PSAUME CXXXVIII
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXVIII.

SERMON AU PEUPLE.

LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS L’ÉGLISE.

 

Le pain que nous devons manger à la sueur de notre front, c’est le Christ, chef de l’Eglise tirée de sou coeur comme Eve du côté d’Adam. De là vient que dans notre psaume et dans beaucoup d’autres, c’est le Christ qui parle, tantôt comme chef, tantôt au nom des membres. S’il appelle Dieu Seigneur, c’est dans son humanité. Le Seigneur donc l’a connu quand il s’est assis et quand il s’est levé, c’est-à-dire dans sa passion et dans sa résurrection, ou dans l’homme qui s’abaisse par l’aveu, et s’élève par l’espérance. Dieu voit de loin nos pensées, quand nous sommes éloignés de lui par le péché, comme le prodigue loin de son père ; il voit nos sentiers et le terme de nos égarements, aussi nous afflige-t-il alla de nous rappeler à lui. Nous ne saurions le voir tel qu’il est ; il prenait une forme créée afin de parler à Moïse, qui le vit, mais seulement quand il lut passé, c’est-à-dire en sa passion, comme tes Juifs, qui le virent sans reconnaître qu’il était Dieu. Seulement après qu’il fut passé, à la Pentecôte, Pierre leur dit ce qu’ils devaient faire. Telle est la science de Dieu qu’il faut qu’il nous donne. En vain nous voulons le fuir, il est dans le ciel où nous nous élevons par la vertu, et dans l’abîme pour nous châtier, si nous y descendons par le péché. Allons aux extrémités de la mer, ou à la fin des siècles, avec les voiles de la charité, et Dieu nous conduira, autrement la fatigue nous ferait tomber dans la mer. Au milieu des scandales de cette vie, qui est la nuit, le Christ sera notre lumière ; nous retomberons dans les ténèbres par le péché, et en tes défendant nos ténèbres s’obscurciront ; le Seigneur les éclaire par le châtiment, et quand nous reconnaissons que ce châtiment vient de Dieu. Job était dans la lumière du monde, ou dans la prospérité ; c’était une lumière dans la nuit, et alors il regarda les ténèbres ou le malheur du même oeil que la lumière ou la prospérité, parce que Dieu, sa lumière intérieure, était le maître de ses affections, et l’avait reçu dès le sein de sa mère ou de Babylone qui met sa joie dans les prospérités temporelles, comme la synagogue dégénérée, figuier sans fruit. Pour nous, le mal c’est le péché. La majesté de Dieu est terrible ; il nous a formé un os intérieur ou donné cette force de souffrir, et avec joie, que n’avaient point les Apôtres avant la passion. Nonobstant leur imperfection le Seigneur les maintint dans son livre ; ils s’égarèrent pendant que le Sauveur était avec eux, puis revinrent à lui, s’affermirent, et se multiplièrent. Alors les méchants suscitèrent des schismes en disant à d’autres : Eloignez-vous de moi ; ou plutôt, ils s’éloignèrent de l’Eglise, sous prétexte qu’il y a des méchants. Mais être avec des méchants, ce n’est point approuver leurs oeuvres ; je les hais d’une haine parfaite, réprouvant les oeuvres, aimant les hommes, de même que Moïse frappait les coupables et priait pour eux. Que le Seigneur nous éprouve, et nous conduise dans la voie éternelle qui est le Christ.

 

 

1. Nous avions préparé un psaume assez court, que nous avions recommandé au lecteur de chanter; mais, au moment venu, quelque méprise lui a fait prendre l’un pour l’autre. Et toutefois, nous aimons mieux, dans cette méprise du lecteur, suivre la (160) volonté de Dieu, que la nôtre en reprenant notre dessein. Ne vous en prenez donc pas àmoi, si la longueur de celui-ci me force à vous retenir un peu plus longtemps; croyez plutôt que Dieu n’a pas voulu nous imposer tan travail inutile. Ce n’est point sans raison que, pour châtiment de notre premier péché, nous devons manger notre pain à la sueur de notre front 1. Voyez seulement s’il y a ici quelque pain. Or, il y a du pain, s’il y a le Christ ; car il a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel 2 ». Cherchons aussi dans les Prophètes ce pain qui s’est montré dans les Evangiles. Ils ne l’y trouvent point, ceux qui ont encore un voile sur le coeur 3, comme l’a compris hier votre charité. Mais nous, pour qui le sacrifice du soir, offert sur la croix par le Seigneur, a déchiré ce voile 4, afin de nous découvrir les secrets du temple ; tant qu’on nous prêche le Christ, ce ne peut être que dans le travail et dans les sueurs que nous mangerons notre pain.

2. Or, dans les Prophètes, Notre-Seigneur Jésus-Christ parle quelquefois comme notre tête, car il est le Christ notre Sauveur, assis à la droite de son Père. C’est pour nous qu’il est né de la Vierge, et qu’il a souffert tout ce que vous savez sous Ponce-Pilate; son sang innocent est notre rançon; il l’a répandu pour nous racheter de l’esclavage où le diable nous retenait, en nous remettant nos péchés, et en effaçant de son sang la cédule qui nous retenait dans nos dettes 5. C’est lui qui est le guide, l’époux, le rédempteur de son Eglise, qui est notre tête. S’il est tête, il a un corps : et ce corps c’est la sainte Eglise, qui est aussi son épouse, et à laquelle saint Paul dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres 6 ». Le Christ tout entier est donc formé de la tête et du corps, aussi bien que l’homme dans sou intégrité : car c’est de l’homme et pour être à l’homme que la femme a été formée ; et il est dit à propos du premier mariage: « Ils seront deux dans une seule chair 7 ». Et saint Paul dit que cette parole n’a pas été dite sans un grand mystère à propos du premier homme et de la première femme, qui figuraient le Christ et l’Eglise. Voici en effet l’explication de l’Apôtre: « Ils seront deux dans une même chair », nous dit-il : «  ce sacrement est grand, je l’entends

 

1. Gen. III, 19.  — 2. Jean, VI, 41. — 3. II Cor. III, 14. — 4. Matth. XXVII, 51 .— 5. Coloss. II, 13, 14. — 6. I Cor. XII, 27.— 7. Gen. II, 24.

 

« du Christ et de l’Eglise 1». « Adam », nous dit-il, « est la figure de l’Adam à venir 2 ». Si donc Adam est un symbole de l’Adam futur, comme Eve fut tirée du flanc d’Adam pendant son sommeil, ainsi du flanc du Christ pendant son sommeil, c’est-à-dire, pendant qu’il mourait sur la croix, et ouvert par un coup de lance , découlèrent les sacrements dont l’Eglise est formée. Aussi, dans un autre psaume, nous parle-t-il ainsi de sa passion: « Pour moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a soutenu 3 ». Ce sommeil s’entend donc de sa passion, et dès lors Eve formée du côté d’Adam qui sommeille, c’est l’Eglise tirée du flanc du Christ souffrant. C’est donc parfois en son nom et parfois en notre nom que Jésus-Christ parle dans les saintes Ecritures, car il s’identifie avec nous, selon cette parole: « ils seront deux dans une même chair ». C’est pourquoi dans l’Evangile, à propos du mariage, il ajoute : « Ils ne sont donc plus deux, mais une même chair 4 ». Une même chair, parce qu’il a emprunté sa chair à notre nature mortelle ; mais il ne dit point une même divinité, puisqu’il est créateur, tandis que nous sommes créatures. Dès lors tout ce que dit le Sauveur au nom de cette humanité appartient à cette tête qui est remontée dans les cieux, et à ces membres qui souffrent sur la terre dans l’exil : et ce fut au nom de ces membres souffrants que Saul persécutait, qu’il s’écria du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 5? » Ecoutons donc le Seigneur Jésus qui parle dans cette prophétie. Car si les psaumes ont été chantés avant que le Seigneur naquit de la Vierge Marie, ils ne l’ont pas été avant qu’il fût le souverain Seigneur. Le Créateur du monde a toujours été, mais, dans le temps, il est né d’une créature. Croyons à sa divinité, et autant qu’il est en nous, croyons qu’il est égal à son Père ; mais cette divinité égale au Père a pris part à notre mortalité, non pa notre nature, mais en se revêtant de la nôtre, mais qu’à notre tour nous pussions participer à sa divinité, non par notre nature, mais par la sienne.

3. « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu 6 ». Que Notre-Seigneur Jésus-Christ tienne ce langage, qu’il dise lui-même

 

1. Ephés. V, 31, 32. — 2. Rom. V, 14. — 3. Ps. III,6. — 4. Matth. XIX, 6. — 5. Act. IX, 4. —  7. Ps. CXXXVIII, 1.

 

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« Seigneur », s’adressant au Père. Son Père toutefois n’est son Seigneur que parce qu’il a daigné naître selon la chair; Père de Dieu, Seigneur de l’homme. Veux-tu savoir de qui il est Père? D’un Fils égal à lui. « Etant de la nature de Dieu », a dit saint Paul, « il n’a pas cru qu’il y eût usurpation pour lui de s’égaler à Dieu ». C’est de cette nature que Dieu est Père, de celui qui lui est égal en nature, qui est son Fils unique, né de sa substance. Mais par bonté pour nous, afin de nous rétablir, de nous faire participants de sa divinité, de nous remettre sur le chemin de la vie éternelle, en prenant part à notre nature, avons-nous dit, qu’a-t-il fait selon l’Apôtre, et qu’est-ce qu’il ajoute à ces paroles: « Lui qui avait la nature de Dieu, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à se dire égal à Dieu? Mais il s’est anéanti »,dit le même Apôtre, « en revêtant la forme de l’esclave, en se rendant semblable à l’homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui 1».Egal au Père dans sa nature divine, il a pris la forme de l’esclave, devenant ainsi moindre que son Père. Lui-même nous dit l’un et l’autre dans l’Evangile. Ici: « Mon Père et moi sommes un 2 »; là: «Mon Père est plus grand que moi 3 ». « Mon Père et moi sommes un » ; selon la nature divine; « Mon Père est plus grand que moi », selon la forme de l’esclave. Dès lors que le Père est en même temps Seigneur, Père selon la nature divine, et Seigneur selon la forme de l’esclave, que son Fils unique s’écrie, sans aucun étonnement ni scandale de notre part: «Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu». « Eprouvé et connu »,est-il dit, non point que Dieu ne l’ait point connu d’abord, mais en ce sens qu’il l’a fait connaître aux autres. « Vous m’avez éprouvé et m’avez connu ».

4. « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé 4 ». Que veut dire ici s’asseoir? que veut dire se lever? S’asseoir, c’est s’abaisser. Le Seigneur s’est donc abaissé dans sa passion, il s’est levé dans sa résurrection. « Vous avez connu cela »,

est-il dit, c’est-à-dire, vous l’avez voulu, vous avez approuvé, cela s’est fait selon votre volonté. Si nous voulons entendre la voix de notre chef, dans la personne des membres, disons

 

1. Philipp. II, 6, 7. — 2. Jean, X, 30. — 3. Id. XIV, 28.— 4. Ps. CXXXVIII, 2.

 

à notre tour: « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». L’homme s’assied, quand il s’humilie par la pénitence; il se lève quand, après la rémission des péchés, il se redresse par l’espérance de la vie éternelle. Aussi est-il dit dans un autre psaume: « Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez un pain de douleur 1 ». Les pénitents mangent un pain de douleur, eux qui disent dans un autre psaume encore : « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit 2 ». Qu’est-ce à dire: « Levez-vous après vous être assis? » Ne vous élevez qu’après vous être humiliés. Beaucoup en effet veulent se lever avant de s’être assis, et paraître justes avant de s’être avoués pécheurs. Si donc nous appliquons ces paroles à notre chef: « Vous e m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé », elles doivent s’entendre de sa passion et de sa résurrection ; si nous entendons ces paroles des membres: « Vous m’avez connu quand je me suis assis et quand je me suis levé », signifiera, j’ai confessé devant vous mes péchés, et j’ai été justifié par votre grâce.

5. « Vous avez compris de loin mes pensées; vous avez recherché ma route et mon gîte, et prévu toutes mes voies 3. Que veut dire de loin ? Quand je suis encore dans mon exil, avant que je sois arrivé à cette patrie bienheureuse, vous avez connu mes pensées. Vois ce plus jeune fils dans l’Evangile: c’est lui qui est devenu le corps de Jésus-Christ, puisque l’Eglise est venue de la gentilité. C’est ce plus jeune fils qui s’en était allé au loin. Le père de famille avait en elfet deux fils; l’aîné ne s’était pas éloigné, mais il travaillait dans les champs: il est la figure de ces saints personnages de la loi qui accomplissaient les préceptes et les oeuvres de la loi. Quant au reste des hommes, ils s’en étaient allés bien loin, se plongeant dans l’idolâtrie. Quoi de plus éloigné de celui qui t’a fait, que l’image que tu viens de faire? Le plus jeune des fils s’en alla donc, emportant son bien, comme nous l’apprend l’Evangile, et le dissipant en profusions avec des femmes débauchées: pressé par la faim, il s’attache à un prince de ces contrées; et celui-ci l’envoya paître les pourceaux auxquels il enviait leur nourriture, sans pouvoir s’en rassasier.

 

1.  Ps. CXXVI, 2. — 2. Id. XLI, 4. — 3. Id. CXXXVIII, 3, 4.

 

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Accablé par le labeur, la misère, la tribulation, l’indigence, il se souvint de son père, et voulut revenir à lui ; et il se dit: « Je me lèverai, et j’irai à mon Père». « Je me lèverai», dit-il, car il s’était assis. Reconnais-le donc, c’est lui qui dit ici : « Vous avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». Je me suis assis dans l’indigence, et je me suis levé en désirant votre pain. « Vous avez compris de loin mes pensées ». Car je m’étais éloigné de vous, mais où n’est point celui que j’avais abandonné? « Vous avez compris de loin mes pensées ». Aussi le Seigneur dit-il dans l’Evangile, que son Père alla au-devant de lui quand il revenait 1; parce qu’il avait parfaitement compris de loin ses pensées. « Vous avez recherché ma route et mon gîte » . « Ma route », dit le Prophète: quelle route, sinon cette route funeste qu’il avait suivie pour s’éloigner de son père, comme s’il eût pu se cacher et se dérober àsa vengeance? Aurait-il été réduit à cette misère, en serait-il venu à garder les pourceaux, si son père n’eût voulu le châtier de loin, afin de le recevoir et l’embrasser de tout près? C’est donc un fugitif qui parle ici, un fugitif pris au fait, et poursuivi par la juste vengeance d’un Dieu qui châtie nos affections secrètes, quelque part que nous allions, quelque lointaine que soit notre fuite; c’est, dis-je, un fugitif pris au fait qui s’écrie: « Vous avez connu ma route et mon joint d’arrêt ». Qu’est-ce à dire, mon sentier? le sentier de mes égarements. Qu’est-ce à dire, mon point d’arrêt? jusqu’où je me suis avancé. « Vous avez connu mon sentier et mes bornes ». Ce point d’arrêt, tout éloigné qu’il fût, n’était pas loin de vos yeux. Je m’étais écarté bien loin et néanmoins vous étiez là. « Vous avez recherché mon sentier, et mon point d’arrêt».

6. « Vous avez prévu toutes mes voies 2 ». Le Prophète ne dit point vu, mais prévu. Avant mon départ, avant que j’eusse parcouru ces voies, vous les aviez prévues, et vous m’avez laissé les parcourir dans l’affliction, afin que, fatigué de l’affliction, je revinsse à vos sentiers. « Car il n’y a point de déguisement sous ma langue ». Pourquoi parler ainsi ? Je vous en fais l’aveu, j’ai marché dans mes voies, je me suis éloigné de vous; je me suis séparé de vous qui étiez mon bien et, heureusement

 

1. Luc, XV, 11-20. — 2. Ps. CXXXVIII, 4.

 

pour moi, j’ai rencontré le malheur loin de vous; heureux loin de vous, je ne fusse point revenu vers vous. C’est donc en confessant ses péchés, en proclamant qu’il est justifié, non par ses propres mérites, mais par la grâce, que le corps de Jésus-Christ a raison de dire : « Ma langue ne cache point la ruse ».

7. « Voilà que vous, Seigneur, connaissez ce qui est récent et ce qui est ancien 1 ». Ce qui est récent, ou mon dernier état quand je gardais les pourceaux; ce qui est ancien, ou mon premier état quand je vous ai demandé la part de ma substance. Mon premier état n’était qu’un prélude à mes malheurs plus récents. Notre premier péché, c’est notre chute en Adam, notre dernier châtiment est dans cette vie mortelle pleine de douleurs et de périls. Et puisse-t-il être notre dernier ! Il le sera sans doute si nous voulons revenir à Dieu; car il y aura pour les impies un autre dernier châtiment quand on leur dira: « Aller au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 2 ». Pour nous, mes frères, qui jusqu’à présent avons abandonné Dieu, qu’il nous suffise d’un labeur qui doit subsister durant cette vie mortelle. Souvenons-nous du pain de notre Père, du bonheur que nous goûtions près de lui : qu’elles n’aient aucun attrait pour nous les gousses des pourceaux, les doctrines des démons. « Voilà, Seigneur, que vous avez connu mon état récent, et mon état ancien » ; l’état récent, l’abîme où je suis tombé; mon état ancien, ou quand je vous ai offensé. « C’est vous qui m’avez formé, et qui avez posé votre mais sur moi » . « Vous m’avez formé » : où? Dans cette mortalité, afin d’y endurer les peiner pour lesquelles nous sommes nés. Nul en effet ne saurait naître, si Dieu ne l’a formé dans le sein de sa mère, et il n’est aucune créature dont Dieu ne soit l’artisan. Mais « vous m’avez formé » dans cette vie de douleurs, « et vous avez posé sur moi votre  main » vengeresse, qui abat l’orgueilleux; car Dieu ne terrasse l’orgueilleux que pour son bien, et le relever, s’il devient humble: « Vous m’avez formé, et vous avez posé votre main sur moi ».

8. « Votre science de moi est admirable; elle s’élève, et je ne saurais l’atteindre ». Ecoutez attentivement quelque chose d’obscur,

 

1. Ps. CXXXVIII, 5. — 2. Matth. XV, 41.

 

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sans doute, mais que l’on ne saurait comprendre sans un extrême plaisir. Moïse était pour Dieu un serviteur fidèle, et Dieu conversait avec lui dans la nuée, en lui tenant un langage sensible: il lui parlait par l’entremise de quelque créature, c’est-à-dire qu’il ne lui parlait point par sa propre substance, mais en prenant une figure corporelle qui formait des sons, et des sons capables d’arriver à l’oreille d’un homme. Car c’est ainsi que Dieu lui parlait, et non comme il le fait dans sa substance. Comment parle-t-il dans sa substance ? La parole de Dieu est le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu, c’est le Christ ce Verbe n’est point sonore et passager, mais il demeure d’une manière immuable, ce Verbe par qui tout a été fait 1. C’est à ce Verbe, qui est aussi la sagesse de Dieu,qu’il est dit : « Vous les changerez, et ils seront changés, mais pour vous, vous demeurez le même 2 ». Et dans un autre endroit, l’Ecriture a dit de la Sagesse : « Immuable en elle-même, elle renouvelle toutes choses ». Cette Sagesse donc, toujours stable, si l’on peut parler ainsi, ce que l’on fait parce qu’elle ne change pas, et non qu’elle soit immobile; cette Sagesse qui est toujours dans le même état, qui ne varie ni selon les temps ni selon les lieux; qui n’est point ici d’une manière, et là d’une autre manière, ni maintenant autre qu’auparavant, c’est la parole de Dieu. Lis cette parole qu’entendait Moïse arrivait à l’homme par le moyen des syllabes et des sons passagers; et cela n’aurait point lieu si Dieu ne prenait quelque forme créée pour émettre ces paroles. Moïse donc savait que celte parole de Dieu lui arrivait par des créatures intermédiaires et corporelles : or, il désira de voir la face même de Dieu, et il dit à Dieu qui parlait avec lui :  « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi ». Son désir était violent, et à la faveur de cette familiarité dont Dieu l’honorait, si l’on peut ainsi parler, il voulait lui arracher cette grâce de voir sa majesté, sa face, autant que l’on peut dire face en parlant de Dieu. Mais le Seigneur lui répondit : « Tu ne saurais voir ma face; car l’homme ne me verra point sans mourir, mais je te placerai dans le creux d’un rocher, et je passerai, et te couvrirai de ma main: quand je serai passé, tu me verras par derrière ». Ces paroles toutefois

 

1. Jean, I,3.— 2. Ps. CI, 27.— 3. Sag. VII, 27.— 4. Exod. XXXIII, 9-23.

 

ont donné lieu à une autre énigme, ou obscurité : « Quand je serai passé, tu me verras par derrière », dit le Seigneur, comme s’il avait d’une part une face, et d’autre part un dos. Loin de nous de concevoir de telles pensées d’une si incomparable majesté. Pour un homme qui aurait de telles pensées, qu’importe que les temples soient fermés? il se formerait une idole dans son coeur. Il y a donc dans ces paroles un grand symbole. Le Seigneur parlait à son, serviteur, avons-nous dit, par l’intermédiaire de telle forme créée qu’il lui plaisait, et dans laquelle nous entrevoyons la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa nature divine, est égal au Père, invisible comme le Père aux yeux des hommes. Car si la sagesse des hommes est invisible aux yeux de la chair, comment pourraient-ils voir la Sagesse de Dieu ? Mais comme au temps marqué le Seigneur devait prendre notre chair, et se rendre visible aux yeux de la chair, afin de guérir intérieurement notre esprit quand il faudrait nous apparaître de la sorte, voilà qu’il prédit ceci à Moïse d’une manière figurée, en disant : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé tu me verras par derrière ». Je te couvrirai de ma main afin que tu ne puisses voir ma face. Mais, pour le Seigneur, quel est le sens de passer, sinon ce que nous dit l’Evangéliste : « Quand vint l’heure pour Jésus de passer de ce monde à son Père 1?» Pâques, en effet, signifie passage. Car Pâques, en hébreu, se traduit en latin par transitus ou passage. Que signifie néanmoins: « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par derrière?» Qui donc figurait Moïse, quand il lui dit: « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par derrière, et cela quand je passerai; et de peur que tu ne voies ma face, je mettrai ana main sur toi? » Il appelle sa face ce qui a d’abord paru de lui, et le voir par derrière c’est voir son passage de ce monde à l’heure de sa passion. Il apparut aux Juifs, et ils ne le connurent point. Ce sont eux que figurait Moïse quand on lui disait: « Tu ne saurais voir ma face ». Mais pourquoi ne l’ont-ils pas connu dans sa chair? Parce que la main de Dieu s’était appesantie sur eux. Le prophète Isaïe avait dit en effet « Appesantis le coeur de ce peuple, et obscurcis ses yeux 2 ». Et ce sont eux qui ont

 

1. Jean, XIII, 1.— 2. Isa. VI, 10.

 

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dit dans le psaume: « Votre main s’est appesantie sur nous 1». Donc, afin qu’ils ne connussent point la divinité du Christ, (car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2, et, s’il n’eût été crucifié, son sang n’eût point racheté le monde), que fait le Seigneur, sinon ce que dit saint Paul des richesses de la sagesse et de la science de Dieu, quand il s’écrie : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies insondables! Qui a connu les desseins de Dieu, ou est entré dans ses conseils? Qui lui adonné le premier pour en attendre une récompense? Tout est de lui, par lui, en lui. A lui seul gloire et honneur dans les siècles des siècles ». L’Apôtre s’exprime ainsi parce qu’il avait dit plus haut : « L’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et que de cette manière tout Israël fût sauvé 3 ». Les juifs donc sont tombés en partie dans l’aveuglement, à cause de leur orgueil, parce qu’ils se disaient justes, et dans leur aveuglement ils ont crucifié le Seigneur. Il les a couverts de sa main, afin qu’ils ne pussent le voir durant son passage de ce monde à son Père. Examinons s’ils l’ont vu par derrière après son passage. Le Seigneur ressuscite; il apparaît aux disciples 4, et à tous ceux qui avaient cru en lui non point à ceux qui l’avaient crucifié, parce que sa main était sur eux jusqu’à ce qu’il fût passé. Il monte au ciel après avoir vécu quarante jours avec ses disciples, et, le jour de la Pentecôte, il leur envoie le Saint-Esprit. Remplis de l’Esprit-Saint, ils commencent à parler diverses langues, eux qui étaient nés dans une seule, n’en avaient appris qu’une seule. A la vue d’un tel miracle, grand effroi chez tous les bourreaux du Seigneur; des milliers d’entre eux, touchés jusqu’au fond du coeur, demandèrent aux Apôtres ce qu’ils devaient faire, quand on leur eut prêché le Christ, et dans la surprise où ils étaient que des hommes sans lettres pussent parler diverses langues. L’apôtre saint Pierre alors leur parle du Christ qu’ils avaient insulté à la croix, qu’ils avaient raillé comme uni honime assujéti à la mort, qu’ils défiaient surtout parce qu’il ne

 

1. Ps. XXXI, 4. — 2. I Cor. II, 8. — 3. Rom. XI, 25, 26, 33-36. — 4. Jean, XX, 14; XXI, I, et seq.

 

descendait pas de la croix, quoique sortir du tombeau fût un miracle bien plus grand que descendre du gibet. Et quand on leur eut annoncé le Christ, « que faut-il donc faire? » demandèrent-ils. Eux qui avaient si cruellement traité le Seigneur qu’ils voyaient, demandent ce qui pourra les sauver; et on leur répond : « Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis 1». Ce fut alors qu’ils virent par derrière celui dont ils n’avaient pu voir la face. Sa main était sur leurs yeux, non pour toujours, mais tant qu’il passerait. Après son passage, il ôta sa main de leurs yeux. Quand cette main fut ôtée, ils dirent aux disciples: « Que ferons-nous? » D’abord pleins de fureur, ils sont pleins de piété; à la colère succède la timidité, à la dureté la souplesse,à l’aveuglement la lumière.

9. Il me semble entendre dans ce psaume la voix des Gentils qui se souviennent à leur

tour de leur incrédulité. « Car le Seigneur a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité, afin de les prendre tous en pitié 2 . Vous m’avez formé, vous avez mis votre main sur moi. Votre science de moi est admirable, elle s’élève et je ne saurais l’atteindre ». C’est-à-dire: vous avez mis votre main sur moi, vous m’avez paru admirable, et quoique je fusse avec vous, je ne vous comprenais pas. Qu’il m’était facile de voir le visage de mon père, quand je lui disais:

« Donnez-moi le bien qui me doit échoir». Mais depuis que je suis dans cette région lointaine, et que je meurs de faim 3, que la douleur est devant moi, je ne puis recouvrer ce que j’ai perdu. « Votre science de moi est infiniment admirable ». A cause de mon péché, cette science est pour moi un mystère, elle est incompréhensible. Quand l’orgueil ne m’avait point éloigné de vous, je pouvais vous contempler. « Votre science de moi est admirable, elle s’élève, et je ne pourrai l’atteindre ». Sous-entendez, par moi-même. « Je ne pourrai l’atteindre par mes forces »; et quand je le pourrai ce sera par vous.

10. Vous le voyez, ce fugitif ne saurait fuir assez loin pour se dérober aux regards de celui qu’il veut fuir. Où pourra-t-il fuir, lui dont la fuite est mesurée? Voyez ce qu’il dit:

 

1. Act. II, 38. — 2. Rom. XI, 32. — 3. Luc, XXXV, 12—17.

 

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 « Où me dérober à votre Esprit? L’Esprit du Seigneur a rempli l’univers entier 1». En quel lieu du monde échapper à cet esprit dont le monde est plein ? « Où me cacher à cet esprit, me dérober à votre face ? » il cherche un lieu pour échapper à la colère du Seigneur. Où pourra-t-il s’en aller, celui qui veut fuir le Seigneur ? Quand on recueille un fugitif, on lui demande quel maître il fuit, et si l’on reconnaît que c’est l’esclave d’un homme peu puissant, on Je reçoit sans crainte ; on se dit alors: le maître de cet esclave ne saurait me rechercher. Mais si l’on reconnaît qu’il appartient à quelque maître puissant, on ne le reçoit point, ou du moins on ne le fait qu’avec crainte. Car un homme, fût-il puissant, peut encore être trompé. Mais où donc n’est pas Dieu ? Qui peut tromper Dieu ? qui peut se dérober à Dieu ? A qui Dieu ne pourra-t-il point reprendre son serviteur fugitif? Où donc ira-t-il, ce fugitif, pour se dérober à la face de Dieu ? Il se tourne et se retourne, pour chercher où fuir.

11. « Si je monte vers les cieux, vous y êtes, si je descends dans l’abîme, vous voilà 2». Infortuné fugitif, tu le reconnais donc, tu ne saurais fuir bien loin de celui que tu veux fuir. Voilà qu’il est partout; et toi, où iras-tu? Mais dans son malheur, il lui vient une pensée, que lui inspire celui qui veut le rappeler dans sa bonté. « Si je monte vers le ciel, vous y êtes; si je descends dans l’abîme, vous voilà ». Si je m’élève, je vous rencontre pour m’humilier; si je me dérobe, je vous trouve pour me rechercher, et non-seulement pour me rechercher, mais pour suivre mes pas. Si je m’élève dans ma justice, je vous rencontre, ô vous la justice véritable. Si le péché me plonge dans les profonds abîmes, dédaignant l’aveu de mes fautes jusqu’à dire : « Qui m’a vu ? Car dans l’enfer qui vous confesse son péché 4 ? » voilà que je vous y rencontre comme vengeur. Où donc puis-je aller pour me soustraire à vos regards, c’est-à-dire pour ne point sentir votre colère?

12. Voici donc le remède qu’il a trouvé Ainsi, dit-il, je fuirai votre face, ainsi je fuirai

votre Esprit : j’éviterai la vengeance de votre Esprit, la vengeance de votre face, par quel moyen? « Si je prends mes ailes pour voler directement et habiter aux extrémités de

 

1. Sag. I, 7. —  2. Ps. CXXXVIII, 8. — 3. Prov. XVIII, 3. —  4. Ps. XI, 6.

 

la mer 1 ». C’est ainsi que je puis échapper à votre face. Mais est-ce bien aux extrémités de la mer qu’il faut aller pour éviter celui dont il est dit: « Si je descends dans l’abîme, vous voilà? » Comment ne serait-il point aux extrémités des mers, celui qui est présent jusque dans les abîmes? Mais je sais, dit-il, comment échapper à votre colère. Je prendrai mes ailes, non pour un vol oblique, mais pour un vol direct, de manière à ne point m’élever par un orgueil présomptueux, ni me plonger dans l’abîme du désespoir. Quelles sont dès lors les ailes qu’il veut prendre, sinon les deux ailes, les deux préceptes de la charité qui renferment la loi et les Prophètes »? Si je reprends, dit-il, ces ailes, pour m’enfuir aux extrémités des mers, je fuirai de votre face à votre face, de votre face irritée à votre face bénigne. Qu’est-ce, en effet, que l’extrémité des mers, sinon la fin des siècles ? C’est là qu’il faut diriger notre vol par l’espérance et le désir, avec les deux ailes de la charité. Point de repos pour nous que nous ne soyons aux extrémités de la mer. Nous reposer ailleurs, c’est tomber dans ses abîmes. Prenons notre essor jusqu’aux extrémités de la mer, suspendons-nous aux deux ailes de la charité:

élevons-nous jusqu’à Dieu par l’espérance, et avec une espérance nourrie par la foi prévoyons cette extrémité de la mer.

13. Mais voyez, nies frères, celui qui nous conduira; c’est celui-là même dont nous voulons fuir le visage irrité. Que dit en effet le Prophète ? « Si je descends au fond de l’abîme, vous voilà. Si je reprends mes ailes pour un vol direct » . « Si je reprends », dit-il: donc il avait perdu ces ailes. « Si je reprends mes ailes pour un vol direct, si j’habite aux extrémités de la mer, c’est votre main qui va m’y conduire, votre droite m’y amener 3». Méditons ces paroles, mes frères bien-aimés ; qu’elles soient notre espérance, notre consolation. Reprenons par la charité ces ailes que la convoitise nous a fait perdre. La convoitise est pour nos ailes une glu qui nous a privés de liberté dans notre essor, c’est-à-dire privés de ces souffles de liberté que donne l’Esprit de Dieu. Arrachés à ces courants, nous avons perdu nos ailes pour tomber en quelque sorte sous la puissance de l’oiseleur. Or, c’est de là que nous a rachetés par son sang celui que nous avons fui pour être

 

1. Ps. CXXXVIII, 9. — 2. Mach. XXII, 40. — 3. Ps. CXXXVIII, 10.

 

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pris. Il nourrit nos ailes par ses préceptes nous les étendons, maintenant qu’elles ne sont plus engluées. N’aimons point la mer, volons aux extrémités de la mer. Arrière toute crainte, arrière aussi toute présomption au sujet de nos ailes; car, en dépit de ces ailes, si Dieu ne nous élève, si Dieu ne nous conduit, de lassitude et de fatigue nous tomberons dans les gouffres de la mer, parceque nous aurons trop présumé de nos forces. Il nous faut donc des ailes, et il faut que Dieu nous conduise ; car il est notre soutien. Nous avons sans doute notre libre arbitre, mais avec ce même libre arbitre, que pouvons-nous sans le secours de celui qui nous commande? « C’est là que me conduira votre main, que m’amènera votre droite ».

14. Mais que dit-il en lui-même, en considérant la longueur du chemin ? Et j’ai dit : « Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir 1 ». Voilà que je crois au Christ, voilà que je m’élève sur les deux ailes de la charité, et néanmoins l’iniquité se multiplie dans le monde, et parce que l’iniquité se multiplie, la charité de plusieurs se refroidit. Ainsi l’a dit le Seigneur : « Comme l’iniquité abondera, la charité de plusieurs se refroidira 2 ». Que faire, dira-t-on, parmi tant de scandales, tant de péchés, tant de tentations qui nous jettent chaque jour dans le trouble, tant de suggestions criminelles qui nous assiégent sans relâche ? Comment arriver à l’extrémité de la mer ? J’entends dans la bouche de Dieu cette parole terrible: « Parce que l’iniquité se multipliera, la charité de plusieurs se refroidira ». Puis il ajoute « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 3 ». Or, à la vue d’un chemin si long, je me suis dit : « Peut-être les ténèbres  vont-elles me couvrir, et la nuit sera ma lumière dans mes délices » La nuit est devenue ma lumière, parce que dans la nuit j’avais désespéré de pouvoir franchir une si vaste mer, de fournir une si longue route, et d’arriver à l’extrémité en persévérant jusqu’à la fin. Grâces à celui qui m’a recherché dans ma fuite, qui a meurtri mes épaules de son fouet, qui, en m’appelant à lui, m’a rappelé de la mort, qui a fait de ma nuit même une lumière. Car la nuit c’est notre vie entière comment cette nuit est-elle éclairée? C’est que le Christ est descendu dans cette nuit.

 

1. Ps. CXXXVIII, 11.— 2. Matth. XXIV, 12. — 3. Id. 13.

 

Il a pris une chair de ce siècle ténébreux, et a éclairé la nuit pour nous. La femme qui avait perdu une drachme alluma un flambeau 1. La sagesse de Dieu avait perdu une drachme ; et qu’est-ce qu’une drachme ? Une pièce de monnaie qui porte l’image de notre chef. L’homme a été créé à l’image de Dieu 2, puis il s’est perdu. Or, que fait la femme dans sa sagesse ? Elle allume une lampe. Cette lampe est un vase de terre, mais elle contient une lumière qui fait retrouver la drachme. La lampe de la sagesse, la chair du Christ, est donc faite en terre ; mais elle brille par son Verbe et retrouve ceux qui étaient perdus. « Et la nuit est devenue une lumière dans mes délices ». La nuit a eu des délices pour moi. C’est le Christ qui fait nos délices. Voyez quelle est maintenant la joie qu’il nous cause. D’où viennent ces acclamations, ces trépignements de joie, sinon de vos délices? Et d’où viennent ces délices, sinon de la lumière qui a éclairé notre nuit, sinon de ce que l’on nous prêche le Christ notre Seigneur? Il vous a cherchés avant que vous l’eussiez cherché, et il vous a trouvés afin que vous pussiez le trouver. « Et la nuit m’a éclairé dans mes délices ».

15. « Devant vous les ténèbres n’ont point d’obscurité 3 ». Toi donc, n’obscurcis pas tes ténèbres; car Dieu ne les obscurcit point; mais plutôt il les éclaire, et c’est à lui que le Psalmiste a dit ailleurs : « C’est vous qui allumerez mon flambeau, Seigneur mon Dieu, vous illuminerez mes ténèbres 4 ». Or, quels sont les hommes qui obscurcissent leurs ténèbres que le Seigneur n’obscurcit point ? Les méchants, les pervers, les pécheurs sont ténèbres ; tantqu’ils ne confessent point les fautes qu’ils ont commises, mais cherchent même à les défendre, ils obscurcissent leurs ténèbres. Donc, avoir péché, c’est être déjà dans les ténèbres ; mais confesser humblement tes ténèbres, c’est mériter qu’elles soient éclairées; les défendre, c’esties épaissir davantage. Or, comment échapper à ces doubles ténèbres, lorsque de simples ténèbres étaient si accablantes ? Mais quand est-ce que le Seigneur n’obscurcit point nos ténèbres? Quand il ne laisse point nos fautes impunies; quand il nous châtie et nous redresse par les tribulations de cette vie. Sachez-

 

1. Luc, XV, 8. — 2. Gen. I, 27. — 3. Ps. CXXXVIII, 12. — 4. Id. XVII, 29.

 

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le bien, mes frères, cette misère dans laquelle nous voyons gémir le genre humain n’est qu’une douleur qui nous guérit, et non un arrêt qui nous châtie. Partout vous voyez la douleur, partout la crainte, partout l’augoisse, partout le travail pénible. C’est un trésor qui grossit, mais par nos misères. Si donc le Seigneur nous avertit, par tarit de plaies, de ne point obscurcir encore nos ténèbres, reconnaissons sa main qui nous afflige et bénissons Dieu qui mêle aux douceurs de cette vie de saintes amertumes, de peur que dans l’aveuglement des terrestres délices nous ne désirions point les biens éternels, que nous ne souhaitions que la mer n’ait aucune borne, pour n’habiter jamais les confins de la mer. Que les flots de la mer se soulèvent donc; plus ils s’agiteront dans leur fureur, et plus la colombe s’élèvera sur ses ailes. Ce n’est donc point le Seigneur qui obscurcit nos ténèbres, puisqu’à nos péchés, il entremêle des châtiments, et des amertumes à nos plaisirs corrupteurs. Mais nous, n’obscurcissons pas nos ténèbres, en défendant nos péchés, et la nuit aura une lumière dans nos délices, « parce que ce n’est point vous qui obscurcirez nos ténèbres ».

16. « Et la nuit est lumineuse comme le jour ». « La nuit ressemble au jour », est-il dit; le jour, c’est la félicité du siècle; et la nuit, c’est l’adversité ; mais si nous reconnaissons que nos péchés ont mérité les maux que nous souffrons, si nous trouvons des douceurs dans les châtiments d’un père, évitant ainsi l’arrêt sévère du juge, les ténèbres de cette nuit deviendront pour nous une lumière dans cette nuit. Mais si elle est nuit, quelle peut en être la lumière? Elle est nuit, parce que le genre humain y est dans l’égarement. C’est la nuit, parce que nous ne sommes point encore arrivés à ce jour qui n’est point resserré entre celui d’hier et celui de demain, qui est l’éternel aujourd’hui , sans matin ni soir. Nous sommes donc ici-bas dans la nuit ; et toutefois cette nuit a sa lumière et ses ténèbres. Nous en avons dit en général pourquoi elle est nuit: quelle est la lumière de cette nuit ? La prospérité, le bonheur de ce monde, les joies passagères , les honneurs temporels , sont comme une lumière pour cette nuit ; tandis que le malheur, les tribulations amères, les ignominies en sont comme les ténèbres. Dans cette nuit, dans cette mortalité de la vie humaine, les hommes ont leur lumière, et i!s ont leurs ténèbres ; la lumière, c’est la prospérité, les ténèbres l’adversité. Mais dès que le Christ habite une âme par la foi, dès qu’il promet une autre lumière, qu’il inspire et donne la patience, qu’il avertit l’homme de ne mettre point sa complaisance dans les prospérités du monde, pour n’être point abattu par l’adversité ; le fidèle commence à concevoir de l’indifférence pour ce monde, à ne s’élever point dans la prospérité, à ne point se laisser abattre par le malheur. Mais il bénit Dieu en toutes choses, non-seulement dans l’abondance, mais aussi dans la disette; non-seulement dans la santé, mais aussi dans la maladie. Il justifie alors cette parole du psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche 1».  Si c’est toujours, ce sera dès lors, et quand la nuit éclaire et quand la nuit est obscure; et quand la prospérité te sourit, et quand l’adversité te vient attrister, que sa louange soit toujours en ta bouche ; et alors se réalisera ce que dit le psaume: « Les ténèbres et la lumière sont une même chose pour lui ». Ses ténèbres ne m’accablent point, parce que sa lumière ne m’élève point.

17. Job était dans cette lumière; il avait tout en abondance. Nous parler de ses grands biens, c’est nous décrire tout d’abord la lumière de sa nuit ; car c’était une lumière dans sa nuit que les biens et les richesses qu’il possédait. Or, l’ennemi crut qu’un si saint homme servait Dieu seulement à cause des grands biens dont il l’avait comblé, et il demanda qu’ils lui fussent enlevés. Alors sa nuit qui avait eu sa lumière fut changée en ténèbres. Job savait néanmoins que, soit lumière, soit ténèbres, c’est toujours la nuit quand nous sommes éloignés de Dicta ; et il avait pour lumière intérieure Dieu lui-même, lumière intérieure qui le rendait indifférent à la clarté ou aux ténèbres de cette autre nuit. C’est pourquoi, comme il servait Dieu fidèlement dans la lumière de cette nuit, c’est-à-dire dans l’abondance, que dit-il quand il eut tout perdu et que les ténèbres le couvrirent? « Dieu a donné, Dieu a ôté comme il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1 ». Je suis dans la nuit de cette vie. Le Seigneur qui habite mon âme, avait éclairé cette nuit de

 

1. Ps. XXXIII, 2. — 2. Job, I.

 

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quelques consolations, en me donnant des biens temporels; voilà qu’il éteint cette lumière temporelle, et la nuit devient pour moi ténébreuse. Mais « parce que ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur il a été fait: que le nom du Seigneur soit béni ». Cette nuit ne m’attriste point; car ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière. L’une et l’autre passent, afin que ceux qui sont dans la

joie soient comme n’y étant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant point. « Car les  ténèbres du Seigneur sont pour nous comme sa lumière ».

18. « Parce que c’est vous, Seigneur, qui êtes le maître de mes reins ». Ce n’est point sans raison que ses ténèbres sont comme sa lumière ». Le Seigneur me possède intérieurement, il est le maître non-seulement de mon coeur, mais aussi de mes reins; non-seulement de mes pensées, mais aussi de mes affections. C’est donc lui qui possède ce qui pourrait me donner quelque jouissance dans la lumière de cette nuit, lui qui possède mes reins, et je ne puis trouver de plaisir que damas la lumière intérieure de sa sagesse. Quoi donc ? La prospérité d’ici-bas, le bonheur de cette vie, les honneurs, les richesses, la famille, n’ont-ils donc pour toi aucun charme? Aucun, et pourquoi? Parce que « ses ténèbres et sa lumière sont une même chose pour moi ». D’où te vient cette indifférence , que les lumières et les ténèbres de cette vie soient une même chose pour toi? « C’est que vous êtes , Seigneur, le maître de mes reins; vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ». Mais dans le sein de ma mère je n’étais indifférent ni aux ténèbres de cette nuit, ni à ses lumières ; car ce sein de ma mère, c’est la coutume de ma cité. Et quelle est ma cité ? celle qui m’a enfanté dans l’esclavage. Or, nous connaissons cette Babylone dont nous avons parlé hier, et qu’abandonnent tous ceux qui embrassent la foi, qui soupirent après la lumière de la Jérusalem céleste. Voici donc mon langage : dès le sein de ma mère, le Seigneur m’a reçu; de là mon indifférence pour les ténèbres de cette nuit comme pour sa lumière. Mais quiconque est encore dans les entrailles de Babylone sa mère, se réjouit des prospérités de ce monde, se laisse abattre par les misères de cette vie, ne connaît de joie que celle d’un bonheur temporel, ni de douleur que celle des maux temporels. Sors donc des entrailles de Babylone, commence à chanter un hymne au Seigneur ; sors, oui sors de ses entrailles, elle Seigneur te recevra dès le sein de ta mère, Quel Dieu ? le Dieu de l’apôtre saint Paul qui a dit: « Quand il a plu à Dieu qui m’a appelé dès le sein de ma mère, de me faire « connaître son Fils 1 ». Quelle était cette mère de Paul? la synagogue. Qu’avait-il appris dans la synagogue, sinon ce que savaient, ce qu’apprenaient les Juifs et tout le peuple? Il ne restait plus chez cette nation que le nom du culte de Dieu, on n’y voyait plus les oeuvres : ils avaient la parole de Dieu comme un arbre porte des feuilles, mais sans aucun fruit. C’est ce figuier que le Seigneur fit si. cher en le maudissant, comme vous le savez 2. Il y avait trouvé des feuilles, mais de fruit, aucun ; il nous montrait là le symbole d’un autre arbre. On n’était pas, en effet, au moment des figues 3; or, le Créateur du ciel et de la terre pouvait-il ignorer ce que chacun savait? Celui-là donc qui appela Paul dès le sein de sa mère est aussi celui qui nous a choisis dès le sein de la nôtre. Quelle est notre mère? Babylone. Une fois sortis de ses entrailles, concevons une autre espérance, Dieu, mes frères, nous a promis d’autres joies ; qu’une nouvelle espérance nous fasse porter des fruits. Il n’y a désormais d’autre mal pour nous que d’offenser Dieu et de n’arriver pas aux biens qu’il nous a promis; il n’y a d’autre bien que de mériter Dieu et d’arriver à ses divines promesses. Que sont les biens de cette vie, comme les maux de cette vie ? N’ayons pour eux que de l’indifférence; puisque nous voyant reçus par Dieu dès le sein de notre mère, nous disons : « Les ténèbres de « cette vie sont pour nous comme ses lumières ». Le bonheur de ce monde ne sera point notre bonheur, ni ses misères notre malheur, Il nous faut pratiquer la justice, aimer la foi, espérer en Dieu, aimer Dieu, aimer aussi noIre prochain. Aux travaux de cette vie succédera une lumière inextinguible, un jour sans fin tout ce qui est lucide ou ténébreux en cette vie, ne dure qu’un moment «Vous êtes, Seigneur, le maître de mes reins, vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ».

19. « Je vous confesserai, Seigneur, à cause

 

1. Gal. I, 15, 16. — 2. Matth. XXI, 19. — 3. Marc, XI, 13.

 

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«de l’éclat terrible de votre magnificence ». «Votre magnificence est terrible »u, Seigneur, puisque nous en admirons l’éclat, et que notre joie est mêlée de crainte. Nous craignons en effet qu’en nous élevant de vos dons, nous ne méritions de perdre ce que nous avions obtenu par l’humilité. « Je vous n confesserai, parce que l’éclat de votre magnificence est terrible ; vos oeuvres sont admirables, et mon âme le sait ». Mon âme le sait très-bien depuis que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère; mais auparavant votre science était trop élevée au-dessus de moi, je n’y pouvais atteindre. Elle me surpassait, et me laissait dans l’impuissance. D’où vient que maintenant cette âme connaît vos oeuvres, sinon parce que la nuit a pour moi une lumière dans mes délices ? sinon parce que vous êtes maître de mes reins ? sinon parce que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ?

20. « Mes ossements que vous avez formés n en secret ne vous sont point cachés 1 ». Le mot latin os veut dire ici ossement, c’est ce que nous indique le grec 2; autrement, en effet, on pourrait croire qu’il fait ora au pluriel, et le traduire par bouche, et non os qui fait ossa. « Mes ossements donc », dit le Prophète, « que vous avez faits en secret, ne vous sont point inconnus ». J’ai donc certains ossements secrets ; parlons plutôt ainsi, et disons ossum: il vaut mieux être fautif en grammaire que inintelligible pour le peuple. Donc, dit le Prophète, j’ai un ossement secret, c’est vous qui avez fait cet ossement secret, et qui n’est point secret pour vous. Vous l’avez caché, mais l’avez-vous caché pour vous-même? Cet os que vous m’avez fait en secret, les hommes ne le voient pas, ne le connaissent pas; mais vous le connaissez, vous qui l’avez fait. De quel ossement veut-il parler, mes frères? Cherchons-le, il est dans le secret. Mais comme nous parlons en chrétiens, et à des chrétiens, nous trouverons bientôt de quel os il est question. C’est la force intérieure ; car la solidité, la force, est désignée par les ossements, Il y a donc une force intérieure de l’âme, dès qu’on ne se laisse point abattre. Que les tourments, que les tribulations, que les difficultés du siècle viennent à sévir, la force invisible qui nous vient de Dieu ne saurait être abattue, et ne cède point.

 

1. Ps. CXXXVIII, 15. — 2. Ostoun.

 

C’est de Dieu que nous vient cette force de patience, dont il est dit dans un autre psaume:

« Toutefois, mon âme sera soumise à Dieu, car c’est de lui que me vient la patience 1 ». Ecoute aussi l’apôtre saint Paul, qui a bien cette force : « Comme tristes, et néanmoins toujours dans la joie 2 ». D’où vient la tristesse ? Des injures, des opprobres, des fléaux, des plaies, des lapidations, des emprisonnements et des chaînes. Or, les persécuteurs eux-mêmes ne les persécuteraient point s’ils n’espéraient les affliger. Eux qui n’avaient point une force intérieure , jugeaient les autres d’après leur propre faiblesse ; mais les persécutés qui avaient cette force, paraissaient tristes à l’extérieur, et se réjouissaient en Dieu à qui n’échappait point cet ossement secret que lui-même avait fait en eux. Cet ossement secret que Dieu nous a fait, saint Paul nous en parle clairement dans ces paroles: « Non-seulement nous sommes dans la joie, mais nous nous réjouissons dans les tribulations ». C’est peu de n’être point triste, tu vas jusqu’à te glorifier? Qu’il te suffise de n’être point triste. C’est peu pour des chrétiens, dit l’Apôtre, mais tels sont les ossements que Dieu m’a faits dans le secret, que si je ne me glorifie, c’est peu de n’être point abattu. De quoi nous glorifier? des tribulations; car nous savons que la tribulation engendre la patience. Vois comment cette force a été consolidée dans notre coeur : « Nous savons que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la pureté, l’espérance; or, l’espérance n’est pas vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos  coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 3 », Ainsi a été formé cet ossement secret, qui est solide jusqu’à nous faire un titre de gloire de nos tribulations. Mais les hommes nous croient malheureux , parce qu’ils ne connaissent point notre force intérieure. « L’ossement que vous m’avez fait cri secret n’est point secret pour vous, et ma substance est dans les entrailles de la terre ». Ma substance donc est dans ma chair, ma substance est dans les entrailles de la terre et toutefois j’ai au dedans de moi un os que vous avez formé, qui m’empêchera de céder aux persécutions de ce bas monde, où est aussi ma substance. Qu’y a-t-il d’étonnant que l’ange ait de la force ? Ce qui est surprenant,

 

1. Ps. LXI, 6. —  2. II Cor. VI, 10. — 3. Rom. V, 3-5.

 

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c’est que la chair ait de la force. Or, d’où vient la force de la chair, la force d’un vase d’argile, sinon de cet os que Dieu y a mis secrètement? « Et ma substance est dans les entrailles de la terre ».

21. Que dira le Prophète de ceux qui sont moins forts? Nous l’avons dit en effet, c’est le Christ qui nous parle en ce psaume. Mais en beaucoup d’endroits, comme il a parlé au nom du corps, voyons ce qu’il dit au nom du chef, sans qu’il paraisse néanmoins distinguer s’il donne la parole à l’un ou à l’autre. Car distinguer, ce serait diviser, et ils ne seraient plus deux dans une seule chair 1. Mais s’ils sont deux dans une seule chair, rien d’étonnant qu’ils soient aussi deux dans une même voix. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ mourut sur la croix, les disciples n’avaient point encore cet ossement intérieur, ils n’étaient point encore affermis dans la patience; ils ne se connaissaient point, ils ignoraient leurs forces. Pierre osa promettre qu’il souffrirait et mourrait avec son maître, pauvre malade qui ne connaissait point son mal, et que connaissait le médecin suprême. Mais qu’arriva-t-il? J’irai avec vous jusqu’à la mort, avait-il dit. «  Je vous dis en vérité qu’avant le chant du coq vous me renoncerez trois fois 2 ». Or, la prédiction du médecin se trouva plus vraie que la présomptueuse parole du malade, Dès lors, en nous disant : « Un ossement que vous m’avez fait en secret n’est point caché pour vous », le Prophète parle au nom de ceux qui ont cet os intérieur, cette force que montra dans sa passion notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui s’est assis quand il lui a plu, levé quand il lui a plu, endormi quand il lui a plu, éveillé quand il lui a plu car, nous dit-il, « j’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 3». Mais qu’est-il dit de ceux en qui cette force n’était ni formée, ni affermie? Qu’en dit le Sauveur? Vois ce qu’il en dit à son Père

« Vos yeux ont vu mon imperfection 4 ». Mon imperfection dans ce même Pierre qui promettait pour ne pas tenir, qui comptait sur lui-même pour tomber : vos yeux l’ont vue; car il est écrit que le Seigneur regarda Pierre qui, après son triple renoncement, se ressouvint de la prédiction du Sauveur; puis sortit dehors et pleura amèrement 5.Ce fut le

 

1. Ephés. V, 34, 32 —  2. Matth. XXVI, 34, 35; Luc, XXII, 33, 34. — 3. Jean, X, 18. — 4. Ps. CXXXVIII, 16.— 5. Luc, XXII, 61, 62.

 

regard de Dieu qui fit couler ces larmes, « parce que vos yeux », dit le Prophète, « ont vu mon imperfection ». Cette imperfection qui le fait chanceler pendant la passion du Sauveur, le conduirait infailliblement à la mort; mais voilà que vos yeux l’ont vu, et non seulement lui, mais tous ceux qui furent tremblants jusqu’à ce que la résurrection du Sauveur les raffermît. Il fut évident pour leurs yeux que la mort n’avait point détruit dans le Sauveur ce qu’elle avait frappé, et alors se forma en eux cet ossement secret qui les empêcha de craindre la mort. « Vos yeux ont vu mon imperfection; tous seront écrits dans votre livre » ; non seulement les hommes parfaits, mais aussi les hommes imparfaits. Que les imparfaits ne craignent point, mais qu’ils s’avancent. Qu’ils ne craignent pas, dis-je, et néanmoins qu’ils n’aiment pas leur imperfection, qu’ils ne de. meurent point où ils ont été trouvés. Seulement, qu’ils s’avancent autant qu’il est en eux; chaque jour un pas, chaque jour un progrès : toutefois sans s’éloigner du corps du Seigneur, afin que dans cette unité de corps qui unit ensemble tous les membres, ils méritent que le Sauveur ait dit en leur nom: « Vos yeux ont vu mon imperfection; et tous seront écrits dans votre livre ».

22. « Ils s’égareront pendant le jour, et personne parmi eux ». Le jour, c’était encore Notre-Seigneur Jésus-Christ. De là cette parole: « Marchez tant que vous avez la lumière 1». Mais ceux qui doivent errer pendant le jour, ce sont les imparfaits qui sont en lui. Eux encore n’ont vu qu’un homme dans Notre-Seigneur Jésus-Christ; ils ont cru que la divinité n’était point cachée en lui, et que loin d’être un Dieu caché, il était simple. ment ce qu’il paraissait; voilà ce qu’ils ont cru. Pierre, en effet, et nous parlons de lui surtout parce que nous trouvons en lui un exemple de cette faiblesse qui ne doit point nous faire désespérer, Pierre, quand Jésus demanda ce que les hommes disaient de lui, répondit: « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et le Seigneur ajouta : « Tu es heureux, Simon fils de Jona, car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux ». Pourquoi heureux? Parce que Pierre l’a proclamé fils de Dieu. Mais au même endroit, et dans la suite du discours, le Seigneur vint à parler de sa passion qui

 

1. Jean, XXII, 35.

 

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approchait. Or, le même Pierre qui l’avait proclamé Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût comme fils de l’homme. Car le Christ était Fils de Dieu et fils de l’homme tout ensemble:

Fils de Dieu par cette nature divine qui le rendait égal à Dieu ; fils de l’homme par cette forme de l’esclave 1 qui le rendait inférieur à son Père 2. Il devait bientôt souffrir dans cette forme de l’esclave. Pourquoi donc Pierre craignait-il que la nature de Dieu ne pérît avec la nature de l’esclave, et n’espérait-il pas au contraire que la nature de l’esclave ressusciterait avec la nature divine? A « Dieu ne plaise», lui dit-il, « Seigneur, veillez sur nous ». Et le Seigneur, de cette même voix dont il l’avait appelé bienheureux : «Arrière, Satan », lui dit-il, « tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes 3 ». Parce qu’il avait dit

«Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant», il entendit cette réponse : « Ni le sang ni la chair ne te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans le ciel » ; c’est par là que tu es Pierre, que tu es bienheureux. Maintenant que sa réponse ne venait point de la révélation du Père, mais de la faiblesse de la chair, il est appelé Satan. « Tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ». Ainsi dit le Christ, mes frères; il avait vécu au milieu d’eux, il avait commandé aux vents 4, il avait devant eux marché sur les flots 5, sous leurs yeux encore il avait ressuscité un mort de quatre jours 6, sous leurs yeux il avait opéré de si grandes merveilles, et néanmoins ils furent saisis de crainte au moment de sa passion, comme s’ils eussent perdu celui en qui ils auraient mis une vaine confiance. Mais « c’est pendant le jour qu’ils doivent s’égarer, et personne parmi eux ». Personne, pas même celui quia dit: « Avec vous jusqu’à la mort». Le Christ avait dit en effet : « Voici l’heure que vous me laisserez seul, et que chacun ira de son côté. Mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 7 ». Son Père était avec lui, et il était avec son Père; comme son Père était en lui, et lui en son Père; et son Père et lui ne sont qu’un 8; et ses disciples craignent à sa mort. Pourquoi, sinon parce qu’ils ont erré pendant le jour, et que nul

 

1. Philipp. II, 6, 7. — 2. Jean, XIV, 28. — 3. Matth. XVI, 13-23. — 4. Id. VIII, 26.— 5. Id. XIV, 25.—  6. Jean, XI, 39-44 — 7. XVI, 32. — 8.                Id. X, 30, 38.

 

n’est en eux? « Ils s’égareront pendant le jour, et nul n’est en eux ».

23. Mais que signifie : « Ils s’égareront pendant le jour? » Est-ce à dire qu’ils périront? Que deviendrait alors : « Vos yeux ont vu mon imperfection, et tous seront écrits dans votre livre? » Quand donc se sont-ils égarés pendant le jour? Quand ils n’ont pas connu le Sauveur qui était avec eux. Qu’est-il dit ensuite? « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu ». Ceux-là mêmes qui se sont égarés pendant le jour, sans que personne fût en eux, sont devenus vos amis, et jouissent à mes yeux d’une gloire éclatante. Après la résurrection de leur maître, ils ont acquis cet ossement secret, et eux qui avaient tremblé lors de sa passion, eurent la force de mourir pour lui. « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu, et leurs principautés sont devenues inébranlables ». Ils sont devenus Apôtres, chefs de l’Eglise, conduisant les béliers du troupeau : « Et leurs principautés sont affermies d’une manière inébranlable ».

24. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers 2». De ces hommes qui ont erré pendant le jour, n’ayant personne avec eux, est née une si grande multitude,que, comme le sable de la mer, elle ne peut être comptée que par Dieu. Le Prophète a dit en effet: « Ils sont plus nombreux que le sable des mers », et néanmoins il venait de dire: « Je les compterai ». Et ceux qui sont comptés seront plus nombreux que le sable des mers; or, il peut compter le sable de la mer, celui qui a compté les cheveux de notre tête 3 . « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers ».

25. « Je me réveille, et je suis encore avec vous ». Qu’est-ce à dire, je me lève, et me voilà encore avec vous? Voilà que je suis mort, que j’ai été enseveli, et bien que je sois ressuscité, ils ne comprennent pas encore que je sois avec eux. « Je suis encore avec vous», c’est-à-dire, pas encore avec eux, puisqu’ils ne me connaissent point encore. Il est dit en effet dans l’Evangile qu’après la résurrection du Sauveur, les disciples ne le reconnurent point aussitôt quand il leur apparut. On peut encore donner un autre sens. « Je me suis levé et je suis encore avec vous », désignerait

 

1. Ps. CXXXVIII, 17.—  2. Id. 18. — 3. Matth. X, 30.

 

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le temps pendant lequel Jésus-Christ demeure caché à la droite de son Père, avant qu’il se manifeste dans cette gloire dont il doit briller en venant juger les vivants et les morts.

26. Il va nous dire ensuite ce que le mélange des pécheurs, et le schisme de l’hérésie doit lui faire endurer dans son corps qui est l’Eglise , pendant cet intervalle de temps, qui s’écoule depuis sa résurrection, alors qu’il est à la droite de son Père. Voici ce qu’il dit en effet : « Si vous mettez à mort l’impie, ô mon Dieu, hommes de sang retirez-vous de moi ; car tu diras en toi-même: c’est en vain qu’ils prendront leurs villes 1». Il semble qu’on doive construire ainsi la phrase: « Si vous donnez la mort au pécheur, c’est en vain qu’ils prendront leurs villes ». Car le Prophète regarde comme frappés de mort les hommes à qui l’enflure de l’orgueil fait perdre ta grâce qui est la vie. « L’Esprit-Saint en effet évite le déguisement dans la discipline, et se dérobe aux esprits sans intelligence 2 ». La mort des pécheurs vient donc de ce que leur intelligence, obscurcie par les ténèbres, les éloigne de la vie de Dieu, L’orgueil étouffe en eux la confession de leurs fautes; ils meurent, et voilà que se réalise en eux cette parole: « Pas plus dans un mort que dans un homme qui n’existe point, il n’y a de confession 3 ». C’est là prendre en vain leurs villes, c’est-à-dire leurs peuples vains, qui s’attachent à leurs vaines pratiques. Orgueilleux de leur renommée de justice, ils entraînent le peuple à rompre le lien de l’unité, et se font suivre comme plus justes par des aveugles et des ignorants. Or, comme ils prennent souvent occasion de se séparer de l’unité du Christ en blâmant les méchants, avec lesquels ils feignent de ne point vouloir de communion; comme il peut se faire qu’ils ne flétrissent pas seulement les coupables dont ils semblent vouloir éviter la malice, mais qu’ils disent encore le mal véritable de ceux qui leur ressemblent, et parmi lesquels gémit le froment du Christ, tout en gardant le lien de l’unité 4, voilà que le Prophète s’interrompt pour s’écrier: « Loin de moi, hommes de sang; car tu diras dans ta pensée: C’est  en vain qu’ils s’empareront de leurs villes »;

 

1. Ps. CXXXVIII, 19, 20. — 2. Sag. I, 5. — 3. Eccli. XVII, 26. — 4. Matth. III, 22.

 

c’est-à-dire, ce qui sera cause qu’ils séduiront leurs peuples pour les porter au schisme, et les corrompre par leurs propres vanités, « c’est que tu diras dans ta pensée : Hommes de sang, éloignez-vous de moi ». C’est-à-dire qu’en punition de leur orgueil, l’âme de ces pécheurs sera mise à mort, et dès lors c’est en vain qu’ils s’empareront de leurs cités, ou de leurs peuples, en les retranchant de l’Eglise, pour les entraîner dans la vanité de leurs erreurs; et ainsi choqués par le mélange des pailles, ils brisent l’unité et se séparent du bon grain. Le Prophète avertit donc le bon grain, ou les véritables fidèles, de ne point se séparer ouvertement des méchants avant que l’aire soit vannée, de peur d’abandonner les bons qui sont encore parmi eux, mais de dire en quelque sorte tacitement, par une vie pure et une conduite bien différente : « Loin de moi, hommes de sang ». C’est en effet le langage que tient le bon grain par la voix de Dieu, voix qui est dans notre pensée, comme Dieu le tient dans la pensée de son peuple saint. Mais quels sont, mes frères, les hommes de sang, sinon les hommes de haine? Selon cette parole de saint Jean : « Celui qui hait son frère est homicide 1». Ces pécheurs donc, mis à mort, ne pouvant comprendre comment, dans la pensée des bons, Dieu dit aux méchants: « Hommes de sang, éloignez-vous de moi », leur font un crime de leur communion avec les méchants, et en se séparant d’eux à cause de ces calomnies, « ils prennent en vain leurs cités». Cette parole que les bons ne disent aux méchants que dans leur pensée, se fera entendre ouvertement dans ce dernier jour, quand notre chef élevant la voix : « Je ne vous ai jamais connus », leur dira-t-il, « éloignez-vous de moi, vous tous ouvriers d’iniquité 2 ».

27. Et maintenant, dit le corps du Christ, ou l’Eglise, pourquoi ces calomnies des superbes, comme si les péchés des autres pouvaient me souiller? pourquoi se séparer de moi « afin de prendre en vain leurs cités? N’ai-je point haï, ô mon Dieu , ceux qui vous haïssaient 3 ?» Pourquoi ces hommes plus méchants veulent-ils me forcer à une séparation corporelle des méchants, me faire arracher le bon grain avec l’ivraie, avant le temps de la moisson 4 ; me détourner de supporter la paille

 

1. I Jean, III, 15. — 2. Matth. VII, 23. — 3. Ps. CXXXVIII, 21. — 4. Matth. XIII, 30.

 

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avant que l’aire soit vannée 1 ; me porter à déchirer le filet de l’unité, avant que tous les poissons soient parvenus à la fin des siècles, comme sur le rivage où l’on fait le discernement 2 ? Ces sacrements que je reçois sont-ils des méchants ? Tolérer leur vie et leurs moeurs, est-ce donc communiquer avec eux? «N’ai-je donc point haï , ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient ? N’ai-je point séché de dépit à la vue de vos ennemis ? » Quand le zèle de votre maison me dévorait  3, n’est-ce point avec dégoût que je voyais les insensés? Un profond ennui ne s’emparait-il pas de moi, à la vue de ceux qui délaissaient votre loi  4? Quels sont, en effet, vos ennemis, sinon les hommes qui témoignent par leur vie qu’ils haïssent vos préceptes ? Et puisque je les hais, pourquoi ceux qui s’emparent en vain de leurs villes s’en viennent-ils me calomnier, et rejeter sur moi les péchés de ceux que je déteste, et au sujet desquels m’enflammait de dépit mon zèle pour la maison de Dieu ? Mais alors, que devient ce précepte «Aimez vos ennemis?» Sont-ce vos ennemis qu’il faut aimer, et non ceux de Dieu? « Faites du bien », est-il dit, « à ceux qui vous haïssent 5 ». Il n’est point dit : A ceux qui haïssent Dieu. De là cette parole de l’interlocuteur: « N’ai-je point haï, Seigneur, ceux qui vous haïssaient?» Il ne dit point : Ceux qui me haïssent. Et encore. « La vue de vos ennemis m’irritait», et non des miens. Mais ceux qui nous haïssent, qui sont nos ennemis, précisément parce que nous servons Dieu, ne haïssent-ils pas le Seigneur, ne sont-ils pas ses ennemis? De tels ennemis, ne devons-nous donc pas les aimer? N’est-ce point au nom du Seigneur qu’ils souffrent persécution, ceux à qui il est dit : Priez pour ceux qui vous persécutent? Ecoute ce qui suit.

28. «Je les poursuis d’une haine parfaite». Que signifie une haine parfaite ? Je haïssais en eux l’iniquité, j’aimais ce que vous y aviez fait. Poursuivre d’une haine parfaite, c’est ne point haïr les hommes à cause de leurs vices, ne point aimer les vices à cause des hommes. Vois, en effet, ce qu’ajoute le Prophète « Ils sont devenus mes ennemis ». Ils ne sont plus ennemis de Dieu seulement, ils sont ses ennemis. Comment donc accomplir à leur égard ce qu’il a dit lui-même: « Je les

 

1. Matth. XXI, 12.— 2. Id, XIII, 47.— 3. Ps. LXVIII, 10. — 4. Id. CXVIII, 53.— 5. Matth. V, 44.

 

poursuivais d’une haine parfaite » ; et ce précepte du Seigneur : « Aimez vos ennemis? » Comment accomplir ces prescriptions, sinon au moyen de cette haine parfaite qui porte à les haïr parce qu’ils sont injustes, à les aimer, parce qu’ils sont hommes? Dans l’Ancien Testament, quand le peuple charnel était retenu dans le devoir par les châtiments visibles, comment haïssait les pécheurs cet homme qui appartenait par l’esprit au Nouveau Testament, ce Moïse, fidèle serviteur de Dieu, qui priait pour eux, et comment ne les haïssait-il point, lui qui leur donnait la mort, sinon qu’il les haïssait d’une haine parfaite? Il avait pour l’iniquité qu’il châtiait une haine si parfaite, qu’il aimait en même temps le coupable jusqu’à prier pour lui.

29. Maintenant donc que le corps du Christ gémit pour un temps parmi les pécheurs dont il sera séparé au dernier jour: maintenant que ces pécheurs sans vie, calomniant les bons au sujet de leur mélange avec les méchants, et se séparant eux-mêmes des bons et des innocents, bien plus encore que des méchants, prennent en vain leurs villes, au point qu’il reste néanmoins beaucoup de méchants qui ne les suivent point dans leur schisme, qui demeurent dans cette confusion, pour exercer la patience des bons, que fera dans cet état de choses le corps du Christ, qui produit par la patience 1 trente, soixante, et jusqu’à cent pour un? Que fait cette épouse du Christ au milieu des filles, comme le lis au milieu des épines? Que dit-elle ? Quelle est sa pensée? Quelle est la beauté intérieure de cette fille du roi 2? Ecoute sa prière: «Eprouvez-moi, ô Dieu,et connaissez mon coeur 3». Eprouvez vous-même, ô mon Dieu, et connaissez ; que ce ne soit point l’homme, ni l’hérétique : ils ne sauraient m’éprouver, ni connaître mon coeur où pénètrent vos regards, ce qui vous montre que je ne donne aucun assentiment aux actes des pécheurs, tandis qu’ils s’imaginent que les péchés des autres peuvent me souiller. Voyez encore lorsque, dans mon exil si lointain, je gémis avec le Prophète dans un autre psaume, c’est-à-dire que je garde la paix avec ceux qui la haïssent 4, jusqu’à ce que je parvienne à la vision de la paix, ou à cette Jérusalem qui est notre mère, l’éternelle cité des cieux, les voilà

 

1. Matth. XIII, 23; Luc, VIII, 15.— 2. Ps. XLIV, 14.— 3. Id. CXXXVIII, 23. — 4. Id. CXIX, 7.

 

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qui pointillent, qui calomnient, qui se séparent, qui « reçoivent leurs villes », non pour l’éternité, mais pour la vanité. « Eprouvez-moi donc, ô Dieu, et connaissez mon coeur; sondez-moi, et connaissez mes sentiers ». Que veut dire le Prophète ? Ecoutons la suite.

30. « Et voyez s’il y a en moi quelque trace d’iniquité; conduisez-moi dans la voie éternelle 1 ». « Sondez mes sentiers», dit le Prophète, c’est-à-dire mes desseins et mes pensées : « Et voyez s’il y a en moi quelque trace de l’iniquité», soit que je l’aie commise, soit que j’y aie consenti: « Et conduisez-moi dans la voie éternelle » Qu’est-ce à dire, sinon conduisez-moi dans le Christ? Qui est, en effet, la voie éternelle, sinon celui qui est aussi la vie éternelle? Or, celui-là est éternel qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie 2 ». Si donc vous trouvez dans mes voies quelque chose qui déplaise à vos yeux, parce que ma voie est mortelle ; pour vous, « conduisez-moi dans la voie éternelle », où l’on ne voit nulle injustice: « Si quelqu’un, en effet, vient à pécher, nous avons pour avocat auprès du Père,  Jésus-Christ qui est juste. C’est lui qui intercède pour nos péchés 3 » ; c’est lui qui est la voie éternelle

 

1. Ps. CXXXVIII, 24. — 2. Jean, XIV, 6. — 3. I Jean, II, 1.

 

sans aucune faute, et la vie éternelle sans châtiment.

31.  Il y a là une grande figure, mes frères. De quelle manière l’Esprit parle-t-il avec nous? Comment fait-il nos délices dans l’obscurité de cette nuit? Pourquoi, mes frères, je vous le demande, ces vérités ont-elles plus de douceurs à proportion de leur obscurité? Dieu, par d’ineffables secrets, nous prépare un breuvage d’amour. Il donne un tour admirable à ses paroles, en sorte que, dussions-nous dire ce que vous savez déjà, la connaissance vous en paraît nouvelle, parce qu’on le tire de passages qui vous paraissaient obscurs, Ne saviez-vous point, en effet, mes frères, qu’il nous faut tolérer les méchants dans l’Eglise de Dieu, sans y faire aucun schisme? Ne saviez-vous point déjà que dans ce filet, qui contient de bons et de mauvais poissons, il faut demeurer jusqu’à ce que le filet soit amené sur le rivage, et qu’il ne faut point le déchirer; que sur le rivage seulement on fera la séparation, afin de mettre les bons poissons dans des vaisseaux, et de jeter les mauvais? Voilà ce que vous saviez, sans toutefois comprendre ces versets de notre psaume : je vous ai expliqué ce que vous ne compreniez pas, et vous y avez trouvé ce que vous saviez.

 

 

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