PSAUME LXXVII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVII.

LES FIGURES DE L’ANCIENNE LOI.

 

Le Prophète nous avertit de chercher un sens caché dans ces figures que tous les enfants de la synagogue n’ont pas comprises. Le Prophète, s’adressant au peuple, parle au pluriel, parce que tous doivent écouter la loi, et avec humilité. Ce peuple ou la génération venir, c’est l’Eglise formée des Juifs et des Gentils. Evitons les châtiments consignés par te Prophète, châtiments figuratifs bien au-dessous de la réalité, Il dit les énigmes dès le commencement, c’est-à-dire depuis la délivrance d’Egypte. Dieu commence à parler lui-même, puis il se sert d’un homme pour parler en son nom. Pour cet homme, le  commencement c’est l’Ancien Testament que domine la crainte ; la fin, c’est le Nouveau avec la grâce et la charité. Dans l’un tout est promesse figurative, dans l’autre tout s’accomplit. La loi est un témoignage parce qu’elle a mis en évidence le péché; les Juifs l’ont reflue pour la faire connaître aux chrétiens sans l’avoir eux-mêmes comprise, parce qu’ils n’avaient pas le coeur en haut, ni la foi en Dieu : ils ne s’attachaient point à Dieu pour faire le bien par sa grâce. Ils comptaient sur leurs oeuvres, et ont tourné le dos an jour du combat; eux, les privilégiés de Dieu, les premiers n’ont point gardé son alliance, et dais les oeuvres extérieures leur coeur, qui n’était pas en Dieu, n’était pas d’accord avec les mains. Ils ont oublié les merveilles opérées en présence de Moïse, d’Aaron, des anciens qui étaient en Israël, comme saint Paul pour les premiers fidèles. L’Egypte est pour nous le monde, Tanis l’humilité. Dieu, qui retint les eaux, peut arrêter nos convoitises coupables, éclairer notre marche, nous abreuver de l’Esprit-Saint. Ils eurent soif, Ou mieux, leur coeur n’avait aucune sève, ils demandaient de la nourriture sans croire pie Dieu pût leur en donner. Dieu leur en donna d’abord, puis les châtia. La foi leur est donné le Verbe qui eût ouvert les nuées ou tu bouche des prédicateurs pour en faire tomber la parole de l’Evangile, ce mène pain qui nous vient par saint Paul. Notre indocilité provoque la colère du Seigneur qui n’épargne -pas même ses élus. Les Juifs recherchaient Dieu par crainte de la mort, et non pour lui-même; ils attendaient de sa bonté L’impunité de leurs crimes. Dieu pardonne sans doute, mais en cette vie, comme il fit tant de fois pour ce peuple qui aurait dû profiter des plaies d’Egypte. Dieu se servit des mauvais anges pour exercer sa justice, comme il se sert quelquefois des bons. Quant aux incrédules, ils, sont la propriété des démons. L’endurcissement des Egyptiens est l’effet de l’abandon de Dieu, abandon qui les portait à haïr son peuple. Telle est la domination des mauvais anges, dont nous délivre la grâce de Dieu seulement, qui nous arrache à la puissance des ténèbres pour nous transporter au ciel, comme ce peuple arriva à la terre promise. Nous sommes alors les brebis du Seigneur, qui chasse devant nous les erreurs, nous met à la place des auges rebelles. Irrité de nouveau, Dieu rejeta le tabernacle de Silo, permit que l’arche fût prise, puis frappa les Philistins comme il frappe toute âme lâche. Il rejette en grande partie le peuple juif, choisit Juda d’où naquit le Christ; de là le peuple chrétien fondé pour les siècles, enfanté par les églises juives, issu des Gentils, que Dieu fait paître dans la foi et dans l’innocence.

 

1. Ce psaume contient le récit de tout ce que Dieu a fait pour le peuple ancien le Prophète avertit le peuple nouveau d’éviter l’ingratitude à l’égard des bienfaits de Dieu, de ne point provoquer sa colère, de recevoir ses faveurs avec soumission et fidélité, de n’être point « comme leurs pères, une race indocile et rebelle, une race qui n’a point redressé son coeur, et dont l’âme n’a point mis sa confiance en Dieu 1 ». Tel est le but du psaume, son utilité, l’excellent fruit qui nous en reviendra. Bien que tout y soit clair, et facile à exposer, le titre néanmoins attire notre attention. Ce n’est pas sans sujet qu’il porte : « Intelligence d’Asaph 2» ; c’est afin que, loin de s’arrêter à la superficie, le lecteur attentif cherche un sens plus caché. Puis, avant de rappeler et d’exposer toutes ces merveilles, qui semblent n’avoir besoin que d’être dites pour être comprises, le Prophète s’écrie « J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’exposerai

 

1. Ps. LXXVII, 8.— 2. Id. I.

 

« les propositions depuis te commencement 1». Qui ne sortirait de son sommeil? Qui oserait lire à la hâte et regarder comme intelligibles des figures, des paraboles, dont le nom seul indique un sens plus profond qu’il faut rechercher? Parabole est en effet un mot grec employé dans le latin, et qui indique une comparaison; car, chacun le sait, dans la parabole on compare ce que l’on dit avec ce que l’on veut faire entendre. Quant aux propositions, appelées en grec problemata ce sont des questions que la discussion doit résoudre. Qui donc alors oserait lire en courant des paraboles et des propositions? Qui, au contraire, à ces mots, ne redoublerait d’attention pour les comprendre et en tirer du fruit?

2. « Ecoutez ma loi, ô mon peuple 2 », est-il dit. Qui parle de la sorte, sinon Dieu, croirons-nous ? C’est lui qui a donné sa loi à son peuple qu’il avait rassemblé après l’avoir tiré de l’Egypte; et cette assemblée porte le nom

 

1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Id. 1.

 

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de synagogue, œ que désigne encore Asaph. Mais cette parole: «Intelligence d’Asaph », indiquerait-elle ce que comprenait un homme du nom d’Asaph, ou bien doit-on l’entendre au figuré, de ce qu’a pu comprendre la synagogue, ou ce tnême peuple à qui l’on dit: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple? » Mais alors pourquoi un prophète nous dirait-il de ce même peuple : « Israël ne m’a point connu, e mon peuple a manqué d’intelligence ? » Assurément il y avait dans ce peuple des hommes qui comprenaient,qui croyaient ce qui a été révélé depuis, et qui par cette croyance appartenaient, non plus à la lettre de la loi, mais à l’esprit de grâce. Car ils ne manquaient pas de foi, ceux qui ont pu prévoir et prédire que cette foi nous serait révélée en Jésus-Christ, et que tous ces rites mystérieux de l’ancienne loi n’étaient que des ombres de l’avenir. N’y eut-il que les Prophètes pour avoir cette foi, et le peuple ne l’eut-il point ? Il l’avait sans doute, et tous ceux qui écoutaient fidèlement les Prophètes, recevaient la même grâce pour croire ce qu’ils entendaient. Mais le mystère du royaume des cieux était voilé dans l’Ancien Testament, pour être révélé dans le Nouveau, quand les temps seraient accomplis. « Je ne veux point », dit l’Apôtre, « vous laisser ignorer, mes frères, que vos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, qu’ils ont tous mangé le même pairs mystérieux, qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, pierre qui les suivait, et cette pierre était le Christ 2 ». C’était donc le même pain mystérieux, le même breuvage que le nôtre, le même par la signification, et non en apparence : car ce même Christ qui était pour eux figuré dans la pierre s’est manifesté à nous dans sa chair. « Mais », poursuit l’Apôtre, « la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur. Tous à la vérité mangèrent la même nourriture spirituelle, tous burent le même breuvage spirituel», c’est-à-dire un breuvage qui avait une signification spirituelle: « Mais tous ne furent pas agréables à Dieu ». L’Apôtre dit que « tous ne furent pas agréables »; il y en avait donc plusieurs qui plaisaient à Dieu : les mystères étaient

 

1. Isa. 1, 3. — 2. I Cor. X, 1-5.

 

communs à tous, mais la grâce qui est la force des sacrements, n’était pas commune à tous. Aujourd’hui en pleine lumière de cette foi qui était alors voilée, tous sont baptisés au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit 1, c’est pour tous le même bain de la régénération; mais cette grâce, marquée par les sacrements, et par laquelle les membres du Christ sont régénérés dans leur chef, n’est pas la même pour tous. Car les hérétiques ont le même baptême, aussi bien que les faux frères qui sont dans la communion catholique. Il est donc vrai de dire ici que « tous ne furent « point agréables à Dieu ».

3. Ce n’est pas inutilement néanmoins, alors comme aujourd’hui, que cette voix se fait entendre : « Ecoutez ma loi, ô mon peuple ». On voit dans tous les exemplaires que le Prophète ne dit pas: Ecoute; mais bien: « Ecoutez ». Car le peuple se compose de nombreux individus, et c’est à tous que s’adresse au pluriel cette parole qui suit : « Inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche ». « Ecoutez » a le même sens que « prêtez l’oreille », et « ma loi » est répétée dans ces expressions, « les paroles de ma bouche ». Il écoute en effet pieusement la loi de Dieu et les paroles de sa bouche, celui dont l’oreille s’incline avec humilité, non pas celui qui élève la tête avec arrogance. Une eau que l’on verse est recueillie dans les bas. fonds de l’humilité, et ne tient point sur le cône de l’orgueil. Aussi est-il dit ailleurs: « incline l’oreille, et reçois les paroles e de l’intelligence 2 » . Nous le voyons suffisamment, ce psaume est de l’intelligence à Asapb, car dans le titre, ce mot intelligence est au génitif; il y a de l’intelligence, et non intelligence, et nous devons l’écouter en inclinant l’oreille, ou avec une humble piété. Et même il n’est pas dit d’Asaph, mais bien à Asaph, comme nous le voyons par l’article grec, et dans certains exemplaires. Ces paroles sont donc des paroles d’instruction, des leçons comprises données à Asaph; et Asaph n’est point un seul homme, mais bien le peuple de Dieu dont nous ne devons pas nous séparer. Sans doute le mot de Synagogue convient particulièrement aux Juifs, celui d’Eglise aux chrétiens, comme on dit un troupeau de bêtes, une réunion d’hommes ; cependant nous voyons le nom d’Eglise donné à la Synagogue, et c’est à nous qu’il convient plus

 

1. Matth. XXVIII, 19. — 2. Prov. XXII, 17

 

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particulièrement de dire : «Sauvez-nous, Seigneur, notre Dieu, rassemblez-nous du milieu des peuples, afin que nous confessions votre nom 1 ». Nous ne devons pas rougir, mais plutôt rendre à Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce que nous sommes les brebis de ses mains, qu’il avait en vue quand il disait: J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur 2; enjoignant le peuple fidèle sorti de la gentilité au peuple fidèle venu des Juifs, dont il disait plus haut : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël 3». Car toutes les nations seront  rassemblées devant lui, et il les séparera comme le berger sépare les boucs des brebis 3. Cette parole donc: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche», nous devons comprendre qu’elle est adressée, non plus aux Juifs, mais à nous-mêmes, ou du moins à nous comme aux Juifs. Car après avoir dit: « Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables à Dieu», pour montrer qu’il s’agit des Juifs qui déplurent à Dieu, l’Apôtre ajoute : « Ils périrent dans le désert », puis : « Or, toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne nous livrions pas aux mauvais désirs, comme ils s’y abandonnèrent. Ne devenez point idolâtres comme quelques-uns d’eux, ainsi qu’il est écrit: Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se réjouir. Ne commettons point la fornication, comme le firent quelques-uns, et vingt-trois mille périrent en un seul jour. Ne tentons point le Christ, comme le tentèrent quelques-uns qui furent tués par des serpents. Ne murmurez point comme quelques-uns d’eux murmurèrent et furent frappés par l’ange exterminateur. Or, toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures : elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 5». Ces chants sont donc principalement pour nous. Aussi, entre autres choses, est-il dit dans ce psaume : « Afin de donner la lumière à une autre génération, aux fils qui doivent naître et nous suivre ». Or, si la mort que donnaient les serpents, si les coups de l’ange  exterminateur; si la fureur du glaive, n’étaient que des figures, comme le

 

1. Ps. CV, 47.— 2. Jean, X, 16. — 3. Matth. XV, 21.— 4. Id. XXV, 92. — 5. I Cor. X, 5-11.

 

dit clairement saint Paul, bien que ces maux soient des faits réels ; car il ne dit pas Tout cela se disait ou s’écrivait en figure; mais: « Tout cela leur arrivait en figure » : avec quel pieux empressement ne devons-nous point éviter les maux dont elles étaient la menace figurative ? De même en effet que dans les biens la réalité figurée dépasse de beaucoup la figure elle-même, de même en fait de malheurs, ceux que nous représentent les figures sont incomparablement plus à craindre, que ces calamités déjà si grandes qui étaient figuratives. De même encore que la terre de la promesse, où l’on conduisait ce peuple, n’est rien en coin para ison de ce royaume des cieux, où se dirige le chrétien; de nième ces châtiments, quelque sévères qu’ils soient, ne sont rien en comparaison des peines dont ils sont le symbole. Ce que saint Paul appelle ici figures, le Psalmiste, autant que nous pouvons le voir, l’appelle paraboles et énigmes. Nous ne devons pas nous attacher aux faits accomplis, mais bien aux instructions qu’ils nous donnent par une comparaison très-juste. Nous, peuple de Dieu, écoutons donc sa loi, et inclinons notre oreille aux paroles de sa bouche.

4. « J’ouvrirai ma bouche en paraboles», dit le Prophète, « je dirai les énigmes dès le commencement 1 ». La suite nous- montre assez quel est ce commencement dont le Prophète veut parler. Ce n’est point la création du ciel et de la terre, ni même la création de l’homme et du genre humain, c’est la délivrance de l’Egypte, alors que ce peuple fut réuni en un corps, en sorte que les instructions s’adressent à Asaph, qui signifie réunion. Mais, hélas ! quand le Prophète s’écriait : « J’ouvrirai la bouche en paraboles», pourquoi ne daignait-il pas ouvrir aussi notre intelligence ? Si seulement, en ouvrant la bouche en paraboles, il nous découvrait aussi ces paraboles elles-mêmes ; si en nous disant des énigmes, il nous en donnait aussi l’explication, nous ne serions point à la torture. Mais il y a ici une telle obscurité, une telle nuit, que même avec son secours, si nous parvenons à en tirer de quoi nourrir nos âmes, nous aurons encore mangé notre pain à la sueur de notre front 2; et cette peine à laquelle nous sommes condamnés depuis longtemps, pèse à la fois, non-seulement sur le corps, mais encore sur l’âme. Que le Prophète

 

1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Gen. III, 19.

 

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parle donc, et nous, écoutons ses paraboles et ses énigmes.

5. « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements  nous ont racontés nos pères 1 !». C’est le Seigneur qui a parlé plus haut; à qui en effet attribuer ces paroles: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple? » Comment donc est-ce un homme qui parle tout à coup? Car voici le langage d’un homme: « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Ou plutôt, c’est Dieu qui, voulant parler par l’entremise d’un homme, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche 2? » c’est Dieu, dis-je, qui a lui-même parlé tout d’abord, de peur qu’on ne méprisât un homme, si un homme venait à parler. Telle est en effet la parole divine, qu’elle s’insinue par les séns de notre corps c’est le créateur qui stimule, par une action invisible, la créature qui lui est soumise mais ce n’est point sa substance qui se change en quelque chose de corporel ou de temporel, afin de se servir de signes matériels et palpables, qui puissent agir sur les yeux et sur les oreilles, pour manifester sa volonté, autant que des hommes la peuvent comprendre. Si un ange peut se servir de l’air, d’un nuage, du feu, ou de quelque autre nature ou apparence qui ait du corps, si l’homme peut, au moyen d’un regard, d’un mot, de la main, d’une plume, de lettres, ou par tout autre signe, indiquer les secrets de son coeur ; et même si, tout homme qu’il est, il peut avoir pour messagers d’autres hommes, s’il dit à l’un : Allez, et il va; à l’autre: Venez, et il vient; et à son serviteur: Fais ceci; et il le fait 3: avec quelle puissance, et quelle efficacité bien plus grande, le Seigneur à qui tout est soumis, ne pourra-t-il pas se servir d’un ange ou d’un homme pour annoncer ce qu’il lui plaît. C’est donc un homme qui dit: « Combien de merveilles nous avons entendues et apprises , combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Et néanmoins nous devons écouter ces paroles comme celles de Dieu, et non comme des fables humaines. C’est pour cela que Dieu a commencé à dire: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche.

 

1. Ps. LXXVII, 1. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Luc, VII, 8.

 

J’ouvrirai la bouche en paraboles, je dirai les énigmes depuis le commencement. Combien de merveilles », répond le Prophète, « avons-nous entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères !» « Nous avons entendu et appris », dit le Prophète ; ainsi dit-il ailleurs : « Ecoute et vois, ô ma fille . Ce qui a été entendu dans l’ancienne loi, est compris dans la nouvelle: entendu quand se faisait la prophétie, comme quand elle s’accomplissait. Accomplir la promesse, c’est ne point tromper ceux qui l’ont écoutée. « Combien d’événements nous ont racontés nos pères », Moïse et les Prophètes.

6. « Ils n’ont pas été cachés à leurs enfants, de génération en génération ». Ce qui est génération pour nous, c’est la naissance spirituelle qui nous a été donnée. « Ils annonçaient les louanges du Seigneur, ses grandeurs, et les merveilles qu’il faites 2 ». Le sens des paroles est celui-ci : « Nos pères nous apprenaient ces merveilles, en publiant les louanges du Seigneur ». Nous louons Dieu afin de l’aimer. Quel amour est plus avantageux?

7. « Il a suscité un testament en Jacob, et établi sa loi en Israël 3 ». Tel est le commencement dont il a été dit : « Je dirai les énigmes depuis le commencement ». L’Ancien Testament est donc le commencement, et le Nouveau est la fin. C’est la crainte qui domine dans la loi, et « le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur 4 ». « Or, la fin de la loi est le Christ qui doit justifier ceux qui croiront 5; c’est par sa grâce que la charité a été répandue dans nos coeurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné 6, et la charité parfaite bannit toute crainte 7, puisque c’est en dehors de la loi, que la justice de Dieu est manifestée aujourd’hui. Mais comme la Loi et les Prophètes lui rendent témoignage 8 », c’est pour cela que « Dieu a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël ». Aussi ce tabernacle dont la construction était une oeuvre si admirable et pleine de si grandes figures, a-t-il été appelé tabernacle du témoignage 9. C’est là qu’était le voile qui cachait l’arche de la loi, comme le ministre de la loi avait aussi un

 

1. Ps. XLIV, 11. — 2. Id. LXXVII, 4.— 3. Id. 5.— 4. Id. CX, 10.— 5. Rom. X, 4.— 6. Id. V, 5. — 7. I Jean, IV, 18.— 8. Rom. III, 21.— 9. Exod. XL, 2.

 

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voile sur la face, parce que c’était alors le temps des figures et des énigmes. Tout ce que l’on disait, tout ce que l’on faisait alors était caché sous les ombres figuratives, on ne le voyait qu’à travers l’obscurité des symboles. « Mais », dit l’Apôtre, « quand tu auras passé au Christ, le voile sera enlevé 1 ». Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité, leur amen 2. Quiconque adhère au Christ, possède tout bien, même sans le comprendre dans la lettre de la loi; quiconque lui demeure étranger, ne comprend rien, ne possède rien. « Il a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël » . C’est là une répétition comme à l’ordinaire. Car « établir un témoignage », a le même sens que « donner sa loi »; et « en Jacob », le même sens que « Israël ». Ce sont là en effet les deux noms d’un même homme, de même que la loi et le témoignage sont les deux noms d’une même chose. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas une différence entre « susciter » et « établir? » Il y en a une, sans doute, comme entre «Jacob » et « Israël ». Ce ne sont point là deux hommes différents, mais deux noms donnés au même personnage, pour des causes différentes; Jacob ou supplantateur, parce qu’en naissant il tenait le pied de son frère; Israël parce qu’il vit Dieu 3. De même « il suscita », diffère de établir. Le Prophète, en effet, si je ne me trompe, a dit : « Il suscita le témoignage », parce que ce témoignage suscita quelque chose. « Sans la loi », dit l’Apôtre, « le péché était mort, et moi je vivais, lorsque je n’avais point de loi : mais le commandement étant survenu, le péché a repris la vie ». Voilà donc ce qu’a suscité la loi, qui est dès lors appelée témoignage; elle a mis en évidence ce qui demeurait caché, comme le dit ensuite saint Paul: « Mais le péché, pour se «montrer péché, m’a donné la mort par ce qui était bon ». Cette expression : « Il a imposé sa loi», désigne en quelque sorte un joug imposé aux pécheurs: de là cet autre mot: « La loi n’est pas imposée au juste 5 ». C’est donc un témoignage, puisqu’il devient une preuve ; et c’est une loi, parce qu’elle est une injonction, et néanmoins c’est une seule et même chose, De même donc que le Christ est une pierre, et que pour les fidèles il est la pierre angulaire 6, mais pierre de scandale et

 

1. II Cor, III, 13, 16.— 2. Id. 1, 20.— 3. Gen. XXV, 25; XXXII, 38. — 4. Rom. VII, 8, 9, 33.— 5. I Tim. 1, 9.— 6. Ps, CXVII, 22.

 

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pierre d’achoppement pour les incrédules ; de même la loi est un témoignage; pour ceux qui usent mal de la loi, témoignage qui sert à les convaincre et à les châtier; pour ceux qui en usent avec droiture, témoignage qui démontre à qui les pécheurs doivent recourir pour être délivrés. « Car c’est par sa grâce, que Dieu nous donne la justice, qui a son témoignage dans la loi et les Prophètes, et qui justifie l’impie 3. Quelques-uns ignorant cette justice, et voulant établir celle qui leur est propre, ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1».

8. « Combien a-t-il adressé d’ordonnances à nos pères, afin qu’ils les tissent connaître à leurs fils, à la génération qui viendra, aux fils qui sont à naître et qui viendront, et qui les raconteront à leurs enfants; afin qu’ils mettent leur espérance en Dieu, qu’ils n’oublient point les oeuvres du Seigneur, et qu’ils recherchent ses préceptes ; afin qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, une race indocile et rebelle; une race dont le coeur n’a pas été droit, dont l’esprit n’a pas été fidèle là Dieu 2 ». Ces paroles désignent en quelque sorte deux peuples, un peuple de l’Ancien, et un peuple du Nouveau Testament. Car le Prophète, en disant: « Combien il a adressé d’ordonnances à nos pères, afin de les faire connaître à leurs fils »; fait voir qu’ils ont reçu ces ordonnances, « afin de les faire connaître à leurs fils »; mais il ne dit point qu’ils les aient eux-mêmes connues ou accomplies : ils les recevaient seulement « pour  transmettre à une autre génération », ce qu’ils n’avaient pas compris eux-mêmes. « Les enfants qui naîtront et qui s’élèveront ». Ceux qui sont nés ne se sont point élevés: leur coeur n’était point en haut, mais bien sur la terre. Ce n’est qu’avec le Christ qu’on s’élève; de là cette parole : « Si vous vous êtes relevés avec le Christ, cherchez les choses d’en haut 3. Qu’ils disent à leurs enfants », s’écrie le Prophète, « de mettre en Dieu leur espérance ». C’est ainsi que les justes ne cherchent point à établir leur propre justice, mais qu’ils découvrent leur voie en Dieu lui-même, espèrent en lui, afin que sa grâce agisse en eux 4. « Et qu’ils n’oublient point les oeuvres de Dieu », en s’élevant eux-mêmes, en vantant leurs oeuvres,

 

1. Rom. X, 3.— 2. Ps. LXXVII, 5-8. — 3. Colos. III, 1.— 4. Ps. XXXVI, 5

 

comme si elles étaient leurs oeuvres; tandis que c’est Dieu qui, dans sa miséricorde, opère, chez tous ceux qui font le bien, et le vouloir et le faire 1. « Et qu’ils recherchent ses commandements ». Comment les chercher, s’ils les savent déjà? « Combien», dit le Prophète, « il a fait d’ordonnances à nos pères, qui doivent les transmettre à leurs fils, afin qu’une autre génération en ait connaissance ». Que connaîtra-t-elle? Assurément les commandements qu’il a faits. Comment rechercheront-ils, sinon qu’en mettant leur confiance en Dieu, ils rechercheront en lui la grâce de les accomplir? «Afin qu’ils ne deviennent point, comme leurs pères, une génération indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’a pas été droit ». Et il nous en explique aussitôt le motif: « Leur esprit», dit-il, « n’a pas été fidèle à Dieu » ; c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu cette foi, qui obtient de faire ce que la loi commande. Car la loi divine s’accomplit quand l’esprit de l’homme se met en accord avec l’esprit de Dieu et cela n’arrive que par la foi en celui qui justifie l’impie 2. Telle est la foi que n’eut point cette génération indocile et rebelle; de là cette parole du Prophète : « Son esprit n’avait point mis sa foi en Dieu». Cette expression désigne admirablement la grâce de Dieu, qui ne se borne point à effacer le péché, mais qui se fait du coeur de l’homme un coopérateur dans les bonnes oeuvres comme si le Prophète disait: Son esprit ne s’est point confié à Dieu. Pour le coeur, en effet, se confier en Dieu, c’est croire que nous ne pouvons sans Dieu arriver à la justice, mais bien avec Dieu. C’est encore là croire en Dieu, ce qui est plus que croire à Dieu. Souvent, en effet, il nous faut croire au premier homme venu, bien qu’il ne faille point croire en lui. Croire en Dieu, c’est donc nous attacher en lui par la foi, afin d’agir avec Dieu qui fait le bien. «Sans moi», dit l’Evangile, « vous ne pouvez faire aucun bien 3». Que pouvait dire de plus l’Apôtre, qui nous déclare que : « Celui qui s’attache à Dieu devient un même esprit 4 ? » Autrement la loi n’est qu’un témoignage pour condamner le coupable, et non pour l’absoudre. Elle est une lettre menaçante qui convaincra les prévaricateurs, et non un esprit de grâce qui délivre et justifie les coupables. Donc cette

 

1. Philipp. II, 13. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Jean, XV, 5. — 4. I Cor, VI, 17,

 

génération, dont l’exemple est à éviter, fut indocile et rebelle, parce que « son esprit ne se confia point dans le Seigneur » : parce que si elle crut parfois à Dieu, elle ne crut point en Dieu : elle ne s’attacha point à Dieu par la foi, afin que sanctifiée par Dieu, elle put faire avec lui le bien qu’il eût fait en elle.

9. Continuons : « Les enfants d’Ephrem qui bandent l’arc et lancent la flèche, ont tourné le dos au jour du combat 1». En poursuivant la loi de la justice, ils ne sont point parvenus à la loi de la justice 2. Pourquoi? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi. C’était en effet une génération dont l’esprit n’avait point cru en Dieu, et ils attendaient tout de leurs oeuvres. Bander l’arc pour tirer des flèches, c’est là une oeuvre extérieure, comme celle de la loi, mais ils n’ont point ainsi redressé leur coeur, où le juste vit de la foi 3 qui agit par la charité 4; or, c’est par la charité que l’on s’attache à Dieu qui, par sa grâce, opère en l’homme le vouloir et le faire 5. Qu’est-ce, en effet, que bander l’arc, lancer la flèche, et tourner le dos au jour du combat, sinon écouter, pro mettre d’accomplir la loi au jour qu’on l’entend proclamer, puis fuir au jour de la tentation, s’exercer à la guerre et lâcher pied à l’heure de la bataille? Le Prophète a dit avec raison : « Ils ont bandé et lancé l’arc »; lorsqu’il aurait dû dire, ce semble, bander l’arc, et lancer les flèches, car on ne jette pas l’arc, on s’en sert pour lancer quelque chose. Ou bien, c’est une locution, comme celle dont nous avons déjà parlé à propos de cette expression: « Il a suscité un témoignage », pour dire, il a suscité quelque chose à propos de ce témoignage; alors « lancer l’arc » signifierait lancer une flèche avec l’arc: ou bien il y a de l’obscurité dans les paroles, il y a un mot qu’il faut sous-entendre, et alors tel serait l’ordre véritable : « Les enfants d’Ephrem bandent l’arc, et lancent», sous-entendu, des flèches; et le sens complet serait, bandent l’arc, et lancent des flèches. S’il y avait en effet: bander et lancer des flèches, il né faudrait pas comprendre, bander des flèches; mais après l’expression « bander », il faudrait sous-entendre « l’arc », bien que cette expression fût omise. Toutefois, quelques exemplaires grecs portent , dit-on , « bander et lancer avec l’arc » ; il faut assurément sous-entendre

 

1. Ps. LXXVII, 9.— 2. Rom. IX, 31. — 3. Id. I, 17.— 4. Gal. V, 6.— 5. Philipp. II, 13.

 

« des flèches ». Mais par ces enfants d’Ephrem, le Prophète veut indiquer ici toute cette génération corrompue, et la partie désigne la généralité. Peut-être a-t-il choisi cette partie pour désigner le peuple tout entier, parce que c’était d’eux principalement qu’on devait se promettre le plus de bien ; puisqu’ils sont nés de celui que Jacob bénit comme son petit-fils, qu’il toucha de sa droite et qu’il préféra à son aîné par une bénédiction mystérieuse, bien que Joseph l’eût placé à gauche parce qu’il était le plus jeune 1. Le reproche que l’on fait ici à cette même tribu, le silence de l’Ecriture sur la manière dont elle répondit à cette bénédiction, nous font comprendre qu’il y avait dans les paroles de Jacob un mystère, plus grand que ne l’attend la prudence de la chair. Elles marquaient en effet que les derniers seraient les premiers, et les premiers les derniers 2, lors de l’avènement du Sauveur, dont il est dit : « Celui qui vient après moi, est fait devant moi 3 ». Ainsi le juste Abel a été préféré à son frère 4, Isaac à Ismaël 5, Jacob à Esaü né avec lui, mais le premier 6: ainsi Pharès précéda par sa naissance, naquit avant son frère jumeau, qui avait voulu naître d’abord et avait montré la main 7 ainsi David fut préféré à ses frères aînés 8; ainsi enfin le peuple chrétien fut préféré au peuple Juif, selon le sens de toutes ces figures et de tant d’autres qui furent proposées, non-seulement en actions, mais encore en paroles ; et c’est pour le racheter que le Christ a été mis à mort par les Juifs, comme Abc! par Caïn 9. Voilà donc ce que figurait l’action de Jacob qui croisa les mains, pour mettre la droite sur Ephraïm placé à sa gauche; le préférant ainsi à Manassé placé à droite et qu’il touchait de sa main gauche. Ce ne sont donc point « les fils d’Ephraïm, selon la chair, qui bandent l’arc, lancent des flèches, et tournent le dos au jour du combat ».

10. Le sens de cette parole: « ils ont tourné le dos au jour du combat », est expliqué dans les versets suivants qui le disent avec clarté: « Ils n’ont point gardé l’alliance du Seigneur, et n’ont point voulu marcher dans ses lois 10». Ainsi donc, « tourner le dos au jour du combat», c’est ne point garder l’alliance du Seigneur. Ils ont donc bandé l’arc et lancé les

 

1. Gen. XLVIII, 14. —  2. Matth. XX, 16. — 3. Jean. I, 27, — 4. Gen. IV, 4,5. — 5. Id. XXI, 12. — 6. Id. XXV, 23. — 7. Id. XXVIII, 27-29.— 8. I Rois, XV, 12. — 9. Gen. IV, 8. — 10. Ps. LXXVII, 10.

 

flèches, ils ont engagé leur promesse avec empressement: « Nous écouterons et nous ferons tout ce que le Seigneur notre Dieu nous a ordonné 1: Ils ont tourné le dos au jour du combat»; car une promesse d’obéissance ne s’accomplit point par l’attention à écouter, mais dans la tentation. Celui dont l’esprit est en Dieu, éprouve alors que Dieu est fidèle, qu’il ne l’exposera point à une tentation au-dessus de ses forces, mais lui ménagera dans la tentation une issue, afin qu’il puisse la surmonter et ne tourne point le dos au jour du combat. Quant à celui qui se glorifie en soi-même, et non pas en Dieu 2, quelque promesse qu’il ait faite d’être ferme, bien qu’il bande l’arc et lance des flèches, il tourne le dos au jour du combat. Parce que son esprit ne s’était point confié en Dieu 3, voilà que l’Esprit de Dieu n’est point en lui; et comme il est écrit : « N’ayant point cru, il ne sera point protégé 4 ». Quand après ces paroles : « Ils n’ont point observé le testament du Seigneur », le Prophète ajoute : « Et ils n’ont point voulu marcher dans sa loi»; il répète la pensée précédente avec une certaine explication. Il nomme « Loi de Dieu », ce qu’il avait appelé plus haut, « le Testament de Dieu », en sorte que cette parole : « Ils n’ont point gardé », se trouve répétée dans « ils n’ont point voulu marcher ». Mais comme il pouvait dire plus simplement: Ils n’ont point marché dans sa loi; il me semble qu’il veut nous faire peser quelque peu, pourquoi il a préféré dire : « Ils n’ont point voulu marcher », au lieu de : ils n’ont point marché. On aurait pu croire que la loi des oeuvres est suffisante pour la justification, en voyant les hommes faire à l’extérieur les oeuvres prescrites, bien qu’au fond de leur coeur ils eussent mieux aimé qu’elles ne fussent point prescrites, mais les faire néanmoins : ils paraissent donc marcher dans la loi de Dieu, mais ils n’y marchent pas réellement, puisque le coeur n’y est point. Car il est impossible d’appeler oeuvre du coeur, l’oeuvre que l’on fait par crainte du châtiment et non par amour de la justice. Quant à l’action extérieure, l’homme qui aine la justice et l’homme qui craint le châtiment, s’abstiennent également de voler; les mains se ressemblent, et les coeurs sont bien différents; l’oeuvre est la même, la volonté dissemblable. De là cette

 

1. Exod. XIX, 8.— 2. I Cor. X, 13.— 3. Id. I, 31.— 4. Eccli. II, 15.

 

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parole flétrissante : « C’est là », dit le Prophète, « une génération qui n’a pas redressé son coeur ». II n’accuse pas l’oeuvre, mais le coeur. Quand le coeur est droit, les oeuvres sont droites; mais quand le coeur n’est pas droit, les oeuvres ne sont pas droites, quelle qu’en soit l’apparence. Le Prophète nous montre aussi pourquoi cette génération perverse n’a point redressé son coeur, quand il nous dit : « Son esprit n’a pas cru en Dieu ». Dieu est droit, en effet, et en s’attachant à lui comme à la règle immuable, tout coeur humain peut se redresser, quelque tortueux qu’il ait été. Mais pour unir notre coeur à Dieu et le redresser, il faut nous approcher de lui, non par une démarche, mais par la foi. Aussi, dans l’épître aux Hébreux, est-il dit de cette génération indocile et rebelle : « La parole qu’ils entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas unie à la foi chez ceux qui l’entendirent 1 ». Le Seigneur donc prépare la volonté dans un coeur droit, au moyen de la foi qui a précédé, et qui nous rapproche de Dieu toujours droit, de manière à redresser notre coeur. Cette foi est éveillée en nous par l’obéissance, alors que Dieu nous prévient et nous appelle dans sa miséricorde. Elle applique ensuite à Dieu notre coeur qui se redresse, et plus il se redresse, plus il voit ce qu’il ne voyait point, et peut t’aire ce qu’il ne pouvait faire, Voilà ce que n’avait point fait Simon, à qui l’apôtre saint Pierre disait : « Tu n’as aucune part dans cette foi, car ton coeur n’est point droit devant Dieu 2»; nous montrant ainsi que sans Dieu notre coeur ne peut être droit, afin que les hommes commencent à ne plus marcher sous la loi comme des esclaves sous le poids de la crainte, mais qu’ils observent comme des enfants cette loi, dans laquelle n’ont point voulu marcher ces mêmes Juifs, qui sont demeurés sous le poids de leurs transgressions, C’est la charité, et non la crainte, qui donne cette volonté; et la charité est répandue dans les coeurs qui croient par le Saint-Esprit 3. C’est à eux qu’il est dit « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient jas de vous, c’est un don de Dieu; cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions 4 », et que nous

 

1. Héb. IV, 2. — 2. Act. VIII, 21. — 3. Rom. V, 5.— 4. Ephés. II, 8-10.

 

n'imitions point ceux qui « n’ont point voulu marcher dans sa loi », qui n’ont point cru en Dieu, qui n’ont point dirigé vers lui leur voie, en espérant en lui, afin qu’il fît tout en eux.

11. « Ils ont oublié ses bienfaits, les miracles qu’il leur a fait voir, et les merveilles qu’il opéra en présence de leurs pères. Il y a ici une question qu’il ne faut pas négliger. Tout à l’heure, en parlant de leurs pères, le Prophète les appelait une race perverse et indocile. « Qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, race indocile et rebelle, race qui n’a pas redressé son cœur », et tout le reste qu’il a dit de cette race, détournant la race à venir de l’imiter, l’engageant « à mettre en Dieu son espérance, à n’oublier point les oeuvres de Dieu, à rechercher ses préceptes » ; ainsi que nous l’avons suffisamment expliqué. Maintenant que le Prophète nous parle de cette génération qui a oublié les bienfaits de Dieu, et les merveilles qu’il leur a fait voir, pourquoi vient-il ajouter : « Les merveilles qu’il a opérées en présence de leurs pères? » De quels pères est-il question, car ils sont eux-mêmes ces 1ères, avec lesquels il ne veut point de ressemblance dans leurs enfants? Si nous entendons par là ces hommes dont ils étaient nés, comme Abraham, Isaac et Jacob, ils étaient morts depuis longtemps quand le Seigneur opéra des merveilles en Egypte. Car nous lisons ensuite : « Sur la terre d’Egypte, dans les champs de Tanis » ; c’est là, nous dit-on, que Dieu opéra des merveilles en présence de leurs pères. Ou bien ces mêmes pères étaient-ils présents en esprit, selon cette parole du Sauveur dans l’Evangile: « Car tous vivent devant lui 2?» Ne serait-il pas plus facile d’entendre par ces pères, Moïse et Aaron, et ces anciens dont l’Ecriture nous dit qu’ils reçurent le même esprit que Moïse, afin de l’aider à conduire et à supporter le peuple 3? Pourquoi ne pas les appeler des pères? Non point dans le sens que l’on donne à Dieu seul le nom de père, parce qu’il régénère dans le Saint-Esprit ceux qu’il adopte comme enfants dans l’héritage éternel; mais ce nom de père serait un nom d’honneur à cause de leur âge et de leur pieux dévouement. Ainsi saint Paul déjà vieux disait : « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci; mais ce sont des avis que je vous donne

 

1. Ps. LXXVII, 11, 12. — 2. Luc, XX, 38. — 3. Nomb. XI, 16, 17.

 

comme à des enfants bien-aimés 1» ; et pourtant il n’ignorait pas cette parole du Seigneur : « N’appelez sur la terre personne votre père; car vous n’avez qu’un seul père, qui est dans les cieux 2». Ce que le Christ n’a point dit sans doute pour ôter du discours ordinaire ce terme d’honneur, mais seulement pour nous empêcher d’attribuer, ou à la nature, ou à la puissance, ou à la sainteté d’aucun homme, la grâce de Dieu qui nous régénère pour la vie éternelle. En disant donc: « C’est moi qui vous ai engendré », il a précisé auparavant : « En Jésus-Christ et par l’Evangile », afin qu’on ne lui attribuât point ce qui appartient à Dieu.

12. Donc « cette génération indocile et rebelle a oublié les bienfaits de Dieu, les  merveilles qu’il leur a montrées, les miracles opérés en présence de leurs pères, en Egypte, dans le champ de Tanis ». Le Prophète alors commence à raconter la suite de ces merveilles. S’il y a là des paraboles et des énigmes, elles doivent, par la comparaison, nous rappeler quelques leçons. N’oublions tas le but qui est celui du psaume, et le fruit principal que nous devons en tirer; ainsi que Dieu nous le marque, en stimulant si vivement notre attention: « Ecoutez moi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche » : mettons notre confiance en Dieu, n’oublions point ses oeuvres, recherchons ses préceptes : ne soyons point comme ces hères, une race indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’est pas droit, dont l’esprit n’a point cru en Dieu. C’est à ce point qu’il nous faut tout rapporter. Ainsi tout ce que figurent ces actions symboliques, doit s’accomplir dans l’homme d’une manière spirituelle, ou par la grâce de Dieu, si ce sont des biens, ou par le jugement de Dieu si ce sont des malheurs; de même que tout cela est arrivé pour Israël ou en bénédictions, ou en châtiments contre eux et contre leurs ennemis. Si nous retenons avec soin tous ces enseignements, plaçant en Dieu notre espérance, et n’oubliant pas ses bienfaits, si nous avons pour lui non plus cette crainte servile qui redoute seulement les maux du corps, mais cette crainte chaste qui demeure dans l’éternité, et qui redoute comme une grande peine d’être privée de la lumière de justice, alors nous ne deviendrons point comme ces

 

1. I Cor. IV, 14.— 2. Matth. XXIII, 9.

 

pères, une génération indocile et rebelle. La terre d’Egypte est donc pour nous l’image de ce monde; le champ de Tanis est une plaine qui désigne la loi de l’humilité, car Tanis signifie, en hébreu, humble précepte. Recevons donc en cette vie la loi de l’humilité, afin de mériter d’être élevés en gloire dans l’autre vie, gloire que nous a promise Celui qui s’est fait humble pour nous.

13. Car celui qui a divisé la mer pour y « faire passer son peuple, qui a retenu les eaux comme dans une outre 1», en sorte que l’eau s’est arrêtée comme si elle eût été enfermée, peut aussi par sa grâce arrêter le cours de la convoitise et de nos désirs charnels, nous porter à renoncer au monde, afin que nos ennemis, c’est-à-dire nos péchés, étant abîmés dans les eaux, le peuple passe par le sacrement de baptême. Celui qui «les a conduits tout le jour à l’ombre d’une nuée, et toute la nuit à la lueur du feu 2», peut encore guider nos pas d’une manière spirituelle, si notre foi crie vers lui : « Redressez mes voies selon votre parole 3 ». C’est de lui qu’il est dit ailleurs: « Il redressera votre course, et conduira en paix tous vos pas 4 », par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui nous a été révélé en cette vie comme au grand jour, et qui a paru en sa chair comme il apparaissait dans la nuée ; mais qui viendra au jour du jugement comme dans une nuit de terreur. Car alors la tribulation sera pour le monde comme un feu qui brillera aux yeux des justes, et qui consumera les hommes injustes. Celui « qui brisa la pierre au désert, et les désaltéra par d’abondantes eaux; qui fit sortir l’eau de la pierre, et les eaux coulèrent comme des fleuves 5», peut sans doute épancher sur l’âme altérée par la foi, les dons de l’Esprit-Saint, dont cette action était la figure; il peut le répandre de cette pierre spirituelle qui les suivait, et qui était le Christ 6; ce même Christ qui était là criant: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi »; et encore: « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, des fleuves d’eau vive jailliront en lui ». Voilà ce qu’il disait, comme le marque l’Evangile, « de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 7 ».Telle est la pierre qui a frappé le bois de la croix,

 

1. Ps. LXXVII, 13. — 2. Id. 14. — 3. Id. CXVIII, 133. — 4. Prov. IV, 27. — 5. Ps. LXXVII, 15, 16. — 6. I Cor. X, 4. — 7. Jean, VII, 37-39.

 

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comme la verge de Moïse, afin d’en faire couler la grâce pour les fidèles.

14. Et néanmoins ces hommes, comme une « race indocile et rebelle, ont continué de pécher contre lui 1 » ; c’est-à-dire de ne point croire. C’est là en effet un péché dont l’Esprit-Saint doit convaincre le monde, comme l’a dit le Sauveur : « Il le convaincra de péché, parce qu’ils n’ont point cru en moi 2. Ils ont irrité le Seigneur dans la sécheresse », ou, selon d’autres exemplaires, « dans un désert sans eau », expression plus précise qui vient du grec, et qui n’a d’autre sens que la sécheresse. Or, cette sécheresse venait-elle du désert, ou plutôt de leur coeur? Ils avaient bu l’eau de la pierre, et alors c’était moins leurs entrailles que leurs coeurs qui étaient desséchés, et n’avaient aucune vigueur pour produire la justice. C’était néanmoins dans cette sécheresse qu’ils devaient être pins fidèles à Dieu, et le supplier de leur donner des moeurs pures, après avoir étanché leur soif; puisque c’est à lui qu’a recours toute âme fidèle : « Que mes yeux voient la justice 3 ».

15. « Ils ont tenté Dieu dans le secret de leurs coeurs, et lui ont demandé une nourriture selon leurs désirs ». Autre chose est de demander avec fidélité, autre de demander pour tenter. Le Prophète continue: « Ils murmurèrent coutre Dieu, et dirent: Dieu pourra-t-il préparer des tables au désert; sans doute il a frappé le rocher, et des eaux en ont coulé, des torrents ont inondé la terre; mais pourra-t-il nous donner du pain et dresser des tables pour son peuple 4? » C’était donc sans y croire qu’ils demandaient une nourriture selon leurs désirs. Ce n’est pas ainsi que saint Jacques nous engage à demander la nourriture de notre coeur, mais il veut que nous la demandions avec foi, et non pour tenter ou avec murmure. « Si quelqu’un de vous », dit-il, « a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui répand ses dons sur tous libéralement et sans les reprocher, et la sagesse lui sera donnée: mais qu’il demande avec foi, et sans hésiter 5 ». Telle est donc la foi qui manquait à cette génération, dont le coeur n’était point droit, et dont l’esprit n’avait pas cru en Dieu.

 

1. Ps. LXXVII, 17.— 2. Jean, XVI, 9.— 3. Ps. XVI, 2.— 4. Id. LXIVII, 18-20. — 5. Jacques, I, 5, 6.

 

16. « Le Seigneur les entendit et différa, le feu de sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël 1». Le Prophète explique ce qu’il appelle un feu ; il nomme ainsi la colère de Dieu, bien que le feu véritable ait dévoré beaucoup de ces murmurateurs. Que signifie donc: « Le Seigneur entendit et différa? » Est-ce d’introduire son peuple dans la terre promise qu’il différa? Il eût pu le faire en peu de jours, mais a cause de leurs péchés ils durent être accablés au désert, où le malheur les affligea pendant quarante ans. En ce cas ce fut son Peuple qu’il différa d’introduire, et non ceux qui l’avaient tenté par leurs doutes ; car tous périrent au désert, et leurs enfants seulement entrèrent dans cette terre. Différa-t-il seulement de les châtier, et voulut-il d’abord se prêter à leur incrédule convoitise, de peur qu’ils ne vinssent à attribuer sa colère à l’impuissance où il était de subvenir à leur demande, bien qu’ils ne l’eussent faite que pour le tenter et lui ôter la confiance? Donc « il entendit et différa » sa vengeance; et après qu’il eût fait ce qu’ils avaient pensé qu’il ne pourrait faire, alors « sa colère s’alluma contre Israël ».

17. Ensuite, après cette courte exposition, le Prophète reprend le cours de son récit : « Parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu, ni espéré dans son salut ». Après nous avoir dit pourquoi le feu de sa colère s’est allumé contre Jacob, et sa fureur contre Israël, c’est-à-dire, parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu ni espéré dans son salut » ; il énumère à l’instant tous les bienfaits visibles qu’ils reçurent avec ingratitude. « Il avait cependant commandé aux nuées, et ouvert les portes du ciel. Il leur avait fait pleuvoir la manne pour apaiser heur faim, et donné le pain du ciel. L’homme mangea le pain des anges 2. Dieu leur donna des viandes en abondance. Il fit élever dans les airs le vent d’Orient, et par sa puissance le vent du midi. Il répandit les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers. Il les fit tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes. Et ils mangèrent et furent rassasiés ; « Dieu contenta leurs désirs». Voila pourquoi il différait ; mais écoutons ce qu’il a différé. « Les viandes étaient encore dans leurs bouches,

 

1. Ps. LXXVII , 21. — 2. Le verset 25 est expliqué dans le discours sur le Ps. XXXIII, serm. 1, n. 6.

 

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quand la colère de Dieu s’alluma contre eux 1». Voilà ce qu’il avait différé. Tout d’abord « il différa » ; puis ensuite « sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël ». Si donc il avait différé, c’était dans le dessein de faire d’abord ce qu’ils croyaient impossible à sa puissance, et de les châtier ensuite comme ils le méritaient. S’ils eussent mis en Dieu leur espérance, il eût satisfait en eux, non-seulement leurs désirs charnels, mais les désirs de l’esprit. En effet, «Celui qui a pu commander aux nuées, ouvrir les portes du ciel, faire tomber la manne pour les nourrir, et leur donner le pain du ciel de manière que l’homme mangeât le pain des anges, qui leur adonné des vivres en abondance » pour rassasier ces incrédules, est assez puissant pour donner, à ceux qui croient en lui, le vrai pain du ciel dont la manne était la figure ; ce pain qui est vraiment le pain des anges, ce Verbe de Dieu, aliment incorruptible de ceux qui sont incorruptibles : c’est pour être la nourriture de l’homme qu’il s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 2. C’est là le pain que les nuées de l’Evangile font pleuvoir dans le monde entier. Il ouvre les coeurs des prédicateurs, comme des portes célestes, pour annoncer sa parole, non plus à.une synagogue qui murmure et tente le Seigneur, mais à l’Eglise qui croit et met son espoir en lui. Celui qui « a fait lever dans les airs le vent d’orient, et souffler par sa puissance le vent du midi; qui leur fait pleuvoir les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des mers; qui les a fait tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes, pour leur en faire manger et les rassasier; qui a comblé leurs convoitises et ne les a point privés de leur désir »; celui-là peut nourrir la foi faible encore de ceux qui croient en lui sans chercher à le tenter par des signes et des paroles qui sortent de la chair, et qui traversent les airs à la façon des oiseaux. Ces paroles toutefois ne viendront point de l’Aquilon, région froide et ténébreuse, c’est-à-dire de l’éloquence mondaine qui plaît aux hommes, mais en faisant souffler dans les cieux le vent du midi. Où soufflera-t-il, sinon sur la terre ? afin que Les faibles dans la foi entendent ce qui est de la terre, et se fortifient pour comprendre les choses du ciel. « Si je

 

1. Ps. LXXVII, 23-31. — 2. Jean, I, 14.

 

vous dis des choses terrestres et que vous ne les croyiez pas, dit le Sauveur, comment croirez-vous les choses du ciel 1 ? » Il était en quelque sorte transféré du ciel, ce même saint Paul ravi jusqu’à Dieu en extase, et qui, se proportionnant à ses auditeurs, leur disait : « Je n’ai point voulu vous prêcher comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels 2 ». Ravi en Dieu il avait entendu des paroles ineffables 3, qu’il ne lui état pas donné d’exprimer sur la terre en ces sons articulés qui voltigent contre l’oiseau. Il a fait souffler l’Africus par sa puissance, c’est-à-dire ces vents du midi, ces souffles de la prédication qui portent la chaleur et la lumière. Tel est l’effet « de sa puissance », afin que l’Africus ne s’attribue point ce qui lui vient de Dieu. Ces vents donc viendront d’eux-mêmes vers les hommes, et leur apporteront les paroles venues d’en haut; afin que chacun, demeurant à sa place, ramasse autour de son pavillon ces sortes d’oiseaux, et adore Dieu dans le rang qu’il occupe, et que toutes les îles des nations arrivent à le connaître 4.

18. Mais pour les infidèles, comme pour cette nation indocile et rebelle, il arrive que les viandes sont encore dans leurs bouches, quand « la colère de Dieu s’allume contre eux, et en tue un grand nombre »; c’est-à-dire la plus grande partie, ou, comme portent certains manuscrits, « les plus gras d’entre eux ». Il est vrai que nous n’avons point vu cela dans les manuscrits grecs en notre possession. Mais si tel est le sens le plus vrai, que faut-il entendre par « les plus gras », sinon les plus orgueilleux, dont il est dit que u leur « iniquité semble venir de leur plénitude 5? « Et il abattit l’élite d’Israël ». Il y avait là des élus, à la foi desquels n’avait aucune part cette génération indocile et rebelle. Mais de quoi furent-ils empêchés, sinon d’être utiles à ceux que leur affection paternelle eût voulu conseiller? De quoi peut servir la pitié humaine aux hommes qui ont irrité Dieu? L’Ecriture, en disant que les élus furent liés, n’a-t-elle pas voulu nous faire comprendre que les hommes séparés de cette race par leur vie et leurs moeurs, étaient non-seulement des modèles de justice, mais aussi des modèles de patience, puisqu’ils étaient

 

1. Jean, III, 12. — 2. I Cor. III, 1. — 3. II Cor. XII, 4. — 5. Sophon. II, 11 — 6. Ps. LXXII, 7.

 

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confondus dans les châtiments du peuple ? Car je ne vois point pour quel autre motif Dieu aurait laissé emmener en captivité les saints et les pécheurs : aussi lisons-nous dans les manuscrits grecs, non plus enepodisen, ou « il empêcha », mais qui se traduit mieux par « il lia ensemble ».

19. Mais « cette génération rebelle et indocile ne laissa pas de pécher encore et ne crut point aux merveilles du Seigneur. Et leurs jours se consumèrent dans la vanité 1 ». Ils pouvaient, s’ils eussent cru en Dieu, passer leurs jours dans la vérité, dans l’immobilité de celui à qui le Prophète dit: « Vos années ne passeront point 3 ». Donc « leurs jours s’écoulèrent dans la vanité, et leurs années dans la précipitation ». Car la vie des hommes passe bien vite, et celle qui nous paraît la plus longue, n’est qu’une vapeur de quelques instants.

20. Toutefois « dès qu’il les frappait, ils le recherchaient », non par amour de la vie éternelle, mais par crainte de perdre une vie qui n’est qu’une fumée. Ce n’était donc point ceux qut mouraient, qui cherchaient Dieu, mais ceux qui craignaient de mourir comme eux; et si l’Ecriture s’exprime comme si ceux qui mouraient eussent cherché Dieu, c’est qu’ils ne formaient tous qu’un peuple, et que le Prophète en parle comme d’un même corps. « Et ils retournaient à lui, et se hâtaient de revenir à Dieu. Ils se souvenaient que Dieu était leur refuge, que le Très-Haut était leur Sauveur 3 ». Mais tout cela n’était que pour obtenir des biens de la terre, éviter les maux de cette vie. Chercher Dieu en vue des biens temporels, ce n’est point aspirer à Dieu, mais à ces biens; ce n’est point une crainte servile, mais un libre amour, qui honore le Seigneur. Ainsi donc ce n’est point Dieu que l’on sert, mais on sert ce que l’on aime. De là vient que Dieu, qui est supérieur à tout, meilleur que tout, est plus que tout digne de notre amour et de notre culte.

21. Voyons encore la suite : « Ils l’aimaient du bout des lèvres», dit le Prophète, « mais leur langue mentait au Seigneur. Leur coeur n’était pas droit devant lui, ils n’étaient point fidèles à son alliance 4». Mais Dieu, qui pénètre les secrets des hommes, et qui découvrait sans peine leur préférence,

 

1. Is. LXXVII, 32, 33. — 2. Id. CI, 28. — 3. Id. LXXVII. 34, 35.— 4. Id, 36, 37.

 

voyait que le langage du coeur n’était point d’accord avec celui des lèvres. Un coeur est droit devant Dieu quand il cherche Dieu pour Dieu. Il ne veut obtenir de Dieu qu’une seule faveur, qu’il réclamera toujours, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur, et de contempler ses délices 1. C’est à lui que le coeur des fidèles a dit : Je serai rassasié, non plus des viandes de l’Egypte, ni de ses melons, ni de ses concombres, ni de l’ail, ni de l’oignon, que cette génération indocile et rebelle préférait au pain du ciel 2, ni même de la manne visible, ou de la chair des oiseaux, mais je serai rassasié quand votre gloire m’apparaîtra 3. Tel est l’héritage du Nouveau Testament auquel ce peuple ne fut point fidèle. La foi en cette alliance, bien que voilée alors, était chez les élus; aujourd’hui qu’elle est révélée, elle n’est que chez bien peu d’appelés. « Beaucoup en effet sont appelés, mais peu sont élus 4 ». Telle était donc cette race corrompue et rebelle: même en paraissant cher. cher Dieu, elle ne l’aimait que des lèvres et sa langue était menteuse; elle n’avait point pour Dieu la droiture du coeur, et lui préférait les faveurs qu’elle attendait de lui.

22. « Mais lui, plein de miséricorde, leur pardonnera leurs offenses, et ne les perdra point: sans cesse il retient sa colère, et ne laisse point s’allumer sa fureur. Il se souvient qu’ils ne sont que chair, un esprit qui s’en va pour ne plus revenir 5 ». Plusieurs, en lisant ces paroles, comptent sur la bonté de Dieu pour l’impunité de leurs crimes, même lorsqu’ils y demeurent, comme cette génération, que le Prophète appelle « indocile et rebelle, dont le coeur n’était pas droit, et dont l’esprit ne croyait point en Dieu » : avec laquelle toute ressemblance est funeste. Si. Dieu, en effet, pour parler leur langage, ne perd point les méchants, il est certain qu’il ne perdra point non plus les bons. Pourquoi ne pas choisir de préférence ce qui est hors de doute? Ceux dont la langue est menteuse, et dont le coeur tient un autre langage, pensent que Dieu est menteur, désirent même qu’il le soit, quand il menace de châtiments éternels ces prévaricateurs. Mais ni eux ne peuvent tromper Dieu par leurs «mensonges, ni Dieu nous tromper par sa vérité. Que cette génération dépravée ne dé-

 

1. Ps. XXVI, 4.— 2. Exod. XVI, 3. — 3. Ps. XVI, 15.— 4. Matth. XX, 16. — 5. Ps. LXXVII, 38, 39.

 

détériore point les oracles divins, dont elle se glorifie, comme elle a détérioré son coeur; malgré cette corruption du coeur, les paroles de Dieu demeurent incorruptibles. C’est dans ce sens, en effet, que nous pouvons entendre ces paroles de l’Evangile : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». Qui ne voit avec quelle patiente miséricorde il pardonne aux méchants, mais avant de les juger? C’est ainsi qu’il épargna cette nation, et réprima sa colère pour ne pas la détruire et l’exterminer entièrement; c’est là ce que nous voyons dans les paroles de Dieu, dans les supplications de Moïse pour obtenir le pardon de leurs péchés, alors que Dieu lui dit : « Je les exterminerai, et te ferai le chef d’une grande nation 2». Moïse insiste, déterminé à périr plutôt qu’eux; il savait qu’il parlait à un Dieu plein de miséricorde, qui ne pourrait le détruire, et qui leur pardonnerait en sa faveur. Voyons en effet, combien Dieu a pardonné, combien il pardonne encore. Il a introduit ces rebelles dans la terre promise, et conservé cette nation jusqu’à ce qu’ils se fussent engagés à tuer le Christ, par le plus grand de tous les crimes; bien qu’il les ait arrachés de leur terre pour les disséminer chez tous les peuples du monde, néanmoins il ne les a point détruits. Ce peuple subsiste encore, et se conserve par une succession continuelle, portant un signe, comme autrefois Caïn 3, afin qu’on ne le détruise pas entièrement. Ainsi s’accomplit cet oracle: « Dieu est plein de miséricorde, il pardonnera leur crime, et ne les perdra point. Sans cesse il retient sa colère, et n’aie turne point sa fureur». S’il se livrait à toute sa colère, c’est-à-dire autant qu’ils en sont dignes, rien ne demeurerait de cette race criminelle. Ainsi ce même Dieu dont le Prophète chante la miséricorde et le jugement 4, pousse, encore aujourd’hui, la miséricorde jusqu’à faire luire son soleil sur les bons et sur les méchants », et à la fin du monde, au jugement, il séparera les méchants de la lumière éternelle, pour les jeter dans des ténèbres sans fin.

23. Toutefois, afin de ne point faire violence à la parole divine, et quand elle dit : « Dieu ne les perdra point», afin de ne point dire au

 

1. Matth. V, 4. — 2. Exod. XXXII, 10.— 3. Gen. IV, 15.— 4. Ps. C, 1.

 

contraire : Il les perdra plus tard; voyons dans ce même psaume une façon de parler très-ordinaire dans l’Ecriture, et qui nous donnera une solution plus nette, et plus vraie de cette difficulté. Parlant un peu plus loin de cette nation, après avoir montré les désastres essuyés à leur sujet par les Egyptiens, et rappelé la dernière plaie, le Prophète ajoute : « Il frappa tout premier-né sur la terre d’Egypte, les prémices de l’enfantement dans tes tabernacles de Cham. Puis il conduisit son peuple comme des brebis, et leur fit traverser le désert comme à un troupeau. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis. Il les conduisit à la sainte montagne, à la montagne que sa droite avait conquise. Il chassa devant eux les nations, et leur divisa la terre comme ou divise les héritages 1 ». Si quelqu’un voulait incidenter sur ces paroles et nous dire : Comment le Prophète peut-il alléguer que Dieu leur ait fait ces grâces, puisque ceux qui sortirent de l’Egypte, ne furent pas introduits dans la terre promise, et qu’ils moururent au désert? Que répondre, sinon que l’on dit eux, parce que c’est le même peuple, par la succession des enfants ? Ainsi quand nous entendons dire, surtout que les expressions sont au futur : « Et il leur pardonnera leurs fautes et ne les détruira point: toujours il retiendra sa colère, et sa fureur ne s’allumera point »; nous devons comprendre que cela s’est accompli dans ceux  dont l’Apôtre a dit: « De même en nos jours, les restes ont été sauvés par l’élection de la grâce ». De là cette autre parole : « Dieu aurait-il rejeté son peuple? Non, sans doute. Car moi aussi je suis enfant d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux 2 ». L’Ecriture avait donc en vue ceux de ce peuple qui devaient croire au Christ, recevoir la rémission des péchés, et même de ce crime le plus grand de tous, qui leur fit tuer leur médecin, dans un accès de folie. Voilà ce qui a dicté cette parole du Prophète : « Dieu est miséricordieux, il leur pardonnera leurs péchés et ne les détruira point; il a surtout modéré sa colère », jusqu’au point de leur pardonner la mort même de son Fils: «Et il ne laissera point s’allumer sa fureur, puisque les restes ont été sauvés  ».

24. « Il se souvint que ce peuple est charnel,

 

1. Ps, LXXVII, 51-54. — 2. Rom. XI, 5, 1; Philipp. III, 5.

 

qu’il n’est qu’un souffle qui passe et ne revient plus». Aussi, dans ses instances miséricordieuses, les a-t-il rappelés par sa grâce, car ils ne pouvaient revenir par eux-mêmes. Comment une faible chair, comment un esprit qui passe sans retour, aurait il pu revenir à Dieu, sans l’élection de la grâce, quand le poids des châtiments qu’il a mérités l’entraîne au fond de l’abîme? Et Dieu ne vous donne point cette grâce comme une récompense, mais elle est un don gratuit, afin que l’impie soit justifié 1, que la brebis égarée retourne au bercail, non par ses propres forces, mais sur les épaules du pasteur qui la rapporte 2. Elle a bien pu s’égarer au gré de ses caprices, mais elle ne pourrait se retrouver elle-même, elle n’est retrouvée que par la bonté du pasteur qui la recherche, li n’est lias en effet sans ressemblance avec cette brebis, ce fils qui rentre en lui-même, et se dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon père ». Un appel secret, une sainte inspiration le cherchait, et il ne doit sa résurrection qu’à celui qui donne la vie à tout : et par qui a-t-il été retrouvé, sinon par celui qui sauve et qui recherche ce qui était perdu 3? « Il était mort et il est ressuscité; il était perdu et il est retrouvé 4». C’est ainsi que l’on peut répondre à cette autre difficulté des Proverbes, alors que l’Ecriture nous dit, à propos de la voie des impies: « Quiconque marche dans cette voie, n’en reviendra point 5 ». Parole qui nous porterait au désespoir sur le compte des impies : quand l’Ecriture nous marque l’effet de la grâce; car l’homme peut bien par ses propres forces marcher dans le sentier du mal, tandis qu’il n’en peut revenir par lui-même, si la grâce ne le rappelle.

23. « Combien de fois donc » ces hommes pervers et indociles «ont-ils aigri le Seigneur au désert, et ont-ils provoqué sa justice dans les terres sans eau ? Ils sont retournés à  leurs murmures, et ont tenté Dieu, et aigri le saint d’Israël 6 ». C’est là une répétition de cette infidélité déjà flétrie; mais le Prophète ne la rappelle que pour nous énumérer les plaies dont le Seigneur frappa l’Egypte en leur considération, Ils devaient en conserver plus précieusement la mémoire, sans se montrer ingrats. Enfin quelle est la suite? « Ils oubliaient le bras du Tout-Puissant, au

 

1. Philipp. XV, 4, 5.— 2. Luc, XV, 5. — 3. Id. XXIX, 10.—  4. Id. XV, 18, 21. — 5. Prov. II, 19. — 6. Ps. LXXVII, 40, 41.

 

jour où il les délivra du joug de l’oppression ». Vient alors l’énumération des plaies de l’Egypte : « Le Seigneur a fait éclater sa puissance en Egypte, et ses merveilles dans les champs de Tanis : lorsqu’il changea leurs fleuves en sang, et leurs pluies dont on ne put boire » ; ou plutôt « toute source d’eaux », comme nous lisons dans le grec, ta ombremata, que nous traduisons en latin par scaturigines, ou des eaux qui s’élancent de dessous terre. Les Egyptiens creusèrent, et au lieu d’eau trouvèrent du sang. « Il envoya contre eux des insectes qui les dévoraient, et des grenouilles qui désolaient tout. Il livra leurs récoltes à la rouille, et leurs maisons aux sauterelles. Il fit périr leurs vignes par la grêle, et leurs sycomores par les frimas. Il livra leurs brebis à la grêle, et leurs troupeaux au feu du ciel. Il versa sur eux toute sa colère, la fureur, l’indignation, les tribulations, les influences des mauvais anges. Il élargit les voies de sa colère, et ne leur épargna point la mort, il livra leurs bestiaux à la peste. Il frappa tout premier-né de l’Egypte, et les prémices de l’enfantement sous les tentes de Cham 1

26. Tous ces fléaux de l’Egypte peuvent s’entendre d’une manière allégorique, selon qu’il plaît à chacun de les interpréter, et de leur trouver des analogies. Nous essayerons de le faire aussi, et nous y réussirons comme il plaira au Seigneur de nous éclairer. Nous y sommes forcés par les paroles de ce psaume: « J’ouvrirai ma bouche en parabole, j’exposerai les énigmes dès le commencement ». Aussi voyons nous dans ce récit du psaume des plaies dont l’Ecriture ne nous dit point que les Egyptiens aient été frappés, bien que tous ces fléaux soient décrits très exactement dans l’Exode. Toutefois ce n’est pas sans raison que nous lisons dans le psaume ce qui n’est pas dit ailleurs; comme nous ne pouvons y voir que des figures, nous devons comprendre que ces autres plaies qui sont arrivées très-certainement , n’ont été envoyées par Dieu et écrites par Moïse, que pour être des figures. C’est ce que nous pouvons remarquer en beaucoup d’endroits prophétiques de l’Ecriture. Elle nous raconte parfois des particularités que l’on ne trouve point dans l’histoire qu’elle en a écrite et qu’elle semble rappeler, souvent même on

 

1 Ps. LXXVII, 45-51.

 

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trouve le contraire; afin que nous jugions de là que son but n’est point celui que l’on croirait tout d’abord , mais qu’il faut nous élever à une pensée supérieure. Aussi, quant à ces paroles: « il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre 1»; il est constant qu’elles n’ont pas été accomplies sous le règne de Salomon, que le psaume paraît chanter, tandis qu’il chante le Christ. Ainsi donc, dans ces plaies des Egyptiens, que nous marque d’une manière exacte le livre que l’on nomme Exode, et où l’Ecriture a pris soin de nous détailler ces fléaux dont ils furent accablés, nous ne trouvons pas ce que dit notre psaume; « Il détruisit leurs maisons par la rouille». De plus, après avoir dit: « Il abandonna leurs bestiaux à la grêle », le Prophète ajoute : «Et leurs possessions au feu du ciel ». Or, nous lisons bien dans l’Exode 2, que leurs bestiaux furent frappés de la grêle, mais non que leurs possessions aient été détruites par le feu. Il est vrai qu’à la grêle se mêlent des bruits et des feux, comme le tonnerre et les éclairs; et pourtant il n’est pas écrit que ces feux aient rien consumé. Enfin il n’est point dit que les plantes flexibles que la grêle ne pouvait blesser, aient été frappées ou blessées par des coups violents, puisqu’elles furent ensuite la proie des sauterelles 3. De même encore il est dit: « Il fit périr leurs sycomores par les frimas », ce qui n’est pas dans l’Exode. Car les frimas diffèrent beaucoup de la grêle, et en hiver, pendant les nuits sereines, les frimas blanchissent la terre.

21. Quant à l’explication de ces figures, que chacun en parle comme il pourra, et que le lecteur en juge équitablement. Pour moi, l’eau changée en sang, désigne le jugement charnel que l’on porte sûr les choses. Ces insectes marquent le cynisme de ceux qui ne respectent point les parents dont ils sont nés. Les grenouilles, la vanité qui parle sans cesse. La rouille nuit d’une manière invisible, tantôt on l’appelle rouille, et tantôt canicule à quel vice comparer ce fléau, sinon à celui qui apparaît le moins, comme la confiance en soi même? C’est en effet un souffle nuisible qui la produit insensiblement dans les moissons; c’est le travail de cet orgueil secret. qui nous fait croire que nous sommes quelque chose, quand en effet nous ne sommes rien 4.

 

1. Ps. LXXI, 8.— 2. Exod. IX, 25. — 3. Id. X, 1-15.— 4. Gal. VI, 3.

 

La sauterelle est cette bouche méchante qui blesse les autres par le faux témoignage. La grêle, c’est l’injustice qui enlève le bien d’autrui, qui produit les rapines, les larcins, les pillages, et où le spoliateur perd plus que ceux qu’il dépouille. La bruine marque le péché qui refroidit la charité pour le prochain, par le froid de la nuit, dans l’obscurité de la folie. Quant au feu, s’il s’agit d’un feu séparé des éclairs et de la grêle, puisqu’il est écrit qu’ «il livra au feu leurs possessions »,ce qui paraît dire qu’elles furent incendiées, ce que l’Ecriture ne dit point du feu du tonnerre, il    semble désigner une colère violente qui porte souvent jusqu’au meurtre. La mort des troupeaux, autant que j’en puis juger, marque la perte de toute pudeur, parce que cette concupiscence, d’où provient la génération, nous est commune avec les bêtes, et la vertu de chasteté consiste à l’assujettir et à la régler. La mort des premiers-nés, c’est la perte de cette justice qui est le bien social parmi les hommes. Cependant, que tel soit le sens des figures, ou qu’un autre en donne un plus convenable, qui pourrait voir sans étonnement les dix plaies dont l’Egypte est frappée, et les dix préceptes inscrits sur les tables pour servie de code au peu pie de Dieu? Chercher l’analogie de ces deux faits, c’est-à-dire de ces plaies et de ces préceptes, nous l’avons fait ailleurs 1, et nous n’en voulons point surcharger l’explication de notre psaume: disons seulement que les dix plaies d’Egypte sont exprimées ici, quoique l’ordre diffère de celui de l’Exode, puisque au lieu des trois que nous y voyons 2, et qui manquent ici, c’est-à-dire des moucherons, des ulcères et des ténèbres, nous eu trouvons trois dans le psaume, et qui manquent dans l’Exode, c’est-à-dire, la rouille, la bruine et le feu, non le feu des éclairs, mais le feu qui consuma leurs biens, et dont l’Exode ne parle point.

28. Mais il est assez clair que Dieu, par un juste jugement, les accable de ces maux, au moyen des mauvais anges, qui travaillent dans notre siècle comme dans l’Egypte et dans les champs de Tanis, où nous devons pratiquer l’humilité, jusqu’à ce que vienne le jour où nous mériterons de sortir glorieusement de cette bassesse. Egypte, en langue

 

1. Sermon sur les dix plaies el les dix préceptes, tome V.— 2. Exod. VIII, 17 IX, 10; X, 22.

 

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hébraïque, signifie ténèbres ou tribulations, et Tanis, comme nous l’avons dit, signifie un humble commandement. Ne passons donc point légèrement star ce que le psaume nous dit des mauvais anges, à propos de ces plaies: « Il a déchaîné contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, les influences des mauvais anges ». Qu’il y ait un diable avec ses anges, auxquels Dieu a préparé le feu éternel, il n’est aucun fidèle pour l’ignorer: mais ceux qui sont moins capables de considération, comprendront difficilement la souveraine justice de Dieu qui se sert utilement des méchants mêmes, et qui déchaîne leur puissance contre ceux qu’il juge dignes de leur méchanceté. Quant à la substance de ces esprits, quel autre que Dieu les a faits ? Mais il ne les a point faits mauvais: il en use néanmoins dans sa bonté, c’est-à-dire avec sagesse et avec justice: comme au contraire les méchants abusent pour le mal des meilleures créatures. Dieu donc se sert des mauvais anges, non-seulement pour punir les méchants, comme ceux dont il est question dans notre psaume, comme le roi Achab, qu’un esprit de mensonge séduisit par l’ordre de Dieu, afin qu’il pérît dans la guerre 1, mais encore pour mettre les bons à l’épreuve, et en évidence, comme il arriva pour Job. Pour ce qui est de cette matière corporelle des éléments visibles, je crois que les bons anges peuvent s’en servir comme les méchants, selon le pouvoir qu’ils ont reçu; de même que les hommes bons ou méchants s’en servent indifféremment, chacun à proportion de sa faiblesse. La terre est à notre usage, ainsi que l’eau, l’air et le feu, non-seulement dans ce qui est nécessaire pour sustenter notre vie, mais encore dans ce qui est superflu, ou amusant, ou même dans les oeuvres d’art que l’on admire. Ces ouvrages sans nombre de mécanique, en grec mexanemata, n’ont pas d’autre objet que ces éléments. Mais la puissance des anges, soit bons, soit méchants, est bien plus grande, et des bons plus que des mauvais; pour eux néanmoins comme pour nous, elle est subordonnée à l’ordre ou à la permission de Dieu. Pour nous, en effet, le pouvoir sur les éléments ne se mesure pàs à la volonté; et dans un livre authentique de l’Ecriture, nous lisons que le diable a bièn pu lancer le feu du ciel, pour consumer, par un

 

1. III Rois, XII, 22.

 

coup d’une violence extrême et surprenante, les immenses troupeaux d’un saint personnage: et nul peut-être n’oserait attribuer au démon une telle puissance, s’il ne l’apprenait par l’autorité de l’Ecriture. Mais cet homme que la grâce de Dieu avait rendu juste, fort et saintement clairvoyant, ne dit point: Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté; mais bien: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté 1». Il savait très-bien que le démon ne peut. user de sa puissance sur les éléments et contre les serviteurs de Dieu, que selon la volonté et la permission de Dieu. Il confondait ainsi la malice du démon, parce qu’il connaissait celui qui s’en faisait un instrument pour l’éprouver. Quant aux fils de l’in. crédulité, le démon s’en fait des esclaves 2, comme les hommes s’assujétissent les animaux; et toujours néanmoins autant que le permet la souveraine justice de Dieu. Mais interdire au démon par une puissance supé. rieure, de traiter à son gré ceux qui sont à lui, et lui donner un pouvoir sur ceux qui lui sont étrangers, sont choses bien différentes. Ainsi un homme fait de son cheval ce qu’il veut, et toutefois il cesse d’en disposer, quand un pouvoir supérieur le lui interdit; mais pour user du cheval d’un autre, il attend qu’on lui en donne le pouvoir. Dans un cas on restreint le pouvoir qui existait, dans l’autre on accorde une puissance qui n’existait pas.

29. S’il en est ainsi, et si Dieu se servit des anges pour frapper les Egyptiens, oserions-nous bien dire que ce furent ces mêmes anges qui changèrent les eaux en sang, ces mêmes anges qui produisirent les grenouilles, merveilles qu’imitèrent les magiciens de Pharaon par leurs enchantements? Ces esprits méchants obsédaient-ils ce peuple d’une double manière, l’affligeant d’une part, le trompant de l’autre, selon la juste volonté de Dieu qui, dans sa toute-puissance, se sert très justement de la malice des méchants? Je n’ose prononcer. Pourquoi les magiciens de Pharaon ne purent-ils produire des mouches 3? Est-ce parce que les démons n’en reçurent point le pouvoir? Ou mieux, n’y a-t-il point là une raison cachée qui dépasse les forces de notre analyse? Si nous prétendons en effet que Dieu n’agissait alors que par les anges mauvais, parce qu’il s’agissait de châtiments à infliger, et non de faveurs à distribuer, comme si Dieu ne

 

1. Job, I, 16,21.— 2. Ephés II, 2.— 3. Exod. VII, 10, 22; VIII, 6, 7, 17, 18.

 

235

 

châtiait jamais par le ministère des bons anges, mais seulement par ces bourreaux de la milice céleste; il nous faudra croire que Sodome fut ruinée par les mauvais anges, et que ce fut à de mauvais anges qu’Abraham et Loth donnèrent l’hospitalité. Loin de nous de le penser contre l’autorité si claire des Ecritures 1. Il est donc évident que ces maux peuvent arriver aux hommes par les bons et par les mauvais anges. J’ignore quand cela se fait ou se doit faire. Mais Dieu qui le fait ne l’ignore pas, non plus que le confident qu’il lui plaît de se choisir. Toutefois, en prenant l’Ecriture pour règle de mes pensées, je lis que Dieu châtie par les bons anges, comme il arriva pour Sodome, et qu’il châtie par les mauvais anges, comme il arriva pour les Egyptiens: mais je ne sache pas que par le moyen des bons anges, il ait infligé aux justes une épreuve corporelle.

30. Quant au passage du psaume que nous expliquons, si nous n’osons attribuer aux mauvais anges ces merveilles sur les créatures; nous avons de quoi leur attribuer, sans hésitation, la mort des troupeaux, le trépas des premiers-nés, et ce qui déchaîna tous les fléaux, cet endurcissement du coeur, qui s’opposait à la sortie du peuple de Dieu. Quand l’Ecriture dit que Dieu jeta leurs coeurs dans cette obstination si injuste et si criminelle 2, tel n’est point l’effet d’une inspiration de sa part, ou d’une excitation, mais simplement d’un abandon, en sorte que les diables ont fait, sur ces enfants de l’incrédulité 3, ce que Dieu leur a permis dans sa stricte justice. C’est dans ce sens qu’il nous faut entendre cette parole d’Isaïe : « Vous êtes irrité, Seigneur, et nous sommes pécheurs. Aussi sommes-nous tombés dans l’égarement. nous sommes tous comme dans l’impureté 4 ». Quelque crime de ce peuple avait donné lieu à la juste colère de Dieu de leur retirer sa lumière, en sorte que leur âme aveuglée s’éloigna du chemin de la justice pour tomber dans des fautes dont rien ne peut diminuer la gravité. quand nous voyons dans un autre psaume que Dieu convertissait le coeur des Egyptiens, afin qu’ils n’eussent que de la haine pour son peuple, et qu’ils traitassent injustement ses serviteurs 5, nous pouvons croire que Dieu agissait ainsi par ses mauvais anges, afin que les coeurs vicieux de ces incrédules fussent

 

1. Gen. XVIII et XIX. — 2. Exod. IV, 21.— 3. Ephés. II, 2. — 4. Isa. LXIV, 5, 6. — 5. Ps. CIV, 25.

 

portés à la haine contre le peuple de Dieu, par ces mêmes anges qui se plaisent dans les mêmes vices, et que les merveilles qui suivirent pussent effrayer et corriger les bons. On peut très-bien croire aussi que les mauvais anges infligent à ceux que leur abandonne la divine justice, les plaies de l’âme, dont ces plaies sensibles sont la figure, d’après cet oracle: « J’ouvrirai ma bouche en parabole ». En effet, quand s’accomplit ce que nous dit saint Paul: « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs, afin qu’ils fissent des choses honteuses 1 », il se trouve là des démons qui s’emparent avec joie de ces coeurs comme d’une propriété: puisque Dieu leur assujettit la corruption des hommes, à l’exception de ceux qu’il en délivre par sa grâce. Qui comprendra ces choses 3? Aussi, quand le Psalmiste a dit: « Il déchaîna contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la fureur, et les influences des anges mauvais» ; et qu’il ajoute: «Il élargit les voies à sa colère », quel esprit assez éclairé, assez pénétrant, peut se promettre d’aller au fond de la sentence renfermée dans ces paroles? La colère de Dieu s’était fait un sentier pour châtier par une justice occulte, l’impiété de l’Egypte. Mais il a élargi ce sentier, et par l’effet des mauvais anges, les a tirés de ces vices cachés pour les jeter dans des crimes publics, et venger d’une manière éclatante cette impiété déclarée. Pour délivrer l’homme de ce pouvoir des mauvais anges, il n’y a que la grâce de Dieu, dont l’Apôtre a dit: « C’est lui qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé 3 »: voilà ce que figurait ce peuple, qu’il arrachait à la puissance des Egyptiens, pour les mettre en possession de cette terre qui leur était promise, et où coulaient des ruisseaux de lait et de miel, symbole de la douceur de la grâce.

31. Après avoir énuméré les plaies de l’Egypte, le Psalmiste continue : « Il mena son peuple comme des brebis, et le conduisit comme un troupeau dans le désert. Il les conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis 4 ». Voilà ce qui se produit d’une manière d’autant plus avantageuse, qu’elle est plus intérieure, alors que Dieu arrache notre âme à la puissance des ténèbres, et nous transfère dans des pâturages spirituels ; nous devenons les brebis

 

1. Rom. I, 24.— 2. II Cor. II, 16.— 3. Coloss. I,13.— 4. Ps. LXXVII, 52, 53.

 

236

 

de Dieu, marchant dans cette vie comme dans un désert, puisque nul ne comprend notre foi. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « Votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 1 ». Nous arrivons ensuite à l’espérance, car « l’espérance est notre salut ». Nous ne devons plus craindre, « car si Dieu est avec nous, qui sera contre nous 2? » La mer a englouti nos ennemis, parce que le baptême nous a remis nos péchés.

32. Le Prophète continue: « Il les fit entrer sur la montagne sainte». Combien vaut-il mieux entrer dans la sainte Eglise? « La montagne acquise par sa droite 3 ». Combien est plus sublime encore cette Eglise acquise par le Christ, et dont il est dit « A qui le bras du  Seigneur a-t-il été révélé 4?» « Il a chassé devant eux les nations » : devant ses fidèles. Ces nations sont en quelque sorte les erreurs des Gentils, et les esprits du mensonge. « Il leur a divisé la terre, comme on divise un héritage. C’est le même esprit qui opère en nous toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il lui plaît 5 ».

33. « Il a fait reposer sous leurs tentes les tribus d’Israël 6 ». C’est sous les tentes des

nations, dit le Prophète, qu’il fit reposer les tribus d’Israël. Cela s’accomplit bien mieux d’une manière spirituelle, selon moi, lorsque la grâce de Jésus-Christ nous élève dans cette gloire d’où furent chassés et précipités les anges prévaricateurs. Car tant de bienfaits visibles ne faisaient point déposer à cette « race indocile et rebelle », la tunique du vieil homme. « Et de nouveau ils tentèrent le Seigneur et l’irritèrent, ils ne gardèrent point ses préceptes; ils se retirèrent de lui et violèrent son alliance, aussi bien que leurs pères 7». Ils s’étaient liés envers Dieu par un pacte, et avaient dit librement: « Nous ferons, et nous écouterons tout ce qu’a ordonné le Seigneur notre Dieu 8 ». N’oublions pas que le Prophète a dit: « Aussi bien que leurs pères ». Quoiqu’il paraisse dans tout le psaume ne parler que des mêmes hommes, il est évident qu’il est question ici de ceux qui étaient déjà dans la terre promise, et qu’il appelle leurs pères les murmurateurs du désert.

34. « Ils se sont détournés », dit le Prophète,

 

1. Colos. III, 3. — 2. Rom. VIII, 24, 31. — 3. Ps. LXXVII, 54. — 4. Isa. LIII, 1­ 5. I Cor. XII, 11 — 6. Ps. LXXVII, 55.— 7. Id. 56, 57. —  8. Exod. XIX, 8.

 

« comme un arc nuisible»; ou, comme on lit dans quelques exemplaires, « comme un arc de travers ». Le Prophète nous explique ensuite plus clairement sa pensée: « Ils l’ont irrité », dit-il, « sur les hauts lieux 1 ». Ce qui signifie qu’ils tombèrent dans l’idolâtrie. Un arc est de travers quand il combat, non plus pour le nom du Seigneur, mais contre ce même Seigneur qui a dit à ce peuple: « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi 2». L’arc désigne ainsi l’intention de l’âme. C’est ce que nous dit le Prophète avec plus de clarté: « Ils ont allumé sa jalousie en adorant des idoles».

35. « Dieu les vit et les méprisa », c’est-à-dire qu’il les vit pour en tirer vengeance, « et pour anéantir Israël 3». Ainsi méprisé de Dieu, que pouvait devenir un peuple qui n’était rien que par le secours de Dieu? Il rappelle sans doute ce qui eut lieu quand Israël fut vaincu par les Philistins, du temps du grand prêtre Héli, alors que l’arche de Dieu fut prise, qu’il se fit un grand carnage des Israélites 4, ce qu’exprime ensuite le Prophète: « Il rejeta le tabernacle de Silo, ce tabernacle où il avait demeuré avec les hommes 5». Nous dire: « Où il habita parmi les hommes », c’est nous dire pourquoi il rejeta ce tabernacle. Ces hommes n’étant pas dignes qu’il habitât parmi eux, pourquoi n’aurait-il point rejeté ce tabernacle, qu’il avait fait dresser non pour lui-même, mais pour ces hommes qu’il jugeait indignes de sa présence?

36. « Il livra leur force à la captivité, et aux ennemis l’arche de leur gloire ». Il appelle force et gloire des Juifs, cette arche avec laquelle ils se croyaient invincibles, et dont ils étaient fiers. Dans la suite, comme ces hommes débauchés s’applaudissaient du temple du Seigneur, il les effraie par son Prophète: « Voyez », leur dit-il, « ce que j’ai fait à Silo, où était mon tabernacle ».

37. « Il livra son peuple au glaive, et méprisa son héritage. Les jeunes guerriers furent dévorés par le feu, ou par sa colère, u leurs jeunes filles ne furent point pleurées » : la crainte des ennemis ne le permettait point.

38. « Leurs prêtres tombèrent sous le glaive, et leurs veuves ne furent point pleurées 9».

 

1. Ps. LXXVII, 58.— 2. Exod. XX, 3.— 3. Ps. LXXVII, 59.— 4. I Rois, IV, 10, 11. — 5. Ps. LXXVII, 60. —  6. Id. 61. — 7. Jérém. VII, 12. — 8. Ps. LXXVII, 62, 63.— 9. Id. 64.

 

Les deux fils d’Héli furent tués en effet, et la femme de l’un, devenue veuve, mourut bientôt dans l’enfantement, et dans le trouble d’alors ne pût être pleurée, ni ensevelie avec honneur 1.

39. « Le Seigneur s’éveilla comme d’un profond sommeil ». Il paraît, en effet, dormir, quand il abandonne son peuple entre les mains de ceux qu’il déteste, et qui lui disent: « Où est ton Dieu 2 ? Il s’est éveillé s comme un homme endormi, comme un homme puissant appesanti par le vin 3 ». Il n’y a que l’Esprit de Dieu pour oser parler de la sorte. Il prend le langage insolent des impies, qui s’imaginent que Dieu dort comme un homme ivre, quand il ne vient point au secours des hommes aussitôt qu’ils l’avaient cru.

40. « Il frappa ses ennemis par derrière 4» ces mêmes ennemis qui s’applaudissaient d’avoir pu prendre l’arche. Ils furent frappés dans la partie la plus cachée du corps 5, ce qui figure pour moi le châtiment dont sera frappé quiconque regardera en arrière. Tout cela doit être pour nous du fumier, selon le mot de l’Apôtre 6. Recevoir l’arche de Dieu, sans se dépouiller de la vanité, c’est ressembler à ces peuples ennemis qui, après avoir pris l’arche de l’alliance, la placèrent près de leur idole. Et ces idoles tombent, nonobstant leurs efforts: « Car toute chair n’est qu’une herbe des champs, toute gloire de l’homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe se s dessèche, la fleur tombe; tandis que l’arche du Seigneur demeure éternellement 7» , c’est-à-dire le royaume des cieux, le lieu secret de cette alliance, et où réside « le Verbe » de Dieu. Mais ceux qui aiment ce qui est par derrière, en sont justement châtiés: « Dieu les couvre d’une éternelle ignominie ».

41. « Il rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point la tribu d’Ephraïm. Mais il choisit la tribu de Juda 8 » Il n’est point dit qu’il ait rejeté le tabernacle de Ruben, qui fut le premier-né de Jacob, non plus que ceux qui suivirent Ruben et qui précédèrent Jacob dans l’ordre de naissance, pour choisir Juda après avoir rejeté les autres. On pouvait croire néanmoins que ces tribus étaient rejetées car Jacob, dans la bénédiction qu’il donne à ses lits, maudit les crimes détestables des

 

1. I Rois, IV, 19, 20.— 2. Ps. XLI, 11.— 3. Id. LXXVII, 65.— 4. Id. 8, — 5. I Rois, V, 6.— 6. Philipp. III, 8.— 7. Isa. XL, 6,7.—  8. Ps. LXXVII, 67, 68.

 

aînés 1 : toutefois, parmi eux la tribu de Lévi mérita d’être la tribu sacerdotale, et de donner le jour à Moïse 2. Le Prophète ne dit point que Dieu rejeta la tribu de Benjamin ; ou qu’il ne choisit point la tribu de Benjamin, qui fut la première à donner un roi ; car ce fut en elle que Saut fut élu 3. Or, le peu de temps qui s’écoule entre la réprobation de Saül qui fut rejeté, et l’élection de David 4, nous ferait dire parfaitement bien, que Dieu rejeta Benjamin. Mais le Prophète ne donna que les noms de ceux que leurs mérites paraissaient rendre plus célèbres. Joseph nourrit en Egypte son père et ses frères. Vendu sans aucune pitié, il mérita d’arriver au comble de la gloire, par sa piété, sa chasteté, sa sagesse 5: Ephraïm fut préféré à son aîné dans la bénédiction le Jacob son aïeul 6: et pourtant Dieu rejeta le tabernacle de Joseph, et ne choisit point Ephraïm ». Que nous montre le Prophète par ces noms d’un mérite éclatant, sinon que ce peuple tout entier fut rejeté et réprouvé parce qu’il n’avait jamais recherché de Dieu que des biens temporels : et que si la tribu de Juda fut choisie, ce ne fut point à cause des mérites de Juda? Joseph méritait beaucoup plus. Mais comme c’est de la tribu de Juda que le Christ est né selon la chair, l’Ecriture nous montre ici que le peuple du Christ, peuple nouveau, a été préféré à l’ancien peuple, par le Seigneur qui ouvre sa bouche en paraboles. Aussi dans ces paroles qui suivent : « La montagne de Sion qu’il a aimée », nous aimons mieux voir l’Eglise du Christ, qui ne sert point Dieu à cause des biens temporels, mais qui plonge les regards de sa foi dans un lointain avenir et sur les biens éternels: car Sion signifie contemplation.

42. Nous lisons ensuite : « Il a bâti sa sanctification comme la corne du rhinocéros 7 », ou, comme l’ont dit quelques interprètes avec un mot nouveau, son sanctifice. Le rhinocéros est bien choisi pour figurer ceux dont l’espérance ferme s’élève vers un seul objet, et dont un autre psaume a dit: « J’ai fait une seule demande au Seigneur, et la ferai toujours 8 ». Cette sanctification est, selon saint Pierre, « le peuple saint, le sacerdoce royal ». Quant cette parole : « Il l’a fondée sur la terre pour l’éternité » : le grec porte eis ton aiona ;

 

1. Gen. XLIX, 1-7.— 2. Exod. II, 1.— 3. I Rois, IX, 1, 2.— 4. Id. XVI, 1, 13.— 5. Gen. XLI, 40. — 6. Id. XLVIII, 19. — 7. Ps. LXXVII, 69.— 8. Id. XXVI, 4.— 9. I Pierre, II, 9.

 

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le latin peut traduire in aeternum, ou in saeculum, car c’est la même signification, aussi trouvons-nous tantôt l’un et tantôt l’autre dans les exemplaires latins. Il en est même qui traduisent au pluriel, dans les siècles, ce que nous n’avons point lu dans les exemplaires grecs que nous avions sous les yeux. Mais quel fidèle peut douter encore que l’Eglise, qui passe de cette vie à une autre, avec ceux qui naissent et qui meurent, est néanmoins fondée pour l’éternité?

43. « Il a choisi David son serviteur 1» ; ou la tribu de Juda à cause de David, David à cause du Christ: et dès lors Juda à cause du Christ. Aussi les aveugles criaient-ils sur son passage: « Ayez pitié de nous, fils de David » et ils recevaient la lumière à cause de sa miséricorde 2; parce qu’ils disaient vrai. Ce n’est donc point à la légère, mais avec réflexion que l’Apôtre fait cette recommandation à Timothée: « Souvenez-vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Evangile que je prêche. C’est pour lui que je souffre dans les chaînes comme un criminel ; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 ». Ce Sauveur donc, fils de David selon la chair, nous apparaît ici en figure sous le nom de David, alors que Dieu ouvre la bouche pour parler en paraboles. Ne nous étonnons pas qu’après avoir dit : « Il choisit David », qui nous marque le Christ, le Prophète ajoute « son serviteur », et non son fils; c’est ce qui nous montre que ce n’est point la substance du. Fils unique, coéternelle au Père, qui est issue de David, mais bien la forme de l’esclave.

44. « Il l’a tiré du milieu des bergeries, il l’a pris quand il gardait les brebis, pour être le pasteur de Jacob son peuple, et d’Israël son héritage 3». Ce David de qui est né Jésus-Christ selon la chair, fut tiré de la garde des troupeaux, pour conduire les peuples; mais notre David ou Jésus-Christ, ne passa que des hommes à d’autres hommes, des Juifs aux Gentils, et cependant, selon la parabole, il a été transféré d’un troupeau de brebis à d’autres brebis. On ne retrouve Plus dans ces contrées ces Eglises juives qui crurent en Jésus-Christ, qui vinrent de la circoncision peu après la passion et la résurrection du Sauveur, et dont l’Apôtre a dit: « J’étais inconnu de visage

 

1. Ps. LXXVII, 70. — 2. Matth. XX, 30, 34.— 3. II Tim. II, 8, 9. — 4. Ps. LXXVII, 71.

 

aux Eglises de Judée, qui sont en Jésus-Christ; seulement elles avaient appris que celui qui nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait de détruire, et elles bénissaient Dieu à mon sujet 1». Mais toutes ces Eglises de la circoncision n’existent plus aujourd’hui ; et ainsi le Christ n’est plus dans cette terre qu’on appelait la Judée. Il en est sorti pour être le pasteur des Gentils. A la vérité, il a été tiré de la garde des « brebis pleines », comme dit le Psalmiste ; car elles étaient de celles dont il est parlé dans le cantique des cantiques, quand il est dit, à une Eglise composée de beaucoup d’églises, à un troupeau formé de plusieurs autres troupeaux: «Vos dents », ou plutôt ceux par qui vous parlez, ou dont vous vous servez pour manger les autres, et les taire ainsi entrer dans votre corps, ceux qui sont pour vous « des dents, ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues, qui montent du lavoir; elles n’enfantent qu’un double fruit, et ne connaissent point la stérilité 2 ». Ils ont déposé comme une toison les fardeaux du siècle, quand ils ont apporté aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus 3; ils sont sortis de ce même bain, dans lequel saint Pierre leur a dit de se laver parce qu’ils ont répandu le sang du Christ. « Faites pénitence», leur dit-il, « et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et « vos péchés vous seront remis 4». Ils ont porté un double fruit dans les oeuvres des deux préceptes de la charité, envers Dieu, et envers le prochain : ainsi nulle de ces brebis n’a été stérile. Notre David a donc été tiré de la garde des brebis pleines, et garde maintenant, parmi les Gentils, d’autres brebis, qui sont aussi Jacob et Israël, ainsi que l’a dit notre Psaume : « Pour faire paître Jacob son serviteur, et Israël son héritage». Pour être venues en effet de la gentilité, ces brebis n’en sont pas moins de la race d’Abraham et de Jacob. Car cette race est celle d’Abraham, race de la promesse que lui fit le Seigneur, en disant : « C’est d’Israël que sortira votre race 5 ». C’est ce que nous explique saint Paul : « Ce ne sont point les fils selon la chair », dit-il, « mais les enfants selon la promesse, qui entrent dans la postérité 6 ». C’était aux fidèles de la Gentilité que l’Apôtre

 

1. Gal. I, 22-24. — 2. Cant. IV, 2. — 3. Act. II, 45; IV, 34.— 4. Id. II, 38. — 5. Gen. XXI, 12. — 6. Rom. IX, 8.

 

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disait : « Si vous êtes au Christ, vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse 1 ». Quant à cette parole: « Jacob mon serviteur, et Israël mon héritage », c’est une répétition de pensée, en usage dans l’Ecriture. A moins peut-être qu’on ne veuille mettre cette différence, que c’est Jacob qui sert en cette vie, et que l’héritage du Seigneur s’ouvrira par cette vie éternelle qui nous montrera Dieu face à face, d’où vient te nom d’Israël 2.

45. « Il les a fait paître dans l’innocence de son coeur ». Quelle plus parfaite innocence que celle qui n’eut point de péché, non-seulement pour la vaincre, mais. encore qu’elle pût vaincre? » Il les a conduites d’une main « sage et prudente 3». Ou, comme on lit dans d’autres exemplaires, « de ses mains intelligentes ». On pourrait croire qu’il serait mieux de dire : dans l’innocence de ses mains, et la sagesse de son coeur; mais celui qui sait mieux que tout autre comme il convient de dire, attribue au coeur l’innocence et aux mains la sagesse. Et autant que j’en puis juger, c’est que beaucoup se croient innocents parce qu’ils s’abstiennent de faire le mal, à cause du châtiment qu’ils craignent; et qui ont la volonté de le faire, s’ils te pouvaient impunément. On peut croire â l’innocence de leurs mains, mais non à celle de leur coeur. Et néanmoins quelle peut être une innocence qui n’existe pas dans le coeur où est la ressemblance de l’homme avec Dieu? Quand le

 

1. Gal. III, 29. — 2. Gen. XXXII, 28. — 3. Ps. LXXVII, 72.

 

Prophète nous dit que le Christ « a conduit son peuple dans l’intelligence de ses mains», il semble parler de cette sagesse que le Christ produit dans ceux qui croient en lui; aussi dit-il « des mains », parce que c’est la main qui agit : ce que l’on peut entendre de la main de Dieu, car le Christ est tout ensemble homme et Dieu. Il est certain que le roi David, dont le Christ est issu, ne pouvait eu agir ainsi à l’égard de ce peuple qu’il gouvernait, car il était homme : mais il le fait, celui à qui toute âme fidèle peut dire: « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi 1». Dès lors, afin de ne point nous égarer loin de lui, en nous confiant en notre sagesse, comme si elle était bien la nôtre, soumettons-nous à ses mains par la foi. Qu’il produise lui-même cette sagesse en nous, afin qu’après nous avoir délivrés de toute erreur, il nous conduise où toute erreur est impossible. C’est là le fruit que doit recueillir le peuple de Dieu lorsqu’il écoute sa loi, qu’il incline l’oreille à sa parole, qu’il redresse son coeur en l’élevant à lui,s’unit à lui d’esprit par une foi vive, afin de ne point devenir une race indocile et rebelle. Mais qu’il apprenne de tout ce que nous avons dit, à mettre son espérance en Dieu, non-seulement pour la vie présente, mais aussi pour la vie éternelle; non-seulement pour recevoir la récompense qui est due à ses bonnes oeuvres, ruais aussi pour faire ces mêmes bonnes oeuvres.

 

1. Ps. CXVIII, 34.

 

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