SERMON CCCLIX
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SERMON CCCLIX.

L'UNION DANS L'ÉGLISE.

PRONONCÉ APRÈS LA CONFÉRENCE DE CARTHAGE.

 

ANALYSE. — L'Ecclésiastique vante trois choses : la concorde des frères, l'amour des proches, l'homme et la femme parfaitement d'accord. C'est ce qu'on peut admirer dans l'Église. 1° Pourquoi la concorde, si estimée par elle-même, est-elle si rare en pratique ? C'est que les hommes s'attachent à des intérêts matériels qui les divisent. Nous, au contraire, à l'exemple du Christ, nous invitons à l'amour des biens spirituels qui unissent entre eux ceux qui s'y affectionnent. Aussi voulons-nous, conformément aux prophéties, que l'Église catholique soit en paix dans tout l'univers. En vain, pour justifier leur rupture, les Donatistes accusent-ils Cécilien : la cause de Cécilien n'est pas la cause de la catholicité. Que penser de ceux d'entre eux qui reconnaissent qu'ils sont dans l'erreur, et qui n'osent pas en sortir, par la raison que leurs parents y sont nés ? Pour être conséquents avec eux-mêmes, ces malheureux seraient donc restés païens, s'ils étaient nés dans le paganisme ? — 2° Qu'y-a-t-il encore dans l'Église, sinon un amour sincère pour le prochain ? — 3° Là encore ne voit-on pas l'époux et l'épouse pleinement d'accord, l'Église ou l'épouse parfaitement soumise à Jésus-Christ ? Que nous serions heureux du retour de tous les égarés ! Félicitations à l'auditoire qui a construit une église et lui a donné le nom de son évêque.

 

\. La première lecture qu’on a faite des divins oracles et qui était tirée de l’Ecclésiastique, nous a recommandé trois choses excellentes et tout à fait dignes d’être méditées par nous : la concorde entre frères, l’amour du prochain, puis l’homme et la femme pleinement d’accord. Ce sont là, envisagés au point de vue humain, des biens réels, agréables et dignes d’éloges ; mais qu’ils sont bien supérieurs encore, si on les transporte dans le domaine divin !

En effet, est-il un homme qui n’applaudisse à la concorde qui règne entre frères ? Ce qui toutefois est déplorable, c’est qu’un bien si précieux est rare dans la société humaine : tous le vantent et fort peu le gardent. Heureux ceux qui veillent à conserver en eux-mêmes ce qu’ils sont forcés d’admirer dans autrui ! Il n’est donc aucun frère qui ne loue la concorde entre frères ; mais d’où vient que la concorde est difficile entre frères ?

Parce qu’ils se disputent la terre, parce qu’ils veulent être terre. « Tu es terre», fut-il dit au commencement à l’homme pécheur, et « tu iras en terre (1) ». Ceci doit nous porter à examiner et à approfondir une parole que par contre doit s’adresser le juste. Si c’est avec raison qu’il a été dit au pécheur: «Tu es terre, et tu iras en terre » ; avec raison aussi doit-il être dit au juste : Tu es ciel, et tu iras au ciel. Les justes ne sont-ils pas des

 

1 Gen. III, 19.

 

cieux, et n'est-il pas écrit très-expressément des Évangélistes : « Les cieux publient la gloire de Dieu ? » Ce qui prouve suffisamment que c'est d'eux qu'il est question, c'est la suite du texte. « Le firmament », continue l'auteur sacré, « proclame les ouvrages de ses « mains ». Ainsi appelle-t-il firmament ceux qu'il a nommés cieux. « Le jour porte la parole au jour, et la nuit fait connaître à la nuit. Il n'y a ni langues ni idiomes qui ne comprennent leur langage ». Le langage de qui ? De qui, ne peut s'entendre ici que des cieux. Ainsi c'est bien des Apôtres, des prédicateurs de la vérité, qu'il est ici fait mention. Voilà pourquoi le texte poursuit : « Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités de l'univers. — Il n'y a ni langues ni idiomes qui ne comprennent leur langage  ». Quand en effet l'Esprit-Saint descendit en eux, quand Dieu commença à habiter ce ciel que lui-même avait formé de terre, remplis et inspirés par lui, ils parlèrent toutes les langues ; de là ces mots : « Il n'y a ni langues ni idiomes qui ne comprennent leur langage ». De Jérusalem ils furent envoyés prêcher l'Évangile à tous les peuples ; aussi : « Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités de l'univers ». Les paroles de qui ? des cieux, de ces hommes à qui on peut dire : Tu es ciel, et tu iras au ciel, comme il

 

1 Ps. XVIII, 2-5.

 

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a été juste de dire au pécheur : « Tu es terre, et tu iras en terre ».

2.    Si donc des frères veulent vivre dans la concorde, qu'ils n'aiment point la terre ; et s'ils ne veulent pas aimer la terre, qu'ils ne soient pas terre, qu'ils cherchent le domaine qu'on ne saurait diviser ; toujours alors ils seront d'accord. D'où vient la discorde parmi les frères, le trouble dans les familles ? D'où vient que conçus dans le même sein ils n'ont pas l'esprit d'union, si ce n'est parce que courbée vers la terre et attachée à considérer, à surfaire et à renchérir ce qui lui est échu en partage, leur âme veut l'unité dans l'héritage paternel, au lieu de le diviser avec son frère ? Ce domaine est beau, à qui appartient-il ? — À nous. — Quelle grande propriété, dit-on encore : est-elle, mon frère, à toi tout entière ? — Non, j'ai ici un cohéritier ; mais s'il plaît à Dieu, il me vendra sa part. — Dieu t'en fasse la grâce, reprend l'adulateur. — Quelle grâce ? — Qu'il t'accorde d'opprimer ton voisin et de le réduire à te vendre sa part. Que Dieu t'octroie cette grâce, ton dessein est excellent, plaise à Dieu que tu le réalises ! « Ainsi loue-t-on le pécheur des désirs de son âme et applaudit-on à l'artisan d'iniquités (1) ». Quelle iniquité plus criante que de vouloir s'enrichir par l'appauvrissement d'autrui ? C'est néanmoins ce qui se voit souvent ; « on applaudit à l'artisan d'iniquités » ; celui-ci ne l'emporte que trop, il accable et il oppresse, il tourmente et il dépouille, non pas un cohéritier quelconque, mais son propre frère. Mieux vaut que le terrain soit acheté par moi que par un étranger.

L'infortuné, qui se laisse opprimer aisément, peut toutefois se consoler, s'il est juste. Qu'il prête l'oreille à l'Écriture qu'il vient d'entendre. Tandis qu'il souffre du besoin, son frère regorge dans l'abondance, mais c'est une abondance de poussière et une privation de justice. Considère, homme de terre, ce qui s'adresse à ce pauvre : « Ne crains pas quand un homme s'enrichit et que se multiplie la gloire de sa maison, car en mourant il ne les emportera pas (2) ». Pour toi, pauvre, attache-toi à ce que tu ne laisserais point en mourant, à ce que tu posséderais durant l'éternelle vie, attache-toi à la justice, point de regrets. Tu t'affliges d'être pauvre sur terre ? mais ici fut pauvre le Créateur même de la

 

1 Ps. X, 3. — 2 Ps. XLVIII, 17. 18.

 

terre. Ainsi te console celui qui est tout à la fois le Seigneur ton Dieu, ton Rédempteur, ton Créateur et ton frère, ton frère exempt d'avarice. Lui, en effet, qui est notre Seigneur, a daigné devenir notre frère. Ah ! il est sans doute et incomparablement le frère le plus fidèle, le frère avec qui on peut être d'accord.

Je t'ai dit exempt d'avarice : pourtant n'est-il pas avare ? Il l'est, mais c'est pour nous gagner, nos, et pour nous posséder. N'est-ce pas pour nous qu'il s'est donné lui-même, rançon immense à quoi rien ne saurait s'ajouter ? Or, c'est en se donnant lui-même comme rançon qu'il est devenu notre Rédempteur ; car en se donnant il ne s'est pas livré à l'ennemi pour amener l'ennemi à nous abandonner ; c'est à la mort qu'il s'est livré, afin de détruire la mort ; par la mort effectivement il a tué la mort au lieu d'être anéanti par elle, et en tuant la mort il nous a délivrés de son joug. La mort vivait quand nous mourions, elle mourra quand nous vivrons, quand on lui dira : « Ô mort, où est ton ardeur au combat (1) ? »

3.    Ce frère un jour fut interpellé par un frère contre son propre frère. Des intérêts terrestres avaient banni d'entre eux la concorde. Le premier donc lui dit : « Seigneur, invitez mon frère à partager avec moi l'héritage » ; il a tout pris, il refuse de me donner ma part, et me dédaigne, qu'au moins il vous écoute. Était-ce là parler dignement au Seigneur ? Avec nos basses pensées, hommes bas que nous sommes, hommes qui rampons à terre pendant que nous sommes en cette vie, que répondrions-nous ? — Viens ici, frère, et donne à ton frère ce qui lui revient. Telle pourtant ne fut pas la réponse du Seigneur. Et toutefois quelle justice supérieure à la sienne ? Où trouver un juge semblable à invoquer contre un frère avare ? Le frère dépouillé n'était-il pas heureux d'avoir découvert un si puissant défenseur ? Sans aucun doute il comptait sur un secours immense quand il disait à son juge : « Seigneur, invitez mon frère à partager avec moi l'héritage ». Que répondit le Seigneur ? « Ô homme, qui m'a chargé de partager entre vous cet héritage ? » Ainsi le Seigneur repoussa, il n'accueillit point cette demande, il n'accorda point ce facile bienfait. Pourtant cette grâce

 

1 I Cor. XV, 33

 

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était-elle de si haut prix ? Qu'aurait perdu, qu'aurait souffert Jésus à l'accorder ? Il ne l'accorda point.

Que deviennent alors ces paroles : « Donne à tous ceux qui te demandent (1) ? » Celui dont la vie nous doit servir de modèle n'a point fait cela. Comment, nous, devons-nous le faire ? Comment donner ce qui nous coûte, quand nous refusons un service qui n'exige aucune dépense, aucun don, ni privation aucune ? Le Seigneur n'octroya point cette grâce, et pourtant on ne saurait dire qu'il ne donna rien ; il refusa moins pour accorder davantage.

Il a bien dit, oui, il a dit clairement : « Donne à tous ceux qui te demandent » : mais si l'on venait à te demander, je ne dis pas ce qui est inutile, mais ce qui est honteux ? Si par exemple une femme te demandait ce qu'une femme demanda à Joseph ? ou si un homme sollicitait ce que des vieillards hypocrites sollicitèrent de Susanne ? Alors encore faudrait-il s'attacher à ces mots comme à une règle sans exception : « Donne à tous ceux qui te demandent ? » — Nullement. — Il faudrait donc aller contre le commandement du Seigneur ? — Suivons plutôt son ordre, ne donnons rien de mauvais à ceux qui nous implorent, et nous ne violerons point sa recommandation. Il a dit effectivement : « Donne à tous ceux qui te demandent » ; mais il n'a pas dit : Donne tout ce qu'on te demande. « Donne « à tous ceux qui te demandent » ; oui, donne ; si tu ne donnes pas ce qu'on te demande, donne pourtant quelque chose. Te demande-t-on ce qui est mal ? Donne ce qui est bien. C'est ce qu'a fait Joseph. Il n'accorda point à cette femme impudique ce qu'elle exigeait, il lui donna toutefois ce qui devait lui être donné pour qu'à son exemple elle ne perdît pas la vertu ; sans tomber lui-même dans le gouffre de l'impureté, il lui conseilla la pureté. Voici en effet ce qu'il lui répondit : « Dieu me garde d'agir ainsi contre mon maître, de souiller la couche de celui qui m'a tout confié dans sa demeure (2) ! » Ah ! si un esclave qui a coûté un peu de monnaie fut si fidèle à son maître, quelle ne doit pas être la fidélité d'une épouse envers son mari ! Tel était donc l'avertissement : Moi, qui ne suis qu'un esclave, je ne manquerai pas de la sorte à mon maître ; et vous, qui êtes son épouse, devez-vous manquer ainsi à votre mari ?

 

1 Luc, VI. 30. — 2 Gen. XXXIX.

 

Susanne donna aussi ; elle ne laissa point ces vieillards dans l'indigence : si seulement ils avaient voulu profiter de son conseil ! Non contente de ne consentir pas, elle donna de plus le motif de son refus, « En vous cédant, dit-elle, je meurs à Dieu ; en ne cédant pas, je ne vous échappe point des mains : mieux vaut toutefois tomber dans vos mains que de mourir à Dieu (1) ». Que signifie : « Mieux vaut tomber dans vos mains que de mourir à Dieu ? » Vous êtes morts à Dieu, vous qui formez cette infâme entreprise.

Donnez donc quand on vous demande, lors même que ce ne serait pas ce qu'on désire. C'est ce qu'a fait le Seigneur. Que lui demandait-on ? De partager un héritage. Et qu'a-t-il donné ? De détruire la cupidité. Que lui demandait-on ? Que reçut-on ? « Invitez mon frère à partager avec moi l'héritage. — Dis-moi, ô homme, qui m'a chargé de partager cet héritage entre vous ? Pour moi, je vous dis », quoi ? « Gardez-vous de toute cupidité ». Et voici pour quel motif. Quand tu demandes moitié de cet héritage, n'est-ce pas pour t'enrichir ? Eh bien ! écoute : « A un homme riche échut un grand domaine » ; une grande récolte, ses terres avaient porté beaucoup. « Or, il réfléchit en lui-même. Que ferai-je, dit-il, pour serrer mes grains ? » Et après y avoir sérieusement songé : « Je sais ce que je ferai, s'écria-t-il. Je détruirai mes vieux greniers, j'en ferai de nouveaux, je les remplirai » : car je les construirai dans de plus grandes proportions que n'en avaient les anciens. « Je dirai alors à mon âme : Tu possèdes beaucoup de biens, livre-toi au plaisir, à la joie ». Mais Dieu lui parla ainsi : « Insensé ! » Tu te crois fort intelligent pour savoir détruire ce qui est vieux et bâtir du neuf ; mais tu restes enseveli sous les débris de ton âme, au lieu de faire disparaître en toi, comme tu en as l'obligation, ce qui est vieux, l'amour des biens de la terre. « Insensé  » qu'as-tu dit ? à qui as-tu parlé ? C'est à ton âme que tu as dit : « Livre-toi au plaisir, tu possèdes beaucoup de biens. Cette nuit même on te redemandera ton âme », cette âme à qui tu viens de faire de telles promesses. « Ce que tu lui as promis, à qui appartiendra-t-il (2) ? » Ah ! « ne crains donc pas, lorsqu'un homme s'est enrichi, car en mourant il n'en emportera rien ».

 

1 Dan. XIII. — 2 Luc, XII, 13-20.

 

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4.    Tel csl le conseil que donna le Seigneur à ces frères divisés, pour les réconcilier : il voulait que renonçant à toute cupidité, ils se nourrissent au plus tôt de vérité. Puissions-nous parvenir à ce riche héritage! Pourquoi nous tant occuper d’accorder entre eux des frères terrestres, puisque cette espèce de concorde est rare, suspecte et difficile? Parlons plutôt de cette autre concorde fraternelle qui peut et doit être sincère. Que tous les chrétiens soient frères, que tous les fidèles le soient; que le soient tous ceux qui sont nés de Dieu et des entrailles maternelles de l’Eglise ; que tous enfin soient frères et possèdent l’héritage qui se donne sans se partager. Dieu lui-même est cet héritage. S’ils sont le sien, à son tour il est le leur. Comment sont-ils le sien ? « Demande-moi, et je te donnerai les nations « pour héritage (1) ». Comment ensuite est-il le leur? « Le Seigneur est la part de mon hélice tage et de mon calice (2) ». Avec un tel héritage, on vit en paix, et pour l’acquérir point de procès. Avec des procès on gagne les autres, avec des procès on perd celui-ci ; aussi les hommes qui ne veulent pas le sacrifier évitent-ils les querelles. Paraissent-ils quelquefois disputer ? ils ne disputent pas réellement; s’ils semblent disputer, si l’on croit qu’ils disputent, c’est qu’ils entreprennent de donner à leurs frères de sages conseils.

Considérez combien sont paisibles, fraternels, généreux, justes et fidèles leurs débats. Nous paraissons agir, nous, contre les Donatistes : il n’en est rien. Agir contre quelqu’un, c’est vouloir du mal à un adversaire, c’est vouloir faire souffrir un adversaire, pour s’enrichir ; le faire perdre, pour gagner. Ce n’est point-là ce que nous voulons. Vous le savez, vous-mêmes qui disputez en dehors de l’unité ; vous le savez aussi, vous qui nous êtes venus du sein de la division ; vous savez que celle discussion n’est pas comme d'autres, qu'elle n’est pas malveillante, et qu’au lieu de chercher à appauvrir, elle cherche à enrichir l’adversaire. Que voulions-nous faire de ces hommes avec qui nous semblions et nous semblons encore être en procès? Nous voulons les gagner avec nous, et non pas les perdre pour nous sauver. Aussi notre langage est-il différent du langage qu’adressa ce frère au Christ vivant sur la terre. Il est vrai,

 

1 Ps. II, 8. — 2 Ps. XV, 5.

 

Aujourd’hui qu’il siège au ciel, nous l'interpellons dans l’affaire qui nous occupe ; mais ce n’est pas pour lui dire : « Seigneur, invitez mon frère à partager avec moi l'héritage » ; au contraire : Invitez-le à posséder l'héritage en union avec moi.

5. Voilà ce que nous voulons; c’est ce qu’attestent les actes publics eux-mêmes. Voilà ce que nous avons voulu ; c’est ce que prouvent, non-seulement nos discours, mais encore les lettres que nous leur avons adressées. Vous aimez l’épiscopat? Soyez évêques avec nous. En vous nous ne haïssons, nous ne délestons, nous n’exécrons, nous n’anathématisons que l’humaine erreur. Nous détestons, disons-nous, l’erreur humaine, mais non pas la vérité divine ; au contraire, nous reconnaissons ce que vous tenez de Dieu, tout en condamnant le mal qui vient de vous. Sur le front du déserteur je vois le signe de mon Seigneur, le signe de mon Empereur, le caractère de mon Roi; et tout en cherchant, tout en apercevant, tout en appelant, tout en abordant, tout en saisissant, tout en conduisant, tout en reprenant le déserteur, je ne touche point au signe qu’il porte. Qu’on le remarque, qu’on y fasse attention, ce n’est point-là plaider, c’est aimer.

Nous leur avons dit que pour le bien de la paix deux évêques peuvent vivre en une même Eglise, avec un accord tout fraternel, attendu que l’accord entre frères est une chose de si haut prix. Sans doute il ne peut rigoureusement y avoir deux évoques; mais, disions-nous, ne peuvent-ils siéger tous deux dans la plus simple Eglise : l’un comme évêque, et l’autre comme étranger ; l’un sur le tronc chrétien, et l’autre, en qualité de collègue, sur le trône hérétique, placé tout près de lui ; l’un encore présidant une assemblée, et l’autre présidant une autre assemblée, alternativement?— Nous leur avons dit qu'à partir de Jérusalem les Apôtres ont prêché dans tout l’univers la pénitence et la rémission des péchés. Que répliqueras-tu à cette Eglise immense qu’à partir de Jérusalem les Apôtres ont bâtie au sein de tous les peuples ? Supposons, avons-nous ajouté, que Cécilien ait été coupable. Est-ce qu’un homme, est-ce que deux, cinq, dix hommes coupables seront la condamnation de tant de milliers de fidèles merveilleusement multipliés et répandus par toute la terre? Voilà ce que nous avons observé.

 

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Abraham crut, et toutes les nations lui furent promises en héritage. Dans le cas où Cécilien aurait péché, c'en eût été fait de toutes les nations, et l'iniquité de l'un aurait eu plus d'efficacité que la promesse faite à l'autre par la vérité même ? Tout cela a été dit ; on peut le lire, et rien, absolument rien, ils n'ont pu rien répondre contre ces autorités divines, contre ces témoignages qui montrent répandue par tout l'univers cette Église à l'unité de laquelle nous demeurons attachés au nom du Seigneur.

6. Après avoir sauvegardé ainsi les intérêts de l'Église, après avoir appuyé, fixé, affermi et rendu inébranlable cette Église sur cette pierre fondamentale que ne sauraient renverser les puissances de l'enfer, nous avons abordé aussi la cause de Cécilien, mais sans inquiétude, quelles que dussent être les preuves contre lui. Fût-il, comme homme, convaincu de quelque faute, irions-nous pousser les débats jusqu'à nous faire, pour le crime d'un seul homme, condamner ou rebaptiser ? La cause de l'Église étant indépendante du péché de Cécilien, avons-nous dit ; la vertu de Cécilien ne faisant pas plus le triomphe de l'Église que son crime ne ferait sa condamnation, examinons maintenant quelle est au fond son affaire. Nous avons alors abordé cette cause, mais comme la cause d'un frère, et non comme la cause d'un père ou d'une mère. C'est Dieu qui est notre père, et l'Église notre mère : quant à Cécilien, il a été ou il est notre frère ; bon frère, s'il fut homme de bien, et mauvais frère, s'il fut un méchant homme, dans toute hypothèse un frère amplement. S'il est prouvé qu'il fut innocent, que deviendrez-vous, vous qui avez succombé en le calomniant ? Au contraire, s'il est démontré, s'il est établi qu'il fut coupable, notre cause n'en est pas perdue, car nous demeurons attachés à l'unité de l'Église, qui reste invincible. Est-il sûrement criminel ? Je le condamne, car il est un homme, mais je ne quitte point l'Église du Christ. Voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous avons déclaré ; et désormais, avons-nous ajouté, nous ne lirons plus son nom à l'autel, avec les noms des évêques que nous croyons saints et fidèles. Nous nous sommes bornés à cela. Irez-vous, à cause de Cécilien, rebaptiser tout l'univers ?

Ce point une fois admis et parfaitement établi, nous avons abordé l'examen de l'affaire de Cécilien. Son innocence a été démontrée, ainsi que la violence et le mensonge de ses accusateurs. Condamné une seule fois, et dans son absence ; trois fois, en sa présence, il a été absous : un parti l'avait condamné, la Vérité même, par l'organe de l'Église, dut l'absoudre. Tout cela a été lu, tout cela a été prouvé. On a demandé ensuite aux adversaires s'ils avaient à répliquer quelque chose ; et après avoir mis à néant toutes les vaines chicanes sur lesquelles reposaient leurs accusations, comme enfin ils ne pouvaient rien opposer ni à des témoignages d'une telle évidence, ni à l'innocence même de Cécilien, on a lancé contre eux la sentence. Ils n'en disent pas moins : Nous avons vaincu. Oui, qu'ils soient victorieux, mais d'eux-mêmes, pour appartenir au Christ ; ou plutôt qu'ils se laissent vaincre par celui qui les a rachetés.

7. Beaucoup d'entre eux, toutefois, font notre consolation ; car beaucoup ont été vaincus pour ne l'avoir pas été : c'est l'erreur qui l'a été, tandis que l'homme a été sauvé. Le médecin n'incidente pas avec son malade : que le malade se mette d'avec lui, c'est la fièvre qui est vaincue, et le malade guéri. Le médecin, il est vrai, veut vaincre, la fièvre veut vaincre aussi ; le malade est comme placé entre l'un et l'autre. Que le médecin soit vainqueur, le malade est guéri ; si c'est la fièvre, le malade mourra. Dans notre discussion, également, le médecin prenait parti pour le salut, le malade pour la fièvre. Ceux pourtant qui ont fait attention au conseil du médecin, ont vaincu et ont dompté la fièvre. Ils sont maintenant avec nous dans l'Église, pleins de santé et de joie. Ci-devant ils nous outrageaient, en refusant de nous reconnaître pour frères : c'est la fièvre qui leur troublait l'esprit. Pour nous, au contraire, malgré la haine et la fureur qu'ils déployaient contre nous, nous les aimions, et nous assistions ces pauvres malades furieux. On nous voyait leur résister, discuter avec eux, plaider contre eux en quelque sorte ; mais c'était par amour. Tous ceux qui soignent de pareils malades ne leur sont-ils pas à charge ? Mais c'est pour les sauver qu'ils leur sont à charge.

8. Il nous est arrivé parfois de rencontrer des indifférents qui nous disaient : Vous avez raison, Seigneur, vous avez raison ; il n'y a rien à objecter. — Eh bien ! viens donc,

 

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Mon père est mort dans ce parti, ma mère y est ensevelie. — Voilà pour des morts et des ensevelis ; mais toi, tu es vivant, on peut te parler encore. Tes parents, du parti de Donat, étaient chrétiens ; leurs parents peut-être l'étaient encore ; mais leurs aïeuls ou leurs bisaïeuls étaient sûrement païens. Est-ce qu'après avoir enseveli leurs parents, nos ancêtres, qui furent les premiers chrétiens, restèrent indifférents en face de la vérité ? Est-ce qu'ils s'appuyèrent sur l'autorité de leurs parents défunts, ou plutôt, est-ce qu'à leurs parents morts ils ne préférèrent pas le Christ plein de vie ? Si donc nous avons ici l'unité véritable, l'unité en dehors de laquelle tu dois mourir éternellement, pourquoi vouloir marcher sur les traces de tes parents morts, morts à toi comme à Dieu ? Que dis-tu ? Réponds. — Vous avez raison, il n'y a rien à répliquer, que voulez-vous que je fasse ? — Je ne sais quelle habitude enchaîne ces malheureux ; ce sont des léthargiques, en proie à une maladie contraire à celle des premiers : ils vont mourir en dormant. Les premiers ou les frénétiques sont importuns. Quoique condamné à mort, le léthargique ne tourmente pas celui qui le soigne, comme le tourmentent les frénétiques. Ceux-ci en effet ont comme perdu l'esprit, et hors d'eux-mêmes, en fureur, ils courent partout avec des armes, cherchant à tuer, à ôter la vue. Voici même une nouvelle qui vient de nous parvenir : ils ont coupé la langue à l'un de nos prêtres. Malheureux frénétiques ! Envers eux aussi il faut exercer la charité, il faut les aimer. Beaucoup se sont corrigés et ont pleuré leurs désordres ; oui, beaucoup se sont corrigés ; nous en connaissons, ils sont venus à nous du sein des bandes furieuses. Chaque jour ils déplorent leur passé, ils ne peuvent se rassasier de pleurer en voyant la fureur de tant d'autres qui continuent leurs ravages, parce qu'ils n'ont pas digéré encore l'ivresse de leur orgueil. Qu'avons-nous donc à faire ? La charité exige que nous assistions ces malheureux. Dussions-nous être à charge aux uns comme aux autres, aux léthargiques en les éveillant et aux frénétiques en les enchaînant, nous les aimons les uns et les autres.

9. « La concorde entre frères » est un bien précieux ; mais considère où : dans le Christ quand on est chrétien. « Et l'amour du prochain ». Et si ton frère n'est pas encore chrétien ? Comme homme, il est ton prochain ; aime-le donc aussi pour le gagner également. Si donc tu es d'accord avec ton frère chrétien, si de plus tu aimes ton prochain, celui même avec qui tu n'es pas en harmonie encore, parce qu'il n'est encore ni ton frère en Jésus-Christ, ni régénéré en Jésus-Christ, parce qu'il ne connaît pas encore les mystères de Jésus-Christ, qu'il est enfin païen ou juif, et toutefois ton prochain, en tant qu'il est homme ; oui, si tu l'aimes aussi, tu as reçu de Dieu un nouveau don, un amour nouveau, et je vois en toi deux caractères : « L'accord entre frères et l'amour du prochain ».

De toutes ces âmes entre qui règne l'accord fraternel et qui aiment leur prochain, est formée l'Église, toute dévouée au Christ et soumise à son époux, ce qui nous montre en elle ce troisième phénomène : « L'homme et la femme pleinement d'accord (1) ».

Aussi, mes frères, nous invitons votre charité et nous vous exhortons dans le Seigneur à mépriser les choses présentes, car vous ne les emportez pas en mourant ; à vous garder de tout péché, à vous garder de toute iniquité, à vous garder de toute convoitise mondaine. C'est ainsi que nous gardons en nous le fruit de tout ce que nous faisons et que la récompense méritée par nous devant Dieu est une récompense pleine uniquement de joies. Il est vrai, en disant ce que nous devons dire, en prêchant ce que nous devons prêcher, nous nous dégageons nous-mêmes devant le Seigneur, sous les yeux du Seigneur, attendu qu'en ne taisant ni l'objet de nos craintes, ni l'objet de notre amour, nous n'avons à redouter aucune plainte de la part de celui sur qui tombera le glaive de la vengeance divine : nous ne voulons pas toutefois être sûrs de notre récompense pendant que vous serez perdus, nous voulons vous retrouver. L'apôtre saint Paul était sans inquiétude sur son bonheur ; néanmoins que disait-il au peuple ? « C'est maintenant que nous vivons, si vous êtes fermes dans le Seigneur (2) ».

C'est pour obéir au Seigneur que je m'adresse à vous et à votre charité, mes pères et mes frères ; c'est aussi à la place de mon frère votre évêque, dont vous devez être la joie en vous soumettant au Seigneur notre Dieu. Je le sais : par ses soins et au nom

 

1 Eccl. XXV, 2 — 2 Thess. III, 8.

 

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du ciel, grâce aux offrandes généreuses, compatissantes et pieuses de frères dévoués, cette église a été construite pour vous ; oui, pour vous elle a été construite, mais vous êtes vous-mêmes encore plutôt l'église. Si vos corps doivent entrer dans cette église, Dieu ne doit-il pas pénétrer dans vos âmes ? Vous avez voulu, pour honorer votre évêque, que celle basilique portât le nom de Florence : mais c'est vous qui êtes sa couronne de fleurs. L'Apôtre ne dit-il pas : « Vous êtes, dans le Seigneur, ma joie et ma couronne  ? »

Tout ce qu'il y a dans le siècle s'évanouit et passe. Cette vie n'est-elle pas ce que dit un psaume : « Elle passera comme l'herbe en un matin ; le matin elle fleurira et passera ; le soir elle tombe, se fane et se dessèche  ? » Tel est le caractère de toute chair. Aussi nous a-t-on promis le Christ, une vie nouvelle, l'espérance de l'éternité, une immortalité pleine de bonheur, qui s'est déjà révélée dans le corps du Christ ; car c'est d'entre nous que s'est élevée sa chair devenue immortelle, et c'est à nous qu'il a montré ce qu'il a accompli dans sa personne. N'est-ce pas pour nous en effet qu'il s'est incarné ? En lui-même « le Verbe était au commencement, et ce Verbe était en Dieu, et ce Verbe était Dieu  ». Est-il ici question de chair et de sang ? Mais

 

1 Philipp. IV, 1. — 2 Ps. LXXXIX, 6. — Jean, I, 1.

 

comme le Verbe voulait réellement compatir à nos maux et nous racheter, il s'est revêtu d'une nature d'esclave, et quoiqu'il fût parmi nous, il y est descendu, et il y est descendu, non pour y venir, mais pour s'y manifester : créateur de l'homme, il a voulu se faire homme, et naître d'une mère formée par lui. Il est monté ensuite jusque sur la croix, il y est mort, nous apprenant ainsi, ce que nous savions déjà, à naître et à mourir. C'est par humilité qu'il s'est soumis à ce que nous faisions depuis si longtemps. Nous savions naître et mourir, mais nous ne savions ni ressusciter, ni vivre éternellement. Si donc, par humilité, il s'est soumis à ces deux actes répétés parmi nous depuis si longtemps ; il a fait, dans sa grandeur, deux autres actes aussi puissants que nouveaux. Il a ressuscité sa chair, il l'a élevée jusqu'au ciel, et il y est assis à la droite de son Père. Il a prétendu être notre chef, et, chef, il a crié pour ses membres : « Père, je veux que là où je suis, soient également ceux-ci avec moi  ». Espérons aussi, pour notre corps, qu'il ressuscitera, qu'il sera transformé, incorruptible, immortel, et qu'il demeurera éternellement avec lui ; de plus travaillons à parvenir à ce terme. Telle sera notre couronne de fleurs, couronne qui ne se flétrira point.

 

1 Jean, XVII, 21.