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ENSEIGNEMENTS

RÉGLEMENT DE VIE (a).

AVIS UTILE RELATIVEMENT A LA CONSIDÉRATION DE LA MORT.

COURTS ET TRÈS-UTILES AVIS.

INSTRUCTION. Comment l'homme peut avancer dans le bien et plaire à Dieu.

AVIS COURTS ET VARIÉS POUR VIVRE RELIGIEUSEMENT ET AVEC PIÉTÉ.

ARNOUL, MOINE DE BOERIE (a). LE MIROIR DES MOINES (b).

AUTRES ENSEIGNEMENTS RELATIFS A LA VIE RELIGIEUSE.

HUIT POINTS POUR ARRIVER A LA PERFECTION.

LETTRE D'UN AUTEUR INCONNU. Sur la règle de conduite ou sur la surveillance des pensées, des paroles et des actions.

RÉGLEMENT DE VIE (a).

1. Vous me demandez, mon très-cher frère, ce que personne encore, à ma connaissance, n'a demandé à son supérieur. Cependant, comme votre dévotion le réclame avec instance, je ne peux rejeter une demande juste et raisonnable qui m'est adressée au nom du Christ, je vous tracerai donc, en peu de mots un règlement de vie ; si, brûlant d'amour pour Jésus-Christ, vous le pratiquez jusqu'à la fin, sans nul doute, vous obtiendrez la vie éternelle. Pour commencer par l'homme intérieur avant d'en venir à celui du dehors, vous devez cultiver la pureté du cœur sans relâche et avec tant de soin, que Dieu, ami de tout ce qui est sans tache, daigne y fixer son séjour comme dans le ciel, selon cette parole : « Le ciel est ma demeure (Isa. LXVI, 4). » Et, « l'âme du juste est le siège de la sagesse. » Il faut donc veiller soigneusement à diriger toujours vos idées vers ce qui est bien et honnête, craindre d'arrêter vos réflexions et vos pensées devant Dieu, sur ce que vous rougiriez, à juste titre, de dire ou de faire en présence des hommes,

a Dans le manuscrit de Cîteaux, il se trouve avec ce titre : RÈGLEMENT D'UNE SAINTE vie, donné, comme on le croit, par saint Bernard. Le manuscrit de l'Eglise de Paris le lui attribue aussi, mais sans raison.

et savoir que, comme nos paroles ou nos actions nous font connaître à l'homme, de même nos pensées nous révèlent à l'esprit qui scrute tout: l'impression que les paroles produisent sur l'homme, les pensées la produisent sur Dieu. Le Seigneur en effet « connaît les pensées des hommes, il sait qu'elles sont vaines (Psalm. XCIII, 11). » Et comme il n'y a pas de créature qui échappe à ses regards, de même il n'est pas une pensée qui lui échappe. a Car la parole de Dieu est vive et efficace et, plus incisive qu'un glaive à deux tranchants, elle atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, des nerfs et de la moëlle des os, et elle discerne les pensées des cœurs (Hebr. IV, 12). »

2. Que Jésus soit toujours dans votre cœur et que jamais l'image du divin crucifié ne sorte de votre esprit. Que ce soit votre nourriture et votre breuvage, votre douceur et votre consolation, votre miel et votre désir, votre lecture, votre méditation, votre oraison, votre contemplation, votre vie, votre mort, votre résurrection. Considérez-le toujours, tantôt placé dans la crèche et enveloppé de langes, tantôt présenté par ses parents dans le temple, tantôt fuyant en Egypte, y séjournant longtemps dans une extrême indigence, et en revenant avec de très-grandes fatigues; ici, écoutant les docteurs dans le temple et les interrogeant, lui qui enseigne la science à l'homme ; là, soumis à ses parents, lui à qui toute créature doit obéissance; et ensuite, livré à la faim et à la soif, lui qui « est le pain de vie et la fontaine de la sagesse, qui se nourrit parmi les lis et remplit tout être animé de ses bénédictions (Cant. II, 16. et Psalm. CXLIV). » Ici, voyez-le fatigué, s'asseoir sur la fontaine, s'entretenir seul avec une femme, lui qui régit tout l'univers; et ensuite prier au fort de son agonie, lui qui fournit à tous les êtres selon leurs besoins. Examinez-le, lui qui est la douceur et la consolation des Anges et des hommes, il reçoit assistance d'un ange, ou il est attaché à une colonne et flagellé, lui qui soutient tout l'univers, couvert de crachats, lui qui est la splendeur des esprits bienheureux, souffleté , couronné d'épines , rassasié d'opprobres, enfin rangé parmi les scélérats, suspendu à la croix pour vous, mourant et remettant son esprit entre les mains de son Père. Ainsi ce bien-aimé sera « un bouquet de myrrhe, et « il demeurera sur votre sein (Cant. I, 15). » Faites-vous ainsi un bouquet de toutes les angoisses et de toutes les amertumes de votre Seigneur, afin de vous en composer une coupe amère de larmes. Si parfois, enflammé d'un très-ardent amour pour Jésus-Christ, vous voulez le connaître avec l'Apôtre, mais non plus selon la chair (II Cor. V, 16), vous lèverez un peu les yeux de l'esprit afin de voir la victoire de sa résurrection, la gloire de son ascension et la majesté pleine d'éclat, avec laquelle il est assis et règne à la droite du Père, « goûtant ainsi les choses qui sont en haut, et cherchant les réalités supérieures, au milieu desquelles Jésus trône à la droite de Dieu (Col. III, 1). » Ne prolongez pas votre séjour dans cette région, de peur que en scrutant trop longuement la majesté, vous ne soyez écrasé par la gloire (Prov. XXV, 27).

3. Avant tout, vous devez savoir qu'il faut fuir comme des bêtes venimeuses, tout orgueil du cœur, toute jactance et toute arrogance, et que quiconque exalte son cœur est immonde devant Dieu. Ne méprisez donc personne, ne nuisez à personne, ne dites de mal de personne et, pour l'amour de Jésus-Christ, efforcez-vous d'être utile à tout le monde. Non-seulement croyez-vous inférieur aux autres et plus vil qu'eux, mais, encore ne dites pas que vous avez fait des progrès, et gardez-vous de vous estimer selon cette parole de l'Apôtre : « Celui qui se croit quelque chose, comme il n'est rien, se trompe lui-même (Gal. VI, 3). »

4. En outre, que votre démarche soit pleine de maturité, de gravité et d'honnêteté, c'est-à-dire ne marchez pas d'un pas saccadé, ne jetez point les épaules tantôt à droite, tantôt à gauche; ne portez point la tête raide, la poitrine en avant et ne penchez pas le cou sur une épaule ; toutes ces positions sentent la légèreté, l'orgueil ou l'hypocrisie. Soit donc que vous marchiez, que vous soyez debout ou assis, tenez la tête baissée et pensez que vous êtes poussière et que vous retournerez en poussière, mais ayez le cœur en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu, son Père (Col. III, 1). Qu'aucune curiosité, mieux que cela, qu'aucune nécessité ne vous fasse porter les regards de côté et d'autre. Il convient de cacher votre visage ; que jamais, lorsque vous êtes seul, le jeu de votre visage ne change ; que votre rire ne soit pas excessif. Car, d'après le sage, « l'extérieur du corps, le rire qui permet de voir les dents et la démarche de l'homme, annoncent ce qu'il est (Eccle. XIX, 27). » De temps à autre interrompez vos soucis par quelques moments de joie.

5. Ne soyez jamais oisif ; lisez ou méditez quelque passage de la Sainte-Ecriture, ou bien, ce qui est préférable, ruminez les psaumes dans votre esprit, sans laisser néanmoins d'accomplir, sans relâche, la tache qui vous a été imposée , en sorte que le démon vous trouve toujours occupé ; car, « l'oisiveté est une source de péchés (Eccle. XXXIII, 29). » Lisez de préférence des passages de l'Ecriture qui enflamment davantage votre amour pour Jésus-Christ. Comprenez ce que je dis, car le Seigneur vous donnera, en tout, l'intelligence, si vous avez en vous l'impression de la présence de Dieu qui vous entoure de tous côtés. Quand vous êtes en prière, ne remplissez pas du bruit de vos sanglots et de vos soupirs, les oreilles de ceux qui vous entendent, mais adressez avec attention vos vœux au Seigneur, dans le secret de votre cœur. Une chose vous servira pourtant à obtenir la dévotion et la componction, c'est de vous retirer à l'écart en sorte que, levant vers Dieu des mains pures, vous puissiez entendre le son de votre voix. Parfois, pour élever votre intention, dirigez votre regard vers le ciel, en sorte que votre cœur se trouve là où Jésus-Christ est assis, à la droite de Dieu. De la prière, retournez à la lecture ; et de la lecture, quand la fatigue se fera sentir, revenez à l'oraison.

6. Evitez, autant que vous le pouvez convenablement, la société des jeunes gens, de ceux surtout qui sont encore imberbes, et ne fixez jamais vos yeux sur le visage d'aucun d'entre eux.

7. Allez à table comme à la croix; c'est-à-dire, ne prenez jamais vos repas par plaisir, mais par nécessité, et que la faim, et non le goût, provoque votre appétit. Fuyez la singularité, contentez-vous de la table commune, et sachez que s'il faut repaître la chair il faut aussi éteindre les vices, si on vous sert quelque mets de surérogation, recevez-le comme envoyé par la Providence, ayant toujours la volonté et le désir qu'il soit présenté à un autre.

8. Donnez des bornes à votre prudence et ne paraissez point sage à vos yeux. En toutes vos œuvres, craignez partout et toujours d'excéder en quelque chose. C'est en vertu de ce sentiment que le bienheureux Job s'écrie : « Je redoutais toutes mes actions, sachant que vous ne m'épargneriez pas, si je venais à manquer (Job. IX, 28). ».

9. Lorsque, fatigué, vous entrerez dans votre lit, disposez votre corps de la manière la plus convenable, ne vous mettez point sur le dos, ne levez pas vos genoux, en rapprochant vos talons des cuisses. Si la luxure vous fait sentir ses atteintes, souvenez-vous de votre bien-aimé placé sur son lit de douleur, rappelez-vous sa couche bouleversée dans sa passion, et redites dans votre cœur : Mon Seigneur est suspendu à la croix, et moi je me livrerais à la volupté? Voilà comment, en invoquant le nom du Sauveur, en répétant souvent cette invocation de salut, la tentation cessera enfin avec le secours de Dieu. Que le sommeil vous surprenne redisant des psaumes, en sorte que dans votre repos vous pensiez les réciter encore.

10. Quand vous vous lèverez pour des veilles, louez votre Créateur de toutes vos forces et, pour célébrer votre rédempteur , faites retentir votre voix dans toute sa force. Enfin, ayez pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, un amour très-pur, et souvenez-vous de ne rien aimer en dehors de lui que pour lui. Je vous ai écrit un règlement un peu plus long que je ne pensais, je ne puis le suivre moi-même, mais je désire que vous l'accomplissiez en vous autant que je le pratique peu en moi ; car votre progrès est ma joie et ma couronne dans le Seigneur.

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AVIS UTILE RELATIVEMENT A LA CONSIDÉRATION DE LA MORT.

Si parfois vous êtes accablé d'ennui, placez-vous dans votre méditation; à côté de la pierre sur laquelle on lave le corps des morts, et examinez, avec attention, comment on les traite avant de les confier à la terre; tantôt on les tourne dans un selfs, tantôt dans un autre. Voyez comme la tête fléchit, comme les bras se laissent aller, comme les cuisses sont raides et les jambes pendantes ; voyez comment on les habille, on les coud, et on les porte en terre, comme on les dispose dans le tombeau, comment on les couvre de terre, comme les vers les dévorent et comme ils se consument ainsi qu'un sac pourri. Que votre souveraine philosophie, soit la méditation: assidue de la mort. En quelque lieu que vous soyez ou que Vous alliez, portez toujours cette pensée avec vous et vous ne pécherez jamais.

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COURTS ET TRÈS-UTILES AVIS.

En toutes vos prières, paroles ou actions, dites-vous: agirais-tu de la sorte, si tu savais que c'est la dernière heure de ta vie ? Prends garde, serviteur de Dieu, de paraître condamner ceux que tu ne veux pas imiter. Nul ne sait ou la mort t'attend; aussi, attends-la partout; connais-toi toi-même, et fais bon usage du temps que la miséricorde du Créateur t'a accordé pour faire pénitence et pour mériter la gloire. Sois joyeux en donnant ,sobre à demander , respectueux en recevant. Quand vous devez parler, attendez pour le faire, ou ne parlez pas du tout; que votre regard soit bienveillant, abaissé ou retenu en lui-même; que votre œil soit à votre tête; que votre rire indique ou provoque la douceur de l'esprit, livrez-vous-y rarement néanmoins ; que pais, il se produise au dehors, mais que jamais il ne se répande en éclats. Soyez si modeste, que vous échappiez au soupçon de légèreté. Soyez bon pour tous, flatteur pour personne, familier envers peu de monde, et juste pour tous; Dieu vous en fasse la grâce. Amen.

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INSTRUCTION. Comment l'homme peut avancer dans le bien et plaire à Dieu.

Que l'homme s'attache d'abord, autant qu'il le peut, à se regarder comme vil et comme indigne du bienfait de Dieu; qu'il se déplaise à lui-même; qu'il désire plaire seulement à Dieu; qu'il veuille être tenu pour vil, et non pour humble ; en étant vil de son propre fonds, qu'il reconnaisse la clémence du Seigneur qui se montre en ce qu'il daigne prendre pour serviteur un homme dé nulle valeur, porté à tout mal paresseux pour le bien, et, ce qui est bien plus fort, en ce qu'il veut bien l'adopter pour soli fils. Ne regardez pas comme chose grande que vous serviez Dieu; mais, tenez pour chose très considérable; qu'il veuille bien vous accepter pour serviteur. En second lieu, qu'il n'ait de douleur que par rapport au péché, à ce qui porte au mal et éloigne du bien ; que dis-je ? qu'il se réjouisse de la tribulation, des injures et des afflictions qu'il aime avec beaucoup de zèle ses ennemis, et prie spécialement pour eux. Ensuite qu'il rende à ce sujet de très-grandes actions de grâces à Dieu, et qu'il se reconnaisse incapable dé lé remercier pour un bienfait si considérable; car le Seigneur corrige et flagelle celui qu'il chérit les tribulations nous portent à aller à Dieu. Troisièmement, dans les biens temporels , ne cherchez ou ne désirez rien que pour subvenir à vos nécessités, attachez-vous à vous conformer au Christ, Notre-Seigneur dans l'abandon complet de toute consolation corporelle, parce que le roi des rois, et le monarque des monarques, Jésus-Christ, n'a point dédaigné de parer de ses ornements son vil serviteur, et de s'assimiler une boue fétide. Aussi, plus il se voit riche et abondamment pourvu des consolations corporelles, plus, il doit s'attrister profondément en voyant qu'il est d'autant plus éloigné de ressembler à ce divin maître. En quatrième lieu, qu'il s'attache, dans les choses indifférentes, à faire plutôt la volonté d'autrui que la sienne propre; bien plus, que toujours il s'étudie à se renoncer dans les actes extérieurs, qu'il désire le bon plaisir des autres et qu'il se montre empressé à le satisfaire eu ce qui est licite ; qu'il s'applique ainsi à tenir la même conduite envers tous les hommes, mais principalement à l'égard de ses supérieurs. Cinquièmement, qu'il ne méprise aucun homme, quelque malheureux qu'il soit; mais que, pour tous, il ressente une affection maternelle, et qu'il compatisse aux misères de tous, comme une mère compatit à celles de son fils unique; qu'il regarde leurs misères et les secoure, s'il le peut, comme les siennes propres. Il doit aussi respecter les pauvres comme ses protecteurs ; car ce sont eux qui reçoivent les autres dans les tabernacles éternels. La sixième recommandation, t'est qu'il ne juge personne coupable du péché, parce qu'il ignore ce que la miséricorde divine opère dans l'âme ; mais, si, sur des indices manifestes, il pense qu'un homme est coupable, qu'il ressente avant tout la même douleur de ce péché, que si la mort le menaçait lui-même de ses coups; qu'il réfléchisse que l'âme, ainsi blessée, est plus précieuse que tous les corps qui sont dans l'univers, considérés en eux-mêmes. Et, de même que je serais tenu de préserver mon corps de la mort, ainsi, ou plutôt, à plus forte raison, dois-je veiller sur mon prochain avec tout le soin possible, et le retirer du péché par mes prières, mes exhortations et mes exemples. Le septième avertissement, c'est d'aimer le bien du prochain comme le sien propre; et de même qu'une femme est heureuse de se voir entourée de fils très-bons, ainsi il doit trouver son bonheur dans les biens de tous les hommes, et surtout dans ceux qui sont spirituels ; qu'il procure l'avantage d'autrui comme le sien et qu'il tâche de l'augmenter après l'avoir procuré; et que toujours il croie du prochain plus de bien qu'il n'en peut voir. En huitième lieu, qu'il n'aime rien, si ce n'est Dieu, afin qu'en toutes choses le Seigneur soit aimé seul, sans partage; qu'il ne soit attiré par la sainteté de personne, quelque grande qu'elle soit, ou par l'immensité des bienfaits qu'il en reçoit, qu'il n'ait d'affection particulière pour personne, mais de l'amour pour tous, c'est-à-dire qu'il rapporte tous les hommes à Dieu dans sa charité; autrement, qu'il chérisse davantage celui qui est meilleur ; il peut cependant reconnaître les bienfaits par des bienfaits et offrir, en retour, des prières au Seigneur. La neuvième observation, c'est que, en quelque affaire qu'il se trouve engagé, l'homme doit s'attacher à avoir dans son cœur, le souvenir de Dieu, et préférer toujours à tout, l'honneur du Seigneur, mais qu'il s'efforce surtout de voir cet être souverain, comme s'il l'apercevait en son essence ; qu'il le craigne et le respecte et soit porté vers lui parle sentiment d'un vif amour, et qu'il jouisse de lui comme il le peut en cette vie et qu'il ne trouve de repos qu'eu lui. Il faut, en dixième lieu que, s'il peut parvenir à mettre en pratique toutes ses observations, il reconnaisse que c'est un bienfait de Dieu; il doit aussi se souvenir, autant qu'il le pourra, des autres faveurs du Ciel. En premier lieu qu'il a été marqué à l'image de Dieu; secondement, que Dieu a pris sa nature et a daigné mourir pour lui; troisièmement, que le Seigneur se donne à lui en nourriture et que, dans la vie future, il se donnera à lui en récompense ; mais, comme il ne l'a point encore reçu en tant que récompense, il doit le regarder dans le chemin sur le gibet; qu'il compatisse par-là à ses souffrances, comme s'il éprouvait dans son corps toutes les blessures de Jésus-Christ; mais, ce qui doit le navrer bien davantage, c'est que tant d'âmes soient privées de cet immense bienfait.

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AVIS COURTS ET VARIÉS POUR VIVRE RELIGIEUSEMENT ET AVEC PIÉTÉ.

1. Si vous voulez atteindre pleinement le but que vous vous proposez, deux choses vous sont nécessaires. La première, c'est de vous détacher de tous les biens terrestres et passagers, ne prenant pas plus de souci d'eux que s'ils n'existaient pas; la seconde, c'est de vous donner à Dieu, tellement que vous ne disiez et ne fassiez absolument, que ce que vous croyez fermement lui être agréable. Voici comment vous arriverez au premier de ces buts : abaissez-vous de toutes les manières que vous pourrez, croyez que vous n'êtes rien, pensez que tous les hommes sont bons, meilleurs que vous, et plus agréables aux yeux de Dieu. Tout ce que vous voyez ou entendez dans les personnes religieuses, croyez que tout part d'une bonne intention, bien que le contraire paraisse quelquefois. Les appréciations humaines se trompent facilement. Ne déplaisez à personne; ne dites jamais rien de vous, qui sente la louange, quelque familier que vous soit celui avec qui vous vous entretenez ; bien plus, travaillez plutôt à cacher vos vertus que vos vices ; ne parlez mal de personne sans exception, quelque vraie ou manifeste que soit la chose, si ce n'est en confession et cela si vous ne pouvez autrement découvrir votre péché; prêtez plus volontiers l'oreille aux paroles de louange qu'à celles de blâme sur le prochain. Quand vous parlez, que vos paroles soient rares, vraies, pleines de poids et qu'elles se rapportent à Dieu. Si un séculier cause avec vous et vous tient de vains propos, coupez la conversation le plus tôt possible et remettez-vous à ce qui se rapporte au Seigneur, quoi qu'il arrive à vous ou ai i meilleur de vos amis, n'en ayez point souci; si c'est quelque succès, ne vous en réjouissez point; regardez tout comme rien, et louez Dieu. Attachez-vous avec la plus grande application possible à pratiquer l'humilité. Fuyez, autant que vous le pourrez, les bavardages. Mieux vaut, en effet, se taire que parler. A partir des complies, ne parlez plus jusqu'après la messe du lendemain, à moins d'un motif impérieux. Si vous voyez quelque chose qui vous déplaise, regardez si cet objet est en vous, et retranchez-le; si vous voyez, au contraire, quelque chose qui vous convienne, examinez si c'est en vous, conservez-le; si vous ne l'avez pas, acquérez-le; et ainsi tout sera pour vous un miroir. Quelque grave impression que vous ressentiez, ne murmurez de rien, avec personne, à moins que vous ne le pensiez utile; n'affirmez rien, ne niez rien avec obstination, mais que toutes vos assertions soient assaisonnées du doute; abstenez-vous toujours des éclats de rire; riez rarement et n'ouvrez la bouche qu'en la société de peu de monde ; en toutes vos paroles, attachez-vous à la brièveté, en sorte qu'elles soient comme l'expression du doute.

2. Quant au second point, voici comment vous le réaliserez. Appliquez-vous à vos prières avec une grande dévotion, attachez-vous à les réciter aux heures voulues ; et nourrissez dans votre cœur les sentiments que vous offrez à Dieu par le ministère de vos lèvres. Et, afin de mieux affermir te que vous lisez, Représentez-vous avec soin, par l'imagination, les circonstances qui vous entourent, afin d'en avoir la mémoire bien présente lorsque vous eh parlerez. Ayez toujours présentes à l'esprit ces trois idées: qu'as-tu été, qu'es-tu et que seras-tu : qu'as-tu été, un germe fétide ; qu'es-tu, un vase immonde ; que seras-tu, la pâture des vers ? Représentez-vous pareillement les tourments de ceux qui sont dans l'enfer, considérez qu'ils n'auront jamais de fin, et voyez pour quelle satisfaction de courte durée, ils ont à les souffrir. Figurez-vous de même la gloire du paradis, elle n'a point de terme ; elle s'acquiert bien promptement , et quelle douleur et quel deuil pour les malheureux à qui une bagatelle a fait perdre une gloire si considérable. Quand vous avez, ou que vous craignez quelque chose qui vous déplaît, songez que si vous étiez en enfer, vous l'auriez, et auriez de plus tout ce que vous ne voudriez pas. Et quand vous avez ou que vous souhaitez avoir quelque chose qui vous plait : dites-vous que si vous étiez au paradis, vous le posséderiez avec tout ce que vous désireriez, mais que si vous étiez en enfer, vous n'auriez ni cela, ni rien de ce que vous pourriez vouloir. Quand vous célébrez la fête de quelque saint, pensez à ce sujet, aux souffrances qu'il a endurées pour le Seigneur, elles ont été courtes, et la récompense qu'il a reçue est éternelle. Considérez aussi, que les douleurs des bons et les jouissances des méchants passent vite. Mais les uns, par leurs tourments acquièrent une gloire éternelle, et les autres par des joies qui ne leur étaient pas dues, arrivent à une peine sans fin. Quand la paresse spirituelle vous gagne, prenez cet écrit, et méditez soigneusement tous les avis qu'il renferme. A propos du temps que vous perdez ainsi, pensez que les réprouvés, dans l'enfer, donneraient tout l'univers s'il était en leur pouvoir, pour en obtenir une partie. Quand vous avez quelques tribulations, pensez que les élus dans le paradis n'en éprouvent aucune, de même, quand vous ressentez quelques consolations, pensez que les damnés n'en éprouvent aucune. Quand vous allez vous coucher, examinez ce que vous avez penné et dit, durant le jour, et comment vous avez employé le temps et les facilités qui vous ont été accordées pour gagner la vie éternelle. Si vous avez bien passé votre journée, bénissez le Seigneur ; si vous l'avez mal employée ou avec négligence, pleurez et soyez fidèle à vous en confesser le lendemain. Si vous avez pensé, dit ou fait quelque chose qui tourmente votre conscience, ne prenez point de nourriture avant d'avoir accusé cette faute. Voici la réflexion que j'indique à la fin, représentez-vous deux cités : l'une remplie de tous les tourments, c'est l'enfer ; l'autre pleine de toutes les consolations, c'est le paradis. Il faut marcher vers l'une de ces deux villes. Voyez ce qui peut vous entraîner au mal ou vous éloigner du bien. Je crois que vous ne trouverez rien. Je suis certain que, si vous observez tout ce qui est en cet écrit, le Saint-Esprit habitera en vous et vous apprendra parfaitement à le pratiquer. Observez donc toutes ces choses et n'en négligez aucune. Relisez-les deux fois par semaine, le mercredi et le samedi : si vous constatez que vous suivez ce qui s'y trouve prescrit, louez Dieu qui est bon et miséricordieux, dans les siècles des siècles. Amen.

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ARNOUL, MOINE DE BOERIE (a). LE MIROIR DES MOINES (b).

Si quelqu'un touché de désir d'amender sa vie, après avoir examiné soigneusement ses pensées ses paroles et ses actions, s'attache à corriger tous ces manquements, il n'a qu'à contempler; dans les pages de cet écrit, comme en un miroir, en les lisant fréquemment et en les méditant assidûment, la face de son homme intérieur.

Au moment où il se lève pour les veilles sacrées, le moine doit considérer, à chaque minute, le temps de son existence et veiller, en toutes ses œuvres, à faire le bien, éviter le mal, et se dire : si tu étais sur le point de mourir ferais-tu cette action?

Qu'il ait le cœur attaché à la psalmodie : à moins qu'il ne soit transporté en des considérations plus élevées : qu'il sache néanmoins qu'il est strictement obligé de prononcer dans le choeur et d'entendre dire par une autre, jusqu'a la dernière syllabe, toutes les formules qui s'y récitent.

Dans l'intervalle des heures, il doit se livrer à l'oraison ou pourvoir au besoin du corps, de telle sorte néanmoins, qu'en y vaquant, il entende une voix lui crier : élevez vos cœurs ? si la faiblesse le contraint de se relâcher en quelque chose de l'austérité première, c'est une perte pour les résolutions spirituelles qu'il s'était proposé d'observer.

Après la lecture, il doit prier, mais s'il se livre à la lecture qu'il ne cherche pas tant la science que le goût. L'Ecriture sainte est le puits de Jacob, on en tire les eaux qui se répandent dans la prière. Il n'est pas toujours nécessaire d'aller à l'oratoire, tout en lisant on peut contempler et prier.

S'il est prêtre, qu'il soit au saint autel tout entier présent d'esprit comme l'un des anges supérieurs; s'il est ministre, qu'il serve le Seigneur comme l'un des esprits.

a Roérie, monastère de l'ordre de Cîteaux, au diocèse de Laon, fondé l'an 1141.

b Le R. P. Tissier a indiqué l'auteur de cet opuscule dans la bibliothèque des OP. de Cîteaux, tome VI.

Qu'il aille au travail avec les autres : qu'il considère, non ce qui l'occupe, mais ce pourquoi il est venu. Quand la main s'arrête, que l'esprit travaille encore en priant, ou en méditant ce que d'ailleurs il doit pratiquer même durant le travail corporel.

A table, que sa bouche ne soit pas seule à prendre la nourriture que ses oreilles aussi boivent la parole de Dieu; il ne doit pas être tout entier à l'action de manger : son cœur doit être occupé de la parole du Seigneur, de telle sorte que la bouche seule prenne les aliments, et les oreilles, la doctrine. Qu'il se félicite, si on lui présente des mets plus vils qu'aux autres. Ceux-là, en effet, sont plus heureux, qui sont plus forts à supporter la pauvreté.

Dans son action de grâces, qu'il sache qu'il doit prier pour deux

fins : pour les péchés de ceux dont les aumônes le font vivre, ou peut-être pour lui-même, parce qu'il a donné à son corps au de là du nécessaire.

S'il est appelé au parloir ; que, d'après la règle il profère doucement et sans éclats de rire, des paroles peu nombreuses et pleines de raison et qu'il les pèse deux fois avant de les prononcer une. S'il doit s'entretenir avec une personne séculière, il doit veiller extrêmement sur sa langue et faire attention à ne rien dire qui n'édifie celui qui l'écoute.

En toute occasion, il doit se comporter de façon à édifier les témoins de sa conduite : en sorte que personne, en le voyant ou en l'entendant, ne doute qu'il soit véritablement moine.

Tous les jours, après complies, il tiendra chapitre en lui-même, il rassemblera toutes ses pensées et il examinera attentivement comment il a péché, durant la journée, par pensée, parole ou par action, en public ou en particulier. Toutes les nuits il arrosera sa couche des larmes de la pénitence, c'est-à-dire il purifiera ses péchés par la douleur de ses fautes et se proposera de s'accuser le lendemain publiquement des fautes publiques, et en secret de celles qui sont cachées.

2. Pour être bien faite, la confession doit avoir trois qualités : être spontanée, sincère et pure. « Spontanée, » c'est-à-dire, venir de la propre délibération et volonté. a Sincère, » c'est-à-dire, révéler le péché tel qu'il a été commis. « Pure. » Ne pas faire jactance de ses fautes comme Sodome; mais s'accuser en vertu d'une intention simple et sans mélange.

        Dans le chapitre, que celui qui a manqué ouvertement, publie sa faute, comme s'il était devant le juge suprême. En toutes choses, que ses paroles, ses promesses ou ses révélations soient telles que ses discours soient, au dedans ou au dehors, pénétrés de l'huila de la charité.

Qu'il ne reçoive de personne quelque présent que ce soit.

Qu'il ne soit familier avec personne.

Qu'en toute chose il évite de se singulariser ou de se faire admirer.

Que dans ses entretiens, il ne dise rien qui puisse le faire passer pour bien instruit ou bien religieux.

Qu'il réponde eu peu de mots aux questions qu'on lui adresse. Et, s'il s'agit d'écriture ou de mœurs, qu'il prépare son oreille non sa langue.

S'il parle, il ne doit point viser à l'éloquence : son discours doit être plutôt vulgaire que relevé.

Que dans ses actions il ne cherche point à paraître homme de cour.

Que sans blesser la politesse, il fuie les hommes placés au pouvoir, surtout les séculiers.

Dans ses travaux, ses occupations, ses lectures, et toutes les autres observances, qu'il recherche ce qui est commun: qu'il n'y soit pas comme la génisse d'Ephraïm, « apprise à aimer à fouler le grain (Ose. X, 11), » c'est-à-dire, qu'il n'y soit point conduit par l'habitude, mais par la dévotion.

Qu'il place en premier lieu, les prières prescrites : et, lorsqu'il a été négligent en les faisant, qu'il ne se flatte point au sujet de celles qui lui sont particulières et qui doivent être mises au second rang.

Si on lui interdit la familiarité avec les hommes, combien plus avec les femmes? En société, que son visage soit comme celui des autres, mais qu'il soit différent au dedans : c'est-à-dire, qu'il ne soit pas trop rigide, ni trop ouvert dans un bavardage excessif; mais qu'il soit modéré dans un sage milieu: comme nous le lisons : de S. Martin le chagrin n'altéra point sa face, le rire ne l'égaya pas. Le caractère d'une âme prudente qui conserve soigneusement. son trésor, sera, comme Moïse couvrant sa face qui paraissait surmontée de cornes, de cacher sous un sourire modeste la gloire de l'homme intérieur et la gravité de l'esprit.

Il doit comparer le jour présent au jour passé, afin de reconnaître parce rapprochement s'il avance ou s'il recule.

En toute action ou en toute pensée, qu'il se souvienne de la présence de Dieu : et qu il regarde comme perdu le temps qui n'est pas consacré à cette sainte occupation.

Si parfois il est accablé d'ennui, qu'il se place dans sa méditation, à côté de la pierre sur laquelle on lave les corps des morts, et qu'il examine avec attention comment on les traite avant de les confier à la terre : tantôt on les tourne dans un sens, tantôt dans un autre. Qu'il voie comme la tète fléchit, comme les bras se' laissent aller, comme les cuisses sont raides et les jambes pendantes. Qu’il voie comme on les habille, on les coud et on les porte en terre; comme on les dispose dans le tombeau, comme on les couvre de terre, comme les vers les dévorent et comme ils se consument ainsi qu'un sac pourri.

La souveraine philosophie, c'est la méditation assidue de la mort. En quelque lieu qu'il aille, qu'il l'emporte avec lui, et il ne péchera jamais. Que le moine soit comme Melchisédech, sans père, sans mère, sans généalogie : qu'il ne donne à personne sur la terre, le titre de père. Bien plus, qu'il se regarde comme s'il était seul avec Dieu.

Avant tout nous avons une règle de vie et de conduite; si nous y manquons, nous trouverons un remède à nos manquements dans notre assiduité à tenir le chapitre spirituel dont il a été question plus haut. Que le religieux se confesse au moins une fois la semaine, afin d'obtenir le pardon de ses fautes, et qu'il acquière une grâce plus abondante pour éviter le mal. Amen.

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AUTRES ENSEIGNEMENTS RELATIFS A LA VIE RELIGIEUSE.

Quand vous devez vous lever pour les veilles, il faut préparer votre esprit à se livrer à la dévotion, de manière que vous sortiez avec ardeur du lit, et que, secouant votre engourdissement, vous rendiez grâce à la miséricorde divine pour le repos qu'elle vous a accordé pour la garde et la protection dont vous êtes redevable aux saints anges.

Ensuite, en venant à l'église, placez la main sur la porte et dites attendez-moi là, pensées mauvaises, intentions et affections du cœur et appétits de la chair. Pour toi, mon âme, entre dans la joie de ton Seigneur, vois sa volonté et visite son temple. Arrivé devant la croix, répétez ces paroles : « Nous vous adorons, ô Christ, et nous vous bénissons, etc. »

Dans le choeur, toutes les fois que vous aurez récité votre verset, dites tout bas celui qui est psalmodié par l'autre côté : vous répandrez ainsi une poudre apéritive sur chacun de ces morceaux, vous les humecterez de méditations spirituelles, car votre âme est délicate, il lui fait une nourriture choisie.

Ne fixez point vos regards trop loin devant vous : vous éviterez ainsi à votre esprit bien des divagations. Vous vous figurerez voir, devant vous, le Seigneur étendu sur la croix, et- vous gémirez tantôt à la vue des clous, tantôt à celle des épines ou des crachats, et vous rendrez grâce à Dieu.

Quand il, faudra sortir du choeur, vous direz à Dieu : J'ai encore, Seigneur, à vous chanter des louanges en particulier et à vous bénir en secret, au sortir des heures solennelles, je vais maintenant vous payer ce tribut, en psalmodiant en votre honneur, ô vous qui êtes ma gloire.

Quand le moment de la messe sera venu, recevez celui qui vous invite aux messes privées, comme si vous voyez que l'on apporte du ciel le pain des anges.

Si vous voyez quelqu'un qui va vous empêcher d'aller à la messe, fuyez-le, comme s'il arrachait à votre bouche affamée la bouchée de pain qui, vous empêchera de défaillir.

Arrivé au chapitre, vous vous revêtirez avec diligence de l'armure de Dieu, en prenant la providence pour casque, la patience pour cuirassé, la douceur pour bouclier, que vous opposerez au choc des accusations soit justes soit malfondées. Si vous êtes coupable, dites seulement, je me corrigerai. Si vous ne l'êtes pas, dites : je ne me souviens point d'avoir commis la faute qui m'est imputée. Que les clameurs ou les coups même ne vous arrachent point d'autres paroles.

Quand vous allez au jugement du chapitre, pensez, ô Dieu et au prieur, à Pilate. et aux pharisiens qui criaient contre Jésus et aux soldats qui le frappaient sans motif. Souvenez-vous du dur chapitre auquel assistaient les saints martyrs lorsqu'ils comparaissaient devant les rois et les gouverneurs avec leurs bagages, c'est-à-dire avec les châtiments et les tortures qu'on faisait subir à ces innocentes victimes. Pensez au chapitre qui aura lieu, au moment de votre mort, devant Dieu, lorsque mille démons crieront contre vous, et un million d'esprits mauvais vociféreront après vous, et si, vous avez à supporter ici-bas quelque chose de pénible, cela vous paraîtra doux, comparé à de telles rigueurs. Considérez que celui qui s'élève contre vous, est le rasoir de Dieu, il veut couper les poils qui vous déparent et travailler à votre beauté. La correction qui nous est infligée est un bienfait tombé du ciel.

Le jour même, vous récompenserez, si cela vous est possible, par quelque service celui qui vous a accusé, parce qu'il a voulu vous guérir de la laideur du péché.

Quand vous serez au travail vous réglerez votre besogne de manière que votre application à ce que vous ferez ne détourne point l'attention de votre esprit des choses de Dieu.

A l'heure du repos, ne cherchez pas les recoins, ne vous écartez pas en allant vous asseoir loin des autre, mais que vos yeux soient tournés vers les âmes fidèles de la terre, afin qu'elles s'assoient avec vous, placez-vous au milieu des docteurs. Un de nos pères, tandis que les autres se reposaient, était assis seul, loin de nous, il commença à sentir très-violemment l'aiguillon de la chair et il entendit une voix qui lui disait : vas au camp. Et quand il se fut rendu à l'endroit où étaient les autres pères, l'aiguillon cessa de se faire sentir.

Quand vous irez au réfectoire, vous n'entrerez ni le premier ni le dernier. Si vous ne pouvez prendre les aliments qui sont servis, ne souffrez pas qu'on les change, mais mangez-en. un peu, afin de paraître avoir pris quelque chose. Si on insiste pour vous faire manger, répondez seulement : c'est bon, il y en a trop, j'ai fini. Pensez que c'est avec beaucoup de peine et au prix de dangers infinis sur mer, que l'on vous procure les poissons, ou les autres objets nécessaires pour satisfaire les besoins de votre corps, et, à chaque bouchée, rendez grâce à Dieu. Durant ce temps-là, regardez Jésus-Christ crucifié, attendant vos remerciements, ou le pauvre soupirant à la porte après vos restes.

Je vous interdis absolument de faire des abstinences, mangez chaque jour selon votre faim.

Si vous éprouvez une illusion nocturne, ne vous en attristez point; mais confessez-vous-en le lendemain : et si quelqu'un vous invite à servir à la messe, excusez-vous doucement par signe devant tout le monde, comme c'est la coutume, afin que l'on comprenne l'accident qui vous est arrivé. Un des nôtres le fit, bien que personne ne l'engageât à s'approcher de l'autel, afin de se procurer plus de honte, et il fut délivré de la tentation de la chair, au point que c'est à peine s'il éprouvait encore des émotions de ce genre, il ne ressentait les révoltes du corps qu'une fois ou deux dans le cours d'une année. Ce qui montre combien est véritable la parole du Seigneur qui a dit : « Je glorifierai ceux qui me glorifient. » Et: « Celui qui s'humilie sera, etc. (Luc XIV, 44). » Et : « le Seigneur a donné sa grâce aux humbles. (Jacob. IV, 6). »

Quand vous allez lire, tournez le visage vers l'église, après avoir posé votre livre, puis entretenez-vous en vous-même et, en quelques lieux que se présentent les bienfaits de Dieu, dites : « Que rendrai-je au Seigneur pour tons les biens qu'il m'a accordés (Psalm. XV, 3) ? » Mon âme, combien dois-tu? Puis vous tournant vers les anges, dites: «Accourez, prêtez l'oreille et je vous redirai, ô vous tous qui craignez Dieu, quelles grandes choses il a faites à mon âme. » Et enfin, tournant les yeux vers lui, écriez-vous : « véritablement, Seigneur, votre miséricorde est grande sur moi. » Pendant que votre cœur vous entraîne et frappe à la porte du paradis, si quelque pensée mauvaise vient faire du bruit autour de vous, écriez-vous aussitôt : «De qui est cette image et cette inscription? » Et en entendant répondre qu'elle est de César, c'est-à-dire du prince de ce monde, du démon, dites : « Que ton argent périsse avec toi ! » La porte est fermée, le Seigneur mange la pâque en ce lieu, je ne puis t'ouvrir. Mais si la pensée mauvaise persiste, opposez-lui le signe de la croix.

Une sainte religieuse, parmi nous, eut en telle vénération le signe de la croix, que lorsqu'elle était sur le point d'être portée au tombeau, la face du crucifix se tourna vers elle, du côté où elle était portée, en sorte que la tête de la sainte image, placée dans cette direction, restait ainsi dans une position tout à fait différente de celle qu'elle occupe d'ordinaire. Une autre révéla que ses mains étaient tombées en pourriture dans le sépulcre, mais que la corruption avait épargné le pouce avec lequel elle se signait.

Si vous touchez quelqu'un ne consentez à quoi que ce soit, et ne laissez faire sur vous rien dont vous deviez rougir. Ne fuyez pas et ne recherchez pas non plus les conversations particulières : rappelez-vous cependant que ce sont des fruits sauvages.

Quand vous verrez quelqu'un appliqué à la prière, à la lecture, au silence, ou adonné à la pratique de la patience, de l'obéissance et d'autres vertus semblables, rendez grâces à Dieu de ce qu'il vous a fourni un miroir, et n'éprouvez point de jalousie.

Quand vous apercevez une âme dans le trouble, remerciez le ciel, de ce que ce nuage ne passe point en vous et dites : qu'aurait fait de moi cette tentation si Dieu avait permis qu'elle m'éprouvât? ne jugez pas l'imperfection des autres, ne percez point le mur de leur conscience.

Lorsque vous allez demander quelque chose au prieur attendez-vous toujours à un refus : et, s'il arrive que l'on vous refuse, en effet, ce que vous demandez; dites en vous même : que faut-il à un âne sinon une bride et un éperon? Dans cette maison je ne puis réclamer en propre, qu'un cilice à ma mort et une croix sur ma fosse : voilà mon héritage, encore faut-il qu'un peu de terre recouvre cette croix. Voilà les pensées que vous aurez dans l'esprit quand vous irez vous coucher. Et quand vous apercevez les grosses couvertures de votre couche, comparez votre lit à un tombeau, et entrez-y comme pour vous ensevelir. Si vous pouvez dormir tant mieux ; si vous ne le pouvez, l'expérience montre que si votre pensée se porte sur plusieurs objets, vous vous endormirez.

Cachez par-dessus tout ces tendances de votre esprit, et dérobez, autant que vous le pourrez, à tous les autres, le sujet de vos saintes méditations : en toute rencontre, montrez-vous complaisant à l'égard de tous vos frères.

Ne voyez que le bien des autres dans le service que vous rendez tant en public qu'en particulier. Et, de plus, soyez prêt à obéir, le cœur et le visage gais.

Pensez au moine Gérard qui, désespérant de la miséricorde de Dieu, et se trouvant malade à toute extrémité, demeura pendant trois jours les yeux fermés et ravi en esprit; en recevant la visite de son abbé, il répondit, les yeux ouverts : l'obéissance est une chose excellente. J'ai comparu devant le tribunal de Jésus-Christ, j'ai vu les âmes des saints, j'ai contemplé face à face le Seigneur qui m’a dit : voici ta place parmi tes frères. Nul de tes frères ne périra, s'il aime son ordre : il sera purifié au moment de sa mort ou peu de temps après. Ceux de ton ordre qui se sauveront, recevront leur héritage parmi les apôtres, parmi les martyrs ou parmi les confesseurs. Et, après avoir parlé ainsi, il reçut la communion et expira.

Sachez avoir remède à tout ce qui arrive.

Quand la paresse vous alourdit, pensez que vous pouvez travailler aujourd'hui et que peut-être demain vous ne le pourrez plus.

Si la volupté vous presse, songez au feu éternel.

Si la désobéissance vous sollicite, représentez-vous que ne pas être docile, c'est commettre, pour ainsi dire, le crime d'idolâtrie.

Si l'impatience vous tourmente, souvenez-vous de ce que Jésus-Christ a souffert pour vous.

Tenté d'orgueil, pensez à ceux qui sont meilleurs que vous ; quand la mauvaise volonté vous tourmente, considérez pour combien peu de chose est condamné celui qui est réprouvé, parce qu'il n'a eu que la bonne volonté dans ses œuvres.

Si la vanité vous tente, dites-vous qu'il y a beaucoup de choses que vous n'avez pas faites, et que plus vous êtes caché durant la vie présente, plus vous brillerez au jugement.

Lorsque la vigueur ou 'la beauté de votre corps vous cause de la joie, rappelez-vous qu'un léger accès de fièvre peut promptement vous enlever ces avantages.

Si le poids de la règle ou sa monotonie vous est à charge, méditez cette parole de Saint Jérôme : Nul travail ne doit être dur, nul temps long, pour acquérir la vie éternelle.

Mon cher fils, il est, entre tous, un piège de l'antique ennemi que je vous engage à fuir comme on fuit le démon du midi, c'est que, à partir du jour de votre profession, vous n'accueilliez, vous ne caressiez, vous n'acceptiez jamais la pensée que vous êtes moins utile dans l'ordre qui vous a admis et que, dans un autre, vous seriez plus utile à vos frères et à vous-même. Si vous prêtez l'oreille de votre cœur à de semblables imaginations, elles diviseront et détendront votre esprit, au point que vous ne pourrez conserver aucun goût spirituel, et votre cœur sera comme un vase brisé, qui ne pourra plus contenir toute la sagesse. Car votre âme se partageant ainsi pour considérer plusieurs professions et plusieurs genres de vie, vous éprouverez nécessairement, non-seulement du dégoût, mais encore de l'aversion pour les bonnes œuvres que vous avez commencées, et vous désespérerez de les mener à bonne fin.

Aussi un Père a dit dans ses conférences : les esprits légers et sans consistance ont coutume, en entendant exalter les autres pour diverses vertus et certains genres de vie louables, de s'enflammer au point que de suite ils brûlent de se mettre à les imiter : mais, souhaits inutiles ; car ce qui résulte de ce changement et de cette variation de résolution, c'est une perte, non un profit. Quiconque, en effet, court après plusieurs choses, n'en atteint aucune. Aussi, ce qu'il faut pour chacun; c'est qu'il tende, avec une application et une diligence extrêmes, vers la perfection et le terme qu'il s'est proposé : qu'il aime à entendre louer les autres, qu'il admire leurs vertus ; mais que jamais, il ne s'éloigne de la profession qu'il a une fois embrassée. Beaucoup de chemins, en effet, conduisent à Dieu; par conséquent que chacun fournisse la carrière dans laquelle il est une fois entré, l'intention irrévocablement fixée sur le terme, de manière à être parfait au moins pour une profession. Mais le remède unique à tous les mots, c'est le souvenir de la mort.

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HUIT POINTS POUR ARRIVER A LA PERFECTION.

1. Sion pratique bien ses huit points, on atteindra, par la grâce de Dieu, à la perfection et à la consommation de toutes les vertus.

En premier lieu, confessez souvent tous vos péchés avec une grande douleur et un ferme propos de ne les plus commettre.

En second lieu, ne vous laissez point abattre par l'adversité ou par la tentation : mais tenez-vous ferme dans la justice, dans la crainte, et préparez votre âme à l'épreuve. Il n'y a effectivement ni lieu ni religion qui permette à l'homme de vivre et de combattre sans lutte. Car la vie de l'homme sur la terre est un combat, et tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ ont à souffrir la persécution. Le Seigneur permet, en effet, au témoignage de saint Grégoire, que ses élus soient déchirés par la détraction, afin qu'ils se conservent dans l'humilité.

Troisièmement, ne vous mêlez point aux hommes, ni à ceux du dedans ni à ceux du dehors, autant que vous le pourrez convenablement, mais tenez-vous dans la solitude avec le Christ votre époux ; fuyez les bavardages du siècle, les entretiens vains et profanes, qui distraient l'esprit, l’agitent et ne lui permettent jamais de rester en paix.

2. Quatrièmement, vous devez en tout temps cultiver la pureté du cœur, en sorte que, tenant constamment fermée l'entrée des sens charnels, vous vous repliiez sur vous-même et ayez l'ouverture du cœur soigneusement bouchée aux formes des objets sensibles et aux images des créatures terrestres. En effet, la pureté du cœur, parmi les exercices spirituels, est, en quelque manière, l'intention finale, la récompense de tous les travaux que le soldat émérite de Jésus-Christ a coutume de recevoir en cette vie, et qui occupe la première place. Eloignez avec soin votre affection de tout ce qui pourrait entraver sa liberté, l'attirer, l'attacher, selon cette prescription de la loi de Moïse: Que chacun reste chez soi, que, le jour du Sabbat, nul ne dépasse le seuil de sa maison, et que le peuple observe le Sabbat (Exod. XVI, 29). » Rester en soi-même, c'est recueillir et porter toutes les tendances et toutes les affections de son cœur vers le bien unique, véritable et très-pur. Observer le sabbat, c'est détacher son cœur de toute affection charnelle qui le souillerait, et de tous les soucis mondains, et se livrer, comme dans le port du silence, à l'amour et à la jouissance du Créateur.

Mais que, par dessus tout, votre principal effort soit d'avoir constamment votre cœur élevé dans la contemplation des choses divines, en sorte que votre esprit soit transporté en Dieu et dans ce qui se rapporte à Dieu. Toutes les pratiques différentes de celle-là, bien qu'elles paraissent davantage, comme la mortification du corps, les jeûnes ou les veilles, doivent vous être comme choses secondaires et inférieures, bonnes seulement en tant qu'elles servent à procurer la pureté du cœur. Si très-peu de personnes arrivent à la perfection véritable, c'est qu'elles dépensent leur temps et leurs forces à des choses peu utiles, et négligent où dédaignent d'employer les remèdes auxquels elles devraient recourir. Pour vous, si vous désirez parvenir au but, vous devez soupirer sans relâche après la pureté perpétuelle du cœur et la tranquillité de l'esprit, et avoir le cœur sans cesse élevé vers le Seigneur. Toutefois, il est certain que nul mortel ne peut constamment être attaché à cette contemplation: mais cela est dit, pour vois apprendre où vous devez fixer l'intention de votre esprit et vers quel but vous devez toujours ramener le regard de votre âme. Quand vous pourrez y atteindre, réjouissez-vous, mais gémissez et soupirez toutes les fois que vous vous en trouverez éloigné. Si vous venez à moi en vous plaignant de ne pouvoir rester longtemps dans le même état, vous devez savoir que la force du Seigneur peut faire plus que l'homme ne saurait le croire, et que la répétition des actes engendre des habitudes analogues. Aussi arrive-t-il souvent, que, en ne se relâchant jamais, l'homme arrive à pratiquer avec facilité et même avec plaisir les actes auxquels, dans le principe, il ne se livrait qu'avec difficulté et eu se faisant violence.

3. Ecoutez, mon fils, la règle de mon père. Faites bien attention à ces paroles et gravez-les dans votre cœur comme dans un livre. N'imitez point la faute de ceux qui sont déjà retournés en arrière et qui marchent après les désirs de leur cœur : en eux la dévotion s'est attiédie, la charité s'est refroidie, l'humilité a failli et l'obéissance est renversée . ils ne songent qu'à plaire aux hommes, ils recherchent les honneurs ils sont esclaves de leur ventre : ils aiment outre mesure les cadeaux et soupirent après les récompenses : en ce monde, ils reçoivent pour récompense ce qu'ils désirent, mais, à la fin, ils se trouveront vides. Portez vos regards sur les saints pères, sur ces fleurs éclatantes, qui brûlaient d'une soif incomparable de sainteté, et hâtez-vous d'embrasser la carrière qu'ils ont parcourue, avec une ferveur et un genre de vie semblables aux leurs, ainsi qu'on vous l'a déjà proposé. Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous vaquiez à quelque autre occupation, que toujours la voix de votre père retentisse à vos oreilles, cette voix qui vous avertit et vous dit : Mon fils, rentrez en votre cœur, séparez-vous, autant que vous le pourrez, de toutes choses, conservez toujours pur et tranquille le regard de votre esprit, et éloignez votre pensée des fantômes des créatures inférieures : dégagez entièrement l'affection de votre volonté des soucis des choses terrestres, en demeurant toujours attaché, par un amour fervent, au souverain bien : tenez sans cesse aussi votre mémoire élevée, et tendez, par la contemplation des choses divines, vers les régions supérieures : et que recueilli en Dieu de toutes les forces et de toutes les puissances de votre âme, votre esprit devienne un seul et même esprit avec le Seigneur; c'est le point capital en quoi parait consister la perfection suprême de la vie. Voilà le court règlement de vie que je vous donne; si vous l'étudiez avec soin, si vous le pratiquez avec fidélité, vous serez bienheureux et, en quelque sorte, vous commencerez, dans ce corps fragile, ce bonheur éternel. Voilà, mon fils, la voie du salut que votre cher Arsène, instruit par un ange, a suivie et a fait suivre à ses disciples: « prends la fuite, garde le silence et demeure tranquille. » Voilà, dis-je, les principes du salut. Voilà le langage de la sagesse éternelle, à son disciple. La conclusion qui en ressort c'est que la source et l'origine de tous les biens pour l'homme spirituel, c'est de demeurer constamment dans sa cellule.

4. Cinquièmement, ne vous attristez pas, ne vous réjouissez pas, n'ayez aucun souci pour ce qui regarde vos amis et vos parents, mais remettez-les entre les mains de Dieu et donnez-leur l'assistance spirituelle, c'est-à-dire les suffrages de vos prières : pour ce qui est de vous, regardez-vous comme crucifié au monde et tenez le monde comme crucifié pour vous : reportez-vous vers votre intérieur , comme si vous aviez perdu tous vos amis.

En sixième lieu, soyez fervent dans la prière et la méditation sainte, et ne laissez pas refroidir en vous la bonne volonté qui vous fit entrer en religion et la ferveur des premiers jours de votre noviciat. Car l'homme est sujet à se relâcher ; quand il commence quelque chose, il agit d'abord avec ardeur; cela dure quelque temps, ensuite, il va en diminuant; et s'il y en a beaucoup qui commencent, il y en a peu peu qui arrivent au terme, et pourtant il n'y a que la persévérance qui sera couronnée, seule elle recevra le pria. Il n'y a point de vertu sans peine, et on n'obtient de grandes récompenses qu'au moyen de grandes fatigues. Ce ne sont point les lâches, les mous, les délicats, mais les violents qui ravissent le royaume des cieux, ceux qui font une sainte violence, non à la volonté des autres, mais à leurs propres désirs. Pour ceux qui, dans leur conduite, sont mous et sans consistance, ils tombent dans l'abîme, comme l'eau qui se précipite. Ceux au contraire qui sont constants, fermes et fervents, montent tous les jours au faite des vertus. Rien ne plaît longtemps aux insensés. Ils souhaitent ce qu'ils n'ont pas, et prennent à dégoût ce qu'ils possèdent. Soyez donc constant et ne vous laissez pas entraîner à imiter les tièdes. Si les autres n'observent point la règle dans sa rigueur, ne vous en mêlez point, mais veillez à marcher sans blesser vos frères, corrigez-les plutôt par les exemples que par les paroles; montrez-leur, en votre personne, la pratique saine et entière des constitutions de votre ordre. Aussi, ne soyez point sévère pour les autres, ne les réprimandez point avec âpreté ou rudesse : car ce n'est pas une vraie correction fraternelle quand on n'espère pas de changement, et le son frappe en vain les oreilles, si le Seigneur ne parle au fond du cœur; lui seul, en effet, convertit les cœurs des enfants des hommes.

        La correction fraternelle doit se faire avec une grande réserve, avec gémissements et bienveillance, en temps et lieu, et elle doit toujours être précédée de la prière. Aussi, si quelqu’un n'accomplit pas tous les devoirs de sa profession, contentez-vous d'être bon et discret zélateur de la règle, et ne jugez pas la conduite des autres. Ne vous laissez point ébranler si vous voyez vos frères moins retenus, ignorants, peu instruits; négligents dans la récitation des heures, ou atteints d'autres vices ; fermez les yeux autant que vous pourrez, pour ne point examiner leur manière d'agir. Evitez de paraître condamner ceux que vous ne voulez point imiter, parce qu'il y a un grand danger à vouloir juger les autres, et souvent, en cette matière, les soupçons sont mal fondés : ils diminuent aussi l'affection et la charité que l'homme a pour son prochain : vous devez beaucoup veiller sur ce point, de peur que la charité de l'un de vos frères ne s'altère ou ne diminue à votre endroit. Il n'y a pas de perte plus grande que celle de la charité. Tout le reste, quelque utile et nécessaire que ce soit, doit être méprisé pour éviter le trouble; et tout ce qu'il y a de fâcheux ou qui paraît l'être, doit être supporté, afin de conserver la tranquillité de la paix et de la charité : rien ne doit être réputé plus pernicieux que la colère, plus utile que la charité, et plus précieux que le repos de l'âme; et, pour acquérir ces derniers biens, si on ne le peut d'une autre manière, il faut mépriser, non-seulement les avantages temporels et transitoires, mais encore les spirituels même.

5. En septième lieu, gardez le silence, ne parlez pas beaucoup, et quand il faudra parler, répondez brièvement et posément, à voix basse, le visage calme, tout le corps sagement composé; que vos paroles soient peu nombreuses et raisonnables. Qu'elles viennent deux fois à la lime avant de venir une fois à la langue. Aimez mieux écouter qu'être écouté : ouvrez la bouche plutôt pour répondre aux questions que l'on vous adresse , que pour satisfaire à des demandes que l'on ne vous adresse pas. Ne vous appuyez point sur votre prudence, n'ayez pas trop de confiance dans vos propres sentiments, ne soyez pas sage à vos propres yeux, ne recherchez pas ce qui est au dessus de vous, et ne sondez pas les mystères plus profonds que votre esprit; mais en tout, montrez-vous discret, modeste et réglé; parce que rien de déréglé, d'inconstant, de confus n'a jamais plu au Seigneur : l'esprit de Dieu se repose sur celui qui est humble et paisible.

6. En huitième et dernier lieu, ne soyez jamais oisif. Tout homme oisif se répand en désirs. Aimez donc la science des Ecritures, et vous n'aimerez pas les vices de la chair : que votre esprit ne s'ouvre point à mille agitations diverses, parce que, si elles se fixent dans votre âme, elles vous domineront et vous entraîneront dans de très-grands péchés. Soyez donc toujours lisant, priant ou méditant quelque pensée des livres sacrés. L'oisiveté a enseigné beaucoup de mal : elle est la mort de l'âme, le sépulcre de l'homme vivant, et la sentine de tous le maux. A chaque heure et à chaque jour, distribuez les exercices qui leur conviennent : les spirituels avec les spirituels, les corporels avec les corporels. En toute chose, veillez à ne pas tomber dans le péché et à ne pas donner de scandale au prochain. Aussitôt que vous ressentez les atteintes de la vaine gloire ou de quelque tentation, combattez dès le début, et soyez prompt à faire tout ce que vous comprendrez devoir faire, soit d'après les avis d'un autre, soit d'après l'inspiration divine. Apprenez à vous commander, à vous gouverner et non à régir les autres : réglez votre propre vie, disposez vos mœurs, jugez-vous vous-même, accusez-vous et condamnez-vous à votre propre tribunal; ne laissez aucune faute impunie. Soyez dur pour vous, ne le soyez jamais pour les autres. Le matin , rendez-vous compte de la nuit passée et prenez vos précautions pour le jour qui va suivre. Le soir, examinez le jour qui finit et jetez un coup-d'œil de prévoyance sur la nuit qui commence. Considérez quels progrès vous avez faits, combien il vous reste encore de chemin à parcourir : car vous avez beaucoup de chemin à faire, avant que le Dieu des dieux se soit montré dans Sion. Mais lorsque vous vous serez exercé dans les huit règles qui viennent d'être tracées, marchez de vertu en vertu et soyez en garde contre les piéges du démon, et veillez à ce qu'il ne vous en fasse point écarter.

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LETTRE D'UN AUTEUR INCONNU. Sur la règle de conduite ou sur la surveillance des pensées, des paroles et des actions.

1. Vos instances pieuses et réitérées me pressent d'accéder à vos prières qui réclament de moi un règlement de vie, c'est-à-dire l'indication de ce qui est expédient pour l'homme voyageur, de ce qu'il doit méditer soigneusement en son cœur, de ce qu'il est plus à propos qu'il fasse et bienséant qu'il accomplisse. C'est là une chose très-relevée, quoique commune. Beaucoup s'en informent, peu arrivent à la saisir, et un nombre beaucoup moindre encore la recherche. Je vous exprimerai mes sentiments à cet égard, pour votre condamnation ou votre bien, et pour le bien de ceux qui me liront, mais je me sens incapable de répondre, comme il le faudrait, à ce que vous demandez et à ce que je désire. Notre cœur ne peut rien faire de mieux que do se rendre à celui qui l'a fait. C'est là, d'ailleurs, ce que le Seigneur réclame de nous en ces termes: « Mon fils, donnez-moi votre cœur (Prov. XXIII, 26). » L'homme offre son cœur à Dieu, quand toutes ses pensées se portent vers lui, roulent sur lui, se replient sur lui, et lorsque son cœur ne veut absolument posséder que lui. Et lorsque ayant ainsi recueilli son âme, il l'aime, et tout autre amour lui est amer sans lui. Offrir son cœur au Seigneur, ce n'est pas autre chose que l'assujettir à son service, et le plier entièrement à sa volonté sainte, en sorte qu'il ne veuille absolument que ce que Dieu veut lui-même. C'est pourquoi un cœur donné à Dieu, adorera le Seigneur en tout et à propos de tout, il lui rendra grâces, bien que beaucoup de choses lui paraissent désagréables. Les événements nouveaux et imprévus ne le troubleront pas. Si le Seigneur l'éprouve par des tribulations et des rigueurs, il ne sera pas ébranlé. Dans ses incertitudes, dépourvu de conseil, il sera dans la joie. Il accueillera tous les événements, quelque pénibles qu'ils soient, comme des moyens d'aller au ciel. Celui qui a donné son cœur à Dieu, chantera mélodieusement ce duo avec le Prophète David : « Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est prêt; je chanterai et psalmodierai dans ma gloire (Psalm. LVI, 8). » Il y a, en effet, une gloire première et une gloire seconde : la première est celle de la vertu; la seconde, celle de la béatitude;, l'une se goûte dans la voie, l'autre dans la patrie. En tous ceux qui ont donné leur cœur à Dieu , le signe et la marque qui les distinguent, c'est qu'ils chantent et modulent des cantiques dans la gloire des vertus, au milieu des tribulations, des peines, des angoisses, dans la faim et la soif, dans la nudité et l'abjection, dans les malédictions et les invectives, dans les moqueries et les coups : si on les menace de mort, ils en tressaillent davantage de joie et ils ne reçoivent plus d'horreur, parce qu'ils ont livré leur cœur au Seigneur. Il n'y a point de sacrilège plus coupable que de reprendre l'empire de sa volonté, après l'avoir remis entre les mains de Dieu. Ceux qui ont donné leur cœur au Seigneur, ne doivent pas vivre pour eux, mais pour celui qui a donné sa vie pour tous les hommes. On ne peut rien trouver de plus noble que de se donner à celui qui a voulu mourir, afin de vous faire vivre : « Car le juste a livré son cœur pour veiller dès le point du jour pour le Seigneur qui l'a créé (Eccli. XXXIX, 6). » Les saintes veilles et les saintes pensées du cœur consistent à méditer assidûment sur ce qu'il a reçu dans les biens de la nature et dans les biens de la grâce, dans l'incarnation, dans la passion, dans la mort et dans la sépulture du Fils de Dieu : dans les promesses faites aux hommes; le malheur dont il a été délivré, ce qu'il a rendu au Seigneur pour tous les bienfaits qu'il en a reçus; ce que nous aimons, ce que nous croyons, ce que nous faisons. Le but où tend l'instinct de la nature, celui où nous conduit notre libre volonté, celui enfin où tend la grâce , qui nous a été octroyée.

2. D'après les Écritures, notre cœur peut prendre une triple direction. La première, est sa conversion totale vers Dieu, mouvement que le Seigneur demanda à son peuple par le Prophète en ces termes : « Convertissez-vous à moi de tout votre cœur (Joel. 11, 12). » L'homme se convertit de tout son cœur à Dieu, lorsque d'abord il s'éloigne de tout son cœur de la malice qui est dans les choses corruptibles. On ne peut se tourner entièrement vers Dieu, si, au préalable, on ne se détourne tout-à-fait du monde. Les attachements terrestres ne permettent point de se porter totalement du côté de Dieu : se convertir totalement à Dieu, c'est se séparer du siècle et de soi-même, c'est s'élancer vers Dieu par la vertu, c'est se reposer en lui par la paix de l'âme, invisible et éloignée. Quiconque s'est converti à Dieu, trouve ses délices en lui: il ne cherche point si, au delà, il peut trouver quelque jouissance. Pour lui, c'est perte irréparable, d'avoir détourné, même pour un moment, de son visage, sa vue intérieure et invisible: pour lui se tourner vers un autre objet, c'est comme une apostasie.

3. La seconde direction, c'est la confession parfaite comme le Psaume le déclare en ces termes : « Seigneur je confesserai vos louanges de tout mon cœur.» Or, cette confession enlève de vous la misère que le péché fait contracter; elle ne sait rien s'attribuer que le mal, elle rapporte à Dieu toute louange, toute grâce et toute bénédiction : elle fait remonter tous les biens vers celui de qui ils viennent. Quiconque sait produire cette confession devient vil à ses yeux, ne trouve point de quoi s'exalter; mais il n'aperçoit que sujets de gémissements et de tristesse, parce qu'il est digne de mort. Il ne tressaille de bonheur qu'en celui de qui il a reçu ce qu'il possède, et se glorifie non en lui, mais en Dieu. Le même homme devient inaltérable dans la prospérité et dans l'adversité : le succès ne l'élève point, la mauvaise fortune ne l'abat jamais. L'âme de celui qui chante, de tout son cœur, la louange du Seigneur, ne subit aucun changement; en tout temps il bénit son divin maître, et, aveuglé par un mouvement de son cœur, placé même hors des voies communes des hommes, il loue le Seigneur, Christ, par sa vie, par ses mœurs et par sa langue. Il a en horreur ce que le peigneur a exécré : il embrasse ce qu'il a daigné embrasser. La troisième direction de notre cœur, c'est l'amour consommé qui nous fait aimer Dieu de tout notre cœur; mais la charité ne sera point parfaite, si les cœurs des hommes sont atteints de quelque doute.

4. Pourquoi donc était-elle si expressément recommandée en cette vie, si ce précepte n'est pas accompli dans la voie comme dans la patrie ? Mais il est très-bon de considérer l'élévation des vertus; bien qu'elles soient intimées par mode d'ordre ou de conseil, personne néanmoins n'a pu arriver à leur sommet, si ce n'est l'Homme-Dieu qui voulut naître, habiter et mourir parmi les humains. Toujours la vertu est restée au dessus de la puissance de quelque saint que ce soit, bien que toujours il y ait un accès ouvert vers elle jusqu'à ce qu'on soit arrivé à la patrie : et partant si nous ne pouvons avoir en son entier cette direction du cœur comme une charité parfaite, pratiquons-en de suite ce qui nous en est possible, en évitant tout vice, bien que nous ne puissions viser à toute perfection. Le Sauveur a dit : « celui qui a mes commandements et les observe, c'est celui-là qui m'aime (Joan. XIV, 24) » L'ami de Dieu est ennemi du monde : parce que celui qui aime le monde n'aime pas Dieu. L'homme qui a la haine dans le cœur, ne ressent aucune joie à l'occasion de celui qu'il déteste, sinon lorsqu'il le voit malheureux, lorsque, devenu plus puisant, il a pu le chasser en exil ou le faire périr. Cet exemple montre quel genre d'alliance attache l'homme au monde. Celui qui aime ainsi d'un cœur parfait, n'a pas des sentiments d'élévation, il ne nourrit que d'humbles pensées; occupé en lui-même, il ne fait point attention aux jugements des hommes. A la vue de ce qui est droit il n'aura point de pensées perverses : il ne disputera pas, il ne portera point envie à ceux. qui sont dans la prospérité parmi les hommes. Pour disposer notre bouche, il faut purifier les paroles qui en sortent, et prendre garde qu'elle ne dise rien d'inconvenant, et employer la modération dans tout ce que la nécessité nous contraint de dire, parce que la sagesse a dit : « Celui qui règle ses lèvres, est très-prudent (Prov. X, 19).n Or pour cela rien ne convient mieux que sa propre accusation, que les prières, les louanges les bénédictions adressées au créateur de toutes choses, que des paroles d'humilité, de respect et d'exhortation, adressées, non dans un esprit de contention, de dispute ou de présomption ; mais en toute mansuétude d'âme et douceur de langue. Il est cependant plus sûr d'écouter que de parler, d'être instruit par les autres que d'enseigner. Un démon agréable se cache souvent dans les discours; parfois on veut, par ce moyen, acquérir de la renommée et respirer l'air détestable de vanité, et le Saint Esprit nous effraie, quand il nous assure que « l'homme verbeux n'aura pas de dilection sur la terre (Psalm. CXXXIX, 12). » Si quelqu'un parle sans nécessité ou sans une utilité évidente, même en choses bonnes, qu'il tienne toujours sur sa bouche le doigt de la prudence, pour ne point proférer des paroles sans règle. Dans cette vertu, qu'il marche avec David qui disait « J'observerai mes voies, afin de ne point pécher par la langue; j'ai placé une garde sur ma bouche, lorsque le pécheur se dressait contre moi (Ps. XXXVII, 1). »

5. Les actions honnêtes des hommes ne procèdent que d'un cœur honnête au moyen des secours de la grâce divine et par la loi de Jésus-Christ : il faut exercer sur tous les sens une garde attentive, de crainte que, par eux, quelque chose de mauvais ne pénètre jusqu'à l'âme; que les mœurs soient aussi réglées, en sorte qu'il ne s'y fasse remarquer aucune singularité de vie, mais qu'elles soient telles qu'il convient à un serviteur de Jésus-Christ qui veut gagner les biens du ciel et non ceux de la terre. Que la conversation ne soit point importune, mais rare, selon que le réclame le besoin particulier ou la nécessité commune. Qu'elle ne soit point à charge, point mêlée d'affectations hypocrites, qu'elle exclue toute duplicité et toute ruse, qu'elle soit soumise au prochain, sauf en ce qui est mal. Jouissez de demeurer en vous-même: ne vous estimez beaucoup en rien, soyez humble et doux sous le fardeau de la pauvreté : en souffrir tous les jours les atteintes, c'est le propre des serviteurs de Jésus-Christ. Gagnez votre vie par vos travaux et vos fatigues. Là où le besoin se fait sentir, et où il l'est pas possible de trouver de quoi vivre, ne rougisse pas de faire une humble quête. Par cette petite offrande, on assiste en toute humilité celui qui est indigent, on gagne des mérites pour le ciel et on donne un exemple utile pour former les saints. Purifiez-vous souvent dans les sacrements salutaires, par leur moyen et par la parole de Dieu, ranimez votre âme. Attachez-vous à vivre tel que vous désirez être trouvé au jour du jugement. Je ne vous en écris pas davantage. Exercez-vous à mettre en pratique le peu que je vous ai tracé. Quant aux choses curieuses, ou qui ne sont d'aucun avantage pour vous, ne les demandez ni à moi ni à d'autres. Je vous ai tracé ce que j'ai cru utile pour vous, et, si vous m'avez demandé autre chose, je vous le refuse pour votre bien, ne voulant pas occuper votre âme en des choses grandes, mais l'envelopper tout entière dans un petit nombre de choses petites. Nourrissez en Dieu vos enfants comme vous le pouvez, et priez pour moi. Que la patience qui vous est si utile soit toujours avec vous. Amen. (a)

a On attribue aussi à S. Bernard une autre lettre sur le même sujet, SUR LE SOIN ET L'ADMINISTRATION DES AFFAIRES INTÉRIEURES, Commençant ainsi : « Au gracieux et heureux soldat Raymond, seigneur d'Amboise. Bernard, devenu vieux, salut. Vous voulez que je vous instruise sur le soin et le gouvernement, » etc, comme on le voit dans Jean Picard; mais cette lettre est aussi peu digne de voir le jour que d'avoir S. Bernard pour auteur. N'est-elle pas de Bernard Silvestre, dont il existe un ouvrage en vers non imprimé, intitulé MEGACOSME ET MICROCOSME, et dédié à Guerric, docteur très-fameux ? » Nous laissons ce point à examiner à d'autres.

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