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HEXAËMÉRON X

DISCOURS
PRÉLIMINAIRE.

Les Eglises d'Orient et d'Occident, dans le quatrième siècle, ont produit une foule de grands hommes capables d'honorer, par !étendue de leur génie, par leurs talents et par leurs vertus, non-seulement l'Eglise, mais encore leur siècle et l'humanité toute entière. Athanase, Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Augustin, Jérôme, Ambroise, et beaucoup d'autres encore, malgré leur humilité sincère, ont jeté un éclat qui a effacé, sans contredit, les plus habiles rhéteurs et philosophes de leur temps, et les a placés presque à côté des plus célèbres écrivains de l’antiquité. Basile n'est pas un des moins distingués de ces illustres personnages : des connaissances variées, un sens profond, une diction brillante à la fois et solide, une dialectique vive et triomphante, une vertu austère et rigide, que tempérait une gaîté décente et douce, une âme forte et active, qui, se rendant maîtresse d’un corps languissant et faible, portait ses regards hors de la sphère qu’elle était chargée de mettre en mouvement, s'occupait des intérêts de toute l’Eglise , de chaque Eglise en particulier, de chacun des fidèles, de chacun de ses amis; en un mot, une grande science, un grand caractère, de grandes vertus, de grands talents, ont mérité à Basile le surnom de Grand parmi les hommes de son siècle, et lui ont assuré ce titre dans les générations suivantes.

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Grégoire de Nazianze, cet ami tendre et ardent, l’a loué avec toute la chaleur de l'amitié et du génie. Parmi des beautés d'un ordre supérieur, son panégyrique offre quelquefois des détails beaucoup trop longs et qui ne pourraient plaire dans notre langue. C'est ce qui m'a empêché de le traduire en entier. J'en suivrai la marche, d'autant plus que l'orateur suit le grand homme qu'il célèbre, depuis sa naissance jusqu'à sa mort. J'en détacherai les morceaux qui me sembleront les plus frappants, les plus propres à embellir ce discours préliminaire , que je terminerai par quelques réflexions sur l'éloquence de saint Basile , sur les traducteurs des ouvrages de ce Père, et sur la nouvelle traduction que j'offre maintenant au public. Puisse ce nouveau fruit de mes veilles être aussi agréable aux amateurs de la savante et riche antiquité, qu'utile aux jeunes ecclésiastiques qui voudront puiser l'éloquence sacrée dans les sources!
La famille de saint Basile était ancienne, noble et illustrée. Ses ancêtres paternels et maternels étaient distingués, non-seulement par leur naissance , par leurs richesses, par les honneurs et les places qu'ils avaient obtenus, mais encore par des talents rares qui relevaient ces places et ces honneurs, par des vertus peu communes qui les faisaient estimer et chérir autant qu'ils étaient honorés et admirés, et surtout par une piété héroïque qui leur fit prendre le parti, pendant la persécution de Maximin, de quitter leur ville avec un petit nombre de serviteurs, pour aller s'enfoncer dans les forêts du Pont, où ils vécurent misérablement pendant sept années. Le père et la mère de notre saint évêque avaient des biens dans l'Arménie , dans la Cappadoce et dans le Pont; ce qui lui faisait

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regarder, pour ainsi dire, ces trois provinces comme ses trois patries. L'opinion la plus commune le fait naître à Césarée en Cappadoce, vers l'an 328, de Basile qui était du Pont, et d'Emmélie qui était de Cappadoce. Basile et Emmélie eurent dix enfants, fils et filles, qui tous dix firent le bonheur et la joie de leurs pareras par les plus excellentes qualités de l'esprit et du coeur. Le plus célèbre fut sans doute, le grand Basile. Son père jouissait d'une réputation aussi brillante que bien fondée: il surpassait en mérite tous ses contemporains; et, pour me servir des paroles de saint Grégoire, son fils seul empêcha qu'il ne fût le premier des hommes. Il se chargea lui-même d'instruire la première jeunesse de ce fils précieux qui manqua de lui être enlevé par une maladie violente. Le jeune Basile saisit avidement les principes des sciences et des lettres , dans une maison où il trouvait à la fois des instructions utiles et des exemples d'une piété sublime.
Ce fut dans le Pont qu'il fit ses premières études sous un père habile. Il savait déjà beaucoup , mais plus il savait, plus il était avide d'apprendre. Cette curiosité inquiète, indice non équivoque d'un vrai génie, lui fit désirer de se transporter dans une ville ou il trouvât, sinon de plus savants maîtres, du moins des motifs d'émulation avec des condisciples de son âge, et un théâtre plus étendu où ses talents pussent avoir plus d'exercice. Césarée, ville fameuse, où il avait reçu la naissance, lui offrait ces avantages; il y vole avec l'agrément de son père, et, après y avoir séjourné quelque temps, il passe à Constantinople, qui était alors le centre de l'empire , s'imaginant qu'il trouverait de plus grandes ressources encore qu’à Césarée. Ce fut là probablement qu il forma une

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liaison étroite avec Libanius, rhéteur fort connu, dont il fut le disciple ou l'émule. Ce qu'il y a du certain , c'est que Libanius fut toujours l’admirateur de saint Basile, et que , quoique d'une religion différente (il resta toute sa vie attaché au paganisme), il n'estimait pas moins ses vertus sévères qu'il admirait ses talents distingués.
Dans la Grèce existait une ville, dont le nom est célèbre, qui y avait dominé autrefois, surtout par ses forces navales, par son activité et par son courage. Cette domination n'avait pas été de longue durée, elle était tombée entièrement ; mais elle avait été remplacée par un empire plus flatteur peut-être, l’empire de l'esprit et des lumières, qui durait depuis près de huit siècles. Du temps de Cicéron, des hommes riches envoyaient déjà leurs enfants à Athènes pour y puiser le goût de la saine philosophie et de la bonne littérature. Au temps dont nous parlons , on les y envoyait encore , et pour le même sujet. Basile qui aurait pu sans orgueil se compter parmi les maîtres , qui était en état de donner des leçons aux autres, voulut visiter cette ville, le séjour des lettres et des sciences , le centre du goût et de la politesse , se mettre de nouveau sous la discipline des rhéteurs et des philosophes, comme pour perfectionner et achever son éducation. L'esprit orné des plus belles connaissances dans tous les genres , ayant étudié particulièrement l'art d'expliquer ses pensées avec non moins de clarté que de force, il était déjà connu à Athènes , et sa réputation avait précédé son arrivée dans cette ville savante.
Écoutons ici saint Grégoire de Nazianze, ou du moins le fond de ses idées. Athènes, dit-il, me sera toujours singulièrement précieuse à cause du bien inestimable qu'elle m’a procuré. Elle m'a fait

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connaître ce grand homme qui ne m'était pas entièrement inconnu. En cherchant la science, j'ai trouvé le véritable bonheur , à-peu-près comme Saül qui trouva un royaume en cherchant les ânesses de son père. Nous vivions à Athènes, ajoute-t-il, où le désir de nous instruire et la volonté de Dieu nous avaient réunis au sortir de la même patrie. Je m'y étais rendu quelque temps avant Basile; il m'y suivit de bien près: on l'y attendait avec impatience, et tout le monde avait un extrême désir de s'en emparer d'abord. Les jeunes disciples, athéniens et autres, de toutes les conditions, ont un amour insensé pour les sophistes, c'est une manie qui va jusqu'à la fureur et qu'il est impossible de réprimer. Lorsqu'ils se sont choisi un maître, ils font tout ce qu'ils peuvent pour grossir le nombre de ses disciples et pour l'enrichir par leurs soins. Cet empressement a je ne sais quoi de ridicule et tient de la folie. Ils se saisissent de toutes les avenues, des ports, des hauteurs, des campagnes, des solitudes, de toutes les parties de l'Attique et de la Grèce; et lorsqu'un jeune homme approche d'Athènes, étant tombé entre leurs mains ( car il faut qu'il se rende de gré ou de force), ils livrent cette proie à leur sophiste qui leur en tient un grand compte: c'est une espèce de rétribution pour les soins qu'il prend de les instruire. Voici la réception qu'ils lui font essuyer. On le conduit en grande pompe au bain par la place publique. Ceux qui sont chargés de le conduire, marchent les premiers deux à deux, éloignés les uns des autres à distances égales. Quand ceux qui précèdent sont près d'arriver, comme sils étaient surpris tout-a-coup de quelque fureur subite , ils poussent un grand cri en sautant. C’est un signal pour arrêter ceux

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qui suivent, comme si le bain ne voulait pas s'ouvrir. Ils frappent violemment sur les portes pour intimider le nouveau venu par cette cérémonie. Enfin, après qu'on lui a permis l'entrée du bain, ils le mettent en liberté, et quand il est sorti , ils l'admettent en leur compagnie, et le regardent comme un de leurs condisciples. Je connaissais déjà en partie la gravité des moeurs de Basile, j'avais pour lui une grande vénération; je tâchai d'inspirer les mêmes sentiments à ceux qui le connaissaient moins. Il fut le seul des jeunes gens qui venaient étudier à Athènes, qu'on dispensa d'une réception bruyante et désagréable.
Ce fut-là le commencement de notre amitié , c'est la première étincelle de ce feu qui s'alluma dans nos coeurs, c'est ainsi que nous fûmes, pour ainsi dire , blessés des traits d'un amour réciproque. Ce service et d'autres que je lui rendis encore , les témoignages que nous nous donnâmes mutuellement, resserrèrent de plus en plus notre union , et nous attachèrent inséparablement l'un à l'autre. Nous nous découvrîmes avec le temps nos pensées, et le désir que nous avions de nous livrer à une philosophie sainte. La maison , la table, les penchants , les vues, tout était commun; et le commerce que nous avions ensemble nous fortifiait chaque jour dans nos premières résolutions. Comment peindre les douceurs et les charmes de notre amitié chrétienne et vertueuse , de cette amitié pure que Dieu avouait ? puis-je m'en rappeler le souvenir sans verser des larmes ? Nous avions la même émulation pour les sciences, sans que la jalousie pût jamais trouver accès dans nos coeurs. Nous ne disputions pas à qui l'emporterait, mais à qui cèderait, persuadés que tous nos avantages n'étaient pas puis à l'un qu'à l'autre ; il semblait

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que nous n'eussions qu'une âme en deux corps. Nous n'avions qu'un désir et qu'une affaire, nous n'étions touchés que de la vertu et des espérances de l'avenir; nous ne songions qu'à nous détacher du monde avant que la mort nous en séparât. Nous réglions sur ce plan notre vie et toutes nos actions , nous conformant aux préceptes de la loi divine, et nous animant l'un l'autre à la pratique du bien. Si je ne craignais qu'on ne me soupçonnât de quelque vanité, je dirais que nous nous servions mutuellement de règle , pour discerner le bien d'avec le mal. Nous n'avions de liaison qu'avec des gens modestes et pacifiques, les insolents et les opiniâtres étaient bannis de notre commerce nous ne recherchions que les personnes dont la société pût nous être profitable, dans la persuasion qu'il est bien plus facile de se laisser entraîner au vice que d'attirer à la vertu, comme il est plus aisé de gagner la maladie des autres que de leur rendre la santé. Nous ne connaissions que deux chemins ; l'un nous menait à l'église pour y entendre les interprètes de la loi divine, l'autre nous conduisait chez nos maîtres. Nous renonçâmes de bon coeur aux fêtes , aux spectacles , aux assemblées , aux banquets. Athènes est un séjour d'autant plus pernicieux aux âmes, que les richesses de la Grèce y affluent de toutes parts : l'exemple de tant de gens qui courent après cette idole peut facilement séduire. Mais ce qui pouvait nous perdre ne servit qu'à nous confirmer dans la foi: Mous reconnûmes l'imposture de ces biens périssables ; et ce qui attirait tant d'adorateurs aux démons ne nous donna pour eux que du mépris. Si l’on croit qu'il y a un fleuve (1) dont les eaux

(1) Alphée, fleuve d'Arcadie.
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conservent leur douceur en coulant à travers la mer, ou qu'il est un animal (1) qui vit dans le feu sans s’y consumer : voilà ce que nous étions au milieu de nos condisciples. Nous avions toujours autour de nous une foule des plus illustres, qui suivaient Basile , qui l’écoutaient comme leur maître, le prenaient en tout pour leur règle. Notre réputation s'émit répandue dans toute la Grèce , et au-delà. Nos maîtres étaient aussi célèbres qu'Athènes était fameuse ; nous étions aussi connus que nos maîtres , et tous ceux qui parlaient d'eux, parlaient de nous comme de deux hommes admirables, comme de deux parfaits amis. Les noms de Pylade et d'Oreste n'étaient pas plus révérés chez les Grecs. Basile contribuait à ma gloire autant qu’à ma perfection.
Eh! a-t-on jamais vu (c'est toujours saint Grégoire qui parle et qui s étend avec complaisance sur les louanges de son ami ), a-t-on jamais vu un homme plus prudent et plus sage même avant le temps ? Les jeunes gens et les vieillards le respectaient, ils le mettaient au-dessus des plus fameux personnages de notre siècle et des siècles passés. Qui jamais eut moins besoin de s'instruire pour régler ses moeurs ? qui jamais joignit de si bonnes moeurs à tant de doctrine! Est-il quelque genre d'érudition où il n'ait eu la supériorité, comme s'il ne se fût pas appliqué à autre chose, possédant toutes les sciences en général avec plus d'étendue que les autres ne commissent quelque objet particulier ? Quoique doué d'un esprit vif et pénétrant il étudiait avec une application extrême; de sorte que le travail et l'étude auraient suppléé en lui au défaut de génie. Jamais éloquence n'a été plus

(1) La Salamandre, qui jetée dans le feu, loin d'y périr, l’éteint, si l'on en croit Pline.

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vive et plus animée que la sienne. Nul n'a été plus versé dans toutes les finesses de la grammaire, de cet art qui apprend la langue , qui s'occupe de l’histoire, et de la poésie dont elle donne les règles. Nul n'a plus excellé dans une philosophie parfaite, dans cette science sublime, soit qu'on la regarde du côté de l'action et de la spéculation , ou du côté de la dialectique, c'est-à-dire, du raisonnement et des preuves. Ceux qui disputaient contre lui se seraient plutôt tirés des labyrinthes de la fable que de l'embarras où il les jetait par la force de ses raisons. Il apprit l'astronomie , la géométrie, l’arithmétique ; mais il se contenta d'en savoir autant qu'il en fallait pour se garantir des attaques de ceux qui se piquaient de ces sortes de connaissances. Ses maladies et les remèdes qui il employa lui apprirent la médecine, cette science qui en suppose tant d'autres, et dont il prit ce quelle a de plus noble et de plus relevé. Mais il était surtout profond dans la morale, dont il avoir fait une étude particulière. En un mot , il ressemblait en quelque sorte à un vaisseau plein de marchandises rares et diverses; il savait tout ce qu'on peut naturellement savoir.
Les maîtres de Basile lui étaient aussi fortement attachés que ses condisciples ; mais en vain les uns et les autres firent les plus grands efforts pour le retenir à Athènes qu'il avait résolu de quitter: ils furent obligés de céder à ses raisons pressantes. Il abandonna donc une ville où il laissait un ami tendre qui ne tarda pas à le rejoindre. Que cette séparation fut cruelle ! dit saint Grégoire; il nous semblait qu'on divisait nos corps en deux parties et que nous étions près d'expirer: deux taureaux qui ont été nourris ensemble, et qui ont toujours tiré la même charrue, ne poussent pas des mugissements plus lugubres quand on les sépare.

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De retour à Césarée , Basile , comme nous l'apprend son frère Grégoire de Nysse, se livra aux exercices du barreau, et y signala son talent pour l’éloquence : mais sa soeur Macrine l'arracha à cette occupation profane , et l'engagea à se livrer tout entier à la piété. Il commenta alors, dit-il lui-même dans une de ses lettres, à s'éveiller comme d'un profond sommeil, à regarder la vraie lumière de l'Evangile, et à reconnaître l'inutilité de la sagesse humaine. Il déplora sa jeunesse consumée dans l'acquisition des sciences vaines; et ayant lu dans l’Évangile que le principal moyen pour la perfection est de vendre ses biens, de les donner aux pauvres , de se décharger entièrement des soins et des affections de la vie : il désirait de trouver quelqu'un qui eût suivi cette route et qui pût lui servir de guide, Rempli de cette idée , il entreprit des voyages, et il trouva plusieurs des saints qu'il cherchait, près d'Alexandrie et dans le reste de l'Egypte ; il en trouva en Palestine , en Syrie et en Mésopotamie : car la vie monastique s'était déjà répandue dans toutes ces provinces. Il admira leur abstinence, leur fermeté dans les travaux, leur application à la prière ; comment ils avaient dompté le sommeil , et ne cédaient à aucune nécessité de la nature , gardant toujours leur âme libre et sublime, dans la faim , la soif , le froid et la nudité , négligeant le corps et ne daignant lui donner aucun soin , vivant comme dans une chair étrangère, et montrant par les effets ce que c'est d'être voyageurs ici-bas et citoyens du ciel. Ce sont les paroles de saint Basile, et il ajoute qu'il fut touché d'un désir ardent d'imiter de tels exemples.
Chargé du riche trésor de réflexions pieuses , et plein du projet d'une vie édifiante dont il avait

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admiré les modèles , il revint à Césarée où ses talents et ses vertus le firent ordonner prêtre, après qu'il eut passé par les degrés inférieurs de l'ordre ecclésiastique il eut avec son évêque un différend dont parle saint Grégoire , mais dont il tait la cause. Le peuple , le clergé , plusieurs hommes puissants , prirent parti pour S. Basile ; mais, disciple fidèle d'un maître pacifique , il ne put souffrir que l'Eglise de Césarée fût en division à son sujet; et plutôt que clé rien faire d indigne de lui, il se retira dans sa solitude du Pont , ou il prit la direction de plusieurs monastères qui s'y trouvaient; déjà établis, ou qu'il y établit ensuite lui-même conjointement avec sa soeur Macrine.
Grégoire de Nazianze, cet ami cher, vint enfin l'y joindre : il nous apprend lui-même, dans sa lettre neuvième , comment ils y vivaient. Ils faisaient leurs délices de souffrir ; ils priaient ensemble, ils étudiaient l'Ecriture sainte et ses anciens interprètes : ils travaillaient de leurs mains, portant du bois, taillant des pierres, plantant des arbres , les arrosant, engraissant leur jardin de fumier pour y faire venir quelques herbes, traînant un chariot pesant , et nous apprenant par leur exemple que , pour se maintenir dans la retraite , il ne faut pas se borner à l'étude et à la prière, mais s'occuper aussi des travaux du corps. Ce fut dans cette retraite , ou du moins peu de temps après en être sorti , comme semble l'insinuer Grégoire de Nazianze , que saint Basile composa ses ascétiques, c'est-à-dire, d'excellentes règles pour ceux qui se consacrent à la vie monastique , règles cependant qui peuvent aussi convenir à tous les chrétiens en général.
Une persécution violente qui menaçait l'Eglise de Césarée le tira de sa solitude et le ramena dans

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cette ville. L'empereur Valens, partisan furieux de l'arianisme, voulait l’introduire dans toutes les Eglises. Il croyait pouvoir réussir sans peine dans celle de Césarée , qui manquait d'un chef et d'un défenseur habile. Basile apprend cette nouvelle ; aussitôt faisant avec générosité le sacrifice de tous ses ressentiments, oubliant les anciennes querelles , il accourt à Césarée. Par sa prudence et par ses égards il regagne l'amitié et la confiance de son évêque, qui sentait d'ailleurs combien un tel homme lui était nécessaire dans la circonstance. Il anime les forts, fortifie les faibles , remplit tout le monde de son esprit et de son courage; enfin, grave à ce défenseur aussi éclairé qu'intrépide , l’Eglise de Césarée présente de toutes parts un front si redoutable qu'on n'ose pas même l'attaquer. Quoique simple prêtre , il continue de la gouverner sous Eusèbe; et, si le prélat conduisait le peuple, il servait de guide au prélat même.
        Il s'offrit une occasion qui montra dans tout son jour sa fermeté courageuse et son zèle charitable. La ville fut affligée et désolée par une famine cruelle. Personne ne se mettait en devoir de la secourir. Les pauvres souffraient de la faim, plusieurs même étaient sur le point de périr misérablement ; les riches avares, loin d'ouvrir leurs coeurs à la compassion , enfermaient leur blé afin de le vendre avec plus d'avantage; ils prétendaient trafiquer des misères d'autrui; les calamités publiques étaient pour eux comme une moisson et une récolte : Basile pourvoit à tout , imagine et exécute; par ses exhortations véhémentes, il confond la dureté des âmes cupides , fait ouvrir les greniers ; il console les pauvres et les nourrit , il fait préparer des aliments et les leur sert lui-même. Pauvre volontaire, ayant abandonné tous ses biens

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comme un fardeau incommode , la confiance générale lui remet entre les mains des fonds immenses dont il dispose en faveur des malheureux.
Eusèbe meurt : Basile avait gouverné sous lui l’Eglise de Césarée; il la gouvernera encore avec le titre d'évêque. Il est élevé à l'épiscopat auquel l'appelaient les voeux de tout le peuple , sans aucun désir de sa part , surtout par les démarches et les sollicitations da père de son ami, qui fit taire l'intrigue pour qu’on n'écoutât que la voix des talents, des vertus et des services. Ordinairement ceux qui désirent les places, montrent beaucoup d'activité avant que d’y parvenir , mais laissent ralentir leur zèle dès qu’ils ont obtenu l'objet de leurs voeux. Basile , qui n'avait point désiré la dignité épiscopale , ne la regarda que comme une grande carrière où il devait courir avec plus d'ardeur, que comme un vaste théâtre où sa vertu devait se développer et avec plus d'éclat. Il étendit ses soins sur tous ceux qu'il était chargé de conduire; il cherchait à les gagner tous et à les soumettre par une conduite également douce et ferme. Trop de douceur et de mollesse languit et manque son cet; trop de rigueur et d'austérité choque et rebute : pour éviter ces deux extrêmes, il tempéra sagement ce qu’il y avait peut-être de trop austère dans ses manières , avec une complaisance qui était soutenue d’une grande fermeté. Son exemple et ses actions faisaient plus que ses paroles ; sans avoir recours aux ruses et aux artifices , il se rendait maître des esprits par de sincères témoignages d'amitié et de bienveillance ; il aimait mieux user d’indulgence que de se servir de toute son autorité.
Une grande Eglise dont les affaires auraient surchargé l'esprit d'un autre, n'était pas un champ

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assez étendu pour le zèle de Basile ; ce grand homme, quoique modéré dans ses désirs , ne connaissait aucunes bornes quand il s'agissait de ne pas laisser diminuer et affaiblir le royaume de Jésus-Christ: son courage embrassait le monde entier , ou du moins toutes les parties de l'univers où avait pénétré la doctrine de l’Evangile. Il voyait avec douleur l'héritage de Dieu, cette portion que Jésus-Christ avait acquise par ses lois et par ses souffrances , cette race choisie, ce sacerdoce royal , cette nation sainte, dans un état si déplorable , divisée par tant d'erreurs et de sectes différentes. Il méditait donc les Ecritures , il s'en remplissait pour abattre l'orgueil et l'audace des hérétiques , pour les confondre par écrit ou de vive voix. Il écrivait aux évêques de l'Orient et de l'Occident , les animait ou les éclairait selon la circonstance. Ses écrits et ses discours enseignaient à tout le monde la doctrine de la vérité et le chemin du salut. Il se servait également de l'action et de la parole ; il allait trouver les uns , envoyait vers les autres , ou les faisait venir chez lui : avis, remontrances, reproches, exhortations, il employait à propos ces divers moyens ; il combattait pour les nations entières , pour les villes, pour les particuliers , se servant de tous les remèdes les plus propres aux maux qu'il voulait guérir.
Qu'il est beau de voir cet homme d'une constitution si frêle , occupé des affaires de toute l'Eglise ! qu'il est beau encore de le voir aux prises avec toute la puissance de l'empereur et de ses ministres , triompher de cette puissance avec une fermeté tranquille que rien ne pouvait étonner ni séduire ! Valens croyant qu’après avoir assujetti tant de nations à son empire, après avoir

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subjugué tous les peuples voisins, il était indigne de lui d'être vaincu par un seul homme et par une seule Eglise , entreprit de livrer à Basile de nouvelles attaques. Toujours obstiné dans l'arianisme , et voulant rendre toute l'Eglise arienne s'il était possible, il mettait en usage les exils, les proscriptions , les promesses et les menaces, les caresses bien ménagées et la force ouverte : il charge le préfet Modeste de réduire, par tous les moyens qu'il pourra, l'évêque de Césarée.
Fidèle exécuteur des volontés de son maître , le préfet mande à son palais Basile, qui entre, non pas comme s'il eût été cité en jugement, mais comme s'il fût venu à un festin. Eh bien ! Basile, lui dit Modeste d'un ton dur, quelle raison as-tu d’oser t'opposer à l'empereur, et de lui résister seul avec tant d'insolence et d'opiniâtreté ? Que voulez-vous dire lui répondit Basile ; en quoi montré-je de l'insolence ? je ne vous comprends pas encore. C'est, reprit Modeste , que tu refuses d'embrasser la religion du prince, lorsque tous les autres se sont rendus. — Non, répliqua Basile , non, mon empereur ne peut vouloir que j'adore une créature, moi qui suis l'ouvrage de Dieu, et à qui on recommande de devenir semblable à Dieu. — Que penses-tu donc de nous ceux qui te signifient les ordres du prince ne sont-ils donc rien ? crois-tu qu'il ne te sera pas honorable de te ranger de notre parti, et de nous avoir pour compagnons ? — Vous êtes des préfets illustres, j'en conviens, mais vous n'êtes pas au-dessus de Dieu. Ce serait beaucoup d'honneur pour moi de nous avoir pour compagnons , puisque vous êtes des créatures du Très-Haut ; mais je voudrais que vous fussiez semblables à ceux qui sont sous notre discipline Ce n'est pas la

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dignité des personnes, c'est la foi qui fait honneur au christianisme. Ce discours irrita le préfet et redoubla son courroux ; il se leva de son siége, et parla au saint évêque d'un ton plus dur encore. Quoi ! lui dit-il, est-ce que tu ne redoutes pas mon pouvoir — Pourquoi le redouterais-je ? que m'arrivera-t-il ? que me ferez-vous ? — J'ai mille moyens de te nuire : un seul me suffirait. — Quels sont tous ces moyens je vous prie de vous expliquer. — La confiscation des biens , l'exil, les tourments, la mort. — Imaginez d'autres menaces, car celles que vous venez d'exprimer ne me regardent nullement. — Comment cela ? — Celui qui n'a rien ne peut craindre la proscription de ses biens. A moins peut-être que vous ne demandiez ces vêtements usés et quelques livres : voilà toute ma richesse. Je ne convois pas l'exil ; je ne suis attaché à aucun lieu ; je regarderai comme ma patrie toute contrée où Ion inc jettera ; ou plutôt, je sais que toute la terre appartient à Dieu, et que j’y suis étranger et voyageur. Quant aux tourments, quelle prise auraient-ils sur un homme qui n'a plus de corps, qui pourrait à peine recevoir un premier coup ; ce coup est le seul qui soit en votre pouvoir. Enfin la mort me serait un bienfait insigne ; elle me réunirait plus tôt à Dieu pour lequel seul je vis, pour lequel je suis plus qu’à demi éteint, auquel je brûle depuis longtemps de me rejoindre. Le préfet fut frappé de ces paroles : Jusqu'a ce jour, dit-il, on ne m avait pas encore parlé avec cette liberté. C'est peut-être, lui répondit Basile, que vous n'avez pas encore rencontré d’évêque ; car, en pareille circonstance, il vous aurait tenu le même langage. Oui , Modeste, nous sommes dans tout le reste complaisants et doux. Nous nous

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humilions plus que personne, ainsi que notre loi mous le prescrit ; nous ne nous élevons avec fierté, ni contre un prince puissant, ni même contre le dernier des hommes. Mais quand il s'agit des intérêts de Dieu, nous bravons tout, nous n'envisageons que lui. Le feu, le glaive, les bêtes féroces , les ongles de fer qui déchirent nos membres, nous causent plus de plaisir que de terreur. Ainsi, outragez-nous, menacez-nous, faites tout ce que vous voudrez, usez de toute votre puissance, instruisez l'empereur de nos réponses, vous ne nous gagnerez jamais ; vous ne nous persuaderez jamais de souscrire a une doctrine impie, quand vous nous feriez des menaces encore plus cruelles. Modeste comprit par cet entretien qu’il était impossible d intimider Basile et de le vaincre. Il le traita depuis avec respect et avec une sorte de soumission ; on voit même par les lettres que lui écrivit dans la suite saint Basile qu'il devint son ami. Il représenta alors à Valens que l'évêque de Césarée ne cèderait jamais aux menaces, qu'on ne pouvait l'accabler qu'à force ouverte. L’empereur, touché de la vertu de Basile ( car on ne peut s'empêcher de respecter la vertu jusque dans ses ennemis ) , défendit qu'on lui fit aucune violence. C'est saint Grégoire de Nazianze qui nous a conservé l’entretien vraiment noble et sublime que je viens de rapporter.
Je prolongerais ce discours préliminaire outre mesure, si je voulais entrerdans tous les détails que nous offre son panégyrique, si j'entreprenais d'exposer l'espèce de réparation que Valens fit à Basile ; les prodiges de Dieu en faveur du saint évêque, lesquels empêchèrent l'empereur de le bannir suivant la résolution qu'on lui en avait fait prendre ; toutes les occasions où ce grand homme

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témoigna le même courage et la même fermeté ; ce qu'il eut à souffrir même de la part des catholiques qui lui reprochaient d'avoir molli dans la foi, parce qu’il avait usé, dans quelques occasions, d'une sage condescendance : mais je ne puis résister au plaisir de citer une parole qu'il adressa, dans une entrevue avec le prince, à un des officiers de sa maison, parole qui fait connaître son tour d'esprit piquant et agréable. Saint Grégoire de Nazianze parle de l'entrevue et ne cite point la parole , qui sans doute ne lui a point paru assez grave pour un panégyrique : on la trouve dans l'historien Théodoret. A la suite de l'empereur était un officier de sa maison nominé Démosthène, qui voulant faire quelques reproches à saint Basile, fit une faute de langage ; saint Basile se tournant de son côté se contenta de lui dire : Un Démosthène ignorant ! puis il continua de parler au prince. Il lui parla, dit-on, d'une manière divine, au point que Valens, touché de ses excellents discours, commença à s'adoucir envers les catholiques.
Saint Basile, d'après le témoignage de son ami qui le connaissait bien, réunissait toutes les vertus, une frugalité rare, un grand amour de la pauvreté et de la chasteté , une âme douce à la fois et sévère, un caractère gai avec décence, une charité ardente et sans bornes. Il vivait comme sil n'eût point eu de corps ; il renvoyait les excès et la gourmandise à ceux qui mènent une vie animale et terrestre. Méprisant tous les mets qui ne sont faits que pour flatter le goût , il ne mangeait précisément que ce qui était nécessaire pour s'empêcher de mourir. Il était pauvre sans orgueil et sans ambition ; il renonça de bon coeur à tontes les richesses qu'il possédait, afin d'être

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plus libre, et de se sauver plus facilement à travers les flots de cette vie. N'ayant que son corps et son vêtement, il mettait toute sa richesse à ne posséder rien, il mettait tout son luxe à se passer de tout. Qui a jamais eu une plus haute estime de la virginité que Basile ? qui jamais a plus gourmandé la chair, non-seulement dans sa personne, mais encore par les règlements qu'il a faits pour les autres ? N'est-ce pas lui qui a bâti tant de monastères pour les vierges, qui a inventé de si belles règles pour mortifier tous les sens, pour tenir tous les membres dans la dépendance ? Amateur zélé de la vertu , ennemi déclaré du vice, autant il traitait avec indulgence ceux qui s'acquittaient de leur devoir, autant il s'armait de sévérité contre ceux qui y manquaient. Un souris de sa part était un éloge ; son silence était une réprimande qui allait fouiller dans la conscience des coupables et les punir de leurs fautes. Cet homme si austère et si rigide, était agréable dans le commerce de la vie. J'en puis parler sûrement, dit saint Grégoire de Nazianze , pour lavoir beaucoup pratiqué. Qui jamais fit un récit avec plus d'agrément, ou assaisonna de plus de délicatesse la plaisanterie ? Pouvait-on reprendre avec plus de douceur ? Ses réprimandes n'avaient rien de fier , son indulgence était sans faiblesse ; il avait trouvé, comme nous l'avons déjà dit, le juste tempérament, et un sage milieu entre les deux extrêmes.
Arrêtons-nous un peu sur sa charité ; voyons combien il aimait les pauvres, aveu quel zèle il les soulageait et les servait. Cet homme si illustre par la gloire de ses ancêtres et par son mente personnel, ne dédaignait pas de baiser les pauvres et les malades ; il les embrassait comme ses

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frères, non par vanité, il était fort éloigné de tout sentiment d'orgueil ; mais il voulait par son exemple confondre la fausse délicatesse qui répugne à approcher de ceux que l'indigence oppresse ou qu'afflige la maladie. Simple potin lui même , il n'était magnifique que pour Dieu et pour les pauvres. Sans parler de cette pompe auguste et majestueuse, dont l'empereur lui-même fut ébloui lorsqu'il entra dans l'église de Césarée le jour d'une grande fête, de cette pompe qui, selon l'expression de saint Grégoire, représentait les choeurs des anges , et qui annonçait combien l'humble pontife était jaloux d’une sainte magnificence dans les cérémonies divines. Faisons quelques pas hors des murailles avec le même saint Grégoire ; considérons cette ville nouvelle, ce beau monument de la piété d'un évêque charitable, ce commun trésor des riches, où animés par ses exhortations, ils apportent, non-seulement leur superflu, mais même leur nécessaire. C'est dans ce pieux magasin qu'ils viennent mettre leurs richesses à l'abri des vers et des brigands ; c'est là qu'elles ne craignent ni l'envie, ni le temps qui corrompt et use tout : c'est-là que la maladie est endurée patiemment, que les calamités trouvent des ressources, et la miséricorde un exercice salutaire. Sans autre fonds que la confiance publique, saint Basile avait élevé hors de la vile de Césarée un édifice non moins superbe que commode, où les pauvres et les affligés trouvaient en tout temps un asile favorable et des secours de toutes espèces.
Ecoutons encore saint Grégoire de Nazianze. Sa réputation, dit-il, était si bien établie, que plusieurs imitaient ses moindres vertus, jusqu’à ses défauts même , pour se faire remarquer et

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pour acquérir de la gloire ; sa pâleur, sa barbe , sa marche tranquille, sa manière de se nourrir et de se vêtir ; et, comme pour l'ordinaire on outre ce qu'on imite, la gravité de celui qu'ils prenaient pour modèle dégénérait chez eux en une tristesse déplaisante : Basile faisait tout naturellement et n'affectait rien. A ne considérer que les apparences, on aurait cru voir plusieurs Basiles ; mais ce n'étaient que des statues mortes, ou des échos n'articulant distinctement que les dernières paroles. Ils lui ressemblaient d'autant moins qu'ils s'efforçaient davantage de lui ressembler. On se faisait un point d’honneur d'avoir eu quelque commerce avec Basile, de lui avoir rendu des respects , de citer quelques-unes de ses actions , et de ses paroles sérieuses ou enjouées.
En célébrant la mémoire de son ami, l'orateur ne manque pas de rappeler ses écrits et ses talents. Il parle de ses Homélies sur l'ouvrage des six jours, auxquelles il donne les plus grands éloges, de ses Livres dogmatiques et ascétiques, de ses Homélies familières, de ses Discours de morale, de ses Panégyriques des martyrs, de ses Commentaires sur l’Ecriture sainte dont il paraît que nous avons perdu un grand nombre ; il s'étend beaucoup sur la pureté de sa foi que quelques personnes mal intentionnées ou mal instruites avaient voulu obscurcir; il met au-dessus de tout son éloquence, qui véritablement est admirable. Une excellente dialectique, sans laquelle on ne peut être bon orateur, des connaissances étendues et variées qui nourrissent le discours, des mouvements vrais qui l'animent, une imagination riche qui embellit tout, de grandes pensées , de sublimes conceptions, un fréquent et bel usage de

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l'Ecriture sainte; de la douceur, de la force, des grâces, une diction pure, une précision attique; tel est en général le caractère de l'éloquence de saint Basile. Sa marche, ainsi que celle de saint Jean Chrysostome, est libre et facile. J'ai remarqué dans l'orateur de Césarée le même défaut que dans celui d'Antioche; ils sont trop curieux l'un et l'autre de parure et d'ornements, de tableaux agréables et de descriptions fleuries. Quoiqu'ils aient un bien meilleur goût que les Pères latins, et qu'en général le langage chez eux soit presque aussi beau que chez les anciens Grecs, il faut convenir cependant qu'ils n'ont pas la sage sobriété de Démosthène, d'Eschine, ni d'Isocrate en qui néanmoins quelques-uns trouvent un peu trop de recherche , ni même du célèbre orateur de Rome à qui ses contemporains reprochaient un peu de luxe asiatique. Je renvoie encore ici aux réflexions que j'ai faites là-dessus dans le discours préliminaire pour le saint Jean Chrysostome. Je me contente de remarquer, comme alors, que c'était probablement le vice du siècle, siècle des rhéteurs et des sophistes. Saint Basile nous en offre une preuve convaincante. Ses lettres , qu'il écrivait en suivant son impulsion naturelle, sans se prêter au goût de son temps, ne présentent nulle part, ou du moins fort rarement , le défaut dont nous parlons. Elles ont été admirées avec justice par tous les connaisseurs comme des chefs-d’oeuvre. Au nombre de plus de trois cent cinquante, elles sont toutes écrites du ton le plus convenable et le plus simple, avec une variété infinie. Saint Basile est aussi supérieur à saint Jean Chrysostome dans le genre épistolaire qu’il lui est inférieur dans le genre oratoire. Chrysostome à ce qu'il paraît, ainsi que Démosthène, savait peu descendre

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du ton sérieux de l'orateur. Quoique ses lettres annoncent la plus belle âme, quoiqu'elles soient pleines de sentiment et d'un tendre intérêt pour ses amis ,le ton en général en est un peu uniforme, elles n'ont pas à beaucoup près la facilité et la variété de celles de saint Basile. Mais aussi quel orateur! quelle abondance d'idées grandes et nobles ! quelle élocution toujours brillante et toujours populaire! quelle diversité de tours vifs et animés ! quelle effusion de belles images et de sentiments pathétiques ! quelle multitude accablante d'arguments forts et pressants! saint Basile n'a au-dessus de lui dans certains endroits qu'un peu plus de force, d'énergie et de précision. On peut dire en deux mots de ces deux hommes qui avaient fait la gloire de tout siècle où ils eussent paru, qu'il avaient tous deux de l'esprit et du génie, mais que Basile avoit plus d'esprit, et Chrysostome plus de génie. Ce qu'ils avoient l'un et l'autre à peu près également, c'était une grande connaissance de l'Ecriture sainte.
Je dirai peu de chose des traducteurs de saint Basile , et de la traduction que j'offre maintenant au public. Les Homélies sur l'Hexaëméron, ou ouvrage des six jours, n'ont jamais été traduites dans notre langue, du moins que je sache. M. Hermant, qui a écrit la vie du saint évêque, a traduit ses Ascétiques. La traduction m'en a paru bonne, claire et naturelle. Je n'ai pas été aussi content de la traduction des Homélies et des Lettres , qui est du même Nicolas Fontaine qui a traduit plusieurs ouvrages de saint Jean Chrysostome. Elle n'est pas fort exacte, le sens est manque en plusieurs endroits: le style des homélies n'est pas assez oratoire, celui des lettres n'est pas assez dégagé. J'en ai cependant profité quand je l'ai

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trouvée fidèle et élégante. Je n'ai rien négligé pour saisir partout le sens et l'esprit de l'orateur, pour ne point défigurer, ni dans ses discours, ni dans ses lettres, le génie d'un des plus grands hommes qui aient paru dans le monde et dans l'Eglise, d'un homme qui a mérité l'admiration de tous ceux qui avaient embrassé la religion chrétienne, et de ceux mêmes qui étaient restés attachés au paganisme.

 

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