipide. Qu'aurait-il
dit s'il eût participé à cette abondance inénarrable cachée en votre divinité
et que vous tenez en réserve pour ceux qui vous craignent? C'est à cette
douceur ineffable qu'avait puisé Agathe , votre
vierge, lorsqu'elle marchait vers la prison, triomphante de joie et de
félicité, comme si elle eût été invitée à un festin brillant. Enfin c'est à
cette source que s'était désaltéré , je le crois,
celui qui disait : « Combien est grande, Seigneur, l'abondance de votre
douceur , de cette douceur que vous avez réservée à ceux qui vous craignent! —
Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (1).»
Mais celui qui n'a pas
participé à cette douceur de Dieu ne prend aucun soin de se soustraire aux
souillures des plaisirs terrestres. C'est un grand bienfait du Seigneur que
d'avoir renoncé aux vices et aux délices de ce monde. Poussez donc des
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gémissements , infortunés
amateurs de la terre, vous qui détruisez votre corps avant le temps et donnez
la mort à votre âme. D'où vous viennent ces
infirmités si multipliées et ces morts si soudaines, si ce n'est de l'excès de
vos festins et de l'usage effréné des plaisirs? Alors que vous croyez en jouir
avec bonheur, vous vous trompez vous-mêmes, vous oubliez votre âme pour votre
corps, et avant le temps vous précipitez le corps et l'âme sous les coups de
la mort. Livrez-vous à la bonne chère et enivrez-vous, car après la.
mort vous ne pourrez plus le faire ! Semez la
corruption, et de la corruption vous moissonnerez la sentence divine que le
Juge irrité lancera au grand jour du jugement, en disant : « Allez,
maudits, au feu éternel (1). »
Hélas !
votre coeur s'est endurci à l'égal de la pierre, si vous ne tremblez en
pensant que vous vous exposez à une telle sentence à cause des consolations
futiles de ce monde. Riais peut-être direz-vous qu'après avoir passé votre vie
dans le péché , vous en ferez l'aveu à l'heure de
votre mort et que vous en obtiendrez de Dieu le pardon. Hélas !
vaine espérance! fausse
pensée! Il arrive rarement qu'à la fin de sa vie celui-là mérite l'indulgence
divine, qui , aux jours de la force et de la santé,
n'a pas craint de se rendre coupable contre Dieu. C'est ma persuasion : « je
tiens pour certain que celui dont la vie a toujours été mauvaise n'aura point
une bonne fin. « La mort des saints est précieuse devant le Seigneur
(2),
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dit le Psalmiste, mais la
mort des pécheurs est détestable. » N'aimez donc point le monde, mes
frères , ni ce qui est dans le monde. Mais
fuyez du milieu de Babylone; sortez de Hur, la
ville des Chaldéens, c'est-à-dire de la fournaise des vices. Fuyez et sauvez
vos âmes. Accourez aux villes de refuge, aux lieux où la religion exerce son
empire. C'est là que vous pourrez faire pénitence des fautes passées, en
obtenir le pardon dans le temps présent, et attendre avec confiance la gloire
à venir.
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