RUSTICIANUS
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CONTRE CRESCONIUS

DISCOURS ATTRIBUÉ A SAINT AUGUSTIN. Sur le sous-diacre Rusticianus.

Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome XIII, p. 683-686.

Traduit par l'abbé BURLERAUX.

 

REBAPTISÉ PAR LES DONATISTES ET ORDONNÉ DIACRE.

 

1. Je me présente à votre sainteté, mes frères, quoique je sois encore accablé du poids de mes regrets et de ma douleur, car nos larmes jusque-là n'ont point tari sur le malheur qui est venu fondre sur vous et sur moi. Trois fois j'ai tenté de vous adresser la parole que je vous dois, et toujours vos larmes et les miennes ont étouffé ma voix, et je n'ai rien trouvé de mieux que l'abondance de mes pleurs pour vous faire comprendre les soucis qui m'accablent. Que doit-il donc arriver? N'y aura-t-il de bornes ni à ma douleur ni à la vôtre? Toutes les fois que vous me verrez entrer, ne cesserez-vous donc de vous frapper la poitrine et de pousser des gémissements? Toutes les fois que je vous verrai réunis, éclaterai-je en larmes et en soupirs? Les oracles divins ont limité pour vous et pour moi « le temps de pleurer (1) ». Pourtant je n'ai aucun regret de vous voir pleurer (au souvenir de Lazare, Jésus-Christ pleura, et les Juifs, en le voyant pleurer, s'écrièrent : «Voyez comme il l'aimait (2) ») ; bien plus, s'il y a quelque chose de joyeux et d'agréable dans les larmes, je l'ai trouvé dans les vôtres. En effet, je me disais à moi-même : Voilà comme ils l'aimaient. Or, ceux qui entouraient d'une affection si vive le père, aimeront également son fils devenu leur père; celui qui est l'héritier du fardeau,

 

1. Eccl. III, 4. — 2. Jean, XI, 35, 36.

 

héritera aussi de leur amour; celui qui succède à l'honneur, succédera aussi à la charité. C'est un heureux présage pour celui qui entre, de voir dans ses ouailles des signes aussi frappants de leur amour pour leur ancien pasteur. Cet amour passera à celui qui a maintenant toute la sollicitude; malgré le changement de pasteur, ils ne cesseront d'aimer celui qui doit paître les agneaux, celui dont ils écouteront la voix et qui, Dieu et sa conscience lui en sont témoins, aidé par le secours du Tout-Puissant, est disposé à sacrifier sa vie pour la plus petite de ses brebis.

II. S'il y a quelques raisons de gémir et de pleurer, c'est à moi qu'elles s'appliquent, et non pas à vous, non pas à celui dont la mort nous cause de si vifs regrets. Il est en liberté, et je suis enchaîné; il est arrivé au terme de la carrière, et il me faut la courir. Il est dans la patrie, et je fais mon pèlerinage; il ne s'est dépouillé de toute sa sollicitude que pour la déposer dans mon cœur. Il a tenu parfaitement le gouvernail; en sera-t-il de même pour moi, je l'ignore : il est arrivé au port, et moi je vogue encore. Du rivage il contemple le courroux des flots et la fureur de la tempête; et moi je m'écrie du sein des vagues : « Sauvez-nous, nous périssons (1) !» Et en effet nous périssons, le danger me menace de toute

 

1. Matt. VIII, 25.

 

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part, non pas seulement celui que je cours moi-même, mais aussi celui que vous courez également, car mon salut dépend du vôtre. La perte de vos âmes est ma propre perte à moi-même. Quiconque d'entre vous périt pour le Seigneur, aggrave le danger que je cours, car je rendrai compte, « vie pour vie (1) ». Le Seigneur est plein de miséricorde, mais il est aussi un maître rigide; chaque jour il compte ses brebis; leur nom est écrit dans sa main, il les réclame jusqu'à la dernière, et si je ne les lui rends pas, les plus graves dangers restent suspendus sur ma tête. Voyez, mes frères, si en contemplant le fardeau qui pèse sur mes épaules je puis arrêter le cours de mes larmes, je puis étouffer mes profonds gémissements. Allégez mon fardeau; ce qui est si cruel, votre charité le rendra plus doux : et, Dieu aidant, le pasteur et le troupeau trouveront des pâturages, et après avoir supporté le poids du jour, ils se reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob (2), dans ce lieu où il n'y aura plus ni soleil ni chaleur (3), mais la paix et le rafraîchissement à l'ombre de Dieu; et alors nos larmes se changeront en joie et nos gémissements en transports d'allégresse.

III. Du reste, frères bien-aimés, en pleurant le pasteur que la mort nous a ravi, nous trouvons naturellement occasion de gémir sur un frère que nous avons perdu. Un membre s'est séparé de notre corps, une partie de nous-mêmes est devenue une partie de Donat; un soldat du Seigneur s'est rendu transfuge, dans le camp des Philistins, et d'un vase d'honneur il est devenu un vase d'ignominie. Vous comprenez de qui je parle. Ce, malheureux Rusticianus, diacre de Mutigène, n'a pas craint d'abjurer le sacrement qu'il devait à l'Eglise, ni de souiller son ordre par sa participation criminelle à un culte infidèle. Que n'ai je pas fait, quels efforts n'ai-je pas tentés pour l'arracher au précipice dans lequel il tombait, et remettre en terre ferme celui qui aimait le péril dans lequel il a péri? Celui qui est maintenant l'objet de ma douleur a été la première et la plus pressante cause de mes soucis. Au début de mon fardeau sacerdotal, je refusais de me laisser ravir celui que depuis assez longtemps je voyais tomber du ciel comme la foudre (4). Quoique

 

1. Job, II, 4. — 2. Matt. VIII, 11. — 3. Apoc. VII, 16. — 4. Luc, X, 18.

 

ses péchés lui eussent mérité un trop juste abandon de Dieu, cependant je gémis de ne pouvoir dire à mon Seigneur : « Me voici avec tous les serviteurs que vous m'avez donnés (1) ».

IV. Je sais parfaitement que beaucoup d'entre vous gémissaient des retards auxquels il s'abandonnait ici. Combien de fois, en ma présence, notre vénérable Valère, lui ouvrant en quelque sorte ses entrailles paternelles, lui a dit : Que faites-vous? Pourquoi abandonner votre poste? Pourquoi ne pas servir de collaborateur à votre prêtre ? Pourquoi préférer Hippone à Mutigène, où vous êtes attaché? Il répondait qu'il ne se sentait nullement porté à la solitude, qu'il n'avait pas eu dessein de se faire moine en entrant dans la cléricature, qu'il ne trouvait aucune compagnie à Mutigène. Le saint vieillard répliquait, : « Vous êtes uni à une épouse, ne cherchez point à vous en séparer (2) » ; l'Eglise de Mutigène est la vôtre et non la nôtre; c'est à elle que vous avez donné votre nom, et point à celle d'Hippone; n'avez-vous point renoncé au siècle, à vos amis, à votre parenté? — Il entendait, mais il ne goûtait pas ces paroles contre lesquelles il protestait par sa conduite. Qu'arriva-t-il? Naturellement prompt et doué d'un immense besoin de causer, il se livra aux futilités du siècle, à la bonne chère et à des libations auxquelles il consacrait les jours et souvent même les nuits; il tomba enfin, perdit tout esprit de crainte du Seigneur, se roula d'abîme en abîme, successivement hôte et convive, bientôt ses ressources furent impuissantes à couvrir ses dépenses; ses créanciers ne lui laissèrent aucun répit, et poussé à bout, chaque jour il multipliait ses errements, et devenait un scandale pour la multitude. Enfin son prêtre dut le frapper d'excommunication ; aussitôt il se retira chez les Donatistes, fut accueilli par leur évêque, contre le droit des églises; fut rebaptisé, ce qui est une impiété, et enfin élevé au diaconat; et c'est là ce qui met le comble à notre douleur.

V. Quand j'appris cette triste nouvelle, notre vénérable vieillard Valère était absent; mais mes entrailles émues ne purent souffrir aucun retard. Je répandis mon âme en gémissements et en larmes, en présence du Seigneur. Comme j'avais appris de sources différentes et nombreuses que Macrobe, évêque

 

1. Isaïe, VIII, 18. — 2. I Cor. VII, 27.

 

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donatiste, auprès duquel il s'était réfugié, était un homme pacifique, assez disposé à rentrer dans le royaume de Dieu et dans la concorde avec ses frères, et enfin, ne réitérant le baptême que par force et malgré lui, je résolus de lui écrire et d'employer auprès de lui l'influence de ses amis pour le conjurer de ne point invalider le baptême de Jésus-Christ dans la personne de ce sous-diacre et de ne pas lui réitérer le baptême qu'il savait lui avoir été conféré au nom du Seigneur. Il s'irrita à la réception de ma lettre; cependant, vaincu par les prières de mes envoyés, Maximus et Théodorus, il consentit à la lire. Quand il eut fini la lecture, il se contenta de répondre : « Je ne puis ni repousser ceux qui viennent à moi, ni leur refuser la foi qu'ils me demandent ». Les envoyés insistèrent en rappelant le fait de Primianus ; mais il leur répondit qu'il n'appartenait point à des enfants de s'enquérir de la conduite de leur père. Dans ma lettre, je le priais de formuler sa réponse, de manière que je pusse en donner lecture dans l'assemblée du peuple; j'ajoutais que, s'il s'y refusait, je lirais moi-même la lettre que je lui avais adressée, car on commençait seulement à ne plus avoir à craindre la présence des soldats. Aujourd'hui, mes frères, je remplis mes engagements, car il n'est personne ici qui puisse soulever la foule; je sais que tous vous voulez la concorde et que vous êtes tout disposés à donner à vos ennemis le baiser fraternel. Je vous présente donc ma lettre à Macrobe, afin que vous soyez pleinement instruits de tout ce qui s'est passé; je veux surtout que Dieu et les hommes sachent avec quelle pureté de coeur et quelle sincérité d'affection j'ai, avec la grâce de Dieu, conduit toute cette affaire. Que si, après cela, notre frère périt, sa conscience seule et non la nôtre sera responsable de cette ruine. Dieu viendra pour nous juger, eux et moi, il viendra recueillir le froment et disperser la paille. Notre baptême, pour lequel ils ont une horreur si profonde, le Seigneur l'examinera, et il dira en face de l'univers tout entier, lequel est souillé, du nôtre ou du leur. « Ils verront celui qu'ils ont percé (1) ». Or, rebaptiser un chrétien, n'est-ce pas transpercer de nouveau Jésus-Christ? Ce chrétien a reçu le caractère du roi, il a reçu l'empreinte de sa croix, il a été trempé dans la mort de Jésus-Christ; en

 

1. Jean, XIX, 37.

 

le baptisant de nouveau, que faites-vous autre chose que détruire le caractère du roi, percer sa croix, rendre vaine et inutile la mort de Jésus-Christ, et tourner en dérision toute l'économie de notre salut?

VI. Notre eau n'est pas une eau étrangère, elle est vierge et sainte ; le Saint-Esprit descend dans nos fonds sacrés, et ceux qu'elle arrose sont sanctifiés; qu'ils sont donc téméraires de regarder comme souillés ceux qu'ils savent avoir été purifiés par ces ondes salutaires ! O nouveauté sacrilège ! O voix impie ! Dieu, dès l'origine du monde, a sanctifié les eaux par l'incubation du Saint-Esprit, et tous les miracles dont ces eaux ont été l'instrument avaient pour but de nous instruire de la sainteté des ondes chrétiennes, de la vérité cachée sous ces ombres primitives, et de la régénération que nous sommes assurés de puiser dans ces eaux. Et ils osent les regarder comme des eaux étrangères, ils s'en abstiennent; à leurs yeux, ce ne sont que des eaux menteuses, et ils leur refusent toute confiance ! L'eau véritable, c'est donc celle de Primianus ; en effet, après l'avoir frappé d'un terrible anathème, après l'avoir, dans une de vos assemblées, déclaré coupable de crimes aussi horribles que nombreux, vous ne réitérez pas le baptême à ceux qu'il a baptisés. Mais s'agit-il de l'Eglise catholique, de notre colombe, de cette épouse immaculée? ses ondes ne sont à vos yeux que des ondes infidèles, impures et trompeuses ! Ils diront peut-être : Ceux qui ont condamné Primianus étaient des calomniateurs, d'où il suit que ses eaux n'étaient pas menteuses. Que diront-ils donc de Félicianus et de Prétextat, les accusateurs de Primianus , ceux-là mêmes qui avaient rompu avec lui par un schisme solennel? Ont-ils ondoyé de nouveau pour les enfanter à leur église, ceux qui avaient été baptisés par ces deux sectaires en révolte? Nullement. Ils ont proclamé la sainteté des eaux de Félicianus et de Prétextat, qui plus tard se sont réunis et ont formé contre l'Eglise catholique une coupable et vaine alliance. Et les ondes dont nous nous servons ne sont que des ondes infidèles et profanes ? Quelle folie ! quelle perversité !

VII. Ils ajoutent: « Celui qui est baptisé par un mort, de quelle utilité peut lui être ce bain (1) ? » Malheureux, vous êtes dans l’erreur,

 

1. Eccli. XXXIV, 30.

 

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et vous ne comprenez pas les Ecritures. Nous ne disons pas que le baptême conféré par ceux dont nous sommes séparés, comme les vivants se séparent des morts, n'est absolument rien, mais seulement qu'il n'est d'aucune utilité pour celui qui vit parmi les morts. Enlevez l'obstacle et le baptême produira ses effets. Ce que vous avez reçu hors de l'Eglise vous profitera quand vous serez rentré dans son sein. Convertissez celui qui est baptisé, cela suffit; la vertu cachée dans la semence prendra tout son accroissement; elle revêtira l'Esprit de Dieu, et celui qui a été enseveli en Jésus-Christ par le baptême , quoique hors de l'Eglise, quand il aura été admis dans son sein, quand il aura laissé les morts ensevelir leurs morts, comprendra que cette eau est fidèle et qu'elle n'a point été souillée par la contagion des hérétiques. Il entendra à l'oreille de son coeur cette voix paternelle : « C'est là mon fils; il était mort et il est ressuscité ; il était perdu et il est retrouvé (1) » ; ce fils que j'avais engendré dans ces ondes salutaires était mort, parce qu'il ne vivait pas de mon esprit, et il est ressuscité, parce que, renonçant à la, société des morts, il est revenu au .séjour de la vie; il était perdu, parce qu'il avait été enseveli dans un même naufrage avec les impies; il est retrouvé, parce que, porté sur une planche salutaire, c'est-à-dire la pénitence, il est revenu au port de l'Eglise. Mes frères, prions ardemment le Seigneur que ces précieux résultats s'accomplissent dans leur personne; demandons-lui que de même qu'il n'y a qu'un baptême, une seule eau, une seule foi, il n'y ait également qu'une seule et même profession de la charité, et qu'il n'y ait plus entre nous qu'une sainte émulation pour le bien et la vertu.

 

1. Luc, XV, 24, 32.

 

Traduit par l'abbé BURLERAUX.

 

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Fin du tome XIIIème

 

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