SALVE REGINA I
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QUATRE SERMONS (a) SUR L'ANTIENNE SALVE REGINA.

PREMIER SERMON.

SECOND SERMON, SUR L'ANTIENNE SALVE REGINA.

TROISIÈME SERMON. SUR L'ANTIENNE Salve Regina.

SERMON IV. SUR L'ANTIENNE SALVE REGINA.

PREMIER SERMON.

1. «Salut, reine de miséricorde, notre vie, notre douceur et notre espérance, salut. » Ma Souveraine, c'est vous qui ouvrirez mes lèvres. Le Seigneur est avec vous et vous êtes avec moi. Souffrez que je vous loue. Je me réfugie sous votre patronage, c'est là que les faibles reçoivent la force. Soyez pour moi une tour puissante à la face de l'ennemi. Que ma voix vous chante tout d'abord, vous la première, et que ma bouche s'ouvre pour vous exalter. Mes frères, ce doux cantique, cette très-noble mélodie, qu'en l’honneur de la vierge Marie, notre Ordre chante très-dévotement quatre fois par an, nous entreprenons de le développer pour notre édification, parce que, après l'avoir bien savouré, nous l'avons trouvé plein d'une douceur particulière. C'est de lèvres bien élevées qu'est descendu ce cantique; car il a un fondement, et ce fondement est dans les saintes montagnes ; c'est la suavité de sa douceur intérieure. Et cette suavité où est-elle, sinon dans les montagnes saintes, c'est-à-dire dans nos esprits ? Composé par des saints , établi par des saints, il sera convenablement redit par des saints. Et véritablement il ne pourra être subtilement compris, ni efficacement chanté que par des religieux, des hommes brûlant de saintes affections, tant il est suave à raison de la grâce qu'il renferme, fécond à cause des sens dont il est plein, et profond par les mystères qu'il contient. Cela est à tel point, que nous ne saurions l'examiner et l'exposer comme il conviendrait ; par sa douce résonnante il charme le cœur, et il nourrit l'âme par l'abondance de ses biens : en saluant la sainte reine des saints, notre avocate, comme si elle était présente, il nous enflamme intérieurement jusqu'à la moëlle des os. Il faut bien que nous sentions la présence de celle que nous saluons comme présente, et que nous dirigions la trinité de notre âme

a Bien qu'en ces discours on fasse des emprunts à saint Bernard, comme cela a eu lieu pour le troisième, néanmoins il ne faut pas les croire de lui, soit à raison de la différence du genre et du style, soit à cause des citations fréquentes des poètes, dont le saint docteur est plus sobre. Au sujet de cette antienne, lisez le livre de la Vie de saint Bernard par Jean l'Ermite, n. 7.

vers celle à qui nous adressons nos vœux avec une très-grande dévotion. Elle connaît certainement, et elle aime ceux qui l'aiment, elle est vraiment près de ceux qui l'invoquent, surtout de ceux qu'elle voit devenus conformes à elle par la chasteté et l'humilité, si cependant, à ces vertus, ils ajoutent la charité, et placent en elle, après son Fils, toute leur espérance, et la cherchent de tout leur cœur en priant et en répétant souvent : « Venez, ô Souveraine, au secours de ceux qui crient sans relâche vers vous.» Elle ne dédaigne point la douce affection, le vif désir, les larmes abondantes, les prières assidues de quelque pécheur que ce soit, si toutefois il purifie son cœur de sa malice, s'il rompt les faisceaux de l'impiété, s'il brise les attaches qui pèsent sur eux ; s'il laisse aller en liberté ceux qui ont été brisés, et secoue leur fardeau. La puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre. Or, cette puissance c'est le pouvoir ; en ses mains est notre vie avec notre esprit . en ses yeux les chrétiens espèrent, et elle leur donne, au temps favorable, la nourriture de la grâce dont elle est remplie.

2. Levons donc, mes frères, levons notre cœur avec nos mains vers elle, approchons-nous avec les pieds de l'amour, immolons-lui une hostie de louange, rendons-lui nos vœux de jour en jour, d'heure en heure, et disons-lui sans cesse : « Salut, Reine de miséricorde.» Qui me découvrira dignement le mystère sacré de ce chant ? Qui m'expliquera, comme il faut, le début de cette salutation insolite? La mer est le principe des fleuves et des sources; Marie donne l'accroissement aux vertus, et elle est la science des sciences sacrées : comme le soleil l'emporte sur tous les astres du firmament par son excessive clarté, ainsi Marie, après son Fils, s'élève au dessus de toute créature raisonnable par la splendeur de sa vertu et de sa science ; on peut lui rapporter cette parole : Qu'elle est bonne, la souveraine d'Israël, à ceux qui ont le cœur droit. Ceux qui ont l'âme droite, et s'accordent bien en tout, ont le cœur droit ; notre avocate, par suite de sa bonté, leur fait cueillir tant de fruits de sa présence, et leur apprend si bien, en leur procurant la grâce, combien elle est facilement exorable, que, renouvelés en esprit, ils s'écrient après une consolante expérience : « Salut, Reine de miséricorde. » En cela l'intelligence n'a de prise qu'autant que l'expérience a goûté; il n'y a que l'onction de l'esprit qui enseigne ces choses, mieux vaut en cela la joie du cœur que le bruit de la bouche, le mouvement de la joie que le son des lèvres, l'accord des volontés que l'harmonie des voix. Voilà pourquoi j'ai regardé comme délicat de parler de ce cantique. Qui m'en découvrira le mystère? Quand on demande, et quand je demande qui? Cela veut dire qu'il n'y a pas beaucoup de personnes en état de le faire. Il est rare, en effet, qu'on mérite de jouir, sous les yeux de la majesté divine, d'une familiarité si grande que, par l'expérience de la grâce qu'on reçoit , on reconnaisse la présence du Seigneur, et qu'on puisse s'écrier avec transport : « Salut, Reine de miséricorde. » C'est avec raison qu'on lui donne le titre de Reine du monde et du ciel, puisqu'elle a donné le jour à celui qui les a créées et les gouverne l'un et l'autre.

3. Mais en quel sens est-elle appelée «reine de miséricorde? » La miséricorde n'est pas une substance, elle est la bonté de la clémence d'en haut, une affection tendre pour la créature raisonnable? On peut l'entendre par métonymie, c'est-à-dire eu prenant l'effet pour la cause, l'œuvre de la miséricorde pour la miséricorde même. Or, l'œuvre de la miséricorde, c'est la réparation de la nature, la terre des vivants et des morts est remplie de la miséricorde du Seigneur. Si les anges ont été créés et confirmés en grâce, si les hommes ont été pétris de la main de Dieu, et réparés après leur chute, c'est une œuvre de miséricorde qui, d'une éternité à l’autre, est la première et la causalissime des causes. Son effet est l'œuvre du salut des hommes, et le salut c'est l'adoption des enfants de Dieu. Elle est de même la sainte reine de tous les saints, parce que son enfantement virginal leur a donné l'être à tous. Reine, c'est là un titre de gloire et d'honneur, de magnificence et d'éclat, de douceur et de bonté, d'amour et de munificence, de sublimité et de puissance, d'autorité et de justice, de déférence et de grâce. Sainte des saints, voilà pour nous, mais pour nous tous, le titre de celle à qui nous disons dans nos chants : « Salut, reine de miséricorde. » On peut encore entendre ces mots en ce sens que nous rapportons à la divine miséricorde, non à ses propres mérites, la sainteté et 1a dignité qui la placent au dessus de toute créature, et l'élèvent si haut, par le nom et l'honneur de Reine. On l'appelle bien encore « reine de miséricorde, » en ce sens qu'on croit qu'elle ouvre les trésors insondables de la bonté divine, à qui elle veut, quand et de la manière qu'elle veut, en sorte que, quel que soit le pécheur sur qui elle étende sa protection, il ne saurait périr. C'est pourquoi, disons tous ensemble, disons chacun en particulier, disons sans cesse : « Salut, reine de miséricorde. » Voyons ce qui suit.

4. « Salut, ô notre vie, notre douceur et notre espérance. » Quelle belle gradation. La vie est avant la douceur, l'espérance vient à la suite. En effet, si vous- n'êtes pas en vie, vous ne goûterez pas, vous n'espérerez point si vous n'avez ni vie ni goût. Et la saveur est le siège de la douceur, et le goût celui de la saveur. Nous avons résolu d'être bref, aussi nous négligeons de traiter des divers états de la vie. C'est de cette vie que saint Jean, à ce que nous croyons, a dit en son Évangile : « Qui me mange vivra pour moi ( Joan. VI, 58). » Pourquoi ne vivrait-il pas, celui qui mange la vie. « Je suis la vie, dit Jésus-Christ (Ibid.).» : Et Bienheureux qui mange ce pain dans le royaume de Dieu, qui est au dedans de l'âme. (Luc. XIV, 15). » Le royaume de Dieu est charité, joie et paix. Or la vie, le pain et la charité sont une même chose. La charité, qui bannit la crainte, apporte de grandes délices; quiconque demeure en elle, et la mange, est mangé aussi par elle. C'est elle qui se nourrit parmi les lis, elle mange et elle est mangée, elle nous mange et nous la mangeons. Comment, me direz vous, cela se fait-il? Si Dieu nous aime, il nous fait entrer en lui, et réciproquement. Cette nourriture, c'est la charité de Dieu, et le Dieu des vertus et la fontaine des sciences, elle donne à l'âme la vie qui est à présent, et celle qui est à venir. Or c'est elle qui, pour recourir à la métonymie, est la sainte des saints; c'est elle qui a donné, pour nous, le jour à cette vie et qui la répand dans nos cœurs, pendant la prière; car c'est d'elle que l'Apôtre a dit: «Vivre, pour moi, c'est le Christ, et mourir, un gain (Phil I, 21). » C'est d'elle, qu'au Deutéronome, à propos de la circoncision, il est écrit : « Et ta vie sera suspendue devant tes yeux, et tu ne croiras pas à ta vie (Dent. XXVIII, 66). » Cette vie procure la douceur, mais elle la produit d'elle-même. « Si j'ai trouvé grâce devant vous, dit Moïse, pour mettre le comble à votre grâce, « montrez-vous à moi (Exod. XXXIII, 13). » Et Dieu lui répond de son côté, «Je te ferai voir tout bien.» Moïse demande une chose, et Dieu lui promet la plénitude de toutes choses, qu'y a-t-il de si opposé que l'unité et la diversité ? La diversité est dans le son, l'unité dans la réalité, la diversité dans l'expression, et l'unité dans l'identité.

5. Dieu est donc tout bien, le bien souverain ; il est aussi la douceur et le genre de douceur le plus général, « ceux qui me mangeront auront encore faim, » dit-il, «et ceux qui me boivent auront encore soif (Ec. XXIV, 29). » Pourquoi ? Parce qu’il est bon et doux. Le Dieu d'Israël est bon pour ceux qui sont droits de cœur ; mais il est aussi doux et droit. Sans rectitude, il n'y a ni bonté, ni justice. Qui le boit, aura encore soif; et dans celui qui le boira, jaillira une fontaine d'eau vive pour la vie éternelle, car en lui est la source de la vie; lui-même est une source de vie; il est même le cours impétueux du fleuve qui réjouit la cité de Dieu. Soyez la cité de Dieu, et ses flots vous réjouiront. Car le Seigneur, dans sa douceur, prépare ce qui est nécessaire au pauvre. Ce fruit est doux au palais, et son palais est très-doux. Tout cela est ineffable, c'est là le caillou que personne ne connaît, que celui qui le reçoit. On y trouve les joies de la félicité intérieure, que chaque jour la douceur intime et éternelle dans nos âmes, imprime par les inspirations de son amour. «Je vous ai fait connaître, » dit-elle, « tout ce que j'ai entendu de mon Père (Joan. XV, 15). » Et à Moïse : « Je te montrerai tout bien (Exod. XXXIII, 19). » Tout ce que le Seigneur a entendu de son Père et promet à Moïse, c'est le denier (Matth. XX, 2), proposé en récompense à ceux qui travaillent dans la vigne, c'est cette chose unique que demanda David, (Psalm. XXVI, 3) c'est le bien uniquement nécessaire (Luc. X, 42). C'est le miel qu'Israël suce de la pierre et l'huile qui sort du rocher (Deut. XXXII, 13). C'est la joie que personne n'enlève (Joan. XVI, 22). C'est le baiser dont il est écrit : « Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1).» C'est le goût et la douceur de la suavité intérieure, c'est la manne cachée, c'est le trésor enfoui dans le champ, en comparaison duquel toute douceur est amère; toute beauté, laideur; toute joie, tristesse; toute chose précieuse, vile; et sordide tout ce qui paraît désirable aux yeux des amis du monde qui passe. Abandonnant en échange toutes les jouissances de la terre, la Sainte des saints, a acquis cette pierre précieuse, et nous l'a préparée en son propre Fils et nous prépare toujours, par son intercession, qui seconde nos prières, l'huile répandue de cette douceur. Ce ne sera pas en vain, ce sera chose fort bonne, que nous appelions la Reine de la miséricorde notre vie et notre douceur, nous qui, ayant moins l'expérience de cette vie et de cette douceur, espérons pouvoir obtenir par elle tout ce que le Père de toute bonté daignera nous accorder en fait de grâces.

6. Nous disons ensuite: « Salut, notre espérance.» L'espérance est dans la vertu comme le pétillement dans le foyer. Sans aliment, le pétillement ne peut durer. Otez le bois, le feu languit et meurt, donnez-lui-en, il brûlera. De même, l'espérance tombe, si elle manque de fondement, sans aliments, elle meurt, elle languit, elle s'éteint; coupez sa racine, elle se dessèche. Sans la vie des vertus et la douceur de la dévotion, l'espérance n'est que présomption. Elle tient le milieu entre la crainte et la sécurité, elle désigne un bien incertain. La vie et la douceur exterminent le visage de la crainte, elles donnent à la sécurité sa force et sa beauté. Voilà pourquoi l'âme dit à Dieu : « Vous m'avez singulièrement établie dans l'espérance (Psalm. XV, 10). Et : « Dans la paix, en l'unique bien, je dormirai et me reposerai (Ibid.) Sa charité, qui bannit la crainte, est entourée de fleurs et soutenue de fruits, et elle dira : « Sa gauche est sous ma tête, et sa droite m'étreindra (Cant. II, 6). » La gauche, c'est la menace du supplice; la droite, la promesse du royaume. Entre les deux, l'espérance se repose sur la douce couche de la charité, que la vie et la douceur lui préparent. C’est le milieu de la litière de Salomon, dont l'Écriture dit : « Au milieu de sa charité, il étendit » son lieu de repos. Vous voyez maintenant la sublimité de ce chant. D'abord il nous montre la vie qui consiste dans l'intégrité des vertus. Ensuite la douceur des joies spirituelles, et enfin l'espérance des choses éternelles. Tous ces biens, la reine de la miséricorde, la maîtresse du monde, la reine des cieux les a procurés au monde ; vierge des vierges, sainte des saints, lumière des aveugles, gloire des justes, pardon des pécheurs, force réparatrice de ceux qui sont dans le désespoir, force de ceux qui défaillent, salut de l'univers, miroir de toute perfection, intercédez pour la rémission de nos péchés, par le moyen de votre Fils unique, notre Seigneur, dont le royaume et l'empire durent dans les siècles des siècles. Amen.

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON. SUR LE SERMON I. SUR LE SALVE REGINA, n. I, col. 721.

            7. Quatre fois par an, notre ordre chante très-dévotement. C'est-à-dire dans les quatre grandes solennités établies à cette époque, la Purification, l'Annonciation, l'Assomption, et la Nativité : car les autres ont été instituées par la suite, mais de quel ordre s'agit-il en ce passage ? L'usage de chanter cette antienne fut établi à Cluny par Pierre le Vénérable, pour le jour des grandes fêtes, son dernier statut en fait foi; nous dirons bientôt la même chose de l'ordre de Cîteaux.

            Composé par les saints, établi par les saints. Uvion, dans son Bois de la vie, liv. V, chap. 105, prouve, par plusieurs arguments, que l'auteur de cette antienne, fut Hermann Contract, moine Bénédictin; il rapporte divers témoignages d'auteurs récents, que semble contredire ce contexte. Je ne trouve nulle part, en effet, Hermann désigné comme saint. De plus, Jean l'Hermite, au livre d de la vie de saint Bernard, numéro 6, rapporte que ce saint entendit chanter, par des voix angéliques l'antienne, SALVE REGINA, en son entier, jusqu'à la fin, qu'il la retint de mémoire, et l'écrivit ensuite, et l'envoya au pape Eugène, à ce que l'on assure, dit-il, afin qu'en vertu de l'autorité apostolique, on la chantai solennellement dans les églises... ce qui eut lieu, etc. D'après ce passage , il faudrait dire que les anges sont les auteurs de cette prière; circonstance à laquelle font allusion, d'autres paroles de ce sermon, paroles voisines de celles qui ont été rapportées plus haut : Ce cantique est venu à nous, en tombant de lèvres très-élevées. Albéric, dans sa Chronique, à l'an 1130, rapporte un peu différemment ce fait. Cet auteur dit que saint Bernard étant , à une certaine époque, à Dijon, dans l'abbaye de St-Bénigne, abbaye qu'il aima toujours, parce que sa mère y était ensevelie, entendit devant l'horloge, autour de l'autel, l'antienne Salve Regina doucement chantée par les anges. Il crut d'abord que c'était la communauté; et le jour suivant, il dit à l'abbé : vous avez parfaitement chanté l’antienne du Puy, cette nuit, devant l’autel de la bienheureuse Vierge. On l'appelait antienne du Puy, parce que Haimer, évêque du Puy, l'avait composée... Aussi dans un chapitre général de Cîteaux, il obtint l'autorisation de la faire recevoir dans tout l'ordre, ce qui eut lieu. Haimer ou Aimar ou Adhémar, évêque du Puy, fut tendrement dévoué à la Sainte-Vierge. Il vivait du temps du pape Urbain II. Cependant Guillaume Durand, dans son Rational, livre IV, chap. 22, dit que ce fut Pierre, évêque de Compostelle, qui composa cette antienne. Claude de la Roue, l'affirme aussi dans ses notes sur le faux Luitprand.

Le même auteur assure au même endroit, que ces quatre sermons furent faits par Bernard, archevêque de Tolède. Mais comme dans le troisième de ces discours, on rapporte quelques paroles empruntées au sermon XVI sur le Critique, ces sermons as peuvent point être attribués à Bernard de Tolède, qui vivait avant saint Bernard, soirs le pontificat de saint Grégoire VII, à la fin du XIe siècle.

 

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SECOND SERMON, SUR L'ANTIENNE SALVE REGINA.

Quand je ferais parler cent langues et cent bouches; quand ma voix ne se fatiguerait pas plus que le fer, je ne pourrais, ô Marie, rien dire qui fût digne de vous, vierge bienheureuse, vous que l'on appelle Étoile de la mer.

1. Comment parlerai-je de vous, ô Vierge, par quelles louanges vous célébrerai-je ? Ma langue est bien indigne de parler, elle s'est souillée avec les morts, mes lèvres sont incirconcises, le feu de l'autel ne les a point purifiées: c'est un mal inquiet, qui a du souffie dans ses narines et qui s'échappe de tous côtés comme par des crevasses ; quelle hostie de louanges peut-elle immoler en votre honneur, Votre magnificence est élevée au dessus des cieux, et votre gloire au dessus de toute la terre, en sorte qu'il ne trouve pas, même dans le paradis, une créature qui puisse dignement célébrer votre grandeur et que, sur la terre, nul n'est en état de redire votre gloire : non, personne au ciel et sur la terre, n'a été trouvé digne d'ouvrir le livre de vos prérogatives et de briser les sept sceaux qui le ferment. Qui racontera la plénitude de la grâce, l'arrivée du Saint Esprit en vous, l'ombre de la vertu du Très-Haut, la conception du Verbe, votre grossesse sans fatigue, votre enfantement sans douleur, votre virginité unie à votre fécondité ? Bien des hommes riches, dans la cité du Seigneur des vertus, ont étendu leurs mains vers ces réalités si puissantes; et cependant, ils n'ont pu voir clairement la profondeur des richesses qu'elles contiennent, parce que ce sont des voies qu'on ne peut parcourir, des mystères insondables. Ils ont fait des efforts, mais il ne leur a pas été donné d'aller plus loin. Pendant qu'ils ourdissaient leur trame, elle s'est trouvée tranchée; qui peut, en effet, parler des puissances du Seigneur, faire retentir ses louanges? Si nul n'en est digne, néanmoins, chacun selon ses forges, « tâche de combattre pour lui de toute son énergie, » comme on dit. Tous enfin courraient dans l'odeur de vos parfums. Tirez-nous également, ô sainte des saintes, et faites briller à nos yeux la lumière de vos miséricordes. Protégez-nous à l'ombre de vos ailes.

2. Car, fils exilés d'Ève, nous crions vers vous. Telle est la seconde pensée de l'antienne que nous avons entrepris d'expliquer; elle semble composée à la façon des drames, chaque personnage y parle à sa manière ; on voit ici l'éclat des âmes parfaites et de celles qui font de constants progrès. En effet, la vie animée par l'intégrité de la vertu, la suavité de la douceur intérieure, les hardiesses de la sainte espérance, qu'est-ce que tout cela, sinon les fruits du Saint Esprit et les attraits de la vertu ? C'est là la solde des soldats émérites et la récompense accumulée d'un long combat. Les lamentations sur l'exil, le désir de la patrie, les piqures, la peine du péché originel sont au contraire la marque des âmes qui commencent ou qui sont en marche. Considérez l'exil de cette vie comme un fonds de vanité : la patrie comme un fonds solide de vérité. L'éclat de la gloire temporelle, c'est un vernis de vanité le solide de la vérité, c'est l'immuable connaissance de l'éternité. Le vernis de la vanité, c'est la splendeur attrayante de la créature visible. La vérité solide, c'est la lumière inextinguible de la douceur intérieure. Un sage a dit, en parlant de cette patrie : ô vérité, patrie des exilés, terme de l'exil, je t'aperçois, mais je n'ai pas la permission d'entrer sur ton sol, je suis indigne d'y être admis, souillé que je suis par le péché. Jusques à quand sentirons-nous sans goûter, marcherons-nous vers le ciel sans l'atteindre, soupirerons-nous après lui et le saluerons-nous de loin?

3. Le premier homme avait donc été créé afin que, s'il n'eût point péché, il eût toujours, par la vue de la contemplation, été en présence du visage de son créateur et connu la solidité de la vérité; après l'avoir connue, il l'eût aimée, après l'avoir aimée, il l'eût saisie, après l'avoir saisie, il l'eût goûtée, et en s'attachant toujours à celui qui est immortel, il eût possédé la vie sans fin. Car le bien vrai et souverain de l'homme, c'est la connaissance pleine et parfaite du créateur. Mais, entouré des ruses du serpent, séduit par l'éclat trompeur de la vanité, c'est-à-dire par l'apparence de la créature visible, il descendit de Jérusalem à Jéricho, il abandonna la fontaine de la vérité, il abaissa son affection vers la beauté des choses sensibles; aussitôt, frappé d'aveuglement et d'ignorance il est allé dehors et il a erré loin de la lumière intime de la contemplation ; il est devenu vagabond sur la terre, je veux dire qu'il a erré par la concupiscence désordonnée, et qu'il fut vagabond et banni par sa conscience pécheresse; parce que, quelque tentation qui l'atteigne, elle renverse l'âme qu'abandonne le secours divin. Aussi, le cœur de l'homme qui, attaché à l'amour divin, reste stable, et, en aimant un seul Dieu, demeure en lui-même, s'il commence à se répandre en désirs terrestres, se fait pour ainsi dire autant de stations dans son exil qu'il y trouve de délectations. Voilà comment l'esprit qui ne sait pas aimer la beauté, la douceur, la sécurité et le perpétuité de la lumière première, ne peut jamais être stable, parce que, ne trouvant point de joie durable dans les biens qu'il saisit, il sent ses désirs s'étendre, il poursuit ce qu'il ne peut atteindre, et, toujours agité dans son exil, il ne peut jamais goûter le repos. Tantôt, s'échappant par l'ouverture des yeux, l'âme se repaît de regards curieux, et elle considère dans leur masse, l'immensité des choses : tantôt, elle scrute leur beauté dans leur situation, leur mouvement, leur apparence et leur qualité : tantôt, elle essaie de connaître leur utilité au point de vue de leur nécessité, de leur commodité, de leur convenance et de leur agrément. D'autrefois elle s'épanche par l'odorat, et cherche, par ce sens, les agréments suaves de divins parfums après les avoir savourés, elle sort par l'organe de l'ouïe, et boit par les oreilles, les douces mélodies, les harmonies, et les concerts des nombres. Par le tact aussi, elle examine les corps subtils, légers et doux, et en les palpant, elle place dans les casiers de sa mémoire ce qu'elle a désiré. Son palais goûte de même les diverses saveurs, voilà les chevreaux que l'esprit qui s'ignore et qui ignore Dieu, garde près de la tente des pasteurs à travers des choses des temps et des vanités mondaines, en sollicitant et en mendiant, de la figure de ce monde qui passe, de quoi consoler de quelque manière que ce soit la faim de sa curiosité. L'homme ressemble aux animaux sans raison et leur est devenu pareil - parce que, lorsqu'il était en honneur, il n'a pas compris, dans le charme de cette position élevée, qu'il n'était que boue et limon. De là naît dans l'exil un mouvement de vanité sans repos, un travail sans délassement, une course sans arrivée : en sorte que le cœur est toujours en mouvement jusqu'à ce qu'il retourne vers la patrie de la vérité, il est affamé et désire se nourrir des aliments des pourceaux, jusqu'à ce qu'il soupire après la maison du Père, où le mercenaire a du pain en abondance, et où tous les domestiques on doubles vêtements.

4. C'est du fond de cet exil, ô Sainte des saintes, « que nous crions vers vous, enfants bannis d'Eve, » afin que, par votre intercession, sous votre conduite et avec votre secours, nous puissions regagner la patrie, le séjour de la vérité. Nous savons, à n'en point douter, que l'homme ne retire rien autre chose de tout le travail auquel il se livre sous soleil, que la vanité : et cependant garrottés par les liens des mauvaises habitudes, nous ne pouvons revenir par nous-mêmes dans la liberté de la vérité. Nous n'entendons pas en ce lieu, par vérité, la connaissance de Dieu et la science qui est selon la piété, mais le moyen pur, nu et solide qui est dans l'amour de la vertu. Bien que les auteurs enseignent que la restauration de l'homme est la connaissance de la vérité et l'amour de la vertu ; néanmoins la vertu parfaite n'existe pas sans la connaissance de la vérité, ni la vérité sans l'amour de la vertu. Il est vain, celui qui vit dans la vanité, ou dans une vaine curiosité, dans la vanité de l’erreur. La vanité de la curiosité procède de la vanité de la mobilité, et engendre la vanité de la mortalité. La première est cause de péché, la seconde est un péché, et la troisième la peine du péché. La première se trouve dans les choses qui ont été faites pour les hommes ; la seconde en celles qui ont. été faites par les hommes la troisième, en celles qui sont dans les hommes. L'une est dans les objets créés, l'autre dans les esprits, la troisième dans les corps. La vanité de l'erreur se rencontre dans tout ce qui est contraire à la foi catholique et à la saine doctrine, et ne se rapporte pas à la règle de la religion, en ce point solide de la vérité qui, milieu des angoisses, resserre ou peu ou trop le vouloir et le non-vouloir de l'homme. Toutes ces choses-là sont vanité, elles trompent ceux qui s'attachent à elles, et ne les conduisent point à la vérité de l'éternité. En cet exil, presque tout le genre humain, depuis le commencement jusqu'à l'arrivée de la Reine des cieux, se plaisait à errer dans son pèlerinage et n'avait ni désirs ni soupirs pour la patrie de la vérité. C'est elle qui, la première, ouvrit la marche vers la patrie et, par son enfantement, rendit manifeste au monde la Vérité qui est la vraie patrie.

5. C'est pourquoi nous aussi, ô Reine de miséricorde, « fils exilés d'Ève, nous crions vers vous. » Il y a un cri de la bouche et un cri du cœur. Le cri de la bouche est une bruyante clameur : celui du cœur est la direction forte et suppliante de l'intention vers Dieu, Dieu est au dedans, l'homme est au dehors. Le cri de la bouche se porte vers ceux qui sont à l'extérieur : celui du cœur vers Dieu et vers ceux qui sont à l'intérieur avec lui. Où est cet intérieur? Dans l'esprit. Comment cela, dites-vous? En deux manières. Lesquelles? Par la connaissance et l'amour, par la révélation et la dévotion, par l'aigu et le chaud. C'est de cette manière que Dieu habite dans le cœur ; il n'y habite cependant pas seul. « Car là où est le corps, là s'assemblent les aigles (Matth. XXIV, 28). » A quelle fin? Pour que la jeunesse du cœur se renouvelle comme celle de l'aigle. Là accourt aussi la Sainte des saints, la grande aigle aux grandes ailes de l'innocence et de l'équité, elle exauce ceux qui l'invoquent si elle ne cesse d'être appelée par des clameurs intérieures et cachées. Et nous aussi, nous, fils d'Ève, nous qui sommes transgresseurs, enfants de désobéissance, fils de la mère ancienne, nous crions vers vous, ô Reine de miséricorde. Revenez visiter en nous votre nature : revenez nous montrer la charité que vous portez à ceux qui honorent Jésus-Christ: revenez par cette puissance singulière que Dieu vous a donnée sur nous : revenez à nous par cette prérogative qui a été spécialement placée en vous dans la plénitude de la grâce, et nous vous verrons, non telle que les anges brûlent de vous voir, lorsqu'ils disent : « Vous êtes toute belle, ô mon amie, et il n'y a point de tache en vous (Cant. IV, 7) ; » mais nous vous verrons répandre des bienfaits, accorder des remèdes, guérir ceux qui ont le corps brisé, donner la force aux âmes qui pleurent dans Sion, une couronne pour la cendre, de l'huile pour le deuil, un vêtement de louange pour un esprit de chagrin. Ce n'est point une petite chose que cette vision par laquelle on vous trouve clémente et sensible aux prières, et qui fait que las gémissements des cœurs affligés sont consolés par les dons de la grâce. Que votre voix retentisse à nos oreilles, votre voix est douce, et votre visage est éclatant de beauté. Mais vous contempler dans la beauté dont le Seigneur vous a revêtue et dans la puissance dont il vous a entourée, ce n'est pas donné à ce temps ni à cette vie présente que la corruption des vices rend injuste. Nous sommes indignes, ô Souveraine, de vous voir dans le vêtement de l'immortalité: montrez-nous la face de vos miséricordes et nous serons sauvés. Que celui dont le règne et la puissance durent sans fin dans les siècles des siècles, daigne nous accorder cette faveur. Amen.

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TROISIÈME SERMON. SUR L'ANTIENNE Salve Regina.

Tant que les fleuves courront vers la mer, tant que les ombres tomberont des montagnes, tant que le pôle mènera son troupeau d'astres paître vers le couchant, toujours votre honneur, votre nom et vos louanges seront célébrés, ô Vierge pieuse, mon espérance, ô Vierge sacrée, ô Vierge Marie.

1. N'y a-t-il rien de plus à dire ? Il reste encore beaucoup à dire et de beaucoup de manières. Car éternellement et au delà, vos louanges ne cesseront point de retentir dans la bouche des hommes et sur les lèvres des anges. « Les cieux racontent la gloire de Dieu (Psalm. XVIII, 1). » Or dans toute la gloire de Dieu qu'y a-t-il de plus grand que la plénitude ineffable. du ciel ? Et nous, avec cette plénitude des cieux, c'est-à-dire avec les Anges et les Archanges, avec les Trônes et les Dominations, avec toute la milice de l'armée céleste, nous chantons un hymne à la gloire de la Sainte des saints. Ceux-ci chantent votre gloire, et nous, l'hymne de votre gloire. Eux, redisent mutuellement dans la joie de leur cœur, la gloire qu'ils ont sous leurs yeux, et nous, nous redisons seulement l'hymne de la gloire, c'est-à-dire le souvenir de l'abondance de votre suavité. « Et le firmament annonce l'ouvrage de ses mains. Que le firmament soit, » dit le Créateur, « et qu'il divise les eaux (Gen. 1, 6). » Le plus solide firmament de tous les firmaments, c'est vous, ô Souveraine, vous qui avez reçu et conçu, porté sans faiblir, engendré, nourri, alimenté, allaité et élevé celui que les cieux des cieux ne pouvaient contenir. Au milieu des eaux, vous avez divisé les eaux des eaux, c'est-à-dire l'amour des choses éternelles de l'amour des choses temporelles. Car un glaive a transpercé votre âme, « afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées (Luc. II. 35). » Dans ce firmament, Dieu a placé le soleil et la lune, c'est-à-dire, le Christ et l'Eglise, ainsi que les étoiles, c'est-à-dire les nombreuses prérogatives produites par la grâce. Nous louons le Seigneur en ses saints. La fermeté, la vigueur, la constance et la force éclatent dans l'âme de Marie parce qu'elle a méprisé la gloire du monde et foulé aux pieds les attraits de la chair. Voilà la vertu du Très-Haut, dont il est écrit « Et la force du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc. I, 35). »

2. Non-seulement la souveraine de l'univers est désignée sous le nom de ciel et de firmament, mais elle reçoit divers autres noms encore, empruntés à d'autres choses qui lui conviennent également. Elle est le tabernacle de Dieu, le temple, la maison, le foyer, le cabinet, le lit nuptial, l'épouse, la fille, l'arche du déluge, l'arche du testament, l'urne d'or, la manne, la verge d'Aaron, la toison de Gédéon, la force d'Ezéchiel, la cité de Dieu, le ciel, la terre, le soleil, la lune, l'étoile du matin, l'aurore et le flambeau, la trompette et la montagne, la fontaine des jardins et le lis des vallées, le désert et la terre promise où coulent le lait et le miel, l'étoile de la mer et le vaisseau, le chemin dans la mer, le filet, la vigne, le champ, l'arche, le grenier, l'étable, la crèche, la créature qui porte, le lieu des provisions, la cour, la tour, le camp, le peuple, le royaume, le sacerdoce. Elle est brebis pâturage, paradis, palmier, rose, fleuve, breuvage, colombe, colonne, vêtement, pierre précieuse, candélabre, table, couronne, sceptre, pain, huile, vin, arbre, vase, cèdre, cyprès, platane, cinnamom, baume, myrrhe. encens, olive, nard, safran, tige, jonc, l'arbre au suc exquis, sœur et mère. Et, pour tout dire en peu de mots, c'est d'elle, à cause d'elle et pour elle que toute l'Ecriture a été inspirée, pour elle que le Monde a été fait; elle est pleine de grâce ; par elle l'homme a été rachetée ; le Verbe de Dieu a été fait chair, Dieu s'est rendu humble et l'homme a été élevé.

3. C'est donc vers vous, si grande et si ornée, Souveraine des choses, Sainte des saints, Reine des cieux que « nous soupirons en gémissant et en pleurant dans cette vallée de larmes. » C'est la troisième partie de ce chant que nous avons entrepris de commenter. Les soupirs, les gémissements et les pleurs de la componction sont une espèce de semence de justice. « Semez-vous, pour récolter la justice, dit le Prophète, récoltez l'espérance et la vie, et allumez-vous le flambeau de la science (Ose. X, 12). Ils allaient et pleuraient, répandant leur semence (Psalm. CXXV, 7). » Soupirer, c'est pousser des sons inarticulés, le soupir c'est le siège des gémissements de peux qui gémissent, et des pleurs de ceux qui pleurent. Trois choses qui coulent bien dans les canaux inférieurs, et il y en a une quatrième qui se trouve heureusement à côté, c'est la vallée des larmes : elle reçoit ce qui vient des hauteurs. Le véritable Caleph donne l'une et l'autre à sa fille assise sur l'ânon. Si vous aspirez à ces biens, réprimez les mouvements déraisonnables du corps et de la sensualité par l'influence de la raison. Retranchez de vous, la concupiscence de la chair, des yeux, de la puissance et des honneurs. Écartez les pompes et le fardeau du monde, domptez la chair sous la discipline de l'esprit, tenez à l'étroit tous vos désirs, n'allez pas au conseil des impies, ne vous arrêtez point au chemin des pécheurs, ne vous asseyez jamais dans la chaire de pestilence (Psalm. I, 1). attachez-vous à l'humilité et devenez pauvre d'esprit : corrigez la rudesse de vos mœurs et soyez doux. Alors, passez le Jourdain, et entrez dans la terre promise, dans la terre de la componction. Voici ce que nous lisons au troisième verset du passage qui renferme les huit béatitudes : heureux ceux « qui pleurent, car ils seront consolés (Matth. V, 5). »

4. Ce n'est que le quatrième jour que Lazare fut ressuscité, et c'est à la quatrième veille que Jésus vint à ses disciples. Observez donc ans. si quatre veilles, pour que vous ressuscitiez et que Jésus vienne à vous; il y a deux veilles de crainte et deux de honte. Pensez que Dieu est votre créateur et votre bienfaiteur, votre père et votre maître ? Par rapport à chacun de ces points de vue, vous êtes coupable; gémissez à chacun, réveillez-vous à chacun, et que chaque réflexion que vous consacrez à chacun d'eux, forme dans votre. esprit comme des jours durant lesquels, nouveau Lazare , vous étiez comme mort et il semble que vous exhaliez la puanteur des cadavres. En pleurant à chacun de ces jours, vous êtes comme ressuscité au quatrième. Le premier et le dernier font disparaître la crainte : les deux du milieu bannissent la honte. Il est certain qu'on ne redoute point un père, puisqu'il est père; le propre du père est, en effet, d'avoir compassion et de pardonner toujours. Voici une parole de père. « Je frapperai et je guérirai (Deut. XXXII, 39). » Il n'y a donc point à craindre du côté du Père. Si parfois il frappe, c'est pour corriger, non pour se venger. La pensée que vous avez outragé un père, suffit assurément pour vous couvrir de honte, bien qu'il n'y ait pas de quoi être saisi de frayeur. Le Seigneur vous a volontairement engendré par la parole de la vérité (Jacob I,18), ensuite il n'a pas épargné son Fils unique, afin de vous être utile après que vous avez été engendré (Joan. III, 46). Il s'est donc montré Père envers vous, mais vous ne vous êtes pas conduit en Fils pour lui. Etant un fils aussi mauvais, de quel front osez-vous lever les yeux vers le visage d'un père si excellent? Ayez honte d'avoir été indigne de votre origine; rougissez d'avoir vécu si indigne de votre père. Que vos yeux répandent des torrents de pleurs, que la confusion vous couvre la face. Que la honte se répande sur tout votre visage; que votre vie défaille dans la douleur et que vos années s'écoulent dans les gémissements. O douleur! Quel avantage avez-vous retiré de ces excès qui maintenant font votre honte ? Si vous avez semé dans la chair, vous avez récolté, de la chair, la corruption. Si le monde passe avec sa concupiscence , soyez confondu aux accents de cette voix qui s'écrie : « Si je suis votre père, où est l'honneur que vous me devez (Malac. I, 6) ?» Voilà pour l'honneur à rendre au père. Il faut maintenant en venir aux bienfaits. Pour en taire un nombre incalculable, citons seulement la nourriture que le Seigneur ne manque pas de donner à votre corps, l'usage du temps, et par dessus tout, le sang de son Fils bien aimé qui criait de la terre : ayez honte de votre ingratitude. Qu'avez-vous rendu à Dieu, pour tous les biens qu'il vous a accordés ?

5. Venons-en aussi à la crainte. Si la crainte accomplit faible ment son rôle, excitons-la pour qu'elle nous excite. Mettons de côté les doux noms de bienfaiteur et de père : venons à des pensées plus austères. Car de celui dont on lit qu'il « est le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (II Cor. I, 1), on lit aussi qu'il est le » Seigneur, le Dieu des vengeances (Psalm. XCIII, 1), » et encore qu'il « est terrible en ces desseins sur les enfants des hommes (Psalm. LV, 6). » S'il est père et bienfaiteur, c'est pour vous : s'il est Seigneur et Créateur, c'est pour lui, car c'est pour lui qu'il a tout opéré (Prov. XVI, 4). Pensez-vous donc que celui qui défend et conserve pour vous ce qui est à vous, ne réclamera pas l'honneur dû à son éminente principauté? Il l'exigera jusqu'au dernier denier : il le demandera impérieusement, et il rendra avec usure aux orgueilleux les châtiments qui leur sont dûs (Psalm. XXX, 24). De celui qu'il a racheté, il exigera qu'il le serve; il voudra que celui qu'il a créé et façonné, lui rende honneur et gloire. Admettons que le père dissimule et pardonne, il n'en est pas ainsi du seigneur et du créateur. Examinons quelle cause de crainte et d'horreur c'est pour vous d'avoir méprisé votre créateur, et le créateur de tous les êtres, d'avoir méprisé le Seigneur de majesté. Il touche les montagnes et elles s'en vont en fumée, et une vile poussière qu'un souffle léger dissipe sans qu'on la puisse recueillir, osera irriter une majesté si redoutable? Craignez l'enfer, redoutez le visage du juge; tremblez à la colère du Tout-Puissant, à la fureur qui éclatera sur son visage, au fracas du monde s'écroulant, à la conflagration des éléments, à la tempête effroyable, à la voix de l'archange et à l'horrible sentence. Soyez saisi d'épouvante en pensant aux dents de la bête infernale, aux abîmes de feu, aux rugissements des démons prêts à vous dévorer. Craignez le ver rongeur, le feu qui tourbillonne, la fumée et la vapeur, le soufre et l'esprit de tempêtes : redoutez les ténèbres extérieures, et dites: « qui donnera de l'eau à ma tête, et, à mes yeux, une fontaine de larmes (Jcrem. IX, 1)? et, par mes pleurs, je préviendrai les pleurs et les grincements de dents, les rudes liens qui enchaînent les mains et les pieds, et le poids des chaînes pesantes qui serrent et brûlent sans consumer leur captif? Hélas! pourquoi, ô ma mère, avez-vous enfanté un fils de douleur et d'amertume, d'indignation et de larmes ?

6. L'homme qui est ainsi atteint de cette double crainte et de cette double honte, fait ces quatre veilles en son âme, ou bien voit briller au dedans de soi quatre jours dont le dernier le voit ressusciter comme un autre Lazare, après quatre journées de mort. Et, de même que les quatre fleuves du paradis, qui arrosent la terre, sortent d'une même source (Gen. II, 10), de même, sortant de la fontaine de la componction, ces quatre sentiments consomment la plénitude du cours des eaux inférieures. Ils produisent, en effet, les soupirs, les gémissements et les pleurs qui, étant provoqués par le défaut de vertu, sont appelés cours inférieurs. Le cours supérieur, c'est la vallée des larmes. Cette pluie abondante tombe du ciel, elle n'est ni forcée, ni extorquée, elle est volontaire, Dieu l'a réservée pour son héritage (Psalm. LXVII, 10). Ces eaux sont celles qui jaillissent du côté droit du temple (Ezech. XLVII, 1) : elles descendent avec impétuosité des montagnes du Liban, elles coulent aussi de la fontaine du paradis et se partagent en quatre branches. La conscience du juste est un paradis, les soucis poignants, les remords du péché ne la brûlent pas : le sentiment de l'indigence spirituelle ne l'affaiblit pas, les fantômes des choses corporelles ne tombent point sur elle, comme la grêle : par la foi, elle se couvre de fleurs, de fruits par les vertus, et, par sa bonne réputation, elle exhale de suaves parfums. Une fontaine jaillit de son centre quand sa vertu s'appuie sur l'intégrité, celle-ci se partage ensuite en quatre branches, la justice, la pudeur la force, la tempérance. La justice creuse profondément et cherche les eaux du cours supérieur : la prudence les trouve, la force se les approprie et la tempérance les possède. J'appelle «justice,» la tendance à observer tous les commandements de Dieu; «prudence, »la science des choses divines et humaines; « force, » la vigueur de l'âme qui se tient droite entre l'adversité et la prospérité ; « tempérance, » le milieu entre le vouloir et le non-vouloir, entre le trop et le trop peu de connaissance, entre le trop et le trop peu de discernement. Légitimement pratiquées, ces vertus constituent l'homme parfait, qui désire mourir pour être avec le Christ, et qui s'écrie : « Malheur à moi, parce que mon exil s'est prolongé (Psalm. CXIX, 5) ! Et : mon âme a soupiré après Dieu, qui est une source d'eau vive. Cette source est une fontaine pour la maison de David, afin de purifier l'âme polluée du pécheur (Zach. XIII, 1) . » C'est là la fontaine qu'ont creusée les princes de la multitude dont nous avons parlé, je veux dire la justice, la force, et la tempérance de celui qui donne la loi, c'est-à-dire, dans la componction et dans ses appuis, j'entends par là la vigueur et la solidité d'une intégrité parfaite.

7. Purifiée de ces vices, soupirant constamment après le Seigneur, et sentant en son cœur l'arrivée de son Dieu, réjouie fréquemment par l'ineffable douceur d'une suavité si exquise, l'âme quine peut la goûter selon ses désirs, se trouve torturée par un merveilleux tourment, et sa consolation, c'est de se nourrir sans cesse, dans sa faim, du pain de ses larmes. Elle devient donc une vallée de larmes lorsque dans l'humilité de ses sentiments, elle pleure abondamment. Elle. reçoit alors le cours supérieur des eaux qui la fait mourir au monde, et qui lui donne une nourriture suave et douce, parce que, après avoir été purifiée par le cours inférieur, elle trouve des bonheurs ineffables dans la contemplation des choses célestes. Ces deux cours sont deux oliviers et deux flambeaux qui brillent devant le Seigneur. Ce sont les deux grands astres, les deux autels, les deux espions, les deux chérubins, les deux petites portes, les deux mamelles, les deux testaments, les deux boucs, les deux lions, les deux petites pièces de monnaie, les deux tables, les deux colonnes, les deux sœurs, les deux mains et tous les objets doubles que l'on peut rencontrer et entendre d'eux. C'est dans ces soupirs, ces gémissements et ces pleurs et dans cette vallée de larmes, que « nous crions vers vous, enfants exilés d'Ève, »vers vous, Souveraine de toutes les créatures. Sainte des saints, notre force et notre refuge. O vous, ornement du monde, gloire du ciel, vous qui êtes choisie « comme le soleil, belle comme la lune en son éclat, reconnaissez tous ceux qui vous aiment. Ecoutez-nous; car votre fils vous honore et ne vous refuse rien. Et vous ô Seigneur Jésus, sauvez-nous, nous pour qui la Vierge mère intercède auprès de votre divine majesté (a), » ô Dieu dont le règne et l'empire durent sans fin dans les siècles des siècles. Amen.

a Ces paroles sont extraites de la prose de la sainte Vierge, telle qu'on la lit dans la missel de Cologne et dans plusieurs autres encore.

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SERMON IV. SUR L'ANTIENNE SALVE REGINA.

Changeant de patrie, le Parthe exilé boira les eaux de la Saône, ou le Germain, celles du Tigre, avant que vos traits s'effacent dans notre cœur, Vierge, mère du Dieu que ne peut contenir l'univers entier.

1. Cela est tout à fait nécessaire, car si tous les riches du peuple doivent tourner leurs regards suppliants vers votre visage, à combien plus les pauvres du peuple le feront-ils? Si les pauvres du peuple le font, combien plus l'indigent et celui qui, dépourvu de tout, est l'opprobre des hommes et l'abjection de la populace, tournera-t-il aussi les yeux vers vous? Mon cœur vous a dit : j'ai recherché votre face. Je chercherai à la contempler, ô ma Souveraine, ne la détournez point de moi, ne vous éloignez pas, dans votre colère, de votre serviteur. Montrez-nous votre visage, que votre voix retentisse à nos oreilles, parce que votre voix est douce et votre visage éclatant de beauté. Quatre fois, ô Maîtresse de l'univers, nous avons entendu votre voix dans l'Evangile. Vous avez parlé premièrement à l'ange, secondement à Elisabeth (Luc. II, 40), troisièmement à votre Fils: « mon Fils, pourquoi en avez-vous agi de la sorte envers nous (Luc. II, 48)? » et, en quatrième lieu, vous avez dit à ce même Fils : «ils n'ont plus de vin (Joan. II, 3).» Qu'elles sont parmi ces paroles, celles qui nous concernent ? Ce sont celles-ci : « Le vin leur manque. » Elles nous sont nécessaires. Le vin manque dans nos tonneaux, ce vin « qui réjouit le cœur de l'homme (Psalm. CIII, 15). » Nous ne parlons pas de ce vin dans « lequel se trouve la luxure (Ephes. V, 18) ; » nous cherchons celui dont le Prophète a dit : « il fait germer les vierges (Zachar. IX, 17)» ; c'est vous qui êtes leur échanson et leur porte-étendard. Le drapeau du roi se déploie en nous, quand vous agissez pour nous. Le calice plein de vin pur est entre vos mains, en votre puissance ; c'est un calice de vin pur, d'amour divin. Dites, ô Souveraine, dites pour nous à votre fils : « ils n'ont pas de vin.» Qu'elle est brillante la coupe enivrante qui contient ce breuvage ! Elle enivre, elle réchauffe, elle excite, elle rend l'homme fort et hardi, oublieux, discret et somnolent. L'amour de Dieu enivre du mépris du monde : il réchauffe en rendant fervent. : il excite, parce qu'il instruit : il rend hardi et fort contre l'adversité, invincible contre la chair, le monde et les démons, oublieux de ce qui est en arrière, et il porte vers ce qui est en avant; il l'orme à la justice les cœurs réglés; il produit le sommeil et l'ennui à l'endroit des biens temporels ; il incline et porte à la contemplation des choses invisibles.

2. Ce vin réjouit le cœur de l'homme. De vous et par vous, nous espérons non-seulement le vin, mais encore le pain. Car le pain fortifie le cœur de l'homme. C'est de ce pain donc que parle l'Ecriture quand elle dit : « l'homme a mangé le pain des anges (Psalm. LXX le pain c'est le doux souvenir de votre Fils : vous êtes toute remplie de sa présence. Vous êtes la table des douze pains de proposition, et vous consacrez ainsi le nombre douze. Les douze pains sont les douze prérogatives de grâce qui vous remplissent et font que le Seigneur est avec vous. Mais de peur qu'il semble que je tire cela de mon propre fonds, l'apôtre saint Paul désigne. et énumère ces prérogatives lorsqu'il dit : « Les fruits de l'Esprit sont la charité, la joie, la patience, la longanimité, la bénignité, la mansuétude, la force, la miséricorde, la continence, la chasteté (Gal. V, 22). » Voilà certes des pains splendides et savoureux. Ils sont splendides dans leur nature et savoureux pour les âmes qui les mangent. Les délices qu'ils procurent sont souverainement spirituelles. Ils fortifient et délectent l'âme, plus qu'aucun mets délicat ne peut fortifier et réjouir le corps. L'homme ne les tire pas de son propre fonds, ils sont les fruits du Saint-Esprit. Aussi, Vierge bienheureuse, après que le messager céleste vous eût proclamée comblée de la prérogative des grâces dont j'ai parlé plus haut, il indique quelle était la cause d'une telle abondance en ajoutant : « le Seigneur est avec vous (Luc. I, 28).» Or, le Seigneur est esprit. Le Saint-Esprit vous a. donc comblée de ses dons magnifiques, oui, il vous a comblée de dons magnifiques en accomplissant deux œuvres en vous. L'une fut de vous rendre digne de concevoir et. de nourrir le Fils de Dieu : l'autre, de former de votre sainte et digne chair le corps du Fils de Dieu. Il vous fit donc grande et chaste, oui grande, afin de contenir celui qui est immense. et chaste, afin de le contenir d'une façon digne lui. Grande par l'humilité, pure par la virginité.

3. C'est pourquoi, ô Vierge sainte, vous êtes le château dans lequel Jésus entra, vous avez l'humilité pour tour (car celui qui s'abaisse sera élevé) et pour rempart, la virginité, un rempart bien fort qui n'a pu être renversé, ni avant, ni pendant, ni après votre enfantement. Les pierres de ce rempart ont été la discipline et la continence que vous avez observées; sans elles, la virginité n'offre point de consistance. En vous se trouvèrent Marthe et Marie, deux sueurs qui ont accueilli le Seigneur en leur maison (Luc. X, 38). Marie fut votre intelligence incomparable qui vous a fait comprendre que celui que vous avez enfanté est- Dieu et Fils de Dieu. Marthe était la prudence guidée par la raison, par laquelle vous l'avez servi comme votre Seigneur et votre Fils dans la chair. Vous êtes donc, ô notre Souveraine, le nez plein de grâce dont l'Époux disait : « Votre nez est comme une tour du Liban, construite avec des contreforts mille boucliers y sont suspendus, ainsi que toute l'armure des forts (Cant. IV, 4). » Le nez a deux ouvertures par lesquelles le souffle sort de la tête : c'est ainsi, ô notre Maîtresse, que par votre virginité et votre humilité, vous avez fait sortir du ciel le Fils de Dieu. Le Prophète dit « le souffle de notre bouche, c'est le Christ, Notre-Seigneur (Thren. IV, 20). » Or, ce Seigneur est esprit: semblable au souffle de notre bouche, il réchauffe la charité, rafraîchit l'ardeur de notre cupidité, il nous a portés à la bonne volonté et nous a justifiés par la foi. Vous donc qui êtes le nez de l'Église, vous êtes comparable à une tour, votre dignité en fait la hauteur, et la gravité, la solidité. Vous êtes la tour du Liban. La montagne du Liban, (ce mot signifie blancheur,) marque votre innocence élevée au dessus de toute sainteté. Vous avez été exemptée du péché d'origine et des fautes actuelles. Nul, excepté vous, ne jouit de ce privilège. Aussi saint Augustin le dit avec autorité . « Quand on parle du péché, je veux qu'il ne soit nullement question de Marie. Parce que nous croyons qu'il lui a été accordé une vertu plus grande pour triompher, en toute manière, du péché, à celle qui a mérité de concevoir et de nourrir celui qui n'a jamais eu aucun péché. En toute manière, » dit ce saint docteur, c'est-à-dire qu'elle a triomphé du péché originel et des péchés actuels. Marie donc exceptée, tous les autres que peuvent-ils dire, sinon ce que dit l'apôtre saint Jean : « Si nous prétendons que nous n'avons point de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (I. Joan. I, 8)? » Et moi aussi, je crois, avec une pieuse confiance, que dans le sein de votre mère vous avez été délivrée du péché originel : ce n'est point là une croyance vaine ni une opinion fausse; bien des raisons et des autorités établissent ce sentiment. Voici ce que la raison dit : Si d'autres personnes ont été sanctifiées dans le sein de leurs mères, combien plus,avez-vous dû l'être, vous, la mère du Seigneur? Or, nous lisons que Jérémie (Jerem. I, 5) et Jean-Baptiste, ont été le premier sanctifié, le second rempli du Saint-Esprit dans le sein maternel. Vous l'avez été conséquemment vous, Marie, mère de Dieu, vous qui seule, avez possédé, en sa plénitude, la grâce du Saint-Esprit que les autres n'ont eue qu'en partie; car l'ange Gabriel vous a proclamée pleine de grâce (Luc. I, 28). C'est votre parfum que respirait longtemps d'avance, dans la personne de son Fils, le patriarche Isaac, lorsqu'il disait : a Voici que l'odeur de mon Fils est l'odeur d'un champ rempli (Gen. XXXVII, 27). » Vous êtes un champ rempli, vous qui êtes pleine de vertus, pleine de grâces. Vous avez produit le froment des élus qui est aussi la nourriture des anges. Le Seigneur vous a bénie. Il vous a bénie afin que, par vous, la vie nous arrivât, comme par Ève nous était venue la malédiction. Instruit des secrets célestes, Salomon dit, en parlant de vous : « Quelle est celle-ci qui s'élève comme l'aurore naissante, belle comme la lune choisie comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 9)?» L'aurore suit toujours la nuit, et la nuit précède l'aurore. Qu'est-ce que la nuit sombre et froide, sinon le péché originel, froid par la concupiscence, sombre par l'ignorance? Vous vous êtes donc avancée, comme une aurore lumineuse et empourprée, parce que, ayant surmonté, dans le sein de votre mère, le péché originel, vous êtes née toute lumineuse par la connaissance de la vérité, et tout inspirée par l'amour de la vertu. Voilà pourquoi la sainte Eglise célèbre par. une fête votre sainte nativité, ce qu'elle ne ferait pas s'il n'en était point ainsi. A part vous, à part le Seigneur votre Fils et saint Jean Baptiste (qui sont venus certainement au monde dans l'état de sainteté), elle ne célèbre la naissance d'aucun autre enfant des hommes.

4. Mais si les autorités divines attestent avec tant de clarté l'innocence que vous avez apportée dès le sein de votre mère, qui doutera encore que vous êtes entrée dans ce monde, sainte et immaculée ? Vous êtes par conséquent la tour du Liban, bâtie avec des contreforts. Depuis le commencement de votre vie, vous avez aimé la justice et haï l'iniquité, et c'est le plaisir que vous trouviez dans la justice, et la haine que vous portiez au mal, sentiments qui ont grandi avec vous, qui ont été vos contreforts. Leur vue vous a rendue, suspecte aux ennemis. Ils ne craignaient pas peu, en effet, que vous fussiez (et vous l'étiez réellement) celle qui devait les abattre et les condamner. Voilà pourquoi vous avez été pour eux redoutable comme une armée rangée en bataille. L'ennemi n'a absolument rien gagné en vous, parce que de vos murailles, pendaient mille boucliers, toutes les armes des forts. Le nombre de dix au cube est mille : car dix élevé au carré donne cent. Or, ces préceptes de la loi sont au nombre de dix. Celui-ci « tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui (Deuter. VI, 5), » est le premier. On y commande le culte d'un seul Dieu. A nul autre n'est dû ce cuite (qui, en grec porte le nom de « Latrie» ), quand on le rend aux démons, on l'appelle idolâtrie. Ce péché est interdit par le commandement suivant : « Ne prends pas en vain le nom de ton Dieu (Ibid. V). » Comme si l'on disait ne rends d'honneur à aucune créature du Seigneur, ne cherche rien par enchantements ou par augures. Or, le culte spécial est rendu à Dieu par l'observance des solennités saintes. De là le troisième précepte : « Observe le jour du sabbat, c'est-à-dire, applique-toi aux jours sacrés, afin d'apprendre, par le repos qu'ils apportent présentement, à espérer le repos éternel. Ces trois préceptes se rapportent uniquement à Dieu, aussi furent-ils écrits sur une seule table. Les autres regardent la conduite de l'homme envers ses semblables, aussi étaient-ils renfermés dans la seconde table.

5. Et le premier se rapporte à ceux qui nous sont le plus proches, c'est-à-dire, à nos parents : « honore, y est-il dit, ton père et ta mère. » Par honneur, on entend non-seulement le respect de la soumission, mais encore l'aide et l'assistance. Partant, les enfants doivent honorer leurs parents, leur être soumis eu ce qui est bien, et leur accorder, en cas de besoin, une assistance temporelle. « Tu ne tueras point. » Donner la mort est le plus grand mal que l'on puisse faire au prochain, aussi a-t-il dû être. défendu avant tous les autres, Or, l'homicide se commet de plusieurs manières, par la main, par le commandement, par le conseil, par le consentement ou par la négligence. Car, s'il arrive que vous puissiez conserver la vie à un homme qui est sur le point de la perdre, nul doute que vous ne soyez coupable de sa mort, en négligeant de le faire. Il est dit ensuite : « tu ne commettras pas la fornication. » Il y a la fornication du corps, et la fornication de l'esprit. Celle-ci consiste à quitter Dieu pour s'attacher au démon. De là vient qu'il est écrit : « Vous perdrez tous ceux qui se livrent à la fornication en se séparant de vous (Psalm. LXXII, 27). » Celle du corps consiste à avoir commerce ça et là avec des prostituées ou des femmes n'ayant pas de maris légitimes, uniquement pour assouvir la passion. Il est dit ensuite : « tu ne commettras pas le vol . » Dans le vol se trouvent comprises la rapine, l'usure, l'invasion, et enfin tout ce que l'on possède au détriment d'autrui. Après cela vient ce précepte: « Ne rends pas de faux témoignage.» Le faux témoignage se définit proprement le patronage du mensonge d'autrui. Cependant, il est vraisemblable que, en cet endroit, il est placé et pris pour toute espèce de mensonges, et celui qui a prohibé le faux témoignage défend aussi le parjure, la violation du venu et généralement tout ce qui est mensonge. Un neuvième précepte vient après celui-ci : «Tu ne convoiteras pas l'épouse de ton prochain. » Là, est défendu l'adultère et l'abus des personnes consacrées à Dieu. Car elles sont les épouses du Seigneur : et assurément, ce n'est pas un moindre mal de violer l'épouse de Dieu que l'épouse d'un homme. Le dixième précepte est ainsi conçu : « Tu ne désireras pas ce qui appartient à ton prochain. » Par ce dernier passage, le Seigneur proscrit toutes les ruses et toutes les machinations par lesquelles les malheureux mortels se trompent mutuellement et s'enlèvent les biens de la terre.

6. Ces dix préceptes de la loi protègent comme des boucliers ceux qui les observent, ils les défendent contre les tourments de l'enfer, ce sont donc dix excellentes cuirasses. Dix est un nombre linéaire n'ayant que la longueur que l'intelligence seule saisit, il a dix boucliers. Mais si ce nombre est élevé au carré; il produit le nombre cent. Par la même raison aussi, si le décalogue, après qu'on l'a connu, est gravé fortement dans la mémoire, dilaté dans le cœur par l'affection, on possède, sans nul doute, cent boucliers. Enfin, dix élevé au cube produit mille : de même, celui qui de l'affection, fait passer le décalogue dans une pratique fidèle, commence à posséder les mille boucliers qu'il désire. Il n'y a pas de doute, ô Vierge bénie, que, par vos pensées, vos sentiments et vos actions, vous n'ayez conservé en vous et pratiqué, mieux que tous les autres mortels ce même décalogue: aussi, est-ce avec infiniment de raison, que l'on dit que « mille boucliers pendent» de vous. Et non-seulement des boucliers, mais encore « toute l'armure des forts. » Car il n'y a pas un degré de vertu qui ne brille dans vous, et vous avez possédé seule ce que tous les autres saints ont chacun en particulier. Vous êtes le petit lit de Salomon, dont il est dit au Cantique des cantiques: « Voilà que soixante-dix des plus vaillants d'Israël entourent le petit lit de Salomon ; ils tiennent tous des glaives et sont très-exercés à la guerre (Cant. III, 8). »

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