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BASILE - LIBANIUS

BASILE A LIBANIUS. CCCXXXV—CXLII.
LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVI—CXLIII.
BASILE A LIBANIUS. CCCXXXVII—CXLIV.
LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVIII—CXLV.
BASILE A LIBANIUS. CCCXXXIX-CXLVI.
LIBANIUS A BASILE. CCCXL-CXLVII.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLI—CXLVIII.
BASILE A LIBANIUS. CCCXLII—CXLIX.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLIII—CL.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIV—CLI.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLVI—CLIII.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLVII—CLIV.
BASILE A LIBANIUS. CCCXLVIII—CLV.
LIBANIUS A BASILE. CCCXLIX—CLVI.
BASILE A LIBANIUS. CCCL—CLVII.
BASILE A LIBANIUS. CCCLI—CLVIII.
LIBANIUS A BASILE. CCCLII—CLIX.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIII—CLX.
LIBANIUS A BASILE. CCCLIV—CLXI
LIBANIUS A BASILE. CCCLV—CLXII.
BASILE A LIBANIUS. CCCLVI—CLXIII
LIBANIUS A BASILE. CCCLVII.
LIBANIUS A BASILE. CCCLVIII.
BASILE A LIBANIUS. CCCLIX.
 

BASILE A LIBANIUS. CCCXXXV—CXLII.

 

Saint Basile avait étudié à Constantinople sous le rhéteur Libanius, qui était né dans le paganisme , et qui y resta toujours attaché. Ce rhéteur avait beaucoup de réputation et de mérite. Ils demeurèrent toujours unis , malgré la différence de religion, et ils entretinrent un commerce de lettres , comme ou le voit par celles qui suivent. Saint Basile avait tant de confiance dans la probité de Libanius , qu'il lui envoyait le plus de Cappadociens qu'il pouvait pour être instruits à son école. Il lui en envoie , et lui en recommande un dans la lettre suivante.

 

J'AI honte de vous envoyer les Cappadociens les uns après les mitres, de ne pouvoir persuader tous nos jeunes gens à la fois de s'appliquer à l’étude

 

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de l'éloquence et des lettres, et de se mettre sous votre discipline pour profiter de vos instructions. Mais comme il est impossible de les trouver tous ensemble disposés à choisir ce qui leur convient, je vous les envoie à mesure que je les persuade, et je crois leur rendre le même service qu'à un homme pressé par la soif que je conduirais à une fontaine d'eau pure. Celui qui va maintenant vous joindre, ne tardera pas à être recommandable par lui-même , quand il aura été quelque temps à votre école. Il n'est maintenant connu que par son père, à qui la régularité de ses moeurs, les grandes places qu'il occupe, ont fait un nom parmi nous. C'est un de mes plus chers amis. Je ne puis mieux reconnaître l'amitié qu'il a pour moi, que de rendre son fils votre disciple, avantage que ne peut trop estimer quiconque sait distinguer le mérite.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVI—CXLIII.

 

Cette lettre est la réponse à la précédente. Libanius annonce à saint Basile l'arrivée de son Cappadocien : il le félicite de la sagesse et des talons qu'il a montrés dès son jeune âge, et du genre de vie qu'il a embrassé.

 

 

Il y a déjà quelque temps que le jeune Cappadocien est arrivé. C'est un avantage qu'il soit né en Cappadoce, et de la plus illustre famille : mais il m'a apporté une lettre de l’incomparable Basile ; qu'est-ce qui pouvait plus m'intéresser ? moi qui vous ai oublié, à ce que vous dites, je vous respectais quoique vous fussiez encore l'ont jeune, quand je vous voyais le disputer aux vieillards en

 

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sagesse, et cela dans une ville le centre des plaisirs; quand je vous voyais avoir fait déjà de grands progrès dans l'éloquence Depuis que vous crûtes nécessaire de faire un voyage à Athènes, et que vous eûtes déterminé Celse à vous y suivre, je félicitais celui-ci de son étroite amitié avec vous. Lorsque vous fûtes retourné dans votre patrie, je me disais à moi-même : Que fait maintenant Basile ? quel genre de vie a-t-il embrassé ? suit-il le barreau à l’exemple des anciens orateurs ? où enseigne-t-il l'éloquence aux enfants des premières familles? On m’apprit que vous étiez entré dans une bien plus excellente route , que vous songiez à plaire à Dieu sans penser à amasser des richesses: j'enviai votre bonheur et celui des Cappadociens; je vous estimai heureux, vous d'avoir su prendre un tel parti, et les Cappadociens de posséder un citoyen de votre mérite.

 

Nota. J'ai supprimé la seconde partie de cette lettre, comme étant obscure et peu intéressante.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCXXXVII—CXLIV.

 

C'est pour recommander deux Cappadociens aux soins de Libanius que saint Basile lui écrit. La lettre est pleine de cette politesse ingénieuse qui loue finement et sans fadeur celui qui le mérite.

 

 

VOICI un autre Cappadocien que je vous envoie, qui est aussi un de nies enfants: la place où je suis les rend tous mes enfants adoptifs. Sur ce pied-là il doit être regardé comme frère du précédent, et nous devons en prendre le même soin, moi qui lui tiens lieu de père, et vous qui serez son maître, s'il est possible que vous ayez des égards particuliers

 

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pour ceux qui viennent de ma part. Je dis s'il est possible; car je suis persuadé que vous êtes le même pour tous ceux qui écoutent vos leçons, et que là-dessus vos plus anciens amis n'ont aucun privilège. Il suffira au jeune homme, avant que l’âge lui ait donné de l’expérience, d’être compté parmi vos disciples. Renvoyez-le-nous tel, qu'il remplisse notre attente et qu’il réponde à votre réputation dans l'art de la parole. Il amène avec lui un jeune homme de son âge, qui a la même passion pour l’éloquence. Il est de bonne famille, et m'est également cher. Je me flatte que vous le traiterez aussi bien que les deux autres, quoiqu’il soit beaucoup moins riche.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXXXVIII—CXLV.

 

Cette lettre est la réponse de Libanius à saint Basile: elle renferme une louange très-fine et très-délicate de la lettre de celui-ci. Le rhéteur annonce le plus noble désintéressement , en disant qu'il prend autant de soin des pauvres qui ne donnent rien , que des riches.

 

JE sais que vous m'écrirez souvent: Voici un autre Cappadocien que je cous envoie. Vous m'en enverrez , je suis sûr, un bon nombre, parce que vous faites de perpétuels éloges de moi, et que par-là vous excitez les pères et les enfants. Mais je ne dois pas vous taise ce qui est arrivé à votre agréable lettre. J'avais avec moi plusieurs personnages distingués qui ont été dams les charges, entr'autres l’admirable Alypius, cousin. du fameux Hiéroclès. Quand on meut remis votre lettre, et que je l'eus parcourue tout bas : Je suis vaincu, disais-je tout haut d'un air riant et satisfait.

 

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De quelle défaite parlez-vous, me demandèrent ceux qui étaient présents, et pourquoi n’êtes-vous pas fâché si vous êtes vaincu. J'ai été vaincu, leur répondis-je, en fait de lettres gracieuses: Basile est le vainqueur; Basile est mon ami, et c'est ce qui cause ma joie A ces mots, ils témoignèrent qu'ils voulaient être eux-mêmes juges de la victoire. Alypius lut votre lettre, les autres l’écoutèrent: il fut décidé d'une voix unanime, que je ne m'étais pas trompé. Le lecteur gardait votre lettre, il voulait l'emporter, sans doute pour la faire voir à d’autres, et il ne la rendit qu'avec peine. Ecrivez-moi donc toujours de pareilles lettres, et soyez toujours vainqueur. Une telle défaite sera pour moi une victoire. Au reste, vous avez raison de penser que nos leçons ne s'achètent pas avec de l’argent. Quand on ne peut pas donner, il suffit qu'on puisse recevoir. Pour moi, si je rencontre quelqu'un qui suit pauvre, mais passionné pour l’éloquence, je le préfère aux riches. Quand j'étuis jeune, je n'ai pas trouvé des maîtres de ce caractère; mais rien n'empêche que je ne vaille mieux de ce côté. Qu'aucun pauvre n'hésite donc à venir ici, pourvu qu'il possède l'envie et la facilité du travail.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCXXXIX-CXLVI.

 

St. Basile badine agréablement sur les louanges que Libanius a prodiguées a sa dernière lettre : il prétend ne point mériter ces louanges. Il lui envoie un nouveau disciple.

 

 

QUE ne peut point dire un rhéteur, et un rhéteur tel que vous ? On sait que le propre de son art est

 

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de faire paraître petit ce qui est grand, et de donner une granule idée des plus petites choses. C’est ainsi que vous venez d'en user à mon égard. Une lettre misérable, telle que vous devriez la traiter vous autres qui écrivez avec tant de délicatesse. une lettre qui ne vaut pas mieux que celle que vous avez entre les mains, vous la vantez au point de vous dire vaincu par elle, et de me céder la gloire de bien écrire ! Vous faites à peu-près comme ces pères qui, pour se divertir, laissent leurs enfants s'applaudir de la victoire qu'ils leur ont cédée. Par cet artifice, ils ne se font point tort à eux-mêmes, et ils entretiennent l'émulation de leurs enfants. En vérité, on ne peut tien imaginer de plus agréable que ce que vous en avez écrit pour vous amuser. C'est à peu-près comme si Polydamas ou Milon (1) n'osaient entrer en lice avec moi pour la lutte ou pour le pugilat. J'ai eu beau chercher, je n'ai pu trouver d'exemple qui exprime bien ma faiblesse. Ceux qui aiment les hyperboles admireront plus le jeu que vous vous êtes permis en vous abaissant jusqu'à moi, que si vous aviez fait naviguer un Xerxès sur le mont Athos (2). Pour nous, nous n'avons de commerce qu'avec Moïse, Elie, et d'autres saints hommes, qui nous présentent leur doctrine dans un langage barbare. Nous prêchons leurs maximes, dont le

 

(1) Polydamas et Milon , deux athlètes fameux dont il est parlé dans le discours sur la lecture des livres profanes.

(2) Athos , montagne de Thrace , les autres disent de Macédoine. On sait que Xerxès, dans son expédition contre les Grecs , la fit percer pour y faire entrer la mer et y faire passer sa flotte. Cette entreprise exécutée avait laissé une grande idée de la puissance de ce prince. Un Xerxès , le grec dit un barbare . Personne n'ignore que les Grecs appelaient barbare tout ce qui n'était pas grec.

 

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sens est aussi admirable que les expression, en sont grossières. Vous pouvez le remarquer par ce que je vous écris; car le temps m'a fait oublier ce que j'ai appris de vous. Ecrivez-moi toujours, mais choisissez des sujets qui, en faisant paraître votre habileté, ne me fassent pas rougir. Je vous ai envoyé le fils d'Anysius, que je regarde comme mon propre fils. Or , s'il est mon fils , il ressemble à son père, c'est-à-dire qu'il est aussi pauvre que moi. Vous devez m'entendre , étant un rhéteur aussi habile.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXL-CXLVII.

 

Libanius répond à la lettre de saint Basile : il lui dit que tous ses efforts pour décrier la lettre précédente , n'out fait que produire une lettre qui ne lui est pas inférieure ; que, quoi qu'il fasse, il n'est pas en lui de mal écrire.

 

QUAND vous auriez médité longtemps sur le meilleur moyen d'appuyer ce que je vous ai écrit touchant votre lettre, vous n'auriez pu mieux réussir qu'en m'écrivant ce que vous venez de m’écrire. Vous me donnez le nom de rhéteur, et vous dites que l'art du rhéteur est de faire paraître petit ce qui est grand, et grand ce qui est petit; que j'ai voulu par ma lettre montrer que la vôtre est belle, quoiqu'elle ne soit pas belle, quoiqu’elle ne vaille pas mieux que la dernière; qu’en général vous n'avez aucun talent pour l'éloquence, avant oublié ce que vous en aviez appris auparavant, et les livres que vous avez à présent entre les mains ne pouvant la donner: et tout en voulant nous persuader cela, vous avez fait une lettre

 

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dont vous dites beaucoup de mal, mais qui est si belle , que ceux qui étaient avec moi sautaient de joie en la lisant. Je suis donc étonné que, voulant détruire votre première lettre par la dernière, vous l'ayez même embellie par la ressemblance qu'on a trouvée entre toutes les deux. Avec le dessein que vous aviez, vous auriez dît faire une lettre inférieure, afin de décrier la précédente. Mais, sans doute, il n'était pas dans votre nature de blesser la vérité: or, vous l'auriez blessée en affectant d'écrire mal, et en ne suivant pas votre talent. Prenez donc garde aussi de blâmer ce qui mérite d'être loué, de crainte qu'on ne vous mette au nombre des rhéteurs, si vous vous efforcez de faire paraître petit ce qui est grand en effet. Continuez de lire ces livres dont le sens, dites-vous, est aussi admirable que la diction en est grossière ; personne ne votes en empêche: mais les traces de nos livres, qui étaient autrefois les vôtres, sont encore et seront toujours gravées dans votre mémoire, tant que vous vivrez; et quoique vous en négligiez l'étude, le temps ne pourra jamais les effacer de votre esprit.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXLI—CXLVIII.

 

Libanius se plaint du silence de saint Basile , qui avait interrompu leur commerce épistolaire : il le prie de lui écrire, en lui témoignant l'estime qu'il faisait de ses lettres.

 

 

Vous ne m'avez pas encore pardonné ma faute, ce qui me fait trembler en vous écrivant. Que si vous m'avez pardonné, pourquoi ne m’écrivez-vous pas, ô le meilleur des hommes si vous conservez

 

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quelque chagrin, ce qui est fort éloigné de tout caractère raisonnable, et principalement du. vôtre , pourquoi vous qui prêchez aux autres qui il ne faut point garder sa colère jusqu'au coucher du soleil, la gardez-vous pendant plusieurs soleils ? Peut-être que vois avez voulu me punir, en me privant de vos paroles plus douces que le miel. N’en usez pas de la sorte, ô mon généreux ami ! soyez plus complaisant à mon égard, et faites-moi jouir de vos lettres, qui me sont plus précieuses que l'or.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCXLII—CXLIX.

 

Toute cette lettre roule sur une allégorie: de la rose , et des épines dont elle est environnée. Saint Basile compare les lettres de Libanius à des roses, et les reproches qu'il y insère à des épines.

 

CEUX qui aiment les roses, comme font tous ceux qui aiment ce qui est beau, ne se fâchent point contre les épines dont la rose est accompagnée. Il me souvient d’avoir entendu quelqu’un, soit qu'il parlât sérieusement ou pour se divertir, qui disait que, comme les peines légères ne font que réveiller l'amitié, les épines dont la nature a environné les roses, sont autant d'aiguillons qui ne font que redoubler l'ardeur qu'on a de les cueillir. Il n'est pas nécessaire que je fasse l’application de ces épines et de ces roses à votre lettre, qui par sa douceur a été pour moi la fleur de la rose, m'a fait goûter tout le charme du printemps, et dont les plaintes et les reproches sont comme autant d'épines. Mais ces épines me font plaisir ; elles ne font qu'enflammer davantage mon amitié pour vous.

 

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LIBANIUS A BASILE. CCCXLIII—CL.

 

Libanius fait un bel éloge de l'éloquence de saint Basile , en disant que cette éloquence lui était naturelle, tandis que lui , Libanius , était obligé, pour entretenir la sienne , de lire tous les jours les grands modèles.

 

SI ce que vous m'écrivez n'est que l'expression d'un talent brut , que serait-ce donc si vous vouliez le polir ? Nuls ruisseaux ne sont comparables aux fleuves d'éloquence qui coulent naturellement de votre bouche. Pour nous, si nous n'étions arrosés tous les jours, il ne nous resterait qu'à garder le silence.

 

 

BASILE A LIBANIUS. CCCLIV—CLI.

 

Il s'excuse sur la crainte et sur le défaut d'habileté , de ce qu'il lui écrit rarement : il se plaint de la paresse de Libanius, qui écrivant si bien , et à qui les lettres coûtaient si peu.

 

Si je vous écris rarement, la crainte et mon défaut d’habileté en sont cause. Mais vous, comment pourrez-vous justifier votre silence opiniâtre? Quand on se rappelle que vous passez votre vie dans l'exercice de l’éloquence, peut-on ne pas attribuer à de l'oubli pour moi votre paresse à m'écrire ? Celui qui parle aisément doit écrire aisément ; et si avec le talent de parler il n'écrit pas, il est clair qu'il ne le fait que par dédain ou par oubli. Je me vengerai de votre silence par un salut. Je vous salue donc, ô mon respectable ami: écrivez-moi, si vous le jugez à propos; ne m'écrivez point, si vous le trouvez plus commode.

 

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LIBANIUS A BASILE. CCCXLV —CLII.

 

On voit par cette lettre toute l'estime que Libanius faisait de saint Basile, de ses discours et de ses lettres : il lui fait un reproche obligeant , de ce que, dans une circonstance , il avait refusé de l'instruire.

 

J'Ai plus besoin de m'excuser de n'avoir pas commencé depuis longtemps à vous écrire, que de commencer aujourd'hui. Je suis toujours le même qui accourcis avec tant d'empressement lorsque vous parliez en public, qui prêtais l'oreille avec tant de plaisir aux paroles qui coulaient de votre bouche, qui étais si charmé de vous entendre, qui ne me retirais qu'avec peine, en disant à mes amis: Cet homme est bien supérieur aux filles d'Achélaüs (1); il charme comme elles, et il ne nuit pas comme elles: ou plutôt, ses beaux discours, loin d'être nuisibles, sont fort utiles à ceux qui les écoutent. Puisque je pense ainsi de vous, que je suis persuadé de votre amitié, et que je passe pour avoir quelque facilité à parler, ce serait une extrême paresse de ne pas vous écrire avec confiance, d autant plus que ce serait me faire tort à moi-même. Car le ne doute nullement que, pour une lettre courte et mal faite, je n'en reçoive de vous une aussi longue qu'agréablement écrite, et que vous ne craigniez à l'avenir

de me faire une nouvelle injure. Cette parole, j'en suis sûr, va soulever bien des personnes, qui me réfuteront par des faits, et qui s'écrieront:

 

(1) Filles d'Achélaüs , ou sirènes , connues dans la fable pour perdre les navigateurs qu'elles charmaient par leurs chants.

 

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Basile a-t-il jamais fait injure à qui que ce soit? c'est comme si l'on accusait Eaque, Minos et son frère (1). Pour moi, je consens que vous me surpassiez dans tout le reste; mais peut-on vous connaître sans ressentir des mouvements de jalousie, et n'est-il pas évident que vous avez fait une faute à mon égard? Si je vous la rappelle, empêchez les personnes de s'indigner et de crier. On ne vous a jamais demandé une grâce facile à accorder; qu'on ne l'ait obtenue; et moi je vous ai demandé une grâce sans pouvoir l'obtenir. Que vous demandais-je donc ? nous promenant souvent ensemble dans le prétoire, je vous priais de m’aider de vos lumières pour saisir la profondeur de l'enthousiasme d'Homère. S’il n'est pas possible, vous disais-je, de pénétrer tout son art, faites-m'en du moins comprendre une partie. Je vous marquais l'endroit où, les Grecs étant malheureux , Agamemnon cherche à adoucir par ses présents celui qu'il a offensé. Ce discours vous faisait rire; et ne pouvant disconvenir que vous pouviez t'obliger si vous vouliez, vous ne le vouliez pas. Trouvez-vous que j'aie tort de me plaindre, vous et tous ceux qui sont fâchés que je vous reproche de m'avoir fait injure?

 

(1) Eaque , Minos et Rhadamanthe son frère étaient recommandables pendant leur vie par une grande équité, et furent choisis, après leur mort, pour être juges des enfers,

 

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LIBANIUS A BASILE. CCCXLVI—CLIII.

 

Libanius renvoie à saint Basile quelques disciples qu'il lui avait confiés : les sentiments de sa lettre suffisent pour montrer qu'il était parfaitement honnête homme.

 

Vous jugerez par vous-même si les jeunes gens que vous m'avez envoyés ont profité avec moi pour l'éloquence. Quelque peu. de fruit qu'ils aient retiré de mes leçons, votre amitié pour moi, j'en suis sûr, vous le fera paraître considérable. Il est un avantage que vous préférez à l'éloquence, je veux dire la sagesse, et l'attention de ne pas se livrer à des plaisirs déshonnêtes ; vous verrez qu'ils ont eu grand soin de se le procurer, et que dans leur conduite ils ont songé, comme il convenait, à ne pas faire honte à celui qui les a envoyés. Recevez donc votre bien, et applaudissez à des jeunes gens dont la pureté des moeurs fait votre gloire et la mienne. Vous exhorter à les chérir , ce serait exhorter un père à chérir ses enfants.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXLVII—CLIV.

 

Libanius avait besoin d'un certain nombre de petites poutres; il les demande d'un ton agréable à St. Basile qui pouvait les lui fournir.

 

TOUT évêque est d'un tel caractère qu'il est fort difficile d'en rien tirer. Connue vous êtes plus

 

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prudent que les autres, cela me fait d'autant plus craindre de ne pas obtenir ma demande. J'ai besoin d'un certain nombre de petites poutres: un autre rhéteur se serait servi d'un terme plus magnifique; il aurait moins cherché à se faire entendre qu'à se faire admirer. Pour moi je n'exprime tout simplement, et je vous dis que, si vous ne m'envoyez pas les poutres dont j'ai besoin, je serai exposé aux injures de l'air.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCXLVIII—CLV.

 

Saint Basile accorde à Libanius sa demande ; mais il lui prouve agréablement que la définition qu'il avait donnée d'un évêque convenait beaucoup mieux à un rhéteur.

 

SI le verbe (1) dont vous avez forgé le mot avec lequel vous caractérisez un évêque, et que vous avez puisé dans les sources abondantes de Platon, si ce verbe, dis-je, signifie faire du gain, examinez, je vous prie, si le mot nous convient plus à nous que vous percez d'un trait si piquant dans votre lettre, qu’à la nation des rhéteurs qui font métier de vendre des paroles. Quel est l'évêque qui ait jamais trafiqué de discours, qui ait exigé un salaire de ses disciples ? Vous mettez en vente des paroles, comme on y met des gâteaux et d'autres marchandises. Vous voyez que vous avez donné de l'humeur à un vieillard qui se venge. Au reste, j'envoie à un rhéteur pompeux autant

 

(1) Ce verbe était gripizein, d'où Libanius avait forgé l’adjectif dusgripistos.

 

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de poutres (1) qu'il y avait de Spartiates qui ont combattu aux Thermopyles. Elles sont toutes d'une bonne longueur, et capables, comme dit votre Homère, de donner beaucoup d'ombre. Le fleuve Alphée s'est engagé à me les rendre (2).

 

LIBANIUS A BASILE. CCCXLIX—CLVI.

 

Libanius badine sur les jeunes Cappadociens que lui envoyait saint Basile ; il les représente comme un peu bruts; mais il s'engage à les polir par ses leçons.

 

Tous ne cesserez donc jamais, mon cher Basile, de remplir le temple des Muses de vos Cappadociens, qui se sentent fort des frimas et des neiges de leur pays. Peu s'en faut qu ils ne m'aient rendu Cappadocien moi-même, en me chantant sans cesse ces paroles: Je vous adore. Mais il faut le souffrir puisque Basile le veut. Au reste, soyez persuadé que j'étudie bien le caractère de vos jeunes gens , et que, par le langage noble et poli de ma Calliope, je les changerai au point que des ramiers sauvages vous paraîtront comme des colombes.

 

(1) Autant de poutres.... Sans doute trois cents ; car on sait que les Spartiates qui périrent tous au passage des Thermopyles , étaient au nombre de trois cents.

(2) Le fleuve Alphée s'est engagé à me les rendre. Tour agréable pour dire qu'il les lui envoie sans exiger qu'il les lui rende.

 

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BASILE A LIBANIUS. CCCL—CLVII.

 

Saint Basile répond à Libanius sur le même ton de plaisanterie. Il représente la Cappadoce comme très-incommode pendant l'hiver, puisque la neige oblige tous les habitants de s'enterrer dans leurs maisons.

 

VOTRE chagrin est un peu passé; souffrez que ce soit là le début de ma lettre. Je vous permets de vous railler de notre pays: mais pourquoi n'avoir fait mention que des neiges et des frimas, lorsque vous aviez contre nous tant d'autres matières à raillerie ? Je vous dirai, mon cher Libanius, pour vous faire bien rire, que j'ai écrit cette lettre sous une couverture de neige. En la recevant, vous sentirez combien elle est froide : elle vous exprimera assez bien l'état de celui qui vous l'envoie, qui est maintenant renfermé dans son repaire sans oser jeter les yeux au dehors. Nos maisons ressemblent à des sépulcres : nous y sommes enterrés jusqu'à ce que revienne le printemps , qui rendra des morts à la vie, et nous redonnera, comme aux plantes, une nouvelle existence.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCLI—CLVIII.

 

Libanius avait prononcé, dans un grand concours de monde, une harangue qui avait été fort applaudie : saint Basile le prie de la lui envoyer ; il marque la plus grande envie de la lire.

 

PLUSIEURS de ceux qui viennent de votre part et que j'ai vus, admirent votre talent; pour l’éloquence.

 

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Ils m'ont dit que vous aviez paru avec le plus grand éclat ; qu'on ne songeait dans toute votre ville qu'a Libanius qui devait parler ; que tout le monde accourait en foule; que tous les âges et toutes les conditions montraient le plus vif empressement pour vous entendre; que les hommes les plus constitues en dignité, que les militaires occupant les premiers grades , que les simples artisans, que les femmes mêmes ne voulaient pas être privées du plaisir d'assister à votre harangue. Quel est donc le sujet du discours qui a attiré tant de monde , qui a réuni une assemblée si brillante? On m'a rapporté que vous aviez fait le portrait du fâcheux (1). Envoyez-moi, je vous conjure, un chef-d'oeuvre qui a été si applaudi, afin que j'y applaudisse moi-même. Moi qui loue Libanius sans voir ses ouvrages, que ne ferai-je pas quand j'aurai entre les mains ce qui lui a mérité tant de louanges?

 

LIBANIUS A BASILE. CCCLII—CLIX.

 

Libanius envoie sa harangue à saint Basile , et témoigne combien il redoute le jugement d'un aussi grand orateur.

 

JE sue de tout mon corps en vous envoyant le discours que vous m'avez demandé. Eh! comment n'éprouverais-je pas une extrême inquiétude en soumettant mon ouvrage à la critique d'un homme

 

(1) Libanius , dans sa harangue, fait parler un homme d'une humeur fâcheuse , qui se plaint amèrement d'avoir épousé une femme babillarde.

 

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qui, par ses talons rares pour l'éloquence, est capable d'effacer l'abondance de Platon et la force de Démosthène ? Pour moi, je ne me regarde auprès de vous que comme un moucheron comparé à un éléphant. Je pense clone et je frémis quand je pense au jour où vous examinerez ma production : peu s'en faut que mon esprit ne s'égare.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCLIII—CLX.

 

Nous avons encore , parmi les ouvrages de Libanius , la harangue dont St. Basile fait un grand éloge dans cette lettre. Je l'ai lue; elle m'a paru agréablement écrite. Il y a de l'action et des pensées ingénieuses ; mais, ainsi que dans ses autres ouvrages, point de grands traits d'éloquence. Libanius avait plus d'esprit que de génie ; il ne montre jamais cette abondance de Platon et cette force de Démosthène qu'il admirait avec raison dans saint Basile.

 

J'Ai lu, ô le plus habile des hommes! la harangue que vous m'avez envoyée, et je l'ai admirée au-delà de tout ce que je saurais dire. O muses et écoles d'Athènes, que vous enseignez de grandes choses à vos élèves ! quels fruits ne recueille-t-on point, pour peu qu'on ait de commerce avec vous ô source intarissable, quels hommes ne deviennent point ceux qui y puisent ? Il me semblait, en vous lisant, voir votre fâcheux lui-même s'entretenir avec une babillarde. Il n'y a que Libanius sur la terre qui ait le talent de composer un discours plein d'âme et de chaleur , qui puisse animer et vivifier la parole.

 

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LIBANIUS A BASILE. CCCLIV—CLXI

 

Libanius annonce combien il est sensible aux louanges de saint Basile ; il le prie de lui envoyer son discours contre l'ivrognerie : c'est l'homélie que j'ai traduite , et qui se trouve dans ce volume.

 

JE crois maintenant mériter toutes les louanges qu'on me donne ; et puisque Basile me loue, il me semble que je suis au-dessus de tout le monde. Fier de votre suffrage , je puis marcher la tête haute , et montrer l'orgueil d'un présomptueux qui méprise le reste du genre humain. Je désire fort de voir votre discours contre l’ivrognerie. Je ne prétends pas en faire un grand éloge d'avance; je dis seulement que, quand je le verrai, il m'apprendra l'art d’écrire.

 

LIBANIUS A BASILE. CCCLV—CLXII.

 

Cette lettre est la réponse à la précédente. Saint Basile avait envoyé à Libanius le discours qu'il lui avait demandé. Ce rhéteur l'avait lu avec tant de plaisir, l'éloquence lui avait paru si attique, qu'il demande à saint Ensile s'il était à Césarée ou à Athènes : il représente la rhétorique même qui fait l'éloge du discours et de l'orateur.

 

HABITEZ-VOUS Athènes, mon cher Basile, et vous êtes-vous oublié vous-même ? Les citoyens de Césarée n'ont pu, sans doute, vous entendre. La Rhétorique dont j’ai dicté les leçons n'était pas

 

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accoutumée à ces prodiges de l'art. Frappée de la beauté et de la nouveauté de vos expressions , comme si elle eut parcouru des routes escarpées et nouvelles , elle semblait me dire : Mon père , ce n'est pas là ce que vous avez enseigné. Cet homme est Homère, c'est Platon, c'est Aristote, c'est Susarion (1) qui savait tout. Voilà ce que me dit de vous la Rhétorique. Je voudrais mériter de votre part d'aussi belles louanges.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCLVI—CLXIII

 

Saint Basile loue délicatement Libanius , et montre combien il était embarrassé de répondre à ses lettres.

 

C'EST un vrai plaisir pour moi de recevoir de vos lettres, mais c'est une vraie peine quand vous exigez que j'y réponde. Eh ! que pourrais-je écrire à un homme qui parle si bien le pur langage d'Athènes ? sinon que je fais profession et que je m'applaudis d'être le disciple de simples pêcheurs.

 

(1) Je n'ai trouvé nulle part quel était ce Susarion dont Libanius fait un si grand éloge.

 

 

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LIBANIUS A BASILE. CCCLVII.

 

Les trois lettres suivantes sont tirées des monuments de l'Eglise grecque , t. 2, p. 96 et 97 , et ne se trouvent pas dans les anciennes éditions. La première , qui n'est qu'un fragment, est de Libanius. Il loue le badinage noble et grave de son ami. On ne sait pas la peine que lui avait causée une de ses lettres, et qu'il le prie de dissiper.

 

POURQUOI Basile a-t-il été fâché d'écrire une lettre que je puis dire être un vrai modèle de bonne philosophie? C'est vous-même qui nous avez appris à badiner, mais à user d'un badinage noble et grave , tel qu'il convient à un vieillard. Je vous en conjure au nom de l'amitié et de nos études communes, dissipez la peine que m'a causée votre lettre

 

LIBANIUS A BASILE. CCCLVIII.

 

Il regrette d'être séparé de son cher Basile. Il le plaint d'avoir été abandonné par Alcimus , abandon que lui fera supporter la douceur de son caractère.

 

O TEMPS heureux, où nous étions tout l'un pour l'autre ? Maintenant nous sommes cruellement séparés. Pour vous, vous avez retrouvé une société qui vous convient ; mais moi, je n'ai rencontré personne qui vous ressemble. J'apprends qu'Alcimus montre dans la vieillesse l'audace du jeune âge, qu'il vole à Rome, et qu'il vous laisse

 

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l’embarras d'être avec des enfants. Comme vous êtes naturellement doux , vous le supporterez sans peine, puisque même vous ne vous êtes pas fait une peine, de m'écrire le premier.

 

BASILE A LIBANIUS. CCCLIX.

 

St. Basile témoigne combien il désirerait d'aller trouver son cher Libanius. Il se plaint agréablement de son silence et l'invite à lui écrire.

 

Vous qui avez renfermé dans votre esprit tout l’art des anciens, vous vous taisez, et vous ne daignez pas même nous faire part dans des lettres de ce que vous savez. Pour moi, si l'art de Dédale était sûr, je me ferais des ailes comme à Icare pour voler vers vous (1). Mais, comme il ne serait pas sage d'exposer de la cire au soleil, au lieu des ailes d'Icare, je vous envoie des paroles écrites, qui vous témoignent toute mon amitié. La nature de la parole est de manifester au-dehors les sentiments du coeur. Vous faites de la parole ce que vous voulez ; et avec un si grand talent vous gardez le silence ! Faites passer jusqu'à nous, je vous en conjure, les sources abondantes qui coulent de votre bouche.

 

(1) Personne n'ignore la fable de Dédale, qui fit pour lui et pour son fils Icare des ailes qu'il attacha avec de la cire , et la chute malheureuse d'Icare, qui s'approcha trop près du soleil.

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