ANNONCIATION III
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TROISIÈME (a) SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA SAINTE VIERGE. Suzanne et Marie.

25 mars 1150

1. Que vous êtes riche en miséricorde, Seigneur mon Dieu, que vous êtes magnifique en justice, et libéral en grâce ! Il n'y a personne qui puisse vous être comparé, donneur infiniment généreux, rémunérateur souverainement juste, libérateur extrêmement bon. C'est gratuitement que vous abaissez vos regards sur les humbles, c'est avec justice que vous Jugez l'innocent, et c'est avec miséricorde que vous sauvez même le

a Ce sermon a été prêché en 1150. Cette année, le jour de l'Annonciation tombait le samedi d'avant le quatrième dimanche de carême; ce jour là on lit à l'office l'histoire de Suzanne et on lit à la messe l'Evangile de la femme adultère.

pécheur. Voilà, mes frères bien aimés, les mets qui vous sont servis aujourd'hui, si nous y faisons attention, avec une abondance inaccoutumée, par les Saintes Lettres, sur la table du riche Père de famille. Cette abondance nous vient de ce que le saint temps du carême et le très-saint jour de fête de, l'Annonciation de Notre Seigneur coïncident ensemble cette année. En effet, nous avons vu aujourd'hui la femme adultère renvoyée absoute par notre indulgent Rédempteur, l'innocente Suzanne soustraite à la mort, et la bienheureuse Vierge remplie, d'une manière unique, du don gratuit de la grâce. Voilà un grand festin, mes frères, puisqu'on sert en même. temps devant nous, la miséricorde, la justice et la grâce. Dira-t-on que la miséricorde n'est point une nourriture pour l'homme? C'en est une, au contraire, excellente et souveraine pour le guérir. Et la justice n'est-elle point aussi du pain pour le cœur ? C'en est, et même c'en est un qui le fortifie admirablement, c'est pour lui un aliment tout à fait solide; et même, heureux ceux qui en ont faim, car ils en seront rassasiés ( Matt. V, 6). Enfin, ne peut-on voir un aliment pour l'âme dans la grâce de Dieu ? C'en est un des plus doux, car il a toute sorte de douceur et possède tout ce qu'il y a clé plus agréable au goût; bien plus, réunissant en elle la vertu des deus autres, non seulement elle flatte le goût, mais elle réconforte et elle guérit.

2. Asseyons-nous donc à cette table, mes frères; et goûtons, au moins un peu, à chacun des mets qui nous y sont servis. « Dans sa loi, Moïse nous ordonne de lapider ces femmes-là (Joan. VIII, 5), » disaient des pécheurs, en parlant d'une pécheresse, s'écriaient es Pharisiens en montrant une femme adultère. Mais, en réponse à votre cœur de pierre, pour toute parole «»sus se Pais- à terre. » Seigneur, abaissez vos yeux et descendez (Psal. CXLIII, 5). » Jésus s'incline donc vers la terre, et se penche en même temps vers la miséricorde, car il n'avait pas un cœur de Juif, « et il se mit à écrire, » non content dé le faire une fois, il recommence une seconde; c'est comme Moïse pour les deux tables de la loi. Peut-être, la première fois, écrivit-il là vérité et la gloire, et la seconde, les imprima-t-il sur la terre, selon le mot de l'apôtre saint Jean : « La Loi a été donnée par Moïse, mais la justice et la vérité ont été faites par Jésus-Christ (Joan. I, 17). » D'ailleurs, voyez s'il ne semble pas qu'il a emprunté à la tablé (le la vérité cette sentence qui devait confondre les Pharisiens : « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » C'est là un mot bien court, mais Plein de vie et d'efficacité, et qui pénètre dans l'âme comme un glaive à deux tranchants; comme il perce d'outre en outre des cœurs de pierre. Comme cette petite pierre réduit aisément en poudre ces fruits durs comme le roc; on va bientôt le voir à la rougeur de la honte qui va leur monter au visage, et à la façon dont ils vont discrètement s'éclipser. Sans doute cette femme adultère mérite d'être lapidée; mais pour se hâter de la châtier, il faudrait n'être pas soi-même dans le cas d'être puni; il n'y a que celui qui n'a point mérité le même châtiment qu'elle, qui ait le droit de se montrer rigoureux pour elle, autrement que ne commence-t-il par sévir sur le coupable qui est le plus près de lui, c'est-à-dire sur lui-même ? La première chose qu'il a à faire, c'est de se juger lui-même et d'exécuter la sentence. Voilà quel fut le langage de la vérité.

3. Mais, après tout, c'est là la moindre des choses, pour avoir confondu les accusateurs de cette femme, la Vérité ne l'a point encore renvoyée absoute. Qu'il écrive donc encore, qu'il écrive la grâce, qu'il lise la sentence, et nous écoutons : « Femme, personne ne vous a-t-i1 condamnée? Non, personne, Seigneur. Eh bien, ni moi non plus, je ne vous condamnerai point ; allez, et désormais ne péchez plus. » O parole pleine de miséricorde, parole pleine de joie à entendre, parole de salut! Faites-moi entendre de bonne heure votre miséricorde, Seigneur, parce que j'ai mis mon espérance en vous (Psal. CXLII, 8). Il n'y a, en effet, que l'espérance qui ait des droits à la miséricorde auprès de vous ; vous ne faites couler l’huile de la miséricorde que dans les vases de l'espérance. Il y a pourtant une espérance trompeuse qui ne renferme Que des malédictions dans son sein, c'est celle qui vit dans le péché. Après cela, peut-être ne doit-on point l'appeler espérance, ce u'est peut-être qu'une sorte d'insensibilité et de dissimulation pernicieuse. Qu'est-ce, en effet, que l'espérance pour quelqu'un qui n'a pas même la pensée du danger? Et que peut être le remède de la crainte lorsqu'il n'y a point de crainte, et qu'on ne voit pas même qu'il y ail sujet de craindre ? L'espérance est une consolation; mais quel besoin de consolation peut éprouver celui qui est heureux du mal qu'il fait, et est au comble de la joie dans les pires choses ? Prions donc, mes fières, qu'on nous dise quelles sont nos iniquités et nos fautes ; désirons qu'on nous ouvre les yeux sur nos crimes et nos délits. Scrutons nos voies et nos sentiments , et pesons avec une attention scrupuleuse tous les périls qui nous menacent. Que chacun de nous répète au milieu de ses craintes : « Je vais aller jusqu'aux portes de l'enfer, pour ne plus respirer que dans la miséricorde de Dieu. » L‘espérance véritable pour l'homme est celle que la miséricorde ne repousse point, et dont parle le Prophète quand il dit : « Le Seigneur se complaît dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde (Psal. CXLVI, 11). » Or, il n'y a point pour nous une cause petite de craindre, si nous nous considérons, et d’espérer, si nous avons les yeux élevés vers Dieu. Il est doux et bon, en effet, ses miséricordes sont abondantes; il est facile à l'égard .de notre malice, et il est bien porté à pardonner. Nous pouvons en juger, par le fait même de ses ennemis, qui n'ont point trouvé d'autre motif de jeter le blâme sur lui. Ils se disaient, en effet : « Il aura pitié de cette pécheresse, et il ne souffrira pas, si nous la lui amenons, qu'on la mette à mort. On verra alors manifestement qu'il est ennemi de la Loi, puisqu'il aura absous une personne que la loi condamne. O pharisiens ! votre malignité retombera tout entière sur votre tête. Vous vous défiez de votre cause, puisque vous vous retirez à la dérobée, et dès lors qu'il n'y a plus là personne pour accuser cette femme, elle reçoit son pardon sans qu'il soit porté atteinte à la Loi.

4. Mais remarquons, mes frères, où les pharisiens se sont retirés en s'éloignant. Ne voyez-vous point ces deux vieillards (vous savez qu'ils se retirèrent à commencer par les plus vieux), ne voyez-vous point ces deux vieillards allant se cacher dans le verger de Joachim ? Ils cherchent, Suzanne, son épouse, leur cœur est tout occupé d'une pensée mauvaise à son égard. « Cède à nos désirs (Daniel, XII, 20), » lui disent les deux vieillards, ces pharisiens, ces loups, qui n'ont pu dévorer tout à l'heure une autre victime, une pauvre petite brebis errante, il est vrai. « Cède à nos désirs, et laisse-nous-nous unir à toi. » O hommes qui avez vieilli dans le mal, tout à l'heure vous vous faisiez les dénonciateurs de l'adultère, et en ce moment, vous sollicitez une femme à ce crime. Mais, voilà votre vertu à vous, vous faites en secret ce que vous reprenez en public. Voilà pourquoi vous vous en alliez les uns après les autres, celui qui lit au fond de tons les cœurs avait frappé juste et fort sur vos consciences, quand il s'était écrié : «Que celui d'entre vous qui est sans péché, lui jette le premier la pierre (Joan. VIII, 7). » C'est donc à bien juste titre que la Vérité a dit à ses disciples : « Si votre justice n'est pas plus pleine que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matt. V, 20). » Si tu ne consens, continuent-ils, nous rendrons témoignage contre toi. O race de Chanaan, non de Juda, ce n'est certes pas ce que Moïse avait prescrit dans la Loi. Est-ce que celui qui a ordonné de lapider une adultère a voulu qu'on accusât une femme sage ? Est-ce qu'en réglant qu'on écraserait la femme infidèle sous les pierres, il a prescrit aussi qu'on rendrait faux témoignage contre une femme innocente ? Bien loin de là, mais il a établi que les faux témoins seraient punis de la même manière que la femme adultère (Deut. XIX, 46, et Prov. XIX, 9). Et vous qui vous glorifiez dans la Loi, vous déshonorez Dieu en prévariquant contre la Loi.

5. « Suzanne poussa un soupir et dit : Il n'y a pour moi que périls de quelque côté que je me tourne. » Partout, en effet, la mort s'offrait à ses yeux, d'un côté, la mort du corps, de l'autre, celle de l'âme. « Si je fais ce que vous voulez, dit-elle, je suis morte, et si je ne le fais point, je ne puis échapper à vos mains. » O pharisiens! ni la femme adultère, ni la femme de bien n'échappe à vos mains; ni le saint, ni le pécheur, ne sont à l'abri de vos accusations. Vous fermez les yeux sur vos propres péchés, quand les péchés d'autrui ne vous font point défaut, et s'il se trouve quelqu'un sans péché, vous lui imputez le vôtre. Mais que fit Suzanne ainsi placée entre la mort de l'âme et celle du corps, et menacée des deux côtés ? « Mieux vaut pour moi, dit-elle, ne point faire ce que vous demandez et tomber entre vos mains, que d'abandonner la loi de mon Dieu. » Évidemment, elle savait combien il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant, car, pour les hommes, s'ils peuvent quelque chose sur le corps, ils ne peuvent plus rien ensuite sur l'âme ( Matt. X, 28), mais celui qu'il faut craindre, c'est celui qui, après avoir frappé le corps, peut ensuite envoyer l'âme en enfer. Pourquoi les serviteurs de Joachim tardèrent-ils tant à venir? Qu'ils fondent donc par la porte dérobée, car un cri vient de se faire entendre dans son verger, le cri de loups ravissants auquel se mêlent les bêlements d'une pauvre petite brebis qui se trouve au milieu d'eux. Mais celui qui n'a pas permis que la brebis errante qui méritait son sort périt sous leur dent, ne permettra pas non plus que l'innocente soit dévorée par eux. Aussi est-ce avec raison que même « en marchant à la mort, son cœur avait confiance dans le Seigneur, « dont la seule crainte avait chassé de son âme toute autre crainte, et lui avait fait préférer sa Loi sainte à sa vie, à sa réputation même. » Jamais il n'avait couru sur le compte de Suzanne un bruit comme celui-là ; les parents étaient aussi des gens de bien, et son mari un des plus honorables de tous les Juifs. Aussi est-ce avec justice crue cette femme, qui avait eu faim de la justice au point de mépriser pour elle la mort du corps, l'opprobre de sa famille, le deuil incontestable de ses amis, s'est vue enfin justement vengée de ses injustes accusateurs, de la main même par son juste Juge.

6. Et nous aussi, mes frères, si nous avons entendu ces paroles de la bouche du Christ. » Ni moi non plus, je ne vous condamnerai point; » si nous sommes résolus à ne plus pécher contre lui, si enfin nous voulons mener une vie pieuse en lui, il faut que nous supportions avec patience la persécution, que nous ne rendions point le mal pour le mal, ni une malédiction pour une malédiction, sinon ceux qui n'auront point conservé la patience perdront la justice même, c'est-à-dire la vie; en un mot, ils perdront leur âme. « Je me réserve la vengeance, dit le Seigneur, et c'est moi qui l'exercerai (Rom. XII, 19). » Il en est, en effet, ainsi. Il exercera la vengeance, mais si vous la lui abandonnez, si vous ne lui enlevez point le jugement, si enfin vous ne rendez point le mal à ceux qui vous font du mal. Il rendra la justice, mais à celui qui souffre l'injustice, il jugera avec équité, mais c'est en faveur des hommes au cœur doux sur la terre. Si je ne me trompe, vous trouvez long et pénible d'attendre les délices; il ne faut pourtant point vous étonner de cette attente, car ce sont des délices. Elles ne chargeront point ceux mêmes qu'elles auront rassasiés, bien plus, elles ne répugneront point à ceux qui en auront encore la bouche pleine.

7. L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth (Luc. I, 26). » Vous vous étonnez qu'un aussi petite ville que Nazareth soit honorée par l'envoi d'un messager (et quel. messager) d'un aussi grand Roi ? Mais c'est que dans cette humble cité est caché un trésor d'un grand prix, oui, caché, mais pour les hommes, non pour Dieu. Marie n’est-ce point, en effet, le trésor de Dieu? Son cœur est partout où elle se trouve. Ses yeux ne cessent d'âtre abaissés sur elle, partout il regarde l'humilité de sa servante. Le Fils unique du Père connaît-il le ciel ? S'il le connaît, il connaît donc Nazareth. Pourquoi, après tout, ne connaîtrait-il point sa patrie ? Pourquoi ignorerait-il le lieu de son héritage? Si le ciel est à lui par son Père, Nazareth est sa patrie par sa mère, car il est 'en même temps le Fils dé David et son Seigneur. « Le ciel est pour le Seigneur, mais il a donné la terre aux enfants des hommes (Psal. CXIII, 25). » Ils lui reviennent donc l'un et l'autre, parce qu'il est non-seulement le Seigneur, mais encore le Fils de l'homme. Aussi entendez comme il revendique la terre à ce titre, et comme il la partage ensuite à titre d'époux. « Les fleurs, dit-il, ont commencé à paraître dans notre terre (Cant, II, 12). » Ce langage convient bien en ce cas, puisque Nazareth signifie fleur. La fleur de la racine de Jessé aime une patrie où poussaient les fleurs; celui qu'on appelle la fleur du champ, le lis des vallées grandit volontiers au milieu des lis. Trois choses, trois grâces se font particulièrement remarquer dans les fleurs : l'éclat, l'odeur et le fruit en espérance. Vous serez donc une fleur pour Dieu, et il se complaira en vous, si, à l'éclat d'une vie pure et sainte, et à la bonne odeur d'une foi irréprochable, vous ajoutez l'intention à la récompense future, car vous savez que le fruit de l'esprit n'est autre chose que la vie éternelle.

8. « Ne craignez point, ô Marie , car vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. » Quelle grâce ? une grâce pleine, une grâce singulière dois-je dire singulière ou agréable ? Je dirai l'un et l'autre, attendu qu'elle est pleine, et qu'elle est d'autant plus singulière qu'elle est générale, car il n'y a qu'elle qui ait reçu la grâce générale d'une façon si particulière. Oui, je le répète, elle a reçu une grâce d'autant plus singulière qu'elle est générale, car seule entre toutes les femmes, ô Marie, vous avez trouvé grâce. Elle a donc reçu une grâce singulière, parce que, seule entre toutes, elle a reçu la plénitude de la grâce; et elle a reçu une grâce générale, puisque c'est de sa plénitude que nous recevons tous la grâce, selon ce mot : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni (Luc. I, 28). » Sans doute, ô Marie, il est bien le fruit de votre ventre, mais, par vous, il est allé à toutes les âmes. Voilà comment jadis, oui voilà comment toute la rosée du ciel était tombée sur la seule toison, comment aussi elle était tombée tout entière sur la terre : mais elle ne fut nulle part sur la terre aussi' entière qu'elle se trouva dans la toison. Il n'y a qu'en vous, que le grand roi, le roi riche et puissant entre nous, s'est anéanti, que le sublime s'est humilié, que l'immense s'est fait petit, plus petit même que les anges, que le vrai Dieu enfin, le vrai fils de Dieu s'est incarné. Mais quel fruit avait-il en vue de produire? C'était de nous enrichir tous par sa pauvreté, de nous élever par son abaissement, de nous grandir par son rapetissement, de nous rattacher à Dieu par son incarnation, et de nous faire commencer à devenir un seul et même esprit avec lui.

9. Mais que dis-je, mes frères ? Quel vaisseau réclame surtout la grâce pour y être versée ? Si, comme je l'ai déjà dit, la confiance est le vaisseau où doit couler la miséricorde, et la patience celui qui doit contenir la justice; quel est celui que nous jugerons propre à recevoir la grâce ?Le baume demande un vase aussi pur que solide. Or, où trouver un vaisseau plus pur et plus solide que l'humilité du cœur? Aussi, est-ce avec raison que Dieu donne sa grâce aux humbles, et avec raison qu'il jette les yeux sur son humble servante. Pourquoi est-ce avec raison, me demandez-vous ? Parce qu'un cœur humble n'est occupé par aucun mérite humain qui empêché la plénitude de la grâce divine d'y couler en liberté. Mais pour atteindre à cette humilité-là, il faut gravir quelques degrés: Le premier degré est celui où le cœur de l'homme qui aime toujours le péché et n'a point encore remplacé ses mauvaises dispositions par de meilleures résolutions, est fermé à la grâce par ses propres vices. Le second est celui où, après avoir résolu de se corriger et de ne plus retomber dans ses premières iniquités, l'homme a encore le cœur fermé à la grâce par ses péchés passés, tant qu'ils restent en son âme, bien qu'ils semblent, en quelque sorte, déjà coupés flans la racine. Or, ils restent dans l'âme jusqu'à ce qu'ils soient lavés dans les eaux de la confession et étouffés par les dignes fruits de pénitence qui croissent après eux. Mais que je vous plains s'il vous arrive de tomber alors dans l'ingratitude, qui est un mal pire peut-être que tous vos vices et vos péchés; il n'y a rien évidemment de plus contraire à la grâce. Avec le temps, nous perdons un peu de la chaleur des premiers jours de notre profession, peu à peu notre charité se refroidit, l'iniquité prend le dessus, et nous succombons sous le poids de la chair, après avoir commencé par l'esprit. C'est comme cela, en effet, que nous en venons à ne plus savoir quels biens nous avons reçus de Dieu, et à nous montrer aussi pleins d'ingratitude que vides de piété. Nous laissons la crainte de Dieu, nous négligeons la solitude religieuse; bavards, curieux, facétieux, détracteurs même et murmurateurs, occupés de bagatelles, ennemis dit travail et de la discipline, voilà ce que nous sommes, toutes les fois que nous pouvons l'être sans nous faire remarquer, comme si, pour n'être point noté, un pareil état en était moins mauvais. Comment nous étonner ensuite de nous trouver dépourvus de la grâce, quand elle rencontre en nous de pareils obstacles? Mais, au contraire, si, selon ce que, dit l'Apôtre, nous témoignons à Dieu notre reconnaissance, afin que la parole du Christ, la parole de la grâce habite en nous (Coloss. III, 15), si nous sommes pieux, scrupuleux, fervents, gardons-nous bien de faire fond sur nos mérites, et de nous appuyer sur nos œuvres, autrement la grâce n'entrera point dans notre cœur, elle le trouverait plein, et il n'y aurait plus de place pour elle en lui.

10. Avez-vous remarqué la prière du Pharisien? Il n'était ni voleur, ni injuste, ni adultère (Luc. XVIII, 12). Ne vous imaginez pas non plus qu'il fût stérile en fruits de pénitence ; il jeûnait deux fois la semaine, et donnait la dîme de tous ses biens. Ne croyez pas davantage qu'il eût l'âme ingrate: Ecoutez-le, en effet, s'écrier : « Mon Dieu, je vous rends grâces. » Mais, son cœur n'était pas vide, il n'était point abaissé, il n'était pas humble ; il était plein d'orgueil. En effet, ce n'est pas de voir ce qui lui manquait encore qu'il se mettait en peine, mais il s'exagérait ses mérites: aussi n'était-ce point en son âme une grosseur ferme et solide, ce n'était qu'une tumeur; c'est pourquoi, après avoir simulé la plénitude, il revint vide. Au contraire, le Publicain qui s'était anéanti et qui avait eu à cœur de présenter un vaisseau complètement vide, remporta une grâce plus abondante. Aussi, mes frères, si nous voulons trouver la grâce, abstenons-nous d'abord de tout mal, puis faisons pénitence de nos péchés passés; ensuite, travaillons à nous montrer au Seigneur pieux et complètement humbles; car, c'est sur ceux qui se trouvent dans ces dispositions d'âme qu'il se plaît à abaisser les yeux, selon ce mot du Sage : « La grâce de Dieu et sa miséricorde sont sur les saints, et ses regards favorables se reposent sur les élus (Sap. IV, 15). » Peut-être est-ce pour ces motifs qu'il rappelle quatre fois à lui l'âme qui captive ses regards, lorsqu'il dit : « Revenez, revenez, ô Sunamite; revenez, revenez afin que je vous considère (Cant. VI, 12) ; » il ne veut point qu'elle reste dans l'habitude du péché, et dans la conscience de ses fautes, ni dans la tiédeur et dans la torpeur de l'ingratitude. Puissions-nous être soustraits à ce quadruple péril et en être éloignés par Celui qui a été fait pour nous par Dieu le Père, sagesse et justice, sanctification et rédemption, par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne en Dieu, avec le Père et le Saint-Esprit pendant les siècles infinis des siècles. Ainsi soit-il.

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