PSAUME LXXXVII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVII (1).

LA PASSION DU CHRIST DANS L’ÉGLISE.

 

Ce choeur qui doit répondre, c’est l’Eglise qui chante le Christ, et qui doit, dans ses membres, passer par les mêmes douleurs que le Christ. Car le psaume est pour les fils de Coré, ou du Calvaire. Le Christ a donc prié en son humanité, il a souffert, parce qu’il a voulu personnifier en lui tout son corps qui est l’Eglise. Il a été libre dans la mort, parce qu’il donnait lui-même sa vie, et qu’il l’a reprise le troisième jour. Il était dans les ténèbres comme ceux qu’il était venu en délivrer. La colère de Dieu paraissait appesantie sur lui, elle n’a fait que passer, et les prophéties se sont accomplies; ses proches ne comprenant pas ses douleurs, l’ont méconnu, se sont séparés de lui; ses yeux ou les Apôtres privés de sa lumière, ont langui. Alors il prie du haut de la croix, il s prié tout le jour par ses bonnes oeuvres, qui n’ont point touché des coeurs sans vie, incapables de comprendre les miracles, de ressusciter à la voix des médecins. Encore céderont-ils à la grâce ? Car c’est Dieu qui ressuscite par la grâce, qui appelle par les Apôtres, qui nous amène à la confession, véritable signe de conversion. Qui dira la vérité à ces âmes sans vie, et qui ont perdu la lumière ? De là remercions Dieu qui nous ressuscite comme il ressuscite les morts ; de là aussi cette prière vive qui doit s’élever à Dieu, que Dieu n’exauce pas aussitôt, afin d’en attiser l’ardeur; prière qui est celle de l’Eglise exilée, et qui doit durer jusqu’à ce que tous ses membres soient dans ta patrie.

 

1. Le titre du psaume quatre-vingt-septième a quelque chose de nouveau, qui embarrasse l’interprète. Dans aucun autre psaume, nous ne trouvons ce que nous rencontrons ici: « Pour Melech, à répondre». Nous avons pu voir ailleurs ce que signifie et psaume du cantique, et cantique du psaume; souvent encore nous avons expliqué ces expressions: « Aux fils de Coré », que nous rencontrons fréquemment, ainsi que « pour la fin » ; mais ces expressions: « Pour Melech, à répondre », c’est là un titre nouveau. « Pour Melech », peut se traduire en latin, pour le choeur, car le mot hébreu « Melech », signifie choeur. Or, qu’est-ce à dire pour le choeur, à répondre? sinon que le choeur doit unir ses accords pour répondre à celui qui chante? D’autres psaumes, nous devons le croire, ont été chantés de la sorte, bien qu’ils aient eu d’autres titres; c’était sans doute un moyen de varier, et d’éviter l’ennui. Car celui-ci n’est pas le seul auquel tout un choeur ait répondu, puisqu’il n’est pas le seul qui prophétise la passion du Seigneur. S’il y a une autre raison qui motive la variété des titres, et par laquelle on puisse nous montrer que dans cette variété, cloaque titre est tellement propre à chacun des psaumes, qu’il ne pourrait servir à un autre; j’avoue pour moi,

 

1. Probablement après l’exposition du Psaume XLI dont il est question au n° 7, et peut-être du Psaume LXVII.

 

qu’après bien des efforts, je n’ai pu la découvrir; et ce que j’ai vu de ce qu’ont écrit ce qui en ont parlé avant moi, n’a pu répondre ou à mon attente, ou à ma lenteur. Je dirai donc ce qui me paraît de mystérieux dans cette expression: Pour le choeur à répondre, c’est-à-dire en quoi le choeur doit répondre au chantre. Il y a ici une prophétie de la passion du Seigneur. Or, l’apôtre saint Pierre a dit: « Le Christ a souffert pour nous, afin que nous suivions ses traces 1»; c’est là répondre. L’apôtre saint Jean dit à son tour: « De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Voilà répondre encore. Or, le choeur désigne l’accord qui est le fruit de la charité. Quiconque, dès lors, pour imiter la passion du Sauveur, livrerait son corps aux flammes, sans avoir la charité, ne répondrait point en choeur, et cela ne lui servirait de rien 3 . Ainsi donc, de même que dans l’art musical, il y a, comme les savants ont pu l’exprimer en latin, le praecentor et le succentor, le premier pour donner au chant l’intonation, le second pour chanter ensuite; de même dans ce cantique de la passion, après le Christ qui ouvre la marche, vient le choeur des martyrs, qui le suit jusqu’à la fin ou l’acquisition des couronnes éternelles. Ce chant est en effet « pour les fils de Coré », or

 

1. I Pierre, II, 21. — 2. I Jean, III, 16. — 3. I Cor. XXXI, 3.

 

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pour ceux qui imiteront la passion du Christ. Car le Christ a été crucifié au Calvaire 1, et en hébreu calvaire se dit Coré. Ce serait là le sens « d’Eman Israélite », qui termine le titre du psaume, car Eman signifie son frère. Or, le Christ a élevé au rang de ses frères, ceux qui ont compris le mystère de la croix, qui loin d’en rougir y mettent au contraire toute leur gloire, sans s’élever de leurs mérites, sans méconnaître sa grâce; en sorte que l’on peut dire à chacun d’eux: « Voilà un vrai Israélite sans déguisement 2 »; ainsi que l’Ecriture témoigne de Jacob qu’il était sans fraude 3. Ecoutons donc la voix prophétique du Christ, qui chante en ce psaume, afin que le choeur de ses saints lui réponde, soit en l’imitant, soit en lui rendant grâces.

2. « Seigneur, Dieu de mon salut, j’ai crié vers vous pendant le jour et pendant la nuit, en votre présence. Que ma prière pénètre jusqu’à vous, daignez prêter l’oreille à mes supplications 4». Le Seigneur a prié en effet, non selon la forme de Dieu, mais selon la forme de l’esclave, car c’est en ce sens qu’il a souffert. Il a prié quand tout était calme autour de lui, c’est-à-dire pendant le jour, et quand il était dans l’affliction, ce qui selon moi signifie la nuit. Pour sa prière, elle trouve accès auprès de Dieu quand elle est exaucée, et Dieu incline son oreille quand il nous écoute dans sa miséricorde; car en Dieu il n’y a point de membres corporels comme en nous. Il y a ici une répétition d’usage; et en effet : « Que ma prière pénètre jusqu’à vous », est identique à : « Prêtez l’oreille à mes supplications ».

3. « Parce que mon âme est remplie de maux, et ma vie s’est approchée de la tombe 5 ». Oserions-nous bien dire que l’âme du Christ fut rassasiée de maux, quand toutes les douleurs de sa passion n’ont eu de pouvoir que sur sa chair? De là vient qu’en exhortant ses disciples à souffrir courageusement, et comme pour les inviter à lui répondre en choeur, il leur dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui n’ont point le pouvoir de tuer l’âme 6». Son âme donc, que ses persécuteurs ne pouvaient tuer, pouvait-elle être rassasiée de maux? Si cela est vrai, voyons de quels maux. Ce ne pouvait être de ces vices qui imposent à l’homme le

 

1. Matth. XXVII, 33.— 2. Jean, I, 47.— 3. Gen. XXV, 27. — 4. Ps. LXXXVII, 2, 3. — 5. Id. 4. — 6. Matth. X, 28.

 

joug de l’iniquité, que son âme était rassasiée. Ces maux sont peut-être les douleurs auxquelles son âme fut en proie en prenant sa chair en pitié; car ce que l’on appelle douleur du corps ne saurait exister sans l’âme; et quand elle est inévitable, elle est précédée en nous d’une tristesse dont l’âme seule est le siége. Ainsi donc l’âme peut être affligée sans que le corps souffre; mais le corps ne peut souffrir sans l’âme. Pourquoi donc ne disons-nous point que l’âme du Christ fut saturée des péchés de l’homme, mais seulement des misères de l’homme, puisqu’un autre Prophète nous dit qu’il a souffert pour nous 1; puisque, selon l’Evangéliste: « Ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à s’affliger et à s’attrister », et que le Seigneur dit de lui-même : « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2? » Voilà ce que voyait le Prophète qui a écrit le psaume, et ce qui lui fait dire: « Mon âme est rassasiée de misères, et ma vie s’est approchée de la tombe ». Il ne fait que dire en d’autres termes cette parole de Jésus-Christ: « Mon âme est triste jusqu’à la mort » ; puisque « mon âme est triste », est identique à « mon âme est rassasiée de misères», et «jusqu’à la mort», identique à « ma vie s’est approchée de la tombe ». Or, si Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu ressentir en lui ces mouvements de l’infirmité humaine, ainsi que cette chair de l’homme, et la mort de cette même chair, ce n’est point par nécessité, mais par un effet de sa compassion. C’est qu’il lui a plu de personnifier en lui tout son corps, ou cette Eglise dont il a daigné se faire le chef; en sorte qu’il représente ses membres dans ses saints et dans ses fidèles. Et dès lors, s’il arrive à quelqu’un d’entre eux de passer par la douleur et par la tristesse, au milieu des épreuves humaines, qu’il ne se croie point déshérité de la grâce; qu’il ne regarde point ces ressentiments comme des péchés, mais comme des marques de l’humaine infirmité, et qu’un membre s’instruise à l’exemple du chef, comme le choeur répond à la voix du premier chantre. Nous lisons en effet de l’apôtre saint Paul, un des principaux membres de ce corps mystique, et nous lui entendons avouer que son âme est en proie à de semblables misères, quand il dit qu’il ressent une tristesse

 

1. Isa. LIII, 4. — 2. Matth. XXVI, 77, 38.

 

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profonde, qu’une douleur continuelle traverse son coeur à la pensée dises frères qui sont les Israélites 1. Et dire que Notre-Seigneur fut aussi attristé à leur sujet aux approches de sa passion, en laquelle ce peuple allait commettre le plus grand des crimes; c’est là, je pense, ne dire que la vérité.

4. En fin, cette parole qu’il a dite sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 2 », est marquée clairement dans ce qui suit: « J’ai été mis au nombre de ceux que l’on descend au tombeau 3» ; assurément par ces hommes qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui crurent que le Christ mourait comme meurent les autres hommes, comme contraint par une invincible nécessité. Car il appelle tombeau la profondeur ou de sa misère ou de l’enfer.

5. « J’ai été comme un homme sans secours, libre entre les morts 4 ». Dans ces paroles nous voyons clairement le Sauveur. Quel autre eût pu être libre parmi les morts, que celui qui, avec la ressemblance du péché 5, était seul sans péché ? De là vient qu’il dit à ceux qui follement se croyaient libres « Quiconque fait le péché, est esclave du péché 6 ». Et comme nous devions être délivrés du péché par celui qui était sans péché: « Si le Fils vous délivre », leur dit-il, « vous «serez vraiment libres 7 ». Celui-là donc était «libre entre les morts », qui avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre 8, lui à qui nul ne pouvait l’ôter, mais qui la donnait librement; qui pouvait ressusciter à son gré cette chair, comme un temple que les Juifs auraient détruit 9 lui qui, abandonné de tous, ne demeura pas néanmoins seul, puisque son Père ne l’abandonna pas 10, comme il l’assure lui-même; lui qui pria pour ses ennemis qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui lui criaient : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même: s’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Que Dieu le délivre, s’il l’aime 11 », et qui était extérieurement « comme un homme sans secours, comme ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre ». Mais le Prophète ajoute : « Effacés de votre souvenir ». Voilà ce qui établit une différence entre le Christ et les autres morts. À la vérité,

 

1. Rom. IX, 2-4, — 2. Luc, XXIII, 34.— 3. Ps. LXXXVII, 5 — 4. Id. 6. — 5. Rom. VIII, 3.— Jean, VIII, 34.— 6. Id 36. — 7. Id. X, 18. — 8. Id. X, 18.— 9. Id. VIII, 29.— 10. Matth. XXVII, 40-43.

 

rité, il a été blessé, mis à mort, placé dans le sépulcre 1 ; mais ceux qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui ne le connaissaient point, l’ont cru semblable à ceux qui meurent de leurs blessures, qui dorment dans le tombeau, dont Dieu ne se souvient pas encore, c’est-à-dire dont le temps n’est point venu pour la résurrection. C’est l’usage des Ecritures d’employer le mot dormir en parlant des morts, parce qu’elle veut nous faire comprendre qu’ils s’éveilleront ou qu’ils ressusciteront. Mais ce blessé qui dormait dans le sépulcre s’éveilla le troisième jour, et devint comme le passereau solitaire sur le toit 2, c’est-à-dire qu’il est à la droite de son Père dans le ciel : car il ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui 3. Telle est la différence qui l’élève bien au-dessus des autres dont Dieu ne se souvient point encore pour lès ressusciter, car il réserve aux membres pour la fin des temps, ce qui est arrivé d’abord aux chefs. On dit en effet que Dieu se souvient quand il agit, et qu’il oublie quand il n’agit point encore. Mais en Dieu il n’y a aucun oubli, puisqu’il ne change point, comme il n’y a pas de souvenir, puisqu’il n’oublie point. « J’ai été traité par ceux qui ne connaissaient point ce qu’ils faisaient,  comme un homme sans secours », bien que « je fusse libre entre les morts ». Aux yeux de ceux qui ne savaient ce qu’ils faisaient : « J’étais commue ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre; et alors votre main les a retranchés ». C’est-à-dire, quand ils m’ont regardé de la sorte, eux-mêmes « ont été retranchés par votre main »; en d’autres termes, privés des secours de votre main, alors qu’ils me croyaient sans secours. « Car ils ont creusé une fosse sous mes yeux», est-il dit dans un autre psaume, « et ils y sont tombés eux-mêmes 4 ». Il est mieux, je crois, d’entendre ainsi les paroles de notre psaume : « Ils ont été retranchés par votre main », que de les rapporter à ceux qui dorment dans le sépulcre, et dont Dieu ne se souvient point encore : puisqu’il y a certainement parmi eux des justes, dont Dieu ne se souvient point pour les ressusciter, et dont il est dit néanmoins: « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu 5»; c’est-à-dire qu’elles reposent sous la protection du Tout-Puissante, et

 

1. Matth. XXVII, 50, 60.— 2. Ps. CI, 8. — 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. LVI, 7.— 5. Sag. III, 1.— 6. Ps. XC, 1.

 

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qu’elles demeurent à l’ombre du Dieu du ciel. Mais ceux-là sont rejetés de la main de Dieu, qui ont cru que le Christ en était rejeté parce qu’ils avaient pu le mettre à mort avec des scélérats.

6. « Ils m’ont placé», continue le Prophète, dans une fosse profonde 1», ou plutôt, « dans la fosse la plus basse», comme on lit dans le grec 2. Or, quelle est cette fosse profonde, sinon une misère tellement profonde, qu’il n’est rien au delà? De là cette parole : « Vous m’avez tiré de l’abîme de misère 3. Ils m’ont placé dans des lieux ténébreux, à l’ombre de la mort »; ils croyaient m’y mettre, eux qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui ne connaissaient pas celui que nul prince du siècle n’a connu 4. Par cette ombre de la mort, je ne sais si l’on doit entendre la mort corporelle, ou plutôt celle dont il est écrit : « Que la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres, à l’ombre de la mort 5 »; parce que la foi à la lumière et à la vie les a tirés des ténèbres et de la mort de l’impiété. C’est parmi eux qu’avaient rangé le Sauveur, ceux qui ne le connaissaient point, et dans leur ignorance, ils l’ont mis au rang de ceux qu’il est venu détourner de ces ténèbres.

7. « Votre indignation s’est appesantie sur moi 6», ou « votre colère », comme on lit dans certains exemplaires, ou « votre fureur », comme on lit en d’autres. Car l’expression grecque Tumos, a été traduite différemment. Quand on lit orgué dans le grec, nul traducteur n’hésite à traduire ira, colère, mais quand on rencontre Tumos, la plupart ne veulent point traduire par colère, bien que les grands auteurs de l’éloquence latine, dissertant sur les philosophes grecs, aient traduit en latin ce mot par ira, ou colère. Ne nous y arrêtons pas plus longtemps, et si nous devons employer une autre expression, je préfère le mot indignation à fureur, car dans la langue latine, fureur ne se dit ordinairement pas des hommes rassis. Comment donc entendre : « Votre colère s’est appesantie sur moi », sinon dans le sens de ceux qui ne connaissaient point le Seigneur de la gloire 7? Ils croyaient que la colère de Dieu, non-seulement était soulevée, mais encore appesantie sur lui, puisqu’ils avaient pu le livrer à la

 

1. Ps. LXXXVII, 7.— 2. Grec katotato. — 3. Ps. XXXIX, 3. — 4. I Cor. II, 8.— 5. Isa. IX, 2.— 6. Ps. LXXXVII, 8.— 7. I Cor, II, 8

 

mort, non point à une mort telle quelle, mais à ce genre de mort qu’ils avaient le plus en horreur, à la mort de la croix. De là cette parole de l’Apôtre: « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous: car il est écrit: «Maudit soit Celui qui est suspendu au gibet 1 ». Aussi quand il veut nous faire apprécier son obéissance jusqu’à la mort: « Il s’est humilié », nous dit-il, « en se faisant obéissant jusqu’à la mort 2». Et comme cela lui paraissait peu, il ajoute : « Et jusqu’à la mort de la croix ». Aussi le Prophète, après ce qui précède, a-t-il ajouté : « Et toutes vos suspensions » ; ou selon d’autres traducteurs, « tous vos flots » ; ou selon d’autre encore, « tous vos élans, vous les avez fait fondre sur moi ». Il est écrit dans un autre psaume : « Toutes vos suspensions et tous vos flots sont venus sur moi 3», ou comme d’autres on traduit avec plus de raison, « ont passé sur moi ». Il y a dans le grec, dielthon, et non eiselthon. Et quand on trouve les deux expressions, « suspensions » et « flots », on ne saurait mettre l’une pour l’autre. Or, nous avons assigné aux suspensions le sens de menaces, et aux flots le sens d’afflictions. Les unes et les autres viennent selon le jugement de Dieu. Mais là il est dit qu’ « elles sont passées », ici « vous les avez appelées sur moi ». Là donc, bien que plusieurs menaces soient accomplies, tous les maux qu’il a voulu comprendre dans cette expression, « ont passé sur moi », dit le Prophète. Ici: « Vous les avez amenées sur moi. » Passer, se dit en effet de ce qui n’atteint pas, comme les suspensions, et de ce qui atteint comme les flots. Mais quand il s’agit « des suspensions », il ne dit point : Elles ont passé sur moi; mais: «Vous les avez amenée sur moi », pour montrer que toutes les menaces se sont accomplies ; or, tout cela était suspension sur lui, tant que la prophétie renfermait, comme une menace pour l’avenir, tout ce qui s’est accompli dans la suite au temps de sa passion.

8. « Vous avez éloigné de moi tous cens qui me connaissaient 4 ». Si par le mot notos meos, du latin, nous entendons tous ceux que le Christ connaissait, nous diront tout le monde; qui en effet ne connaissait-il

 

1. Gal. III, 13; Deut. XXI, 23.— 2. Philipp. I ; 8.— 3. Ps. XLI, 8 — 4. Id. LXXXVII, 9.

 

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pas? Mais le Prophète entend ici tous ceux qui le connaissaient; autant du moins qu’ils pouvaient le connaître, en ce sens du moins qu’ils croyaient à son innocence, bien qu’ils ne vissent en lui qu’un homme, et non un Dieu. Toutefois il pouvait entendre par ce mot de flou, ou connus, ceux qui lui sont agréables, comme il appelle inconnus les méchants qu’il doit réprouver au dernier jour, en leur disant : « Je ne vous connais point 1 ». Quand le Prophète ajoute : « Ils m’ont eu en abomination», on peut encore entendre ceux mêmes qu’il appelle ses connus ou intimes, et qui avaient en horreur son genre de supplice : toutefois il est mieux d’appliquer ces paroles aux persécuteurs du Christ, dont le Prophète a parlé auparavant. « J’ai été livré », dit-il, « et je ne pouvais sortir ». Est-ce parce que ses disciples étaient au dehors 2, quand on le jugeait dans l’intérieur du palais, ou plutôt faut-il donner à cette expression « je ne sortais point » un sens plus relevé, c’est-à-dire, je me renfermais dans mon intérieur, je ne montrais point qui j’étais, je ne me faisais point connaître, je ne me manifestais point? Le Prophète ajoute: « Mes yeux ont langui dans l’indigence 3». De quels yeux faut-il entendre ces paroles? S’il est question des yeux de cette chair dans laquelle il souffrait, nous ne lisons point dans la passion, que l’indigence les ait fait languir, comme il est ordinaire à la faim d’amener la défaillance. Car il fut livré après la Cène, et crucifié le même jour. S’il est question des yeux intérieurs, comment se seraient-ils affaiblis par l’indigence, puisqu’ils avaient l’inextinguible lumière? Mais par ses yeux, il entend ceux des membres de ce corps dont il était la tête, et qu’il aimait d’un amour plus particulier commue les membres les plus éclairés et les plus apparents. C’est de ce corps que l’Apôtre a dit, en le comparant avec le nôtre : « Si le corps est tout oeil, où sera l’ouïe ? s’il est tout ouïe, où sera l’odorat ? Or, si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, ou serait le corps? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font qu’un même corps. L’oeil ne peut pas dire à la main: Je n’ai pas besoin de toi. Et si la main disait: Puisque je ne suis pas l’oeil, je mie suis pas du corps, en ferait-elle moins partie du corps ?» Et pour marquer

 

1. Matth. VII, 23.— 2. Id. XXVI, 56. — 3. Ps. LXXXVII, 10.

 

plus clairement encore ce qu’il veut faire comprendre, l’Apôtre ajoute : « Vous êtes le corps de Jésus-Christ et ses membres 1 ». Ses yeux donc étaient les saints Apôtres, à qui le sang et la chair ne l’avaient pas révélé, mais son Père céleste, qui avait fait dire à Pierre : « Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant 2 ». Or, ces Apôtres le voyant livré et en proie à de telles douleurs, mais ne le voyant point tel qu’ils désiraient, c’est-à-dire qu’il ne sortait point dehors, ou plutôt ne manifestait point sa souveraine puissance, mais qu’il demeurait caché en lui-même, souffrant tout comme s’il eût été vaincu, ces Apôtres « étaient affaiblis par l’indigence », car ils n’avaient plus la lumière qui était comme leur nourriture.

9. « Et j’ai crié vers vous, Seigneur ». C’est ce que le Sauveur fit ostensiblement à la croix. Mais il est bon de chercher comment nous devons entendre les paroles suivantes : « Durant tout le jour, j’ai élevé mes mains vers vous ». Si par l’élévation de la main tu entends la potence de la croix, comment expliquer « tout le jour ? » Fut-il donc suspendu à la croix pendant tout le jour, puisque la nuit appartient aussi au jour ? Si le Prophète a voulu comprendre ici ce jour qui est séparé de la nuit, et qui est le jour proprement dit, déjà une première et grande partie du jour s’était écoulée quand le Christ fut mis en croix. Si cette expression, tout le jour, signifie tout le temps (car cette expression est au féminin, et dans la langue latine elle n’a d’autre signification que celle d’un temps, bien qu’il n’en soit pas ainsi en grec, puisque dans cette langue, jour est du féminin, et de là vient, selon moi, que les traducteurs l’ont ainsi rendu), alors la question devient plus difficile. Comment dire tout le temps de sa vie, puisque le Christ n’a pas même étendu ses mains en croix pendant tout un jour? Mais si l’on veut alors prendre la partie pour le tout, parce qu’il est d’usage dans l’Ecriture de parler ainsi, je ne trouve aucun exemple qui autorise à prendre le tout pour la partie, quand cette expression « tout le jour», est formellement employée. En effet, quand le Sauveur dit dans l’Evangile: «Ainsi le Fils de l’homme « sera dans le sein de la terre, trois jours et « trois nuits 3 », il n’est pas contre l’usage d’entendre ici le tout pour la partie, puisqu’il ne

 

1. I Cor. XII, 12-27.— 2. Matth. XVI, 16, 17.— 3. Matth. XII, 40.

 

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dit point : trois jours entiers, trois nuits entières. Il n’y eut en effet que le jour du milieu qui fut tout entier; des deux autres il y eut seulement la dernière et la première partie. Mais si dans cette expression il a voulu désigner sa prière, et non sa croix, prière qu’il adressait à Dieu Son Père, sous la forme de l’esclave, l’Evangile nous apprend qu’il pria longtemps avant sa passion, pendant sa passion et même à la croix; mais nulle part nous ne lisons qu’il l’ait fait tout le jour. Il est mieux dès lors d’entendre par cette élévation des mains, cette continuité des bonnes oeuvres que Jésus-Christ n’a point cessé de faire.

10. Mais parce que ses bonnes oeuvres n’avaient d’utilité que pour les hommes prédestinés au salut, et non pour tous les hommes, pas même pour tous ceux au milieu desquels il les opérait, le Prophète ajoute : « Ferez-vous des miracles parmi ceux qui sont morts 1? » Si nous entendons ces paroles de tous ceux dont la chair était sans vie, de grands prodiges furent opérés sur les morts, puisque plusieurs revinrent à la vie 2 : et quand le Seigneur pénétra dans les enfers, et en sortit vainqueur de la mort, c’était en faveur des morts un grand miracle. Cette expression donc: « Ferez-vous des miracles parmi les morts », désigne ces hommes dont le coeur est tellement mort, que les miracles surprenants du Christ ne pouvaient les rappeler à la vie de la foi. Le Prophète ne dit point que Dieu ne fera point de merveilles parmi eux, en ce sens qu’ils ne les verront pas, mais en ce sens qu’ils n’en profiteront point. De même en effet qu’il dit: « Tout le jour j’ai élevé mes mains vers vous » ; parce qu’il n’avait dans ses actions d’autre but que la volonté de son Père, et qu’il assurait souvent qu’il était venu pour accomplir cette volonté suprême 3 : ainsi parce que ces oeuvres étaient accomplies sous les yeux d’un peuple infidèle, un autre Prophète a dit : « J’ai étendu les mains pendant tout le jour vers un peuple incrédule, et qui me contredit 4 ». Tels sont les morts pour qui Dieu n’a point opéré ses merveilles; non qu’ils ne les aient point vues, mais parce qu’ils ne sont point ressuscités. Voici la suite : « Les médecins rappelleront-ils à la vie, afin que l’on bénisse votre nom ?» C’est-à-dire, les médecins rendront-ils la vie aux hommes qui vous

 

1. Ps. LXXXVII, 11. — 2.Mat. XXVII, 12.— 3. Jean, VI, 38. — 4. Is. LXV, 2.

 

béniront ensuite? On prétend qu’il en est autrement dans l’hébreu, et qu’au lieu de médecins il y a les géants. Mais les Septante, dont l’autorité est si grande, que ce n’est pas sans raison que l’on croit leur version dictée par l’Esprit d’en haut, à cause de leur accord admirable, ne se sont point trompés ici. lis ont saisi l’occasion de la ressemblance qui existe entre les mots hébreux, dont l’un signifie médecins, et l’autre géants, qui ont presque la même consonnance, et n’ont qu’une différence très légère , pour nous montrer comment nous devons entendre les géants. Si cette expression désigne, en effet, ces orgueilleux dont l’Apôtre a dit: u Où est « le sage? Où est le scribe ? Où est le savant « de ce monde 1?» on a pu avec raison les appeler médecins, comme promettant de guérir les âmes par l’art de leur propre sagesse. C’est contre cette prétention que le Prophète a dit : « Le salut vient du Seigneur 2 ». Si nous prenons le mot de géant dans un sens favorable, comme il est appliqué au Seigneur lui-même : « Il a bondi semblable à un géant pour parcourir sa carrière 3 »: en sorte qu’il soit lui-même le géant des géants, le tort d’entre les forts et les grands qui s’élèvent dans son Eglise par une force toute spirituelle; de même qu’il est la montagne des montagnes, puisqu’il est écrit de lui : « Voilà que dans les derniers jours la montagne du Seigneur apparaîtra, et s’élèvera sur le sommet des  montagnes »; comme il est encore appelé le Saint des saints : alors il n’y a rien d’étonnant que ces grands et ces forts soient aussi appelés des médecins. De là ce mot de l’Apôtre saint Paul : « Je tâche de stimuler ma chair ou les Juifs, afin de sauver quelques-uns d’entre eux 4 ». Quoique ces médecins ne guérissent point les âmes par eux-mêmes, non plus que les médecins du corps ne le font d’eux seuls; cependant, par leur fidélité dans leur ministère, ils peuvent aider au salut, soulager les vivants, muais non ressusciter les morts, dont le psaume a dit : «Ferez-vous des merveilles parmi les morts? » La grâce de Dieu qui fait revivre les âmes des hommes, est trop intérieure, pour qu’elles puissent recevoir de quelques-uns de ses ministres des ordres de salut. Telle est la grâce qui nous est signalée dans l’Evangile, en ces termes:

 

1. I Cor. I, 20. — 2. Ps. III, 9.— 3. Id. XVIII, 6.— 4. Isa. II, 2. — 5. Rom. XI, 14.

 

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«Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire »; et un peu après, il reprend avec plus de clarté : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie; mais il en est d’entre vous qui ne croient point ». C’est après quoi l’Evangéliste ajoute : « Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point en lui, et celui qui le trahirait ». Et voilà que cet Evangéliste poursuit en citant les paroles du Sauveur: «Et il leur disait: C’est pourquoi je vous l’ai dit, nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné de mon Père 1 ». Il avait dit plus haut : « Il en est d’entre vous qui ne croient point ». Et comme pour en marquer la cause, il ajoute : « C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s’il ne lui a été donné de mon Père», afin de montrer que c’est de Dieu que nous vient cette loi par laquelle on croit, et on fait reprendre au coeur mort une vie nouvelle. Ainsi, quoi que fassent auprès des hommes ces prédicateurs éminents de la parole, ces grands esprits qui vont jusqu’à opérer des miracles pour persuader la vérité, bien qu’on puisse les considérer comme d’habiles médecins; si les hommes sont morts, et que votre grâce ne les ressuscite pas, « ferez-vous des miracles en faveur des morts, et les médecins ressusciteront-ils » , et ceux qu’ils ressusciteront, vous confesseront-ils? » Car cette confession est un signe de vie, ainsi qu’il est écrit ailleurs: «La confession d’un mort est comme celle d’un homme qui n’existe plus 2 ».

11. « Quelqu’un dira-t-il votre miséricorde dans le tombeau, et dans la perdition votre vérité 3 ? » On sous-entend le verbe qui précède, comme s’il y avait dans ce verset: Quelqu’un dira-t-il votre vérité dans la perdition ? Car l’Ecriture, surtout dans les psaumes, aime à joindre la vérité à la miséricorde. Mais « dans la perdition » est la répétition de ce qui a été dit plus haut : « Dans le sépulcre ». Or, dire : « Dans le sépulcre », était dire tous ceux qui sont dans le sépulcre, saque désignait plus haut le nom de morts, ainsi qu’il est écrit : « Ferez-vous des miracles parmi les morts ? » Pour une âme qui est morte, le corps est en effet un tombeau. Aussi le Seigneur a-t-il dit à ces hommes dans l’Evangile : « Vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui à l’extérieur paraissent beaux,

 

1. Jean. VI, 44, 64-66. — 2. Eccli. XVII, 26. — 3. Ps. LXXXVII, 12.

 

et qui au dedans sont remplis d’ossements de morts et de corruption : de même au dehors vous paraissez justes aux hommes; mais au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité 1 ».

12. « Les ténèbres connaîtront-elles vos merveilles, et votre justice paraîtra-t-elle dans la terre de l’oubli 2? » Ce qui est « dans les ténèbres », est aussi « dans la terre de l’oubli ». Or, ces ténèbres signifient les infidèles, selon cette parole de l’Apôtre: « Autrefois en effet vous étiez ténèbres 3 ». Ainsi la terre de l’oubli n’est que l’homme oublié de Dieu. Car l’âme infidèle peut arriver à des ténèbres si profondes, que l’insensé dise dans son coeur : « Il n’y a pas de Dieu 4 ». Voici donc la suite de tout ce qui est dit dans ces versets : « J’ai crié vers vous » au milieu des douleurs; « j’ai élevé mes mains, pendant tout le jour », c’est-à-dire je n’ai cessé d’étendre mes oeuvres, afin de vous glorifier, ô mon Dieu. Pourquoi cette fureur des impies contre moi, sinon parce que vous ne ferez point de merveilles parmi les morts? c’est-à-dire, parce qu’ils ne sont point touchés par la foi, que les médecins ne les ressusciteront point, et n’amèneront point à vous louer ceux en qui votre grâce n’agira point invisiblement, pour les entraîner à la foi ; car nul ne vient à moi, à moins que vous ne l’attiriez. « Qui en effet racontera votre miséricorde dans le sépulcre? » c’est-à-dire, en parlera à cette âme sans vie, qui gît sous le poids du corps? « Qui dira votre vérité dans la perdition? » c’est-à-dire dans cette mort incapable de rien voir et de rien sentir ? Est-ce en effet dans les ténèbres de cette mort, ou dans cet homme, qui a perdu en vous oubliant la lumière de la vie, « que l’on pourra connaître vos merveilles et votre justice? »

13. Toutefois on pouvait demander à quoi servent ces morts, et quel usage Dieu en tire pôur le corps du Christ, qui est l’Eglise. C’est pour montrer par là l’effet de la grâce de Dieu dans les prédestinés, qui sont appelés par le décret de la prédestination. Aussi tout le corps des élus dit-il dans un autre psaume: « Il est mon Dieu: sa miséricorde me préviendra: mon Dieu me le fera voir, dans le sort de mes ennemis 5».Aussi le Prophète continue, en disant: « Et moi j’ai crié vers vous, ô mon

 

1. Matth. XXIII, 27, 28. — 2. Ps. LXXXVII, 13.— 3. Ephés. V, 8. — 4. Ps. XIII, 1. — 5. Id. LVIII, 11, 12.

 

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Dieu 1 ». Et ici nous devons entendre le Christ, qui parle au nom de son Eglise, ou de son corps mystique. Qu’est-ce à dire en effet « et moi », sinon que nous avons été, nous aussi, par nature, des enfants de colère, ainsi que les autres 2 ? Mais « j’ai crié vers vous », afin de recevoir le salut. Qui en effet met une différence entre moi et les enfants de colère, quand j’entends ce reproche terrible de l’Apôtre à tous les ingrats : « Qui est-ce qui met de la différence entre vous ? Qu’avez-vous que vous n’ayez pas reçu ? Et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous n’aviez point reçu 3? » Le salut vient du Seigneur 4. Le géant ne se sauvera point par sa grande force 5; et comme il est écrit « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé 6. Mais comment l’invoquer, s’ils ne croient point en lui ? Comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler ? Comment en entendre parler, si nul ne leur prêche? Et comment prêcher, si l’on n’est envoyé 7? Ainsi qu’il est écrit : Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la paix, qui prêchent les biens 8 ! » Tels sont les médecins qui guérissent le malheureux, blessé par les voleurs; mais c’est le Seigneur qui l’a conduit dans l’hôtellerie 9 : car ils ne travaillent que dans le champ du Seigneur. Mais ni celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, c’est Dieu qui dorme l’accroissement 10. C’est pour cela que j’ai crié vers le Seigneur, ou que j’ai demandé au Seigneur le salut. Et comment l’invoquer, si je n’eusse cru en lui? Comment croire en lui, si je n’eusse entendu sa parole ? Mais afin que je crusse à ses paroles, il m’a lui-même attiré car ce n’est point un médecin quelconque, mais lui-même, qui m’a délivré secrètement de la mort de mon âme. Beaucoup ont entendu en effet, puisque le bruit de leurs paroles a retenti dans tout l’univers, et que leurs prédications ont gagné les derniers rivages 11. Mais tous n’ont la la foi 12 et le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 13. De là vient que je n’eusse point cru moi-même, si Dieu ne m’eût prévenu dans sa miséricorde 14, et s’il ne m’eût appelé intérieurement, s’il ne m’eût ressuscité, s’il ne m’eût attiré à lui, en me tirant de mes ténèbres pour m’amener

 

1. Ps. LXXX, 11, 14. — 2. Ephés. II, 3. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Ps. III, 9. — 5. Id. XXXII, 16. — 6. Joel, II, 32— 7. Rom. X, 13-15. — 8. Isa. LII, 7.— 9. Luc, X, 34. — 10. I Cor. III, 7.— 11. Ps. XVIII, 5.— 12. II Thess. III, 2.— 13. II Tim, II, 19. — 14. I Cor, I, 28.

 

à la lumière de la foi, comme il ressuscite les morts, comme il appelle ce qui n’est pas aussi bien que ce qui est. C’est pourquoi il dit ensuite : « Et au matin ma prière vous préviendra». Au matin, quand la nuit sera dissipée, ainsi que les ténèbres de l’infidélité. Mais pour que j’arrive à ce matin, c’est votre miséricorde qui m’a prévenu : or, il me reste une dernière lumière, qui doit illuminer les ténèbres les plus profondes, manifester les pensées des coeurs, afin que chacun reçoive de vous la louange, ô mou Dieu 1 : maintenant dans cette vie, dans ce pèlerinage, dans cette lumière de la foi, qui est un jour en comparaison des ténèbres de l’infidélité, mais qui n’est que la nuit en comparaison de ce jour où nous vous verrons face à face; maintenant « ma prière vous préviendra».

14. Mais afin que cette prière soit fervente et de plus en plus vive, ce qui nous est utile, selon moi, au-delà de tout ce que l’on peut dire : Dieu diffère le bien qu’il doit nous donner pour l’éternité, et laisse nos voeux se multiplier.  Aussi le psaume dit-il aussitôt: « Pourquoi, Seigneur, repousser ma prière 2? » C’est ce qui est déjà dit ailleurs: «O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 3 ? » Il demande seulement à connaître cette raison, sans accuser la divine sagesse d’agir sans motif : de même ici: « Pourquoi, ô Dieu, avez-vous repoussé ma prière? » Et cependant, avec un peu d’attention, nous trouvons que cette cause est indiquée dans ce qui précède. Car Dieu ne diffère d’exaucer les prières des saints, en éloignant d’eux le bien qu’ils désirent, et en les éprouvant par la tribulation, que pour attiser cette prière, comme on attise le feu sous le souffle qui résiste.

15. L’interlocuteur parcourt brièvement les douleurs qu’endure ici-bas le corps du Christ. Car ce n’est point le chef seul qui souffert, puisqu’il a dit à Saul : « Pourquoi  me persécutez-vous 4? » et que Paul, déjà choisi et placé parmi les membres du même corps, s’écrie: « Qu’il achève en son corps ce qui manque à la passion du Christ 5. Pourquoi donc, ô mon Dieu,avez-vous rejeté ma prière, et détourné de moi votre visage? Je suis pauvre et dans le travail depuis ma

 

1. I Cor. IV, 5.— 2. Ps. LXXXVII, 15 — 3. Id. XXI, 2.— 4. Act. IX, 4. — 5. Coloss. I, 24.

 

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jeunesse. Je n’ai été élevé que pour tomber dans l’humiliation et dans le trouble. Sur moi ont passé vos colères, et vos terreurs m’ont accablé. Elles m’ont environné tout le jour comme l’eau, elles m’ont environné toutes ensemble. La misère dont vous m’avez frappé, a éloigné de moi mes amis et mes proches 1 ». Tout cela est arrivé, tout cela arrive encore aux membres du corps mystique de Jésus-Christ. Dieu a détourné d’eux sa face, en ne les exauçant point dans ce qu’ils désiraient, quand ils ne savaient point ce qui leur était utile. Toute l’Eglise est pauvre; elle a faim, et dans son exil elle soupire après ce qui peut la rassasier dans la patrie, Elle est dans les travaux depuis sa jeunesse, car c’est le corps du Christ qui s’écrie dans un autre psaume : « Ils m’ont souvent attaqué dès ma jeunesse 2 ». Et si quelques-uns de ses membres sont élevés dès cette vie, c’est afin qu’ils en deviennent plus humbles. La colère de Dieu a passé aussi dans tout le corps du Christ, c’est-à-dire dans l’unité des saints et des fidèles, qui ont le Christ pour chef, mais elle n’y demeure point. Car ce n’est point du fidèle, mais de l’infidèle, qu’il est dit : « La colère de Dieu demeure sur lui ». Les terreurs de Dieu épouvantent les chrétiens failles; car il est sage de craindre ce qui peut arriver, quand même il n’arriverait pas effectivement, Ces terreurs néanmoins troublent quelquefois l’esprit qui voit les maux dont il est menacé, au point que ses maux paraissent l’environner de toutes parts et le cerner comme une inondation. Et commue ces afflictions ne manquent jamais à l’Eghise exilée en

 

1. Ps. LXXXVII, 16-19. — 2. Id. CXXVIII, 1. — 3. Jean, III, 36.

 

en ce monde, puisqu’ils assiégent tantôt l’un et tantôt l’autre de ses membres ; le Prophète a dit : « Tout le jour», pour désigner une douleur continuelle, et qui durera jusqu’à la fin des siècles, Souvent encore tes amis et les proches, frappés de terreur à la vue de tant de tribulations dont ils sont menacés, abandonnent les saints ; c’est d’eux que saint Paul a dit: « Tous m’ont abandonné, que Dieu ne le leur impute point 1 ». Mais à quoi bon tout cela, sinon pour que la prière de ce saint corps s’élève devant Dieu dès le matin, c’est-à-dire après la nuit de l’infidélité, jusqu’à ce que vienne enfin ce salut dont l’espérance fait que nous sommes déjà sauvés, et que nous en attendions la réalité avec patience 2? C’est là que Dieu ne repoussera point notre prière, parce que nous n’aurons rien à demander, mais que nous obtiendrons tout ce qui a été demandé; là qu’il ne détournera point de nous sa face, puisque nous le verrons tel qu’il est 3; là qu’il n’y aura aucune pauvreté, puisque Dieu sera notre abondance, et tout à tous 4 : là qu’il n’y aura plus aucune fatigue, parce qu’il n’y aura point d’infirmité; là qu’il n’y aura ni trouble, ni abaissement, parce qu’il n’y aura aucune adversité; là que nous ne subirons plus le passage des colères de Dieu, parce que nous demeurerons affermis dans sa bonté; là que nulle terreur ne viendra nous troubler, parce que l’accomplissement des promesses nous établira dans la félicité; là que nul ami, nul de nos proches ne nous délaissera dans sa frayeur, parce que nous n’aurons à craindre aucun ennemi.

 

1. II Tim. IV, 16. — 2. Rom. VIII, 24, 25. — 3. I Jean, III, 2. — 4. I Cor. XV, 28.

 

 

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