PIERRE ET PAUL III
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TROISIÈME SERMON POUR LA FÊTE DES APOTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL. Sur ce passage du livre de la Sagesse: «Ce sont des hommes de miséricorde (Eccli. XLIV, 10). »

1. C'est avec raison, mes frères, que l'Église, notre mère, applique aux saints apôtres ces paroles du Sage : « Ce sont des hommes de miséricorde, dont les justices ne tombent point dans l'oubli, les biens qu'ils ont laissés à leur postérité, y subsistent toujours (Eccli. XIV, 10 et 11). » Oui, on peut bien les appeler des hommes de miséricorde, tant parce qu'ils ont obtenu miséricorde pour eux-mêmes, que parce qu'ils sont pleins de miséricorde, ou que c'est dans sa miséricorde que Dieu nous les a donnés. Voyez, en effet, quelle miséricorde ils ont obtenue. Si vous interrogez saint Paul sur ce point, on même si seulement vous voulez l’écouter, il vous dira de lui-même : « J'ai commencé par être un blasphémateur, un persécuteur, un homme inique, mais j'ai obtenu miséricorde de Dieu (I Tim. I, 13). » Qui ne sait, en effet, tout le mal qu'il a fait aux chrétiens à Jérusalem ? Que dis-je, à Jérusalem? Sa rage insensée se déchaînait dans la Judée tout entière, où il voulait déchirer les membres de Jésus-Christ sur la terre. Dans ces sentiments de furie, il allait ne respirant que menaces et que carnage contre les disciples du Seigneur (Act. IX, 1), quand il devint disciple de ce même Seigneur qui lui fit connaître tout ce qu'il devait souffrir pour son nom. Il allait exhalant, par tout son être, l'odeur d'un cruel venin, lorsque, tout à coup, il se vit changé en envase d'élection, et sa bouche ne fit plus entendre que des paroles de bonté et de piété : « Seigneur, s'écrie-t-il, que voulez-vous que je fasse (Ibidem 6) ? » Certes, on peut bien dire qu'un pareil changement est l'œuvre de la main de Dieu. II avait donc bien raison de s'écrier : « C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec une entière déférence, que Jésus-Christ est venu dans le monde sauver les pécheurs, au premier rang desquels je puis me placer (I Tim. I, 15). » Prenez donc confiance, mes frères, et consolez-vous à ce langage de saint Paul, et, si vous êtes convertis au Seigneur, que le souvenir de vos fautes passées ne tourmente pas vos consciences à l'excès, qu'il vous soit plutôt un motif de vous humilier, comme le fait saint Paul quand il s'écriait : « Je suis le moindre des apôtres, je ne mérite même point de porter ce nom, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu (I Cor. XV, 9). » A son exemple, humilions-nous aussi sous la main puissante de Dieu, et espérons que, nous aussi, nous avons obtenu miséricorde, que nous avons été lavés de nos souillures et sanctifiés. En parlant ainsi, c'est pour tous que je parle, car tous nous avons péché, et tous nous avons besoin de la gloire de Dieu.

2. Pour ce qui est du bienheureux Pierre, j'ai une autre chose à vous dire; mais une chose d'autant plus sublime qu'elle est unique. En effet, si Paul a péché, il l'a fait sans le savoir, car il n'avait point la foi; Pierre, au contraire, avait les yeux tout grands ouverts au moment de sa chute. Eh bien, là où la faute a abondé, a surabondé la grâce, si on peut dire que la rédemption de ceux qui pèchent avant de connaître Dieu, avant d'avoir senti l'effet de ses miséricordes, avant d'avoir porté le joug si doux et si léger du Seigneur, enfin avant d'avoir reçu la grâce de la dévotion et les consolations du Saint-Esprit, est une rédemption abondante. Or c'est dans ses conditions que nous nous sommes tous trouvés, toutefois pour ceux qui, après s'être convertis, retombent dans les liens du péché et du vice, oublient la grâce qu'ils ont reçue, regardent en arrière après avoir mis la main à la charrue, redeviennent tièdes et charnels, pour ceux enfin qui, ayant connu la voie de la vérité, retournent sur leurs pas par une apostasie manifeste, on en trouve bien peu qui reviennent à leur première ferveur, le plus ordinairement, ils demeurent et croupissent dans leurs souillures. C'était d'eux que le Prophète disait en gémissant : « Comment l'or s'est-il obscurci? Comment a-t-il perdu sa couleur si belle (Thren. IV, 1)? Ceux qui mangeaient au milieu de la pourpre ont embrassé l'ordure et le fumier (Ibidem, 5). »

3. Toutefois, s'il s'en trouve en cet état, il ne faut désespérer d'eux; qu'ils veuillent seulement en sortir au plus vite, car plus ils y demeureront, plus il leur sera difficile de s'en tirer. Heureux ceux qui tiendront dans leurs mains, et briseront contre la pierre ces enfants de Babylonne, encore petits, car s'ils grandissent, il sera bien difficile de les vaincre. Mes enfants bien aimés, si je vous parle ainsi, c'est afin que vous ne péchiez point; mais si vous tombez en quelque faute, nous avons un avocat auprès de Dieu le Père, qui peut ce que nous ne saurions faire. Je ne demande qu'une chose à ceux qui tombent, c'est de ne point s'enfoncer davantage dans le mal, mais plutôt de se relever avec la ferme confiance que le pardon ne leur sera point refusé, pourvu qu'ils confessent leurs fautes de tout leur cœur. En effet, si saint Pierre, dont je vous parle en ce moment, a pu s'élever à un pareil degré de sainteté, après avoir fait une si lourde chute, qui pourra désormais se désespérer, pour peu qu'il veuille lui aussi sortir de ses péchés? Remarquez ce que dit l'Évangile: « Étant allé dehors, il pleura amèrement (Matt. XXVI, 75), » et voyez dans sa sortie, la confession de son péché, et, dans ses larmes amères, la componction du cœur. Puis remarquez que c'est alors que ce que Jésus lui avait dit lui revint en mémoire; la prédiction de sa faiblesse lui revînt donc à l'esprit, dès que sa présomptueuse témérité se fut évanouie. Ah! malheur à vous, mon frère, qui, après une chute, vous montrez à nos yeux plus fort qu'auparavant. Pourquoi cette raideur qui ne peut que vous perdre ? Courbez donc plutôt le front, pour vous relever d'autant mieux, n'empêchez pas de rompre même ce qui n'est pas droit, afin qu'on puisse le rétablir solidement ensuite. Le coq chante, pourquoi lui en vouloir de son reproche? Indignez-vous plutôt contre vous-même. « Vous séparerez, Seigneur, dit le Psalmiste, pour votre héritage, une pluie toute volontaire, car il était tombé en défaillance (Psal. LXVII. 10). » O heureuse défaillance que celle qui est réservée à l'héritage, et qui n'éloigne point la main du médecin, car pour ceux qui sont endurcis, il les brisera sous sa verge de fer, comme on brise l'œuvre fragile du potier. « Car votre héritage était tombé en défaillance, dit le Psalmiste, et vous l'avez parfaitement fortifié. »

4. Vous avez entendu quelle miséricorde ont obtenue les apôtres, et nul de vous, désormais, ne sera accablé de ses fautes passées, plus qu'il ne faut, dans le sentiment de componction qui le suivra jusque sur sa couche. Eh quoi ! en effet ! Si vous avez péché dans le siècle, Paul n'a-t-il point péché davantage? Si vous avez fait une chute en religion même, Pierre n'en a-t-il pas fait une plus profonde que vous? Or, l'un et l'autre; en faisant pénitence, non-seulement ont fait leur salut, mais sont devenus de grands saints, que dis-je, sont devenus les ministres du salut, les maîtres de la sainteté. Faites donc de même; mon frère, car c'est pour vous que l'Écriture les appelle des hommes de miséricorde; sans doute à cause de la miséricorde qu'ils ont obtenue.

5. Mais on peut encore fort bien entendre ce mot , hommes de miséricorde , en-ce sens que les apôtres ont été pleins de miséricorde, ou encore qu'ils ont été miséricordieusement donnés de Dieu à l'Église entière. En effet, ce n'est pas pour eux que ces hommes ont vécu, ce. n'est point pour eux non plus qu'ils sont morts; mais c'est pour celui qui est mort pour eux; disons mieux , c'est pour nous tous, à cause, de lui. En effet, de quel avantage ne sera point pour nous leur justice, quand nous voyons, je vous l'ai montré, de quels biens leurs péchés mêmes ont été pour nous la source ? Oui, leur vie est pour nous, leur doctrine est pour nous, leur mort même est pour nous, cars dans leur conversion les bienheureux apôtres nous ont appris la continence; dans leurs prédications, la sagesse; dans leur passion, la patience. Il est même un quatrième bien que ces hommes de miséricorde ne cessent de nous valoir encore aujourd'hui, ce sont les fruits des saintes existences. Et même, dans leur vie, on pourrait encore trouver un bien à citer dans la confiance que nous donnent les miracles qu'ils ont opérés. Qui pourrait énumérer les biens innombrables que nous avons reçus par eux? C'est donc à bien juste titre que la sainte Écriture, après avoir dit, en parlant d'eux : « Ce sont des hommes de miséricorde, » ajoute aussitôt, « leurs justices ne tombent point dans l'oubli.»

6. Voulez-vous que votre justice à vous ne tombe point non plus dans l'oubli? Il vous faut éloigner d'elle trois sortes dé dangers, alors elle fleurira éternellement devant Dieu. Or, nous lisons : «comme vous êtes tièdes, je vais vous rejeter de ma bouche (Apoc. III, 16); » et encore) «si le juste se détourne dé sa justice, etc., toutes ses justices seront oubliées (Ézech. XXIII, 24 ). » On dit qu'au jugement dernier il sera dit à quelques-uns : «Je ne vous connais pas (Matt. VII, 23). » A qui s'a dresseront ces paroles ? N'est-ce point à ceux qui ont déjà reçu leur récompense? Ainsi, les justices tièdes, passagères et vendues, voilà les justices qui seront en oubli devant Dieu. Mais il n'en est pas de même des justices des apôtres, comme on en peut juger par ce qui suit : « Les biens qu'ils ont laissés à leur postérité, y subsistent toujours. » En effet, aujourd'hui encore; nous retrouvons 1a trace que les apôtres ont laissée parmi nous; ainsi leur religion, comme elle vient de Dieu, ne peut tomber en ruine. Les vêtements des Israélites, au désert, durèrent quarante ans sans s'user (Deut. VIII, 4) à plus forte raison, en est-il ainsi des vêtements que les apôtres ont jetés sur le dos des montures du Sauveur. « A leur postérité; » dit le Prophète; or, que faut-il entendre par cette postérité, car l'écrivain sacré ajoute : « Les enfants de leurs enfants sont un peuple saint (Ecclé. XLIV, 11) ? » Il est bien certain . qu'il faut entendre la même chose par ces mots, leur postérité, que, par ceux-ci, leurs enfants. Vous vous rappelez bien, je pense, car je parle à des hommes qui connaissent les saintes Lettres, vous vous rappelez, dis-je, le, précepte de la Loi qui fait un devoir au frère survivant de susciter une, postérité à son frère mort sans enfants (Gen. VIII, 8 et Deut. XXV. 5). Qui est sans postérité ? «Pour moi, dit le Christ, je suis seul, jusqu'à ce que je passe (Psal., CXLX, 10). » Voilà pourquoi, en ressuscitant il dit « Allez, dites, à mes frères (Joan. XX, 17). » C'est comme s'il avait dit en d'autres termes : j'ai des frères, qu'ils s'acquittent du devoir de frères. Aussi, nous ont-ils engendrés par l'Évangile, toutefois, il ne nous ont point engendrés à eux, mais, à Jésus-Christ, attendu que c'est par l'Évangile de Jésus-Christ qu'ils nous ont engendrés. Voilà pourquoi saint Paul ne pouvait souffrir que quelques-uns des nouveaux chrétiens se donnassent pour fils de ceux qui les avaient convertis à la foi par l’Évangile, et leur reprochait avec indignation de dire : « moi je suis de Paul, et moi, de Céphas, et moi,. d'Apollon (I Cor. I, 12, et III, 4). Il voulait que tous fussent et prissent le titre d'enfants du Christ. Nous sommes donc la postérité des apôtres par l'Évangile, mais nous sommes aussi de Jésus-Christ, par l’adoption et par l'héritage, en même temps que nous le sommes des apôtres.

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