JUSTICE - HOMME

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JUSTICE - HOMME

DE LA PERFECTION DE LA JUSTICE DE L'HOMME.

LETTRE AUX ÉVÊQUES EUTROPE ET PAUL

 In Oeuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIème, p. 222 à 242, Bar-le-Duc 1871

CHAPITRE PREMIER. OCCASION DE CETTE LETTRE.

CHAPITRE II. CE QU'EST LE PÉCHÉ.

CHAPITRE III. SI L'HOMME DOIT ÊTRE SANS PÉCHÉ, IL LE PEUT.

CHAPITRE IV. DE QUELLE MANIÈRE SE COMMET LE PÉCHÉ.

CHAPITRE V. LE PÉCHÉ ET LA CHARITÉ.

CHAPITRE VI. D'OU VIENT LE PÉCHÉ.

CHAPITRE VII. LES ADULTES ET LES ENFANTS BAPTISÉS.

CHAPITRE VIII. PREUVES TIRÉES DE LA SAINTE ÉCRITURE.

CHAPITRE IX. MÊME SUJET.

CHAPITRE X. FACILITÉ D'ACCOMPLIR LES PRÉCEPTES.

CHAPITRE XI. TÉMOIGNAGE DE JOB.

CHAPITRE XII. TOUT HOMME EST MENTEUR.

CHAPITRE XIII. PERSONNE N'EST PARFAIT.

CHAPITRE XIV. PERSONNE N'EST BON, SI CE N'EST DIEU.

CHAPITRE XV. QUI SE GLORIFIERA D'AVOIR LE COEUR CHASTE?

CHAPITRE XVI. IL N'EST PERSONNE QUI FASSE LE BIEN ET NE PÉCHÉ PAS.

CHAPITRE XVII. NUL HOMME VIVANT NE SERA JUSTIFIÉ EN VOTRE PRÉSENCE.

CHAPITRE XVIII. NE DISONS PAS QUE NOUS SOMMES SANS PÉCHÉ.

CHAPITRE XIX. TOUT DÉPEND DE DIEU QUI FAIT MISÉRICORDE.

CHAPITRE XX. IL FAUT LE SECOURS DE DIEU POUR NE PAS PÉCHER.

CHAPITRE XXI.

 

 

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DE LA PERFECTION DE LA JUSTICE DE L'HOMME.

LETTRE AUX ÉVÊQUES EUTROPE ET PAUL

 

Augustin n'ayant point parlé de cet ouvrage dans la Revue de ses écrits, il a fallu le témoignage positif de Possidius, de saint Fulgence et de saint Prosper, pour l'attribuer à l'évêque d'Hippone. Ce travail, adressé aux évêques Eutrope et Paul, est la réponse à un écrit de Célestius, apporté de Sicile, et qui avait pour titre : « Définition qu'on dit être de Célestius ». L'éternelle objection, c'est l'inutilité de la volonté humaine dans un ordre moral où tout est subordonné à la volonté de Dieu. Augustin répond toujours que la volonté humaine est faible et malade depuis la chute, mais qu'elle n'est point vaine et qu'elle peut encore remonter à la justice avec le secours divin.

 

 

 

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A mes frères et coévêques Eutrope et Paul, Augustin.

 

CHAPITRE PREMIER. OCCASION DE CETTE LETTRE.

 

Votre charité, toujours si grande et si sainte qu'elle trouve son plaisir à obéir aux ordres qu'elle reçoit, m'a prié de répondre aux Définitions que l'on attribue à Célestius. Tel est en effet le titre du manuscrit que vous m'avez adressé : « Définitions que l'on dit être de Célestius ». Toutefois, ce titre n'a pas été posé par lui à son ouvrage, mais par ceux qui me l'ont apporté de Sicile, où Célestius n'habite pas sans doute, mais où il possède une multitude d'adeptes qui font grand bruit, et, selon la parabole de l'Apôtre, «se complaisent dans l'erreur et cherchent à la communiquer à d'autres (1)  ». Quoi qu'il en soit, tout nous prouve que cette doctrine est bien celle de Célestius ou de quelques-uns de ses complices. En effet, nous retrouvons le caractère de son esprit dans ces définitions ou plutôt dans ces raisonnements; je m'en suis de nouveau convaincu en jetant les yeux sur un autre ouvrage dont il est assurément l'auteur, et si nos frères qui m'ont apporté ce livre ont entendu dire en Sicile que ces définitions étaient son oeuvre, je crois que ce n'est pas une calomnie. Pour répondre à votre fraternelle bienveillance, je voudrais opposer à ces définitions des

 

1. II Tim. III, 13.

 

réponses aussi brèves que possible. Mais je me vois dans la nécessité de citer d'abord textuellement l'objection, car autrement le lecteur ne pourrait comprendre la valeur de ma réponse. Ainsi donc, m'appuyant sur le secours de vos prières auprès de la divine miséricorde, je ferai tous mes efforts pour resserrer cet écrit dans les limites les plus étroites.

 

 

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CHAPITRE II. CE QU'EST LE PÉCHÉ.

 

1er Raisonnement. « Avant tout », dit-il, «celui qui soutient que l'homme ne saurait être sans péché doit nous dire ce qu'est le péché, s'il peut être évité ou s'il ne peut pas l'être. S'il ne peut être évité, ce n'est plus un péché, et s'il peut être évité, l'homme peut être sans péché, puisqu'il peut l'éviter. Ni la raison ni la justice ne sauraient ad mettre que ce qui ne peut être évité soit un péché ». Je réponds que le péché peut être évité si la nature viciée a reçu sa guérison de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Elle a d'autant plus besoin de guérison que devant ce qu'elle doit faire elle est ou bien frappée d'un plus grand aveuglement, ou bien réduite à une impuissance plus ou moins prononcée; car c'est en nous que se réalise cette parole de l'Apôtre : « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, en sorte que l'homme ne fait pas ce qu'il veut (1)  ».

 

1. Gal. V, 17.

 

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2e RaisonnementDemandons également », dit-il, « si le péché est l'oeuvre de la volonté «ou de la nécessité. S'il est l'oeuvre de la nécessité, ce n'est plus un péché, et si c'est l'oeuvre de la volonté, il peut être évité ». Nous faisons la même réponse que précédemment; et pour obtenir notre guérison, invoquons Celui à qui il est dit dans le psaume : « Délivrez-moi des maux. qui m'accablent (1)  ». 

3e Raisonnement. « Demandons ce qu'est le péché, s'il nous est naturel ou simplement accidentel. S'il est naturel, ce n'est a pas un péché, et s'il est accidentel, il peut disparaître ; ce qui peut disparaître peut être évité, et si on peut l'éviter, on peut être sans lui ». Je réponds que le péché ne nous est point naturel; il est le fruit de la nature sans doute, mais de la nature viciée qui nous a rendus enfants de colère (2) et qui a tellement affaibli notre libre arbitre en face du péché, que nous avons besoin d'être aidés et guéris par la grâce de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

4e Raisonnement. « Demandons ce qu'est le péché : est-ce un acte, est-ce une chose? Si c'est une chose, il a nécessairement un auteur, et s'il a un auteur, Dieu cesse d'être l'auteur unique de toutes choses, puisque le péché ne saurait être l'oeuvre de Dieu. Et puisque cette proposition serait une grossière impiété, il faut en conclure nécessairement que le péché est un acte et non point une chose. Donc, le péché est un acte, et précisément parce qu'il est un acte, il peut être évité ». Je réponds que le péché est un acte et non point une chose. Il en est de même de la claudication dans un corps : elle est un acte et non point une chose; ce qui est une chose c'est le pied, c'est le corps, c'est l'homme lui-même ; or, cet homme boîte parce que son pied est malade, et pourtant l'homme ne peut échapper à la claudication qu'autant qu'il a le pied sain.

C'est là aussi ce qui peut se faire dans l'homme intérieur, mais en vertu de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Le vice qui fait boiter l'homme n'est ni le pied, ni le corps, ni l’homme, mais la claudication elle-même; cette claudication ne se fait pas sentir quand l'homme ne marche pas, et, cependant, elle n'en est pas moins un vice permanent qui fait boiter l'homme quand il

 

1. Ps. XXIV, 17. — 2. Ephés. II, 3.

 

marche. Eh bien ! que l'auteur cherche quel nom il doit donner à ce vice: est-ce une . chose, est-ce un acte; n'est-ce pas plutôt une qualité mauvaise qui rend tel acte difforme ? De même, dans l'homme intérieur, l'esprit est une chose, l'avarice est un vice, c'est-à-dire une qualité qui rend l'esprit mauvais, même lorsqu'il ne fait rien qui ait rapport à l'avarice, même quand il écoute cette parole : « Vous ne convoiterez pas (2) », même lorsqu'il se blâme ; dans tous ces cas et autres semblables, il reste avare. Vienne la foi, et par elle il se renouvelle, c'est-à-dire il se guérit de jour en jour (3), mais jamais sans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

 

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CHAPITRE III. SI L'HOMME DOIT ÊTRE SANS PÉCHÉ, IL LE PEUT.

 

5e Raisonnement. « Demandons si l'homme doit être sans péché. Il le doit sans aucun doute. S'il le doit, il le peut; s'il ne le peut pas, il ne le doit pas. Et si l'homme ne doit pas être sans péché, il doit être avec le péché, mais un péché qui doit exister n'est plus un péché. S'il est absurde de dire qu'une chose qui doit exister est un péché, il est nécessaire de confesser que l'homme doit être sans péché et qu'il ne doit être obligé qu'à ce qu'il peut ». Je réponds par la comparaison dont je me servais tout à l'heure. En voyant un boiteux qui peut être guéri, nous avons le droit d'ajouter: Cet homme ne doit pas boiter; et s'il le doit, il le peut. Et, cependant, il ne le peut pas aussitôt qu'il le veut. il faut auparavant qu'il ait subi une cure convenable et que le remède vienne au secours de sa volonté. La même chose se passe dans l'homme intérieur au moyen de la grâce qui est venue appeler, non pas les justes, mais les pécheurs; car le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades (3).

6e Raisonnement. « Demandons si quelque précepte commande à l'homme d'être sans péché. Ou bien il ne peut pas être sans péché, et alors il n'y a aucun précepte pour le lui commander; ou bien il peut être sans a péché, parce qu'il y a un précepte qui le lui commande. Une chose absolument impossible peut-elle donc être commandée? » Je réponds qu'il y a un précepte naturel qui

 

1. Exode, XX, 17. — 2. II Cor. IV, 16. — 3. Matth. IX, 13, 12.

 

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commande à l'homme de marcher droit, et quand il ne le peut plus, de recourir à l'art médical. Il en est de même pour l'homme intérieur; le péché est une sorte de claudication spirituelle pour laquelle il n'y a d'autre remède que la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.

7e Raisonnement. « Demandons si Dieu veut que l'homme soit sans péché. Dieu le veut assurément, donc l'homme le peut. Car ne a serait-ce pas le comble de la folie de prétendre qu'une chose que Dieu veut ne peut pas se réaliser? » Je réponds : Si Dieu ne voulait pas que l'homme fût sans péché, il n'aurait pas envoyé son Fils sans péché pour guérir les hommes de leurs péchés. Or, c'est là ce qui se fait dans les hommes qui ont la foi et qui tendent à la perfection ; il s'opère en eux de jour en jour une véritable rénovation intérieure jusqu'à ce que leur justice et leur guérison soient parfaites.

8e Raisonnement. « Demandons comment Dieu veut que l'homme soit; est-ce avec le péché ou sans le péché? Assurément, il ne veut pas le voir dans le péché. Quelle impiété et quel blasphème ne serait-ce pas de dire que l'homme peut être avec le péché, ce que Dieu ne veut pas, et de nier qu'il puisse être sans péché, ce que Dieu veut? a Dieu a-t-il donc créé l'homme pour faire de lui une créature capable d'être ce que Dieu ne veut pas qu'elle soit, ou incapable d'être ce que Dieu veut qu'elle soit, de manière que l'homme soit plutôt contre que selon sa volonté ? » J'ai déjà réfuté ce raisonnement,mais je crois devoir ajouter «que nous sommes sauvés par l'espérance ; or, l'espérance qui se voit n'est plus l'espérance, car peut-on espérer ce que l'on voit déjà ? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons a pas encore, nous l'attendons avec patience (1) ». Notre justice sera donc parfaite quand notre santé sera parfaite ; notre santé sera parfaite quand notre charité sera pleine, car la plénitude de la loi, c'est la charité (2) »; enfin, notre charité sera pleine quand nous verrons Dieu comme il est en lui-même (3). Quand notre foi sera devenue la vision, notre charité aura atteint son dernier degré.

 

1. Rom. VIII, 24, 25. — 2. Id. XIII, 10. — 3. I Jean, III, 2.

 

 

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CHAPITRE IV. DE QUELLE MANIÈRE SE COMMET LE PÉCHÉ.

 

9e Raisonnement. « Demandons comment l'homme se rend coupable du péché: est-ce par une nécessité de sa nature ou par son libre arbitre? Si c'est par une nécessité de sa nature, il ne saurait y avoir de faute; si c'est par son libre arbitre, que l'on nous dise de qui l'homme a reçu son libre arbitre. C'est de Dieu assurément. Or, ce que Dieu nous a donné est bon, personne n'en doute..Comment donc concilier cette bonté du libre arbitre avec ce besoin qu'il éprouve de nous porter plutôt au mal qu'au bien? En effet, il n'est pas douteux qu'il nous incline plutôt au mal qu'au bien, si par lui l'homme peut être avec le péché et ne peut être sans le péché ». Je réponds que c'est sous l'impulsion de son libre arbitre que l'homme s'est rendu coupable de péché; or, de ce péché, il est résulté comme châtiment une sorte de maladie qui a substitué à la liberté une espèce de nécessité morale. De là ce cri lancé par la foi vers le ciel : « Délivrez-moi des nécessités qui m'accablent (1) ». Sous le coup de ces nécessités, ou bien nous ne pouvons pas comprendre ce que nous voudrions, ou bien ce que nous avons compris, nous voulons, mais nous ne pouvons pas l'accomplir. La véritable liberté est celle qui est promise par le Libérateur à ceux qui croient en lui : « Si », dit Jésus-Christ, « le Fils de  l'homme vous a délivrés, vous serez véritablement libres (2) ». Parce que la volonté s'est laissé vaincre par le vice dans lequel elle est tombée, la nature a manqué de liberté. De là cette autre parole de l'Ecriture : « L'homme devient l'esclave de celui par lequel il s'est a laissé vaincre (3) ».

De même, donc, que le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades (4); de même le Libérateur est nécessaire, non pas à ceux qui sont libres, mais à ceux qui sont esclaves, et c'est à lui seul que peut s'adresser cette félicitation de la liberté : « Vous avez sauvé mon âme des nécessités qui l'opprimaient (5) », La santé, telle est la véritable liberté qui n'aurait pas péri si la volonté fût demeurée bonne. Mais parce que la volonté a péché, la

 

1. Ps. XXIV, 17. — 2. Jean, VIII, 36. — 3. II Pierre, II, 19. — 4. Matth. IX, 12. — 5. Ps. XXX, 8.

 

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dure nécessité d'avoir le péché fut la punition du pécheur, jusqu'à la complète guérison de la faiblesse, et l'obtention de cette entière liberté qui, à la volonté constante et nécessaire de vivre heureusement, joint toujours l'heureuse et volontaire nécessité de bien vivre et de ne jamais pécher.

10e Raisonnement. « Ainsi donc, non-seulement Dieu a fait l'homme bon, mais il lui a aussi commandé de faire le bien. N'est-ce pas une impiété de soutenir que l'homme est mauvais, quand il a été créé bon et obligé, par un précepte formel, de faire le bien, tandis que, d'un autre côté, on affirme qu'il ne peut être bon, lui qui a été créé bon avec d'obligation de faire le bien (1). » Je réponds : Si l'homme a été créé bon, ce n'est point par lui-même, mais par Dieu ; et s'il redevient bonde cette bonté qui le délivre du mal à raison de sa volonté, de sa foi et de sa prière, ce renouvellement n'est pas non plus son œuvre, mais l'oeuvre de Dieu. Ainsi, touché de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour, en attendant qu'au dernier jour l'homme extérieur ressuscite, non point pour le châtiment, mais pour la vie éternelle.

 

 

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CHAPITRE V. LE PÉCHÉ ET LA CHARITÉ.

 

11e Raisonnement. « Demandons de combien de manières se commet le péché. De deux, si je ne me trompe, c'est-à-dire en faisant ce qui est défendu ou en ne faisant pas ce qui est commandé. Or, tout ce qui est défendu peut être évité, comme tout ce qui a est commandé peut être accompli. En effet, pourquoi la défense et pourquoi le commandement, si ni l'une ni l'autre ne peuvent être observés? Et comment nier que d'homme puisse être sans péché, quand gnous sommes forcés d'avouer qu'il peut éviter ce qui lui est défendu, comme il peut accomplir ce qui lui est prescrit?» le réponds que la sainte Ecriture renferme un grand nombre de préceptes divins. qu'il serait trop long d'énumérer. Qu'il me suffise de remarquer que le Seigneur, qui a fait sur la terre une parole restreinte et abrégée (1), a résumé en deux préceptes la Loi et. les Prophètes, pour nous faire mieux comprendre

 

1. Rom. IX, 28.

 

que tous les autres commandements ont te même but et le même objet que les deux suivants : «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit, et vous aimerez votre prochain comme vous-même. Dans ces deux préceptes se résument la Loi et les Prophètes (1)».

Par conséquent, tout ce que la loi de Dieu nous commande de faire ou d'éviter se borne à l'accomplissement de ces deux préceptes. Comme il y a une défense générale : « Vous ne convoiterez pas (2)», il y a une prescription générale : «Vous aimerez (3) ». Ces deus points se trouvent brièvement formulés par l'apôtre saint Paul. Voici la défense : « Ne vous conformez pas à ce siècle » ; voici le commandement : « Mais réformez-vous dans la nouveauté de votre esprit (4) ». C'est toujours sous une autre forme ces deux grandes paroles: «Vous ne convoiterez pas », « Vous aimerez », l'une se rapportant à la continence et l'autre à la justice; la première prescrivant de s'abstenir du mal et la seconde de faire le bien. En renonçant à la concupiscence, nous nous dépouillons de la vieillesse, et en aimant, nous revêtons l'homme nouveau.

Or, personne ne peut être continent si Dieu ne lui en fait la grâce; et la charité de Dieu est répandue dans nos coeurs, non point par nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (5). C'est là ce qui se fait de jour eu jour dans tous ceux qui avancent par la volonté, par là foi et par la prière et qui, oubliant ce qui est passé, s'efforcent de tendre vers ce qui est en avant (6). En effet, si l'homme se sent faiblir dans l'accomplissement de ces préceptes, la loi lui ordonne, non point de se gonfler d'orgueil, mais de recourir à la grâce; et c'est ainsi gaze tout en l'effrayant, cette même loi, jouant le rôle de pédagogue, le conduit à l'amour de Jésus-Christ.

 

 

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CHAPITRE VI. D'OU VIENT LE PÉCHÉ.

 

12e Raisonnement. « Demandons comment l'homme ne put être sans péché; est-ce par sa volonté, est-ce par sa nature? Si c'est par nature, il n'y a plus de péché; si c'est par sa volonté, la volonté peut être très-facilement

 

1 Matth. XXII, 40, 37. — 2. Exode. XX, 17. — 3. Deut. VI, 5. — 4. Rom. XII, 2. — 5. Sag. VIII, 21 ; Rom. V, 5. —  6. Philip. III, 13.

 

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changée par la volonté». Je réponds en faisant remarquer ce degré prodigieux de présomption, qui va jusqu'à soutenir, non. seulement que la volonté peut être changée, ce qui sans doute peut se faire avec le secours de la grâce de Dieu, mais « qu'elle peut être changée très-facilement par la volonté ». Que deviennent alors ces paroles de l'Apôtre La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair? La chair et l'esprit sont a deux ennemis qui se combattent en vous, « de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez (1) ? » L'Apôtre ne dit pas : Ce sont là deux adversaires qui se combattent en vous, de sorte que vous ne voulez pas faire ce que vous pouvez; il va plus loin et dit : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ».

La concupiscence de la chair est une concupiscence coupable et vicieuse; elle n'est à proprement parler que le désir même du péché, de ce péché que l'Apôtre nous défend de laisser régner dans notre corps mortel (2); ce qui veut dire qu'aux yeux de l'Apôtre le péché est dans notre corps mortel, mais que nous ne devons pas permettre qu'il y règne en despote. Pourquoi donc la concupiscence n'a-t-elle point été changée par cette volonté dont l'Apôtre atteste en nous la présence par ces paroles : « De telle sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez? » Et pourtant c'est là ce qui devrait se faire, s'il était aussi facile de changer la volonté par la volonté. D'un autre côté, il n'est jamais entré dans notre pensée d'accuser la nature, soit la nature de l'âme, soit celle du corps ; car cette nature est l'oeuvre de Dieu, et par conséquent elle est bonne. Seulement nous affirmons que cette nature a été viciée par sa propre volonté, et qu'elle ne peut être guérie sans la grâce de Dieu.

13e Raisonnement. « Demandons à qui la faute, si l'homme ne peut être sans péché; est-ce la faute de l'homme lui-même ou celle d'un autre ? Si c'est la faute de l'homme, comment peut-on l'accuser de n'être pas ce qu'il a ne peut pas être ? » Je réponds que c'est la faute de l'homme, s'il n'est pas sans péché, parce que c'est uniquement par sa volonté qu'il s'est réduit à cette triste nécessité, dont la seule volonté ne saurait triompher.

14e Raisonnement. « Demandons si la nature de l'homme est bonne, ce que personne

 

1. Gal. V, 17. — 2. Rom. VI, 12.

 

ne nie, si ce n'est Marcion ou Manès. « Comment donc est-elle bonne, s'il ne lui est pas possible de s'exempter du mal ? Car personne ne doute que le péché ne soit un mal ». Je réponds que la nature de l'homme est bonne et qu'elle peut être sans mal. C'est bien dans ce but que nous nous écrions: « Délivrez-nous du mal (1) »; mais cet heureux état ne se réalisera pas, tant que notre âme se trouvera appesantie par ce corps qui se corrompt (2). Toutefois vienne la grâce par la foi, et dans certaines circonstances il sera possible de s'écrier : « O mort, où est ta victoire ; ô mort, où est ton aiguillon ? Le péché est l'aiguillon de la mort, et la loi est  la force du péché (3) ». Parce que la défense portée par la loi augmente le désir du péché, nous avons sans cesse besoin que l'Esprit-Saint répande en nous la charité, qui sera pleine et parfaite lorsque nous verrons Dieu face à face.

15e Raisonnement. « Assurément Dieu est juste, personne ne peut le nier. Or, Dieu impute à l'homme tout péché; c'est encore là une vérité qu'il faut avouer, car ce qui n'est pas imputé à péché ne saurait être regardé comme péché. Et s'il est un péché qu'on ne puisse éviter, comment Dieu peut-il être juste et imputer à un homme un péché qu'il n'a pu éviter? »  Je réponds par cette parole depuis longtemps lancée contre les orgueilleux : « Bienheureux celui à qui Dieu n'a pas imputé le péché (4) ». En effet, Dieu ne l'impute pas à ceux qui lui disent, dans toute la sincérité de leur, coeur : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous par« donnons à ceux qui nous ont offensés (5) ». Et si cette imputation ne se fait pas, c'est en toute justice, car c'est la justice elle-même qui a dit : « On se servira à votre égard de la mesure dont vous vous serez servis à l'égard des autres (6) ». Or il y a péché, soit lorsqu'on n'a pas la charité que l'on devrait avoir, soit lorsqu'elle n'est pas aussi grande qu'elle devrait l'être, n'importe d'ailleurs que ce triste état puisse ou ne puisse pas être évité; car si la volonté peut l'éviter, elle est immédiatement coupable de ne pas le faire ; si elle ne le peut pas, c'est par suite d'une mauvaise disposition antérieure. Et pourtant il est toujours vrai de dire que même alors la volonté

 

1. Matth. VI, 13.— 2. Sag. IX, 15. — 3. I Cor. XV, 55, 56. — 4. Ps. XXXI, 2. — 5. Matth. VI, 12. — 6. Id. VII, 2.

 

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peut éviter tel péché en particulier, mais pour cela elle doit dépouiller tout sentiment d'orgueilleuse suffisance en elle-même, et demander du secours avec la plus profonde humilité.

 

 

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CHAPITRE VII. LES ADULTES ET LES ENFANTS BAPTISÉS.

 

16e Raisonnement. A la suite de toutes ces arguties, l'auteur suppose un dialogue entre lui et une autre personne; il se fait dire par son interlocuteur : « Donnez-moi un homme sans péché ». Il répond : « Je vous en présente un qui peut l'être. — Quel est-il? — Vous-même ; et si vous me répondez que nous ne pouvez pas être sans péché, veuillez me dire à qui la faute. Si vous avouez que c'est la vôtre, je vous demande à mon tour comment ce peut être votre faute, si vous ne pouvez pas éviter le péché? — Et vous-même, êtes-vous donc sans péché, à vous qui dites que l'homme peut être sans péché? —  Si je ne suis pas sans péché, à qui il a faute? si vous me répondez que c'est à la mienne, je vous demande à mon tour comment ce peut être ma faute, s'il m'est impossible d'être sans péché? »

A tout cela je réponds que ces paroles ne sauraient donner lieu à une discussion sérieuse; car tout en affirmant en principe, ce que nous ne nions pas, que l'homme peut lire sans péché, dès qu'il s'agit de lui ou de l’autre en particulier, il n'ose jamais soutenir que tel homme soit sans péché. Toute la question est donc de savoir quand et par qui l'homme peut être sans péché. S'il s'agit du petit enfant baptisé aussitôt après sa naissance, il est certain qu'il n'a pas besoin de dire : « Pardonnez-nous nos offenses », puisque tous les péchés sont effacés par le saint baptême. Mais s'il s'agit des fidèles adultes, soutenir que cette prière peut n'être pas nécessaire, ce serait formellement renoncer au christianisme. D'un autre côté, si l'homme peut être sans péché par lui-même et par ses propres forces, il faut en conclure que c'est en vain que Jésus-Christ est mort (1)  ».  Or, ce n'est pas inutilement que Jésus-Christ est mort; donc l'homme, le voulût-il, ne peut être sans péché, à moins qu'il ne soit aidé de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. L’exemption complète de tout péché, tel est le

 

1. Gal. II, 21.

 

but que les justes poursuivent, mais qu'ils n'obtiendront qu'après la mort; car alors seulement ils posséderont cette charité parfaite qui se nourrit ici-bas de la foi et de l'espérance, en attendant qu'elle jouisse au ciel de la vue sans nuage et de la possession sans retour.

 

 

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CHAPITRE VIII. PREUVES TIRÉES DE LA SAINTE ÉCRITURE.

 

17. Il invoque ensuite les oracles divins en faveur de sa thèse ; quelle que soit son argumentation, nous devons en étudier la valeur. « Voici », dit-il, « des témoignages d'où résulte pour l'homme un précepte formel d'être sans péché ». Je réponds : Il ne s'agit pas de savoir si ce précepte existe, personne ne le met en question ; nous demandons uniquement si ce précepte certain petit être parfaitement accompli tant que notre âme est enchaînée à ce corps de mort, dans lequel la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons. Pour se délivrer de ce corps de mort, le trépas n'est pas toujours un moyen, c'est la grâce qui nous est conférée en cette vie, quand on travaille à en profiter en s'appliquant aux bonnes oeuvres. En effet, autre chose est de sortir de ce corps par lia mort naturelle réservée à tous, autre chose est d'être délivré de ce corps de mort, délivrance à laquelle les saints et les fidèles ne parviennent que par la grâce en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1). Après cette vie une grande récompense nous est réservée, mais ne l'obtiendront que ceux qui l'auront méritée. Pour arriver au rassasiement complet de la justice, il ne suffit pas de mourir, il faut que dès cette vie elle ait été pour nous l'objet de notre faim et de notre soif. Car bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (2) ».

18. Pendant que nous habitons dans ce corps nous sommes éloignés du Seigneur, et ce n'est que par la foi que nous marchons vers lui, et non par une vue claire et distincte (3). De là cette parole : « Le juste vit de la foi (4) ». Aussi, pendant le cours de votre pèlerinage, toute notre justice consiste à marcher vers cette perfection et cette plénitude de la justice, qui sera la charité pleine

 

1. Rom. VII, 24, 25. — 2. Matth. V, 9. — 3. II Cor. I, 6, 7. — 4. Habac. II, 4.

 

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et parfaite , lorsque nous contemplerons les splendeurs divines. Tel est le but vers lequel nous tendons en châtiant notre corps et en le réduisant en servitude, en faisant des aumônes, en pardonnant les offenses commises contre nous, en faisant le bien joyeusement et de tout coeur, en recourant sans cesse à la prière, et en accomplissant tout cela dans la saine doctrine sur laquelle s'édifient la foi droite, l'espérance ferme et la charité pure.

Telle est la justice dont nous avons faim et soif, quand, pressés par cette faim et cette soif, nous courons vers la perfection et la plénitude de cette justice, afin qu'un jour nous en soyons rassasiés. De là cette parole du Sauveur dans l'Evangile : « Ne faites pas vos oeuvres de justice en présence des hommes et dans le but d'être vus par eux (1) ». Afin de nous ôter la tentation d'assigner pour but à notre course la satisfaction de la gloire humaine, le Sauveur donne à la justice comme caractères essentiels ces trois choses : Le jeûne, l'aumône et la prière; le jeûne, c'est-à-dire les mortifications du corps, de quelque nature qu'elles soient; l'aumône, c'est-à-dire la générosité et la bienveillance, soit pour donner, soit pour pardonner; et enfin la prière, et dans ce mot sont renfermées toutes -les règles d'un saint désir. Par la mortification du corps, nous enchaînons cette concupiscence qui devrait , non-seulement être enchaînée, mais n'exister aucunement, comme elle n'existera nullement dans cette perfection de la justice de laquelle tout péché aura disparu. Et même dans l'usage des choses permises et licites, combien de fois n'apportons-nous pas de l'immodération? S'agit-il de la bienfaisance qui nous fait pourvoir aux besoins du prochain, combien de choses sont réellement nuisibles, quoique nous les croyions utiles; elles nuisent, ou bien par cela même qu'elles ne suffisent pas pour subvenir aux nécessités du prochain, ou bien parce qu'elles n'y subviennent que trop faiblement, et c'est ce qui engendre l'ennui, et l'ennui chasse cette joie dans laquelle le Seigneur aime celui qui donne (2). Or, la concupiscence est toujours en proportion inverse de la perfection ; voilà pourquoi nous n'avons que trop de motifs de dire dans notre prière : « Pardonnez-nous nos offenses.comme nous pardonnons à ceux qui nous

 

1. Matth. VI, 1. — 2. II Cor. II, 7.

 

ont offensés ». Heureux encore si nous faisons ce que nous disons, c'est-à-dire si nous aimons nos ennemis ; et si tel ou tel, encore trop peu avancé dans les voies du Christ, n'a pas cet amour au degré nécessaire, qu'il se repente de sa faute, qu'il demande pardon, et qu'alors l'offensé lui pardonne du fond de son coeur, s'il veut que son Père céleste exauce sa prière.

19. Déposons tout esprit de chicane, et nous comprendrons que cette prière est pour nous un miroir, dans lequel nous contemplons la vie des justes, qui vivent de la foi, et courent dans la perfection, quoiqu'ils ne soient pas sans péché. De là ce cri : « Pardonnez-nous », parce qu'ils ne sont pas encore parvenus au terme de leur course. De là aussi ce mot de l'Apôtre : « Ce n'est pas que j'aie déjà reçu ce que j'espère ou que je sois déjà parfait, mais je poursuis ma course, pour tâcher d'atteindre où Jésus-Christ m'appelle en me prenant à son service. Non, mes frères, je ne pense point avoir encore atteint où je tends; mais tout ce que je fais maintenant, c'est qu'oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je cours incessamment vers le terme de la carrière, pour remporter le prix de la félicité du ciel, à laquelle Dieu nous a appelés par Jésus-Christ. Tout ce que nous sommes donc de parfaits, soyons dans ce sentiment (1) ». C'est-à-dire : nous tous qui courons parfaitement, sentons que nous ne sommes pas encore parfaits et faisons effort pour parvenir au terme vers lequel nous courons parfaitement. Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait sera détruit, c'est-à-dire que nous serons consommés dans une admirable unité, puisque nous posséderons et contemplerons l'objet même de l'espérance et de la foi ; ce qui demeurera, ce sera la charité, la plus grande de ces trois vertus (2). Seulement elle augmentera et deviendra parfaite, parce qu'elle verra ce qu'elle croyait et qu'elle possédera ce qu'elle espérait.

Dans cette plénitude de la charité sera parfaitement accompli ce précepte divin: « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit (3) ». Jusque-là il reste toujours en nous quelque chose de 1a concupiscence charnelle, et par là même quelque chose à

 

1. Philipp. III, 12-15. — 2. I Cor. XIII, 10. — 3. Deut. VI, 5.

 

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enchaîner par la continence; ce qui prouve que Dieu n'est point encore aimé de toute notre âme. En effet la chair ne convoite pas sans l'âme, et si nous disons que la chair convoite, c'est parce que l'âme convoite charnellement. Le juste sera donc absolument sans péché, quand il n'y aura plus dans ses membres aucune loi répugnant à la loi de son esprit (1); alors seulement il aimera Dieu de lotit son coeur, de toute son âme et de tout son esprit, et tel est le premier et le plus grand commandement (2).

Pourquoi donc un précepte n'imposerait-il pas à l'homme cette perfection, quoique jamais elle n'ait été réalisée sur la terre? Peut-on courir prudemment, si l'on ignore le terme vers lequel on doit se diriger? Et comment ce terme nous sera-t-il connu, s'il ne nous est montré par aucun précepte ? Courons donc de manière à parvenir au blet. Tous ceux qui courent prudemment y parviendront : et ce n'est plus ici comme dans les jeux de théâtre où tous les athlètes s'élancent dans la carrière, mais où un seul reçoit la palme (3). Courons en croyant, en espérant, en désirant; courons en châtiant notre corps, en versant des aumônes, en pardonnant à nos ennemis, en agissant joyeusement et de tout notre coeur et en demandant que mes forces soient aidées par la grâce. Ecoutons enfin les préceptes de la perfection , afin que nous ne négligions pas de courir vers la plénitude de la charité.

 

 

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CHAPITRE IX. MÊME SUJET.

 

Cela posé, recueillons avec soin les témoignages cités par notre adversaire qui ne craint pas de faire entendre que c'est nous-mêmes qui les avons produits. Au Deutéronome : « Vous serez parfait en présence du Seigneur votre Dieu (4)  ».  Dans le même livre . « Il n'y aura point d'homme imparfait parmi les enfants d'Israël ». Le Sauveur, dans l'Evangile : « Soyez parfaits, parce que votre Père qui est au ciel est parfait (5)». L'Apôtre, dans sa seconde Epître aux Corinthiens . « Du reste, mes frères, réjouissez-vous, soyez parfaits (6) ». Le même Apôtre, dans son Epître aux Colossiens : « Reprenant tout homme et

 

1. Rom. VII, 23. — 2. Matth. XXII, 37, 38. — 3. I Cor. IX, 24. — 4. Deut. XVIII, 13. — 5. Matth. V, 48. — 6. II Cor. XIII, 11.

 

l'enseignant en toute sagesse , afin que nous     rendions tout    homme parfait en Jésus-Christ (1)  ».  Dans l'Epître aux Philippiens : « Faites tout sans murmure et sans hésitation, afin que vous soyez irréprochables et simples, et qu'étant enfants de Dieu vous soyez sans tache (2) ». Dans l'Epître aux Ephésiens : « Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés, en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel, ainsi qu'il nous a élus en lui, avant la création du monde, par l'amour qu'il nous a porté, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant ses yeux (3) ».

De même dans l'Epître aux Colossiens : « Vous étiez vous-mêmes autrefois éloignés de Dieu, et votre esprit abandonné à des oeuvres criminelles vous rendait ses ennemis. Mais maintenant Jésus-Christ vous a réconciliés par sa mort dans son corps mortel, pour vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui (4)». Dans l'Epître aux Ephésiens : « Afin qu'ils se créât à lui-même une Eglise glorieuse, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais devant être sainte et immaculée (5)  ».  Dans la première Epître aux Corinthiens: « Soyez sobres et justes, et abstenez-vous de péchés (6) ». Dans l'Epître de saint Pierre : « C'est pourquoi, ceignant les reins de votre âme, et vivant dans la tempérance, attendez dans une espérance parfaite la grâce qui vous sera donnée à l'avènement de Jésus-Christ; évitant, comme des enfants d'obéissance, de devenir ce que vous étiez autrefois, lorsque, dans votre ignorance, vous vous abandonniez à vos passions. Mais soyez saints dans toute la conduite de votre vie, comme est saint celui qui vous a appelés. Car il est écrit: Soyez saints parce que je suis saint (7) ». De là ces paroles de David : « Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle, ou qui reposera sur votre montagne sainte ? Celui qui marche sans souillure et qui opère la justice (8) ». Ailleurs : « Et je serai sans tache avec lui (9) ». Ailleurs encore: « Bienheureux ceux qui sont immaculés dans leur voie, et qui marchent dans la voie du Seigneur Salomon dit également: « Le Seigneur aime

 

1. Coloss. I, 28. — 2. Philipp. II, 14, 15. — 3. Ephés. I, 3, 4. — 4. Coloss. I, 21. — 5.  Ephés. V, 27. — 6. I Cor. XV, 34. — 7. I Pierre, I, 13-16. — 8. Ps. XIV, 1, 2. — 9. Ps. XVII, 24. — 10. Ps. CXVIII, 1.

 

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les coeurs saints; tous ceux qui sont sans tache sont agréables à ses yeux (1) ». Quelques-uns de ces passages exhortent ceux qui courent à courir dans la perfection ; d'autres nous désignent le terme auquel nous devons tendre dans notre course. Or, rien n'empêche de regarder comme étant sans souillure, non pas seulement celui qui est parfait, mais celui qui tend généreusement à la perfection, s'abstenant des péchés mortels, et n'oubliant pas de purifier ses péchés véniels par des aumônes. Mais la purification des souillures que nous contractons, jusque sur le chemin de la perfection, est surtout l'œuvre de la prière pure. Or, la prière est pure, quand elle peut dire avec une entière véracité: « Pardonnez-nous comme nous pardonnons (2) ». Touché de cette prière, le Seigneur ne nous impute pas nos fautes, et c'est en ce sens que nous marchons sans souillure vers la perfection. Et quand enfin nous aurons atteint cette perfection, nous n'aurons plus ni à nous purifier, ni pardon à obtenir.

 

 

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CHAPITRE X. FACILITÉ D'ACCOMPLIR LES PRÉCEPTES.

 

21. Ensuite l'auteur produit certains passages à l'aide desquels il veut prouver que les préceptes divins sont faciles à accomplir. Or, nous savons tous que les commandements se résument dans la charité, puisque la fin du précepte c'est la charité (3), et que la charité est la plénitude de la loi (4) ; nous savons également que rien n'est pénible à celui qui agit par amour et non par crainte. Les préceptes divins sont un fardeau pour ceux qui, en les accomplissant, ne sont poussés que par la crainte, tandis que la charité parfaite pousse la crainte dehors (5) , et nous fait trouver dans le précepte non plus un fardeau qui nous accable, mais comme un levier qui nous soulève, et des ailes qui nous transportent. Toutefois, pour posséder cette charité, autant du moins qu'il nous est possible de l'avoir dans ce corps de mort, le libre-arbitre de notre volonté ne peut rien, s'il n'est aidé de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (6). Répétons-le souvent, la charité est répandue dans nos coeurs, non point par nous-

 

1. Prov. XI, 20, selon les Septante. — 2. Matth. VI, 12. — 3. I Tim. I, 5 — 4. Rom. XIII,10. — 5. I Jean, IV, 18. — 6. Rom.VII, 21, 25.

 

mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1).

Or telle est la véritable cause pour laquelle la sainte Ecriture nous dit que les préceptes divins ne sont point un fardeau qui écrase. Toute âme donc qui se sent fléchir sous ce poids, doit comprendre qu'elle n'a pas encore reçu ces forces surnaturelles qui rendent les préceptes du Seigneur légers et suaves; qu'elle prie, qu'elle gémisse, afin qu'elle obtienne le don de la facilité. « Que mon coeur devienne sans tache ; dirigez mes voies selon votre parole, et que je ne subisse pas le joug de l'iniquité (2) ; que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel; ne nous laissez pas succomber à la tentation (3) ». Redire ces paroles et autres semblables, qu'il serait trop long de rapporter, c'est prier, c'est demander la grâce d'accomplir les préceptes divins; d'ailleurs, ces préceptes n'existeraient pas, si notre volonté ne pouvait rien dans leur accomplissement, et si par elle-même elle pouvait les accomplir, quel besoin y aurait-il de prier? Le législateur nous déclare que son joug est doux, afin que celui qui le trouve écrasant comprenne qu'il n'a pas encore reçu le don, qui seul peut le rendre léger; qu'il sache même que, dût-il accomplir les commandements, il ne les accomplit pas parfaitement, tant qu'il les regarde comme un fardeau trop lourd. En effet, Dieu aime celui qui donne avec joie (4), Toutefois, s'il les trouve trop lourds, qu'il se garde bien de s'affaisser dans le désespoir; qu'il se relève, au cou traire, et qu'il cherche, qu'il demande et qu'il frappe.

22. Voici donc les passages cités par notre adversaire pour prouver que les préceptes divins sont légers et faciles. « Non-seulement », dit-il , « les commandements de Dieu ne sont pas impossibles, ils ne sont même pas d'un accomplissement lourd et difficile ». Nous lisons au Deutéronome : « Le Seigneur reviendra à vous, pour mettre sa joie à vous combler de biens, comme il l'a fait à l'égard de vos pères. Pourvu néanmoins que vous écoutiez la voix du Seigneur notre Dieu, que vous observiez ses préceptes et les cérémonies qui sont écrites dans la loi, que je vous propose, et que vous retourniez au Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur

 

1. Rom. V, 5. — 2. Ps. CXVIII, 80, 133. — 3. Matth. VI, 10,13. — 4. II Cor. IX, 7.

 

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net de toute votre âme. Ce commandement que je vous prescris aujourd'hui n'est ni au-dessus de vous ni loin de vous. Il n'est a point dans le ciel pour vous donner lieu de a dire: Qui de nous peut monter au ciel, q pour nous apporter ce commandement, afin que, l'ayant entendu, nous l'accomplissions par nos oeuvres? Il n'est point au-delà de la mer, pour vous donner lieu de vous excuser en disant : Qui de nous pourra passer la mer , pour l'apporter jusqu'à nous, afin que, l'ayant entendu, a nous puissions faire ce qu'on nous ordonne? mais ce commandement est tout proche de a vous, il est dans votre bouche, dans votre coeur et dans vos mains, afin que vous a l'accomplissiez (1)  ».  Le Seigneur dit également dans l'Evangile : « Venez à moi, vous a tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et  apprenez de moi  que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le a repos de vos âmes; car mon joug est doux net mon fardeau léger (2)  ».  Saint Jean nous dit dans son Epître : « La charité de Dieu consiste pour vous à accomplir ses préceptes, et ses préceptes ne sont point lourds net difficiles (3)»

Ces témoignages de la loi, de l'Evangile et des lettres apostoliques doivent nous servir, pour formuler la doctrine de la grâce, que ne veulent pas comprendre ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir la leur propre, refusent de se soumettre à celle de Dieu. D'après le Deutéronome, ils devraient comprendre , comme l'Apôtre l'a rappelé, qu'il faut croire de coeur pour obtenir la justice, et confesser la foi par ses paroles, pour obtenir le salut (4); que le médecin est nécessaire non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux geai sont malades (5). Mais comme ils ne veulent pas le comprendre, on ne saurait trop leur rappeler ces paroles de l’Apôtre saint Jean : « La charité de Dieu consiste, pour nous, à accomplir ses préceptes, et ses préceptes ne sont point lourds et difficiles». Pouvait-il affirmer plus clairement que le commandement de Dieu n'est point lourd à la charité divine, répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit, et non point par le fibre arbitre de la volonté humaine ? En

 

1. Deut. XXX, 9-14. — 2. Matth. XI, 28-30. — 3. I Jean, V, 3. — 4. Rom. X, 3, 10. — 5. Matth. IX, 12.

 

voulant accorder trop de puissance à ce libre arbitre, ils prouvent qu'ils ignorent le caractère essentiel de la justice de Dieu ; ce caractère, c'est la charité, lorsqu'elle sera parfaite, lorsque toute crainte du châtiment aura disparu.

 

 

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CHAPITRE XI. TÉMOIGNAGE DE JOB.

 

23. L'auteur cite ensuite les témoignages que l'on oppose d'ordinaire aux Pélagiens; au lieu de les réfuter, il se contente d'insister de nouveau sur sa thèse et d'obscurcir la question. Voici comment il s'exprime : « Témoignages de l'Ecriture que l'on doit opposer à ceux qui se flattent de trouver dans les oracles sacrés les preuves suffisantes pour détruire le libre arbitre, ou la possibilité de ne pas pécher ». Ils ont coutume de nous objecter cette parole de Job : « Qui est exempt de péché? Personne, « pas même l'enfant qui n'est que depuis un jour sur la terre (1)  ».  Puis il essaie de réfuter ce passage, par d'autres tirés du même livre, en particulier par ces paroles : « Quoique juste, et ne méritant aucun reproche, je suis devenu un objet de dérision (2)  ».  Il ne veut pas comprendre qu'on peut donner le titre de juste à tout homme qui tend vers la perfection de la justice, de manière à s'en approcher autant qu'il lui est possible. Or nous ne nions pas que beaucoup ne soient parvenus à cet heureux état, dès cette vie, où nous ne vivons encore due de la foi.

24. Ce témoignage, du reste, ne fait que confirmer ces autres paroles du même patriarche: «Je suis près de subir mon jugement, et je sais que je serai trouvé juste (3) ». C'est de ce jugement qu'il est dit ailleurs : « Il fera éclater votre justice comme la lumière, « il fera briller votre innocence comme le midi (4)  ».  Enfin Job ne dit pas : Je suis au jugement, mais: «Je suis près du jugement». Si donc il entend parler non pas du jugement déjà porté sur chacune de ses actions, mais de celui qui l'attend après la mort, il est bien vrai de dire que dans ce dernier jugement seront proclamés justes tous ceux qui auront dit dans toute la sincérité de leur âme : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous

 

1. Job, XIV, 4, selon les Septante. — 2. Id. XII, 4, selon les Sept . — 3. Id. XIII, 18, selon les Sept. — 4. Ps. XXXVI, 1.

 

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pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». C'est précisément ce pardon qui rend les hommes justes; car ils se trouvent purifiés de leurs péchés après les avoir expiés par l'aumône.    

De là cette parole du Sauveur : « Faites l'aumône, et par là vous expiez vos péchés (1)  ».  Voici d'ailleurs ce qui sera dit aux justes avant d'entrer dans le royaume qui leur a été promis: « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger, etc. (2) ». Mais autre chose est d'être absolument sans péché sur la terre, comme l'a été le Fils de Dieu; autre chose est d'être justifié, comme l'ont été beaucoup , de justes dès cette vie. N'y a-t-il pas, même en ce monde, un genre de vie si parfait, qu'il ne mérite réellement aucun reproche ? Quel reproche adresser à,un homme qui ne veut de mal à personne, qui fait du bien selon son pouvoir , ne nourrit contre personne aucune pensée de vengeance et peut dire en toute sincérité : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés? » Et pourtant, malgré tout cela, il ne cesse de dire: « Pardonnez-nous comme nous pardonnons », ce qui prouve qu'il est loin de se regarder comme étant sans péché.

25. De là ces autres paroles de Job : « Et cependant mes mains étaient innocentes, et ma prière pure (3) ». Sa prière était pure, parce que lui, qui pardonnait sincèrement, se croyait également obligé de demander pardon.

26. Job disait en parlant du Seigneur : « Il a multiplié mes plaies sans que je l'aie mérité (4)» ; il ne dit pas : Dieu m'a frappé sans motif, mais : « Il a multiplié mes plaies sans que je l'aie mérité ». En effet, la multiplicité de ses plaies était pour lui non point le châtiment d'une multitude de péchés, mais une épreuve à laquelle Dieu soumettait sa patience. Il confesse ailleurs qu'il n'est point sans péché, mais il avoue que ses fautes ne sont pas en proportion de ses épreuves (5).

27. Job dit encore : « J'ai gardé les voies du Seigneur, je ne m'en suis pas détourné et je ne m'en détournerai pas (6)». En effet, que faut-il pour que l'on puisse dire que l'on a gardé les voies du Seigneur? Il suffit de les suivre sans s'écarter de manière à paraître les abandonner; quelquefois, sans doute, on se

 

1. Luc, XI, 41. — 2. Matth. XXV,25. — 3. Job, XVI, 18. — 4. Job, II, 17. — 5. Id. VI, 2, 3. — 6. Id. XXIII, 11.

 

heurte et l'on chancelle, mais c'est toujours avancer que de diminuer le nombre de ses péchés, jusqu'à ce que l'on parvienne à être sans péché. Marcher vers la perfection, c'est donc garder les voies que le Seigneur nous a tracées. Quant à sortir des préceptes du Seigneur et y renoncer, c'est l'oeuvre propre des apostats, et non pas de celui qui, tout en se rendant coupable de péché, ne laisse pas de soutenir le combat contre ce même péché, jusqu'à ce qu'il parvienne à cet heureux état, où la mort vaincue ne pourra plus continuer la lutte.         

Dans ce combat, nous sommes revêtus de bette justice qui nous fait vivre ici-bas delà foi, et qui nous sert en quelque sorte de cuirasse. Nous nous faisons également une sorte de jugement anticipé, en nous portant nos propres accusateurs et en nous reprochant à nous-mêmes nos propres péchés, selon cette parole des Proverbes : « Le juste lui-même se pose son propre accusateur dès le début de son discours (1)  ».  De là aussi cette parole de Job: « La justice était mon vêtement, et je me suis entouré du jugement comme d'un manteau (2)  ».  Ce manteau est plutôt un vête. ment de guerre qu'un vêtement de paix, car nous avons toujours à combattre la concupiscence, et ce n'est qu'après la destruction de la mort de notre dernier ennemi, que nous posséderons une justice complète et à l'abri de tout danger.

28. Job a prononcé cette autre parole Mon cœur ne m'accuse dans aucun jour de ma vie (3) ». Or, notre cœur ne nous accuse dans aucun jour de cette vie, où nous vivons de la foi, si cette même foi, par laquelle nous croyons de cœur pour la justice, ne néglige pas de condamner notre péché. De là cette parole de l'Apôtre : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ; ». C'est un bien de ne pas convoiter, et ce bien est voulu par le juste qui vit de la foi (4), et, cependant, il fait ce qu'il hait, puisqu'il convoite, quoiqu'il ne se rende pas l'esclave de ses convoitises (5); il s'en rendrait véritablement l'esclave, s'il cédait, s'il consentait, s'il obéissait au désir du péché. Son cœur alors l'accuserait, car c'est lui-même qu'il blâmerait, et non plus seulement le péché qui habite dans ses membres.

 

1. Prov. XVIII, 17. — 2. Job, XXIX, 14. — 3. Id. XXVII, 6. — 4. Rom. VII, 15. — 5. Habac. II, 4. — 6. Eccli. XVIII, 30.

 

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Tel homme empêche le péché de régner dans son corps mortel, il refuse de se rendre l'esclave de ses désirs, il ne veut point faire de ses membres des armes d'iniquité pour le péché (1), et, cependant, le péché n'en est pas moins dans ses membres; mais il ne règne pas, parce que ses désirs éprouvent de la résistance. Dans cet état l'homme qui fait ce qu'il ne veut pas, c'est-à-dire qui convoite sans vouloir convoiter, se range du côté de la loi et reconnaît qu'elle est bonde. En effet, il veut ce que veut la loi, puisqu'il ne veut pas convoiter et que la- loi dit : « Vous ne convoiterez pas (2)  ». . Il consent donc à la loi, puisqu'il veut ce que veut la loi ; toutefois, il convoite encore parce qu'il n'est pas sans péché; mais cette convoitise n'est pas son oeuvre propre, elle est l'oeuvre du péché qui habite en lui. Voilà pourquoi son coeur ne l'accuse pas dans toute sa vie, c'est-à-dire dans sa foi, puisque le juste vit de la foi, et qu'ainsi la foi est bien toute sa vie. Il sait que le bien n'habite pas dans sa chair, et que cette chair est l'habitacle du péché, mais en lui refusant son consentement, il vit de la foi, par laquelle il invoque le Seigneur, et lui demande de venir à son aide, dans sa lutte contre le péché. Il prouve ainsi qu'il sent parfaitement qu'il lui appartient de vouloir, mais qu'il ne lui appartient pas de réaliser ce qu'il veut (3).

Je dis réaliser, c'est-à-dire arriver à la perfection du bien. Car dès là qu'il ne consent pas au péché, il fait déjà le bien; en pardonnant à celui qui l'a offensé, il fait également le bien; en demandant pour lui-même le pardon de ses propres péchés, en déclarant qu'il pardonné sincèrement à ses ennemis, en demandant qu'il ne soit point induit en tentation, et qu'il soit délivré du mal"il fait encore le bien, et toutefois il ne peut arriver à la perfection du bien ; car cette heureuse perfection ne sera réalisée que quand la concupiscence elle-même sera détruite. Ce n'est donc pas l'homme lui-même que le coeur accuse, quand il accuse le péché qui habite dans ses membres, et qu'il n'a aucune infidélité à condamner:

En résumé, voici l'état dans lequel se trouve cet homme juste : Son coeur n'accuse pas sa vie, c'est-à-dire sa foi, et cependant il n'est nullement convaincu d'être sans péché. Tel est

 

1. Rom. VI, 12,13. — 2. Exode, XX, 17. — 3. Rom. VII, 15-2l.

 

le témoignage que Job se rend à lui-même Aucun de mes péchés n'a pu vous échapper. Vous avez assemblé nos iniquités comme un faisceau, et vous avez observé ce que j'ai fait malgré moi (1)  ». Tel est donc le sens dans lequel on doit expliquer tous ces passages du livre de Job, cités par notre auteur, nous croyons l'avoir clairement prouvé. De son côté, il n'a pu se défendre contre l'énergie de ces autres paroles tirées du même livre Quel est celui qui est pur de tout péché? Personne, pas même l'enfant qui n'est que depuis un jour sur la terre ».

 

 

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CHAPITRE XII. TOUT HOMME EST MENTEUR.

 

29. « Nos adversaires», dit-il, «ont coutume de nous opposer ces paroles: Tout homme est menteur (2) ». Au lieu de s'occuper à résoudre cette objection qui lui est faite, il rassemble d'autres témoignages pour les mettre en contradiction les uns avec les autres, et après avoir fait sonner bien fort cette contradiction aux oreilles de ceux qui ne comprennent pas les saintes Ecritures, il laisse là les textes se détruisant en apparence les uns les autres. Ecoutons-le : « Nous pouvons », dit-il, « répondre à nos adversaires par ces paroles du livre des Nombres : L'homme est véridique (3) ». Il est également écrit de Job lui même : « Un homme habitait la terre de Hus, son nom était Job; simple, droit et sans péché, il servait Dieu et s'abstenait de toute chose mauvaise (4) ».

Je m'étonne qu'irait osé rapporter ces paroles : « Il s'abstenait de toute chose mauvaise ». Par là, certainement, il veut entendre le péché, bien qu'il ait dit plus haut que le péché est un acte et non point une chose (5). Qu'il n'oublie donc pas que, si le péché est un acte, on peut dire aussi qu'il est une chose. Or, s'abstenir de toute chose mauvaise, c'est assurément s'abstenir du péché, et comme le péché est toujours en nous, s'abstenir du péché, c'est donc lui refuser tout consentement, ou du moins quand le péché nous presse, ne pas se laisser opprimer. Tel cet athlète vigoureux qui ne petit empêcher son adversaire de le saisir, mais qui, malgré ses étreintes, lui fait sentir aussitôt la supériorité

 

1. Job. XIV, 16, 17. — 2. Ps. CXV, 2. — 3. Nomb. XXIV, selon les Septante. — 4. Job, I, 1. — 5. Chap. II,  4.

 

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de ses forces. On a pu écrire de tel homme qu'on ne l'accusait d'aucun crime, qu'on ne lui reprochait aucune faute; mais jamais on n'a dit d'un homme qu'il fut absolument sans péché ; cette parole ne convient qu'au Fils de l'homme qui est en même temps le Fils unique de Dieu.

30. « Nous lisons également », dit-il, « et toujours dans livre de Job . Il a vu le prodige d'un homme véridique. Au livre de la Sagesse : Les hommes menteurs ne se souviendront pas d'elle, mais les hommes véridiques ne la quitteront pas (1). Dans l'Apocalypse : Le mensonge n'a pas été trouvé sur leur bouche, ils sont sans souillure (2)  ».  A cela je réponds en montrant que l'homme qui par lui-même est menteur, peut devenir véridique par la grâce et par la vérité de Dieu. D'un côté il est dit : « Tout homme est menteur», et de l'autre nous lisons à propos de la sagesse : « Que les hommes véridiques ne la quitteront pas »; véridiques dans et par la sagesse, ces mêmes hommes par eux-mêmes n'étaient que des menteurs. L'Apôtre ne dit-il pas : « Autrefois vous avez a été ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (3)? » A ce mot ténèbres », il n'ajoute pas : « dans le Seigneur »; mais il l'ajoute au mot lumière », parce que les hommes par eux-mêmes ne pouvaient pas être lumière, et parce que celui qui se glorifie ne doit se glorifier que dans le Seigneur (4).

Quant à ceux dont il est écrit dans l'Apocalypse : « Que le mensonge n'a pas été trouvé sur leurs lèvres », il n'est pas dit qu'ils fussent sans péché, car autrement la vérité n'eût pas été en eux (5), et ils se seraient trompés eux-mêmes; or, si la vérité n'eût pas été en eux, le mensonge aurait- été trouvé sur leurs lèvres. D'un autre côté, si, par un sentiment de jalousie ou de haine, ils s'étaient dits coupables de péché, quand ils étaient,sans péché, t'eût été un mensonge de leur part, et ils ne mériteraient plus cette belle parole : « Le mensonge n'a pas été trouvé sur leurs lèvres ». Ils sont donc sans souillure, parce que Dieu leur a pardonné leurs péchés, comme ils avaient pardonné à ceux qui les avaient offensés. Tel est le sens dans lequel on doit interpréter tous ces passages que notre

 

1. Eccli. XV, 8. — 2. Apoc. XIV, 5. — 3. Ephés. V, 8. — 4. I Cor. I, 31. — 5. I Jean, I, 8.

 

auteur revendiquait en faveur de sa cause. Quant à ces- paroles qu'on lui oppose Tout homme est menteur » , notre adversaire ne les explique pas, et il ne saurait les expliquer sans renoncer à l'erreur qui lui fait croire que l'homme, sans le secours de la grâce de Dieu, peut être véridique, par les seules forces de sa propre volonté.

 

 

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CHAPITRE XIII. PERSONNE N'EST PARFAIT.

 

31. Une autre difficulté se présentait à notre auteur; il passe à côté sans la résoudre, ou plutôt il l'augmente encore et la rend plus difficile en rappelant ce passage qui lui est opposé : « Il n'est personne qui fasse le bien, il n'en est pas un seul (1)  ».  Après avoir cité ce passage, il en oppose d'autres pour prouver qu'il est des hommes qui font le bien. Il le prouve, en effet, mais autre chose est de ne pas faire le bien, autre chose de ne pas être sans péché, quoiqu'on fasse peut-être beaucoup de bien. Il suit de là que les témoignages cités par notre auteur ne contredisent nullement ce principe par nous si sou. vent énoncé : Sur cette terre il n'est aucun homme sans péché. Maintenant c'est à lui de nous dire dans quel sens on peut entendre ces paroles : « Il n'est personne qui fasse le bien, il n'est pas un seul homme ». Il ajoute: « Le saint roi David s'écrie : Espérez dans le Seigneur et faites le bien (2)  ».  C'est là un précepte et non point un fait; or, ce précepte était délaissé par ceux dont il est dit . « Il n'est personne qui fasse le bien, il n'est pas un seul homme ». Il rapporte également ces paroles de Tobie : « Gardez-vous de craindre, ô mon fils; nous menons une vie pauvre, mais nous posséderons de grands biens si nous craignons Dieu, si nous nous éloignons de tout péché, et si nous faisons le bien (3) ». Il n'est pas douteux, en effet, que l'homme jouira de tous les biens, lorsqu'il sera exempt de tout péché. Quand aux maux, il n'en connaîtra plus aucun et n'aura plus besoin de dire: «Délivrez-nous du mal (4)».

En attendant cet heureux moment, celui qui travaille pieusement à sa perfection commence par s'éloigner du péché, et il s'en éloigne d'autant plus qu'il se rapproche

 

1. Ps. XIII, 1, 3. — 2. Ps. XXXVI, 3. — 3. Tob. IV, 23. — 4. Matth. VI, 13.

 

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davantage de la plénitude de la justice et de la perfection. Quant à la concupiscence, si bien appelée le péché qui habite dans notre chair, sans doute elle demeure toujours dans nos membres mortels, et toutefois elle ne cesse pas de s'affaiblir dans ceux qui travaillent à leur perfection. Autre chose est donc de s'éloigner de tout péché, ce qui est notre grande préoccupation ici-bas, autre chose est de s'être réellement dépouillé de tout péché, ce qui n'aura lieu parfaitement que dans le séjour même de la perfection.

Cependant s'il s'agit de celui qui s'est éloigné de tout péché et de celui qui s'en éloigne, n'est-il pas certain que tous deux sont dans la voie du bien ? Comment donc le Prophète a-t-il pu dire : « Il n'est personne qui fasse le bien, il n'en est pas un seul ? » Notre auteur a posé la question, mais il ne l'a pas résolue ; peut-être aurait-on le droit de dire que ce psaume incrimine un certain peuple dans les rangs duquel ne se trouvait aucun homme pour faire le bien, tandis que tous voulaient rester enfants des hommes sans être enfants de Dieu, dont la grâce est absolument nécessaire à l'homme pour être bon et pour faire le bien. C'est de l'homme de bien que nous devons entendre ces paroles: «Le Seigneur a regardé du haut du ciel sur les enfants des hommes pour voir s'il en est quelqu'un qui comprenne et qui cherche Dieu (1) ». Le bien véritable consiste donc à chercher Dieu ; or personne ne faisait ce bien, absolument personne parmi toute cette race d'hommes prédestinés à la mort éternelle. Car Dieu, dans sa prescience infinie, a vu tous ces pécheurs, et il a porté coutre eux sa redoutable sentence.

 

 

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CHAPITRE XIV. PERSONNE N'EST BON, SI CE N'EST DIEU.

 

32. « Nos adversaires », dit encore notre auteur, « nous objectent ces autres paroles du Sauveur : pourquoi m'appelez-vous bon? personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul s ». Au lieu de chercher à concilier ce passage avec sa doctrine, il se contente de citer d'autres textes, pour prouver que l'homme est bon. Voici comme il s'exprime : « Nous devons répondre par ces autres paroles du même Sauveur : L'homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur s; et encore: Dieu a fait lever son soleil sur les bons et sur les

 

1. Ps. XIII, 1-3. —2. Luc, XVIII,19 ; Marc, X, 18. — 3. Matt. XII, 35.

 

méchants (1); ailleurs: Les biens ont été créés pour les bons dès le commencement  (2), « enfin . Ceux qui sont bons seront des habitants de la terre (3) ».

Pour lui répondre, il me suffit d'exposer le sens de ces paroles : « Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». D'abord ces paroles peuvent signifier que les créatures, quoique créées bonnes par Dieu, cessent réellement d'être bonnes dès que l'on compare leur bonté à celle de Dieu ; comme elles cessent d'avoir l'être dès qu'on les compare à l'être de Dieu, qui s'est défini lui-même : « Je suis celui qui suis (4)  ».  Il a été dit des hommes : Aucun            n'est bon, si ce n'est Dieu seul », comme il a été dit du Précurseur : « Il n'était pas la lumière (5) ». Et cependant le Seigneur dit de ce même saint Jean, qu'il était un flambeau, comme il a dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde, personne n'allume le flambeau pour le placer sous le boisseau (6)». Toutefois le Précurseur cesse d'être la lumière, si on le compare à cette lumière qui est la vraie lumière et qui éclaire tout homme venant en ce monde (7).

« Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». Ces paroles peuvent signifier également que les enfants de Dieu, quelle que soit leur vertu sur la terre, cessent d'être bons, si l'on compare leur état présent à celui qui les attend dans la perfection éternelle. Dire des hommes dont Dieu est le père, qu'ils sont mauvais, personne ne l'oserait, si le Seigneur lui-même n'avait dit : « Vous qui êtes mauvais, vous savez faire du bien à vos enfants; combien plus votre Père qui est au ciel ne fera-t-il pas du bien à ceux qui l'invoquent (8) ? » Ces mots : «Votre Père » prouvent que les hommes sont les enfants de Dieu, et cependant il ne laisse pas de dire d'eux qu'ils sont mauvais. Quant à notre auteur, il ne nous explique pas comment les hommes sont bons, « quoique personne ne a soit bon, si ce n'est Dieu seul ». A celui qui demandait ce qu'il (levait faire de bien pour aller au ciel, le Sauveur, pour toute réponse, lui avait dit de chercher Celui qui a pour essence la bonté même, et dont là grâce peut seule nous rendre bons; car Dieu est le bien immuable, et il ne saurait être mauvais.

 

1. Matth. V, 45. — 2. Eccli. XXXIX, 30. — 3. Prov. II, 21. — 4. Exode, III, 14. — 5. Jean, I, 8. — 6. Matth. V, 14, 15. — 7. Jean, I, 9. — 8. Matth. VII, 11.

 

 

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CHAPITRE XV. QUI SE GLORIFIERA D'AVOIR LE COEUR CHASTE?

 

33. « On nous oppose », dit l'auteur, « ces autres paroles : Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? » Et à ce texte il en oppose beaucoup d'autres pour prouver que le coeur de l'homme peut être chaste; toutefois, il ne nous dit pas comment on doit interpréter ces paroles : « Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste? » pour éviter de mettre la sainte Ecriture en contradiction avec elle-même dans ce passage et dans ceux qu'il y oppose. Pour moi , je lui réponds- que cette conclusion : « Qui donc se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? » découle naturellement de ce qui précède :  « Lorsque le roide justice siégera sur son trône ». En effet; de quelque justice que l'homme soit doué, il doit se demander s'il n'a- pas en lui quelque chose qu'il ne voit pas, et qui lui sera reproché par le Ronde justice, siégeant sur son trône; car il connaît les péchés les plus secrets, et ce n'est pas à lui que peut s'adresser cette question : « Qui connaît les péchés (1) ? » Ainsi donc, « lorsque le roi de justice siégera sur: son trône, qui se gloria fiera d'avoir le coeur chaste? ou qui se glorifiera d'être pur de tout péché (2)? » Il n'y aura que ceux qui veulent se glorifier dans leur propre justice et non pas dans la miséricorde du souverain Juge.

34. Toutefois je reconnais l'exactitude des citations que l'auteur nous oppose. Les voici le Sauveur dit dans l'Evangile : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (3)  ».  David s'écrie : « Qui gravira la montagne du Seigneur ? ou qui se tiendra; debout sur son lieu saint ? Celui qui a les mains innocentes et le coeur pur (4)  ».  Et encore : « Bénissez, Seigneur, ceux qui sont bons et qui ont le coeur droit (5) ». Salomon dit également : « Les richesses sont bonnes à celui qui n'a pas de péché dans la conscience (6)  ».  Et encore : « Détournez-vous du mal, dirigez vos mains et purifiez votre cœur de tout péché (7)». Saint Jean écrivait : « Si notre cœur ne nous accuse pas, mettons notre confiance en Dieu, et nous obtiendrons

 

1. Ps. XVIII, 13. — 2. Prov. XX, 8, 9. — 3. Matth. V, 8. — 4. Ps. XXIII, 3, 4. — 5. Ps. CXXIV, 4. — 6. Eccli. XIII, 30. — 7. Id. XXXVIII, 10.

 

de lui tout ce que nous lui demanderons (1) ». Tous ces passages supposent clairement le concours de la volonté pour croire, pour espérer, pour aimer, pour châtier son corps, pour faire des aumônes, pour pardonner les injures, pour prier avec instance, pour demander le progrès dans la perfection, et enfin pour dire dans toute la sincérité de son âme : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons; ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (2) ». Le but à atteindre, c'est de purifier son coeur, de chasser tout péché et d'obtenir la rémission de toutes ces souillures secrètes que le Roi de justice pourra trouver en nous lorsqu'il siégera sur son trône ; alors seulement Dieu nous verra parfaitement guéris et purifiés; « car un jugement saris miséricorde attend celui qui n'a pas fait miséricorde. Or la miséricorde l'emporte sur le jugement (3) ». S'il n'en était pas ainsi, quelle espérance nous resterait-il? Car lorsque le roi de justice siégera sur son trône, « qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste? ou qui se glorifiera d'être pur de tout péché ? » Tous ceux alors qui par la miséricorde de Dieu auront été pleinement purifiés et justifiés brilleront comme le soleil dans le royaume du Père céleste (4).

35. Alors aussi l'Eglise sera pleinement et parfaitement sans tache, sans ride et sans souillure, parce qu'elle sera véritablement glorieuse. L'Apôtre, en parlant de l'Eglise, ne se contente pas de dire que Dieu la fera paraître sans tache, sans ride ni autre chose semblable, il ajoute qu'elle sera « glorieuse (5) », nous indiquant ainsi que le moment de la gloire, pour l’Eglise, sera aussi celui où elle sera sans tache et sans souillure. Dans l'état présent, au milieu de tant de maux et de tant de scandales, formée du mélange de tant d'hommes méchants, et abreuvée de tant d'opprobres de la part des impies, on ne saurait dire de l'Eglise qu'elle est glorieuse, quoique des rois eux-mêmes s'enrôlent sous sa bannière, ce qui peut-être constitue encore pour elle un péril plus grand et une tentation plus séduisante ; elle sera glorieuse quand se réalisera cette parole de l'Apôtre : « Lorsque le Christ, notre vie, apparaîtra, vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (6) ».

 

1. I Jean, II, 22, 23. — 2. Matth. VI, 12, 13. — 3. Jacq. II, 13. — 4. Matth. XIII, 43. — 5. Ephés. V, 27. — 6 . Coloss. III, 4.

 

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Le Sauveur dans sa nature humaine par laquelle il s'est constitué le médiateur de l'Eglise, n'a été glorifié que par la gloire de la résurrection ; de là cette parole: « L'esprit a n'avait pas été donné , parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1)» ; comment donc oserait-on affirmer que l'Eglise peut être glorieuse avant sa propre résurrection ? Sur cette terre, Dieu la purifie dans le bain de l'eau par la parole (2), effaçant ses péchés passés, et la délivrant de ta domination des mauvais anges; il la guérit ensuite de toutes ses maladies, et la fait parvenir enfin à cet heureux état où elle sera glorieuse, sans tache et sans souillure. En effet, « ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a glorifiés (3) ». Je crois que c'est à ce mystère que s'appliquent ces paroles : « Voici que je chasse les démons et j'accomplis la guérison aujourd'hui et demain, et le troisième jour je serai consommé (4) », c'est-à-dire arrivé à la perfection. Le Sauveur parlait évidemment de son corps mystique, qui est l'Église ; ces jours qu'il rappelle ne sont que les différents degrés de la justification dont il emprunte le symbole aux trois jours qui précédèrent son triomphe.

36. Je crois qu'il existe une différence entre le cœur droit et le cœur pur. Le coeur droit s'élance vers ce qui est en avant, et oublie ce qui est en arrière, de telle sorte que sans se détourner de sa voie, et sans se désister de sa première intention, il parvient là où habite Celui qui a le coeur pur (5). Chacun de ces caractères se trouve formulé dans les paroles suivantes : « Qui montera sur la montagne du Seigneur, ou qui se tiendra debout dans son lieu saint ? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur». Celui qui a les mains innocentes montera, et celui qui a le coeur pur se tiendra debout; le premier aspire au but et le second y est parvenu. C'est là ce qui nous fait mieux comprendre cette autre parole : « Les richesses sont bonnes pour celui qui n'a point de péché dans sa conscience ». Ce sera le moment des vraies richesses, lorsque toute la pauvreté aura disparu, c’est-à-dire lorsque toute infirmité aura été détruite.

Sur la terre « l'homme se détourne du péché » lorsqu'il marche dans le chemin du

 

1. Jean. VII, 39. — 2. Ephés. V, 26. — 3. Rom. VIII, 30. —  4. Luc, XIII, 32. — 5. Philipp. III, 13, 14.

 

bien, et se renouvelle de jour en jour, lorsqu'il « dirige ses mains » pour accomplir les oeuvres de miséricorde et qu'il purifie son cœur de tout péché ; enfin, lorsqu'il pardonne lui-même afin qu'il obtienne le pardon de ses propres fautes n. Dans ce sens, il n'y a plus ni orgueil ni jactance à dire avec saint Jean : « Si notre cœur ne nous reproche rien, nous avons confiance en Dieu, qui nous accordera tout ce que nous lui demanderons ». L'Apôtre nous invite à agir de telle sorte que notre cœur ne trouve rien à nous reprocher dans la prière ; c'est-à-dire, qu'après avoir formulé cette demande : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons », nous n'ayons pas la honte de ne pas faire ce que nous disons, ou que, n'osant pas dire ce que nous ne faisons pas, nous ne perdions toute confiance dans nos prières.

 

CHAPITRE XVI. IL N'EST PERSONNE QUI FASSE LE BIEN ET NE PÉCHÉ PAS.

 

37. L'auteur examine ensuite cet autre passage que nous leur opposons sans cesse : « Il n'y a pas sur la terre d'homme juste qui fasse le bien et qui ne pèche pas (1) ». Il répond par d'autres passages, et en particulier par celui-ci tiré du livre de Job : « Avez-vous considéré. mon serviteur Job ? car il n'est sur la terre personne qui lui ressemble, homme juste, véritable serviteur de Dieu, et s'abstenant de tout mal (2) ». Nous avons examiné ce texte précédemment. Qu'il me suffise de lui faire remarquer que si ces paroles doivent être entendues dans le sens littéral de telle sorte que l'on puisse être absolument sans péché sur la terre, nécessairement il y a contradiction entre ce passage du livre de Job et celui qui vient d'être cité : « Il n'y a pas sur la terre d'homme juste qui fasse le bien et ne pèche pas »

 

 

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CHAPITRE XVII. NUL HOMME VIVANT NE SERA JUSTIFIÉ EN VOTRE PRÉSENCE.

 

38. On nous objecte, dit l'auteur, cet autre passage : « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence (3) ». La réponse qu'il oppose n'a. d'autre résultat que de mettre

 

1. Ecclé. VII, 21. — 2. Job, I, 8. — 3. Ps. CXLII, 2.

 

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encore la sainte Ecriture en contradiction avec elle-même. Notre devoir, à nous, est de dissiper cette contradiction apparente. « Nous pouvons », dit-il, « réfuter nos adversaires en leur citant ce qui est dit de Zacharie et d'Elizabeth ». « Zacharie et Elizabeth , son épouse, étaient tous deux justes en présence du Seigneur, marchant sans reproches dans l'observation de tous les commandements et des justices du Seigneur (1)  ».  Or, ces justes avaient trouvé parmi les commandements celui qui leur enseignait à se purifier de leurs péchés. En effet, Zacharie était prêtre, et, comme tel, selon la parole de saint Paul dans l'Epître aux Hébreux, il offrait des hosties pour ses propres péchés (2). Ces mots : « sans reproche » doivent s'entendre selon l'interprétation que j'ai donnée plus haut, de paroles semblables (4).

L'auteur ajoute : « Le bienheureux Apôtre nous invite à nous rendre saints et immaculés en présence de Dieu (5) ». En effet, nous devons tendre sans cesse à le devenir, surtout si nous ne pouvons être immaculés qu'à la condition d'être absolument sans péché. Mais s'il suffit de n'avoir aucun crime sur la conscience, nous ne pouvons nier qu'il ne se trouve sur la terre des hommes immaculés; car on peut n'être coupable d'aucun crime, sans que pour cela on soit absolument sans péché. Voilà pourquoi, dans les règles qu'il trace pour l'ordination des ministres sacrés, l'Apôtre n'exige pas qu'ils soient sans péché, car une telle condition serait impossible à réaliser; il se contente d'exiger que l'on soit « sans crime », condition parfaitement réalisable (6).

Enfin, notre auteur ne nous dit pas comment nous devons entendre ces paroles : « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ». Pourtant le verset précédent rend très-facile l'interprétation de ces paroles ; nous y lisons : « N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera justifié en votre présente ». David craint le jugement, parce qu'il désire la miséricorde et que la miséricorde l'emporte sur le jugement. Ces mots N'entrez pas en jugement avec votre serviteur » signifient : Veuillez ne pas me juger selon vous qui êtes sans péché, « parce que nul

 

1. Luc, I, 6. — 2. Hébr. V, 3. — 3. Chap. II, n. 23-28. — 4. Ephés. I, 4. — 5. Tit. I.

 

homme vivant ne sera justifié en votre présente »; du moment qu'il s'agit de cette vie, cette proposition ne saurait offrir de difficulté, et ces mots : « ne sera justifié » doivent s'entendre de la justification pleine et entière, à laquelle on ne saurait prétendre en cette vie.

 

 

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CHAPITRE XVIII. NE DISONS PAS QUE NOUS SOMMES SANS PÉCHÉ.

 

39. On nous objecte, dit l'auteur, ces autres paroles : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons a nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)  ».  A la clarté de ce passage, il essaye d'opposer d'autres textes en apparence contraires. Il cite, ce même saint Jean écrivant dans son Epître : «  Je vous le dis, mes frères, ne péchez pas. Tout homme qui est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence divine demeure en lui et qu'elle ne saurait pécher (2)  ».  Plus loin, ce même Apôtre ajoute : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que la génération de Dieu le conserve, et que le méchant ne saurait le toucher (3) »; et encore, en parlant du Sauveur : « Il apparut afin d'enlever le péché. Quiconque demeure en lui ne pèche pas. Tout homme qui pèche ne le voit pas et ne le connaît pas. Mes très-chers, nous sommes les enfants de Dieu, et nous n'avons pas encore vu ce que nous serons un jour. Nous savons que lorsque Dieu nous apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est, et quiconque nourrit cette espérance, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint (4) ».

Tous ces passages sont parfaitement exacts, ce qui ne détruit pas la vérité du texte qu'il rapporte, sans le réfuter: « Si nous disons a que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». Par conséquent, si nous nous considérons en tant que nous sommes nés de Dieu, en tant que nous demeurons en Celui qui nous a apparu pour détruire le péché, c'est-à-dire en Jésus-Christ, sous ce premier rapport nous ne péchons pas, et l'homme intérieur se renouvelle en nous de jour en jour (5). Mais en tant que nous sommes nés de cet homme par qui le péché est entré dans le

 

1. I Jean, I, 8. — 2. Id. III, 9. — 3. Id. V, 18. — 4. Id. III, 5, 6, 2, 3. — 5. II Cor. IV, 16.

 

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monde et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est entrée dans tous les hommes (1) ; à ce point de vue nous ne sommes pas sans péché; car nous n'avons point dépouillé notre faiblesse native, jusqu'à ce que soit pleinement réalisée cette rénovation intérieure en vertu de laquelle Dieu devient notre Père et nous sommes parfaitement guéris de notre infirmité naturelle, et du péché qui en était la suite. Les suites de ce péché se perpétuent dans l'homme intérieur, quoiqu'elles aillent toujours s'affaiblissant dans tous ceux qui marchent généreusement dans la voie du bien ; malgré ces progrès, « si nous disons que nous sommes sans péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ».

Tout homme qui pèche n'a pas vu Dieu, « et ne l'a pas connu » ; comment entendre ces paroles, puisque nous ne saurions avoir en cette vie la vue et la connaissance que nous aurons , lorsque nous contemplerons Dieu face à face? Nous ne pouvons aspirer ici-bas qu'à la vue et à la connaissance que nous donne la foi ; or, malgré cette foi, combien n'est-il pas d'hommes qui pèchent, et en particulier les apostats qui cependant ont tous cru en Jésus-Christ et qui tous ont eu cette vue et cette connaissance qui viennent de la foi, sans qu'on puisse dire d'aucun d'eux qu'il n'a ni vu ni connu Jésus-Christ? »

Or, il me semble pouvoir ainsi formuler ma pensée : la rénovation marchant à la perfection voit et connaît; l'infirmité que nous avons à détruire, ne voit ni ne connaît, et comme cette infirmité originelle a laissé en nous des traces profondes : « si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est a point en nous ». Par la grâce de la rénovation nous sommes les enfants de Dieu; mais à cause des restes de .notre infirmité native, « nous n'avons pas vu encore ce que nous serons; nous savons que lorsque Dieu nous aura apparu, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons comme il est en lui-même ». Alors seulement il n'y aura plus de péché, parce qu'il ne restera aucune infirmité ni intérieure ni extérieure. « Quiconque a cette espérance en Dieu, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint ». Il se sanctifie, non point par ses

 

1. Rom. V, 12.

 

propres forces, mais en croyant et en invoquant celui qui sanctifie ses saints. Quand cette sanctification, qui va croissant en nous de jour en jour, sera parvenue à sa perfection, elle détruira toutes les suites de notre infirmité.

 

 

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CHAPITRE XIX. TOUT DÉPEND DE DIEU QUI FAIT MISÉRICORDE.

 

40.  « On nous objecte », dit l'auteur, « ces autres paroles : Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (1)  ».  Il y répond par ces textes, tirés de la sainte Ecriture : « Qu'il fasse ce qu'il veut (2) ». « Parlant d'Onésime à Philémon, le même Apôtre écrivait », ajoute-t-il : « Je voulais le retenir auprès de a moi, afin qu'il me servît à votre place; a mais je n'ai rien voulu faire sans votre conseil, afin que votre bien parût non pas une nécessité, mais un état parfaitement volontaire  (3). Nous lisons dans le Deutéronome : Il a placé devant vous la vie et la a mort, le bien et le mal ; choisissez la vie, afin que vous viviez (4). Salomon dit également : Dieu, dès le commencement, a créé l'homme, et il l'a laissé dans la main de son propre conseil. Il lui a donné ses commandements et ses préceptes. Si tu veux garder les commandements et ne jamais trahir ta foi jurée, Dieu te conservera à jamais. Il a mis devant toi l'eau et le feu, étends la main vers ce que tu voudras. Devant l'homme sont la vie et la mort, le bien et le mal ; la pauvreté et l'honnêteté sont du Seigneur Dieu (5). Isaïe nous dit : Si vous voulez m'écouter, vous mangerez les biens de la terre, mais si vous ne voulez ;las et que vous ne m'écoutiez pas, le glaive vous dévorera. Car ces oracles sont sortis de a la bouche de Dieu même (6)  ».

De quelque voile épais que nos adversaires veulent se couvrir, ils sont ici parfaitement mis à découvert: Car ils affichent hautement la lutte contre la grâce ou la miséricorde de Dieu, quand nous-mêmes nous implorons celte même grâce en ces termes : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (7) ».

 

1. Rom. IX,16. — 2. I Cor. VII, 36. — 3. Philém. 13, 14. ­­­­ — 4. Deut. XXX, 15, 19. — 5.  Eccli. XV, 14, 18. —  6. Isaïe, I, 19, 20. — 7. Matth. VII, 10, 13.

 

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Pourquoi donc implorer ces grâces avec des gémissements et des larmes, si tout dépend de l'homme qui veut et qui court, et non pas de Dieu qui fait miséricorde? Sans doute tout cela exige le concours de notre volonté, mais de son côté notre volonté ne peut accomplir ces oeuvres sans le secours de la grâce divine. La foi, quand elle est ce qu'elle doit être, nous fait chercher pour trouver, demander pour recevoir et frapper pour qu'il nous soit ouvert (1). Celui qui dispute contre la grâce, ferme sur lui-même la porte de la miséricorde de Dieu. Je ne veux pas m'étendre davantage sur ce grave sujet, car mieux vaut le confier aux gémissements des fidèles qu'à mes humbles discours.

41. Nous enseignons que la miséricorde de Dieu est tellement nécessaire à celui qui veut et qui court, que pour courir il a même besoin d'être prévenu par la grâce. Or voyez, je vous prie, quel argument le Pélagien oppose à cette nécessité, dans ces paroles de l'Apôtre : « Qu'il fasse ce qu'il veut », quand elles se trouvent si bien expliquées par ce qui suit : « Il ne pèche pas, s'il se marie ». Que vient donc faire ici la volonté de se marier, quand nous discutons du secours de la miséricorde divine? Ou bien il peut servir à quelque chose de vouloir, sans que Dieu lui-même unisse l'homme et la femme en vertu de cette providence spéciale qui gouverne toutes choses ; ou bien il faudra prendre rigoureusement à la lettre cette parole de l'Apôtre à Philémon : « Afin que votre bien parût non pas une nécessité, mais un état parfaitement volontaire » ; d'où il suivrait qu'il pourrait y avoir un bien volontaire sans que « Dieu opérât en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir (2) ». Ou bien ces paroles du Deutéronome : « Il a placé devant l'homme la vie et la mort, le bien et le mal», devraient s'interpréter en ce sens que l'homme soit averti de choisir la vie, sans que cet avertissement lui vînt pour cela de la miséricorde de Dieu ; ou qu'il pût servir à quelque chose de choisir la vie, sans que Dieu inspire la charité qui doit présider à ce choix et le confirmer, et ce nonobstant ces paroles : « La colère est dans son indignation, et la vie dans sa volonté (3) ». Ou bien ces autres paroles . « Si vous voulez observer les préceptes, ils vous conserveront », signifieraient que

 

1. Luc, XI, 9. — 2. Philip. II, 13. — 3. Ps. XXIX, 6.

 

nous ne devons pas remercier Dieu de nous avoir donné cette volonté; car si nous étions privés de toute lumière de la vérité, nous sérions incapables du vouloir cette observation.

L'homme voit devant lui l'eau et le feu ; il étend à son gré la main sur l'un ou sur l'autre, mais au-dessus de lui se trouve le Seigneur qui l'appelle et se tient à une hauteur qui défie la pensée humaine. En effet, le premier principe de la conversion du coeur c'est la foi, selon cette parole: « Vous viendrez et vous passerez du commencement de la foi (1) ». Par conséquent chaque homme choisit le bien a selon que Dieu a a départi à chacun la mesure de la foi (2) »; « personne ne peut venir à moi », dit le Prince de la foi, « si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire ». Et pour mieux nous faire comprendre qu'il parle de la foi par laquelle nous croyons en lui, le Sauveur ajoute : « Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ; mais il en est parmi vous qui ne croient pas. En effet, Jésus connaissait depuis le commencement et ceux qui croyaient et celui qui devait le livrer; et il disait : Voilà pourquoi j'ai proclamé a que personne ne peut venir à moi, si mon Père ne lui en a fait la grâce (3) ».

42. Notre auteur pense avoir trouvé, en faveur de sa cause, un puissant argument dans ces paroles du prophète Isaïe : « Si vous le voulez et si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre ; mais si vous ne le voulez pas et si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera. Tel est l'oracle formulé par le Seigneur lui-même ». Est-ce donc que la loi tout entière n'est pas pleine de ces conditions ? et si ces préceptes sont imposés aux orgueilleux, n'est-ce point parce que la loi a été établie pour faire reconnaître les a transgressions jusqu'à l'avènement du rejeton qui a été promis (4) ? » Voilà pourquoi la loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché ; mais où il y a eu abondance du péché, il y a eu surabondance « de la grâce (5) ». Ainsi donc l'homme, s'appuyant orgueilleusement sur ses propres forces, n'avait pu que défaillir et devenir honteusement prévaricateur en face des préceptes qui lui avaient été imposés; de là

 

1. Cant. IV, selon la Septante. — 2. Rom. XII, 3. — 3. Jean, VI, 41, 65, 66. — 4. Gal. III, 19. — 5. Rom, V, 20.

 

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pour lui le besoin le plus pressant de chercher un libérateur et un sauveur, et c'est ainsi que la crainte de la loi le rendit humble, et, s'imposant à lui comme un maître, le conduisit à la foi et à la grâce.

Sous le fardeau toujours grossissant de leurs infirmités, les hommes se sont précipités dans l'iniquité (1) et ils ne pouvaient obtenir leur guérison que de la venue de Jésus-Christ. La grâce du Sauveur a été l'objet de la foi de la part des anciens justes; aidés par cette grâce, ils sont arrivés à une connaissance assez explicite du Messie , et quelques-uns même ont annoncé sa venue. Tels furent dans le peuple juif Moïse, Josué, Samuel, David et d'autres encore; en dehors du peuple juif, le patriarche Job; et avant même la formation de ce peuple, Abraham, Noé et beaucoup d'autres qui nous sont connus par les saintes Ecritures ou sur lesquels elles gardent le silence. Car nous n'avons qu'un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme (2), sans la grâce duquel aucun homme n'est délivré de la condamnation qui pèse sur lui soit en vertu de la déchéance originelle, soit par le fait même de ses propres iniquité

 

 

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CHAPITRE XX. IL FAUT LE SECOURS DE DIEU POUR NE PAS PÉCHER.

 

43. Notre auteur termine par ce singulier raisonnement : « Si l'on me demande : L'homme peut-il ne pas pécher, même en parole? je réponds qu'il le peut si Dieu le veut; or, Dieu le veut, donc l'homme le peut ». Il continue : « Si l'on me demande : L'homme peut-il ne pas pécher dans ses a pensées? je réponds qu'il le peut, si Dieu le veut ; or, Dieu le veut, donc l'homme le peut ».Voyez comme il évite avec soin de dire. Si Dieu lui vient en aide, l'homme peut ne pas pécher, car c'est à Dieu que nous disons : «Soyez mon secours, ne m'abandonnez pas (3) » ; lorsque nous travaillons, non point pour arriver aux biens ou pour échapper aux maux corporels, mais pour embrasser et pratiquer la justice. Voilà pourquoi sous disons : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (4)  ».

 

1. Ps. XV, 4. — 2. I Tim. II, 5.   3. Ps. XXVI, 9. — 4. Matth. VI, 13.

 

Quel est celui qui a besoin de secours, si ce n'est celui qui agit? Or, il est aidé s'il croit, s'il prie, s'il est appelé selon le décret de Dieu ; car « ceux que Dieu a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés; « et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (1) ». Nous courons donc lorsque nous nous perfectionnons, lorsque notre santé s'affermit et se développe ; c'est ainsi que l'on dit d'une blessure qu'elle va se cicatrisant, lorsqu'elle est entourée de soins assidus et efficaces. En nous perfectionnant ainsi de toute manière, nous en arrivons à nous dépouiller entièrement de la faiblesse du péché; et non-seulement c'est là ce que Dieu veut, mais il nous prévient par sa grâce et nous aide à obtenir ce précieux résultat. Or, la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur produit en nous ces heureux effets, non-seulement par les préceptes, les sacrements et les exemples, mais surtout par l'Esprit-Saint; car c'est par lui qu'est mystérieusement répandue dans nos coeurs la charité  (2), qui demande par des gémissements inénarrables (3), jusqu'à ce que nous ayons acquis une santé parfaite et que Dieu se montre à nous face à face dans son éternelle vérité.

 

 

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CHAPITRE XXI.

 

44. A l'exception du médiateur de Dieu et des hommes, tout homme en cette vie a eu besoin de la rémission des péchés; et penser le contraire serait se mettre en contradiction avec ces paroles de l'Apôtre : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (4)  ».  Rejeter cette vérité de l'existence du péché dans tous les hommes, c'est affirmer avec autant d'orgueil que d'impiété qu'il est des hommes qui ont pu être libres et sauvés de tout péché en dehors de toute médiation du Christ Sauveur et Libérateur, quand ce même Sauveur a solennellement déclaré que « le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades. Je

 

1. Rom. VIII, 29, 30. — 2. Rom. V, 25,5. — 3. Id. VIII, 26. —  4. Id. V, 12.

 

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suis venu appeler, non pas les justes, mais les pécheurs (1) ».

De même soutenir qu'après avoir reçu la rémission des péchés, l'homme peut avoir vécu ou peut vivre ici-bas absolument sans péché, c'est contredire formellement ces paroles de saint Jean : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point a en nous (2) ». Il parle non pas au passé, mais au présent : « Nous n'avons ». Soit, dira quelqu'un, mais le péché dont parle l'Apôtre n'est autre chose que ce vice originel qui habite dans notre chair mortelle et auquel l'Apôtre nous commande de résister (3); il ne parle nullement de ce péché que nous commettons nous-mêmes par un acte formel de notre volonté quand nous consentons à une action, à une parole, ou à une pensée mauvaise, sous l'impulsion de cette concupiscence qui est appelée péché, à laquelle on ne saurait consentir sans péché, et dont l'influence nous ébranle malgré nous. Cette distinction est une pure subtilité qui ne saurait tenir un instant devant ces paroles de l'Oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos offenses ». En effet, quel besoin aurions-nous de prononcer cette demande, si jamais nous ne consentions à aucune parole coupable, à aucune pensée mauvaise, à aucun désir criminel? Il nous suffirait de dire : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation,

 

1. Matth. IX, 12, 13. — 2. I Jean, I, 8. — 3. Rom. VI, 12.

 

mais délivrez-nous du mal (1) »; et l'Apôtre saint Jacques n'aurait pas dit : « Nous péchons en beaucoup de choses (2) ».

Celui qui pèche c'est celui qui, sous l'influence trompeuse ou dominatrice de la concupiscence mauvaise, blesse les droits de la justice, dans ses actes, ses pensées ou ses paroles. Enfin, si, faisant abstraction de notre chef, et un Sauveur de son corps mystique, certains auteurs prétendent qu'il y a eu ou qu'il est en cette vie des hommes tellement justes qu'ils ne commettent aucun péché, ou qu'aucune de leurs actions ne leur soit imputée à péché, à la rigueur je ne vois pas que je sois obligé de les condamner, quoique je mette une distinction entre le bonheur de celui qui est sans péché et le bonheur de celui à qui Dieu n'impute aucun péché (3) (a). Je connais des hommes qui partagent cette opinion; je n'ose les condamner, mais je ne puis non plus les approuver. J'agirais autrement à l'égard de ceux qui soutiendraient que nous ne sommes point obligés de demander la grâce de ne pas succomber à la tentation. Or, c'est soutenir l'inutilité de cette prière que de prétendre que l'homme peut sans la grâce de Dieu éviter le péché et qu'il lui suffit pour cela de sa propre et humaine volonté. Je déclare une telle doctrine réellement pernicieuse et digne de tous les anathèmes.

 

1. Matth. VI, 12, 13. — 2. Jacq. III, 2. — 3. Ps. XXVI, 9.

(a) Cette condamnation devant laquelle Augustin hésite, a été portée par le Concile de Carthage en 418. (Note du traducteur.)

 

Traduction de M l'abbé BURLERAUX.

 

 

 

FIN DES OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT AUGUSTIN.

 

 

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