PASSION
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MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.

CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.

CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.

CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.

CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.

CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.

CHAPITRE VI. De la confession du larron et éloges de la sainte croix.

CHAPITRE VII. Du péché de Judas et de son désespoir.

CHAPITRE VIII. De l'ouverture du côté de Jésus.

CHAPITRE IX. De la sépulture du Seigneur.

CHAPITRE X. De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ.

CHAPITRE XI. De l'enlèvement de la pierre, de l'apparition des anges et de la résurrection de Jésus-Christ.

CHAPITRE XII. De l'apparition de Jésus-Christ aux disciples qui allaient à Emmaüs.

CHAPITRE XIII. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir l'intelligence de la Sainte Ecriture.

CHAPITRE XIV. Les trois chefs de cinquante hommes envoyés à Élie, allégoriquement comparés à la capture des cent-cinquante poissons.

CHAPITRE XV. De la dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et de la vision qu'elle eut.

CHAPITRE XVI. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir les vertus.

MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.

Cet opuscule parut d'abord, d'après une copie de Léonor Foy, homme savant, chanoine de l'insigne Église de Beauvais. Comme celui de Saint-Victor de Paris, il marque pour auteur saint Bernard. Charles Sacci, docteur de Paris, au XVe siècle, attribue à saint Bernard un livre sur la passion et la résurrection du Seigneur, qui parait être celui-ci. Entre autres raisons, la différence de style montre assez qu'il ne vient pas du saint Docteur.

CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.

1. « Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre roi qui vient vers vous plein de douceur et assis sur le fils d'une ânesse (Juan. XII, 10).» Venez, Seigneur Jésus, venez, le chéri de toutes les nations, parce que mon âme a dormi à cause du chagrin que lui a causé votre mort et lorsque mes yeux ont langui dans l'absence de votre lumière; levez-vous, aimable soleil, afin que l'homme aille à son travail et vaque à ses occupations jusqu'au soir, et gagne non la nourriture qui périt, mais bien celle qui demeure pour la vie éternelle. « Ne craignez pas, fille de Sion.» Ce sont les faibles qui craignent. Vous êtes encore une fille, parce que vous avez peur; vous n'êtes pas encore enfant. de Jérusalem, mais de Sion, c'est-à-dire, de celle qui regarde. Apprenez donc à contempler. « Ne craignez point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de votre œil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière; de même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. « Mais ne craignez point, fille de Sion, voici que votre roi vous arrive. » Le soleil s'élève sur vous, il vous protégera, il vous éclairera et vous conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière. « Il vous arrive plein de mansuétude. Il veut que vous soyez comme lui; adoucissez-vous afin de porter son joug, afin qu'il s'asseoie sur vous comme sur une monture ou sur l’animal fils de la bête de somme. Et quelle est cette monture? Cette créature qui est appelée et femme et vierge, parce qu'elle est tirée de l'homme. Et quel est cet animal ? L'homme. Et comment est-il son fils ? Parce qu'en premier lieu ne se place point ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, ensuite vient ce qui est spirituel. (I Cor. XV, 46). Le roi pacifique est assis d'abord sur l'ânesse et ensuite sur l'animal issu d'elle. La chair est d'abord domptée, afin d'être apte à se plier au joug. Le poulain naît ensuite, il est nourri, il se fortifie, afin de pouvoir porter son cavalier. Et pourquoi le fils d'une bête de somme? Parce que la femme est soumise au mari, et que l'homme est le chef de la femme. Et néanmoins, il est fils d'une bête de somme, parce que l'homme existe par la femme qui l'enfantera dans la douleur. Que le roi de mansuétude soit porté sur l'un et sur l'autre, lui qui produit la paix, afin qu'ils ne luttent pas entr'eux.

2. Il vient vers vous, et vous n'allez pas à lui. Sortez de la terre de votre chair, de la parenté de votre esprit et de la maison, c'est-à-dire du souvenir de votre père. Votre père est un Amorrhéen et votre mère, une Céthéenne. Oubliez ce père, et alors le roi désirera votre beauté. L'éclat de votre beauté est vif, si vous entendez, si vous regardez, si vous prêtez l'oreille. Vous entendez par l'obéissance, vous voyez par l'intelligence, vous inclinez l'oreille par l'humilité. Cette beauté, toute cette gloire est au dedans, sous les franges d'or ; c'est cette grâce que le roi, plein de mansuétude, désire en vous. Sortez donc de la cité, car j'ai vu, dit le Psalmiste « l'iniquité et la contradiction dans la cité (Psal. LIV. 10). » Sortez avec les enfants des Hébreux, qui s'avancent simplement à la rencontre du Seigneur. Etendez sur le chemin des rameaux d'olivier, afin d'entourer ses pieds des œuvres de miséricorde. Prenez les feuilles de palmier, afin de triompher des princes des ténèbres. Qu'il n'y ait rien en vous qui n'aille vers lui: il ne faut laisser pas même un ongle dans la maison de Pharaon. Que votre main, que votre cœur et votre langue chantent : « Hosanna dans les hauteurs ! »

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CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.

3. Vous avez vu, Seigneur, l'affliction de votre peuple dans l'Égypte; vous avez abaissé vos cieux, et vous êtes descendu pour nous délivrer. J'ai goûté un léger repos, qui m'a débarrassé un moment des œuvres pénibles des ténèbres, sous le poids desquelles le cruel exacteur de Pharaon écrasait mon âme, et déjà la préparation de votre sabbat a réjoui mon âme. Cependant, je ne suis point parvenu jusqu'au sommet, point élevé où je verrai plus parfaitement les pustules et les taches qui défigurent mon visage , et offensent grandement vos yeux quand même je me laverais de nitre et me couvrirai de l'herbe de borith, je suis souillé de mes iniquités. Et maintenant, Seigneur, les jours de votre passion devraient nous presser davantage que les officiers de Pharaon, parce que dans les œuvres que vous opérez, se trouvent la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit; et nous dormons tandis que vous priez pour nous, parce que nos yeux sont appesantis par le sommeil. Secouez-nous pour nous réveiller et pour nous faire prier, afin de ne pas entrer en tentation, parce que la tribulation est fort près de nous. Que notre œil est prompt à se fermer pour ne pas vous voir, que notre pied glisse vite en cette mer immense, aux bras étendus, où se trouvent des reptiles sans nombre! Par les fantômes qu'ils font paraître dans le sommeil, ils se jouent de l'âme qui y prête son attention, et l'attirent dans le sein de la mer, d'où elle ne peut pas facilement regagner les régions supérieures, si vous ne tendez la main du haut du ciel, pour nous tirer de ces vagues profondes. Excitez-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec vous. Qui est-ce qui veille une heure avec vous? Vous vous êtes éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et vous êtes plongé dans une agonie cruelle, de sorte que votre sang découle jusqu'à terre. Vous vous êtes bien éloigné de nous, parce que la pierre s'est détachée de la montagne sans la main de l'homme; la pierre a été lancée, et a frappé Goliath à la tête, et la statue à la base.

4. Ce jet vous a écarté de nous : parce que vous êtes entré comme notre précurseur, jusque dans l'intérieur du voile, où vous intercédez sans relâche auprès de votre Père en notre faveur. Plaise au ciel qu'une goûte du sang qui coule dans votre agonie arrive jusqu'à notre terre, que notre cœur s'ouvre pour la boire, et qu'elle crie vers vous et avec vous vers votre Père, plus éloquemment que le sang d'Abel. Qui est, Seigneur, qui veille une heure avec vous ? Môme dans le ciel, il ne se fit qu'un silence de demi-heure : combien moins sur la terre veillerons-nous avec vous une heure? Que de fois revenez-vous vers nous et nous trouvez-vous en4prmis? Et cependant, dans votre bonté, vous nous éveillez, et vous retirez une seconde et troisième fois, redisant les mêmes paroles. A peine êtes-vous parti, que le sommeil nous gagne de nouveau; nous ne pouvons veiller que tant que vous êtes avec nous et nous réveillez. Vous venez à la seconde et troisième veille : bienheureux le serviteur que vous trouvez alors éveillé. Il n'est point fait mention de la première, ni de la quatrième, parce que le premier âge n'a pas la force de veiller, et le dernier n'a pas l’espoir de prolonger son sommeil. Et que signifie cette circonstance, Seigneur, que, revenant pour la troisième fois, vous accordez la permission de dormir? « Dormez à présent, dites-vous, et reposez-vous (Marc. XIV. 41). » Est-ce que vous permettez un sommeil où l'on se repose et que vous défendez celui qui appesantit les peux ? Il en est ainsi. Celui qui veille en vous dort et se tait suavement, et se repose en son sommeil : celui qui dort sans vous, est semblable à un homme ivre dans le sommeil de la nuit est fortement agité. « Mon âme est triste jusqu'à la mort (Matth. XXVI. 38). L'âme triste est celle qui attend les angoisses de la mort. Qui sait s'il ira à la gauche oit à la droite? Qui connaît ce qu'il aura à répondre aux accusations qui seront portées contre lui, lorsque le juge parlera comme une personne qui enfante ? Aussi que l'âme triste devienne semblable au pélican de la solitude qui fuit la ville et les conversations sanglantes des méchants, et pâlit dans la retraite; ou que, comparable au hibou, elle cherche dans les murailles de l'Écriture sa nourriture toute la nuit, et qu'elle s'envole à côté du passereau qui veille sur le toit, et chante à la venue du voleur.

5. Ou bien ne voyez-vous pas Judas : il ne dort pas, lui? Comme l'avarice a les yeux éveillés, comme elle parcourt la terre? Sa main ne s'arrête pas, son pied ne se lasse point et elle entasse des trésors de colère pour le jour du courroux du Seigneur. Et cependant Simon dort, Jacques et Jean dorment aussi. Pourquoi ? parce qu'ils ne font pas attention à ce qui va bientôt arriver. La grandeur du danger écarte le sommeil. Pierre dormit-il dans le parvis? Dormirent-ils les disciples qui s'enfuirent après avoir abandonné leur maître ? Le jeune homme dormit-il, lorsqu'on le saisit et qu'il s'échappa nu, laissant son manteau entre les mains de ceux qui le tenaient? Et cependant, il faisait froid car Pierre se chauffait. La grandeur du péril fait oublier le sommeil, le froid et la faim. Éveillez-vous enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui vous excite. Pensez au tourment que vous subirez à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle vous attend, chaque jour, vous vous approchez d'elle, et vous n'y faites pas attention. Voyez comment la mort vous crucifie. Le corps se raidit, les jambes s'étendent, les mains et les bras fléchissent, la poitrine est haletante, la tête tombe languissamment, les lèvres se souillent d'écume, les yeux se couvrent de brouillards et le visage de sueur, il se contracte horriblement et devient pâle comme une urne . Voilà la croix qui vous attend; je ne sais si la mort est plus douce dans un lit mou ou sur une croix cruelle. La différence, c'est que la croix abrège la douleur. Ce que nous voyons, ce que nous sentons est peu de chose en comparaison de ce que l'âme éprouve au dedans. Le sentiment abandonne vite le corps, l'âme emporte vite sa mort avec elle.

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CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.

6. Quand les animaux marchaient, à côté d'eux marchaient aussi les roues (Ezech. I, 19). Si notre vie avançait, la roue de la Sainte-Écriture avancerait pareillement avec nous : mais parce que nous trébuchons dans les marais et à travers les rochers, ces roues nous suivent avec peine. On célèbre la passion du Seigneur, et nous nous livrons à la volupté. Jésus nous crie du haut de la croit : « O vous tous qui passez par le chemin, prêtez votre attention, et dites s'il est une douleur comme la mienne (Thren. 1, 12). » Et personne n'écoute, personne ne le console, personne ne répond. « J'ai soif, dit-il. De quoi avez-vous soif, Seigneur? La soif vous fait donc plus souffrir que la croix? vous ne dites rien de la croix, et vous vous plaignez de la soif? « J'ai soif (Joan. XIX, 28). » De quoi avez-vous soif? De votre foi, de votre salut, et de votre joie; l'état de vos âmes m'occupe davantage que celui de mon corps. « O vous tous qui passez par le chemin, examinez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur? » Contemplez ma douleur, afin d'y voir votre propre douleur. Ce que je souffre est l'image de ce que vous souffrez. Ce que vous apercevez en mon corps, voyez si vous ne le portez ras en votre cœur. Vous passez de vous à moi, revenez de moi en vous, et voyez si en vous il ne s'y trouve pas une douleur semblable à la mienne . « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous (Luc. XXIII, 28). » Cette douleur de votre âme, à côté de laquelle vous passez sans la remarquer, mérite plus vos larmes que la mienne. Car c'est à cause le vos crimes que j'ai été frappé. Voilà, ô bon Jésus, ce que voua nous criez du haut de votre croix, sinon par vos paroles, du moins par les circonstances. Que vous répondrai-je, que dirai-je, ou que vous rendrai-je? Vous avez donc fait de votre corps le miroir de mon âme. J'ignorerais les hontes, les terreurs et les attaques incessantes de Satan, si je ne voyais l'art de votre médecine guérir des maux semblables et peser dans une balance, d'un côté votre souffrance, de l'autre mon iniquité. Vous avez livré votre corps à ceux qui le frappaient, est tendu vos joues à ceux qui les déchiraient, vous n'avez pas détourné votre visage des crachats qui y tombaient, afin que les soufflets que vous avez reçus écartent ceux que j'ai à recevoir, que ses coups soient reçus par les vôtres et que les opprobres qui vous ont assailli éloignent de moi l'opprobre qui ne cessera jamais. Voilà les bandelettes très-pures de votre chair dont vous vous êtes servi pour bander mes blessures, ô miséricordieux Samaritain, avant de me placer sur votre monture et de me conduire dans l'hôtellerie : parce que vous avez porté vous-même nos langueurs et souffert nos douleurs, nous guérissant par vos fatigues.

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CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.

7. Dans la maison du prince des prêtres, Jésus est souffleté après qu'on lui a voilé la face, parce que le chrétien est souffleté dans la maison de sa conscience quand l'esprit est frappé d'aveuglement. Ce que Jésus souffre publiquement, je le souffre en secret; les traitements qu'il reçoit au dehors des ministres de Caïphe, je les reçois au dedans des serviteurs de Satan : les pécheurs, en effet, on frappé sur mon dos, ils m'ont voilé la face, ils ont attaché mon visage à la terre, ils ont fait une enclume de mon dos et y ont frappé à coups redoublés. Mais je suis encore retenu dans la maison où la jeune fille meurt et est ressuscitée. Car c'est là aussi où Pierre nia. « O homme, je ne suis pas un disciple. « Je regarde l'homme, je ne regarde pas Dieu; je crains l'homme, je ne crains pas le Seigneur, dont je nie la vérité. Est-ce qu'en prononçant ces paroles, saint Pierre ne vous semble pas avoir la face voilée ? Aussi il fut souffleté une troisième fois, parce qu'il nia une troisième fois. Et saint Paul pria àtrois reprises le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan qui le souffletait. Ces deux apôtres furent donc trois fois souffletés, trois fois ils firent naufrage, l'un intérieurement, l'autre extérieurement. Satan eût voulu, s'il en avait eu licence, cribler saint Pierre, comme le froment, jusqu'à ce qu'il eût détaché de lui toute moëlle de foi. Mais, s'écrie le Seigneur, « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Luc. XXII, 32). » Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait? Assurément: mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très-bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous; bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! «Et sortit» Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit. Quand il alla dehors, d'où sortait-il? De la maison du Christ, de la maison des fidèles ; mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église , et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent en affirmant; mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu. L'amertume des pleurs fut le voile qui empêcha les yeux de voir. Jésus-Christ est donc souffleté dans la maison de Caïphe, parce que Pierre est souffleté; et les coups que Pierre reçut au dedans de lui de la part de Satan, le Christ les reçut au dehors de la part des ministres de Satan. Remarquez donc et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur. Examinez qui souffrit le plus d'opprobres : Le Christ dans son corps ou Pierre dans sa conscience? Mais allons chez Pilate.

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CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.

8. Le matin venu, Jésus est conduit chargé de chaînes chez Pilate. Tant que le péché est caché, c'est la nuit; dès qu'il commence à se manifester, c'est le matin. Il est alors lié par les princes des prêtres et livré à Pilate, c'est-à-dire aux princes des ténèbres, personnages que l'Apôtre ordonne de livrer à Satan, pour la mort de la chair (I Cor. V, 5). Le jeune homme est porté de sa maison à la porte de la cité, à Pilate, assis sur son tribunal. C'était aux portes des villes que se faisaient les jugements. Pilate, après l'avoir arrêté, le flagella. Souvent quand la faute est découverte, elle perd toute retenue par l'impudence des pécheurs. Les hontes s'augmentent, les châtiments se multiplient. Car « les punitions des pécheurs sont nombreuses (Psal. XXXI, 10). » Ce sont des coups de ce genre que Pharaon faisait tomber sur les enfants d'Israël.

9. Ensuite, il est livré aux soldats, pour leur servir de jouet. Voilà la méchanceté des puissances célestes. Voyez l'enchaînement de ces circonstances malheureuses. Les princes des prêtres le livrent au prince des ténèbres qui, après l'avoir fait passer sous les fouets, le livra à ses soldats pour être insulté davantage et pour être crucifié en dernier lieu. Après la croix, il n'y a plus de supplice, parce que le péché finit à la mort. Mais aux approches de la fin, le pécheur est plus fatigué des illusions du Démon. Le dépouillant, en effet, de tout l'éclat du nom chrétien qui l'entoure comme un habit, on lui donne, comme pour vêtement royal, une chlamyde de pourpre, c'est-à-dire une étoffe mêlée de sang, parce qu'à cause des souffrances sanglantes de sa vie, plusieurs l'entourent et l’honorent. Aussi, tressant une couronne d'épines, on la place sur sa tête, comme sur ce qui a été volé aux pauvres, on y met les richesses qui piquent comme des épines, et on élève son chef au-dessus du royaume de l’orgueil. L'argent réclame pour lui ces paroles que profère d'ordinaire la Sagesse : « Par moi les rois règnent, et les législateurs rendent de sages décrets (Prov. VIII, 15). » Où est l'argent, là est le roi, là est la loi, là la foule des clients. On place aussi un roseau dans sa main. La puissance et l'empire des impies est, en effet, un roseau agité par le vent ; le règne du Christ est au contraire une verge de fer. C'est à juste titre que le roseau est placé dans la main droite, parce que leur main droite est une droite d'iniquité. Ce qui suit est plus clair que le jour; en fléchissant le genou, les personnages de cette trempe insultent plutôt qu'ils ne rendent hommage. « Salut, roi des Juifs (Matth. XXVII, 29. » Et crachant sur lui leurs insultes par ces éloges dérisoires « le pécheur, en effet, est loué dans les désirs de son âme (Psal. X, 3), et l'impie est béni » ils prirent un roseau et ils se mirent à lui frapper la tête. De tels chefs donnent à leurs soldats le pouvoir de nuire et de dévorer les pauvres, ce qui retombe entièrement sur celui dont ils protègent l'autorité. C'est là la troisième mort. lorsque l'homme corrompu est assis dans la chaire de pestilence. Avant d'éprouver en dernier lieu le supplice de la croix, l'âme malheureuse subit ces morts, et, ce qui est plus triste, elle se réjouit de ces opprobres, comme s'ils étaient de grands honneurs ; et chaque jour, elle est conduite à la croix, montant elle-même l'instrument de son supplice.

10. Mais que veut dire ce détail, qu'après toutes ces insultes le Sauveur est dépouillé de ce manteau et recouvert de ses propres vêtements? Si ce n'est que souvent le superbe Adam, allant par les souffrances de la chair, jusques aux portes de la mort, déposant son orgueil, revient à la considération de sa pourriture, et y trouve, grâce à la miséricorde divine, des fruits de pénitence, ou bien il est brisé par l'effet d'un redoutable jugement, d'une double contrition. Ainsi, Hérode brillant de l'éclat de ses habits royaux, acclamé par tout le peuple avec plus d'enthousiasme qu'il en fallait, fut bientôt frappé par l'ange; dépouillé de son manteau, il reprit ses habits ordinaires. et mourut rongé de vers. Fut-il justement joué ? « Salut roi des Juifs.» Pourquoi la terre et la cendre s'enorgueillissent elles ? Pourquoi tirer vanité d'un habit qui brille ? « Sous vous, s'étendra la teigne, et les vers seront votre habit (Isa. XIV, 11). » Voilà votre vêtement. Ceux qui vous ont mis sur les épaules une chlamyde de pourpre se sont moqués de vous. C'est ainsi qu'Antiochus et Hérode, l'ennemi de l'enfant Dieu nouvellement né, ayant déposé les habits étrangers, périrent recouverts des leurs, je veux dire des vers.

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CHAPITRE VI. De la confession du larron et éloges de la sainte croix.

11. Rentre enfin dans ton cœur, ô vieil Adam, vois en quel lieu et comment t'a cherché et trouvé le nouvel Adam. Il t'a montré dans sou corps les ignominies de ton âme. Ce ne fut pas assez pour lui de courir après toi, qui le fuyais, par la voie des soufflets, des fouets, et par de nouvelles moqueries, en criant et gémissant. Arrivé au dernier supplice, il te trouva et te saisit rendant presque l'âme. Que représente ce larron, sinon Adam? Depuis que, dans le paradis, il commit sur lui-même le premier des homicides, coupable, il fuit les regards du Christ, et se cache, jusqu'à ce que, saisi au moment de la mort de Jésus sur la croix, et arrivé au bout de sa course, il ne put ni échapper ni se cacher davantage. Là, saisi par vous, ô bon Jésus, il avoua sa faute et en accepta volontiers le châtiment. Car vous l'avertissiez de n'avoir pas en horreur la souffrance qu'il vous voyait supporter avec lui. Il fut, dans tout ce monde, lui seul qui s'attachât à vous, et aussi il fut le seul de tout ce monde qui entrât avec vous dans le Paradis, où il fut établi non plus gardien de cet heureux séjour, mais concitoyen et habitant de la maison de Dieu, de telle sorte, qu'il n'en peut plus tomber. O bienheureux larron, ou plutôt, non plus larron, mais martyr et confesseur ! Il rendit volontaire ce qui était nécessaire, il changea la peine en gloire, et la croix en triomphe. Et vous, ô très-heureux confesseur et martyr, dans la stérilité qui frappait tout le monde, le Christ recueillit les restes de la foi. Les disciples fuyaient, Pierre reniait, et vous étiez heureux d'être le compagnon du Seigneur en sa passion. Sur la croix vous fûtes Pierre, et dans la maison de Caïphe, Pierre devient larron. Car Pierre fut larron tout le temps qu'il nia au dehors le Christ caché au dedans ; aussi vous avez précédé Pierre dans le paradis, parce que, sur la croix, votre chef et votre conducteur vous embrassa dans son amour, et au jour même où il entra au ciel, il vous y introduisit avec lui, comme son fidèle et glorieux compagnon.

12. Je suis pauvre et mendiant, Seigneur, et boiteux dès le ventre de ma mère : voici que je suis assis à la porte de votre temple appelée «spécieuse, » sans pouvoir, sans vouloir y entrer; mais bien plutôt, dans la privation de mes biens, je mendie au dehors la nourriture de ma chair, les fausses images des hommes marquées sur le bronze, lieu malheureux où je ramasse le talent de l'iniquité, et où je me charge de lourds fardeaux. Et voici la neuvième heure de la prière. Pierre et Jean, vos apôtres, montent au temple pour y prier : et moi je suis attaché à la terre et à la boue, je goûte la vanité et les choses d'ici bas; et tandis que les autres entrent, je reste dehors, ne cherchant point avec eux ce qui est de votre Père, mais les biens que mes premiers parents, qui me placent tous les jours en ce lieu, ont malheureusement désirs. Et voici la neuvième heure de la prière. Le jour baisse, la nuit approche : quand je me lèverai, au point du jour, je ne trouverai dans mes mains rien de ce que je mendie. C'est la neuvième heure de la prière. C'est à ce moment que vous avez prié, suspendu sur la croix; vous avez prié en inclinant la tète, criant d'une voix forte, et rendant l'âme. Vous avez prié en courbant la tête en esprit d'humilité, jetant un cri dans votre très-haute et très-vive affection de père pour nous. En ce grand cri, Seigneur, vous avez rendu l'âme, et avez emporté avec vous le même sentiment d'affection que vous aviez pour nous: et je crois que vous l'avez encore dans votre cœur, parce que votre charité ne sait pas se refroidir. C'était la neuvième heure de la prière. Et pourquoi la neuvième? « Parce que vers la neuvième heure les ténèbres se firent (Matth. XXVII, 45). » Il fallait chasser l'horreur de l'obscurité qui avait couvert la face de la terre; il fallait repousser la nuit qui avait commence de se faire depuis l'heure où vous vous mites à vous promener après midi. Dès lors, vous n'avez cessé de crier : « où est Adam (Gen. III, 9)? marchant à la poursuite de celui qui fuyait devant vous et se cachait autant qu'il pouvait. Il fut éconduit du paradis de volupté, et il arriva jusqu'au juste châtiment de son péché. Nous avons reçu la peine que nous méritions, mais celui-ci qu'a-t-il fait? » O Adam, que tu as proféré tard cette parole: je viens de vous trouver le premier! « Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi en paradis (Luc. XXIII, 43). » Aussi, c'est la neuvième heure du jour. A la neuvième, il pria, car à la onzième il entra dans le paradis. Voilà pourquoi le boiteux n'entrait pas dans le temple, parce qu'il n'était pas arrivé à la dixième génération. Mais Pierre lui dit: « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (Act. III, 6). » Vous êtes vraiment les montagnes vers lesquelles j'ai levé les yeux, pour implorer le secours. Mon secours vient du Seigneur, parce qu'il a été dit : au nom de Jésus, lève-toi et marche. Dans la parole de Jésus, vous lancez le filet; en la parole de Jésus, vous faites lever les boiteux; en la parole de Jésus, vous rendez solides ses jambes et les bases des plantes de ses pieds. Quelles sont ces bases? La foi et la crainte. Quelles sont ces plantes? L'espérance et la charité. Aussi, c'est avec raison que Pierre et Jean montaient ensemble : l’un représentait la foi, l'autre la charité. Ils marchaient vers votre temple, Seigneur, pour prier avec vous, afin d'entrer en votre société, dans le paradis de votre sanctuaire, parce qu'à votre mort, a été déchiré le voile qui était sur la face de Moïse. Mais ils ne veulent pas entrer seuls, parce que vous n'êtes pas entré vous-même sans compagnon dans le paradis. Vous amenez le larron, vos disciples amènent le perclus : mais le larron n'est pas déjà dans le paradis, le perclus n'est pas déjà dans le temple. Car comment est-il boiteux celui qui se tient d'aplomb, qui marche, bondit et glorifie le Seigneur? Ou bien encore, comment est-il un larron celui qui est avec Jésus dans le paradis. « Le méchant n'habitera pas à vos côtés (Psal. V, 6). » Il était larron lorsqu'il était caché avant sa confession, il est devenu juste après sa prière. Quelle prière a-t-il faite? « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous viendrez dans votre royaume. »

13. O grande foi, ô grande espérance, ô grande charité! Il prie pour l'avenir et non pour le présent. Il ne demande pas à être descendu de la croix, il veut être placé dans le royaume du Christ. Qu'est-ce autre chose que de dire, je désire être dissous et aller avec Jésus-Christ. Je ne sais ce que saint Paul a demandé de plus que ce larron. « Souvenez-vous de moi. » O cœur contrit et humilié! que peut-il solliciter de moindre ou de plus humble, si non que le Seigneur daignât se souvenir de lui? « Souvenez-vous de moi? » De qui? De moi, si indigne, si pécheur. Je connais mon iniquité, et mon péché est contre moi : je suis confus de lever les yeux vers vous. C'est contre vous seul que j'ai péché ; vous seul pouvez m'en délivrer. J'ai fait le mal en votre présence, quand j'ai voulu me dérober à vos regards. Je suis le larron de mon âme : J'ai voulu dérober à la connaissance des autres l'homicide que j'ai commis, mais j'ai accompli le mal sous vos yeux. Souvenez-vous de moi, ayez pitié de moi. C'est avec raison que j'en suis arrivé à ce degré de misère, moi qui ai abandonné le bonheur que vous me faisiez goûter. J'étais riche, et voici combien je suis devenu pauvre. Je pouvais manger et me délecter 'de tous les fruits des arbres du paradis, et voici que je souffre et que je meurs sur ce bois. «Sou venez-vous de moi. » Je vous avais oublié, mais vous, après vous être irrité, vous vous rappellerez votre miséricorde. Ayez pitié de moi selon toute son étendue. Je vois en vous une miséricorde qui est grande et qui est vôtre, c'est-à-dire qu'elle vous appartient, c'est elle qui vous a fait descendre et prendre une misère semblable à la mienne. Je subis un juste châtiment, mais vous, quel mal avez-vous commis? Je vous vois souffrir une peine comme la mienne, lorsque par la sainteté de votre vie vous êtes si différent de moi : vous n'avez pu me suivra plus loin. D'où êtes-vous venu? Vous êtes parti du sommet des cieux. Vous êtes sorti, le plus beau des enfants des hommes, du sein d'une vierge, et vous êtes suspendu avec moi sur une croix! Qui vous y a conduit? Votre seule miséricorde : ayez pitié de moi, ô Dieu, selon cette grande miséricorde. Vous êtes Dieu, et non point seulement un homme. Vous êtes Dieu, je suis homme, je suis votre travail que vous avez formé à votre image et à votre ressemblance. O Dieu, prenez pitié de votre image. Mais à quoi connaîtrai-je que vous avez compassion de moi? En ce que j'aperçois en vous mon image, et que vous souffrez les mêmes peines que moi. Que me reste-t-il, sinon d'avoir confiance? qui pourrait jamais désespérer d'une miséricorde si grande? « Souvenez-vous donc de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume? Vous rentrez dans votre empire, vous avez accompli votre œuvre, vous êtes descendu pour m'y ramener avec vous. Je désire aller en votre société, et dans cette pensée, je ne crains pas la mort la plus cruelle, je n'en rougis pas. Comment craindrai-je là où je vous vois à mes côtés? Quand bien même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai pas les maux, parce que vous êtes avec moi. Comment rougirais-je d'un opprobre que je vous vois porter, vous qui êtes le Seigneur du ciel? Celui qui rougira de vous ou de vos paroles, vous rougirez de lui, quand vous apparaîtrez en votre majesté, en l'éclat divin de votre Père et en la société des saints anges. « Qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi (Luc. XIV, 27). » Voilà ce que vous avez dit. Qui aura honte de ces paroles, vous aurez honte de lui. En effet, qui rougit de votre croix, rougit de votre gloire. Pour moi, à Dieu ne plaise que je nie réjouisse en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ, mon Seigneur. La croix est votre gloire, elle est votre empire. Voici que votre puissance est sur votre épaule, vous portez votre croix, vous portez ce qui vous porte. Qui porte votre croix porte votre gloire. Qui porte votre gloire, vous porte vous-même. L'instrument qui vous porte, vous le tenez sur votre épaule, parce que votre puissance est sur votre épaule. Ceux donc qui vous portent sont votre empire, vous régnez en eux, ô le plus grand des rois. Mais comment ou en quel lieu portez-vous cette principauté? Sur votre épaule. Votre épaule est haute, elle est forte, elle atteint jusqu'à la bouche du Père qui vous confesse, au dessus de toute principauté

de tout pouvoir et de toute vertu. C'est là que vous ramenez la centième brebis, c'est là que vous ramenez Joseph.

14. Marche donc en sûreté, Joseph, douce brebis du Seigneur, le Christ te porte sur son épaule; cette épaule est forte, ne crains pas. Elle est haute, ne regarde pas en bas, « nul, mettant la main à la charrue et regardant en arrière, n'est apte au royaume de Dieu (Luc. IX, 62).» Un joug suave est sur les enfants d'Adam, depuis le jour de leur naissance jusqu'à celui où ils rentrent dans le sein de fa mère de tous. Tant que je suis fils du vieil Adam, je porte un joug pesant; si j'étais fils du nouvel Adam, je porterais un joug léger. Quel est le pesant fardeau? Un talent de plomb. Et quel est le fardeau léger? La croix de Jésus-Christ. Le premier, ainsi qu'il est écrit, s'enfonce dans les eaux agitées ; celle-ci nage sur les flots; chose merveilleuse. Rien n'est plus effrayant pour les hommes que de porter la croix. Pourquoi la craignent-ils? Parce qu'ils sont larrons ; s'ils n'étaient pas larrons, ils ne la redouteraient pas. Donc, celui qui craint un larron, comment est-il larron, dites-vous? Écoutez Jésus-Christ : « Pour vous, » s'écrie-t-il, « vous en avez fait une caverne de voleurs (Matt. XXI, 13). Le temple de Dieu est saint, c'est vous qui êtes ce temple (I Cor. III, 17). » Les hommes font donc d'eux-mêmes une caverne de voleurs. Ils égorgent les hommes, et les entraînent en leurs repaires. Quel plus grand homicide que celui par lequel l’homme se détruit lui-même? Tuer le corps ou tuer l'âme, quel est le plus grand crime ! Toutes les fois que l'homme tue l'âme, autant de fois il commet l'homicide en lui-même ! Chaque péché qu'il commet volontairement et de propos délibéré, que fait-il autre chose que s'égorger soi-même ? « Quiconque prendra le glaive périra par le glaive (Matth. XXVI, 52) » Le glaive de l'âme c'est le péché, le péché est la mort de l'âme. Celui qui, par la délibération, prend cette épée comme à la main, c'est-à-dire a le péché pour agréable, porte le premier la main sur lui, il se tue lui-même le premier. « Que leur glaive, » dit le psaume, « entre dans leurs cœurs (Psal. XXXVI, 15). » Il ne suffit pas aux pécheurs de se tuer une fois et de se reposer ensuite ; mille et mille fois ils portent sur eux leurs mains cruelles, et les pieds de ces hommes sanguinaires et rusés sont prompts à verser le sang. Comment disons-nous rusés ? Parce qu'ils entassent dans leurs`cavernes les cadavres des morts, et les couvrent sous un monceau de terre, pour les dérober à leur vue et à celle des autres. Ils ne veillent pas les apercevoir, de crainte que ces dépouilles mortelles corrompues ne leur inspirent de l'horreur, ou ne les infectent ; ils ne veulent point qu'on les aperçoive dans la crainte que, découverts comme larrons et homicides, ils ne soient traînés au supplice. De tous les tourments, quel est celui dont l'horreur est comparable à celle de la croix? Aussi les larrons la redoutent; la croix venge les crimes, elle châtie les impies, dans une juste balance, elle punit les coupables d'un côté, et récompense de l'autre les innocents. Aussi, effroyable pour les impies, elle est pour les justes gracieuse par dessus tous les arbres du paradis. Le Christ eut-il peur de la croix? Saint Pierre la craignit-il? Et saint André? Bien plus, cet apôtre la désira. « Le Seigneur s'élança comme un géant pour fournir sa carrière (Psal. XVII, 6). J'ai désiré d'un grand désir, de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir (Luc. XXII, 15). » Il mangea la Pâque avec ses disciples, il mangea la Pâque lorsqu'il souffrit, lorsqu'il passa de ce monde à son Père. « Pour moi, » disait-il, « j'ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas; ma nourriture c'est de faire la volonté de mon Père (Joan. IV, 34), et la volonté de mon Père, c'est que je boive son calice. »

15. Il mangea donc sur la croix et but, il fut enivré et s'endormit, et Cham, le fils maudit, se moqua de sa nudité. Mais les autres enfants couvrirent de leur manteau le mystère de ce très-profond sommeil. Car Dieu envoya le sommeil sur Adam, il enleva une de ses côtes, en forma une femme, et l'amena à Adam. C'est chose manifeste que Jésus dormit et sommeilla, et que, de son côté, tous les jours est nourrie, édifiée l'Église, qui lui est amenée des extrémités de la terre, afin de trôner, reine, à sa droite, couverte d'or et entourée d'une belle variété. Il mangea donc la Pâque, parce qu'il monta sur le palmier et en cueillit les fruits. « Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Joan. XII, 32). » Quoi, tout? le ciel, la terre et les enfers. Il attira à lui son Père, parce que son cri entra en sa présence, et pénétra dans ses oreilles, et la terre fut ébranlée, les rochers se fendirent, les sépulcres furent ouverts, parce qu'ils entendirent la voix du Fils de Dieu. Ainsi le médiateur de Dieu et deshommes, l'homme Christ, Jésus, placé entre le ciel et la terre, mangeait la Pâque, il cueillait de tous côtés les fruits de l'arbre, il les recevait en son corps, parce que tout convergeait vers l'arbre de vie qui était au milieu du paradis. Le glaive qui interdisait le passage était rentré dans le fourreau. Qui donc craindra désormais la croix ? Véritablement, celui qui la redoute montre qu'il est larron. A la croix, pend tout fruit de vie, parce qu'elle est l'arbre de vie, placé au milieu du Paradis ; elle est la hauteur et la largeur, la sublimité et la profondeur; elle réunit et récompense les bons, elle disperse et réprouve les méchants. Elle est la consolation de ceux qui sont tristes, le rassasiement de ceux qui ont faim, et la gloire des parfaits. Je puis parcourir, Seigneur, le ciel et la terre, la terre et la mer, et je ne vous trouverai jamais que sur la croix; c'est là que vous dormez, là que vous prenez votre nourriture, là que vous vous reposez à l'heure de midi. La croix est votre foi, la charité est sa largeur, la longanimité sa longueur, l'espérance sa hauteur la crainte, sa profondeur. C'est sur cette croix que vous trouve quiconque vous rencontre. Sur cette croix, l'âme est suspendue au dessus de la terre, et cueille de l'arbre de vie, les fruits les plus doux. Sur cette croix, attachée à son Seigneur, elle chante suavement : « C'est vous qui m'accueillez, vous qui êtes ma gloire, et qui exaltez ma tête (Psal. III, 4). » Nul donc ne vous cherché, nul ne vous rencontre que celui qui est crucifié. O croix glorieuse, prenez racine en moi, afin que je monte sur vos rameaux sacrés.

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CHAPITRE VII. Du péché de Judas et de son désespoir.

16. Mais en quel lieu fut crucifié le Sauveur? Sur le Calvaire. Bienheureuse place où est plantée la croix; endroit bien d'épouillé puisqu'il est recouvert d'une telle verdure. C'est vers cette calvitie que marchait Elisée : « Marche, chauve , marche, chauve (IV Reg. II , 23). » Voyez si notre Élisée n'est pas chauve lui aussi. « Le Fils de l'homme, » dit-il, « n'a pas où reposer sa tête (Luc. IX, 58). » Voilà à quel point il est chauve, il n'a pas où reposer sa tête ; il est chauve, parce que son royaume n'est pas de ce monde; il est chauve, parce que tous ses disciples l'ont abandonné. Quels sont les cheveux, sinon les disciples qui sont tous comptés. La croix est donc dressée sur le calvaire. « Parce que les filles de Sion ont marché le cou tendu, et les yeux faisant des signes, le Seigneur dépouillera leur tête (Isa. III, 16). » Qu'il rende chauves ceux qui marchent dans leurs péchés. Qu'il dépouille, dis-je, la tête des filles de Sion, et qu'il en fasse un calvaire, et que la croix, gloire du Christ, s'érige là où l'orgueil avait fixé son siège. « Dilate ta calvitie comme l’aigle, (Mich. I, 16). » L'aigle dépouillé de ses plumes, jouit en contemplant le soleil en face. Aussi, plus l'âme se dépouille , plus purement entre en elle la véritable lumière. Ceux qui nourrissent leur chevelure s'attirent les reproches d'aveuglement et de pesanteur. Absalon perdit la vue de cette bienheureuse lumière, parce que sa chevelure pesait. Il ne la coupait qu'une fois par an, et ses cheveux pesaient deux cents sicles du poids public, aussi il mourut pendu à un arbre, par les cheveux. Absalon, « paix de son père, » c'est Jésus, et quiconque est, dans la paix, un sujet de grande amertume pour l'auteur de ses jours. « Maître, je vous salue, (Matth. XXVI, 49). » Par ces mots et par ce baiser il portait la paix à son Père. Ils le bénissaient de bouche, mais leur cœur le maudissait. « L'homme de ma paix, » s'écrie-t-il, « en qui j'avais placé mon espérance, qui mangeait mon pain, etc. (Psal. XL, 10). » Il y en a un, et ils sont plusieurs. Voici Absalon, voici Judas, voici la troupe de Satan. Mais comment nourrissait-il sa chevelure? Il était voleur, et il portait la bourse; cette chevelure lui pesait, et il fut tondu une fois dans l'année, lorsqu'il rapporta une fois les trente pièces d'argent et les jeta dans le temple, monnaie sacrilège qu'il avait pesée deux cents sicles, ce qui est le nombre des impurs, au poids public, et non au poids du sanctuaire. Car touché de pénitence il pesa beaucoup son crime. «J'ai péché en livrant le sang du juste. » Chacun de ces mots est plein de poids, mais du poids public et non du poids du sanctuaire, parce qu’il rougit plus de la honte que de sa conscience, parce qu'il pesa plus son péché que la miséricorde de Dieu. Voici les poids du sanctuaire. « J'ai péché, j'ai fait le mal devant vous, détruisez mon iniquité (Psalm. I,.) » D'un côté, je reconnais ma faute, de l'autre, je considère votre grande miséricorde. « Ayez pitié de moi, ô Dieu. » Voici le poids public : « Mon péché est trop grand, » s'écrie Caïn, «pour que j'en obtienne le pardon (Gen. IV, 13). » Il rapporta donc les trente pièces d'argent, et les jeta dans le temple. Voyez quel grand cas il en faisait. Il ne les jeta pas sur du fumier, mais dans le temple, cela veut dire que c'était à des dieux d'or et d'argent qu'il s'était consacré comme un temple. L'avarice est, en effet, le culte des idoles, et elle aveugle les yeux des sages.

17. Le malheureux! voilà comment il fut aveuglé ! Il aima mieux périr lui-même, que de voir perdre ses deniers; il jeta l'argent dans le temple et se pendit : il aimait ses héritiers qui viendraient recueillir cette somme, et qui même la mettraient en réserve dans leur bourse. Il la jeta dans le temple et alla se suspendre à un lacet. Depuis longtemps déjà, il s'était éloigné du Christ, et s'était mis dans les piéges de l'avarice; mais ce qu'il avait fait en secret éclata aux yeux de tous. Le genre de châtiment découvrit le genre de faute, parce que l'homme sera puni par ce qui aura été l'instrument de son péché. Une fois pendu, ses entrailles se répandirent, son ventre était plein, il ne put tenir, il se rompit par le milieu, là où était le siège de Satan. Ce vase de honte se brisa donc, parce qu'il n'était pas de ceux que la fournaise a éprouvés. C'est pourquoi il n'eut point de place dans le champ du potier, dans le lieu de la sépulture des étrangers, mais comme un vase qui se brise et tombe comme une dissolution » «Et toutes ses entrailles furent répandues (Act. I. 18). Les entrailles de l'avare sont l'or et l'argent, elles se répandent et se perdent, mais les hommes de miséricorde sont recueillis. Judas est encore pendu, Absalon est encore retenu en l'air, par la chevelure, et l'animal qui le portait a passé. Ne soyez point semblable au cheval et au mulet, parce que le monde passe avec sa concupiscence. La chevelure qui tient Absalon suspendu est la racine de tous les maux : là où elle aura germé, toutes sortes de fautes abonderont comme une épaisse chevelure. Produit par le croisement du cheval et de l'âne, le mulet représente l'esprit double qui montre au dehors ce qu'il ne porte pas au dedans. Tel était Juda, tel Absalon. Au dehors, la piété, au dedans, la malice, c'est double iniquité. Le cheval est manifestement fougueux , l'âne marche simplement, le mulet, malicieux et rusé, jette à terre son cavalier inattentif.

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CHAPITRE VIII. De l'ouverture du côté de Jésus.

18. Ouvrez-nous, Seigneur, ouvrez-nous l'entrée de votre côté, qui est pratiquée dans votre arche, afin de nous introduire avec les animaux purs, sept par sept. Car vous êtes le véritable Noé que lieu le Père trouva juste devant lui. « Voici mon fils bien-aimé, dit-il en lui j'ai mis mes complaisances (Matth. III, 17). » Vous connaissez vos brebis, et elle vous connaissent parce qu'elles sont des animaux purs choisis sept par sept, au moyen de la grâce septiforme et des sept œuvres de miséricorde ; ils sont arrivés au sabbat par le sabbat et ont mérité d'atteindre à l'octave, qui est le nombre que sauva l'arche. Faites-nous entrer par l'ouverture de votre côté, ouverture qui est la foi de l'Église, et fermez cette porte par dehors, jusqu'à ce que l'iniquité passe et que, le déluge fini, vous nous ouvriez derechef l'ouverture, non plus de la foi, mais de l'espérance, contre l'ouverture qui fut montrée au prophète Ezéchiel dans l'édifice placé sur la montagne. (Ezech. XL). En attendant, vous avez néanmoins une fenêtre dans l'arche, fenêtre par laquelle votre bien-aimé passe la main et excite sa colombe. « Levez-vous, mou amie, ma beauté, ma colombe, et venez (Cant. II, 13). » Et lorsqu'elle vole après vous, afin de vous saisir, vous vous échappez, et vous montez sur les Chérubins, volant sur les ailes des vents, afin que le pied de cette colombe ne trouve rien de solide hors de vous, pour se fixer, si elle ne revient vers l'arche, et qu'alors, la recevant dans votre main, vous la replaciez dans son gite. Il vaut mieux, en effet, attendre dans le port de la foi, que de tomber dans les eaux infranchissables du déluge, et d'y être submergé en voulant trop vous poursuivre. Car les eaux qui jaillissent du côté droit du temple, mesurées à mille pas, viennent jusqu'au talon; après mille autre pas, elles arrivent jusqu'aux genoux, et après mille autres, elles atteignent jusqu'aux reins. Mais après mille autres pas encore, le fleuve croît et gonfle au point qu'on ne peut plus le franchir, et qu'il faut revenir en arrière pour trouver la solidité du rivage. Ainsi les saints animaux allaient et revenaient : et la colombe, n'ayant point où poser son pied, retourna vers l'arche. Pour le corbeau, une fois lâché, il ne sut pas revenir, parce que, ne parcourant pas le monde d'un œil simple, il fut pris dans le déluge de la vanité. Et avec raison. Qu'y a-t-il de commun entre la colombe et le corbeau ? Entre le blanc le noir ? Entre Judas et Jean? Entre le Christ et Bélial ? Et cependant le Christ est assis entre Judas et Jean, il est crucifié entre un larron élu et un larron réprouvé, et Noé se trouve entre le corbeau et la colombe, Mais une fois dehors, le corbeau ne revient pas, parce que Judas pendu en l'air fut englouti.

19. Mais que veut dire, Seigneur, ce mot, l'un des soldats, s'il ne désigne peut-être celui à qui le sort fit gagner votre tunique sans couture? C'est là l'image de l'unité des fidèles qui combat pour vous seul, et qui, par la prédication, comme par une lance, ouvrit votre côté. « Car la parole de Dieu est vive et efficace, elle est plias incisive qu'un glaive à deux tranchants (Hebr. VI,12). » Elle est cette lance qu'Habacuc appelle « lance éblouissante (Hab. III, 11). » C'est elle que David enleva avec une outre d'eau de la tête de Saül son ennemi, qui dormait, parce que les discours de la sagesse sont ôtés avec la grâce aux orgueilleux, aux envieux et aux négligents. Mais le fils de Sarvie voulut en percer une fois Saül qui dormait, afin de n'avoir pas à y revenir; David l'en empêcha dans sa bonté. Si la patience de Dieu miséricordieux et longanime n'attendait pas le pécheur négligent et dédaigneux, le glaive de Satan, le percerait une fois, c'est-à-dire pour toujours. Car Satan désire, dans sa malice, que celui qui dort ne se relève plus. Mais David compatissant crie souvent an haut d'une cime éloignée : « Ne répondras-tu pas, Abner ? (I Reg. XXVI, 14). » O très-doux David, vous rendez aux pécheurs le bien pour le mal, vous les avertissez, vous les attendez longtemps, afin qu'ils vous répondent une fois pour mille. Votre voix leur parait importune, parce que vous troublez leur sommeil inquiet. Qui êtes-vous, disent-il, vous qui criez et qui fatiguez le roi ? Au bruit de vos reproches, Seigneur, se sont endormis ceux qui étaient montés sur des chevaux, et leur conducteur ne vient pas les éveiller jusqu'à ce qu'ils soient précipités dans les abîmes. Car le roi des impies, l’orgueil, dort dans l'ombre, au milieu des joncs, dans les lieux humides, et les ombres protègent son ombre (Job. XL, 15). » C'est l'arbre qui protégeait Saül. « Pourquoi troublez-vous le roi, leur dit-il ?»Quelquefois, cependant, à la voix de David, le cœur superbe est touché, mais cette impression ne va pas jusqu'à le corriger. Saül, orgueilleux, est touché des très-humbles paroles que lui adresse David : « Qui poursuivez-vous, ô roi d'Israël, qui poursuivez-vous? Un chien mort de la vermine, comme une perdrix sur les montagnes. » Ce n'est pas sans cause que David se compare à un chien mort, ou à de la vermine. Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort : en effet un chien qui vit pour Dieu, et mort au monde, est prétérable à un lion superbe et réprouvé, mort à Dieu, et vivant pour le monde. Le petit animal que fait pulluler la vermine pique et saute : aussi le juste, qui est humble, attaque avec confiance les vices des hommes charnels et bondit sur les cimes des montagnes, où il a un refuge très-assuré, et où il ne craint point la perdrix adultère que poursuivit Élie, et qui fait périr Jean-Baptiste.

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CHAPITRE IX. De la sépulture du Seigneur.

20. Accordez-moi, Seigneur, une place dans la terre des vivants, dans le lieu de la sépulture des étrangers, dans ce champ d'Hacheldamach, qui a été acheté du prix infiniment précieux de votre sang. C'est là que sont ensevelis tous nos pères qui furent étrangers et pèlerins sur cette terre. Là, Abraham ensevelit, dans une double caverne, Sara sa belle épouse. Mais pourquoi ne voulut-il pas accepter gratuitement le champ où elle se trouvait, ni ensevelir son mort dans l'un des principaux sépulcres du pays ? Parce qu'il croyait qu'en dehors du prix du Sang de Jésus-Christ il ne pourrait pas se saurer gratuitement lui-même, et qu'il ne crut pas chose bonne d'habiter dans les sépulcres fétides du monde. « Ensevelissez votre mort dans nos sépulcres choisis. (Gon. XXIII, 6), » lui dit-on. Le monde a des sépulcres choisis, ces hommes que l'élévation de l'orgueil ou le luxe de la superstition signalent à l'attention. Toute l' Egypte est pleine de tombeaux; il n'y avait pas une maison où ne se trouvât quelque mort. Dans le désert, les enfants d'Israël désiraient ces tombeaux. « Manquait-il de tombeaux en Egypte, » disaient-ils en murmurant, « pour laisser dans le désert nos cadavres nus et sans sépulture ? ( Exod. XIV. 11. ) Le très-saint patriarche ne voulut pas ensevelir son mort dans des sépulcres de ce genre. Où le mit-il ? Dans une double caverne, où reposent, dans un sommeil contemplatif, l’espoir des bonnes œuvres et l'amour sacré. Car c'est là aussi qu'est déposé le corps de Lia. Sara donc et Lia sont cachées dans une double grotte. La première, stérile, enfanta ensuite dans sa vieillesse un seul enfant Lia, après avoir mis au monde six fils, cessa d'enfanter, si ce n'est qu'en dernier lieu elle donna le jour à une fille qui fut l'ignominie d'une sainte race. Chose étrange ! De la femme qui eut six fils, on dit qu'elle cessa d'enfanter, et de celle qui n'en eut qu'un, on ne rappelle rien de semblable. C'est que la vie active a un terme, la contemplative enfante toujours. L'une enfanta dans la douleur, l'autre, dans la joie. Et cependant toutes les deux sont ensevelies dans le même champ. Car Rachel fut mise en terre près de Bethléem, sous le chêne de la croix. Ce qui veut dire qu'elle est assise aux pieds de Jésus, afin que, toujours féconde, elle donne ses fruits de la maison du pain. Sara donc et Rachel ne cesseront pas d'enfanter. Lia, après avoir donné la vie à six fils, ou cessera d'enfanter ou n'aura qu'une fille C'est la volupté charnelle qui, sous prétexte de discrétion, nuit souvent à la vie active. Si cependant elle est vraiment veuve, elle sera sauvée, non par l'enfantement d'une fille, mais par celui de ses fils. C'est pourquoi les nobles patriarches sont ensevelis avec leurs épouses dans une double caverne. Comme des étrangers et des pèlerins, ils habitèrent sous des tentes : aussi ils possédèrent, eux et leur postérité, par droit d'héritage, la sépulture des étrangers.

21. Mais que signifie que Jacob, cet antique patriarche, supérieur aux autres par l'opulence, la douceur et la gloire, fut enseveli au même lieu, par Joseph son fils ? La charité parfaite est représentée par ce vieillard, c'est par elle que le père est enseveli par le fils, ou mieux avec sou fils, selon ce qu'il dit lui-même : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons en lui et nous y ferons notre demeure (Joan. XV). » Voilà la sépulture glorieuse et suave du Père, de l'ancien des jours qui place en lui-même ceux qui l'aiment et les cache dans le secret de sa force, loin de l'agitation des hommes. C'est là aussi que les ossements de Joseph, souvenir de notre Sauveur, sont rapportés chaque jour par les enfants d'Israël. Car les restes de ce saint patriarche ne furent pas laissés en Egypte, parce qu'il avait horreur des sépulcres blanchis et pleins de pourriture. (Exo. XIII. 19). Et Dieu ensevelit Moïse, mais jusqu'à ce jour l'homme n'a pas trouvé son sépulcre. (Deuter. XXXIV. 6. ) Qui pourrait parvenir à la cime de la montagne sur laquelle il monta, au milieu d'une nuée, et où il resta quarante jours et quarante nuits, voyant et étudiant l'exemplaire du tabernacle fait par le Seigneur et non par l'homme? Aussi, jusqu'à ce jour, Moïse, quand on le lit , a un voile sur le visage, pour que l'homme mortel ne découvre pas son tombeau. Dans le même champ du sang, la race glorieuse des rois a pris place ; tous ces princes sont dans le sépulcre de leurs pères à Jérusalem; c'est là qu'éclatent avec gloire et la vision des prophètes et la vertu guerrière des Machabées.

22. Que l'on compare maintenant, si l'on veut, à cette sépulture des étrangers cette glorieuse tour de Babel: si glorieuse dans les anciens empires des Chaldéens orgueilleux. Qu'y trouve-t-on de semblable à la sépulture dont nous parlons ? Là une langue se partage en plusieurs; ici, cinq villes d'Égypte ne parlent pas le langage de cette contrée, mais l'une d'elle se nomme «la ville du soleil. » C'est du haut de cette tour de Babel que fut précipitée Jézabel la prostituée, la mère des fornications, l'adoratrice des idoles, l'ouvrière de l'avarice : et quand on voulut l'ensevelir, parce qu'elle était fille du roi, on ne trouva que son crâne et l'extrémité de ses mains, et la muraille couverte de son sang. Telle est la sépulture des impies, tel est leur digne sort; il ne reste d'eux que l'extrémité des mains, c'est-à-dire les derniers vestiges de leurs œuvres, et le crâne qui avait été le siège de l'orgueil, dépouillé de la gloire de sa chevelure : car « j'ai vu l'impie exalté et élevé comme les cèdres du Liban; je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus. Psalm. XXXVI. 35). » Voilà le crâne de Jézabel qui était parée comme une prostituée, et qui avait fardé ses yeux. Le front de l'orgueil a été dépouillé de ses ornements; personne ne daigne le regarder, personne, si ce n'est celui qui voudra abhorrer son crime, laver ses mains dans le sang du pécheur et, semblable à un cheval rapide et puissant, fouler sous ses pieds et broyer cette prostituée, renversée à terre, et s'éloigner ensuite. Et la muraille a gardé la marque du sang pour épouvanter les hommes sanguinaires et astucieux qui, dans leur avarice, lapident l'humble Naboth. Mais les chiens impurs, amateurs des cadavres, s'incorporent ces chairs de fornication, et lèchent conséquemment le sang qui en est sorti : parce qu'ayant partagé la passion mauvaise, ils seront associés à la vengeance. Il y a d'autres chiens qui paraissent « pour les ennemis de la part du Seigneur (Psalm. LXVII. 44), » animaux vigilants qui éprouvent la faim de la justice et qui rôdent dans la cité, non de Babylonne, mais de l'Église, et qui mangent et ensevelissent dans leur corps tout ce qu'ils rencontrent de mis à mort par les vices. Mais malheur à ceux que les oiseaux, c'est-à-dire les démons qui volent dans le vide, dévorent morts hors de la ville : tels furent Achithophel et Absalon, Jézabel et Judas : ils reçurent en vain leur âme et ils la rendirent aussi en vain.

23. Mais retournons au champ Hacheldemach, pour admirer et désirer, plutôt la gloire des bienheureuses demeures, parce que la mémoire des impies périra avec fracas, la mémoire des justes vivra éternellement de ce nombre furent Joseph qui était décurion, homme juste et bon, et Nicodème qui, autrefois ministre de la nuit, mais actuellement ministre du jour, portait, pour embaumer le Seigneur, un mélange de myrrhe et d'aloës du poids d'environ cent livres. Voilà les disciples que Jésus désire pour l'ensevelir; il veut qu'ils arrachent avec audace son corps de la puissance des ténèbres, et le réclament pour eux, afin que chacun sache le posséder dans la sainteté et le respect, le liant par les lois de la chasteté et les lois de la discipline, le préservant des vers par un mélange de myrrhe et d'aloès. Ce sont là des substances amères, mais qui écartent la corruption : parce que le châtiment infligé à la chair est fatigant, mais sans ce remède ni l'esprit ni la chair ne peuvent être conservés incorruptibles. « D'un poids d'environ cent livres (Joan. XIX, 39). » O mesure bonne et entassée? Assurément il faut tenir la balance entre le corps et l'âme par une discrétion très-exercée, en sorte que chaque partie ait ce qu'il lui faut et que la paix et l'égalité exercent entre la chair et l'esprit, tellement qu'on observe la mesure et qu'on ne s'écarte pas de la perfection. Voilà les cent livres environ, qui gardent, sain et entier dans le sépulcre des fidèles, le corps de Jésus-Christ. Voilà les soixante guerriers qui entourent le lit de Salomon, tenant tous des glaives à la main et tous très-exercés à la guerre. Votre lit, ô Jésus, plus que celui de Salomon, est votre sépulcre; au jour de votre Sabbat, vous vous y êtes reposé de tout le travail que vous aviez fait. Votre monument funèbre est dans un jardin, il est nouveau et taillé dans la pierre : parce que l'âme fidèle, votre amie, est un « jardin fermé (Cant. IV, 12), » et chaque jour elle se renouvelle dans votre connaissance; elle se fortifie sur la pierre solide de votre amour, s'ensevelissant avec vous dans l'homme intérieur, dans le secret de votre couche. C'est là que veillent autour de vous soixante guerriers choisis parmi les plus forts d'Israël, âmes d'élite en qui les œuvres de six jours et les bonnes actions se trouvent très-parfaitement accomplies, et qui, par ce nombre six et dix, conservent en eux l'expression de la fidélité à la loi et la ressemblance avec vous.

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CHAPITRE X. De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ.

24. Ils vous gardent mieux que la vigilance trompeuse des impies, parce qu'ils sont très-habiles dans le combat, et qu'ils savent repousser non-seulement les attraits de la chair, mais encore les puissances de l'air et les craintes de la nuit. Ces soldats qui, semblables à des hommes ivres, entourent votre sépulcre, furent saisis de terreur là où il n'y avait pas à craindre, parce que la puissance des ténèbres ne supportant pas la lumière à l'annonce de la vie, ils devinrent comme morts. Ce ne sont donc point les enfants de la nuit qui vous gardent, ce sont les enfants du jour. Aux uns, l'éclat dont vous brillez inspire une terreur qui les fait fuir loin de vous ; aux autres, une joie qui les attire vers vous. « Quand nous dormions, » disent-ils, « ses disciples sont venus et ont volé son corps (Matth. XXVIII, 13). » O menteurs ! vous avez dit la vérité, mais l'iniquité s'est mentie à elle-même. Des hommes qui dorment ne peuvent pas garder le Christ : ceux qui dès le matin veilleront pour moi me trouveront. En dormant, que voyez-vous, sinon des rêves ? Voici que vous avez dans les mains des sommes considérables si cela vous est possible, gardez-les, dans la crainte que les voleurs ne viennent vous les enlever. Car les disciples de Jésus-Christ garderont leurs trésors. Chacun s'applique à conserver ce qu'il aime. Certainement, Michol, aimait David plus que Saül son père, aussi elle le fit descendre par une fenêtre et lui sauva la vie. Qu'est-ce que cela veut dire? Michol, fille de Saül, autrefois fille de l'orgueil, après avoir été unie à David, si plein de grâces, se met à haïr son père. Ame généreuse à qui s'appliquent ces paroles du Psaume : « Écoute, ma fille, et vois, prête l'oreille, et oublie la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté (Psalm. XLIV, 11). » Aussi, elle fit échapper David par une fenêtre. Par cette fenêtre, entendez celle où passe la main du bien-aimé. Par cette ouverture il est sauvé par son amie, et va vers son amie, c'est-à-dire vers l'âme elle-même; elle est cachée dans l'homme intérieur, où elle vit en sûreté et est ignorée des méchants. Car elle s'est cachée et est sortie du temple de la perfidie. Parce que, tandis que David joue de la harpe devant Saül, pour faire éloigner de lui l'esprit mauvais envoyé par le Seigneur, cet impie s'efforce de le percer et de le fixer à la muraille. Mais David évite le coup : que veut dire ce détail que le javelot est fiché dans le mur, sinon que la grâce de Jésus-Christ se retirant, l'esprit endurci est percé du trait de sa malice ? Et le roi des ténèbres, Saül, qui déteste-t-il davantage encore aujourd'hui que David son gendre ? C'est pourquoi, en l'absence de ce dernier, il prend sa fille qu'il lui avait donnée en mariage, et la donne à un autre mari sans noblesse : mais quand ce guerrier reviendra, et occupera le trône, il la réclamera parce qu il l'avait obtenue au prix de la chair de deux cents Philistins, retranchant d'elle les souillures de l'esprit aussi bien que celles de la chair.

25. Malheur aux pécheurs qui entourent votre sépulcre, Seigneur, parce que vous vous éloignez d'eux et ils ne vous trouvent pas dans votre lit agréable et fleuri, mais plutôt ils trébuchent contre une statue entourée des ténèbres de leur cœur, ils ont à leur tête une peau de chèvre, et un souvenir infect de leurs péchés. Bienheureux celui qui veille à côté de votre monument, afin de vous garder, et qui lutte à l'aurore avec l'ange de la résurrection, ne le lâchant que lorsqu'il a appris quelque chose de son nom qui est admirable, afin de changer le titre de Jacob en celui d'Israël, et de faire lever le soleil de justice sur l’âme, de suite après qu'elle a reçu le coup du glaive de douleur.

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CHAPITRE XI. De l'enlèvement de la pierre, de l'apparition des anges et de la résurrection de Jésus-Christ.

26. Qui nous écartera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre, (Marc. XVI. 3). » L'ouverture de mon esprit est fermée, Seigneur, la pierre de cette vie mortelle pèse lourdement sur mon intelligence, je suis surchargé du poids de mes iniquités, les forces humaines ne peuvent en aucune manière l'écarter, si votre parole toute-puissante, si l'ange du conseil ne viennent détruire cette muraille d'iniquité, et nous ouvrir le sens, afin que nous comprenions les Écritures et que nous voyons, placés devant nous, les linges, témoignages très-assurés de votre résurrection et du corps humain que nous avez pris. Qui pourra, muni de votre secours, en sentir les réalités divines, goûtera par avance quelque chose de la gloire et de la résurrection que vous avez préparée pour ceux qui vous aiment et dont vous avez ramassé les prémices en votre sein, l'offrant sans relâche à votre Père, après l'avoir consumée par le feu du Saint-Esprit. Et l'ange qui annonçait une joie si considérable, qui fit rouler la pierre, et effraya les méchants, défendit avec beaucoup de douceur aux saintes âmes de craindre ; cet ange, dis-je, rendit témoignage à la bienheureuse résurrection, non point seulement, par. ses. paroles, mais encore par son aspect, son habit et ses actes. Car il enleva la pierre et s'assit dessus, cette pierre qui est encore roulée sur nous, et écrase notre visage. Ce qui a lieu aussi, sans nul doute, dans la première résurrection qui est celle de l'âme, en sorte que, par un heureux retour, l’esprit s'assujettit ce fardeau d'iniquité, et prend en main, comme juge et maître, la conduite de son inférieur.

27. Que voir dans cette blancheur de neige, dans cette beauté des habits, sinon la chasteté froide et très-pure de notre corps, qui rend hommage et soumission à la chasteté angélique qui règne en elle Or, son aspect intérieur, là où a été imprimée la lumière de votre visage, est terrible et brillant comme l'éclair : terrible, pour terrasser et effrayer les ennemis de l'âme, brillant, afin de se montrer toujours entouré de justice à vos yeux, ô vous qui êtes la véritable lumière. Telle était la face de Moïse lorsqu'il venait de converser avec vous, elle était lumineuse et redoutable, munie de cornes pour combattre les adversaires, et entourée d'une splendeur que ne pouvaient supporter les yeux charnels. Et maintenant, Seigneur, nous savons, et nous nous en réjouissons, que vous êtes vraiment ressuscité d'entre les morts, et vous êtes grandement éloigné de nous autres, vivant encore dans cette région demort, parce que vous êtes monté au ciel, sur vos chevaux de feu et sur votre char de flammes, multiple comme dix mille. Cependant votre manteau est tombé vers nous, et est resté parmi nous jusqu'à ce jour, c'est-à-dire les linges de votre corps, qui nous font éprouver, dans le temps opportun, le secours de votre puissance, et produisent en nous votre double esprit qui est vous, et nous font aimer Dieu et le prochain, Les douleurs de la mort nous ont assaillis, et les torrents de l'iniquité nous ont ébranlés, le vêtement de notre mortalité nous a entourés, vêtement plein de vers qui me rongent constamment et ne dorment jamais, tourments avant-coureurs de cette extrême douleur qui vient sur nous, comme un guerrier armé, et qui s'efforce de nous anéantir, si nous ne sommes pas sur nos gardes. Et même, quel est l'homme assez vigilant pour en soutenir la terreur? Cependant, que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, il faut certainement la soutenir, il faut la traverser. Mais n'oubliez pas le manteau d'Élie : sans lui les eaux du torrent ne se partageront pas. Car il est d'autres torrents, torrents d'iniquités, l'océan de mes péchés, qui m'entraînent, et plût au ciel qu'il me troublassent de telle sorte, que je crierais avec douleur : « Mon père, mon père, ô char d'Israël et son conducteur (IV Reg. XIII. 14). » Mais ils me troublent et me privent de la lumière de mes yeux, en sorte que je ne puis voir le très-bon Élie, lorsqu'il est ravi à mon amour. Si je le voyais, assurément son double esprit viendrait sur moi et je crierais: « Mon Père, mon Père ! Dieu a envoyé, dit l'Apôtre, l'esprit de son Fils dans nos cœurs, esprit criant, Père (Gal. IV. 6) ! » Le double esprit crie deux fois : « Mon Père! mon Père. » O Père qui m'avez créé, ô Père qui m'avez recréé, ô mon Père, ô mon Père, ô cri plein d'affection ! Char d'Israël et son conducteur, qui portez et régissez, soutenez et gouvernez. Qui? Israël qui croit en vous, qui soupire après vous. Voici que vous avez disparu, et votre Élisée ne vous verra plus. Il a gardé cependant en souvenir de votre manteau, afin que sa vue adoucisse en l'augmentant la douleur de votre absence, et l'augmente en l'adoucissant.

28. « Prenez ceci en mémoire de moi », dit le Sauveur (Luc. XXII. 19). C'est le sacrement de votre corps que nous prenons en souvenir de vous, jusqu'à ce que vous veniez. Votre manteau, c'est votre chair, dont vous vous êtes revêtu pour venir vers nous, en laquelle vous vous êtes caché aux méchants et vous vous êtes montré à vos amis fidèles jusqu'à ce jour. Sous ce manteau, se voile votre force, force prodigieuse, ô redoutable Samson; vous n'en avez pas dérobé en dernier lieu le secret, même à celle que vous aimiez sans qu'elle vous aimât, afin de la changer d'ennemie qu'elle était en amie. Cette femme qui ne vous aimait pas et qui vous poursuivait, vous l'avez chérie à un tel point que, pour son amour, votre sagesse devenait folie et votre force, faiblesse. «Mais ce qui est insensé, selon Dieu, est plus sage, et ce qui est faible est plus fort que tous les hommes. (1 Cor. I. 25). » Parce qu'en vous sacrifiant vous-même aux yeux de votre Père, et en mourant par un effet de votre puissance, vous avez ébranlé les princes des ténèbres et brisé leur pouvoir, et votre croix est devenue un scandale pour les Juifs, une folie pour les gentils, mais, pour ceux qui croient, la force et la sagesse de Dieu.

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CHAPITRE XII. De l'apparition de Jésus-Christ aux disciples qui allaient à Emmaüs.

29. Tant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin de vous, Seigneur. Vous marchez avec ceux qui vous aiment, qui parlent de vous et s'attristent sur vos douleurs; mais vous avez une figure étrangère, et les connaissant, vous n'êtes pas connu d'eux. Vous êtes véritablement ce Joseph, vous parlez à vos frères comme à des étrangers, avec dureté, non par colère, mais par compassion, lorsque vous joignant à ces deux disciples qui cheminaient tristement, vous les instruisiez et leur faisiez des reproches « ô insensés et lents de cœur à croire (Luc. XXIV. 25). » Vos frères viennent donc à vous comme des étrangers, mais vous, dans votre bonté, vous vous approchez d'eux : ils viennent avec leur peu d'ouverture d'esprit et avec leur lenteur, comparables à des ânes, avec des sacs vides, image de leur détresse, et vous leur donnez, non-seulement leur provision de froment, mais de plus, vous leur remettez leur argent lié à l'ouverture du sac. « L'un d'eux, dit l'Écriture, ayant ouvert son sac, y trouve, à l'entrée, son argent. On m'a remis l'argent, dit-il, le voilà dans mon sac (Gen. XIII. 27).» Qu'avez-vous fait pour nous, ô Dieu? Les hommes viennent à vous, pauvres et insensés, et vous les renvoyez chargés et riches du froment de la sagesse : de plus, vous leur distribuez les trésors de l'éloquence liée par l'autorité de l'Écriture, parce que vous rendez disertes les langues des enfants, afin qu'ils donnent aux animaux qui ne vous connaissent pas encore, la nourriture et la mesure de froment au temps opportun.

30. Marchez aussi présentement avec nous, Seigneur, pour que nous ne soyons ni désolés, ni attristés dans le chemin que nous parcourons c'est vous-même qui jadis précédiez les enfants d'Israël sous la forme d'une colonne de nuée pendant le jour et de lumière durant la nuit ; c'est d'après vos ordres qu'ils tendaient ou repliaient leurs pavillons. Quelle est la nuée marchant à la tête des véritables Israëlites, sinon votre corps très-réel, très-sacré que nous prenons à l'autel ? Là, nous est voilée la hauteur du jour, l'immensité de votre majesté, dont la faiblesse d'une créature mortelle ne pourrait soutenir la chaleur et l'éclat, si une nuée ne venait s'interposer pour en tempérer les ardeurs d'un côté, et nous montrer de l’autre une route assurée. Toute l'armée suit ce nuage, Seigneur, roi des armées. Qui ne marche pas après elle est dans les ténèbres, ne sait où il va; à la lueur de cette nuée, se montre le sentier qui conduit à la vie, le sentier de l'humilité et de la patience, le sentier de la douceur et de la miséricorde, et tout ce que vous avez daigné révéler au genre humain, par le mystère de votre incarnation. A cette lumière éclate la gloire de la loi et de la prophétie, parce que Moïse et Elie parurent à vos côtés sur la montagne, mais une nuée lumineuse les couvrit; pas plus que nous, ces grands personnages n'auraient pu être sauvés sans votre secours. Pour eux, comme pour vos amis et vos familiers, ou plutôt comme pour les principaux de vos amis et de vos familiers, la nuée de votre mystère était fort éclatante : pour nous, qui gisons à terre, et sommes éloignés de votre face, cette même nuée est très-obscure : mais vos yeux ont vu ce qui me manque, et tous les hommes seront inscrits dans votre livre, parce que, sous votre nuage, vous nourrissez vos anciens à la perfection, Joseph, que vous conduisez comme une brebis. Voilà la colonne de nuée qui précédait durant le jour les enfants d'Israël. La colonne de feu qui brille durant la nuit est le Saint-Esprit, qui se montra sur la tête des apôtres en langues de feu; c'est lui qui éclaire nos obscurités et nous élève pour nous faire goûter, non ce qui est sur la terre, mais ce qui est dans les cieux. Voilà la nuée pour le jour, et le flambeau pour la nuit, parce que votre chair tempère pour nous les ardeurs de votre divinité, tandis que la lumière du Saint-Esprit illumine les ténèbres de notre esprit. Ainsi, tandis que le long du chemin, vous parliez avec deux disciples qui marchaient avec vous et qu'une sorte de nuée étrangère couvrait votre visage, « n'est-ce pas, » s'écrièrent-ils, « que tout notre cœur était brûlant dans notre poitrine, lorsqu'il s'entretenait avec nous dans la route et qu'il nous découvrait les Ecritures ? (Luc. XXIV. 32 ). » Cela veut dire que la colonne de feu réchauffait au dedans parce que la colonne de nuée leur parlait au dehors.

31. Mais où le connurent-ils enfin? « A la fraction du pain. » Et véritablement., Seigneur, vous n'êtes connu qu'alors. Ce pain est votre chair. Vous avez brisé votre corps de vos mains, parce que vous avez la puissance de le quitter et de le prendre de nouveau. Vous avez rompu le corps qui apparaissait au dehors, et vous avez fait voir la moëlle qui était cachée au dedans. Si vous n'aviez pas souffert, vous n'auriez pas été connu. « C'est là, » dit l'Ecriture, « qu'est renfermée sa force (Habac. III. 4.). » Quelle est votre force, sinon votre miséricorde, votre mansuétude, votre humilité, votre patience ? Ces vertus très-fortes et très-suaves, vous nous les avez montrées dans la fraction du pain, c'est-à-dire dans votre passion. Votre chair, qui n'est autre chose que nous, se nourrit, croît et arrive peu-à-peu à la perfection par ces vertus. Et d'abord, elle est broyée par l'espérance et la crainte, comme le froment entre deux meules pour devenir un ferment nouveau. Ayant ensuite pris la forme de pain, elle est cuite par les souffrances comme dans un four ; ensuite quand vous l'avez bénie de toute bénédiction spirituelle et dit : « Tout est consommé (Joan. XIX. 30.), » vous brisez aussi notre corps qui est entre vos mains et que nous vous remettons, et alors vous êtes reconnu, non sous une apparence étrangère, mais dans votre propre personne; ce n'est plus la lance qui nous ouvre votre côté, c'est notre doigt qui nous fait toucher et voir que vous êtes le Seigneur notre Dieu.

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CHAPITRE XIII. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir l'intelligence de la Sainte Ecriture.

32. Père des orphelins et juge défenseur des veuves, ne voyez-vous point mon âme, veuve, pauvre et désolée, n'ayant ni frères, ni amis, ni voisins, à qui je puisse emprunter un grand nombre de vases que mes enfants présenteraient, et moi je verserais du peu d'huile qui me reste de vous, afin que vous répandiez sur tous la plénitude de votre bénédiction? Je comprends, Seigneur, que ces vases vides sont le sens littéral et historique de votre Ecriture, sens tellement nombreux que le monde entier n'en pourrait contenir l'exposition. Ces vases de votre temple sacré, le roi de Babylone, c'est-à-dire la jouissance de l'orgueil les a emportés en captivité et les a fait servir dans ses banquets, non à votre gloire, mais à sa honte; et buvant dans les coupes du sanctuaire le vin de sa prostitution, il a souillé vos dons de ses parfums impurs. C'est pourquoi, sur le côté opposé de la muraille, est écrite la cruelle, mais juste sentence de ces impies, « parce que tout royaume divisé contre lui-même sera désolé (Luc. XI, 17.) » il sera livré aux Mèdes et aux Perses, qui ne cherchent pas l'argent, qui ne veulent pas l'or, mais qui viennent tuer de leurs flèches rapides et empoisonnées leurs sens faibles et sots. Pour vous, Seigneur, vous aurez pitié d'une veuve pauvre et désolée, vous empêcherez que l'usurier sans compassion, qui m'a prêté, pour mieux me perdre, beaucoup de talents de son iniquité, enlève, pour en faire ses esclaves, mes deux fils, c'est-à-dire les sens intérieurs de mon âme. C'est un conseil salutaire et bon que vous me donnez d'emprunter beaucoup de vases et de racheter mes péché de l'huile qui surabonde, et de vivre du reste avec mes fils. Mais parce que je n'ai ni voisins, ni enfants à qui je puisse m'adresser pour exercer mon esprit, aussitôt que mes mains se reposent, ce créancier impitoyable fond sur moi enlève mes enfants, l'intelligence et l'amour du repos, et les fait servir à ses vaines illusions. Vous donc qui êtes le miséricordieux défenseur des veuves, infiniment riche et abondamment généreux à l'égard de tous, prêtez-moi vous-même et les vases que vous savez m'être utiles à cet effet, et l'huile qui les garnira, afin que tout soit à vous et vous serve, parce que je ne veux point porter votre huile en Egypte en ne péchant pas contre vous, mais seulement je désire ne pas manger mon pain dans l'oisiveté, et bien plutôt m'exercer tous les jours dans vos justices, et y trouver la vie. Voici ce que le fil de ma mémoire m'a offert, je le saisirai comme lorsque pour la première fois vous tombez entre mes mains.

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CHAPITRE XIV. Les trois chefs de cinquante hommes envoyés à Élie, allégoriquement comparés à la capture des cent-cinquante poissons.

33. Élie se tenait sur le haut d'une montagne, et on lui envoie un premier capitaine de cinquante hommes qui est consumé par le feu, un second qui eut le même sort, et un troisième qui fut épargné à cause de son humilité et de son respect. Voilà un vase, mais vide, parce qu'ainsi envisagé, il sonne plutôt la cruauté. Qu'on le garnisse d'huile, et ce son rude s'arrêtera. Quel est cet Élie se tenant sur la cime de la montagne, si ce n'est vous, Seigneur Jésus, qui êtes à côté de votre Père dans les hauteurs? Se présente à vous le premier chef que le monde désolé d'une grande sécheresse vous envoie; cet homme vous crie « Homme de Dieu, descends de la montagne (IV Reg. I. 9). » Le monde connaît, en effet, qu'il ne peut être sauvé sans vous. Homme-Dieu, et Dieu-Homme, laissez-vous attendrir par l'homme que vous cherchez, et descendez vers lui. Descendez de la montagne. Nul ne peut approcher de vous, si vous ne vous approchez de lui ; nul ne peut s'élever vers vous, si vous ne descendez vers lui « Homme de Dieu descendez de la montagne. » Vous êtes le mont élevé au dessus de tous les autres ayez compassion de nous et venez dans cette vallée de larmes. « Si je suis homme de Dieu, dit Élie, que le feu du ciel descende, etc. Je suis venu porter le feu sur la terre (Luc. XII. 49). » Je veux qu'il s'enflamme, qu'il te dévore toi et tes cinquante hommes. Je vous en supplie, Seigneur, que ce feu tombe sur moi et qu'il consume en moi le vieil homme avec ses actes. Voilà le premier capitaine que brûle votre feu, et le fait s'abstenir de toute œuvre servile. Le second, c'est la vie active qui a un terme, et qui d'un sabbat, passe à un autre. Tous les jours votre flamme en fait un holocauste. Dans le premier cinquantenaire, le bouc est calciné, dans le second le bélier est brûlé. Le troisième, qui est celui de la résurrection ou de la contemplation, n'a pas de fin; avec Élie, il luit toujours. Aussi on lit dans l'Evangile un passage bien analogue concernant les cent cinquante trois poissons qui furent tous réduits en un seul que 7 disciples virent griller sur les charbons ardents, et qu'ils mangèrent avec Jésus, qui fut le huitième. (Joan. XXI. 9).

34. Ce nombre lui-même de cent cinquante que forment les trois chefs des troupes de cinquante hommes et les sept disciples indique le repos dans la concorde, et chaque groupe de cinquante tend à l'unité, comme les sept disciples tendent à l'octave qui est Jésus-Christ, et tous se couronnent en un seul chiffre, or, de même que le Christ et tous les élus sont un corps, un pain, un homme ou un poisson, de même le démon avec tous les réprouvés est un seul corps, et un seul ennemi. « C'est un grand aigle aux grandes ailes etc. » (Ezech. XVII. 3). « Un aigle » à cause de sa grande perspicacité d'oiseau ; « grand » à cause de la hauteur de son orgueil ; « aux grandes ailes » qui tiennent à lui et qui l'élèvent dans les airs, ce qui signifie les puissances des malins esprits, les pères des hommes, longtemps asservis aux membres, et dont le démon se sert pour combattre contre les bons. Longtemps asservis, parce qu'ils se montrent encore aujourd'hui, et subsistent jusqu'à la fin du siècle, suivant leur chef orgueilleux : plein de plumes, de toutes sortes d'habiletés pour tromper, et de bigarrures, pour qu'il donne aux mêmes artifices des formes variées pour séduire les âmes. « Il viendra au Liban, n à l'âme séculière et blanchie par les mérites de la foi et de la bonne conduite. « Il a enlevé la moëlle du cèdre. » Cèdre incorruptible, hauteur de l'espérance, dont la charité est la moëlle, que le démon s'attache particulièrement à renverser. Il enlève le sommet de ses feuilles, c'est-à-dire qu'il éloigne de l'amour de Dieu les paroles de la sagesse qui sont excellentes, pour les transporter dans la terre de Sennaar, c'est-à-dire de la puanteur, ce qui indique la vaine gloire.

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CHAPITRE XV. De la dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et de la vision qu'elle eut.

35. « En ce jour-là le Seigneur sifflera à la mouche qui est à l'extrémité des fleuves d'Egypte, et à l'abeille qui se trouve en la terre d'Assur (Isa. VII, 18.). » Sifflez aussi, Seigneur, à mon âme pécheresse, à cette mouche impure : que votre esprit bon la conduise par une voie droite, afin que j'aille à la terre promise, montueuse et élevée, qui est arrosée des eaux qui découlent de ses cimes et qui attend la pluie du ciel, à la différence de la terre d'Egypte qu'un fleuve, débordant de la terre, couvre dans toute son étendue. Car il n'y a pas de montagne, il n'y a pas d'obstacle qui arrête les concupiscences de l'Egypte ; mais telles qu'elles bouillonnent d'un esprit terrestre, elles se répandent sans retard sur la surface abaissée de l'âme, pour l'inonder.

36. Le fleuve de l'Egypte a sept branches à son embouchure, qui viennent toutes d'une seule source, c'est-à-dire de l'orgueil. La dernière représente la luxure de la chair qui produit les mouches, toujours amies de ce qui est immonde: la grâce surabondante ne méprise pas ce petit animal, mais elle siffle et l'appelle de l'extrémité des fleuves et le réunit à l'abeille qui était dans la terre d'Assur, afin qu'ensemble, elles se reposent au bord des torrents qui coulent dans les vallées, dans les trous des pierres, dans tous les taillis et dans toutes les gorges. L'abeille est vierge, mais tant qu'elle reste dans la terre d'Assur, c'est-à-dire de l'orgueil, elle ne peut produire le miel : dans la terre promise seule, coulent le lait et le miel. Donc, au souffle de la grâce, la mouche et l'abeille accourent, et se reposent ensemble dans les torrents des vallées. Au bord de ces torrents, ces animaux sont purifiés, l'abeille de la tache de l'orgueil, et la mouche de celle de la luxure. Les torrents des vallées sont la règle de l'humilité. Pourquoi, les torrents ? Parce que si pour corriger les vices, on éprouve quelque tristesse et quelque fatigue, tout cela passe vite. Aussi « lorsque la femme enfante, elle ressent de la tristesse (Joan. XVI. 21). Le travail, en effet, se change en amour, l'ennui en désir, et l'amertume en douceur, et ainsi des torrents des vallées on va aux cavernes des rochers. Les pierres très-fermes et très-solides dans la foi sont les Pères en leurs souffrances, comme dans leurs modèles la mouche et l'abeille se reposent, semblables à des colombes qui y bâtissent leurs nids. Aussi, leur main ne s'arrête pas, leur pied ne connaît pas le repos, mais constamment en fonction dans ce taillis de toutes sortes de biens, elles arrivent enfin aux ouvertures de la contemplation.

37. Ce sont là vos œuvres, ô Seigneur Jésus, parce qu'elles sont extrêmement bonnes. C'est ainsi que vous avez sifflé en appelant Marie Madeleine, de qui vous avez chassé non pas un, mais sept fleuves. Voyez comment elle se reposa dans les torrents des vallées ; elle entra dans la salle où l'on mangeait, elle courut aux pieds de Jésus, et les arrosa d'un torrent de larmes : pour laver les pieds de son maître elle ne porte d'autre eau que celte que renferment ses yeux, pour linges. elle emploie ses cheveux. Et alors, quand son affection s'enflamme davantage, et, qu'inondée de larmes, ce sentiment, semblable à un charbon, s'échauffe plus fortement, vous verriez cette généreuse créature imprimer des baisers sans nombre et insatiables sur ces pieds sacrés; et vous sentiriez toute la maison embaumée de l'odeur du parfum répandu. Que faisait-elle sinon se reposer dans les torrents des vallées, d'où sortaient des fleuves de grâces si nombreux et si abondants ? Aussi, après que beaucoup de péchés lui furent remis parce qu'elle avait beaucoup aimé, elle demeurait auprès de Jésus le long de ces rives débordantes; tandis que Marthe sa sœur se livrait à de occupations multipliées. Pourquoi faire mention de ce devoir d'ensevelissement du Seigneur qu'elle remplissait par avance, des pieds montant vers la tête pour l'oindre, lorsque le disciple, sépulcre fétide d'avarice, frémissait à sa vue, ne pouvant supporter le parfum qu'exhalait cette piété ? Le Christ mourant, un amour si ardent ne peut mourir avec lui: les hommes, c'est-à-dire les apôtres fuyaient et se cachaient, et cette femme intrépide se tenait auprès du tombeau et pleurait ; elle n'avait plus en vie celui qu'elle aimait, et mort, elle brûlait d'affection pour lui. Le corps avait disparu, elle ne pouvait se retirer du sépulcre. Plus il était dérobé à ses yeux et à ses mains, plus son âme volait à sa recherche ; si cela avait été possible, par racheter ce corps sacré, elle aurait rempli le monument de ses larmes. « Elle se tenait debout et pleurait, » dit l’Ecriture, c'est tout ce qui lui restait de vous. Le corps avait disparu, mais qui lui enlèvera le bonheur de pleurer ? Ne vous retenez pas, ô âme noble, pleurez sans vous reposer, jusqu'à ce que vous trouviez le Seigneur qui vous est ravi et qui est ressuscité. Courbez-vous encore et encore, regardez bien souvent la place vide où avait été placé votre bien-aimé. Cet endroit vous excite toujours davantage à pleurer, en vous rappelant l'absence de celui que vous cherchez.

38. Elle vit, dit le texte sacré, « deux anges habillés de blanc et assis l'un à la tête, l'autre aux pieds, à l'endroit où avait été déposé le corps de Jésus. « Femme, pourquoi pleurez-vous, » lui disent-ils, « Qui cherchez-vous ? ( Joan XX. 11 ). » Vous saviez parfaitement, ô saints anges, pourquoi elle pleurait, et qui elle cherchait. Pourquoi, en lui rappelant ce souvenir, provoquez-vous encore ses larmes ? Mais la joie d'une consolation inattendue était sur le point de se faire sentir, ainsi que toute la force de la douleur et de la tristesse se déploie. « En se retournant elle vit Jésus debout, et elle ne savait point que c'était Jésus. » O doux et délicieux spectacle de piété ! Celui que l'on cherche et que l'on désire, se cache et se montre. Il se cache pour être cherché avec plus d'ardeur, pour être trouvé avec plus de joie, pour être gardé avec plus de sollicitude, pour être retenu avec plus de force, jusqu'à ce qu'il soit introduit pour y rester dans la demeure de l'amour. C'est ainsi que la sagesse joue dans l'univers, et ses délices sont de se trouver parmi les enfants des hommes. « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Vous tenez celui que vous cherchez, et vous ne le savez pas ? Vous avez ici la joie véritable et éternelle, et vous pleurez ? Vous possédez au dedans celui après qui vous courez au dehors. Véritablement, vous êtes au tombeau pleurant au dehors: votre esprit est mon sépulcre. Je n'y suis pas mort, vivant je me repose à jamais : votre esprit est mon jardin. Vous avez eu raison de le penser, je suis jardinier. Je suis le second Adam, je travaille et je garde mon paradis. Vos fleurs sont votre piété, votre désir est mon travail vous m'avez au dedans de vous et vous ne le savez pas, Voilà pourquoi vous me cherchez au dehors. Voici que je me montrerai à l'extérieur pour vous ramener à l'intérieur et pour vous faire rencontrer au dedans ce que vous poursuivez au dehors. « Marie. » je vous connais par votre nom, apprenez à me connaître par la foi. « Rabboni, c'est-à-dire maître, ce qui veut dire : apprenez-nous à vous chercher, enseignez-moi à vous toucher et à vous oindre. « Ne me touchez pas » comme un homme, comme jadis vous m'avez touché et oint comme mortel. « Je ne suis pas encore monté vers mon Père, » encore vous ne m'avez pas cru égal, coéternel et consubstantiel à lui. Croyez cette vérité et vous m'avez touché. Vous voyez un homme, ainsi vous ne croyez pas, attendu qu'on ne croit pas, ce que l'on voit. Vous ne voyez pas la divinité, Croyez et vous la verrez. En croyant, vous me toucherez, comme cette femme qui toucha la frange de mon vêtement et fut guérie de suite. Pourquoi ? Parce que par sa foi elle me toucha. Touchez-moi de cette façon, cherchez-moi de ces regards, courant de ces pieds rapides vers moi; je ne suis pas éloigné de vous . Je suis un Dieu qui se rapproche, je suis la parole dans votre bouche et dans votre cœur. Quoi de plus proche pour l'homme que son cœur ? C'est là que me rencontrent tous ceux qui me trouvent, car tout ce qui se voit est du dehors. Ce sont mes œuvres, mais œuvres passagères, mais œuvres caduques c'est polir moi qui leur ai donné l'être, qui habite dans les cœurs très-retirés et très-pieux.

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CHAPITRE XVI. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir les vertus.

39. Toute puissance vous a été donnée, Seigneur Jésus, au ciel et sur la terre, grand roi, roi des vertus, parce que vous avez été obéissant à la volonté de votre Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Voici que votre majesté a été élevée au dessus des cieux, et que tout a été mis sous vos pieds. David, à Hébron, a régné d'abord sept ans sur Juda et ensuite il a été oint roi de tout Israël et il a occupé le trône trente-trois ans. O véritable David, lorsque vous étiez oint à Hébron, comme roi de Juda seulement, Saül, le roi de l'orgueil était déjà mort parmi eux, sans quoi si le péché vivait et dominait sur leurs âmes, ils ne vous diraient pas : « vous êtes notre bouche et notre chair. » Qui peut être à la fois membre de Jésus-Christ et membre d'une prostituée? Quelle relation existe-t-il entre Jésus et Bélial ? « Voici, disaient-ils, que nous sommes votre bouche et votre chair, » Mais hier et avant-hier, lorsque Saül était notre roi : vous supportiez avec grande patience des vases de colère propres à être brisés, et vous marchiez à notre tête, nous excitant à la guerre contre nos vices, vous nous délivriez de l'asservissement, indigne de nous, qui nous faisait les esclaves des pécheurs. Aussi Juda, le premier, qui veut dire confession, vous oint pour roi dans Hébron, à la mort de Saül; il se souvient de vos bienfaits, et, avouant son erreur, il passe de ces péchés vers vous, ô roi de justice. Vous régnez sept ans sur Juda dans Hébron, parce que vous leur rendez sept fois plus, et, après les avoir purifiés des sept vices que commandait Saül, vous les réformez par le sépulcre, don de vos vertus. Ensuite, votre royauté s'établit à Jérusalem et s'étend sur tout Israël, parce qu’après la confession les gens étant éclairés, on arrive à la vision de la paix, où vous avez votre demeure. C'est la montagne que vous avez indiquée à vos disciples, leur faisant dire de se rendre en Galilée pour vous y voir et vous y adorer après votre résurrection : parce que Dieu, votre Dieu vous avait déjà parfuma par dessus tous vos compagnons de l'onction de l'allégresse, pour être le premier né des morts et le premier des roi de la terre.

40. Or, vous régnez à Jérusalem trente-trois ans. Le nombre trente renferme trois décades, une décade représente la loi qui est composée de dix préceptes, et ce nombre, trois fois répété, marque le triple progrès de l’âme qui observe la volonté du Seigneur, en vivant, en méditant et en l'aimant. Du premier progrès il est dit. « Je louerai mon Dieu durant ma vie (Psal XLV. 4). «Du second : » Votre loi est le sujet de ma méditation. «Du troisième,» combien j'ai aimé votre loi, Seigneur (Psalm. XVIII. 97 ) ! » Les trois unités qui sont au dessus de trente indiquent quelques contemplatifs excellents, qui, par la pureté de la conscience, par la plénitude de la sagesse et la perfection de la charité, se rapprochent davantage de la souveraine Trinité. C'est là aussi le nombre des vaillants qui sont dans votre armée, ô très-puissant guerrier, dont néanmoins les plus remarquables n'atteignent ni à votre sagesse, ni à votre force, « car qui sera l'égal du Seigneur dans les nuages, qui sera semblable à Dieu parmi les enfants de Dieu?) » Vous êtes ce tendre petit ver, né virginalement dans le bois; par votre humilité et votre charité vous triomphez de toute dureté; chef de la milice, dans un seul mouvement impétueux de votre esprit, vous tuez huit cent ennemis. Qui est fort comme vous, miséricordieux comme vous, qui avez pleuré sur Jérusalem, et avez été dans le deuil en voyant tomber ceux qui vous combattaient. Et maintenant vous vous lamentez sur Saül et sur Jonathas son fils, qui meurent toits les jours, sur les monts Gelboë. Si vous ne souffriez pas, vous ne crieriez point du haut du ciel : » Saul, Saul pourquoi me persécutes-tu ( Art. IX. 4 ) Que représente Saul, sinon les prélats orgueilleux dans votre Eglise, qui croient dominer de toutes les épaules et de toute la tête le reste du peuple ? Que représente Jonathas, sinon ces jeunes gens dociles et à l'esprit orné, qui, dépravés par les exemples et les discours des anciens, ne peuvent se livrer avec David aux élans de leur amitié qu'en cachette, et qu'en se défiant des piéges de ceux qui les attaquent et les tournent en dérision.

41. C'est donc avec raison, ô bon David, que vous pleurez sur Saül et sur Jonathas son fils : ils ne seraient pas à pleurer, s'ils devaient succomber avec gloire : mais ils sont morts sur les montagnes de Gelboë, qui vont en descendant dans les profondeurs ; la rosée de la grâce, la pluie de la doctrine ne viendront plus sur leurs cimes, parce que le bouclier des forts y a été, jeté, le bouclier de Saül. L'espoir en la protection divine est le bouclier des forts ; c'est par son moyen qu'on repousse les traits enflammés du Démon, traits dont Saül fut gravement blessé, au point qu'il se tua de désespoir. Le bouclier de Saül, c'est la confiance en sa propre vertu, il ne peut résister aux coups des incirconcis. « Malheur à ceux qui ont perdu la force de résister. (Eccli. II, 16). » Voilà le bouclier des vaillants, « et maudit celui qui place son espoir dans l'homme (Jerem. XVII. 5) : » Voilà celui de Saül. Il sera comme les bruyères dans le désert, parce que ni la rosée, ni la pluie ne viendront sur vous, ô montagnes de Gelboë. Comment les forts sont-ils tombés ? Car, s'ils étaient forts, comment sont-ils tombés ? et s'ils sont tombés, étaient-ils forts? Que le sage ne se glorifie pas en sa sagesse, ni le vaillant en sa vaillance, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur; que celui qui est debout, veille pour ne point tomber. Fussent-ils plus rapides que des aigles, volant dans la promptitude de leur intelligence au dessus des contemplatifs ; fussent-ils plus forts que des lions, surpassant, par la force de leurs travaux, les véritables prédicateurs, si, présumant d'eux-mêmes , ils laissent s'échapper de leurs bras le bouclier du salut, ils tomberont devant leurs ennemis. Quant à celui qui met sa confiance dans le Seigneur, semblable au mont Sion, rien ne l'ébranlera jamais. Mais Saül aimera mieux tomber sur sa lance que de s'appuyer sur le Seigneur : aussi le roseau de l'Egypte lui perça la main. Son javelot, son conducteur, qui conduisait le char de son arrogance, lui donna la mort. «Je savais, » dit-il, « qu'il ne pouvait pas vivre (II Req. I, 10) ; l'obstination de l'orgueilleux ne sait pas s'humilier, afin de pouvoir vivre. Ordonnez, ô roi, très-équitable David, ordonnez à votre serviteur, c'est-à-dire à l'esprit de pure discrétion, de faire périr en mai cet Amalécite porteur des armes de Saül, qui ose encore chaque jour mettre la main sur le Christ du Seigneur.

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