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DE L'ESPRIT ET DE LA LETTRE

 In Oeuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIème, p. 147à 184, Bar-le-Duc 1871

CHAPITRE PREMIER. UNE CHOSE PEUT ÊTRE POSSIBLE, LORS MÊME QU'ELLE SERAIT SANS EXEMPLE.

CHAPITRE II. UN PLUS GRAND DANGER, C'EST CELUI DE NIER LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE.

CHAPITRE III. LA GRACE VÉRITABLE EST UN DON DU SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE IV. LA LOI, SANS L'ESPRIT VIVIFIANT EST UNE LETTRE MORTE.

CHAPITRE V. QUELLE EST ICI LA VÉRITABLE QUESTION.

CHAPITRE VI. ABONDANCE DU PÉCHÉ PAR LA LOI.

CHAPITRE VII. DE QUELLE SOURCE DÉCOULENT LES BONNES OEUVRES.

CHAPITRE VIII. OBSERVATION DE LA LOI. — DE QUOI LES JUIFS PEUVENT SE GLORIFIER.

CHAPITRE IX. LA JUSTICE DE DIEU MANIFESTÉE PAR LA LOI ET LES PROPHÈTES.

CHAPITRE X. DANS QUEL SENS LA LOI N'EST-ELLE PAS ÉTABLIE POUR LE JUSTE.

CHAPITRE XI. LA PIÉTÉ N'EST QUE LA VÉRITABLE SAGESSE.

CHAPITRE XII. LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR LES CRÉATURES.

CHAPITRE XIII. LA LOI DES ŒUVRES ET LA LOI DE LA FOI.

CHAPITRE XIV. LE DÉCALOGUE TUE ÉGALEMENT QUAND LA GRACE FAIT DÉFAUT.

CHAPITRE XV. LA GRÂCE CACHÉE DANS L'ANCIEN TESTAMENT, SE RÉVÈLE DANS LE NOUVEAU.

CHAPITRE XVI. POURQUOI LE SAINT-ESPRIT EST APPELÉ LE DOIGT DE DIEU.

CHAPITRE XVII. COMPARAISON DE LA LOI MOSAÏQUE ET DE LA LOI NOUVELLE.

CHAPITRE XVIII. LA LOI ANCIENNE ENGENDRE LA MORT, ET LA LOI NOUVELLE, LA JUSTICE.

CHAPITRE XIX. LA FOI CHRÉTIENNE NOUS VIENT PAR LE SECOURS DE LA ORACE.

CHAPITRE XX. LA LOI ANCIENNE. LA LOI NOUVELLE.

CHAPITRE XXI. LA LOI ÉCRITE DANS LES COEURS.

CHAPITRE XXII. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE.

CHAPITRE XXIII. NOTRE RENOUVELLEMENT ACTUEL COMPARÉ A LA PERFECTION DE LA VIE FUTURE.

CHAPITRE XXIV. LA RÉCOMPENSE PROPRE AU NOUVEAU TESTAMENT PRÉDITE PAR LE PROPHÈTE.

CHAPITRE XXV. DIFFÉRENCE ENTRE L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT

CHAPITRE XXVI. DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LES NATIONS ACCOMPLISSENT NATURELLEMENT LA LOI ÉCRITE DANS LEURS COEURS.

CHAPITRE XXVII. LA LOI ACCOMPLIE NATURELLEMENT, C'EST-A-DIRE SELON LA NATURE RÉPARÉE PAR LA GRACE.

CHAPITRE XXVIII. L'IMAGE DE DIEU N'EST PAS ENTIÉREMENT DÉTRUITE DANS LES INFIDÉLES.

CHAPITRE XXIX. LA JUSTICE EST UN DON DE DIEU.

CHAPITRE XXX. LA GRACE DÉTRUIT-ELLE LE LIBRE ARBITRE?

CHAPITRE XXXI. LA FOI EST-ELLE EN NOTRE POUVOIR ?

CHAPITRE XXXII. QUELLE FOI MÉRITE DES ÉLOGES.

CHAPITRE XXXIII. D'OU NOUS VIENT LA VOLONTÉ DE CROIRE.

CHAPITRE XXXIV. LA VOLONTÉ DE CROIRE NOUS VIENT DE DIEU.

CHAPITRE XXXV. CONCLUSION DE CET OUVRAGE.

CHAPITRE XXXVI. QUAND LE PRÉCEPTE DE LA CHARITÉ SERA-T-IL PARFAITEMENT ACCOMPLI ? PÉCHÉS D'IGNORANCE.

 DE L'ESPRIT ET DE LA LETTRE

 

Dans son Traité des Mérites et de la Rémission des péchés, saint Augustin avait dit que, par la puissance de Dieu, l'homme peut être exempt de péché, mais il avait nié que personne, dans cette vie, à l'exception de Jésus-Christ, eût été ou dût être sans péché. Marcellin, étonné qu'on pût croire possible une chose sans exemple, en écrivit à Augustin, qui lui répondit par le livre De l'Esprit et de la Lettre. Le saint docteur ne considérait pas comme une très-grave aberration de penser que des hommes aient vécu sans souillure; il lui paraîtrait plus coupable de soutenir que la seule volonté humaine, sans l'assistance divine, puisse s'élever à la perfection de la justice. Commentant les paroles de l'Apôtre : « La lettre tue et l'esprit vivifie », Augustin entend par « la lettre », non pas les cérémonies judaïques abolies par l'avènement du Sauveur, mais les préceptes mêmes du Décalogue, quand l'Esprit divin ne verse pas dans l'âme la force et l'amour. Il distingue la loi des oeuvres et la loi de la foi; l'une prescrit, l'autre donne la force; la première est toute judaïque, la seconde est toute chrétienne.

 

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CHAPITRE PREMIER. UNE CHOSE PEUT ÊTRE POSSIBLE, LORS MÊME QU'ELLE SERAIT SANS EXEMPLE.

 

1. Cher fils Marcellin, vous avez lu les opuscules que, depuis peu, je vous ai adressés et dans lesquels je traitais du baptême des enfants et de la perfection de la justice que nul homme n'a jamais possédée et ne possédera jamais, en exceptant toutefois notre souverain Médiateur, qui a subi toutes les infirmités de la chair, à l'exclusion du péché. Mais voici que vous m'écrivez pour me luire part de l'étonnement que vous a causé une phrase du dernier livre de cet ouvrage, et par laquelle j'affirmais qu'à l'exception de Celui en qui tous seront justifiés, personne, dans cette vie, n'a été et ne sera sans péché, quoique, d'une manière absolue, il soit parfaitement vrai de dire qu'avec le secours de la grâce et une bonne volonté l'homme puisse être sans péché. Vous trouvez une sorte d'absurdité à soutenir qu'une chose qui ne s'est jamais réalisée soit néanmoins possible. Cependant vous n'ignorez pas, que le Sauveur a parlé d'un câble qui passerait par le trou d'une aiguille (1), quoique vous sachiez fort bien que jamais ce fait ne s'est réalisé. Vous lisez également que douze mille légions d'anges auraient pu combattre pour le Christ, afin de l'empêcher de souffrir (2); et

 

1. Matth. XIX, 24, 26. — 2. Id. XXVI, 53.

 

cependant cela n'a jamais eu lieu. Vous lisez encore qu'une mort générale et simultanée aurait pu exterminer toutes les nations de la terre qui était donnée aux enfants d'Israël (1), quoique Dieu les eût exterminées successivement et l'une après l'autre (2). Enfin, on pourrait citer des milliers de passages qui nous présentent comme possibles des choses qui néanmoins sont restées sans exemple. Pourquoi donc n'admettrions-nous pas également qu'un homme puisse être sans péché, quoique personne ne l'ait jamais été, à l’exception de Celui qui possédait non-seulement la nature humaine, mais encore la nature divine ?

 

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CHAPITRE II. UN PLUS GRAND DANGER, C'EST CELUI DE NIER LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE.

 

2. Vous allez sans doute me répondre que la possibilité de ces prodiges que je viens de rappeler repose uniquement sur la puissance divine; tandis que l'exemption du péché est l'oeuvre de l'homme lui-même, oeuvre de toutes la plus excellente, puisqu'il en résulte une justice pleine, parfaite et de tous points absolue. D'où il suit que si l'homme peut réaliser cette perfection, ce serait une erreur de croire qu'il n'y a eu, ou qu'il n'y a, ou qu'il n'y aura personne pour faire de cette possibilité une réalité éclatante. N'oubliez

 

1. Deut. XXXI, 3. — 2. Juges, II, 3.

 

(a) Un accident pleinement involontaire de notre part, nous a empêché de placer ce traité, ainsi que les deux suivants, dans le XVe volume, Immédiatement après le Traité des Mérites et de la Rémission des Péchés. (Note de l'Editeur.)

 

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pas cependant que si cette perfection est l'oeuvre de l'homme, elle est aussi l'oeuvre de Dieu. « Car », dit l'Apôtre, « Dieu opère en vous le vouloir et le faire, selon sa bonne « volonté (1) »

3. Par conséquent il n'y a pas lieu de se montrer très-sévère à l'égard de ceux qui soutiennent qu'il est ou qu'il y a eu des hommes qui ont vécu ici-bas sans péché; ne les pressons même pas de citer des exemples. Car, il me semble clairement défini par la sainte Ecriture due nul homme vivant sur la terre, quoique usant de son libre arbitre, ne saurait être trouvé sans péché. Tel est, en particulier, le sens de ce passage : « N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne sera trouvé juste en votre présence (2) ». On essaiera peut-être de détourner de leur sens naturel ces paroles et d'autres semblables, afin de prouver que quelques hommes ont pu vivre ici-bas sans péché; et alors, pourvu que nous ne soyons pas déchirés parle cruel aiguillon de l'envie, nous lis féliciterons de leur bonheur, bien loin de nous poser contre eux en ennemis. Quoi qu'il en soit, et malgré la certitude ou je suis que cette perfection n'a été , n'est et ne sera l'apanage d'aucun homme sur la terre, je ne laisse pas de dire que celui qui soutient l'opinion contraire commet une erreur sans gravité aucune, et se trompe plutôt par excès de bienveillance que par le désir de nuire; pourvu, cependant, que ce ne soit lias à lui-même qu'il attribue ce privilège, tant qu'il n'a pas atteint sur ce point la dernière évidence.

4. Mais on doit s'élever avec énergie et véhémence contre ceux qui soutiennent que sans le secours de Dieu, et par les seules forces de sa volonté, l'homme peut acquérir une justice parfaite, ou y persévérer après l'avoir acquise. Dès qu'ils se sentent attaqués sur ce point, ils s'arrêtent, ils baissent le ton, car ils comprennent aussitôt qu'une telle doctrine est une véritable impiété. Aussi s'empressent-ils d'admettre le concours de là grâce divine , mais voici dans quel sens. Nous avons eu, nous, disent-ils, le secours de Dieu, puisque Dieu ,a créé l'homme doué du libre arbitre de sa volonté; et puisqu'en

 

1. Philip. II, 11. — 2. Ps. CXLII.

 

lui donnant des préceptes il lui enseigne comment il doit vivre. Dieu vient ainsi en aide à l'homme, puisque en l'instruisant il détruit son ignorance, afin que l'homme sache dans toutes ses oeuvres ce qu'il doit éviter et ce qu'il doit désirer. L'homme alors, par la vertu du libre arbitre qui lui a été donné naturellement, s'engage dans la voie qui lui est indiquée, y vit dans les limites de la justice et de la piété et mérite ainsi de parvenir à la vie bienheureuse et éternelle.

 

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CHAPITRE III. LA GRACE VÉRITABLE EST UN DON DU SAINT-ESPRIT.

 

5. De notre côté, voici ce que nous enseignons. Pour pratiquer la justice, l'homme trouve d'abord en lui-même le libre arbitre, dont Dieu l'a doué naturellement ; il trouve ensuite hors de lui la doctrine qui lui trace le chemin qu'il doit suivre; mais en outre il a besoin de recevoir l'Esprit-Saint, qui seul peut faire naître dans son esprit le désir et l'amour de ce bien suprême et immuable qui est Dieu, et cela des ce bas monde où nous ne marchons que par la, foi, en attendant qu'au ciel nous voyons Diu face à face (1). Cette grâce, fruit du Saint-Esprit, est pour nous comme l'arrhe en garantie du présent gratuit que Dieu nous promet au ciel; c'est elle qui fait naître en nous le désir de nous attacher au Créateur ; c'est elle qui nous presse de parvenir à la participation de celle lumière véritable qui doit nous rendre heureux par Celui-là même qui nous a donné l'existence. Supposez que la voie de la vérité nous soit inconnue, notre libre arbitre n’a plus d'énergie que pour nous porter au péché ; d'un autre côté, malgré la connaissance que nous aurions de ce que nous avons à faire et du but que nous devons poursuivre, si nous ne sentons pour ces oeuvres et pour ce but aucune délectation , aucun amour, nous cessons d'agir et de chercher la perfection de nos oeuvres. Or, c'est afin que nous aimions, que la charité a été répandue dans nos coeurs, non point par le libre arbitre qui vient de clous, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2).

 

1. II Cor. V, 7. — 2. Rom. V.

 

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CHAPITRE IV. LA LOI, SANS L'ESPRIT VIVIFIANT EST UNE LETTRE MORTE.

 

6. Cette doctrine qui nous trace la voie pour vivre dans la tempérance et la justice, n'est qu'une lettre qui tue, à moins qu'elle ne soit vivifiée par t'Esprit. L'Apôtre a dit : « La lettre tue, mais l'Esprit vivifie (1) ». Or, ces paroles ne doivent pas être seulement interprétées en ce sens qu'il existe dans les saintes Ecritures des passages figuratifs qu'il serait absurde de prendre à la lettre ; mais elles signifient également que nous devons pénétrer plus loin que l'écorce; et nourrir l'homme intérieur par l'intelligence spirituelle; car, « juger selon la chair, c'est la mort, tandis que juger, selon l'esprit, c'est la vie et la paix (2) ». Supposez, par exemple, que quelqu'un veuille interpréter charnellement un grand nombre de passages du Cantique des cantiques, il en recueillera non pas le fruit de la charité, non pas la lumière, mais les affections de la cupidité voluptueuse. Ce n'est donc pas seulement dans le sens purement littéral que l'on doit interpréter ces paroles de l'Apôtre : « La lettre tué, mais l'esprit vivifie » ; leur sens véritable nous est clairement indiqué dans cet autre passage : « J'aurais ignoré la concupiscence, si la loi n'avait pas dit : Vous ne convoiterez pas ». Un peu plus loin, le même apôtre ajoute : « L'occasion se présentant, le péché m'a trompé par le précepte et par lui m'a tué (3) ». Tel est le sens de ces mots : « La lettre tue». D'un autre côté, ce n'est pas dans un sens exclusivement figuratif que l'on doit interpréter ces paroles : « Vous ne convoiterez pas.» ; il y a là un précepte aussi formel que salutaire, et dont le parfait accomplissement produirait l'exemption de tout péché. En effet, l'Apôtre se sert ici d'une expression générale, qui renferme en quelque sorte dans son extension la défense de tout péché : « Vous ne convoiterez pas ». Est-il un seul péché qui ne se commette pas par la convoitise ? Par conséquent toute loi qui défend la convoitise est une loi bonne et louable. Mais si l'Esprit-Saint ne vient pas à notre secours, si, à la place de la concupiscence mauvaise, il ne nous inspire pas la bonne concupiscence, c'est-à-dire s'il n'est

 

1. II Cor. III, 6. — 2. Rom. VIII, 6. — 3. Id. VII, 7, 11.

 

pas là pour répandre.la charité dans nos coeurs ; la loi, quoique bonne en elle-même, ne fait plus qu'aiguillonner, en le défendant, le désir du mal ; tel le torrent que l'on repousse par une digue, se précipite avec plus de violence contre cette digue, et quand il est parvenu à la détruire, son impétuosité ne connaît plus de bornes ni ses ravages de limites. Je ne saurais dire pourquoi , mais enfin, ce que l'on convoite n'en devient que plus attrayant quand il est défendu. C'est ainsi que le péché nous trompe, par le précepte, c'est ainsi qu'il nous tue lorsque survient la prévarication, qui n'existerait pas si la loi n'existait pas (1).

 

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CHAPITRE V. QUELLE EST ICI LA VÉRITABLE QUESTION.

 

7. Si vous le voulez, étudions ce passage tout entier de la lettre apostolique, et cherchons, avec l'aide de Dieu, à en approfondir la doctrine. Si je le puis, je prouverai que ces paroles de l'Apôtre : « La lettre tue, mais l'esprit vivifie », doivent s'interpréter dans le sens littéral et s'appliquent directement à la loi en tant qu'elle défend le mal. Après cette démonstration, il. restera bien évident que la justice est un don de Dieu, non pas seulement en ce sens que Dieu a donné à l'homme le libre arbitre sans lequel nos oeuvres n'auraient plus aucun caractère de moralité ; non-seulement encore parce que Dieu nous a donné la loi qui nous trace la voie que nous avons à suivre, mais parce que, sous l'action du Saint-Esprit, il a répandu la charité dans le coeur de ceux qu'il a connus à l'avance pour les prédestiner , de ceux qu'il a prédestinés pour les appeler, de ceux qu'il a appelés pour les justifier, de ceux enfin qu'il a justifiés pour les glorifier (1).

Quand donc cette vérité nous sera apparue dans toute son évidence, vous verrez clairement, j'en suis persuadé, que c'est en vain que l'on rangerait exclusivement parmi les oeuvres possibles qui ne se sont jamais réalisées les oeuvres spéciales de la Divinité, par exemple, le passage d'un câble par le trou d'une aiguille, et autres choses semblables, absolument impossibles pour nous, mais très-faciles à la puissance divine; vous

 

1. Rom. IV, 15. — 2. Id. VIII, 29, 30.

 

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comprendrez combien il est faux de dire qu'on ne peut regarder la justice humaine comme ne s'étant jamais réalisée puisqu'elle doit être, non pas l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre de l'homme, et que s'il est possible qu'elle soit parfaite en cette vie, il n'y a aucune raison de croire qu'elle ne se soit pas réalisée. Que ce soit là une erreur grossière, comment en douter quand il est de la dernière évidence que la justice humaine est avant tout l'œuvre de Dieu, quoiqu'elle exige le concours de la volonté humaine? Par conséquent nous devons regarder comme possible, même sur la terre, la perfection de cette justice, parce que tout est possible à Dieu (1), soit ce qu'il accomplit par sa seule volonté, soit ce qu'il a résolu de faire avec le concours de la volonté de ses créatures. Si donc telle ou telle de ces oeuvres ne se réalise pas, il n'en est pas moins vrai que Dieu a le pouvoir de la réaliser, quoique dans sa sagesse il juge à propos de la laisser sans réalisation. Ces secrets de Dieu nous sont inconnus, mais n'oublions pas que nous ne sommes que des hommes, et gardons-nous d'attribuer à Dieu la folie, parce que sa sagesse dépasse la faible portée de notre esprit.

8. Ecoutez l'Apôtre expliquant aux Romains et leur démontrant que cette parole qu'il adresse aux Corinthiens : « La lettre tue, mais l'esprit vivifie », doit être entendue comme je l'ai indiqué plus haut. En effet, si la lettre de la loi, qui nous défend de pécher, n'est pas accompagnée de l'esprit vivifiant, elle tue ; car elle apprend à connaître le péché plutôt qu'à l'éviter, elle en augmente l'attrait plutôt que de l'affaiblir, puisque la prévarication de la loi vient s'ajouter à la concupiscence mauvaise.

 

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CHAPITRE VI. ABONDANCE DU PÉCHÉ PAR LA LOI.

 

9. L'Apôtre se proposait d'exalter la grâce qui est venue à toutes les nations par Jésus-Christ, afin d'empêcher les Juifs de se prévaloir, contre les autres nations, de la loi qu'ils avaient reçue. Voilà pourquoi, après avoir dit que le péché et la mort sont entrés par un seul homme dans le genre humain, et, par un seul homme aussi, la justice et la vie éternelle; il insinue clairement que de ces deux hommes le premier est Adam et le

 

1. Marc, X, 27.

 

second Jésus-Christ. « La loin », dit-il, « est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché; mais, où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce, afin que si le péché avait régné en donnant la mort, la grâce de même régnât par la justice en donnant la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Prenant ensuite la forme interrogative, il s`écrie : « Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour donner lieu à cette surabondance de grâce? A Dieu ne plaise ! » Il comprenait que des hommes pervers pouvaient tirer un mauvais parti de ces paroles précédentes : « La loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché ; mais, où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce » ; on aurait pu en conclure que le péché est utile à cause de l'abondance de la grâce. Il repousse cette conclusion par l'énergique concision de cette parole : « A Dieu ne plaise ! » Il ajoute: « Etant une fois morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché? » En d'autres termes : puisque la grâce nous a accordé de mourir au péché, continuer à vivre dans le péché ne serait-ce pas répondre à la grâce par une coupable ingratitude?

Ne peut-on pas louer les bienfaits de la médecine sans affirmer par là l'utilité des maladies et des blessures dont la médecine guérit les hommes? Plus, au contraire, nous louons la médecine, plus nous jetons le blâme et l'horreur sur les blessures et les maladies contre lesquelles la médecine est notre seul refuge. De même la glorification de la grâce est par elle-même le blâme et la condamnation du péché. Il s'agissait donc de prouver à l'homme la honte de cette langueur devant l'iniquité de laquelle la loi, quoique sainte et bonne, avait été frappé d'une telle impuissance, qu'au lieu d'être un remède, elle avait été une occasion au péché. En effet, la loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché. Convaincu et confus de cette vérité, que l'homme comprenne enfin qu'il a besoin non-seulement d'un docteur pour l'instruire, mais surtout du secours de Dieu pour diriger ses voies, pour le soustraire à l’empire de l'iniquité (1), et enfin pour le guérir par l'application de la divine miséricorde dans le sein de laquelle il a couru se réfugier.

 

1. Ps. CXVIII, 133.

 

C'est ainsi que là où il y a eu abondance de péché ; il y a surabondance de grâce, non point par le mérite du pécheur, mais par la faveur de Celui qui vient à son secours.

10. Ce remède nous est offert mystiquement dans la passion et la résurrection de Jésus-Christ. C'est ce que nous enseigne l'Apôtre par ces paroles : « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous. avons été baptisés dans sa mort? Nous sommes donc ensevelis avec lui par le baptême pour mourir au péché ; afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une vie nouvelle. Car si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés par la ressemblance de sa résurrection, sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit et que désormais nous ne soyons plus asservis au péché. Car celui qui est mort est délivré du péché. Si donc nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Jésus-Christ, sachant que Jésus-Christ, étant ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, et que la mort n'aura plus d'empire sur lui. Car quant à mourir pour le péché, il est mort seulement une fois, mais quant à ce qu'il vit maintenant, il vit pour Dieu. Regardez-vous de même comme étant morts au péché et comme ne vivant plus que pour Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1) ». En effet, le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur figure clairement la destruction de notre vie ancienne, le commencement d'une vie nouvelle, l'anéantissement de l'iniquité , et le renouvellement de la justice. D'où peut venir à l'homme un si grand bienfait? Serait-ce de la lettre de la loi? N'est-ce pas plutôt de la foi de Jésus-Christ.

 

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CHAPITRE VII. DE QUELLE SOURCE DÉCOULENT LES BONNES OEUVRES.

 

11. Cette sainte pensée conserve ceux des enfants des hommes qui mettent leur espérance dans sa protection et attendent de lui seul la joie d'être enivrés de l'abondance de

 

1. Rom. V, 20; VI, 11.

 

sa maison, et de s'abreuver au torrent de sa volupté. Car ils savent qu'il est la source de la vie et que c'est dans sa splendeur que nous verrons la lumière. Ils savent qu'il verse sa miséricorde sur ceux qui le connaissent, et sa justice dans l'âme de ceux qui ont le coeur droit. Ils savent enfin que ce n'est point parce qu'ils ont le coeur droit , mais pour qu'ils aient le coeur droit, que Dieu leur accorde sa justice par laquelle il justifie le pécheur (1). Cette pensée, d'ailleurs, est loin d'engendrer l'orgueil : car ce vice a pour principe la confiance illimitée que l'homme place en sa propre personne, se regardant comme le maître absolu d'imprimer à sa vie la direction qu'il juge convenable.

Par le fait même d'une telle présomption, il s'éloigne de cette source de vie, dans laquelle seule nous puisons la justice, c'est-à-dire une vie sainte; il s'éloigne de cette lumière immuable à laquelle l'âme raisonnable ne saurait participer sans se sentir embrasée d'un feu qui la change à son tour en une sorte de lumière créée. C'est en ce sens que l'on dit de saint Jean : « Il était une lumière ardente et luisante (2) » ; de son côté, n'ignorant pas de quelle source découlait sa lumière, il s'écriait : « Nous avons reçu de sa plénitude ». De qui donc cette plénitude, si ce n'est de Celui devant lequel il n'était plus la lumière ? En effet, c'est ce Verbe incarné qui « était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (3) ». David, dans l'un de ses psaumes, venait de dire: « Déployez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui  ont le coeur droit ». Il ajoute aussitôt : « Que le pied de l'orgueil ne vienne pas jusqu'à moi, que la main des pécheurs ne me touche point ; là sont tombés tous ceux qui commettent l'iniquité : ils ont été repoussés et n'ont pu se tenir debout (4) ». Cette iniquité qui porte l'homme à s'attribuer à lui-même ce qui n'appartient qu'à Dieu, refoule le pécheur dans ses propres ténèbres qui sont les oeuvres d'iniquité. Telle est son oeuvre propre, voilà de quoi il est capable par lui-même. Quant aux oeuvres de la justice, il ne les accomplit que dans la mesure où il puise à cette source et à cette lumière divine, où se trouve l'abondance de la vie pour

 

1. Rom. IV, 5. — 2. Jean, V, 35. — 3. Id. I, 16, 9. — 4. Ps. XXXV, 8-13.

 

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tous, où il n'y a ni changement ni vicissitude (1).

12. Revenons à l'apôtre saint Paul. Appelé Saul avant sa conversion , il ne me paraît avoir changé de nom, que, pour mieux montrer son humilité, se regardant comme le dernier des Apôtres. Or, il déclare une guerre énergique,et continuelle aux orgueilleux et aux arrogants qui mettaient toute leur confiance dans leurs propres oeuvres, et par là il se propose d'exalter d'autant plus la nécessité et la puissance de la grâce de Dieu. Quand donc, si ce n'est dans sa personne, cette grâce de Dieu s'est-elle révélée dans toute son évidence et son efficacité? Violent persécuteur de l'Eglise de Dieu, digne à ce titre des plus rigoureux châtiments, il reçut, non point la condamnation, mais la miséricorde; non point le châtiment, mais la grâce. C'est donc avant tout sa propre cause qu'il défend et justifie contre l'ignorance de ceux qui ne comprennent rien à ces mystères cachés et profonds, contre ceux ,aussi qui voudraient dénaturer son langage si précis et si formel. Aussi ce qu'il prêche, ce qu'il proclame sans hésiter, c'est le don de Dieu par lequel seul arrivent au salut les fils du bienfait divin, les fils de la grâce et de la miséricorde, les fils du Testament Nouveau. Tout d'abord, écoutez son salut : « A vous la grâce et la paix par Dieu le Père et Notre-Seigneur Jésus-Christ (2) ». Ensuite toute sa lettre aux Romains roule à peu près sur cette seule question qu'il traite avec tant de véhémence et d'abondance, qu'il fatigue à la vérité l'attention des lecteurs, mais d'une fatigue utile et salutaire; car il veut .seulement exercer et non briser les membres de l'homme intérieur.

 

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CHAPITRE VIII. OBSERVATION DE LA LOI. — DE QUOI LES JUIFS PEUVENT SE GLORIFIER.

 

13. De là les conclusions que j'ai énoncées plus haut; de là les reproches qu'il adresse aux Juifs, leur disant qu'ils ne le sont que de nom, puisqu'ils n'accomplissent pas ce qu'ils promettent. «Mais vous, qui portez le nom de Juif, qui vous reposez sur la loi, qui vous glorifiez en Dieu, qui connaissez sa volonté et qui, étant instruit par la loi, savez discerner

 

1. Jacq. I, 17. — 2. Début des Epîtres.

 

ce qui est le plus utile; qui vous flattez d'être le conducteur des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants comme ayant dans la loi la règle de la science et de la vérité ; vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes; vous qui publiez qu'on ne doit point dérober, vous dérobez; vous qui dites qu'on ne doit point commettre d'adultère, vous commettez des adultères; vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges; vous qui vous glorifiez dans la loi, vous déshonorez Dieu parla violation de la loi. Car vous êtes cause, comme dit l'Ecriture, que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations. Ce n'est pas que la circoncision ne soit utile, si vous accomplissez la loi; mais si vous la violez, tout a circoncis que vous êtes, vous devenez comme un homme incirconcis. Si donc un homme incirconcis garde les ordonnances de la loi, n'est-il pas vrai que, tout incirconcis qu'il est, il sera considéré comme circoncis? Et ainsi celui;qui, étant naturellement incirconcis, accomplit la loi, vous condamnera, vous qui, ayant reçu la lettre de la loi et étant circoncis, êtes un violateur de la, loi. Car le juif n'est pas celui qui l'est au dehors, et la circoncision véritable n'est pas celle qui se fait e dans la chair et qui n'est qu'extérieure; mais le vrai juif est celui qui l'est intérieurement et la circoncision véritable est celle du coeur qui se fait par l'esprit et non selon la lettre, et ce juif tire sa louange non des hommes, mais de Dieu (1) ».

Voilà l'explication de cette parole : « Vous vous glorifiez en Dieu ». Si le véritable juif se glorifiait en Dieu, comme l'exige la grâce, cette grâce qui est donnée non point en vertu du mérite des oeuvres, mais d'une manière absolument gratuite, la louange dont le juif est entouré lui viendrait de Dieu et non pas des hommes. Mais il n'en était pas ainsi. Les Juifs se glorifiaient en Dieu, en ce sens que seuls ils avaient mérité d'obtenir sa loi, car telle était l'interprétation qu'ils donnaient à ces paroles du psaume : « Il n'a pas agi de cette manière à l'égard des autres nations, et ne leur a pas révélé ses jugements (2) ». Et cependant ils se flattaient d'accomplir la loi par leur propre justice, quand ils n'étaient que les prévaricateurs de la loi. C'est ainsi

 

1. Rom. II, 17-29. — 2. Ps. CXLVII, 20.

 

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que la loi les chargeait de colère (1), à cause de l'abondance du péché qu'ils commettaient en pleine connaissance. Quand, sans être mus par l'esprit de la grâce, ils accomplissaient les prescriptions, de la loi, c'était uniquement par la crainte des châtiments, et non par amour de la justice. Par conséquent le Seigneur ne trouvait pas dans leur volonté ce qui apparaissait dans leurs couvres aux yeux des hommes; et ils étaient plutôt coupables à ses yeux de toute la gravité des fautes qu'ils auraient commises s'ils avaient. pu le faire impunément. D'un autre côté, l'Apôtre appelle circoncision du coeur la volonté pure de toute concupiscence illicite, ce qui se fait non point par la vertu propre des enseignements ou des menaces de la lettre, mais par la grâce spirituelle qui nous est départie gratuitement pour nous aider et pour nous guérir. Quand nous possédons cette grâce, notre glorification ne nous vient pas des hommes, mais de Dieu; car s'est de lui que nous vient toute grâce et par conséquent toute louange, selon cette parole du psaume: « Mon âme sera louée a dans le Seigneur (2) ». C'est à lui seul que nous pouvons dire : « Ma louange est en vous (3) ». Peuvent-ils tenir ce langage, ces orgueilleux qui remercient le Seigneur de ce qu'ils sont hommes, mais ne veulent tenir que d'eux-mêmes leur propre justice?

14. « Mais », disent-ils, « nous aussi nous a louons Dieu, auteur de notre justification,,en ce sens qu'il nous a donné la loi dont la lumière nous apprend comment nous devons vivre ». Ils ne comprennent donc pas cette parole: « Aucun homme ne sera par la loi justifié devant Dieu ». L'homme, en effet, peut paraître juste devant ses semblables, sans (être nullement devant Dieu, qui scrute les coeurs et les volontés, et qui sait parfaitement ce que voudrait faire, s'il le pouvait, celui qui n'accomplit la loi que par la crainte du châtiment. Peut-être serait-on tenté de croire que l'Apôtre, en refusant à la loi le pouvoir de justifier, parlait exclusivement, de cette loi qui, dans les sacrements anciens, renfermait beaucoup de préceptes qui n'étaient que des figures comme, par exemple, la circoncision de la chair, que les enfants devaient recevoir le huitième jour après leur naissance (4). Mais pour dissiper cette illusion, l'Apôtre précise

 

1. Rom. IV, 15. — 2. Ps. XXXIII, 3. — 3. Ps. XXI, 26. — 4. Lévit. III, 3.

 

la loi dont il parle : « Car », dit-il, « c'est par la loi que nous avons la connaissance du péché ». C'est bien de cette loi qu'il dit également : « Je n'ai pas connu le péché si ce n'est par la loi; car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'avait pas dit : Vous ne convoiterez pas (1) ». N'est-ce pas là le sens de ces mots : « C'est par la loi que nous avons la connaissance du péché ? »

 

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CHAPITRE IX. LA JUSTICE DE DIEU MANIFESTÉE PAR LA LOI ET LES PROPHÈTES.

 

15. Mais ici, peut-être, cette présomption humaine qui ignore la justice de Dieu et qui voudrait être à elle-même sa propre justification, applaudira à ces paroles de l'Apôtre: « Nul homme ne sera justifié par, la loi », prétendant que la loi se borne à nous montrer ce que nous devons faire, ou ce que nous devons éviter, de telle sorte que la volonté, par ses propres forces, accomplit ces prescriptions de la loi et se justifie elle-même, non point par l'autorité de la loi., mais par son libre arbitre. Mais, ô homme , remarquez donc ce qui suit : « Maintenant la justice de Dieu sans la loi, a été manifestée, elle a été attestée par la loi et par les prophètes ». A moins que vous ne soyez frappés de surdité, n'entendez-vous pas : « La justice de Dieu a été manifestée?» Cette justice est ignorée de tous ceux qui veulent établir leur justice propre, et ils repoussent cette oeuvre divine par excellence (2). « La justice de Dieu », dit l'Apôtre, « a été manifestée »; il ne dit pas la justice de l'homme, ou la justice de la volonté propre. Il ne parle que de « la justice de Dieu », non pas de celle qui forme l'attribut. essentiel de Dieu, mais de celle dont Dieu revêt l'homme, lorsqu'il justifie l'impie. Cette justice est attestée par la loi et par les Prophètes; car la loi et les Prophètes lui rendent témoignage. La loi d'abord, car en commandant, en menaçant et en ne justifiant personne, elle fait assez connaître que c'est Dieu qui justifie l'homme par le secours et la grâce de l'Esprit-Saint. Les Prophètes ensuite, parce que la venue du Sauveur a réalisé ce qu'ils avaient prédit.

Aussi l'Apôtre ajoute aussitôt . « La justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ », c'est-à-dire

 

1. Rom. VII, 7. — 2. Rom. X, 3.

 

dire par la foi qui nous fait croire en Jésus-Christ. En parlant de la foi de Jésus-Christ nous n'entendons certes pas la foi par laquelle Jésus-Christ croit; de même la justice de Dieu ne signifie pas la justice par laquelle Dieu est juste. Il s'agit, en réalité, de notre foi et de notre justice, et pourtant nous disons la justice de Dieu et la foi de Jésus-Christ, parce que c'est de Dieu et de Jésus-Christ que nous recevons la justice et la foi. Ce qui a été manifesté, c'est donc la justice de Dieu sans la loi, ce qui ne veut pas dire qu'elle ait été manifestée sans la loi. En effet, comment pourrait-elle avoir été attestée par la loi. si elle avait été manifestée sans la loi? Nous appelons donc justice de Dieu sans la loi celle que Dieu, par l'esprit de grâce, confère au fidèle sans le secours de la loi, c'est-à-dire à celui qui croit sans être aidé par la loi. Est-ce que par la loi Dieu ne montre pas à l'homme sa faiblesse, afin de le déterminer à chercher, par la foi, son refuge et sa guérison dans son infinie miséricorde?

Il a été dit de la sagesse divine « qu'elle porte sur sa langue la loi et la miséricorde (1)» ; la loi, pour rendre coupables les orgueilleux, et la miséricorde pour justifier les humbles. Donc « cette justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ, est donnée à tous ceux qui croient en lui, car il n'y a aucune distinction parmi les hommes. En effet, tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu » et non de leur propre gloire. Qu'ont-ils donc, qu'ils ne l'aient reçu ? Et s'ils l'ont reçu, pourquoi s'en glorifient-ils comme s'ils ne l'avaient pas reçu (2)? Ils ont donc besoin de la gloire de Dieu, et voyez la suite : « Etant justifiés gratuitement par sa grâce (3) », ils ne sont donc justifiés ni par la loi, ni par leur propre volonté; mais « ils sont justifiés gratuitement par sa grâce », non pas, sans doute, en ce sens que notre volonté y reste entièrement étrangère; il suffit que sa faiblesse soit manifestée par la loi, afin que la grâce guérisse la volonté, et que la volonté guérie accomplisse la loi, sans qu'elle soit pour cela constituée sous le joug de la loi ou qu'elle ait besoin de la loi.

 

1. Prov. 16,   selon      les Septante. — 2. I Cor. IV, 7. — 3. Rom. III, 20, 21.

 

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CHAPITRE X. DANS QUEL SENS LA LOI N'EST-ELLE PAS ÉTABLIE POUR LE JUSTE.

 

16. « La loi n'est pas établie pour celui qui est juste », et cependant cette loi « est bonne si l'on en use légitimement (1) ». Il y a une sorte de contradiction dans ce langage, et l'Apôtre, en l'énonçant, voulait sans doute forcer le lecteur à scruter et à résoudre la question. « La loi est bonne si l'on en use légitimement (2) »; comment accorder cette proposition avec la suivante: « Sachant ceci, c'est que la loi n'a pas été établie pour le juste?» Et qui donc use légitimement de la loi, si ce n'est celui qui est juste ? Et cependant ce n'est pas pour lui que la loi a été établie , mais pour le pécheur. Est-ce donc que le pécheur, pour être justifié, c'est-à-dire pour devenir juste, doit user légitimement de la loi, afin que cette loi, lui servant de pédagogue, le conduise à la grâce par laquelle seule peuvent être accomplies toutes les prescriptions de la loi? Or, la grâce nous justifie gratuitement, c'est-à-dire sans aucun mérite antérieur de notre part : « autrement la grâce n'est plus une grâce (3) » ; car elle nous est donnée non point parce que nous avons accompli des bonnes oeuvres, mais afin que nous puissions les accomplir; ou encore elle nous est donnée non point parce que nous avons accompli la loi, mais afin que nous puissions l'accomplir. En effet, le Sauveur a dit: « Je ne suis pas venir détruire la loi, mais l'accomplir (4) », lui dont il est écrit : « Nous avons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, rempli de grâce et de vérité (5) ». Telle est la gloire dont il est dit : « Tous ont « péché, et ils ont besoin de la gloire de Dieu»; telle est aussi la grâce dont l'Apôtre dit aussitôt : « Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce ».

Si donc le pécheur use légitimement de la loi, c'est afin de devenir juste; et quand il aura obtenu cette justice, il doit voir dans la loi, non plus une sorte de véhicule pour arriver au terme, mais plutôt, selon la comparai. son de l'Apôtre, une sorte de pédagogue qui lui a appris ses devoirs. En effet, comment la loi n'a-t-elle pas été établie pour le juste, si elle est nécessaire à celui-là même qui est

 

1. I Tim. I, 9, 8. — 2. Gal. III, 21. — 3. Rom. XI, 6. — 4. Matth. V, 17. — 5. Jean, I, 14.

 

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juste, non pas dans ce sens que cette loi le conduise du péché à la grâce sanctifiante, mais en tant que, devenu juste, il en use légitimement ? Ne fait-il pas assurément un usage légitime de la loi, l'homme juste qui, pour inspirer une terreur salutaire aux coupables, leur impose les prescriptions de la loi, afin que sous le feu de la concupiscence mauvaises se révoltant contre la défense et augmentant le nombre et la gravité de ses prévarications ils cherchent promptement, et par la foi, un refuge assuré dans la grâce justifiante, et échappent aux menaces de la lettre en goûtant les douceurs de la justice par la vertu dit Saint-Esprit? De cette manière toute contradiction cesse entre ces deux passages cités plus haut, car nous voyons comment le juste peut user légitimement d'une loi bonne, quoique la loi ne soit point établie pour l'homme juste. En effet, ce n'est point par la loi qu'il a été justifié, mais par la loi de la foi, par laquelle il a cru qu'il avait absolument besoin de la grâce divine pour accomplir, malgré sa faiblesse, les prescriptions de la loi.

17. De là ces paroles de l'Apôtre : « Où est donc le sujet de votre gloire? Il est exclu. Et par quelle loi? Est-ce par la loi des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi (1) ». Cette gloire, dont parle saint Paul, peut s'entendre dans un double sens. Ou bien il s'agit de la gloire vraiment louable qui pour nous réside dans le Seigneur, gloire exclue, non pas qu'elle soit rejetée, mais parce que son excellence la fait sortir du rang des choses ordinaires. C'est ainsi que certains raffineurs de métaux sont appelés : «excluants, exclusores ». « Afin », dit le Psalmiste, « que soient exclus tous ceux qui ont été éprouvés par l'argent (2)», comme s'il eût dit: « Afin que ceux qui ont été éprouvés par la parole du Seigneur » soient placés dans un poste éminent. Nous lisons encore : « Les oracles du Seigneur sont des oracles chastes; c'est de l'argent éprouvé par le feu (3) ».

Peut-être aussi L'Apôtre a-t-il voulu parler de la gloire criminelle qui vient de l'orgueil, gloire dont se repaissent tous ceux qui, se flattant de mener une vie juste et sainte, n'attribuent qu'à eux-mêmes ce précieux privilège. Or un tel sujet de gloire, l'Apôtre le regarde comme exclu, non point par la loi des oeuvres, mais par la loi de la foi, qui le

 

1. Rom. III, 27. — 2. Ps. LXVII, 31. — 3. Ps. XI, 7.

 

réprouve d'une manière absolue. En effet, par cette loi de la foi, chacun de nous reste pleinement persuadé que s'il fait quelque oeuvre bonne, c'est à la grâce de Dieu qu'il le doit, car c'est de cette grâce que lui vient exclusivement tout ce qu'il fait pour se perfectionner dans l'amour de la justice.

 

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CHAPITRE XI. LA PIÉTÉ N'EST QUE LA VÉRITABLE SAGESSE.

 

18. Cette conviction rend l'homme pieux, parce que la piété n'est autre chose que la véritable sagesse. J'appelle piété ce que les Grecs appellent le culte de Dieu, et cette précieuse habitude nous est hautement recommandée par ces paroles du livre de Job : « Voici que la piété c'est la sagesse (1) ». Or, ce culte de Dieu a surtout pour effet, dans une âme, de montrer qu'elle n'est point ingrate. De là vient sans doute, dans notre véritable et auguste sacrifice, le solennel avertissement qui nous est adressé de rendre grâces à Dieu. Or, de la part d'une âme ce serait se montrer ingrate que de s'attribuer à elle-même ce qui ne lui vient que de Dieu, et spécialement la justice. En effet, si c'est une faute de se glorifier de ses richesses, de la beauté de son corps, de son éloquence et des autres biens extérieurs ou intérieurs, soit du corps, soit de l'esprit, et dont les plus grands pécheurs sont quelquefois doués; quel crime n'est-ce pas de se glorifier de ce qui est le bien par excellence, c'est-à-dire de la justice, comme si elle était notre oeuvre propre? A cause de ce vice, on a vu les plus grands hommes abandonnés par Dieu à leur propre faiblesse et tomber dans toutes les hontes de l'idolâtrie. Voilà pourquoi, dans cette même épître où il se pose en ardent défenseur de la grâce, après avoir dit qu'il se devait aux Grecs et aux Barbares, aux sages et aux insensés; après avoir déclaré que pour sa part il était tout disposé à porter l'Évangile aux Romains, Paul s'empresse d'ajouter: « Car  je ne rougis point de l'Évangile; n'est-il point la vertu même de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, les Juifs d'abord et ensuite les Gentils ? Car la justice de Dieu y est révélée ; la justice qui vient de la foi et se perfectionne par la foi, selon qu'il est écrit: Le juste vit de la foi ». Telle est donc la justice de Dieu, justice voilée dans l'Ancien Testament, mais

 

1. Job, XXVIII, 28.

 

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révélée dans le Nouveau. Elle est appelée la justice de Dieu, parce que en nous l'accordant, il nous rend justes, comme il est dit: « Le salut du Seigneur (1) », c'est-à-dire le salut par lequel il,nous sauve. Telle est aussi cette foi de laquelle et pour laquelle la justice nous est révélée, c'est-à-dire qu'elle est révélée par la foi de ceux qui nous annoncent l'Evangile, et pour la foi de ceux qui obéissent. Eclairés par cette foi de Jésus-Christ, c'est-à-dire par cette foi que Jésus-Christ nous a conférée, nous croyons fermement que si nous vivons dans la justice, c'est à Dieu que nous le devons et que nous le devrons toujours. N'est-il pas juste dès lors que nous lui témoignions notre gratitude par ce culte souverain que nous ne devons qu'à lui seul?

 

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CHAPITRE XII. LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR LES CRÉATURES.

 

19. Après cette exposition de ses principes, l'Apôtre se tourne avec indignation vers ceux qui, gonflés de cet orgueil dont j'ai parlé plus haut et s'élevant follement en eux-mêmes jusqu'à se priver de tout appui, vont se briser honteusement contre les pierres dont ils se sont fait des idoles. Il venait d'exalter la piété de la foi; qui nous presse de rendre à Dieu des actions de grâces abondantes pour la justification qu'il veut bien nous accorder; se plaçant aussitôt en face da vice contraire, il s'écrie: « L'Evangile nous révèle également la colère divine qui éclatera du ciel contre l'impiété et l'injustice de ces hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans l'injustice, parce qu'ils ont connu ce qui peut se découvrir de Dieu, Dieu même le leur ayant fait connaître. En effet, les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ces créatures nous en donnent , en sorte qu'ils sont inexcusables, puisqu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ils ne.lui ont point rendu grâces, mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres. Ainsi ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages, et l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu incorruptible ils l'ont transféré à l'image d'un homme corruptible, à des figures

 

1. Ps. III, 9.

 

d'oiseaux; de bêtes à quatre pieds et de reptiles (1) ».

Remarquez que l'Apôtre ne dit pas de ces hommes qu'ils ignorent la vérité, mais qu'ils retiennent la vérité dans l'injustice. Or, comme on serait tenté de demander à quelle source ces hommes avaient puisé la vérité, puisque Dieu ne leur avait pas donné la loi, l'Apôtre prévient la question et répond que c'est par les choses visibles qu'ils ont pu connaître les choses invisibles du Créateur. C'est en s'appliquant à cette recherche que de grands esprits sont parvenus à avoir de Dieu une connaissance naturelle suffisante. Mais voici leur impiété. « Après avoir connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ils ne lui ont point rendu grâces, et ils se sont évanouis dans leurs pensées ». L'orgueil, telle est donc la maladie de ceux qui se trompent eux-mêmes en se croyant quelque chose, tandis qu'ils ne sont rien (2). Ils se sont aveuglés dans ce gonflement de l'orgueil, contre lequel le Psalmiste protestait de toute son âme quand il s'écriait: «. Nous verrons la lumière dans votre splendeur (3) » ; car pour eux, ils se sont détournés de la lumière de l'immuable vérité « et leur coeur insensé s'est enveloppé des plus épaisses ténèbres». Quoiqu'ils eussent connu le Seigneur, leur coeur n'était pas sage, et ils ont fait preuve d'une véritable folie, puisqu'ils n'ont pas glorifié Dieu et ne lui ont pas rendu grâces. Le Seigneur avait dit à l'homme : « La piété, telle est la véritable sagesse » ; mais ces hommes ont répondu « en disant qu'ils étaient sages », ce qui signifie en réalité qu'en s'attribuant à eux-mêmes les biens qu'ils possédaient, « ils sont devenus insensés ».

20. Et maintenant; quel besoin de rappeler ce qui suit? Entraînés sur la voie de cette impiété dont je parle, ces hommes qui ont pu connaître le Créateur par la créature, se sont sentis repoussés par Dieu lui-même, car il résiste aux orgueilleux (4), et, précipités au fond de l'abîme, ils offrent dans leur propre personne le commentaire beaucoup plus éloquent que nous ne pourrions le faire nous-mêmes, des châtiments énoncés dans la suite de cette épître. D'ailleurs, je ne me suis pas proposé dans cet ouvrage l'explication de cette

 

1. Rom. I, 14-23. — 2. Gal. VI, 3. — 3. Ps. XXXV, 12, 10. — 4. Jacq. IV, 6.

 

157.

 

Epitre; si j'invoque son témoignage, c'est pour prouver aussi clairement que possible que le secours divin dont nous avons besoin pour pratiquer la justice ne consiste pas précisément dans les saints et excellents préceptes que Dieu nous a donnés, mais dans l'esprit de grâce qui vient relever notre volonté et lui prêter un secours sans lequel nous ne pouvons faire le bien. En dehors de ce puissant secours, la loi n'est plus qu'une lettre qui tue; car au lieu de justifier les pécheurs, elle ne fait qu'aggraver leur culpabilité. La connaissance que les Gentils avaient acquise du Créateur par le moyen des créatures, ne leur a nullement procuré le salut, « parce que, connaissant Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ils ne lui ont pas rendu grâces et se sont gratifiés du nom de sages ». De même vous pouvez connaître par la loi le chemin que vous avez à suivre, mais cette connaissance seule ne vous justifie pas, parce que « ceux qui s'efforcent d'établir leur propre justice, ne sont point soumis à la justice de Dieu (1) ».

 

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CHAPITRE XIII. LA LOI DES ŒUVRES ET LA LOI DE LA FOI.

 

21. Essayons donc, dans la mesure de nos forces, de préciser la différence qui existe entre la loi des oeuvres, laquelle n'empêche pas l'homme de se glorifier en lui-même, et la loi de la foi, qui nous oblige de tout reporter à Dieu. On va me dire peut-être que la loi des oeuvres se trouve dans le judaïsme et la loi de la foi dans le christianisme, parce que la circoncision et autres oeuvres semblables appartenaient à la loi, tandis qu'elles ont cessé sous le règne de la discipline chrétienne. Mais cette distinction est absolument erronée, comme il est facile de le démontrer et comme nous l'avons prouvé par des arguments qui étaient à la portée de tous et de vous en particulier. Toutefois, comme ce sujet est de la plus haute importance, je crois devoir corroborer ma démonstration par de nouveaux témoignages.

Il est certain que l'Apôtre parle de la loi quine justifie personne, et dont l'introduction dans le monde n'a eu d'autre résultat que de faire abonder le péché (2). Et pourtant, ne voulant pas qu'un ignorant, ou un sacrilège

 

1. Rom. X, 3. — 2. Id. V, 20.

 

arguât de ce fait pour condamner.la loi, il en prend la défense en ces termes : « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle un péché ? A Dieu ne plaise ! mais je n'ai connu le péché que par la loi ; car je n'aurais pas connu la convoitise, si la foi n 'avait pas dit : «. Vous ne convoiterez point. Mais le péché ayant pris occasion de s'irriter par le précepte, a produit en moi toutes sortes de mauvais désirs». Saint Paul dit également : « La loi est sainte, le précepte est saint, juste et bon; mais le péché, pour faire apparaître ce qu'il est, n'a donné la mort que par une chose qui était bonne (1) ». La lettre qui tue c'est celle qui dit : « Vous ne convoiterez pas ». C'est d'elle aussi que l'Apôtre disait, comme je l'ai rapporté plus haut : « La loi ne donne que là connaissance du péché. Maintenant, au contraire, sans la loi, la justice de Dieu a été manifestée, attestée par la loi et les Prophètes, et cette justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ est donnée à tous ceux qui croient; car il n'y a nulle distinction. Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ que Dieu a proposé pour être la victime de propitiation, par la foi en son sang, pour faire paraître sa justice, par la rémission des péchés passés. Ces péchés, il

les a soufferts avec patience pour faire paraître-en ce temps cette justice qui vient de lui, montrant tout ensemble qu'il est juste et qu'il justifie celui qui a la foi en Jésus-Christ ». Enfin arrive la question que nous traitons : « Où est donc le sujet de votre gloire ? Il est exclu. Et par quelle loi ? Est-ce par la loi des oeuvres ? Non, mais par la loi de la foi (2) ».

Comprenons-le donc, cette loi des faits, c'est celle qui dit : «Vous ne convoiterez pas », car c'est par elle que nous avons la connaissance du péché. D'un autre côté, je voudrais savoir si quelqu'un oserait me dire que la loi de la foi ne dit pas : « Vous ne convoiterez pas ». Car si elle ne le dit pas, pourquoi donc, placés comme nous le sommes sous son règne, ne péchons-nous pas en toute sécurité et avec une complète impunité ? N'est-ce pas là ce qu'affirmaient ces hommes que l'Apôtre stigmatisait en ces termes : « Et pourquoi ne ferons-nous pas le mal, afin qu'il en arrive

 

1. Rom. VII, 7-13. — 2. Id. III, 20, 27.

 

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du bien? car tel est le langage que quelques-uns nous prêtent par une calomnie qu'ils nous imposent, et ces personnes seront justement condamnées (1) ». Or, cette loi dit elle-même : « Vous ne convoiterez pas », comme l'attestent et le répètent sans cesse un si grand nombre de préceptes évangéliques et apostoliques ; pourquoi donc alors ne pas l'appeler la loi des œuvres ? D'un autre côté, parce qu'elle n'a pas les œuvres des anciens sacrements, la circoncision et autres semblables, il ne faut point en conclure qu'elle n'a point d'oeuvres à accomplir dans les sacrements de la nouvelle alliance, et à ce titre encore elle pourrait être appelée la loi des oeuvres. Et si vous prétendez qu'il était question des œuvres des sacrements quand on faisait mention de la loi pour prouver que c'est par elle que nous connaissons le péché, et que ce n'est pas d'elle que nous vient la justification, j'en conclurai que ce n'est point par cette loi des oeuvres quelle qu'elle soit, qu'a été exclue la glorification, ruais par la loi de la foi, de cette foi dont vit le juste. Mais enfin cette loi même de la foi ne nous donne-t-elle pas, elle aussi, la connaissance du péché, puisqu'elle nous crie à tous : « Vous ne convoiterez pas? »

22. Je formulerai donc en quelques mots la différence que nous cherchons. La voici La loi dès œuvres commande en menaçant, et !a loi de la foi obtient pour celui qui croit l'accomplissement de ce qu'elle commande. La première dit : « Vous ne convoiterez pas (2) », la seconde nous tient ce langage « Comme je savais que personne ne peut être continent si Dieu ne lui en fait la grâce, et comme c'est une preuve de sagesse de savoir de qui nous vient ce don, je me suis approché du Seigneur et je l'ai prié (3) ». C'est là cette sagesse que nous appelons la piété, et par laquelle nous honorons le Père des lumières, de qui nous vient tout don parfait et excellent (4). Ce sacrifice de louange et d'action de grâces est d'autant plus agréable à Dieu, que celui qui le rend se glorifie non pas en lui-même, mais dans le Seigneur (5).

Ainsi donc, en vertu de la loi des oeuvres Dieu nous dit : Faites ce que je vous commande ; et par la loi de la foi, nous disons à Dieu : Donnez-nous de faire ce que vous

 

1. Rom. III, 8. — 2. Exode, XX, 17. — 3. Sag. VIII, 21. — 4 Jacq. I, 17. — 5. II Cor. X, 17.

 

commandez. La loi ordonne afin d'avertir de ce que doit faire la foi, ou, en d'autres termes, afin d'apprendre à son sujet ce qu'il doit demander s'il ne peut immédiatement l'accomplir; et supposé qu'il le puisse et qu'en effet il l'accomplisse, il doit savoir de qui il tient cette possibilité. Ecoutons en effet cet ardent prédicateur de la grâce : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit de Dieu, afin que nous sachions ce qui nous a été donné par Dieu (1) ». Quel est donc l'esprit de ce monde, si ce n'est l'esprit d'orgueil? Cet esprit a rendu insensé et aveugle le coeur de ceux qui, connaissant Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu en lui rendant grâces. C'est encore ce même esprit qui trompe ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant constituer leur propre justice, ne se sont pas soumis à la justice de Dieu.

Celui-là donc me semble le fils de la foi, qui sait de qui espérer ce qu'il n'a pas encore, bien plutôt que celui qui s'attribue à lui-même ce qu'il croit posséder; ce qui n'empêche pas que l'état que nous devons préférer c'est l'état de celui qui possède et qui sait par la munificence de qui il possède,pourvu toute. fois qu'il ne s'attribue point une perfection qui n'est pas de ce monde ; car autrement il imiterait ce pharisien qui, tout en rendant grâces à Dieu de ce qu'il avait, ne demandait plus rien pour lui-même, comme s'il n'avait eu besoin de rien pour accroître et perfectionner sa justice (2). Après ces considérations, proportionnées aux forces qu'il a plu à Dieu de nous départir, nous sommes en droit de conclure que l'homme est justifié, non point par les préceptes d'une vie sage, mais par la foi de Jésus-Christ, c'est-à-dire non point par la loi des oeuvres, ruais par la loi de la foi; non point par la lettre, mais par l'esprit; non point par le mérite de ses actions, ruais par la grâce gratuite.

 

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CHAPITRE XIV. LE DÉCALOGUE TUE ÉGALEMENT QUAND LA GRACE FAIT DÉFAUT.

 

23. S'adressant à ceux qui étaient soumis à la circoncision, l'Apôtre les blâme et les corrige jusqu'à leur faire clairement entendre que sous le nom de la loi il comprend la circoncision elle-même et les autres observances

 

1. I Cor. II, 14. — 2. Luc, XVIII, 11, 12.

 

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légales que les chrétiens repoussent comme n'étant que les ombres de ce qui devait arriver, et préférant la réalité à la figure. Il va plus loin encore, car, non content de constater l'impuissance justificatrice de la loi et de ces sacrements antiques qui n'étaient que des figures, il déclare que la justification ne repose pas davantage sur les oeuvres qui constituent toutefois extérieurement une vie irréprochable, puisqu'on y trouve l'accomplissement de ce mot : « Vous ne convoiterez pas ». Mais pour mieux juger encore de ce que nous avançons, voyons le Décalogue lui-même. Cette loi, écrite par le doigt de Dieu sur des tables de pierre, fut donnée à Moïse au sein des foudres du Sinaï, avec ordre de la promulguer à son peuple. Elle est renfermée (1) dans dix préceptes qui ne parlent nullement de la circoncision ni des victimes animales dont le sang n'a jamais été versé par les chrétiens. De ces dix préceptes si vous exceptez l'observation du sabbat, dites-moi ce qu'il faut en retrancher à l'égard des chrétiens? Est-ce la défense qui est faite d'adorer les idoles ou toute autre fausse divinité, à l'exclusion du vrai Dieu? Est-ce la défense de prendre en vain le nom du Seigneur? L'obligation d'honorer ses parents, d'éviter la fornication, l'homicide, le vol, le faux témoignage, l'adultère, le désir de s'approprier le bien d'autrui? Auquel de ces préceptes prétendez-vous qu'un chrétien n'est pas soumis? Ou bien direz-vous que, dans cette lettre qui tue, l'Apôtre ne se proposait nullement de ranger cette loi des deux tables, mais seulement la loi de la circoncision et des autres sacrements abolis par la nouvelle alliance ? Mais vous ne le pouvez pas, puisque c'est dans cette loi que nous lisons: «Vous ne convoiterez pas », « précepte » qui sans doute «est saint, juste est bon n et, cependant, n'est-ce pas par lui « que le péché m'a trompé, « et par lui qu'il m'a tué ? » Et, en effet, n'est-ce pas là le sens de ces mots : « La lettre tue ? »

24. Le passage de l’Epitre aux Corinthiens, dans lequel nous lisons : « La lettre tue, mais l'esprit vivifie », prouve jusqu'à la dernière évidence que l'Apôtre entendait parler du Décalogue lui-même. Ecoutons plutôt: «Vous faites voir que vous êtes la lettre de Jésus-Christ, dont nous avons été les secrétaires,

 

1. Exode, XXXI, 18; Deut. II, 10 ; Exode, XX.

 

et qui est écrite, non avec de l'encre, mais a avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des. tables de chair, qui sont vos coeurs. Or, c'est par Jésus-Christ que nous avons une si grande confiance en Dieu. Car nous ne sommes pas capables de former de nous-mêmes aucune bonne pensée, comme de nous-mêmes, mais c'est Dieu qui nous en rend capables. Et c'est lui aussi qui nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle alliance, non par la lettre, mais par l'esprit; car la lettre tue, mais l'esprit vivifie. Que si le ministère de la lettre gravée sur des pierres, qui était un ministère de mort, a été accompagné d'une telle gloire que les enfants d'Israël ne pouvaient regarder le visage de Moïse à cause de la gloire dont il éclatait, laquelle devait néanmoins finir; combien le ministère de l'esprit doit-il être plus glorieux ! Car si le ministère de la condamnation a été accompagné de gloire, le ministère de la justice en aura incomparablement davantage (1) ».

Ces paroles nous fourniraient matière à de nombreuses considérations, mais peut-être que plus tard elles reviendront plus à propos. Pour le moment, il nous suffit de remarquer de quelle lettre parle l'Apôtre quand il dit qu'elle tue, et lui oppose l'esprit qui vivifie. Tel est assurément ce ministère de la lettre gravée sur des pierres, ministère de mort et de condamnation, parce que la loi est entrée, afin que le péché surabondât. D'un autre côté, ces mêmes préceptes sont tellement utiles et salutaires à celui qui les observe, qu'il est impossible d'avoir la vie si on ne les observe pas. Dira-t-on que c'est à cause du seul précepte relatif au sabbat, que le, Décalogue a été appelé une lettre qui tue, parce que celui, qui l'observe aujourd'hui selon la lettre, fait preuve d'une sagesse purement charnelle ; or la sagesse selon la chair, c'est la mort (2) tandis que les neuf autres préceptes, observés selon la rigueur du texte, appartiendraient non pas à la loi des oeuvres selon laquelle on n'est pas justifié, mais à la loi de la foi, de laquelle vit le juste ? Où donc plaçons-nous ces mots: « La loi opère la colère ; car là où il n'y a pas de loi, il n'y a pas de prévarication (3); Le péché a régné dans le monde jusqu'à la loi ; mais le péché n'était

 

1. II Cor. III, 29. — 2. Rom. VIII, 6. — 3. Id. IV, 15.

 

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pas imputé comme tel, lorsque la loi n'existait pas (1) ; C'est par la loi que nous avons la connaissance du péché (2); J'aurais ignoré la concupiscence, si la loi n'avait pas dit : Vous ne convoiterez pas ? »

25. Etudiez attentivement ces différents passages et voyez si c'est uniquement à cause de la circoncision, du sabbat, onde toute autre observance figurative, et non pas de la loi tout entière, que l'Apôtre a dit que la loi, tout en défendant le péché, ne vivifie pas l'homme, mais plutôt le tue, en augmentant la concupiscence, et en aggravant l'iniquité par la prévarication, jusqu'à ce qu'il nous soit donné de nous délivrer par la grâce,: c'est-à-dire par la loi de la foi qui est en Jésus-Christ, lorsque la charité est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3). L'Apôtre avait dit: « Afin que nous servions dans la nouveauté de l'esprit et non pas dans la vétusté de la lettre ». Il ajoute aussitôt: « Que dirons-nous donc? la loi est-elle péché ? Dieu nous garde d'une telle pensée ! mais je n'ai connu le péché que par la loi, car je n'aurais point connu la concupiscence, si la loi n'avait dit: Vous ne convoiterez pas. Mais le péché, ayant pris occasion de s'irriter par les préceptes, produit en moi toute sorte de mauvais désirs ; car sans la loi le péché était mort. Et moi je vivais autrefois lorsque je n'avais point de loi ; mais le commandement étant survenu, le péché est ressuscité, et moi je suis mort, et il s'est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie, a servi à me donner la mort. Car le péché ayant pris occasion du commandement, s'étant irrité davantage, m'a trompé et m'a tué par le commandement même. Ainsi la loi est véritablement sainte, et le commandement est saint, juste et bon. Ce qui était bon en soi m'a-t-il donc causé la mort ? Nullement ; mais c'est le péché qui, m'ayant donné la mort par une chose qui était bonne, a fait paraître ce qu'il était, de sorte que le péché est devenu par ces mêmes préceptes une source plus abondante du péché. Car nous savons que la loi est spirituelle ; mais pour moi je suis charnel , vendu pour être assujetti au péché. Car je n'approuve pas ce que je fais, parce que je ne fais pas le bien que je veux,

 

1. Rom. V, 13. — 2. Id. III, 20. — 3. Id. V, 5.

 

mais je fais le mal que je hais. Si je fais ce que je ne veux pas; j'aime la loi, et je reconnais qu'elle est bonne. Et ainsi ce n'est plus moi qui fais ce mal, mais c'est le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien ne se trouve pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair, parce que je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir. Car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je lie veux pas. Or si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi. Lors donc que je veux faire le bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi. Car je me plais dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur, mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans les membres de mon corps. Malheureux comme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort? Ce sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Et ainsi je suis moi-même soumis à la loi de Dieu selon l'esprit, et assujetti à la loi du péché selon la chair ».

26. Il suit de là que si la nouveauté de l'esprit fait défaut, l'ancienneté de la lettre, au lieu de nous délivrer du péché, nous rend plutôt coupables par la connaissance du péché. C'est pourquoi le sage s'écrie : « Celui qui apporte la science apporte aussi la douleur (1) » ; non pas sans doute que la loi elle-même soit un mal, mais parce que; malgré sa bonté intrinsèque, la lettre se contente de nous montrer le bien et ne nous donne pas la force de l'accomplir. Et si nous accomplissons ce précepte uniquement à cause du châtiment et nullement par amour de la justice, notre obéissance est purement servile et dès lors moralement nulle. Peut-on regarder comme bon un fruit qui ne sort pas de la racine de la charité ? Supposez au contraire la présence de cette foi qui opère par la charité (2), nous commençons à nous réjouir dans la loi de Dieu- selon l'homme intérieur, et cette délectation est un don, non pas de la lettre, mais de l'esprit. Malgré cela, cependant, je ressentirai encore dans nies membres cette autre loi qui répugne à la loi de mon esprit,

 

1. Eccli. I, 18. — 2. Gal. V, 6.

 

jusqu'à ce que la nouveauté, se développant de jour en jour dans l'homme intérieur, absorbe et détruise cette ancienneté tout entière sous l'action de cette grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, laquelle nous délivre seule de ce corps de mort.

 

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CHAPITRE XV. LA GRÂCE CACHÉE DANS L'ANCIEN TESTAMENT, SE RÉVÈLE DANS LE NOUVEAU.

 

27. Cette grâce restait voilée dans l'Ancien Testament, mais elle a été révélée dans l'Evangile de Jésus-Christ, quand furent arrivés les temps prévus par Dieu pour la dispensation de ses faveurs. Ce voile mystérieux couvrait en particulier, dans le Décalogue du Sinaï, le précepte figuratif qui concernait le Sabbat. Or, le Sabbat est le jour de la sanctification ; et ce n'est pas en vain que parmi les oeuvres divines retentit le cri de sanctification, des que Dieu eut cessé de créer (1) ; mais ce n'est pas ici le lieu de traiter cette question. Toutefois, me permettant une observation relative à la question présente, je dis que c'est par la plus profonde sagesse, que, ce jour-là, le peuple a reçu l'ordre de suspendre les oeuvres serviles, dans lesquelles on peut voir l'image du péché ; car ne plus pécher est de l'essence de la sanctification, c'est-à-dire de l'action que la grâce de Dieu opère en nous, par le Saint-Esprit. De tous les préceptes gravés sur les deux tables de pierre, le précepte du Sabbat, chez les Juifs, était le seul qui portât à ce point le caractère prophétique et figuratif ; car il annonçait que c'était alors le temps pour la grâce de rester cachée, jusqu'à ce qu'elle se révélât dans le Nouveau Testament par la passion de Jésus-Christ, pendant laquelle le voile du temple devait se déchirer (2). « Lorsque », dit-il, « vous serez arrivés à Jésus-Christ, le voile disparaîtra ».

 

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CHAPITRE XVI. POURQUOI LE SAINT-ESPRIT EST APPELÉ LE DOIGT DE DIEU.

 

28. « Le Seigneur est Esprit, et partout où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté (3) ». Or, cet Esprit de Dieu, dont la présence en nous nous justifie, nous inspire la haine du péché et nous donne la liberté spirituelle; car,

 

1. Gen. II, 3. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3. II Cor. III, 16, 17.

 

hors de lui, nous subissons l'amour du péché et une véritable servitude contre les œuvres de laquelle nous devons protester; cet Esprit, dis-je, par lequel la charité, qui est la plénitude de la loi, est répandue dans nos coeurs, est aussi appelé dans l'Evangile le doigt de Dieu (1). Ainsi donc, les tables de la loi ont été écrites par le doigt de Dieu, et le doigt, de Dieu, c'est l'Esprit de Dieu, par lequel nous sommes sanctifiés, afin que, vivant de la foi, nous fassions le bien par la charité. Comment donc ne pas être frappé de cette analogie et de cette différence ? Depuis la célébration de la Pâque ou l'immolation de l'agneau figuratif, prescrite par Moise (2) pour symboliser la passion future du Sauveur, nous comptons cinquante jours pour arriver au jour où Moïse reçut la loi écrite par le doigt de Dieu, sur les tables de pierre. De même, depuis l'immolation et la résurrection du Sauveur, qui a été conduit comme un agneau au sacrifice (3), cinquante jours se passèrent après lesquels les fidèles rassemblés furent remplis de ce doigt de Dieu, c'est-à-dire du Saint-Esprit (4).

 

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CHAPITRE XVII. COMPARAISON DE LA LOI MOSAÏQUE ET DE LA LOI NOUVELLE.

 

29. En rapprochant ces deux époques, nous remarquons une profonde différence. Au pied du Sinaï, le peuple, saisi de frayeur; n'osait approcher du lieu où le Seigneur donnait sa loi (5) ; tandis qu'au Cénacle, le Saint-Esprit est descendu sur ceux qui se tenaient assemblés en attendant l'accomplissement de la promesse. Là, le doigt de Dieu a travaillé sur des tables de pierre; ici, dans le coeur des hommes. Là, le Seigneur donna sa loi extérieurement, afin d'effrayer les pécheurs; ici, il la donne intérieurement, pour leur propre justification. « Vous ne commettrez pas l'adultère, vous ne serez point homicide, vous ne convoiterez pas, et, s'il est d'autres préceptes écrits sur ces tables de pierre, ils se résument tous dans ce seul commandement: Vous aimerez votre prochain comme vous-même. La charité pour le prochain s'abstient de faire le mal. La plénitude de la loi, c'est la charité (6) ». Cette charité n'a pas été écrite sur des tables de pierre, mais « elle a

 

1. Luc, XI, 20. — 2. Exode, XII. — 3. Isaïe, LIII, 7. — 4. Act. II, 2,4. — 5. Exode, XIX. — 6.  Rom. XIII, 9, 10.

 

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été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1) ». Donc, la loi de Dieu, c'est la charité. « La prudence de la  chair ne lui est pas soumise, et cette soumission lui est impossible (2) ». Or, pour effrayer cette prudence de la chair, les oeuvres de la charité furent écrites sur des tables de pierre; c'était la loi des oeuvres, la lettre qui tue le prévaricateur. Mais lorsque la charité elle-même est répandue dans le coeur des croyants, c'est alors la loi de la foi et l'esprit vivifiant celui qui a la charité.

30. Voyez comme cette distinction s'accorde parfaitement avec ces paroles de l'Apôtre, que j'ai rapportées et discutées plus haut, sur un autre sujet. « Vous faites voir », dit-il, « que vous êtes la lettre de Jésus-Christ, dont nous avons été les secrétaires, et qui est écrite, non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant; non sur des tables de pierre, mais sur dès tables de chair, qui sont vos coeurs ». N'est-ce pas nous dire clairement que la loi des oeuvres est écrite hors de l'homme, afin de l'effrayer extérieurement, tandis que la loi de la foi est écrite dans l'homme lui-même, afin de le justifier intérieurement? Quant à ces tables charnelles du coeur, il entend par là, non point la prudence charnelle, mais ce qu'il y a de vivant et de sensible dans l'homme, en comparaison de la pierre, qui n'est douée d'aucune sensibilité. Un peu plus loin, l'Apôtre remarque que les enfants d'Israël ne pouvaient regarder le visage de Moïse, et voilà pourquoi il leur parlait comme à travers un voile ; cela veut dire que la lettre de la loi ne justifie personne et qu'il y avait comme un voile posé sur la lecture de l'Ancien Testament, jusqu'à ce que le Christ vînt et déchirât ce voile, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'homme fût arrivé à la grâce et comprît parfaitement que c'est de lui que nous vient la justification qui nous aide à accomplir ce qui nous est commandé. D'ailleurs, si Dieu nous commande, n'est-ce point afin que, comprenant notre faiblesse et notre impuissance, nous cherchions en lui notre refuge et notre appui? L'Apôtre venait de dire : « Nous avons toute notre confiance en Dieu par Jésus-Christ »; mais afin que nous ne soyons pas tentés d'attribuer cette disposition à nos propres forces, il ajoute aussitôt ce développement à sa pensée : « Non pas que nous

 

1. Rom. V, 5. — 2. Id. VIII, 7.

 

soyons capables d'avoir une pensée comme venant de nous-mêmes; car nous n'avons de pouvoir que celui qui nous vient de Dieu, qui nous a établis les ministres du Nouveau  Testament, non pas de la lettre, mais de l'esprit. Car la lettre tue, mais l'esprit vivifie ».

 

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CHAPITRE XVIII. LA LOI ANCIENNE ENGENDRE LA MORT, ET LA LOI NOUVELLE, LA JUSTICE.

 

31. « La loi », dit l'Apôtre, « a été établie pour faire connaître la prévarication (1) »; voilà pourquoi cette lettre écrite hors de l'homme, il l'appelle le ministère de la mort et de la condamnation ; car nous accomplissons la justice par le don de l'Esprit, et par là nous sommes délivrés de la condamnation que nous avions encourue par la prévarication. La lettre disparaît donc, mais l'esprit demeure; car la lettre, ce pédagogue redoutable, disparaîtra lorsque la charité aura succédé à la crainte. En effet, « là où est l'Esprit du Seigneur, là se trouve la liberté ». D'un autre côté, nous devons cet heureux état, non point à nos propres mérites, mais à la miséricorde divine; de là cette parole: « C'est pour. quoi, ayant reçu un tel ministère, selon la miséricorde qui nous a été faite, nous ne perdons point courage. Mais nous rejetons loin de nous les passions qui se cachent comme étant honteuses, ne nous conduisant point avec artifice, et n'altérant point la parole de Dieu par la ruse et la fraude ». Sous ces noms d'artifice et de ruse, l'Apôtre désigne l'hypocrisie qui pousse les orgueilleux à vouloir passer pour justes. Pour faire mieux encore ressortir le caractère de la grâce, l'Apôtre s'empare de cette pensée du Psalmiste: « Bienheureux », dit-il, « celui à qui Dieu n'a point imputé le péché, et dont les lèvres ne connaissent ni la ruse, ni l'artifice (2) ».

Tel est le sentiment qui anime les saints, à qui l'humilité ne permet pas de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas. Un peu plus loin, l'Apôtre ajoute: « Car nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais nous prêchons Jésus Christ, Notre-Seigneur, et nous nous regardons comme vos serviteurs par Jésus-Christ, parce que le même Dieu qui a commandé que la lumière sortît des ténèbres, a fait luire sa clarté dans nos coeurs, afin que nous

 

1. Gal. III, 19. — 2. Rom. IV, 8 ; Ps. XXXI, 2.

 

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puissions éclairer les autres et leur donner connaissance de la gloire de Dieu, selon qu'elle paraît en Jésus-Christ ». Telle est donc la science de la gloire de Dieu, par laquelle nous savons qu'il est la lumière, et que c'est par cette lumière qu'il dissipe nos ténèbres.Il insiste sur cette pensée en disant: «Nous portons ce trésor dans des vases de terre ; afin que l'on reconnaisse que la grandeur de la puissance qui est en nous est de Dieu, et non pas de nous ». Plus loin encore, et toujours pour exalter la grâce que nous trouvons en abondance dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il arrive à parler du vêtement de la justice de la foi, dont nous devons être trouvés couverts pour ne pas rester nus; car tant que nous sommes dans ce corps, nous gémissons sous sa pesanteur, appelant de nos voeux l'heureux jour où nous serons revêtus du vêtement qui nous vient du ciel, afin que ce qu'il y a de mortel en nous soit absorbé par la vie. C'est alors qu'il s'écrie : « C'est Dieu même qui nous a formés pour cet état et qui nous a donné pour gage son Esprit ». Enfin, il ajoute : «Afin qu'en lui nous devenions justes de sa justice (1) ». Telle est donc cette justice de Dieu, non pas celle qui est essentielle à sa nature, mais celle dont il nous revêt et nous gratifie.

 

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CHAPITRE XIX. LA FOI CHRÉTIENNE NOUS VIENT PAR LE SECOURS DE LA ORACE.

 

32. Que nul chrétien ne s'écarte de cette foi , car seule elle est la véritable foi chrétienne. Dire que nous sommes justes par nous-mêmes, de telle sorte que la grâce de Dieu soit absolument étrangère à cette justification , personne ne l'oserait en face de la réprobation dont il serait couvert par les fidèles, par les véritables chrétiens. Il prendra un moyen détourné et dira que nous ne pouvons être justes sans l'action de la grâce de Dieu, puisque Dieu nous a donné la loi, puisqu'il a établi une doctrine, puisqu'il nous adonné de bons préceptes. Qu'il sache donc que tout cela, sans le secours de l'Esprit, n'est qu'une lettre qui tue, tandis que sous l'action vivifiante de l'Esprit de Dieu, cette même loi écrite au dehors et n'inspirant que la crainte, est intérieurement gravée dans le coeur et

 

1. II Cor. III, 5.

 

trouve dans l'amour son accomplissement assuré.

33. Cette vérité se trouve admirablement confirmée par cet oracle du Prophète: « Le temps viendra, dit le Seigneur, dans lequel je ferai un nouveau Testament avec la maison  d'Israël et la maison de Juda ; non selon l'alliance que je fis avec leurs pères au jour où je les pris par la main pour les faire sortir de l'Egypte, parce qu'ils ont violé cette alliance; c'est pourquoi je leur ai fait sentir mon pouvoir, dit le Seigneur. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur : j'imprimerai ma loi dans leurs entrailles et je l'écrirai dans leur coeur ; et je serai leur Dieu et eux ils seront mon peuple. Et nul d'eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand, dit le Seigneur ; car je leur ci pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés (1) ». Qu'avons-nous à ajouter à ces paroles? En parcourant les livres anciens nous ne trouverions nulle part, ou du moins que très-difficilement, un passage prophétique aussi formel, et où surtout le Nouveau Testament soit désigné par son propre nom; dans beaucoup d'endroits nous sont décrits le caractère et les fruits de ce Nouveau Testament, mais sans que son nom nous soit indiqué formellement. Ainsi donc, d'après le témoignage même de Dieu, considérez attentivement la différence qui existe entre les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau.

34. Le Prophète avait dit : « Non pas selon le Testament que j'ai fait avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les tirer de la terre d'Egypte ». Voyez ce qu'il ajoute : « Parce qu'ils n'ont pas persévéré dans mon Testament ». Il leur fait un crime de n'avoir pas persévéré dans le Testament de Dieu, et cela parce qu'il ne veut pas que l'on puisse inculper la loi qu'ils ont alors reçue. Cette loi, en effet, n'est-elle pas celle dont le Sauveur a dit qu'il n'était pas venu pour la détruire, mais pour l'accomplir (2) ? Et cependant ce n'est point par cette loi, mais par la grâce, que les pécheurs sont justifiés; car cette justification

 

1. Jérém. XXXI, 31-34. — 2. Matth. V, 17.

 

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est l'oeuvre de l'Esprit vivifiant, sans lequel la loi n'est plus qu'une lettre qui tue. « Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, on aurait pu dire que la justice s'obtenait par la loi ; mais l'Ecriture a renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient ». C'est par la vertu de cette promesse, c'est-à-dire par la vertu du bienfait de Dieu, que la loi elle-même est accomplie, autrement elle ne ferait que des prévaricateurs ; soit que la prévarication aille jusqu'aux oeuvres criminelles quand la flamme de la concupiscence brise et dépasse les barrières que la crainte pouvait opposer; soit qu'elle reste dans la volonté lorsque la crainte du châtiment est assez forte pour étouffer les attraits de la passion. « L'Ecriture », dit l'Apôtre, « a renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient ». Il ne pouvait mieux formuler l'utilité de sa conclusion. En effet, il conclut : « Avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi, qui nous tenait renfermés pour nous disposer à cette foi qui devait être révélée (1) ». Voilà donc pourquoi l'Ecriture nous avait renfermés sous le péché. Par conséquent la loi nous a été donnée afin que nous cherchions la grâce ; et la grâce nous a été donnée afin d'assurer l'accomplissement de la loi. D'un autre côté, si la loi n'était point accomplie, ce n'était point par un vice inhérent à sa propre constitution, mais par le vice de la prudence de la chair ; ce vice a été démontré par la loi, mais il n'a pu être guéri que par la grâce. « Car ce que la loi ne pouvait accomplir parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu l'a fait en envoyant son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle du péché ; et, victime pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi fût accomplie en nous, qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l'esprit (2) ». Telle est la pensée déjà formulée dans l'oracle prophétique cité plus haut : « Le temps viendra, dans lequel je ferai un Nouveau Testament avec la maison d'Israël ». Remarquez qu'il est dit: «Je ferai », ou mieux encore: « J'achèverai ». N'est-ce pas dire: j'accomplirai? « Non pas selon le Testament

 

1. Gal. III, 21, 3. — 2. Rom. VIII, 3, 4.

 

que j'ai fait avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Egypte ».

 

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CHAPITRE XX. LA LOI ANCIENNE. LA LOI NOUVELLE.

 

35. Ainsi donc le premier Testament n'est devenu l'Ancien que parce que nous en avons un Nouveau. Mais pourquoi l'un Ancien et l'autre Nouveau, quand la loi qui est accomplie dans le Nouveau Testament est bien celle qui disait dans l'Ancien: «Vous ne convoiterez pas (1) ? » « Car vos pères », dit le Seigneur, « n'ont pas persévéré dans mon Testament, et moi je leur ai fait sentir mon pouvoir ». Si donc le premier Testament est appelé Ancien, c'est. surtout à cause de la souillure de l'homme ancien, souillure qui n'était nullement guérie par la lettre prescriptive et menaçante ; et si le second est appelé le Testament nouveau, c'est à cause de la nouveauté de l'esprit qui guérit l'homme nouveau du vice de l'ancienneté. Enfin, remarquez ce qui suit et voyez de quel éclat resplendit cette vérité que les Pélagiens orgueilleux n'osent con. sidérer en face : « Voici », dit le Seigneur, « le Testament que je ferai avec la maison d'Israël ; quand ces jours seront venus, j'imprimerai ma loi dans leurs coeurs et je la graverai dans leurs esprits ». Telle est la pensée qui a inspiré ces paroles déjà citées de l'Apôtre : « Non pas sur des tables de pierre, mais sur les tables du coeur, non pas avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant ». Et si l'Apôtre nous parle d'une manière aussi explicite du Nouveau Testament, quand il dit: « Le Seigneur nous a rendus les dignes ministres du Nouveau Testament, non pas de la lettre, mais de l'esprit », c'est parce que déjà il avait en vue la prophétie quand il s'était écrié: « Non pas sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, les tables de leur coeur ». En effet, le Seigneur avait dit formellement : « J'imprimerai ma loi dans leurs coeurs » au moment même où il annonçait le Nouveau Testament.

 

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CHAPITRE XXI. LA LOI ÉCRITE DANS LES COEURS.

 

36. Que sont donc ces lois de Dieu, écrites

 

1. Exode, XX, 17.

 

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par Dieu lui-même dans les coeurs, si ce n'est la présence même du Saint-Esprit qui est le doigt de Dieu? Par le fait même de sa présence en nous, il répand la charité dans nos coeurs, et cette charité n'est autre chose que la plénitude de la loi et la fin du précepte. Dans le Testament Ancien, faisons d'abord la part des sacrements qui n'étaient que l'ombre des sacrements futurs, comme la circoncision, le sabbat, d'autres observances spéciales à tel jour, les cérémonies qui entouraient la manducation de certaines nourritures (1), les rites multipliés des sacrifices et des oblations, toutes choses appropriées à la vétusté et au joug servile de la loi charnelle. Il contient aussi les préceptes de la justice, les mêmes que nous sommes encore tenus d'observer aujourd'hui et qui sont contenus sans aucune figure dans les deux tables du Sinaï ; tels sont par exemple : « Vous ne commettrez ni l'adultère ni l'homicide, vous ne convoiterez pas, et s'il est quelque autre commandement, vous le trouverez résumé dans  celui-ci : Vous aimerez votre prochain comme vous-même (2) ». Enfin ce même Testament abonde en promesses terrestres et temporelles, annonçant les biens de cette chair corruptible et sous la forme desquels nous trouvons la figure des biens éternels et célestes, les seuls dont s'occupe directement le Nouveau Testament. Maintenant, en effet, ce qui nous est promis c'est le bien du coeur, le bien de l'esprit, le bien de l'âme, c'est-à-dire le bien spirituel; et tel est le sens de ces paroles : « Je graverai mes lois dans deux esprit, et je les imprimerai dans leur coeur ». C'était prédire assez clairement qu'ils n'auraient plus à craindre une loi terrifiant extérieurement par des menaces, mais qu'ils aimeraient la justice même de la loi habitant dans leur coeur.

 

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CHAPITRE XXII. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE.

 

37. Vient ensuite la récompense : « Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ». Le Psalmiste parlait à Dieu dans le même sens : « Il est bon pour moi d'adhérer à Dieu (3) ». « Je serai leur Dieu » , s'écrie le Seigneur, « et ils seront mon peuple ». Qu'y a-t-il de mieux,

 

1. Liv. II des Rétract., ch. 37. — 2. Exode, XX, 14, 17. — 3. Ps. LXXII, 28.

 

qu'y a-t-il de plus heureux que de vivre pour Dieu, de vivre de Dieu en qui se trouve la source de la vie et dans la splendeur de qui nous voyons la lumière (1)? C'est de cette vie que le Seigneur disait : « La vie éternelle consiste pour eux à vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (2) », c'est-à-dire vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ, le seul vrai Dieu. Le Sauveur en avait fait la promesse à ses disciples en leur disant : « Celui qui m'aime observe mes commandements, et celui qui m'aime sera aimé par mon Père, et moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui (3) »; à savoir sous la forme de Dieu, dans laquelle il est semblable à sols Père, et non dans la forme d'esclave, dans laquelle il se montrera aux impies. Alors, en effet, se réalisera cette parole : « Que l'impie disparaisse, afin qu'il ne voie point la gloire du Seigneur (4) ». C'est ce qui aura lieu lorsque les méchants placés à gauche seront précipités dans les flammes éternelles, tandis que les justes iront goûter les joies de l'éternité (5). Or, cette vie éternelle, comme je l'ai rappelé, consiste précisément à connaître le seul vrai Dieu. De là ces paroles de saint Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu et nous n'avons pas encore l'idée de ce que nous serons. Nous savons que lorsque Dieu nous aura apparu, nous serons semblables à lui; car nous le verrons comme il est (6)». Cette ressemblance commence pourtant à se faire en nous lorsque l'homme se renouvelle intérieurement de jour en jour (7) sur le modèle de celui qui l'a créé (8).

 

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CHAPITRE XXIII. NOTRE RENOUVELLEMENT ACTUEL COMPARÉ A LA PERFECTION DE LA VIE FUTURE.

 

38. Mais pour arriver à cette éminente.perfection qui nous attend, que sommes-nous, ou que méritons-nous ici-bas? Pour rendre ces choses ineffables, l’Apôtre, cherchant des points de comparaison parmi les choses qui nous sont connues, nous appelle de petits enfants comparés à des hommes mûrs. « Lorsque j'étais petit enfant », dit-il, « je parlais comme un petit enfant, je jugeais comme

 

1. Ps. XXXV, 10. — 2. Jean, XVII, 3. — 3. Id. XIV, 21. — 4. Isaïe, XXVI, 10. — 5. Matth. XXV, 46. — 6. I Jean, III, 2. — 7. II Cor. IV, 16. — 8. Coloss. III, 10.

 

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un petit enfant, je pensais comme un petit enfant; maintenant que je suis devenu homme, j'ai dépouillé tout ce qui était du petit enfant ». Il nous dévoile immédiatement sa pensée : « Maintenant », dit-il, « nous voyons comme à travers un miroir et en énigme, mais alors nous verrons face à face; maintenant nous ne connaissons que par partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu (1) ».

 

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CHAPITRE XXIV. LA RÉCOMPENSE PROPRE AU NOUVEAU TESTAMENT PRÉDITE PAR LE PROPHÈTE.

 

39. Le Prophète dont nous étudions le témoignage n'omet pas d'énoncer que c'est dans la connaissance de Dieu que se trouve la récompense, la fin, la perfection de notre félicité, le résumé de la vie heureuse et éternelle. Après avoir dit: « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple », il ajoute aussitôt . « Et nul d'entre eux n'aura plus besoin d'en soigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand ». Nous sommes assurément aujourd'hui sous le règne du Nouveau Testament dont le Prophète nous a fait la promesse par les paroles que j'ai rapportées; pourquoi donc chacun dit-il encore à son prochain et à son frère : « Connaissez le Seigneur? » N'est-ce pas le dire, en effet, que de prêcher l'Evangile, et toute la prédication ne se résume-t-elle pas dans cette parole? Si l'Apôtre des Gentils se dit docteur, n'est-ce point parce qu'il voit se réaliser ceci, dont il parle. « Comment invoqueront-ils le Seigneur, s'ils ne croient point en lui? et comment croiront-ils en lui, s'ils n'en ont point entendu parler? et comment en entendront-ils parler, si personne ne leur prêche (1) ? » Maintenant donc que cette prédication se fait en tous lieux, comment peut-on affirmer que nous sommes sous le règne du Nouveau Testament dont le Prophète a dit : « Nul d'entre eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand? »

La réponse est facile; le Prophète nous parle ici de la récompense éternelle du Nouveau

 

1. I Cor. XIII, 11, 12. — 2. Rom. X, 14.

 

Testament, c'est-à-dire de la contemplation bienheureuse de Dieu que nous verrons face à face.

40. Quels sont donc ceux qu'il désigne par ces paroles : « Depuis le plus petit jusqu'au plus grand ? » Ne sont-ce pas tous ceux qui appartiennent spirituellement à la maison d'Israël et à la maison de Juda, c'est-à-dire à la famille d'Isaac et à la race d'Abraham? Ecoutons l'Apôtre rappelant la promesse faite à Abraham : « Il vous sera donné des descendants dans la personne d'Isaac, c'est-à-dire que ceux qui sont enfants selon la chair ne sont pas pour cela enfants de Dieu; ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés les enfants d'Abraham. Car voici les termes de cette promesse: Je viendrai en ce même temps, et Sara aura un fils. Ce n'est pas seulement Sara, c'est aussi Rebecca qui conçut en même temps deux enfants d'Isaac notre père. Car avant qu'ils fussent nés, et avant qu'ils eussent fait aucun bien et aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection; non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il fut dit à la mère : « L'aîné sera assujéti au plus jeune, selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaü (1) ». Telle est cette maison d'Israël ou cette maison de Juda, choisie en vue de Jésus-Christ qui est venu de la tribu de Juda. Si cette maison est devenue la maison des enfants de la promesse, ce n'est point grâce au mérite de leurs propres oeuvres, mais grâce au choix et au libre bienfait de Dieu.

En effet, Dieu promet ce dont il est lui. même l'auteur; ce qu'il promet ce n'est pas un autre qui l'accomplit; car alors ce ne serait plus promettre, mais prédire. De là ces mots : « Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle »; car autrement ce serait leur oeuvre propre et non celle de Dieu, et la récompense serait imputée non pas selon la grâce, mais selon le mérite (2), et dès lors la grâce ne serait plus la grâce, malgré la parole formelle de cet Apôtre qui s'est constitué l'ardent défenseur de la grâce, et qui a plus travaillé que les autres, non pas lui, mais la grâce de Dieu avec lui (3.) « Car » , dit Dieu, « tous me connaîtront». « Tous », c'est-à-dire la maison d'Israël et la maison de Juda. « Tous ceux qui descendent

 

1. Rom. IX, 7-13. — 2. Id. IV, 4. — 2. I Cor. XV, 9, 10.

 

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d'Israël ne sont pas pour cela de vrais Israélites » ; il n'y a que ceux à qui il est dit dans le psaume : « pour la réception du matin », c'est-à-dire pour la lumière nouvelle, pour la lumière du Nouveau Testament : « Que toute la race de Jacob glorifie le Seigneur, et qu'il soit craint par toute la postérité d'Israël (1) » . Il ne s'agit pas ici de toute la race prise dans son universalité absolue en tant qu'elle renferme tous ceux pour qui ont eu lieu les promesses et la vocation, mais en tant qu'elle renferme ceux qui ont été appelés selon le décret divin. Car « ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (2) » . « Ainsi, c'est par la foi, afin que nous le soyons par la grâce et que la promesse demeure ferme pour tous ses enfants, non-seulement pour ceux qui ont reçu la loi » laquelle est passée de l'Ancien Testament au Nouveau, « mais encore pour ceux qui suivent la foi d'Abraham qui est le père de nous tous, selon qu'il est écrit : Je vous ai établi père de beaucoup de nations (3) ». Ainsi donc tous ces hommes prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, connaîtront Dieu par la grâce du Nouveau Testament, depuis le plus petit jusqu'au plus grand.

41. De même donc que la loi des oeuvres, écrite sur les tables de pierre, et la récompense temporelle que reçut la maison charnelle d'Israël lorsqu'elle fut délivrée de l'Egypte, appartiennent à l'Ancien Testament; de même la loi de la foi, écrite dans les coeurs, et sa récompense qui n'est autre que la possession de Dieu, apanage de la maison spirituelle d'Israël délivrée de ce monde, appartiennent au Nouveau Testament. C'est alors que s'accomplira cette parole de l'Apôtre : « Les prophéties disparaîtront, les langues cesseront, la science s'évanouira » ; il parle de cette science des enfants, qui est la seule possible ici-bas et qui ne nous permet de connaître qu'en partie, en énigme et comme dans un miroir., Une telle science rendait nécessaire la prophétie, puisqu'au passé succède l'avenir. De là les langues, c'est-à-dire la multiplicité des signes; car la vérité ne nous apparaît que successivement, jusqu'à ce que la lumière éternelle la fasse resplendir à nos yeux dans toute sa réalité. « Lorsque nous serons dans l'état

 

1. Ps. XXI, I, 24. — 2. Rom. VIII, 28, 30. — 3. Id. IV, 16, 17.

 

parfait, tout ce qui est imparfait sera aboli (1)». C'est alors que celui qui nous a apparu une première fois dans la chair se révélera à ceux qui l'aiment, et ce sera la vie éternelle, afin que nous connaissions le seul vrai Dieu (2) ; nous lui serons semblables (3), parce que nous le connaîtrons comme nous sommes connus (4).

Alors « nul d'entre nous n'aura plus besoin d'enseigner son frère ou son prochain, en lui disant: Connaissez le Seigneur; car tous le connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand ». On peut donner à cette phrase de nombreuses significations. On peut y voir la différence qui sépare au ciel une étoile d'une autre étoile (5). Peu importe, d'ailleurs, que le Prophète se soit servi de la formule: «Depuis le plus petit jusqu'au plus grand », au lieu de dire : depuis le plus grand jusqu'au plus petit. De même il importe peu que par les plus petits nous entendions ceux qui se contentent de croire, tandis que les plus grands seraient capables de comprendre, autant du moins que cela nous est possible sur la terre, la lumière incorporelle et immuable. Peut-être aussi, par les plus petits l'Apôtre entendait-il ceux qui sont venus les derniers à la foi, tandis que les plus grands seraient les premiers convertis. Tous cependant posséderont en commun ce qui fait l'objet des promesses divines, la contemplation et la possession de Dieu; car, inspirés par les nobles élans de leur charité, les plus grands ont voulu nous procurer les biens par excellence et faire en quelque sorte de notre perfection le couronnement de leur propre perfection (6). A ce point de vue encore les premiers pourraient passer pour les plus petits, parce qu'on les a fait attendre moins longtemps; c'est ainsi que, dans la parabole évangélique la récompense du denier est accordée tout d'abord aux ouvriers venus les derniers à la vigne du père de famille (7). Du reste, on peut donner de ce passage une multitude d'autres interprétations qui m'échappent en ce moment et peuvent s'harmoniser avec la pensée de l'Apôtre.

 

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CHAPITRE XXV. DIFFÉRENCE ENTRE L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT

 

42. Quoi qu'il en soit, appliquez-vous à saisir

 

1. Cor. XIII, 8, 9. — 2. Jean, XVII, 3. — 3. Jean, III, 2. — 4. I Cor. XIII, 12. — 5. Id. XV, 41. — 6. Hébr. XI, 40. — 7. Matth. XX, 8-12.

 

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aussi parfaitement que possible le point que j'essaye de mettre en lumière. Dans la promesse que le Prophète nous fait du Nouveau Testament, nous ne retrouvons rien de ce qui, caractérisait l'Ancien Testament donné à Israël après sa sortie d'Egypte ; il garde le silence sur la substitution du Nouveau Sacrifice et des Nouveaux Sacrements aux anciens, quoique cette substitution dût avoir lieu et se soit réellement opérée, comme nous l'atteste la sainte Ecriture dans un grand nombre de passages. Il se contente d'affirmer que dans le Nouveau Testament Dieu gravera ses lois dans l'esprit des fidèles et les écrira dans leur coeur. De là ce mot de l'Apôtre : « Vous êtes la lettre de Jésus-Christ, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos coeurs (1) ». Quant à la récompense qui couronnera cette justification, il ne s'agit nullement de la terre dont furent chassés les Amorrhéens, les Chettéens et autres peuples désignés dans l'Ecriture (2); cette récompense, c'est Dieu lui-même à qui il nous est bon d'adhérer de telle sorte que ce Dieu qu'on aime est lui-même le bien après lequel on aspire. Entre ce Dieu et les hommes nulle séparation n'est possible , excepté par le péché, et le péché n'est effacé que par la grâce de Dieu.

Voilà pourquoi ces premières paroles du Prophète : « Tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand », sont aussitôt suivies.de celles-ci : « parce que je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés». Ainsi donc par la loi des oeuvres le Seigneur nous dit : « Vous ne convoiterez pas (3) », et par la loi de la foi, ce même Seigneur s'écrie : « Sans moi vous ne pouvez rien faire (4) »; et dans ces paroles il s'agissait des bonnes oeuvres, c'est-à-dire des fruits que doivent porter les rameaux entés sur la véritable souche. Telle est donc la différence évidente qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'Ancien la loi était, gravée sur des tables de pierre; dans le Nouveau, elle est écrite dans les coeurs ; de cette manière ce qui effrayait au dehors produit maintenant la joie intérieure; ce qui rendait l'homme prévaricateur par la

 

1. II Cor. III, 3. — 2. Josué, XII. — 3. Ps. LXXII, 28. — 4. Exode, XX, 17. — 5. Jean, XV, 5.

 

lettre qui tue, maintenant engendre l'amour par l'esprit vivifiant. Par conséquent, lorsque nous disons que Dieu nous aide à accomplir toute justice et opère en nous le vouloir et l'action selon son bon plaisir (1), ce n'est point parce qu'il fait retentir à nos sens extérieurs les préceptes de la justice, mais parce qu'il donne l'accroissement intérieur (2) en répandant la charité dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous a été donné (3).

 

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CHAPITRE XXVI. DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LES NATIONS ACCOMPLISSENT NATURELLEMENT LA LOI ÉCRITE DANS LEURS COEURS.

 

43. L'Apôtre écrivait aux Romains : « Car lorsque les Gentils qui n'ont point la loi font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi, et ils font voir que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leurs coeurs ». Ces paroles ont besoin d'être bien. comprises pour maintenir le caractère particulier du Nouveau Testament. En effet, nous avons vu que le Seigneur promettait d'y graver ses lois dans le coeur de son peuple, et voici que l'Apôtre déclare que les Gentils portent ces lois écrites naturellement dans leurs coeurs, de telle sorte que, n'ayant point la loi, ils font naturellement ce que la loi commande. En quoi donc dès lors les fidèles se distinguent-ils des Gentils ? Ces derniers ne l'emportent-ils pas sur l'ancien peuple quia reçu la loi sur des tables de pierre, et même sur le peuple nouveau, du moins quant à la priorité, puisque nous n'avons reçu que par le Nouveau Testament ce que ces païens tenaient de la nature ?

44. Mais la pensée de l'Apôtre est-elle d'affirmer que les nations ont réellement écrite dans leurs coeurs la loi propre au Nouveau Testament ? Cherchons à bien saisir la portée de son langage. Voici d'abord ce qu'il nous dit de l'Evangile : « Il est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, premièrement les Juifs, et ensuite les Gentils. Car la justice de Dieu y est révélée, la justice qui vient de la foi et se perfectionne dans la foi, selon qu'il est écrit : Le juste vit de la foi». L'Apôtre parle ensuite de ces impies dont l'orgueil a rendu inutile pour eux la

 

1. Philipp. II, 13. — 2. I Cor. III, 7. — 3. Rom, V, 5.

 

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connaissance même de Dieu, parce.qu'ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâce. De là il passe à ceux qui jugent et font ce qu'ils condamnent, c'est-à-dire aux Juifs qui se glorifiaient de la loi de Dieu. Cependant, pour ménager ces Juifs, il s'abstient de les nommer et s'écrie : « Colère et indignation, tribulation et angoisse sur tout homme qui fait le mal, sur le Juif d'abord et sur le Grec. Mais gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d'abord, et ensuite au Grec. Car Dieu ne fait point acception des personnes. Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché étant sous la loi seront jugés par la loi. Car ce ne sont point ceux qui écoutent la loi, qui seront justes devant Dieu ; mais ceux qui gardent la loi seront seuls justifiés ». C'est alors que saint Paul formule ces paroles dont nous cherchons à pénétrer le sens : « Car lorsque les Gentils qui n'ont point la loi font naturellement les choses que la loi commande », et la suite que j'ai citée plus haut.

D'un autre côté , sous le nom de Gentils l'Apôtre entend parler soit des païens en général; soit des Grecs qu'il nomme en plusieurs endroits; par exemple, quand il dit : « au Juif d'abord, et ensuite au Grec ». Or, si « l'Evangile est la vertu de Dieu pour le salut de tous ceux qui croient, du Juif d'abord et ensuite du Grec »; si « la colère et l'indignation, la tribulation et l'angoisse », sont le partage de tout homme qui fait le mal, du « Juif d'abord et ensuite du Grec » ; si « la gloire, l'honneur et la paix sont la récompense de tout homme qui fait le bien , du Juif d'abord et aussi du Grec (1) » ; si, enfin, ce Grec signifie tous les Gentils qui accomplissent naturellement ce que la loi commande et qui ont la loi écrite dans leurs coeurs, il est certain que ces Gentils, qui ont la loi écrite dans leurs coeurs, appartiennent à l'Evangile ; car cet Evangile est pour eux la vertu de Dieu pour le salut de ceux qui croient. Or, peut-on supposer que ce soit à des Gentils placés en dehors de la grâce de l'Evangile que l'Apôtre promette la gloire, l'honneur et la paix, s'ils font le bien? Puisque Dieu ne fait point acception des personnes, puisque la justification est accordée non

 

1. Rom. I, 16; II, 14,

 

pas à ceux qui se contentent d'écouter la loi, mais' à ceux qui l'accomplissent, on doit admettre que le salut par l'Evangile sera accordé à tout homme qui a la foi véritable, peu importe qu'il soit Juif, Grec ou Gentil. En effet, comme l'Apôtre le dit plus loin, « il n'y a aucune acception des personnes. Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce (1) ». Quoi donc ? le Grec qui accomplit la loi pourrait-il être justifié sans la grâce du Sauveur ?

45. Par ces paroles : « Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés », l'Apôtre ne se met nullement en contradiction avec lui-même. Cette contradiction existerait s'il affirmait qu'ils seront justifiés par leurs oeuvres et non point par la grâce; car ailleurs il proclame ouvertement que l'homme est justifié gratuitement par la foi sans les oeuvres de la loi (2) ; « gratuitement », c'est-à-dire que les oeuvres ne précèdent pas la justification. En effet nous lisons ailleurs : « Si c'est par la grâce, ce n'est donc point par les oeuvres , autrement la grâce n'est plus la grâce (3) ». Ces paroles : « Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés » doivent donc être entendues dans ce sens, à savoir : qu'il n'y a pour accomplir la loi que ceux qui sont justifiés, de telle sorte que ce n'est pas la justification qui vient s'ajouter aux oeuvres, mais c'est la justification qui précède les œuvres. Etre justifié, n'est-ce pas être rendu juste par celui qui justifie l'impie (4), c'est-à-dire le fait passer du péché à la justice ? Supposons que l'on dise : Les hommes seront délivrés, cela signifierait qu'à notre qualité d'hommes viendrait s'ajouter la délivrance. Mais , si l'on dit : Les hommes seront créés, cela ne peut plus signifier que ceux qui existaient déjà seront créés, on affirme uniquement que c'est par la création qu'ils sont devenus des hommes.

De même, si l'on disait : Ceux qui accomplissent la loi seront honorés, nous entendrions par là que l'honneur viendra s'ajouter dans leur personne à l'accomplissement de la loi. Mais quand on dit: « Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés », ces paroles ne signifient-elles pas que les justes seront justifiés ? car il n'y a que les justes pour accomplir la loi. C'est donc comme si fon disait : Les observateurs de la loi seront créés , c'est

 

1. Rom. II, 23, 24. — 2. Id. III, 28. — 3. Id. XI, 6. — 4. Id. IV, 5.

 

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à-dire qu'étant déjà des hommes ils seront rendus observateurs de la loi. De là les Juifs qui avaient reçu la loi devaient comprendre qu'ils avaient besoin de la grâce du souverain Justificateur , avant de pouvoir observer la loi. Ou bien encore ce mot : « Ils seront justifiés », pourrait signifier: Ils seront regardés comme justes, ils passeront pour justes ; c'est ainsi qu'il est dit de tel personnage de l'Evangile : « Pour lui, voulant se justifier (1) » , c'est-à-dire voulant se faire passer et regarder comme juste. Mais il n'en est plus ainsi quand :nous disons : Dieu sanctifie ses saints; ou bien : « Que votre nom soit sanctifié (2) ». Dans la première proposition nous affirmons que Dieu rend saints ceux qui ne l'étaient pas; tandis que, tout en reconnaissant que le nom de Dieu est essentiellement saint, nous demandons qu'il soit regardé comme tel par les hommes et entouré par eux d'une crainte salutaire.

46. Si donc, en disant des Gentils qu'ils font naturellement ce que prescrit la loi et qu'ils ont la loi écrite dans leurs coeurs, l'Apôtre entend parler de ceux qui croient en Jésus-Christ et qui viennent à la foi avant d'avoir reçu, comme les Juifs, la manifestation de la loi, nous n'avons plus à nous préoccuper de savoir quelle distinction nous pouvons établir entre les Gentils et ceux auxquels le Seigneur, par son Prophète, a promis le Nouveau Testament et dont il a dit qu'ils avaient la loi écrite dans leurs coeurs. En effet ces Gentils, se trouvant entés sur l'olivier , ne font plus qu'un avec cet olivier, c'est-à-dire avec le peuple de Dieu (3). Par conséquent il règne un parfait accord entre l'oracle prophétique et le témoignage de l'Apôtre; de telle sorte que l'on appartient au Nouveau Testament par cela même qu'on a la loi écrite, non pas sur des tables de pierre, mais dans son coeur; c'est-à-dire qu'on embrasse la justice de la loi dans toute la sincérité de son âme dès que la foi opère par la charité (4). « Car le seigneur justifie les nations par la foi »; c'est là aussi « ce que prévoyait l'Ecriture quand elle adressait à Abraham cette promesse prophétique : «Toutes les nations seront bénies dans votre  race ». En vertu de cette promesse l'olivier sauvage devait être enté sur l'olivier franc et les Gentils fidèles devaient devenir les enfants d'Abraham « par la race d'Abraham, qui est

 

1. Luc, X, 19. — 2. Matth. VI, 9. — 3. Rom. XI, 24. — 4. Gal. V, 6.

 

Jésus-Christ (1)». En effet, ne partageaient-ils pas la foi de celui qui, sans avoir reçu la loi sur des tables de pierre, et avant même de posséder la circoncision, « a cru à Dieu, et sa foi même lui a été imputée à justice (2) ? »

C'est dans le même sens que l'Apôtre a dit des Gentils «qu'ils ont l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs (3) », « non pas sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, c'est-à-dire dans leurs coeurs (4) ». Ainsi en est-il de la maison d'Israël, lorsque le prépuce leur est imputé à circoncision, parce qu'ils montrent la justice de la loi, non point par la mutilation de leur chair, mais par la charité de leur coeur. Car « si un homme incirconcis garde les ordonnances de la loi, n'est-il pas vrai que, tout incirconcis qu'il soit, il sera considéré comme circoncis (5) ? » Par conséquent, tous les vrais enfants d'Israël, de cette maison dans laquelle la ruse n'habite pas, deviennent participants du Nouveau Testament, parce que Dieu grave ses lois dans leur esprit et les imprime de son doigt dans leurs coeurs, par le Saint-Esprit ; et le Saint-Esprit, de son côté, répand dans ces coeurs la charité, qui est la plénitude de la loi (6).

 

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CHAPITRE XXVII. LA LOI ACCOMPLIE NATURELLEMENT, C'EST-A-DIRE SELON LA NATURE RÉPARÉE PAR LA GRACE.

 

47. Comment, dira-t-on, l'Apôtre a-t-il pu dire des Gentils qu'ils «accomplissent naturellement les prescriptions de la loi », et non point par l'esprit de Dieu, par la foi, par la grâce? En effet, l'esprit de grâce a pour résultat de renouveler en nous l'image divine, dans laquelle nous avons été constitués naturellement. De son côté, le vice est quelque chose de contraire à la nature, et il ne peut être guéri que par la grâce; de là cette parole du Psalmiste : « Ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous (7) ». Dans ce sens donc, les hommes accomplissent naturellement les prescriptions de la loi; car ceux qui ne les accomplissent pas font en quelque sorte violence à leur nature et se rendent les esclaves du vice. Le vice est l'agent pervers qui arrache la loi du coeur de l'homme; détruisez cet agent, guérissez ce vice, la loi reparaît et s'accomplit

 

1. Gal. III, 8, 16. — 2. Gen. XV, 6; Rom. IV, 3. — 3. Rom. II. 15. — 4.  II Cor. III, 3. — 5. Rom. II, 26. — 6. Id. XIII, 10. — 7. Ps. XL, 5.

 

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naturellement. Et quand je dis naturellement, je n'entends pas que la nature exclue la grâce, mais je veux parler de la nature réparée par la grâce. Car « le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) ». Et, dès lors, « puisqu'il n'y a en Dieu aucune acception de personnes, tous ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce ». C'est par cette grâce qu'est écrite dans l'homme intérieur renouvelé cette justice que le péché avait détruite ; elle reparaît donc en vertu de cette miséricorde infinie que Dieu a versée sur le genre humain, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. « Car nous n'avons qu'un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme (2) ».

48. Si donc les hommes qui accomplissent naturellement les préceptes de la loi ne doivent pas être rangés dans le nombre de ceux que la grâce de Jésus-Christ justifie, il ne reste plus qu'à les classer parmi les impies, parmi ceux qui ne rendent pas au vrai Dieu le culte véritable et légitime. Dans la vie de ces hommes, nous lisons, nous connaissons, nous entendons certains faits qui, loin de mériter aucun blâme, selon les principes de la justice, méritent au contraire des applaudissements et des éloges, pourvu toutefois qu'on les envisage en eux-mêmes et tels qu'ils se produisent. Car, s'il s'agit d'examiner la fin pour laquelle se font la plupart de ces actes, il sera bien difficile d'en rencontrer qui soient conformes à la justice et en méritent les éloges.

 

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CHAPITRE XXVIII. L'IMAGE DE DIEU N'EST PAS ENTIÉREMENT DÉTRUITE DANS LES INFIDÉLES.

 

Dans l'âme humaine, l'image de Dieu n'a pas été tellement détruite par la souillure des affections terrestres, qu'il n'en reste plus aucun trait, aucune ligne principale. D'où il suit que, malgré l'impiété à laquelle cette âme s'abandonne, elle a encore quelque notion et quelque amour de la loi. De là ces paroles : « Les Gentils qui n'ont pas la loi », c'est-à-dire la loi positive révélée par Dieu, et accomplissent naturellement les prescriptions de la loi ; ils sont ainsi à eux-mêmes

 

1. Rom. V, 12. — 2. I Tim. II, 5.

 

leur propre loi, et ils ont l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs ». Ce langage de l'Apôtre signifie évidemment que les caractères gravés dans l'âme humaine pas l'image de Dieu ne sont pas encore entièrement détruits. Mais tout cela laisse subsister tout entière la différence qui distingue le Nouveau Testament de l'Ancien, et que nous avons signalée en disant que par le Nouveau Testament, la loi de Dieu a été gravée dans le coeur des fidèles, tandis que, dans l'Ancien Testament, cette même loi n'était écrite que sur des tables de pierre. Il n'en est pas moins vrai de dire qu'il n'y a eu qu'un renouvellement de la loi; car cette loi, presque entièrement effacée par la vétusté, s'est trouvée rajeunie dans les âmes. De même que l'image de Dieu, plus ou moins altérée, mais non pas anéantie par l'impiété, se renouvelle, par le Nouveau Testament, dans l'âme de ceux qui croient; de même la loi de Dieu, plus ou moins oblitérée, mais non pas entièrement détruite par l'injustice, reparaît de nouveau, entièrement renouvelée par la grâce. Cette rénovation, qui n'est, à proprement parler, que la justification, ne pouvait être produite, dans les Juifs, par la loi écrite sur les tables de pierre; car cette loi n'enfantait que la prévarication.

En effet, quoique sous le joug du péché, les hommes étaient des hommes, et en vertu de sa propre nature, leur âme était restée raisonnable et par là même capable de juger et de faire ce qui est naturellement bon et honnête. Quant à la piété qui nous transporte dans une vie heureuse et éternelle, elle a pour règle une loi immaculée et ramenant les âmes à la vertu (1), c'est-à-dire les renouvelant à la lumière surnaturelle et réalisant en elles cette parole : « La lumière de notre visage a brillé à nos yeux (2)», C'est en se détournant de cette lumière, que les hommes ont mérité de tomber dans les ténèbres; mais quant à se renouveler, ils ne le peuvent que par la grâce chrétienne, c'est-à-dire par l'intercession du souverain Médiateur. « Car nous n'avons qu'un seul Dieu et un seul Médiateur entre les hommes et Dieu, Jésus-Christ, Dieu et homme, qui s'est fait victime pour nous racheter tous ». Si vous supposez étrangers à cette grâce ces Gentils dont nous parlons, et qui, dans le sens exposé précédemment, « accomplissent naturellement les

 

1. Ps. XVIII, 8. — 2. Ps. IV, 7.

 

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prescriptions de la loi », à quoi leur serviront « leurs vaines excuses, au jour où le «Seigneur jugera les secrets des hommes (1)?» Ils ne peuvent espérer qu'un certain adoucissement dans la rigueur de leurs peines.

De même que le juste n'est pas exclu de la vie éternelle pour certains péchés véniels qui sont inséparables de notre existence ici-bas ; de même l'impie ne trouvera nullement son salut éternel dans certaines bonnes actions que l'on rencontre dans la vie de tout homme, même des plus grands scélérats. D'un autre côté, dans le royaume de Dieu, la gloire d'un saint différera de la gloire d'un autre saint, comme une étoile diffère d'une autre étoile (2) ; de même, dans les flammes éternelles, le châtiment de Sodome sera moindre que celui d'une autre ville (3), et tels réprouvés seront doublement les fils de l'enfer en comparaison de tel autre (4); de même, enfin, tout nous force à admettre que des hommes, tout en partageant la même impiété, se rendent beaucoup plus coupables les uns que les autres.

49. Voulant réprimer l'orgueil des Juifs, l'Apôtre leur disait: « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ceux-là seuls seront justifiés, qui accomplissent la loi». Puis aussitôt il fait mention de ceux qui, « n'ayant pas la loi, accomplissent naturellement les prescriptions de la loi » . Or, si par ces paroles l'Apôtre désigne, non pas ceux qui appartiennent à la grâce du Médiateur, mais ceux qui, sans rendre au vrai Dieu un culte légitime, font encore quelques bonnes actions, malgré l'impiété de leur vie, quel résultat saint Paul pouvait-il espérer de ses paroles? Voulait-il uniquement prouver, comme il l'avait dit plus haut, « que Dieu ne fait aucune acception de personnes », ou bien, comme il le dira plus loin, « que le Seigneur est le Dieu, non pas seulement des Juifs, mais encore des Gentils (5)? » Mais dans ces hommes qui n'ont pas reçu la loi, pourrait-on trouver les œuvres naturelles de la loi, toutes petites qu'elles fussent, si l'image de Dieu n'avait laissé quelques traces dans leur âme ? Et cette image, lorsqu'il leur est donné de croire en Dieu, peut-elle être méprisée par celui qui ne fait point acception des personnes ?

Quelle que soit, d'ailleurs, l'opinion que

 

1. Rom. II, 14-16. — 2. I Cor. XV, 41. — 3. Luc,  XV, 12. — 4. Matth. XXIII, 15. — 5. Rom. III, 29.

 

l'on adopte, il est certain que, par l'organe même du Prophète, le Seigneur a promis sa grâce au Nouveau Testament; cette grâce doit avoir pour caractère principal d'écrire la loi de Dieu dans le coeur des hommes et de les amener à cette connaissance de Dieu, qui dispensera le fidèle « d'instruire son prochain ou son frère en lui disant : Connaissez le Seigneur, car tous le connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand ». C'est là le don du Saint-Esprit, par lequel la charité est répandue dans nos coeurs, non pas une charité quelle qu'elle soit, mais la charité de Dieu, procédant d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi véritable (1). Le juste qui vit de cette charité sur la terre, après n'avoir vu Dieu qu'à travers un voile et en énigme, le contemplera un jour face à face, et après n'avoir connu qu'en partie, il connaîtra parfaitement comme il est connu lui-même (2). Il a demandé une grâce au Seigneur, et il la lui demande encore, d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de sa vie, pour y contempler la beauté du Seigneur (3).

 

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CHAPITRE XXIX. LA JUSTICE EST UN DON DE DIEU.

 

50. Que personne ne se glorifie de ce qu'il possède comme s'il ne l'avait point reçu (4); et même, qu'il se garde bien de croire qu'il n'a reçu d'autre grâce que celle de lire ou d'entendre la lettre extérieure de la loi. En effet, « si la justice nous vient par la loi, c'est en vain que Jésus-Christ est mort (5) ». Or, si ce n'est pas en vain que Jésus-Christ est mort, qu'il est monté au ciel, qu'il a conduit notre captivité captive, et qu'il a départi ses dons aux hommes (6) , c'est de lui seul que nous tenons ce que nous possédons. Quiconque rejette cette conclusion, prouve, ou bien qu'il n'a rien, ou bien que ce qu'il possède lui sera enlevé (7). Car il n'y a qu'un seul Dieu qui justifie par la foi les circoncis, et qui, par la même foi, justifie les incirconcis (8). Dans ces deux cas, la justification s'opère donc absolument par le même moyen. Dans un autre passage, parlant des Gentils, c'est-à-dire des incirconcis; l'Apôtre disait: « L'Ecriture prévoyant que Dieu justifie les Gentils par la

 

1. I Tim. I, 5. — 2. I Cor, XIII, 12. — 3. Ps. XXVI, 7. — 4. I Cor. IV, 7. — 5. Gal. II, 21. — 6. Ps. LXVII, 19; Ephés. IV, 8. — 7. Luc, VIII, 18 ; XIX, 26. — 8. Rom. III, 30.

 

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foi (1) ». Parlant de la circoncision, à laquelle il appartenait, le même Apôtre s'exprimait en ces termes: « Nous sommes Juifs par notre a naissance, et non du nombre des Gentils, qui sont des pécheurs. Cependant, sachant que l'homme n'est point justifié par les oeuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ, nous avons nous-mêmes cru en Jésus-Christ (2)».

Ainsi donc, l'incirconcis est justifié par la foi,comme le circoncis, pourvu, toutefois, que le circoncis conserve la justice de la foi. C'est ainsi que « les Gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, cette justice qui vient de la foi », en la demandant à Dieu et en se gardant bien de se l'attribuer à eux-mêmes. «Israël, au contraire, cherchait la loi de la justice, mais il n'est point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi? Parce qu'il ne l'a point recherchée par la foi, mais par les œuvres de la loi (3)», c'est-à-dire que les Juifs pensaient se procurer par eux-mêmes cette justice, et refusaient de croire que c'est Dieu qui l'opère en nous. « Car c'est Dieu qui opère en nous, selon son gré, la volonté et l'action (4) ». C'est ainsi « qu'ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement (5) ». Si nous voulons saisir la pensée de l'Apôtre dans ces paroles : « Ils ont recherché la justice non point par la foi, mais par les œuvres de la loi », écoutons ces autres paroles dont l'évidence ne peut que nous frapper: « Ne connaissant pas la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu. Car Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (6)». Et nous feignons encore de ne pas connaître les œuvres de la loi, par lesquelles l'homme ne saurait être justifié s'il les regarde comme siennes, à l'exclusion de tout secours et de toute grâce de Dieu nous venant par la foi en Jésus-Christ ? Et ces oeuvres de la loi, nous soupçonnerions qu'elles désignent uniquement la circoncision et autres cérémonies du même genre, parce que nous trouvons quelquefois ces rites sacramentaux désignés sous ce nom? Pourtant il est clair que ce n'était pas sur la circoncision que les Juifs voulaient fonder leur propre justice , puisqu'elle n'avait été établie

 

1. Gal. III. 8. — 2. Id. II, 15, 16. — 3. Rom. IX, 30, 31. — 4. Philip. II, 13. — 5. Rom. IX, 34. — 6. Id. X, 3, 4.

 

que sur un ordre formel du Seigneur. Il ne peut davantage être ici question de ces oeuvres à l'occasion desquelles le Sauveur leur adressait ce reproche : « Vous rejetez le précepte de Dieu, afin d'établir vos propres traditions (1) ». L'Apôtre dit également : « Israël cherchait la loi de la justice, et il n'y est point parvenu » ; il ne dit pas qu'il cherchait ses traditions. La seule conclusion que l'on puisse tirer, c'est que les Juifs s'attribuaient exclusivement à eux-mêmes l'accomplissement de ce précepte : « Vous ne convoiterez pas », ainsi que de tous les autres préceptes également saints et salutaires. Ils ne voulaient pas reconnaître que l'homme ne peut accomplir ces préceptes qu'autant que Dieu opère en lui parla foi de Jésus-Christ, qui est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui. C'est-à-dire que par l'action du Saint-Esprit nous sommes incorporés à Jésus-Christ, nous devenons ses membres, et à l'aide de son secours intérieur, nous pouvons opérer la justice. C'est en parlant de ces oeuvres que le Sauveur a dit lui-même : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire (2) ».

51. L'Écriture nous propose une justice de la loi, en nous promettant que celui qui l'accomplira vivra en elle (3). Si donc l'homme, intimement persuadé de sa propre faiblesse et de l'impuissance où il est d'arriver à la justice par ses propres forces ou par la lettre de la loi, cherche dans la foi le moyen de se concilier le souverain Justificateur, alors seulement il arrivera à la justice, il en fera les oeuvres, il y vivra. En effet, il n'y a que celui qui est justifié qui puisse accomplir les oeuvres dans lesquelles on trouve la vie. Or la justification s'obtient par la foi, selon cette parole : « Ne dites point en votre coeur : Qui pourra monter au ciel ? c'est-à-dire pour en faire descendre Jésus-Christ. Ou qui pourra descendre au fond de la terre ? c'est-à-dire pour rappeler Jésus-Christ d'entre les morts. Mais que dit l'Écriture? La parole n'est point éloignée de vous; elle est dans votre bouche et dans votre coeur ; telle est la parole de la foi que nous vous prêchons. Parce que, si vous confessez de bouche que Jésus-Christ est le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvé (4) ». En proportion que

 

1. Matth. XV, 3; Marc, VII, 9. — 2. Jean, XV, 5. — 3. Lévit. XVIII, 5. — 4. Rom. X, 5, 9.

 

vous serez juste, dans la même proportion vous serez sauvé. Car par cette foi nous croyons que, nous aussi, Dieu nous ressuscitera d'entre les morts; en attendant, renouvelons-nous par l'esprit dans la nouveauté de la grâce et vivons dans la tempérance, la justice et la piété (1) ; plus tard, elle aussi, notre chair, ressuscitera pour l'immortalité; mais cette faveur, elle là devra à l'esprit qui, en participant à la justification, l'a précédée à sa manière dans la voie de la résurrection. « Car nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ par le baptême pour la mort, afin que de même que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, nous marchions nous aussi dans une vie nouvelle (2) » .

Ainsi donc c'est par la foi en Jésus-Christ que nous obtenons le salut, soit que nous l'envisagions tel qu'il est commencé en nous par la justification, soit que nous le considérions dans sa perfection vers laquelle nous tendons par l'espérance. « Car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé (3) » .

Qu'elle est grande, Seigneur, la douceur que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent, et dont vous avez comblé ceux qui espèrent en vous (4) ». Par la loi nous craignons le Seigneur, et par la foi nous mettons en lui notre espérance; quant à ceux qui ne craignent que le châtiment, la grâce est pour eux entièrement cachée. L'âme, en proie à cette crainte, et sentant son impuissance à vaincre la concupiscence mauvaise, sans pouvoir se délivrer de cette crainte dont elle sent partout la dure surveillance, doit se jeter par la foi dans les bras de la divine miséricorde, suppliant le Seigneur de lui donner ce qu'il ordonne, de lui faire goûter la suavité de la grâce par le Saint-Esprit et de lui faire trouver plus de plaisir dans ce qui lui est commandé, qu'elle n'en trouve dans ce qui l'empêche d'obéir. C'est ainsi que la multitude de sa douceur, c'est-à-dire la loi de la foi, ou encore la charité gravée et répandue dans nos coeurs ; c'est ainsi, dis-je, que cette charité va se perfectionnant en ceux qui espèrent dans le Seigneur ; et l'âme entièrement guérie se livre à l’accomplissement du bien, non plus par crainte du châtiment, mais par amour de la justice.

 

1. Tit. II, 12. — 2. Rom. VI, 4. —3. Joël, II, 32 ; Rom. X, 13. — 4. Ps. XXX, 20.

 

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CHAPITRE XXX. LA GRACE DÉTRUIT-ELLE LE LIBRE ARBITRE?

 

52. Le libre arbitre est-il donc anéanti par la grâce ? A Dieu ne plaise, car nous ne faisons au contraire que l'affermir d'une manière plus explicite. En effet, de même que par la foi nous établissons la loi; de même le libre arbitre, loin d'être détruit, est établi par la grâce. La loi, dans son accomplissement, suppose nécessairement le libre arbitre ; mais tandis que la loi ne nous donne que la connaissance du péché, par la foi nous obtenons la grâce contre le péché ; par la grâce notre âme est guérie du vice du péché; par la guérison de l'âme le libre arbitre arrive à une liberté parfaite ; par le libre arbitre nous parvenons à l'amour de la justice, et enfin par l'amour de la justice nous nous livrons à l'accomplissement de la loi. On comprend dès lors que la loi n'est point détruite, mais établie par la foi, parce que la foi nous obtient la grâce avec laquelle nous accomplissons la loi. De même le libre arbitre n'est point détruit, mais établi par la grâce, parce que la grâce guérit la volonté et que la volonté guérie se porte librement à l'amour de la justice.

Toutes ces conclusions que j'enchaîne ainsi les unes aux autres se trouvent clairement formulées dans les saintes Ecritures. La loi dit : « Vous ne convoiterez point (1) ». La foi dit: « Guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous (2) ». La grâce dit : « Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus, dans la crainte que vous ne retombiez dans un état pire encore (3) ». La guérison dit: « Seigneur mon Dieu, j'ai crié vers vous et vous m'avez guéri (4)». Le libre arbitre dit : « Je sacrifierai volontairement à votre gloire (5) ». L'amour de la justice dit : « Les pécheurs m'ont raconté leurs plaisirs; mais, Seigneur, que sont ces plaisirs en comparaison de ceux que procure votre loi (6)? » Pourquoi donc de malheureux mortels osent-ils se glorifier de leur libre arbitre, avant de se voir en pleine liberté; ou pourquoi se glorifient-ils de leurs propres forces, s'ils ne se sentent en liberté ? Ne comprennent-ils pas que le libre arbitre implique nécessairement l'idée de liberté ? Or « là où est l'esprit du Seigneur,

 

1. Exode, XX, 17. — 2. Ps. XL, 5. — 3. Jean, V, 14. — 4. Ps. XXIX, 3. — 5. Ps. LIII, 8. — 6. Ps. CXVIII, 85.

 

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se trouve la liberté (1) ». Si donc ils sont les esclaves du péché, comment osent-ils se glorifier de leur libre arbitre? « Nous sommes les esclaves de celui qui nous a vaincus (2) ». Et s'ils sont mis en liberté, pourquoi se glorifient-ils de leur oeuvre propre, comme s'ils lie l'avaient pas reçue ? Sont-ils libres jusqu'à se croire le pouvoir de rejeter l'autorité du Seigneur qui leur dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire (3) »; « Si le Fils nous a mis en liberté , vous serez véritablement libres (4)? »

 

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CHAPITRE XXXI. LA FOI EST-ELLE EN NOTRE POUVOIR ?

 

53. En parlant de cette foi qui paraît le premier principe d'où découlent toutes ces conclusions que je viens d'énumérer, on me demandera peut-être si elle est en notre pouvoir. La réponse à cette question nous sera des plus faciles, si nous voulons un peu nous rendre compte de ce qui constitue un pouvoir. Vouloir et pouvoir sont deux choses distinctes, car on peut vouloir sans pouvoir, de même qu'on peut pouvoir sans vouloir; nous voulons quelquefois ce que nous ne pouvons pas, et nous pouvons aussi quelquefois ce que nous ne voulons pas. Enfin la consonnance seule des mots nous indique assez clairement que volonté vient de vouloir et que puissance ou pouvoir vient de ce que l'on peut. De même donc que celui qui veut a la volonté, de même celui qui peut a le pouvoir. Mais, pour que le pouvoir se change en acte, il faut le concours de la volonté. Car on ne dit pas de quelqu'un qu'il à agi en vertu de sa puissance, s'il n'a agi que malgré lui. Sans doute, si l'on voulait faire des subtilités, on dirait qu'agir malgré soi c'est toujours agir par sa volonté, et qu'on agit malgré soi parce que l'on préférerait autre chose; voilà pourquoi l'on dit qu'alors on agit sans le vouloir. Si je fais ce que je voudrais éviter ou repousser, c'est que j'y suis forcé par quelque chose qui, en ce sens, est un mal. Car si ma volonté est assez forte pour préférer ne pas faire telle action que de subir tel inconvénient, je résiste à la coaction qui me presse et je n'agis pas. Par conséquent, si j'agis dans ce cas, ce n'est pas sans doute avec

 

1. II Cor. III,17. — 2. II Pierre, II, 19. — 3. Jean, XV, 5. — 4. Id. VIII, 36.

 

une pleine et libre volonté, mais cependant ce n'est pas sans volonté que j'agis ; et comme la volonté est suivie de son effet, on ne saurait dire que le pouvoir m'a manqué.

En effet, si, tout en cédant à la coaction, je voulais agir sans le pouvoir , on devrait dire que ce n'est pas proprement la volonté, mais que c'est le pouvoir qui m'a manqué. Mais si je n'agis pas, parce que je ne veux pas, ce qui me manque tout le temps que je résiste à la coaction et que je n'agis pas, ce n'est point le pouvoir, mais la volonté. De là ce langage tenu d'ordinaire par ceux qui usent de contrainte ou de persuasion : Ce que vous avez le pouvoir de faire, pourquoi ne le faites-vous pas, pour vous soustraire à ce mal? Et ceux qui n'ont pas le pouvoir d'agir, si vous les pressez parce vous leur croyez ce pouvoir, ne manqueront pas de vous répondre : Je ferais cette action si elle était en mon pouvoir. Pourquoi en demander davantage? n'affirmons-nous pas que le pouvoir n'existe dans toute sa perfection que quand la volonté vient s'ajouter à la faculté d'agir? Avoir quelque chose en son pouvoir, c'est être capable de le faire si l'on veut, et de ne pas le faire si l'on ne veut pas.

54. Cela posé; quelle est la réponse à cette question : La foi est-elle en notre pouvoir? Nous parlons de cette foi par laquelle nous croyons telle ou telle vérité, et non pas de la fidélité à accomplir les engagements que nous avons pris librement. Autre chose est de dire : Il n'a pas eu foi en moi; autre chose de dire : Il n'a pas été de bonne foi à mon égard. Dans le premier cas, je constate qu'il n'a pas cru à ma parole, et dans le second, qu'il n'a pas rempli ses engagements. La foi par laquelle nous croyons à la révélation divine nous met au nombre des fidèles; mais quant à la bonne foi dans l'exécution des promesses, nous pouvons dire que Dieu est fidèle à notre égard. L'Apôtre nous dit : « Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces (1) ». Lors donc que nous demandons de la foi si elle est en notre pouvoir, nous entendons parler de cette foi par laquelle nous croyons à la parole de Dieu. Ne lisons-nous pas : « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice? » « Lorsqu'un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée

 

1. I Cor. X.

 

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à justice (1) ». Voyez maintenant s'il peut se faire qu'un homme croie, tout en refusant de croire; ou qu'il ne croie pas, tout en ayant la volonté de croire. Ce serait une absurdité, direz-vous; en effet, croire c'est admettre comme vrai ce qui nous est proposé, et ce consentement est essentiellement un acte de la volonté. Donc la foi, sous ce rapport, est au pouvoir de l'homme. Mais, dit l'Apôtre : « Toute puissance vient de Dieu (2) », et dès lors qu'est-ce qui pourrait nous empêcher d'appliquer à cette puissance ces autres paroles de l'Apôtre: « Qu'avez-vous, que vous ne l'ayez reçu (3) ? » Si donc nous croyons, c'est Dieu seul qui nous en donne le pouvoir.

Or, nous ne lisons nulle part dans les saintes Ecritures : Toute volonté vient de Dieu, et comment cette proposition s'y trouverait-elle, puisqu'elle. est faussé? Autrement, et ce serait un crime de le penser, Dieu lui-même serait l'auteur des péchés; car la volonté mauvaise est déjà par elle-même un péché en dehors de l'acte extérieur devenu impossible. D'un autre côté, si la volonté mauvaise a le pouvoir d'accomplir ce qu'elle se propose, ce pouvoir lui vient également de Dieu, en qui l'on ne saurait supposer l'iniquité (4). Car c'est souvent ainsi qu'il punit, et si ce mode de punition est secret, il n'en est pas pour cela injuste. Du reste, le pécheur ignore lui-même qu'il soit puni, à moins qu'il ne se voie frappé d'un châtiment extérieur, qu'il subit malgré lui et qui est plus ou moins proportionné au mal qu'il a volontairement commis. Tel est le sens de ces paroles formulées par l'Apôtre à l'adresse de certains hommes : « Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur, en sorte qu'ils commettent des actions indignes (5) ». De là aussi ces paroles du Sauveur à Pilate : « Vous n'auriez sur moi aucune puissance, si elle ne vous avait été donnée par Dieu (6) ». Mais en donnant le pouvoir, Dieu n'impose nullement la nécessité. David avait reçu le pouvoir de tuer Saül, et cependant il aima mieux épargner que de frapper (7). Concluons donc que les méchants reçoivent le pouvoir pour la condamnation de leur volonté mauvaise, tandis que les bons le reçoivent pour éprouver leur bonne volonté.

 

1. Gen. XV, 6 ; Rom. IV, 3, 5. — 2. Rom. XIII, 1. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Rom. IX, 14. — 5. Id. I, 24. — 6. Jean, XIX, 11. — 7. I Rois, XXIV et XXVI.

 

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CHAPITRE XXXII. QUELLE FOI MÉRITE DES ÉLOGES.

55. La foi est donc en notre pouvoir, puisque chacun croit lorsqu'il le veut, et lorsqu'il croit c'est volontairement qu'il croit. Reste à savoir, ou plutôt à rappeler quelle est la foi à laquelle l'Apôtre adresse de si grands éloges. Il n'est pas bon, assurément, de croire toute chose indistinctement; car pourquoi l'Apôtre aurait-il dit : « Mes frères, gardez-vous de croire à tout esprit ; mais assurez-vous que cet esprit vient de Dieu (1)? » En louant la charité, saint Paul dit de cette vertu « qu'elle croit tout (2) »; mais ces paroles ne signifient nullement que l'homme ne puisse, sans blesser la charité, refuser de croire sur-le-champ ce qu'il entend raconter. Est-ce que cette même charité ne nous défend pas de croire si facilement au mal que l'on nous raconte de nos frères, et ne nous fait-elle pas un devoir de rejeter en principe ce qui peut blesser la réputation d'un frère? Enfin, cette même charité par laquelle on croit tout, ne croit pas elle-même à tout esprit; si elle croit tout, c'est tout ce qui lui vient de Dieu, car il n'est pas dit qu'elle croit à tous les hommes ou à tous ceux qui lui parlent. Il est donc évident que l'Apôtre ne loue que la foi à la parole divine.

56. Nous devons faire encore une autre distinction. Ceux qui sont sous la loi et qui s'efforcent de pratiquer la justice par crainte du châtiment, s'ils n'agissent que sous le coup de cette crainte, ils ne pratiquent pas la justice de Dieu; car cette justice n'est produite que par la charité à laquelle ne saurait plaire que ce qui est permis. Agir par crainte, c'est être forcé de rendre ses actions conformes à la loi, quoique la volonté désire réellement, si cela pouvait se faire, que ce qui lui est défendu lui devienne permis. Quoi qu'il en soit, je dis encore que ceux qui en sont là croient en Dieu ; car s'ils n'avaient absolu. ment aucune foi, ils ne craindraient même pas le châtiment de la loi. Toutefois, ce n'est point cette foi que l'Apôtre nous recommande quand il nous dit : « Vous n'avez point reçu l'esprit de servitude qui vous retienne encore dans la crainte; mais l'esprit d'adoption des enfants, par lequel nous crions Abba, Père (3) ». La crainte dont nous parlons,

 

1.  I Jean, IV, 1. — 2. I Cor. XIII, 7. — 3. Rom. VIII, 15.

 

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c'est la crainte servile; elle croit au Seigneur, mais elle n'aime pas la justice, et elle craint la damnation.

Quant aux enfants, ils crient : Abba, Père Abba, parole hébraïque, relative à la circoncision, c’est-à-dire aux Juifs; Père, parole, qui rappelle le prépuce, c'est-à-dire les Grecs, « car il n'y a qu'un seul Dieu qui justifie les circoncis par la foi, et qui par la même foi justifie également les incirconcis (1) ». Or, sur les lèvre des uns et des autres, ce cri est une prière, et que demandent-ils si ce n'est ce dont ils ont faim et soif? De quoi enfin ont-ils faim et soif, si ce n'est de ce que le Sauveur nous désigné par eus paroles : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (2)? » Que ceux donc qui sont sous là loi se soumettent à cette transformation,afin que d'esclaves ils deviennent des enfants ; non pas en ce sens qu'ils cessent d'être des serviteurs, car ce qu'on leur demande c'est de servir libéralement le Seigneur comme des enfants servent leur père: Ils le peuvent d'ailleurs, car le Fils unique « a donné à ceux qui croient en son nom, le pouvoir de devenir les enfants de Dieu (3) », et il les avertit de demande, de chercher, de frapper, afin qu'ils reçoivent, qu'ils trouvent, et qu'il leur soit ouvert. Vient ensuite le reproche: « Si vous, qui êtes mauvais, vous savez faire du bien à vos enfants, combien plus votre Père qui est au ciel accordera-t-il ses biens à ceux qui sauront les lui demander (4) ».

D'un autre côté, si le péché est l'aiguillon de la mort et si là loi est la force du péché (5), en ce sens que dans l'occasion le péché se serve du précepte pour enflammer la concupiscence (6), à qui donc devons-nous demander la continence, si ce n'est à celui qui sait donner ses biens à ses enfants ? Est-il un seul homme assez insensé pour ne  pas savoir que personne ne peut être continent si Dieu ne lui en fait grâce (7) ? Pour le savoir; il a besoin de cette même sagesse. Pourquoi donc n'entend-il pas l'Esprit de son Père nous disant soit par Jésus-Christ lui-même : « Demandez et vous recevrez (8) » ; soit par son Apôtre: « Si l’un de vous a besoin de la  sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à

 

1. Rom. III, 30. — 2. Matth. V, 6. — 3. Jean, I, 12. — 4. Matth. VII, 7, 11. — 5. I Cor. XV, 56. — 6. Rom. VIII, 8. — 7. Sag. VIII, 21. —  8. Matth. VII, 7.

 

tous abondamment, sans murmure et sans espérance de retour; qu'il demande donc dans la foi et sans hésiter (1) ? » Telle est la foi dont vit le juste (2) ; telle est la foi par laquelle nous croyons en Celui qui justifie le pécheur (3) ; telle est la foi par, laquelle tout sujet d'orgueil disparaît (4), soit que nous cessions de nous glorifier en.nous-mêmes; soit que nous sentions briller avec plus d'éclat la gloire qui revient au Seigneur de tous les bienfaits dont il nous comble ; enfin telle est la foi par laquelle nous obtenons .la diffusion de l'esprit dont il est dit: « C'est par l'esprit et en vertu de la foi que nous attendons l'espérance de la justice (5) ».

On pourrait demander ici quelle est cette espérance de la justice; est-ce celle par laquelle la justice espère, ou celle par laquelle la justice elle-même est espérée ? car le juste, vivant de la foi, espère la vie éternelle ; de son côté, la foi, toujours pressée par la faim et par la soif de la justice, et s'appuyant sur le progrès quotidien du renouvellement de l’homme intérieur (6), s’avance de plus en plus dans la justice et espère en être pleinement rassasiée dans la vie éternelle où se réalisera cette parole du Psalmiste : « Dieu rassasie de biens à votre désir (7) ». Telle est la foi par laquelle sont sauvés ceux à qui il est dit : « C'est, par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi ; et cela ne vient pas de vous; puisque c'est un don de  Dieu; cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées afin, de nous faire marcher (8) »

Enfin, telle est cette foi qui opère par la charité (9) et non par la crainte, non point parce qu'elle redoute le châtiment, mais parce qu’elle aime la justice. Et d'où nous vient donc cette charité par laquelle opère la foi ? Elle nous vient de Celui à qui la foi elle-même l’a demandée. En effet, quelque grande qu'elle soit en nous, elle n'y serait pas si elle n'avait été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (10). Cette charité ainsi répandue dans nos cœurs n’est point l'amour par lequel Dieu nous aime, mais celui qu'il nous inspire pour son infinie

 

1. Jacq. I, 5, 6. — 2. Rom. I, 17. — 3. Id. IV, 5. — 4. Id. III, 27. — 5. Gal. V, 5. — 6. II Cor. IV, 17. — 7. Ps. CII, 5. — 8. Ephés. II, 8, 10. — 9. Gal. V, 6. — 10 Rom. V, 5.

 

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grandeur. Il en est de même, soit de la justice de Dieu par laquelle il nous rend justes (1) ; soit du salut par lequel il nous sauve lui-même (2) ; soit de la foi en Jésus-Christ, par laquelle il fait de nous des fidèles (3). Telle est la justice de Dieu; non content de nous enseigner cette justice par le précepte de la loi, il nous la confère par le don de son Esprit.

 

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CHAPITRE XXXIII. D'OU NOUS VIENT LA VOLONTÉ DE CROIRE.

 

57. Il nous reste à demander si cette volonté par laquelle nous croyons est elle-même un don de Dieu, ou si elle nous vient de cette faculté naturelle que nous nommons le libre arbitre. Si nous disons qu'elle n'est pas un don de Dieu, il est à craindre que nous ne soyons tentés de nous attribuer quelque chose à nous-mêmes comme venant de nous-mêmes, malgré ce reproche que nous adresse l'Apôtre : « Qu'avez-vous donc, que vous ne l'ayez reçu? Et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier comme si vous ne l'aviez point reçu (4)? » A cela nous pourrions répondre : Il est en nous une chose que nous n'avons pas reçue, c'est la volonté de croire; il nous est donc permis de nous en glorifier comme d'une chose que nous n'avons point reçue. D'un autre côté, si nous disons que cette volonté n'est elle-même qu'un don de Dieu, il est à craindre que les infidèles et les impies ne prétendent tirer de nos paroles le droit de s'excuser. et de dire que s'ils ne croient pas, c'est parce que Dieu leur a refusé la volonté de croire. « Car c'est Dieu qui opère en nous la volonté et l'action selon son bon plaisir (5) » ; tel est le résultat de.la grâce obtenue parla foi, voilà ce qui rend possibles les bonnes oeuvres que la foi opère en nous par la charité qui est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. Si nous croyons afin d'obtenir cette grâce, il est certain que nous croyons par cette volonté dont nous recherchons en nous le principe. Si cette volonté vient de la nature, pourquoi tous ne l'ont-ils pas ? car nous n'avons tous qu'un seul et même créateur qui est Dieu. Si elle est en nous un don spécial de Dieu, pourquoi ce don n'est-il pas accordé à tous? car Dieu veut que tous les hommes fassent

 

1. Rom. III, 24. — 2. Ps. III, 9. — 3. Gal. II, 16. — 4. I Cor. IV, 7. — 5. Philip. II, 13.

 

leur salut et arrivent à la connaissance de la vérité (1).

58. Voyons si nous ne trouverons pas la solution de la question proposée dans la nature même du libre arbitre, conféré par le Créateur à toute âme raisonnable. Nous pouvons dire de ce libre arbitre, qu'il est une force moyenne qui peut tendre à la foi ou incliner vers l'infidélité. A l'aide de cette distinction entre le libre arbitre et la volonté proprement dite, nous pouvons dire de tout homme, en parlant de cette volonté par laquelle il embrasse la foi, qu'il n'a que ce qu'il a reçu; car s'il a pu s'élever au-dessus des aspirations de ce libre arbitre qu'il a reçu de son Créateur, c'est uniquement en vertu de l'appel que le Seigneur a daigné lui adresser. Or, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils arrivent à la connaissance de la vérité; toutefois, cette volonté de Dieu ne prive pas les hommes de leur libre arbitre, et ils peuvent toujours en faire un bon ou un mauvais usage. Libre à eux de refuser de croire à l'Evangile, mais alors ils résistent formellement à la volonté de Dieu ; toutefois ce n'est point une victoire qu'ils remportent sur cette volonté, mais en conséquence de leur faute, ils se privent du grand et souverain bien, se condamnent à de terribles châtiments, et se préparent à subir la rigoureuse justice de Celui dont ils ont méprisé les dons et la miséricorde.

De cette manière, la volonté de Dieu n'est jamais vaincue ; elle le serait pourtant si elle restait impuissante et désarmée devant les contempteurs de ses lois, si elle était condamnée à les voir se soustraire aux coups de sa vengeance. Ecoutons par exemple l'une de ses paraboles : Je veux que tous ces hommes qui sont mes serviteurs travaillent à ma vigne; après le travail ils prendront de la nourriture et se livreront au repos, et quiconque refusera de travailler sera pour toujours condamné à tourner la meule. On voit que tout récalcitrant agit réellement contre la volonté de Dieu; mais ce n'est pas à dire pour cela que cette volonté divine soit vaincue, elle ne le serait qu'autant que le coupable échapperait au châtiment, ce qui ne saurait se faire sous un Dieu tout-puissant.

De là cette parole: « Dieu a parlé une fois », c'est-à-dire, d'une manière irrévocable. Je

 

1. I Tim. II, 4.

 

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sais, d'ailleurs, que ces paroles peuvent s'interpréter également du Verbe lui-même. Quelle est donc cette parole immuable ? Ecoutons ce qui suit: « J'ai entendu ces deux choses, que la puissance appartient à Dieu, et à vous, Seigneur, la miséricorde, parce que vous rendrez à chacun selon ses oeuvres (1) ». Il doit donc s'attendre à subir les coups de la puissance divine, celui qui aura méprisé la miséricorde de Dieu qui l'appelait à la foi. Au contraire, tout homme qui croira, et viendra demander à Dieu l'absolution de tous ses péchés, la guérison de tous ses vices, la chaleur et la lumière pour embraser son coeur et éclairer ses yeux, celui-là, prévenu et aidé par la grâce, multipliera ses bonnes oeuvres, et ces bonnes œuvres lui mériteront de racheter même son corps de la corruption du trépas, d'être couronné et rassasié, non pas des biens temporels, mais des biens éternels, au-delà de tout ce que nous pouvons désirer et comprendre (2).

59. C'est la pensée formulée en ces termes par le Psalmiste : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ; n'oublie jamais ses bienfaits. Il a pardonné toutes tes iniquités, il a guéri toutes tes langueurs. C'est lui qui a racheté ta vie de la mort, il te couronne de miséricorde et d'amour, et rassasie de bonheur tes désirs ». Et dans la crainte que la difformité de notre ancienneté , c'est-à-dire de notre mortalité, n'osât espérer d'aussi grands biens, le Psalmiste ajoutait : « Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle », comme s'il eût dit : Toutes ces promesses que tu viens d'entendre concernent l'homme nouveau et le Nouveau Testament. Reprenez avec moi, je vous prie, chacun de ces biens, et goûtez affectueusement ces louanges adressées à la miséricorde, c'est-à-dire à la grâce de Dieu.

« Bénis le Seigneur, ô mon âme, et n'oublie jamais ses bienfaits ». Le texte porte « rétributions », et non pas tributions, parce que Dieu nous rend le bien pour le mal. « Il pardonne toutes tes iniquités », c'est ce qui a lieu dans le sacrement de baptême. « Il guérit toutes tes langueurs » . Regardons ce qui se passe dans la vie de l'homme fidèle, lorsque la chair convoite contre l'esprit et l’esprit contre la chair, de telle sorte que nous

 

1. Ps. LXI, 12, 13. — 2. Ephés. III, 20.

 

ne faisons pas ce que nous voulons (1) ; car nous sentons dans nos membres une autre loi qui répugne à la loi de notre esprit; nous pouvons vouloir, mais nous ne pouvons pas faire le bien (2). Or ces langueurs de l'ancienneté, pourvu que nous persévérions dans une intention, se guérissent de jour en jour sous l'influence d'une nouveauté croissante et de cette foi qui agit par la charité. « C'est lui qui rachète ta vie de la corruption »; c'est ce qui aura lieu à la résurrection suprême de tous les morts. « Il te couronnera de miséricorde et d'amour (3) »; ce sera l'oeuvre du jugement lorsque le roi siégera sur son trône de justice pour rendre à chacun selon ses oeuvres ; mais alors qui se glorifiera d'avoir le coeur chaste ou d'être pur de tout péché (4) ?

Il était donc nécessaire de rappeler la miséricorde et l'amour de Dieu dans une circonstance comme celle du jugement, où tout se passera avec une justice tellement rigoureuse, qu'il semble impossible d'y trouver place pour la miséricorde. Le Seigneur nous y couronnera dans sa miséricorde et son amour, mais toujours selon nos oeuvres. En effet, il mettra à sa droite celui à qui il pourra dire : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (5) »; car « le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n'aura pas fait miséricorde (6) »; mais « bienheureux les miséricordieux, car le Seigneur leur fera miséricorde (7) ». Ceux qui seront placés à la gauche iront dans les flammes éternelles, tandis que les justes entreront dans le royaume des cieux (8); car, dit le Sauveur La vie éternelle consiste à vous connaître,  vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (9) »; et cette connaissance, cette vision, cette contemplation produira dans notre âme l'entière satisfaction de ses désirs (10). Le ciel, et c'est assez, au delà plus rien à désirer, à chercher, à demander. Il était dévoré de cette soif, celui qui disait au Sauveur « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit », et Jésus-Christ de lui répondre : « Celui qui me voit, voit mon Père (11) ». Car « la vie éternelle consiste à vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé». Mais si c'est voir le Père que de voir

 

1. Gal. V, 17. — 2. Rom. VII, 23, 18. — 3. Ps.CII, 2, 1. — 4. Prov. XX, 8, 9; Matth. XVI, 27. — 5. Matth. XXV, 35. — 6. Jacq II, 13. — 7. Matth. V, 7. — 8. Id. XXV, 46. — 9. Jean, XVII, 3. — 10. Ps. CII, 5. — 11 Jean, XIV, 8, 9.

 

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le Fils, celui qui voit le Père et le Fils voit aussi par là même l'Esprit du Père et du Fils. Par conséquent, en affirmant l'action de la grâce sur la volonté, nous ne détruisons pas le libre arbitre, notre âme bénit le Seigneur et n'oublie jamais ses rétributions ou ses bienfaits; elle n'ignore pas la justice et s'abstient dès lors d'établir la sienne propre (1); elle croit en celui qui justifie le pécheur, et elle vit de la foi jusqu'à ce qu'il lui soit donné de contempler Dieu face à face, c'est-à-dire qu'elle vit de cette foi qui opère par la charité. Cette dernière est répandue dans nos coeurs, non point par la suffisance de notre volonté, non point par la lettre de la loi, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné.

 

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CHAPITRE XXXIV. LA VOLONTÉ DE CROIRE NOUS VIENT DE DIEU.

 

60. Que la discussion qui précède nous suffise, si elle suffit à la solution de la question proposée. On répondra peut-être qu'il faut éviter avant tout de donner lieu à qui que ce soit d'attribuer à Dieu le péché, qui se commet par le libre arbitre. Or, n'éprouve-t-on.pas cette tentation en entendant ces paroles : « Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu ? » Car nous regardons comme un don de Dieu la volonté par laquelle nous croyons, puisqu'elle est formée avant tout du libre arbitre déposé en nous par le fait même de notre création. Que celui qui serait tenté de nous faire cette difficulté veuille bien réfléchir et comprendre que si nous regardons comme un don de Dieu cette volonté de croire, ce n'est pas seulement parce qu'elle repose sur le libre arbitre créé naturellement avec nous, c'est aussi et surtout parce que Dieu lui-même produit en nous cette volonté de, croire à l'aide de persuasions de tout genre; persuasions extérieures par les exhortations évangéliques et même par les préceptes de la loi, si ces préceptes en arrivent à convaincre l'homme de sa faiblesse et à lui faire chercher un refuge par la foi dans la grâce sanctifiante; persuasions intérieures par ces pensées surnaturelles qu'il n'est donné à aucun homme de faire naître de lui-même dans son esprit, et sur lesquelles sa volonté n'a d'autre pouvoir que de les accepter ou de les rejeter. Quand donc, pour l'amener à la foi, Dieu

 

1. Rom. X, 3.

 

agit sur l'âme raisonnable de l'une ou de l'autre de ces deux manières, c'est-à-dire quand Dieu daigne user à son égard de cette persuasion ou de cette vocation sans laquelle il est impossible à l'homme de croire malgré son libre arbitre, il est certain qu'alors Dieu opère dans l'homme la volonté de croire, et que sa miséricorde nous prévient en toutes choses. Quant à consentir ou à résister à l'appel que Dieu nous adresse, c'est là, comme je l'ai dit, l'oeuvre de notre volonté propre. Cette proposition, d'ailleurs, loin d'infirmer, ne fait que confirmer cette parole de l'Apôtre : « Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez a reçu? » En effet, ces dons que Dieu nous accorde, l'âme ne peut les posséder qu'à la condition d'y consentir. Par conséquent, tout ce que l'âme possède, tout ce qu'elle reçoit lui vient de Dieu; mais quant à, l'action même de les recevoir et de les posséder, c'est l'oeuvre propre de l'âme qui les reçoit et les possède. Maintenant, si, voulant approfondir ces mystères, quelqu'un nous demande pourquoi celui-ci se trouve en effet gagné et persuadé, tandis que l'autre ne l'est pas, je n'ai que ces deux réponses à faire : « O profondeur des richesses (1) ! » et : « L'iniquité peut-elle donc se trouver dans, le Seigneur (2) ? » Simon interlocuteur n'est point satisfait de cette réponse, qu'il s'adresse à de plus savants que moi, mais qu'il prenne garde de trouver des présomptueux.

 

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CHAPITRE XXXV. CONCLUSION DE CET OUVRAGE.

 

61. Il est temps enfin de terminer ce livre, car je ne sais pas si nous avions besoin qu'il fût aussi long. A vous d'abord il était inutile, car je connais votre foi. Mais vous m'excuserez en pensant à ceux pour le bien desquels vous avez provoqué ma réponse. Ce n'est point contre moi qu'ils combattaient, ce n'est. pas non plus directement contre celui qui a parlé par l'organe de ses Apôtres, litais contre l’Apôtre saint Paul. En effet, pour soutenir leurs propres opinions, ils soulèvent des discussions véhémentes et nombreuses, plutôt que de l'entendre invoquant la miséricorde de Dieu, et nous exhortant par la grâce divine qui lui a été donnée, à ne point nous élever au-delà de ce que nous, devons . dans les sentiments

 

1. Rom. XI, 33. — 2. Id. IX, 14.

 

 que nous avons de nous-mêmes, mais de nous tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départie à chacun de nous (1).

62. Pour vous, veuillez vous rappeler la proposition que. vous m'avez faite et la thèse que j'ai soutenue dans ce long ouvrage. Vous vous étonniez qu'on ait pu dire que l'homme peut être sans péché, si sa volonté, aidée par la grâce divine, ne défaille point, quoique personne, en cette vie, ne soit jamais arrivé et ne doive jamais arriver à cet état de perfection. Dans les précédents ouvrages que je vous ai adressés, je m'exprimais en ces termes : « On me demande si l'homme peut-être sans péché dans cette vie; je répondrai qu'il le peut par la grâce de Dieu et par son libre arbitre ; quant à ce libre arbitre, il est lui-même une grâce, c'est-à-dire un don de Dieu qui a voulu, non pas seulement qu'il existât, mais qu'il fût bon, c'est-à-dire qu'il se portât à l'accomplissement des préceptes du Seigneur; et quant à la grâce proprement dite, elle ne se borne pas à montrer au libre arbitre ce qu'il doit faire, mais elle l'aide encore à faire ce qu'elle lui a montré (2) ».

Or, il vous a paru une absurdité d'affirmer qu'une chose sans exemple fût néanmoins possible. De là cette proposition générale soutenue par moi dans ce livre et prouvant qu'une chose est possible, quoiqu'elle soit sans exemple. A l'appui de cette thèse, j'ai emprunté à l'Évangile et à la loi certaines déclarations relatives, soit au passage d'un câble par le trou d'une aiguille (3), soit aux douze mille légions d'anges qui auraient pu combattre pour le Christ s'il l'eût voulu (4), soit à ces nations dont le Seigneur nous dit qu'il aurait pu les pousser loin de la présence de son peuple (5) ; toutes choses qui certainement ne se sont jamais réalisées. On pourrait ajouter à cela ce passage du Livre de la Sagesse, où nous lisons que la créature docile à son Créateur pourrait fournir à Dieu de nombreux et nouveaux tourments contre les pécheurs (6) ; et, cependant, cela n'a pas eu lieu. Nous en dirons autant de cette montagne que la foi pourrait précipiter dans la mer (7); et jusque-là nous n'avons pas appris que ce fait se fût réalisé (8). Soutenir que ces oeuvres extraordinaires

 

1. Rom. XII, 1, 3. — 2. Du Mérite des péchés,  liv. II, ch. 6, n. 7. — 3. Matth. XIX, 24. — 4. Id. XXVI, 53. — 5. Deut. XXXI, 3 ; Juges, I, 3. — 6. Sag. XVI, 24. — 7. Marc, XI, 23.

 

sont impossibles à Dieu, ce serait folie et incrédulité. Enfin, on peut lire ou imaginer beaucoup d'autres suppositions, restées de pures suppositions, quoique pouvant se réaliser par la toute-puissance divine.

63. On aurait pu me répondre qu'il s'agit dans tout cela d'oeuvres divines, tandis que vivre dans la justice est éminemment une oeuvre humaine. En face de cette objection, j'ai entrepris de prouver dans ce livre, peut-être plus longuement qu'il ne fallait, que toute vie sainte et sans péché est avant tout et surtout une oeuvre divine. Malgré mes longueurs, il me semble toujours que je n'en dis pas assez pour confondre les ennemis de la grâce; quelle joie pour moi de beaucoup parler, quand je me sens soutenu par les oracles aussi nombreux que formels de la sainte Écriture ! En cela, du reste, voici ma règle infaillible: Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (2), et en toutes choses rendons grâce au Seigneur notre Dieu, et élevons notre coeur vers le ciel; car c'est du Père des lumières que nous viennent toute grâce excellente et tout don parfait (3).

Enfin, si une vie sainte et sans péché n'est point l'oeuvre de Dieu et est la nôtre propre, parce que, après tout, c'est nous-mêmes qui vivons et agissons, ne pourrait-on pas dire également que jeter une montagne dans la mer n'est pas l'oeuvre de Dieu, puisque le Seigneur a déclaré que l'homme pouvait le faire par la foi, et lui a attribué cette oeuvre en disant : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne: Levez-vous et jetez-vous dans la mer, et elle le ferait, car rien ne vous sera impossible (4) ? » Il est certain que le Sauveur s'est servi dit mot : à vous, et non pas à.moi ou à mon Père; et cependant des oeuvres de ce genre, l'homme ne peut en accomplir que par la grâce et l'action même de Dieu. C'est ainsi que la justice parfaite ne s'est réalisée dans aucun homme, quoique cependant elle ne soit pas impossible. Elle se réaliserait cependant, si elle trouvait une volonté proportionnée à la grandeur de cette entreprise. Or, elle y serait proportionnée si, d'un côté, nous avions la connaissance parfaite de tout ce qui concerne la justice, et si, d'un autre côté,

 

1. Saint Augustin ne connaissait pas encore ce qu'Eusèbe d'après Rufin, et Bède nous rapportent de saint Grégoire de Néocésarée. (Note de l'Éditeur.)

2. II Cor. X, 17.— 2. Jac. I, 17. — 3. marc, XI,23, 24 ; Luc, XVII, 6.

 

l'amour de cette même justice correspondait à la connaissance que nous en avons, de telle sorte que tout sentiment de plaisir ou de douleur qui pourrait s'opposer à la justice disparaisse infailliblement devant l'amour de cette vertu. Si ces deux conditions, la connaissance et l'amour, ne se réalisent pour aucun d'entre nous, la cause eu est, non point dans une impossibilité réelle, mais dans la profondeur des jugements de Dieu. Ne savons-nous pas qu'il n'est point au pouvoir de l'homme de tout savoir, de posséder ce qu'il connaît, ou même de désirer toujours ce qui pourtant lui apparaît digne d'attachement et d'affection? Il faudrait pour cela que le bien nous inspirât autant de plaisir qu'il devrait nous inspirer d'amour. Cet heureux état ne convient qu'à une âme entièrement guérie.

 

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CHAPITRE XXXVI. QUAND LE PRÉCEPTE DE LA CHARITÉ SERA-T-IL PARFAITEMENT ACCOMPLI ? PÉCHÉS D'IGNORANCE.

 

64. Quelqu'un pensera peut-être qu'il ne nous manque rien pour posséder la connaissance de la justice, car le Seigneur, résumant sa doctrine en quelques paroles (1), assure que toute la loi et les Prophètes sont renfermés dans deux préceptes. Loin de cacher ces préceptes, il les formule aussi clairement que possible: «Vous aimerez », dit-il, « le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit, et vous aimerez votre prochain comme vous-même (2) ». En accomplissant ces deux préceptes, n'est-il pas certain qu'on accomplit toute justice? Nous le croyons sincèrement, et cependant nous croyons aussi que nous offensons Dieu de beaucoup de manières (3), alors même que nous pensons que telle de nos oeuvres plaît ou ne déplaît pas au Dieu que nous aimons; plus tard, en lisant l'Ecriture, en réfléchissant sur la vérité ou en l'entendant exposer à nos oreilles dans toute sa clarté, nous apprenons que cette même action ne plaît pas à Dieu ; nous en faisons pénitence et demandons au Seigneur qu'il veuille bien nous pardonner. La vie humaine est remplie de tels enseignements.

D'où vient donc que nous connaissons si

 

1. Isaïe, X, 23; Rom. IX, 28. — 2. Matth. XXII, 37, 40. — 3. Jacq. III, 2.

 

peu ce qui plaît à Dieu? N'est-ce point parce que Dieu lui-même nous est trop peu connu? «Car nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en énigme; tandis qu'alors nous verrons face à face ». Quand donc sera venu pour nous l'heureux moment « où  nous connaîtrons comme nous sommes connus (1)? » Peut-on supposer que ceux qui contempleront le Seigneur face à face n'auront pour lui que l'amour dont peuvent être animés les fidèles ici-bas ? Cet amour sera-t-il comparable à celui que nous avons maintenant pour le prochain? Si donc l'amour est d'autant plus grand que la connaissance est elle-même plus grande, concluons que tout ce qui manque aujourd'hui à notre charité manque par là même à la perfection de notre justice.

On peut savoir ou croire une chose sans l'aimer; quant à l'aimer sans la connaître ou la croire, c'est de toute impossibilité. Si donc les saints ont pu parvenir par la foi à un tel degré d'amour, qu'ils étaient disposés à donner leur vie pour la foi ou pour leurs frères, ce qui est le comble de la charité, selon la parole même du Sauveur (2) ; lorsque nous aurons quitté ce lieu d'exil où nous ne marchons que par la foi (3) et que nous serons parvenus à jouir de cette vue de Dieu que nous espérons maintenant sans la voir, et que nous attendons par la patience (4), il est certain que nous nous sentirons enflammés d'un . amour que non. seulement nous ne sentons pas encore, mais qui surpassera infiniment tout ce que nous pou. vous demander et comprendre (5). Et cependant nous ne pourrons pas plus aimer que de tout notre coeur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Qui dit tout, ne laisse rien à ajouter, car il n'y a pas tout quand il reste quelque chose à ajouter. Par conséquent, ce premier précepte de la justice, en vertu duquel nous devons aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme et de tout notre esprit , et conséquemment notre prochain comme nous-mêmes, ne sera parfaitement accompli que dans l'autre vie, quand il nous sera donné de contempler Dieu face à face. Toutefois, ce même précepte nous est imposé dès maintenant, afin que nous sachions ce que nous devons demander par la foi et chercher par l'espérance, et aussi afin qu'oubliant ce

 

1. I Cor. XIII, 12. — 2. Jean, XV, 13. — 3. II Cor. V, 7. — 4. Rom. VIII, 25. — 5. Ephés. III, 20.

 

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qui est par derrière, nous nous élancions vers l'avenir avec toute l'ampleur de nos désirs (1). Ainsi donc, telle est du moins ma conviction, c'est avancer à grands pas, dès cette vie, dans les voies de la perfection, que de connaître de plus en plus ce qui nous sépare encore de la justice parfaite.

65. La justice qui nous est possible en cette vie et en vertu de laquelle le juste vit de la foi (2), quoiqu'il soit éloigné du Seigneur et ne le voie qu'en énigme; cette justice, disons-nous, n'est pour ainsi dire qu'une justice commencée, et cependant ce n'est point une absurdité de soutenir qu'elle a pour caractère l'aversion du péché. En effet, si dès ici-bas nous ne pouvons avoir toute la charité que nous puiserons au ciel dans une connaissance entière et parfaite, doit-on nous en faire une faute ? Autre chose est de ne pas posséder la charité dans toute sa plénitude, autre chose est de ne se livrer à aucune passion. Ainsi donc, quoique l'homme aime bien moins Dieu qu'il ne l'aimera quand il le verra face à face, toujours est-il qu'il ne doit se porter à rien d'illicite. De même en est-il pour les choses corporelles : notre oeil peut fort bien ne se complaire dans aucunes ténèbres, quoiqu'il ne puisse pas soutenir tout l'éclat de la lumière.

Voici donc l'idée que nous pouvons nous faire de notre âme tant qu'elle est liée à ce corps corruptible. Pour étouffer et détruire tous les mouvements de la convoitise terrestre, elle ne jouit pas encore de la perfection suréminente de la charité divine ; cependant, avec le commencement de justice qu'elle possède, elle ne doit consentir à rien d'illicite, ni céder à cette convoitise. C'est ainsi qu'elle parviendra à cette vie immortelle : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de toutes vos forces (3); que le péché ne règne pas dans votre corps mortel et n'obéissez point à ses désirs (4) ; vous ne convoiterez pas (5); ne soyez pas l'esclave de vos concupiscences (6) ». Au ciel ne plus rien désirer que de persévérer dans cette perfection ; sur la terre suivre dans ses actions les règles de la justice et espérer pour récompense la perfection des élus; au ciel, le juste vivra sans la foi dans cette vue, face à face, qu'il a toujours désirée ; sur la terre, le juste vit de la

 

1. Philip. III. — 2. Rom. I, 17. — 3. Deut. VI, 5. — 4. Rom. VI, 12. — 5. Exode. XX, 17. — 6. Eccli. XVIII, 30.

 

foi dans laquelle il aspire à jouir au ciel de la vue intuitive.

Il suit de là que l'homme qui vit de la foi est loin d'être impeccable, puisqu'il peut consentir à certaine délectation illicite, non-seulement quand il s'agit de fautes graves et horribles, mais encore de fautes légères. Il lui arrivera, par exemple, de prêter l'oreille à une parole qui ne devrait pas être écoutée, de prononcer une parole qui n'aurait pas dû être conçue, de former dans son coeur une pensée dont l'objet le charme, mais qu'il sait être défendue par le précepte divin. Le consentement lui-même est alors un péché en dehors de toute action extérieure, dont la crainte du châtiment empêche peut-être seul la perpétration. Quant aux justes qui vivent de la foi, n'ont-ils donc aucun besoin de dire : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous « pardonnons à ceux qui nous ont offensés (1)? » regardent-ils comme un mensonge ce qui est écrit : « Tout homme vivant ne pourra être trouvé parfaitement juste à vos yeux (2) ?» et encore : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (3)? » et encore : « Il n'est aucun homme dont on puisse dire qu'il ne péchera pas (4)? » et ailleurs : « Il n'est aucun juste sur la terre qui fasse le bien et ne péchera pas (5)? » et autres passages semblables tirés de la sainte Ecriture? Remarquons sur le dernier que nous venons de citer, que l'écrivain sacré se sert non pas du passé: qui n'a pas péché, mais du futur: « qui ne péchera pas ».

Comme ces oracles ne sauraient être faux, la conséquence que nous devons en tirer, c'est que nul homme n'est ici-bas absolument sans péché, quel que soit d'ailleurs le degré de justice auquel il soit parvenu; et dès lors tout homme doit donner afin qu'il lui soit donné; tout homme doit pardonner afin qu'il lui soit pardonné (6) ; et s'il a quelque justice, il ne doit point se l'attribuer à lui-même, mais à la grâce de Dieu qui seul flous justifie; il doit même avoir toujours faim et soif de la justice (7), et la demander à Dieu, qui est le pain vivant (8) et la source de vie (9), et qui tout en justifiant ses saints dans les épreuves de cette vie, accorde largement à ceux qui l'implorent

1. Matth. VI, 14. — 2. Ps. CXLII, 2. — 3. I Jean, I, 8. — 4. III Rois, VIII, 46. — 5. Eccli. VII, 21. — 6. Luc, VI, 38, 37. — 7. Matth. V, 6. — 8. Jean, VI, 51. — 9. Ps. XXXV, 10.

 

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et pardonne miséricordieusement les fautes qu'ils confessent dans l’humilité de leur cœur.

66. Que les Pélagiens nous montrent donc, s'ils le peuvent, un seul homme encore retenu sous le poids de la corruption de cette vie et qui n'ait pas besoin que Dieu use envers lui de clémence et de pardon. Un tel homme ne saurait se trouver, à moins qu'ils ne le supposent, je ne dis pas éclairé par la science de la loi, mais aidé par une véritable infusion de l'esprit de grâce; une telle prétention de leur part ne serait pas seulement un crime, mais une impiété sacrilège. Qu'ils étudient les passages de l'Ecriture sainte dans leur sens naturel et nécessaire, et ils resteront convaincus que la perfection de la justice ne saurait se trouver dans aucun homme sur la terre. Et cependant, on ne peut soutenir que Dieu n'ait pas le pouvoir de prêter à la volonté humaine un secours tel que se réalise pour tel homme en particulier et dans toute sa perfection, non-seulement cette justice qui vient de la foi (1), mais encore celle qui nous est réservée dans le ciel, quand nous verrons Dieu face à face.

S'il plaisait à Dieu de revêtir tel homme terrestre de l'incorruptibilité céleste (2) ; de l'exempter de la mort au milieu de ses frères condamnés à mourir ; de détruire entièrement l'antique nature mauvaise, de manière à ce qu'aucune loi des membres ne répugnât à la loi de l'esprit (3) ; de lui donner de Dieu une connaissance de tous points semblable à celle que les saints posséderont dans le séjour de

 

1. Rom. X, 6. — 2. I Cor. XV, 53. — 3. Rom. VII, 23.

 

la gloire; quel insensé oserait affirmer que ces oeuvres, toutes prodigieuses qu'elles soient, ne seraient point possibles à la puissance divine? Mais voici. que les hommes demandent pourquoi Dieu ne réalise pour personne cet heureux état; que ceux qui posent cette question veuillent donc se souvenir qu'ils sont hommes.

Je sais qu'il ne saurait y. avoir en Dieu ni impossibilité ni iniquité (1). Je sais aussi qu'il résiste aux superbes et qu'il donne sa grâce aux humbles (2). Je sais que l'Apôtre, à qui fut donné l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan pour le souffleter et étouffer en lui tout sentiment d'orgueil, entendit jusqu'à trois fois ces paroles en réponse à son ardente prière: « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (3) ». Reconnaissons ici la sagesse et la profondeur des décrets de Dieu, qui veut ôter aux justes la pensée même de célébrer leurs propres louanges et ne laisser à leurs lèvres le pouvoir de s'ouvrir que pour chanter la gloire de Dieu. Comment scruter, approfondir et connaître ces mystères, a tant « les jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables? Car qui a connu les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? ou qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense ? Tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui ; à lui seul  gloire dans tous les siècles. Amen (4) ».

 

1. Rom. IX, 14. — 2. Jacq. IV, 6. — 3. II Cor. XI, 7-9. — 4. Rom. XI, 33-36.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

  

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