LES PRINCIPAUX SANCTUAIRES
DE MARIE DANS LA SUISSE CATHOLIQUE

 

PAR MGR G. F. CHÈVRE

CURÉ-DOYEN DE PORRENTRUY

 

FRIBOURG

 

IMPRIMERIE-LIBRAIRIE CATHOLIQUE SUISSE ,

13, GRAND'RUE, 13,

1898

 

Bibliothèque

 

LES PRINCIPAUX SANCTUAIRES  DE MARIE DANS LA SUISSE CATHOLIQUE

PRÉFACE

LES SANCTUAIRES DE MARIE  DANS LA SUISSE CATHOLIQUE

I DIOCÈSE DE BÂLE

§ 1. ARGOVIE

1. Notre-Dame de Lorette sur l'Achenberg.

2. La chapelle de la Sainte-Vierge à Bremgarten.

3. La chapelle de Marie à Ionenthal.

La chapelle de Marlawyl, près de Baden.

La chapelle de Sulzberg, près de Wettingen.

§ 2. JURA BERNOIS

1. Notre-Dame de Lorette, à Porrentruy.

2. Notre-Dame de Lorette à Saint-Ursanne.

3. Notre-Dame de la Grotte de Saint-Ursanne.

4. Notre-Dame de Lourdes à Montenol.

5. Notre-Dame de Lourdes à Bonembey.

6. Notre-Dame de Lourdes à Pleujouse.

7. Notre-Dame de Lourdes à Soyhières.

8. Notre-Dame de la Salette à Rossemaison.

9. Notre-Dame de Montcroix.

10. Notre-Dame du Vorbourg.

11. Notre-Dame des Ermites à la Vacherie-Mouillard.

12. Notre-Dame da Sacré-Coeur, à Seleute.

13. Chapelle de l'Assomption de la Sainte-Vierge à Châtillon

14. Notre-Dame sons les Chênes, à Boncourt

15. Notre-Dame de Bon-Secours, à Fahy

16. Notre-Dame du Saint-Nom de Jésus, à Chevenez

17. L'Immaculée-Conception, à Develier-dessus

18. La chapelle du Paradis, près de Bure

§ 3. LUCERNE

1. Notre-Dame de Lutherthal

2. Notre-Dame de Werthenstein

3. Maria Zell, près de Sursee

4. Notre-Dame de Gormond

5. Notre-Dame de Hildiskirchen

6. La sainte chapelle de Herrgottswald

7. Notre-Dame d'Eigenthal

8. Notre-Dame du Wesemlin

9. Notre-Dame de la Forêt sur le Wesemlin

10. L'Immaculée Vierge Marie à Dottenberg, paroisse d'Adligenswyl

11. Notre-Dame de l'Aurore à Rort, dans la paroisse d'Oberdorf

12. Notre-Dame des Sept-Douleurs dite aussi « la Croix de Michel »

13. Chapelles de Marie, à Horw

14 et 15. Le Saint-Nom de Marie

16. L'Assomption de Marie

17. Notre-Dame de Bon-Conseil

18. Marie aux Neiges

19. La Présentation de Marie

20. L'Oratoire de Marie

21. Notre-Dame de Bon-Secours

22. Kreuz-Hubel

23. Notre-Dame de Saint-Urbain

24. Chapelle de Notre-Dame de la Visitation à Langnau

§ 4. SOLEURE

1. Notre-Dame de Lorette à Soleure

2. Notre-Dame de la Pierre

3. Notre-Dame de la Haie, à Meltingen

4. Notre-Dame de Schoenenwerth

5. Notre-Dame de Wolfwyl

6. Notre-Dame de l'Assomption, à Biberist

7. La chapelle de la Sainte-Vierge, à Derendingen

8. Notre-Dame d'Oberdorf

§ 5. THURGOVIE

1. Notre-Dame de Klingenzell

2. Notre-Dame de Lilienthal ou de la Vallée des Lys

§ 6. ZOUG

1. Notre-Dame du Gubel

2. Chapelle de Marie à Walterschwyl

3. Chapelle de Marie à Zoug

II DIOCÈSE DE COIRE

§ 1. LES GRISONS

1. Notre-Dame de Dissentis

2. Notre-Dame de la Lumière à Trons

3. Notre-Dame de Camps, près de Vals

5. Notre-Dame de Zitail, près de Saluz.

5. La statue miraculeuse de Santa Maria à Münster

6. Notre-Dame de Calanca

7. Notre-Dame de Misocco

§ 2. Schwyz

1. Notre-Dame de Lorette à Biberegg

2. Notre-Dame des Ermites

3. La chapelle de la Sainte-Vierge sur le Katzenstrick

4. Notre-Dame de Ried

5. Sainte Marie aux Neiges sur le Righi (Klaesterti)

§ 3 UNTERWALD

1. Notre-Dame Auxiliatrice, près de Beckenried

2. La chapelle de la Sainte-Vierge à Kersiten

3. La chapelle de Marie à Melchthal

4. Le sanctuaire de Marie à Rickenbach

5. La chapelle de Notre-Dame à Siebeneich

6. Notre-Dame du Foyer, à Stans

§ 4. URI

1. Notre-Dame Auxiliatrice à Andermatt

2. Notre-Dame des Sept-Douleurs à Goertschwiller

3. La chapelle de Marie et de Saint-Grégoire à Iagdmatt

4. La chapelle de la Sainte-Vierge à Riederthal

5. Notre-Dame de Sonnenberg

III DIOCÈSE DE SAINT-GALL

§ 1. APPENZELL

Notre-Dame auxiliatrice à Haslen

§ 2. SAINT-GALL

1. Notre-Dame de Bildstein à Benken

2. Notre-Dame de Lorette à Lichtensteig

3. Notre-Lame des Trois-Fontaines

4. Notre-Dame d'Iona

5. Notre-Dame de Mels

6. Notre-Dame de Bon Conseil à Tils

7. Notre-Dame de Berschis

IV DIOCÈSE DE LAUSANNE ET GENÈVE

§ 1 FRIBOURG

1. Lorette

2. L'église de Notre-Dame

3. Notre-Dame des Ermites, dans l'église des Pères Franciscains

4. Mariahilf, ou Notre-Dame de Bon-Secours

5. Notre-Dame de Bourguillon

6. Notre-Dame de l'Epine à Berlens

7. Notre-Dame de Bulle

8. Mariahilf . — Notre-Dame Auxiliatrice à Gain

9. Notre-Dame des Neiges à Lessoc.

10. Notre-Dame des Marches

11. Notre-Dame de Montban

12. Notre-Dame de Posat

13 Notre-Dame de la Tour à Montagny

14. Notre Dame du Pont du Roc

15. Notre-Dame de Villaraboud ou Notre-Dame au Bois, Notre-Dame des grâces

16. Notre-Dame de Wallenried

17. Notre-Dame des Sept-Douleurs à La Roche (Zurflüh)

§ 2 GENÈVE

Notre-Dame de Genève.

§ 3 NEUCHATEL

Notre-Dame du Landeron

V DIOCÈSE DE SION

1. Notre-Dame de Bâtiez à Martigny.

2. Notre-Dame de Burgspitz sur le Brigerberg

4. Notre-Dame d'Ernerwald

5. Notre-Dame de Flüe, à Louèche

6. Notre-Dame de Glisacker

7. Notre-Dame des Hautes-Roches (zu hohen Flüen)

8. Notre-Dame de Kühmatten

9. Notre-Dame du Lac Noir, à Zermatt

10. Notre-Dame de Mayenberg

11. Notre-Dame des Neiges, au Crételet

12. Notre-Dame de Ringacker.

13. Notre-Dame de Ritzigerfeld.

14. Notre-Dame du Rocher, ou de Sex, à Saint-Maurice.

15. Notre-Dame de Saas.

18. Notre-Dame de Schalbotten.

17 Notre-Dame de Viège.

19. Notre-Dame de Wandflüe.

20. Divers autres sanctuaires de Marie.

 

 PRÉFACE

Dans un précédent travail. nous avons fait une étude attentive des sanctuaires de Marie dans la Suisse protestante. Nous avons redit ce qu'étaient des sanctuaires nombreux et vénérés par nos pères avant le nouvel Evangile de Luther et de Zwingli. de Farel et de Calvin. Nous avons eu la consolation d'en montrer un certain nombre restaurés, dans notre siècle, par de nobles coeurs et de pieuses mains.

Cette première publication en appelait une seconde. C'est celle qui parait aujourd'hui.

A la gloire de notre chère patrie, la Suisse catholique compte d'innombrables autels dressés à l'honneur de la Vierge Immaculée, la douce Mère de Dieu et des chrétiens. Pas d'église en Suisse, où ne resplendisse la sainte image de Marie. Pas d'église, où l'on ne trouve érigée quelque Confrérie, Rosaire, Scapulaire, Archiconfrérie. etc., en son honneur.

A côté de ces signes de pieuse invocation et de filiale confiance en la Mère des miséricordes, une foule de sanctuaires voient d'innombrables chrétiens accourir heureux d’apporter leurs hommages au pied d'une statue ou d'une image vénérée d'âge en âge.

Ce sont ces sanctuaires dont il nous a plu de redire les noms bénis.

Notre travail, qui a demandé de grandes recherches, n'est pas sans offrir des lacunes, que nous sommes le premier à regretter.

 

IV

 

Pouvait-il en être autrement dans une étude disputée heure par heure à notre laborieux ministère ? Vingt-huit ans passés à la tête d'une grande paroisse. d'une desserte difficile à raison de son étendue, nous ont laissé peu de loisirs à consacrer à l'oeuvre modeste que ces pages dédient à la Vierge, protectrice de notre foi. On nous pardonnera donc ce que cette publication offre de défectueux.

Mais ce que le lecteur nous pardonnerait moins. ce serait d'avoir oublié un sanctuaire de Marie, objet d'un pèlerinage de trois siècles. qui s'affirme de nos jours plus que jamais.

Nous voulons parler de Notre-Dame des Annonciades dans l'église érigée à l'honneur de saint Pierre, dès l'aurore du XIVe siècle, dans la cité, autrefois épiscopale, de Porrentruy. Appelé par bulle de S. S. Léon XIII. glorieusement régnant. à la date du 19 avril (fête du grand Pape Léon IX dans le diocèse de Bâle) 1897. à la direction de cette paroisse, il nous a été donné de connaître en l’étudiant de plus près, le pèlerinage qui se fait journellement à Notre-Dame des Annonciades.

On nous permettra donc d'en dire un mot dès le seuil de cet ouvrage.

Nous ne pouvons mieux retracer l'origine de la dévotion à Notre-Dame des Annonciades qu'en reproduisant textuellement le naïf récit consigné dans les Annales des religieuses célestes, comme on les appelait à cause de leur vêtement bleu d'azur.

« L'an 1632, les dites religieuses, au nombre de quinze, furent obligées de sortir de leur monastère de Haguenau (fuyant devant les Suédois qui envahissaient l'Alsace). Mais. avant de sortir, elles mirent leurs plus précieux effets auprès de (la statue de) la Sainte Vierge, et de plus lui donnant les clefs du monastère entre les mains, elles se prosternèrent contre terre et la prièrent d'avoir soin de leur couvent.

 

V

 

Mais la Sainte Vierge commença à pleurer, de quoi on remarque encore une larme desséchée sur son visage.

Ces bonnes religieuses, voyant ce prodige, jugèrent prudemment que leur bonne chère protectrice voulait être réfugiée avec elles. Ce qu'elles firent, l'amenèrent à Porrentruy et se logèrent dans une maison sur la place, n'ayant encore point de monastère. »

Deux années ne s'étaient pas écoulées. que les pauvres Annonciades se voyaient de nouveau menacées du malheur auquel les avait soustraites leur fuite de Haguenau. En 1634, les farouches Suédois étaient aux portes de Porrentruy. La ville était menacée de l'incendie et du pillage. Les humbles religieuses n'avaient d'autres armes que la prière. Elles portèrent dans une salle haute de la maison la Vierge de Haguenau. De là on apercevait l'armée ennemie. Prosternées aux pieds de leur auguste et puissante Mère, les religieuses la suppliaient avec ardeur pour la délivrance de la ville, et pour leur propre délivrance, car elles s'attendaient et se préparaient à la mort. Ainsi se passa la nuit. Mais voici qu'au matin. d'après le récit de l'annaliste du couvent, on vit paraître à la pointe du jour une nuée fort basse en forme de manteau bleu au lieu même oit étaient les avant-postes de l'ennemi, qui avait disparu comme par enchantement, portant ailleurs ses dévastations et ses ruines.

C'était le 25 mars, fête de l'Annonciation.

Cette délivrance merveilleuse, due aux prières des Annonciades et de toute la ville à Marie Immaculée valut, on le comprend, à la Vierge de Haguenau de nouveaux honneurs et une confiance de plus en plus grande.

En 1670, la statue sainte trouva enfin un lieu de repos dans l'église bâtie en son honneur et pour l'usage des Annonciades en possession de leur couvent récemment, construit.

 

VI

 

Six ans après, l'incendie de deux maisons voisines du monastère n'atteignit pas la sainte maison, grâce à l'invocation de la douce Vierge. dont la statue fut exposée sur les fenêtres du réfectoire en face de l'élément destructeur.

La dévotion de toute la ville à la Vierge des Annonciades nous est attestée, en 1702, par le fait suivant :

Un incendie formidable menaçait de dévorer toute la ville. « L'on y porta le Saint-Sacrement, disent les Annales, pour y donner la bénédiction. Après quoi, ajoutent les mêmes Annales, il s'éleva des voix du peuple que l'on devait venir chercher l'image miraculeuse de la Sainte Vierge des Annonciades : ce que l'on fit. Un homme la porta entre deux ecclésiastiques en surplis. On la posa au milieu de la rue, à l'opposite des flammes, qui paraissaient insurmontables à toute l'assistance : mais la présence de la Sainte Vierge arrêta leurs progrès et l'on vit ces flammes furieuses s'élever droit en haut, sans plus voltiger de çà et de là, comme elles faisaient auparavant, et se retirer dans l'enceinte de leur origine. Ce que toute la ville, conclut l'annaliste, a reconnu pour un miracle de la Sainte Vierge. »

La piété populaire envers la Vierge des Annonciades allait croissant lorsque les « Célestes » se virent, en 1793, proscrites de leur demeure par la Révolution.

La statue miraculeuse échappa néanmoins au fanatisme des modernes Vandales. Sauvée par le maire Meyll, teinturier, elle fut placée, en 1802, solennellement sur l'autel de la chapelle restaurée de Saint-Michel, dans l'église paroissiale. C'est là qu'on continue à venir implorer le secours maternel de Marie, et qu'on ne le fait jamais en vain. C'est à ses pieds que, le soir de chaque premier dimanche du mois, on fait les pieux exercices de l'Archiconfrérie, auxquels prend part avec empressement, une nombreuse assistance.

 

VII

 

O douce Vierge des Annonciades !

O Vierge de Lorette, deux fois bénie !

C'est à vous que l'humble auteur de ces lignes, votre dévot serviteur dès son enfance. est heureux de dédier ce modeste ouvrage. O Mère ! bénissez-le. Bénissez sa chère paroisse, son bien aimé Jura, le diocèse de Bâle et toute la Suisse catholique.

 

 

 

 

LES SANCTUAIRES DE MARIE
DANS LA SUISSE CATHOLIQUE

 

Pour procéder avec méthode, nous diviserons notre étude par diocèses, et nous les classerons par ordre alphabétique. Ce qui amène la division suivante :

 

SANCTUAIRES DE MARIE DANS LES DIOCÈSES :

 

1.         De Bâle ;

2.         De Coire ;

3.         De Lausanne et Genève ;

4.         De Saint-Gall;

5.         De Sion;

6.         Du Tessin.

 

Entrons immédiatement en matière en commençant par le premier.

 

I DIOCÈSE DE BÂLE

 

§ 1. ARGOVIE

 

Dans ce canton, qui doit sa vie au Concile de Constance, et sa liberté aux traités de 1815, cinq beaux sanctuaires de Marie font sa gloire, la consolation et la sauvegarde des enfants de l'Eglise catholique.

 

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Les localités qui offrent à la piété religieuse ces sanctuaires de Marie sont les suivantes :

 

1.         Achenberg (sur l’) ;

2.         Bremgarten ;

3.         Jonenthal ;

4.         Sulzberg;

5.         Unterwil.

 

Nous en avons signalé d'autres appartenant à ce mixte, dans notre Culte de Marie dans la Suisse protestante. Nous n'avons dès lors pas à y revenir.

 

1. Notre-Dame de Lorette sur l'Achenberg.

 

LES SANCTUAIRES DE LORETTE EN SUISSE. — LA SAINTE MAISON DE NAZARETH TRANSFÉRÉE A TERSATE. — LE CURÉ ALEXANDRE GEORGIO. — LE BAN NICOLAS FRANGIPANE. — LA SAINTE CHAPELLE A RECANATI, PUIS A LORETTE. — TÉMOIGNAGES DES PAPES. — LA SANTA CASA ET LES ARTISTES. — DIMENSIONS,DE LA SAINTE CHAPELLE. — L'ACHENBERG, ZURZACH ET SAINTE VÉRÈNE. — CHAPELLE DE SAINT-JOSEPH. — CONFRÉRIE ET PÈLERINAGES.

 

C'est pour nous une bonne fortune d'inaugurer ce tableau de nos sanctuaires de Marie en Suisse par Notre-Dame de Lorette.. Hâtons-nous de dire, à notre grande joie, que nous ne trouverons pas moins de neuf sanctuaires consacrés en Suisse à la Vierge Marie sous ce vocable mille fois béni. Ces chapelles de Notre-Dame de Lorette font l'honneur des localités suivantes. Outre l'Achenbérig, ce sont Biberegg (Schwytz), l'Ennenberg (Unterwald), Bürglen (Uri),le Bisemberg (Fribourg), Lichtensteig (St-Gall), Porrentruy et Saint-Ursanne (Jura bernois)„ enfin Soleure.

Cette heureuse multiplicité des sanctuaires de Notre-Dame de Lorette nous impose une obligation qui est loin de nous déplaire. C'est de rappeler, avant tout, ce qu'est pour le coeur chrétien le sanctuaire de Lorette, si cher au Saint-Siège et à la catholique Italie.

 

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Le 18 avril 1291, le sarrazin Seraph, à la tête de ses farouches musulmans, s'emparait de la ville de Ptolémaïs (Saint-Jean d'Acre). C'était le dernier boulevard de la chrétienté dans la Terre-Sainte. Cette terre qui avait vu le Fils de Dieu, qui avait bu son sang, auquel vint se mêler pendant des siècles le sang d'innombrables fils de la croix, retombait sous le cimeterre des Infidèles. L'oeuvre patiente, héroïque, de huit croisades était anéantie.

En apprenant ce suprême désastre, l'Occident fut clans la consternation. Le Pape Nicolas IV donnait un libre cours à ses larmes, lorsqu'un événement extraordinaire vint apporter quelque allègement à son immense douleur.

Trois semaines ne s'étaient pas écoulées depuis la chute de Ptolémaïs, que les habitants de Tersate, près de Fiume, dans la Dalmatie (aujourd'hui la Croatie), étaient témoins d'un spectacle dont ils cherchaient vainement l'explication. C'était le 10 mai 1291. Sur une colline, au bord de la mer venait d'apparaître tout à coup un modeste édifice qu'on n'y avait point vu la veille. Qu'était-ce que cette maison, qu'une nuit printanière avait apportée, et qu'un matin avait fait éclore comme les lys et les roses de la vallée ?

On s'approche, avec une curiosité mêlée de respect, du merveilleux édifice. On en fait le tour. L'étonnement est général. Point de fondements à cette maison qui semble improvisée. La construction est orientale et ses murs sont formés de pierres rouges, inconnues dans toute la contrée. Une porte et une fenêtre sont les deux seules ouvertures qu'elle présente.

On pénètre à l'intérieur. Les murs sont couverts de fresques représentant les mystères de Nazareth. Le plafond est un ciel d'azur semé d'étoiles. A l'une des extrémités se dresse un autel en pierre, surmonté d'un crucifix peint sur toile. A droite de l'autel, dans une niche, une statue en bois de cèdre représente la Sainte-Vierge portant l'Enfant Jésus dans ses bras. Près de l'autel, une armoire renfermant quelques vases.

Tandis que le peuple de Tersate, dans l'admiration de cette nouveauté, se livre à toutes les conjectures, un homme paraît au milieu de la foule. C'est Alexandre de Georgio, le curé de la

 

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paroisse. A sa vue, l'étonnement redouble. On le savait malade, retenu dans son lit depuis trois ans par une hydropisie incurable. Et il était là tout à coup, au milieu des siens, plein de vie et de force. Un miracle seul pouvait lui avoir rendu la santé. On admirait depuis longtemps sa profonde et vive piété envers la Très Sainte-Vierge. C'est sans doute à Marie, disait la foule, que notre bon pasteur doit sa résurrection. On ne se trompait pas.

« Mes enfants, s'écrie-t-il à travers ses larmes de bonheur, écoutez-moi. La nuit dernière, la Mère de Dieu a daigné m'apparaître. Elle m'a dit, à moi pauvre pécheur : La demeure que tu verras demain sur le bord de l'Adriatique, c'est la maison même où le Verbe s'est fait chair. Un autel y a été dressé par l'apôtre Pierre pour y célébrer l'auguste sacrifice. Le crucifix et la statue de cèdre sont l'oeuvre de saint Luc. Et la preuve que je te donne, à toi mon fervent serviteur, de la vérité de mes paroles, c'est que tu sortiras de ton lit, et que tu pourras, rendu à la santé, aller voir de tes yeux ce que je t'annonce. »

A ces mots, un cri de joie et d'amour s'élève de mille lèvres, et remplit les airs : Evviva Maria ! « Vive Marie ! » Vive la Mère de Dieu, qui nous visite et nous envoie, par les mains des ,anges, sa sainte maison.

C'était bien, en effet, la sainte maison de Nazareth que le peuple de Tersate avait sous les yeux. Cette translation était un miracle du Ciel, s'affirmant dans l'éclat d'un second miracle.

C'était la plus sainte demeure qu'ait portée la terre et qu'ait éclairée le soleil. Le bras tout-puissant du Fils de Marie venait de soustraire ces murs à la profanation que leur préparait la main impure et impie du fanatisme musulman.

Pour se convaincre davantage de la réalité du miracle, le ban du pays, Nicolas Frangipane, se hâta d'envoyer à Nazareth quatre délégués, personnages instruits, religieux et dignes de foi, au nombre desquels se trouvait le curé Alexandre. Quelle ne fut pas leur consolation en retrouvant dans la blanche ville des fleurs, les bases et les bases seules, de la maison de la très Sainte-Vierge ! Ils constatèrent de leurs yeux que les pierres

 

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rouges des fondements étaient exactement de la même nature que celles de la maison trouvée à Tersate. Il en était de même des dimensions de l'édifice. Les quatre envoyés rapportèrent au ban Frangipane ce qu'ils avaient vu. Ils en dressèrent par écrit un récit authentique, et le confirmèrent par serment.

Après eux, d'autres personnages voulurent aussi, de leurs yeux, constater le fait. Ils firent à leurs frais le voyage de Nazareth. Ils en revinrent proclamant à leur tour la certitude de l'événement.

Cependant un nouveau fait acheva de convaincre les plus incrédules. Trois ans et sept mois s'étaient passés depuis l'apparition de la sainte demeure de Nazareth. Elle était devenue, on le comprend, le but d'un vaste pèlerinage, lorsqu'un beau jour, le 10 décembre 1294, la maison sainte disparut de nouveau de Tersate, à la grande douleur des pieux fidèles de ce pays. Qu'était-elle devenue ? C'est ce qu'on se demandait avec surprise, quand on apprit qu'elle se trouvait en Italie, à Recanati, au milieu d'un bois de lauriers. Et encore elle ne resta pas là. Quelque temps après, elle était transportée sur la colline où depuis six cents ans la vénération universelle va la trouver, baisant ses murs, et à leur ombre deux fois sainte, mêlant les prières de l'espérance aux larmes de l'amour.

Lorsque la sainte maison fixa définitivement son séjour à Lorette, le pape Nicolas IV était allé au ciel remercier Marie de sa maternelle bonté envers l'Eglise et l'Italie. Le saint ermite Pierre de Mouron le remplaçait sur le trône des Pontifes, sous le nom de Célestin V. Son humilité l'en fit descendre avant qu'il n'eût le loisir de donner au miracle de la Translation de la maison de Lorette la consécration d'un acte pontifical. Cette mesure était réservée au pape d'Avignon, Urbain V (1365). Après lui, d'autres Papes ont fait rechercher avec soin les preuves certaines du miracle. Au vu de ces témoignages authentiques, Paul II, Jules II, Léon X, Paul III, Paul IV, et d'autres encore, n'ont pas hésité à déclarer « que la maison de Lorette est celle dans laquelle Marie a pris naissance, a été saluée par l'ange et a conçu de l'Esprit-Saint le Sauveur du monde. » Ainsi s'exprime le plus savant des Papes, l'illustre Benoit XIV, en

 

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rapportant la Leçon historique de l'office de la Translation dans le Bréviaire romain.

Cet office, fixé au 10 décembre et institué par Sixte-Quint, a été déclaré obligatoire par le pape Urbain VIII pour toute la province de Lorette. Innocent XII y ajouta une messe propre.

De nombreux privilèges ont été accordés, ainsi que de précieuses indulgences, à la sainte chapelle de Lorette et à tous les pieux fidèles qui s'y rendent en pèlerinage.

Une basilique grandiose l'enferme dans son enceinte. Cette basilique a été érigée en cathédrale par le pape Sixte-Quint. Sur la façade orientale, on lit cette inscription : « Pèlerin chrétien, venu ici pour accomplir le voeu de ta piété, tu vois la sainte Maison de Lorette, vénérée de tout l'univers à cause de ses mystères divins et de l'éclat de ses miracles. C'est ici que Marie, la très sainte Mère de Dieu, a été mise au monde ; ici qu'elle a été saluée par l'ange ; ici que s'est fait chair le ;Verbe éternel de Dieu. »

Les papes Léon X, Clément VIII et Paul III se sont plu à revêtir les murs de la Santa Casa du plus beau marbre d'Italie, orné des plus riches figures par le ciseau des Sansovino, des Lombard et des Bramante. Les prophètes et les sybilles antiques sont tour à tour représentés dans cette oeuvre merveilleuse de l'art chrétien. Mais au-dessus de toutes ces figures prophétiques apparaît la douce image de Marie. Au nord et à l'ouest, la Nativité de la très Sainte-Vierge et l'Annonciation de l'ange Gabriel « oeuvre divine » de Sansovino, au témoignage de Vesari au sud et à l'est, la Nativité de Notre-Seigneur et la translation de la sainte Maison de Nazareth. En outre, des bas-reliefs, dus au ciseau des plus grands maîtres, représentent au sud David et Goliath, avec les Mages en adoration ; au nord, le mariage de la très Sainte-Vierge et à l'est sa mort précieuse, ou plutôt son doux sommeil : dormitio.

Quant à la statue de la Sainte-Vierge, oeuvre de saint Luc, elle 'est couverte d'innombrables pierreries, étincelant de mille feux à la lueur des lampes d'argent qui l'illuminent nuit et jour.

La sainte Maison de Lorette a les dimensions suivantes : longueur 9 m. 53, largeur 4 m. 17, hauteur 5 m. 40. L'auteur

 

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de ces lignes a eu le bonheur de visiter la Santa Casa en 1874, et d'y célébrer l'adorable sacrifice le 18 décembre, fête de l'Attente de l'enfantement de la très Sainte-Vierge. Comment alors ne pas éprouver quelque chose des sentiments de. foi et d'amour qui débordaient de la grande âme de saint François de Sales, prosterné â deux reprises sur le pavé de la sainte chapelle, et se relevant le visage tout rayonnant des lumières célestes et des flammes divines, qui remplissaient son esprit élevé et son coeur de vrai fils de Marie ? Or, ces sentiments dont l'âme est saisie, pénétrée, embaumée, à Lorette, on les éprouve, bien que dans une mesure moindre, dans les sanctuaires érigés par la piété catholique à l'imitation de la Maison sainte de Marie.

Il en est ainsi dans le pieux sanctuaire qui s'élève sur la fraîche colline d'Achenberg. Disons tout d'abord que cette colline, avec sa blanche chapelle, est située entre Klingnau et Zurzach et domine la majesté du Rhin et la fougue de l'Aar, qui court s'y jeter à une lieue de là. Prononcer les noms de Zurzach et de Klingnau, n'est-ce pas évoquer avec le IVe et le XIIIe siècle, les noms de deux illustres servantes de Marie : sainte Vérène et la bienheureuse Anne de Klingnau, morte avec le parfum de la sainteté au monastère de Töss, près Winterthur ? Ces deux noms nous disent assez que Marie, dès les siècles les plus reculés, fut l'objet des pieux hommages, non seulement de ces illustres vierges, mais des admirateurs de leurs vertus et de leurs imitateurs dans cette contrée. Zurzach, d'ailleurs, vit fleurir sur le tombeau de sainte Vérène, dès le VIIIe siècle, une colonie des fils de saint Benoît, dont la dévotion à Marie n'a cessé d'édifier les générations chrétiennes. Et le culte de la Mère de Dieu, nous le savons, a passé comme un noble héritage des Bénédictins de Zurzach aux chanoines, leurs successeurs, en 1279, dans la magnifique église, qui devait son existence à la pieuse munificence de l'empereur Charles-le-Gros et de l'impératrice sainte Richarde.

Cependant, ce n'est qu'en 1660 que l'idée vint de consacrer la colline de l'Achenberg, en la couronnant par une chapelle élevée à la gloire de Notre-Dame de Lorette. On alla plus loin.

 

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Le culte virginal de saint Joseph complète le culte rendu à la Vierge des vierges. Une seconde chapelle avec son autel s'éleva bientôt près de la première. Ce fut le sanctuaire de saint Joseph. Une confrérie, enrichie de nombreuses indulgences, vint donner à ce double sanctuaire un nouveau lustre. Chaque samedi de l'année, une messe fondée en ce lieu dut se célébrer à perpétuité pour les bienfaiteurs de la nouvelle confrérie de Notre-Dame de Lorette, comme aussi pour les membres de cette association sainte (approuvée en 1668 par le Pape Clément IX), qui portaient leurs pas et leurs prières dans ce lieu deux fois béni.

De nombreux pèlerins s'y rendent chaque jour. Ils sont plus nombreux encore, ils arrivent en foule le IV° dimanche après. Pâques et le dimanche dans l'octave de l'Assomption. C'est qu'alors un office solennel est chanté, et la parole sainte redit les gloires de Marie. Mais c'est bien autre chose encore le 2e jour de septembre. A l'occasion de la fête de sainte Vérène, la gloire et la protectrice de Zurzach, on ne voit pas moins de six paroisses accourir, avec croix et bannières, au sanctuaire de Marie sur l'Achenberg. Ce sont les paroisses de Baldingen, Doettingen, Endingen, Klingnau, Würenlingen et Zurzach. Il est à peine besoin d'ajouter que ce beau sanctuaire, pieusement entretenu, retentit dans ces grandes circonstances des acclamations ou des litanies dites de Lorette, Lauretance, chantées avec entrain, avec foi, par des milliers d'âmes et de voix ne faisant qu'une voix et qu'une âme pour glorifier, honorer, invoquer la douce et puissante Mère de Dieu. Et ces invocations ne sont pas vaines, comme l'attestent les nombreux ex-votos qui tapissent les murs de ce sanctuaire, dont ces témoignages de reconnaissance envers Marie sont le plus riche et le plus bel ornement.

 

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2. La chapelle de la Sainte-Vierge à Bremgarten.

 

UNE MESSE CÉLÉBRÉE CHAQUE JOUR DANS CE SANCTUAIRE. — MARIE VICTORIEUSE DE L'HÉRÉSIE. — LES DEUX BULLINGER, PÈRE ET FILS. — L'ÉVANGILE DE ZWINGLI. — LA VÉRITÉ CATHOLIQUE A BREMGARTEN. — LES CAPUCINS ET LES BÉGUINES. — SAINT SYNÉSIUS.

 

A quelques pas du presbytère de Bremgarten s'élève une gracieuse chapelle, où l'on voit arriver chaque jour de pieux pèlerins des campagnes voisines. Ce sanctuaire est dédié à la Reine des cieux, dont la douce image apparaît au-dessus de l'autel, à travers la grille qui sépare le choeur de la nef. En vertu des fondations dont la chapelle de Marie est dotée, une messe s'y célèbre chaque matin à 5 heures en été, à 6 heures en hiver. En outre, une lampe doit brûler jour et nuit devant la sainte image de la Mère de Dieu.

La ferveur de la prière dans ce sanctuaire a eu souvent pour récompense l'éclat des miracles. On peut s'en convaincre, en jetant un coup d'oeil sur les nombreux ex-voto suspendus par la reconnaissance aux murs de la chapelle.

A quelle date remonte ce beau sanctuaire, que de pieuses mains se plaisent à orner avec goût ? L'absence de documents ne permet pas de répondre à cette question. Il est à croire que, déjà avant la nouvelle religion de Zwingli, un oratoire s'élevait, en l'honneur de Marie, sur la place occupée aujourd'hui par son sanctuaire. Quoi qu'il en soit, il est certain que la ville de Bremgarten devait bien cet hommage de réparation à Celle que l'Eglise appelle à juste titre le marteau des hérésies : profligatrix haereseum. On sait, en effet, que la ville de Bremgarten n'a échappé au naufrage qui a englouti la foi catholique à Zurich, à Bâle, à Berne, que par la protection toute-puissante de la très Sainte-Vierge. C'est à cette protection que les armes catholiques durent leur victoire sur les armes de l'erreur et de ses partisans, dans les champs de Willmergen, en 1656, et sur les sommets du Gubel en 1531. Alors déjà, grâce à la parole et à l'exemple d'un curé débauché, nommé Henri Bullinger, qui

 

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était, depuis plus de vingt ans, moins le curé que le scandale de cette ville. Bremgarten avait prêté l'oreille aux accents impies du digne fils de ce prêtre (1). La messe avait été supprimée et les images de Marie et des saints, chassée du sanctuaire. Un pasteur protestant avait été imposé à cette ville par Zurich, dans la personne de l'alsacien Gervais Schuler, de Bitschwyler.

Bremgarten avait ainsi suivi l'exemple funeste de Mellingen, où la foi catholique avait été remplacée par l'évangélisme de Zwingli. Ce qui fait dire, avec une naïveté quelque peu ridicule, au savant Mülinen : « Bremgarten fut quelque temps évangélique. » Hélas ! quel évangile ! Ce n'est ni celui des quatre écrivains sacrés, ni celui de l'Eglise, ni celui de la vérité. L'évangile d'un prêtre apostat et défroqué, adopté par un autre prêtre défroqué et apostat ! Quel évangile ! Et quels évangélistes ! et

quels évangéliques ! …      

Après la victoire de Willmergen, les cantons catholiques chassèrent de Mellingen et de Bremgarten les prédicants de l'erreur. Ils relevèrent les autels de l'Eucharistie et de la Sainte-Vierge. Des prêtres, étrangers à l'ignorance et aux vices des Bullinger, exposèrent au peuple la vérité chrétienne dans tout son jour, et bientôt la foi catholique reparut avec une nouvelle vie au milieu de ce peuple un instant égaré. Le Dieu des tabernacles chrétiens raviva le culte d'honneur et de douce invocation, rendu par tous les siècles à son Immaculée

 

1 Henri Bullinger, le fils, était un humaniste et un littérateur. De l'aveu même de Ruchat, il avait préféré au livre des sentences de Pierre Lombard, les écrits de Luther et ses invectives tour à tour fines et grossières contre l'Eglise, son autorité divine et ses divines institutions. Littérateur médiocre, Bullinger était d'une profonde ignorance en matière de théologie. C'est ce que prouvent ses maigres écrits, dont un enfant de dix ans peut réfuter les grossières erreurs, pourvu que cet enfant sache les premiers éléments de la vérité révélée, c'est-à-dire son catéchisme.

Et voilà l'homme dont le protestantisme a fait un savant, un apôtre, un héros. Héros et savant à la hauteur de Zwingli, tant qu'on voudra. Deux ignorances multipliées l'une par l'autre, si l'on veut, on aura le carré, non de l'hypoténuse, mais de l'ignorance. Ce sera tout, à moins d'y ajouter encore la mauvaise foi.

 

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Mère. Marie fut plus que jamais l’objet de la dévotion éclairée et renaissante de tout un peuple. Et pour affermir la foi dans la ville et le baillage de Bremgarten, d'humbles fils de saint François vinrent y dresser leur tente (1618). Ils y rencontrèrent leurs pieuses Soeurs, qui avaient succédé en 1401 aux anciennes religieuses établies sous le nom de Béguines à Bremgarten dès l'année 1377.

En 1653, la ville de Bremgarten reçut de Rome les reliques saintes d'un martyr. Le corps de saint Synésius fit dès lors et fait encore de nos jours la plus précieuse richesse de la belle église de Bremgarten.

Ajoutons qu'à peu de distance de la ville, un des plus illustres serviteurs de Marie a aussi son sanctuaire. C'est saint Antoine du désert, qu'on va souvent invoquer, de près et de loin, dans sa modeste, chapelle.

 

3. La chapelle de Marie à Ionenthal.

 

L'ABBAYE DE MURI. — LE SANCTUAIRE D'IONENTAL. — LE JEUNE CHEVRIER ET LE CONCERT MYSTÉRIEUX. SONGE EXTATIQUE ET IMAGE DE LA VIERGE. — CHAPELLE BATIE, PUIS AGRANDIE.

 

Sur le flanc vert du Lindenberg se détache la ville de Muri. Son église majestueuse rappelle la gloire de la petite cité, gloire de huit beaux siècles, due à la munificence d'une pieuse princesse, Ida de Lorraine, qui fonda, en 1027, le monastère de Bénédictins, autrefois célèbre par la science et les vertus qu'on y cultivait. On sait comment cette illustre abbaye est tombée, en 1841, sous les coups du radicalisme argovien (1). Pendant 814 ans, le nom immaculé de Marie a été chanté sous les voûtes de la belle et vaste église qui est fière, à bon droit, du trésor qu'elle possède depuis 1641 ; ce trésor apprécié de la foi, ce sont les reliques du saint martyr Léontius ou Léonce.

A une lieue, à l'est de Muri, se trouve une charmante chapelle. Dédié à la Vierge sans tache, ce sanctuaire est un but de pieux pèlerinage. On y voit de nombreux ex-voto.

 

1 D'autres maisons religieuses dans le même canton ont subi le même sort à la même époque.

 

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L'origine en est curieuse. Voici ce qu'en dit la légende plusieurs fois séculaire :

« Un jeune et pieux chevrier faisait paître son troupeau dans les buissons de la colline, au pied de laquelle se dresse, depuis des siècles, la chapelle de Marie. Cet humble pâtre, auquel nous donnons, pour la clarté du récit, le nom de Diebold, aimait du plus filial amour la très Sainte-Vierge, dont le nom béni revenait sans cesse sur ses lèvres pieuses. Or, un jour, le fidèle serviteur de Marie remarque qu'une chèvre au blanc pelage manque â son troupeau. Le bon pasteur se hâte de courir à sa recherche. Après de longs détours â travers les taillis, elle répond enfin à son appel. Diebold n'a plus qu'un souci : c'est de ramener l'égarée â son bien aimé troupeau. Mais il est allé loin pour la retrouver. Avec peine, il descend un rocher assez élevé, et le voilà au bas de la colline, mais dans une toute autre direction que celle qu'il devait prendre. Bientôt à ses oreilles retentit un doux et ravissant concert. Il écoute, il est ravi. Il veut voir le lieu où se fait entendre cette suave musique. Cependant à mesure qu'il avance, les accents qui le transportent deviennent moins sensibles. Bientôt ils se taisent. Longtemps encore, le pâtre prête l'oreille. Le silence seul règne autour de lui. Il va revenir sur ses pas et rejoindre son troupeau, lorsque les mélodies reprennent de plus belle. Il s'arrête. Il s'assied sur la mousse d'une pierre au bord du ruisseau qui coule â ses pieds. Le sommeil le surprend. Il ne se réveille qu'aux clartés de l'astre du jour. Mais sa joie est vive, son bonheur est profond. Pendant son sommeil, une vision magnifique a frappé ses regards. Diebold s'est vu dans une petite église, au milieu d'une foule recueillie et â genoux. A l'autel brûlaient des cierges en grand nombre et au-dessus de l'autel rayonnait, dans une gloire céleste, la divine Mère, que le pâtre prie lui aussi de tout son coeur. Et Marie, invoquée par tant de voix, semble n'avoir des yeux que pour son fidèle Diebold. Longtemps le pâtre jouit de l'extase de ce spectacle. Enfin Marie disparaît et avec la vision s'enfuit le sommeil. Mais en ouvrant les yeux à la lumière, le pâtre voit à ses pieds une image. Il la recueille, elle reproduit les traits de la divine Mère, telle qu'il l'a vue pendant la nuit.

 

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Tandis que Diebold repasse avec une douce émotion ce qu'il vient de voir, des bergers accourent de toutes parts et lui témoignent leur joie de le retrouver. La veille, son troupeau avait pris seul le chemin du village. On se demandait avec la plus vive inquiétude ce qu'était devenu le berger. On l'avait cherché dès l'aube du jour. On le retrouvait enfin.

De son côté, Diebold se hâte de raconter à ses amis son bonheur de la veille et son extase de la nuit. Cet événement vole de bouche en bouche. Tous se demandent ce qu'il peut bien signifier. « C'est une chapelle, s'écrie la foi, que Marie demande en ce lieu; érigeons-la. » Et sans tarder, on se met à l'oeuvre. Les fondements de la chapelle sont jetés dans le sol. Mais, ô surprise ! le lendemain matin toutes les pierres ont disparu. « C'est un tour de mauvais sujets, s'écrie-t-on. Qu'on veille la nuit. » — Et la nuit suivante une garde veille sur les pierres et leurs nouvelles assises. Vaine précaution ! Le lendemain matin, les pierres ont été roulées dans le ruisseau. — Que faire ? « Ce n'est pas ici, dit un avisé, que Marie veut sa chapelle. Arrachons ces aubépines. C'est là que les voix d'en haut se sont fait entendre, c'est là que s'est trouvée l'image, c'est là qu'il faut bâtir. » On bâtit, et cette, fois la construction s'élève comme par enchantement. La chapelle est debout, elle est consacrée, elle aura la durée des siècles. »

Et depuis des siècles, les générations pieuses succèdent aux générations dans ce sanctuaire béni. Les grâces s'y sont multipliées, ainsi que les miracles. D'innombrables ex-voto en font foi. Dès l'année 1521, la chapelle s'est trouvée trop étroite pour les pieux visiteurs. Il a fallu, pour l'agrandir, la rebâtir à neuf. Et depuis, on voit chaque année des paroisses entières s'y rendre en procession. Le saint Sacrifice ne cesse d'y être célébré, en particulier le samedi, jour consacré spécialement à la douce Mère de Dieu.

 

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La chapelle de Marlawyl, près de Baden.

 

LA VILLA DE MARIE ET LES PÈLERINS D'EINSIEDELN. — LES RELIGIEUX DU TIERS-ORDRE. — LE CHAPITRE DE BADEN. — LES CAPUCINS. — LE$ FRANCISCAINES DU COURONNEMENT. — BARBE FREY.

 

Mariawyl! La villa ou la campagne de Marie! Nom qui respire les parfums et la poésie du Cantique des cantiques. C'est le nom d'une vaste et gracieuse chapelle, dédiée à la Vierge des vierges, à Unterwyl, sur les bords de la Limmat, à une demi-lieue au-dessus de Baden. Pour mieux justifier son beau nom, on voudrait voir ce sanctuaire, où les pèlerins aiment à porter leurs pas et leurs prières, tout entouré des lys de la vallée et des roses de Jéricho ou d'Assise.

Avant la construction de nos chemins de fer, on voyait souvent des groupes de pèlerins, se rendant d'Alsace ou de la Forêt-Noire à Notre-Dame des Ermites, faire une station pieuse dans ce sanctuaire. Même station au retour du pèlerinage. De nos jours, c'est surtout le dimanche et aux jours de fêtes de la Sainte-Vierge que Mariawyl reçoit la visite et les prières des serviteurs et des servantes fidèles de la Mère des chrétiens.

Trois autels se dressent dans ce sanctuaire. On y voit aussi des confessionnaux et une tribune. Le choeur est séparé de la nef par une grille. Dans la gracieuse tour qui domine la chapelle, la cloche invite de temps à autre les pieux fidèles à venir prendre part au divin sacrifice, ou à la récitation sainte du Rosaire.

En face de la chapelle, nous dirions presque de l'église, demeure le gardien de ce sanctuaire. Il est en même temps le fermier des biens qui forment la villa de Marie.

A quelle époque remonte cette chapelle et ce pèlerinage? On ne peut le préciser. Ce qui est certain, c'est que la chapelle compte bien ses deux siècles d'existence. Aurait-elle été bâtie sur l'emplacement d'un premier et très ancien oratoire? On peut le conjecturer. Quoi qu'il en soit, il y avait là, autrefois, près de la sainte chapelle, un pieux frère portant le costume

 

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religieux du Tiers-Ordre, qui veillait nuit et jour sur le sanctuaire de Marie. Longtemps ces amis du désert et du silence, ces hommes de prière et de volontaire immolation, se sont succédé, donnant à tous, en ce lieu béni, l'exemple des plus austères vertus, et renonçant à toute quête, pour ne vivre que des aumônes qu'ils recevaient des pèlerins. Malheureusement, un dernier venu n'a pas su marcher sur les traces de ses saints prédécesseurs. Sa conduite déshonorait l'ermitage. Il en a été chassé, et l'ermitage est resté vide. Nous verrons plus loin que d'autres ermitages ont eu la même fin.

Ce qui inspirait souvent la création de ces pieux asiles, c'était le voisinage d'une communauté ou d'une collégiale. Il en est ainsi à Baden.

Une collégiale, avec un Chapitre de sgpt chanoines aidés de cinq chapelains et présidé par un prévôt, fut créé à Baden, en 1624. Marie eut les honneurs de cette grande oeuvre. La collégiale s'élève sous le vocable, de l'Assomption de la très Sainte-Vierge. Le culte de Marie s'affirmait ardent et profond dans la religieuse cité de Baden. Le pieux Chapitre a existé jusqu'aux jours du radicalisme et des ruines qu'a su faire l'impiété dans le beau canton d'Argovie.

Ce foyer de dévotion à la Mère de Dieu venait se joindre à un autre foyer plus fécond encore. Dès l'année 1591, les humbles fils de saint François fondaient à Baden une maisôn de Capucins. C'est assez dire que Marie fut honorée, invoquée et chantée par ses vaillants serviteurs, non seulement dans leur pauvre et sainte communauté, mais dans toutes les églises de Baden et des environs. En outre, une institution, toute dévouée à la Vierge immaculée, avait devancé à Baden celles que nous venons de mentionner. Dès l'année 1523, les Soeurs franciscaines quittèrent leur couvent de Würnlingen, fondée en 1366, entre Baden et Klingnau, sur la rive droite de l'Aar, et venaient fixer leur demeure dans la ville de Baden. Elles fuyaient ainsi les fureurs des farouches zwingliens, vautours menaçant de leurs griffes les paisibles colombes du Seigneur et de sa sainte Mère, la douce Vierge Marie.

En 1612, les saintes filles du Couronnement de Marie, c'était

 

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le nom de leur communauté, franchirent le seuil de la cité pour s'établir définitivement dans le monastère dont la place leur fut donnée, au faubourg, par la pieuse veuve Barbe Frey, qui se fit religieuse à son tour et mourut, en 1644, dans ce couvent, où elle avait rempli pendant quinze ans les fonctions de Mère ou de supérieure.

 

La chapelle de Sulzberg, près de Wettingen.

 

L'ABBAYE DE WETTINGEN. — SON ORIGINE. — SA PROSPÉRITÉ. — SA CHUTE. — LA FRANC-MAÇONNERIE ET KELLER. — ÉRECTION DU SANCTUAIRE DE MARIE A SULZBERG.

 

Avant de faire connaître l'origine du modeste sanctuaire élevé à la gloire de Marie sur le sommet du monticule qui domine Wettingen, il convient de rappeler ce que fut l'illustre et magnifique abbaye de ce nom. Elle était sous le vocable de l'Etoile des mers, Stella maris, et voici à quelle occasion :

En 1221, le comte Henri de Rapperschwyl, surnommé le Pèlerin, revenait de la Terre-Sainte après avoir visité Jérusalem et le Sinaï.. En mer, le vaisseau qui le portait fut assailli par une violente tempête. Equipage et passagers, tout allait périr dans les flots, lorsque le comte éleva ses yeux et ses mains vers le Ciel en s'écriant : « O Marie, Etoile de la mer, sauvez-nous. Arrachez-nous à la mort qui nous menace, et je fais voeu d'ériger un monastère à votre gloire. » A ce voeu, à cette prière, à ce cri d'espoir contre tout espoir, les nuages déchirent leur voile sombre, une étoile brillante apparaît aux yeux de tous : bientôt les vents se calment, la mer s'apaise, le navire reprend son cours et arrive heureusement au port.

Ainsi raconte la légende, et l'histoire ajoute, appuyée sur des documents authentiques, qu'en l'an 1227, le 14 octobre, Henri de Rapperschwyl jetait les fondements d'un monastère sur la rive droite de la Limmat, dans une situation ravissante. Il y appelait de l'abbaye de Salem, en Souabe, filiale de Lucelle, une colonie de douze Cisterciens, et donnait à la maison nouvelle le nom d'Étoile de la mer, ce nom sous lequel il n'avait

 

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pas vainement invoqué Marie au sein du danger. Et lui-même, après la mort de sa digne épouse Anna de Homberg, couronna son oeuvre, et peut-être son voeu, en prenant l'habit des fils de Cîteaux pour finir ses jours, en 1246, dans la vie et la paix religieuse, au sein du monastère qu'il venait de créer. Il laissa à l'abbaye une dotation considérable avec ses armoiries, la rose de Rapperschwyl, dont le couvent de Wettingen fit ses propres armes.

Protégé par les papes, par les empereurs, par ses bienfaiteurs, les comtes de Kybourg et de Habsbourg et les ducs d'Autriche, le monastère des moines blancs de Wettingen eut de longs jours de prospérité. Pendant six cents ans, il vit passer, à l'ombre et dans le silence de ses murs, des légions de saints, qui n'ouvraient leurs lèvres que pour chanter les louanges de Dieu et les gloires de la Vierge d'Israël. Il était

réservé au libéralisme argovien, dont la haine contre l'Eglise et ses institutions saintes semblait incarnée et personnifiée dans

le fanatique Augustin Keller (1), de renverser et de ruiner à jamais la grande oeuvre des siècles chrétiens. C'est ce qui eut lieu le 13 janvier 1841. A cette date néfaste, un décret du Grand Conseil d'Argovie prononça la suppression brutale de l'abbaye qui faisait la gloire des bords de la Limmat. Et les serviteurs de Dieu, chassés de leur demeure tant de fois séculaire, se virent réduits à chercher un asile sur la terre étrangère. En 1854, les Cisterciens de l'Etoile de la mer ont enfin

 

1 Augustin Keller, ancien maître d'école, baptisé catholique, avait été hissé au pouvoir par la franc-maçonnerie, qui le comptait au nombre de ses plus fougueux adeptes. Il se maintint pendant de longues années à la tête du gouvernement d'Argovie en faisant, au nom du libéralisme, une guerre sans paix ni trêve à l'Eglise catholique, et surtout aux maisons religieuses. Persécuteur de l'Eglise, il a favorisé de toutes ses forces la création de la secte vieille-catholique en Argovie et dans toute la Suisse. Il a fini comme son émule dans la haine et la persécution du catholicisme, le peu illustre Joachim Froté, préfet de Porrentruy, par devenir fou et mourir dans sa démence. La plupart des persécuteurs n'ont pas et n'auront pas une meilleure fin. Tertullien l'a dit : « L'Eternel est patient, mais il est juste. »

 

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trouvé à Mehrerau, près de Bregenz, dans une caserne qui avait été jusqu'en 1806 un monastère de saint Benoît, un Nouveau-Wettingen. Neu-Wettigen est, en effet, le nom qu'ils ont donné, sur les bords du lac de Constance, à leur nouveau monastère.

C'est à l'un des Pères de l'Etoile de la mer que la chapelle de Sulzberg doit, sinon son existence, du moins sa célébrité. Le fondateur réel de ce sanctuaire de Marie fut un pieux chrétien, qui tenait en fief de l'abbaye le domaine de Herdern. En 1728, il en demanda humblement la permission à l'abbé Alberich Beùsch, qui s'empressa de l'accorder. Ce ne fut d'abord qu'un petit oratoire, mais il fallut bientôt l'agrandir, à cause de l'affluence des pèlerins qui venaient y jouir du double bonheur de prier Marie et de voir, du haut de la colline, se dérouler sous leurs yeux un magnifique paysage. La foule grossissante ne faisait en cela que se montrer docile à la voix et à l'exemple du pieux conventuel alors chargé de la paroisse de Wettingen. Les fidèles n'y accouraient pas seulement isolés et par groupes, mais ce furent des processions proprement dites qui prirent le chemin de la colline de Marie.

Puisse, de nos jours, ce lieu vénéré, source de grâces et de bienfaits, retrouver le nombre et la ferveur de ces pèlerins d'autrefois ! On comprend, en effet, que l'expulsion des religieux de Wettingen et la conversion de leur vaste monastère en une école de régents, ait entraîné, pour la sainte chapelle, l'injure de voir diminuer le pèlerinage dont elle était l'objet depuis plus d'un siècle.

 

§ 2. JURA BERNOIS

 

Les sanctuaires élevés à l'honneur de l'auguste Mère des chrétiens dans le Jura sont :

 

1.         Notre-Dame de Lorette, à Porrentruy ;

2.         Notre-Dame de Lorette, à Saint-Ursanne;

3.         Notre-Dame de Lourdes, à Bonembez;

4.         Notre-Dame de Lourdes, à Montenol ;

5.         Notre-Dame de Lourdes, à Pleujouse;

 

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6.         Notre-Dame de la Salette, à Rossemaison ;

7.         Notre-Dame du Vorbourg, à Delémont ;

8.         Notre-Dame de Lourdes, à Soyhières ;

9.         Notre-Dame des Ermites, à la Vacherie Mouillard ;

10.      Notre-Dame du Sacré-Coeur, à Seleute.

 

Il est encore d'autres sanctuaires de Marie pieusement fréquentés, et d'autres images saintes vénérées dans le Jura. Mais comme ces sanctuaires ne constituent pas des chapelles proprement dites, indépendantes des églises, nous ne pouvons, dans l'intérêt de la brièveté, en donner l'historique ou la description comme nous aimerions le faire.

 

1. Notre-Dame de Lorette, à Porrentruy.

 

LES ANNONCIADES ET LEUR VIERGE MIRACULEUSE. — LA NUÉE BLEUE. — LA CHAPELLE DE LORETTE (1653). — FONDATIONS. — LE SANCTUAIRE DE MARIE PROFANÉ (1793). — LA STATUE MIRACULEUSE SAUVÉE. — LA CHAPELLE RENDUE A SA DESTINATION (1817). — NOUVELLE PROFANATION EN 1873. — ILLUSTRES VISITEURS. — NOTRE-DAME DES ANNONCIADES.

 

L'année 1633 vit arriver à Porrentruy une quinzaine de religieuses, qui venaient, tremblantes de frayeur, demander un asile à cette cité hospitalière. Ces humbles servantes de Marie, qui apportaient avec elles la Vierge de leur monastère, étaient les Annonciades de Huguenau. Menacées par les farouches Suédois, elles avaient abandonné leur maison sainte et traversé toute l'Alsace pour chercher un refuge sur les terres de l'Evêché de Bâle. Les Célestines, comme les faisait appeler leur vêtement d'azur, se croyaient en sûreté dans leur nouvel asile, lorsque, le 24 mars 1634, elles virent, des fenêtres de leur couvent, apparaître l'armée suédoise sous les murs de la ville. Leur consternation fut grande ; elle redoubla lorsque, le soir du même jour, leur Père spirituel, le Jésuite Balthasar Cavai, vint leur annoncer que leur dernière heure allait sonner. A cette nouvelle, toutes se confessent une dernière fois. Puis, plaçant leur douce Vierge sur une fenêtre, le visage tourné

 

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vers l'ennemi, les saintes filles passèrent la nuit dans les angoisses de la terreur et les espérances de la prière.

De son côté, le magistrat faisait voeu à la très Sainte-Vierge, si sa protection toute-puissante sauvait la ville, qui se consacrait à Marie, de bâtir une chapelle en l'honneur de la divine Libératrice. « Or, ajoutent les Annales des Annonciades, le lendemain matin, c'était le jour de l'Annonciation de la très Sainte-Vierge, un rayon d'espoir vint ranimer le courage des saintes filles, qui avaient passé la nuit à genoux aux pieds de leur puissante Mère. Elles virent descendre du ciel, sur le champ de l'armée ennemie, une nuée en forme de manteau bleu, ce qui fut estimé comme une marque visible de la protection de la très Sainte-Vierge. »

Ce signe ne fut pas trompeur. En ce même jour, l'armée suédoise leva le camp, prit une autre direction, et Porrentruy put, avec joie, saluer l'heure de la délivrance. La ville, avec les bonnes religieuses, s'empressa de rendre hommage à Celle « que les peuples et les cités n'ont jamais invoquée en vain ».

Fidèle au voeu de ses magistrats, la ville s'occupa, sans, retard, d'élever un sanctuaire à Marie, au lieu même qu'Elle avait couvert d'une nuée bleue, signe visible de sa protection. Mais la guerre de Trente-Ans était loin de toucher à son terme. Il fallut attendre, pour mettre la main à l'oeuvre, que la paix fût rendue à l'Europe par le traité de Westphalie (1648).

Le 22 mai 1653 vit poser la première pierre de la chapelle de Marie, au pied de la colline sur laquelle avait campé l'armée suédoise, dix-neuf ans auparavant. Ce sanctuaire fut construit sur le plan et avec les dimensions exactes de la sainte Maison de Lorette, en Italie (1). Quatre ans après, le dimanche 8 avril, le modeste édifice recevait sa consécration des mains du suffragant de l'évêque de Bâle, l'illustre docteur Thomas Henrici.

Bientôt, sur les pas de la ville, toute l'Ajoie accourut aux pieds de Notre-Dame de Lorette. De nombreux miracles répondirent à la foi, à la confiance, à la prière des invocateurs de la Vierge sainte. Et lorsque la France révolutionnaire envahit le

 

1 Voir ce que nous en avons dit plus haut, page 6.

 

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Jura et vint y promener son impiété féconde en ruines, les murailles de la chapelle étaient littéralement tapissées des ex-voto de la reconnaissance envers Marie.

D'année en année, le sanctuaire s'était embelli et enrichi. Chaque jour une ou plusieurs messes se célébraient à son autel, en l'honneur et sous les yeux de Marie, dont la statue sainte, richement vêtue, semblait éclairer la chapelle de ses doux rayons.

Par décret du magistrat, treize messes, en particulier, se célébraient dans ce sanctuaire, chaque année, aux frais de la ville. Les jours étaient fixés pour la célébration de ces messes d'actions de grâces. C'étaient, outre les fêtes de la très Sainte-Vierge, celles de sainte Anne et de saint Joseph. Pour les acquitter, Lorette eut même son chapelain propre, nommé par le magistrat. Le dernier, chassé par la Révolution, fut Dominique-Josèph Beuret, de Porrentruy.

La chapelle de Lorette était, depuis plus d'un siècle, le but de fréquents pèlerinages et de nombreuses processions, lorsque des Suédois, plus farouches que ceux de 1634, et plus destructeurs que les sauterelles de l'Orient, firent irruption dans le pays, le 23 avril 1792. Ces sauterelles, dont les nuées sombres et dévastatrices apparaissaient autrefois aux regards des prophètes, c'étaient bien alors les Français, non ceux de Louis XIV, mais les fils de la Révolution, les Français de Marat, de Danton et de Robespierre. Le soleil de la liberté venait de se lever sur l'antique Evêché de Bâle ! Déjà il éclairait de ses rayons sanglants la sinistre guillotine, instrument de terreur et de mort promené d'un bout à l'autre du pays, lorsqu'il vit, sans reculer d'horreur, la dévastation et le pillage de toutes les églises, de toutes les chapelles, de tous les sanctuaires, par les adorateurs d'une impure déesse. La chapelle de Lorette fut dépouillée de ses richesses et de ses ornements. Les ex-voto qu'elle renfermait disparurent dans les flammes d'un auto-da-fé révolutionnaire, assaisonné de blasphèmes et de danses iroquoises Le sanctuaire de Marie, on ose à peine rappeler ce lugubre souvenir, fut converti en une écurie pour le bétail malade, et ses environs en un charnier où l'on jetait pêle mêle les soldats

 

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de la grande République, succombant par centaines au typhus qui les dévorait dans les salles du collège, devenu l'hôpital de la Montagne.

Il ne resta du sanctuaire de Lorette que les quatre murs et le toit. Cependant, ce qui avait, aux yeux des, fidèles, plus de prix que tout le reste, la statue miraculeuse de Marie, put échapper au naufrage. A la faveur des ombres de la nuit, le maire Rödel l'avait sauvée et enfouie dans le sol de son jardin. Elle y resta cachée sept ans, et n'en sortit qu'après, le 18 brumaire. A. la restauration du culte par le Concordat de 1802, la statue sainte fut enfin rendue à la vénération publique.

Mais la chapelle de Lorette continua, jusqu'en 1817, à servir de maison d'habitation à un employé français, Nicolas Barthélemy, qui l'avait achetée de la Nation pour une poignée d'assignats. Le 18 août 1817, le conseil de la ville racheta le modeste édifice pour une somme de 6.000 fr. On s'empressa de restaurer la chapelle et le 6 septembre 1818, on put y célébrer le saint Sacrifice. La statue de la Sainte-Vierge y fut reportée solennellement, et le bailli de Jenner fit don à la chapelle d'une lampe d'argent à allumer devant l'image sainte.

Le pèlerinage, après une interruption de vingt-cinq ans, reprit sa. marche progressive. Les paroisses des environs purent sans obstacle se .rendre en procession au sanctuaire de Marie, jusqu'aux jours mauvais qui le virent souillé par les mains excommuniées d'un sacerdoce apostat (1873-1878). Ce sacerdoce vénal a fui. Il est tombé sous le double poids du mépris et du ridicule. Notre-Dame de Lorette est rendue aux hommages des vrais enfants de Marie. Ils vont chaque jour lui apporter- le tribut de leur admiration, de leur confiance et de leur filial amour. Ils vont y gagner, autant qu'ils le peuvent, les précieuses indulgences accordées par le Saint-Siège à la ferveur de leurs prières dans cette humble chapelle.

Le Père Géramb a célébré la messe dans ce sanctuaire, en 1830. Avant lui c'était l'abbé de Lamennais, lorsque la foi éclairait encore son âme et inspirait sa plume. En 1847, le pieux et savant évêque de Bâle, Mgr Joseph Antoine-Salzmann, voulut aussi se donner la consolation d'y célébrer les saints mystères,

 

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comme l'avaient fait avant lui ses nobles prédécesseurs, les Reinach et les Roggenbach.

Quant à la statue miraculeuse de la Vierge des Annonciades, dont nous avons parlé au commencement de cet article, elle a été sauvée, elle aussi, des mains de la Révolution. On la vénère dans l'église paroissiale de Porrentruy. Elle occupe la place d'honneur dans la chapelle du Chapitre séculier de Saint-Michel. Ce Chapitre, établi en 1377, a disparu avec ses biens, à la Révolution. Il en a été de même des Annonciades. La Révolution, en les. proscrivant, s'est emparée de leur église et de leur couvent, dont elle a su faire une prison pour le crime.

Porrentruy avait aussi dans ses murs un couvent de Capucins. Les Capucins ont disparu et leur église est bientôt tombée sous le marteau de l'impiété. Cette ville avait un brillant collège, dirigé par les Pères Jésuites. Les Jésuites ont disparu. Leur église est une halle de gymnastique et la chapelle du séminaire est devenue la loge de la maçonnerie. Et tout cela au nom de la liberté et du progrès !...

 

2. Notre-Dame de Lorette à Saint-Ursanne.

 

LA GROTTE DE SAINT-URSANNE (613-620). — LE MONASTÈRE (620-1076). — LE CHAPITRE (1120-1793). — CONFRÉRIE DE LA SAINTE-VIERGE (1434-1665. — LE CIMETIÈRE DES PESTIFÉRÉS. — LA CHAPELLE CONSTRUITE (1712). — FONDATIONS, CHAPELAIN ET ERMITE. — LORETTE PENDANT LA TERREUR THERMIDORIENNE (1796). — LA STATUE MIRACULEUSE RÉINTÉGRÉE (1802). PÈLERINAGES ET PROCESSIONS A LORETTE. — DEUX TOMBES VÉNÉRABLES.

 

Le plus ancien sanctuaire de Marie dans le Jura, et l'un des plus anciens de la Suisse, est la grotte que vint sanctifier par sa présence et ses vertus le bienheureux Ursanne, l'an 613 de notre ère. On sait quelle était, à Benchor, dans la verte Erin, la dévotion profonde des trois mille moines de saint Comgall envers la Mère de la virginité chrétienne. Benchor répondait à Nicée. Au Sanctus de la terre, qui ne se taisait, comme le Sanctus du ciel, ni la nuit, ni le jour, au Laus perennis de

 

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Benchor, les saintes escouades qui d'heure en heure se relayaient devant les saints autels, les fervents serviteurs du. Christ et de sa divine Mère, mêlaient avec bonheur le nom de Marie et les hymnes à sa gloire. L'Eucharistie et Marie ! Ces deux grands noms résumaient en quelque sorte le culte chrétien en ces âges où la foi inspirait à des âmes sans nombre l'héroïsme de la vie surnaturelle.

Le Dieu de l'Eucharistie et sa divine Mère, c'était le culte apporté de Benchor à Luxeuil, en 590, par saint Colomban et ses vaillants disciples saint Gall, saint Ursanne, saint Sigisbert et d'autres encore.

On comprend dès lors que pendant les sept années qui virent le saint moine Ursanne dans la grotte où il avait trouvé la dernière halte et passé la dernière étape de sa bienheureuse vie, sa voix ait redit chaque jour aux échos des montagnes du Doubs le nom aimé, le nom mille foi s béni de la très Sainte-Vierge.

Et lorsque le saint du Doubs s'en fut allé, le 20 décembre de l'an 620, chanter au ciel les gloires de Celle qu'il avait chaque jour louée, invoquée et chantée sur la terre, les religieux formés à son école, héritiers de sa foi et de ses vertus, continuèrent à mêler dans leurs hymnes quotidiennes le nom immaculé de Marie au nom adorable de son Fils, le Dieu Sauveur.

Pendant quatre siècles, les fils de saint Ursanne chantèrent le nom virginal de leur Mère sur les bords du Doubs, embaumés des parfums de leur piété vive et éclairée. Et lorsque leurs voix s'éteignirent sur leurs lèvres par l'iniquité d'un évêque césarien, prévaricateur et excommunié, d'autres voix ne tardèrent pas à s'élever sur la tombe du saint du désert. De 1120 à 1793, de pieux chanoines renouèrent la chaîne du passé. Sous les voûtes de leur belle et vaste collégiale, dont l'existence est antérieure à l'an 1176, les membres du Chapitre de Saint-Ursanne, Prévôt, Chanoines et Chapelains, n'oublièrent pas un seul jour de saluer de leurs chants la Mère des prêtres et des vrais chrétiens. Aussi voyons-nous figurer dès les temps les plus reculés, parmi les dix-huit chapelles de la collégiale, la chapelle de « Sainte Marie » avec son autel et son chapelain,

Outre cet autel, Marie en avait un second dans l'église

 

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paroissiale de la ville. Car la ville avait son église propre, comme le Chapitre sa collégiale.

Le culte de la Mère de Dieu avait ainsi de siècle en siècle jeté des racines profondes dans la population chrétienne du Doubs, lorsque l'hydre de l'erreur, sorti du puits de l'abîme, vint s'asseoir sur des lèvres apostates et essayer de bannir des coeurs chrétiens le double amour du Dieu de l'Eucharistie et de sa virginale Mère.

La voix des Farel et de ses émules en ignorance, en blasphèmes et en sacrilèges, ne trouva nul écho sur les bords du Doubs. Plus que jamais Marie fut bénie, aimée et honorée; le peuple et le clergé n'avaient qu'une voix pour l'invoquer, et Marie répondit à cette grande clameur de la prière, en étendant son manteau protecteur sur le clergé et sur le peuple fidèle à la foi de ses premiers apôtres et de ses pères.

En 1617, ce même peuple montra le plus vif empressement à se faire agréger dans la Confrérie du saint Rosaire de Marie, et dans. celle du saint Scapulaire de Notre-Dame du Carmel en 1665. Au reste, ces deux Confréries, si riches d'indulgences, ne faisaient que remplacer à Saint-Ursanne une confraternité plus ancienne. C'était le corps de métier, établi dans la ville en 1434, sous le nom significatif de « Compaignie ou Chandoille de Nostre Dame, » dite aussi « Confrérie du luminaire de Nostre Dame du mostier laissa, » c'est-à-dire de l'église paroissiale située au-dessus de la collégiale.

Cependant Marie n'avait toujours pas de sanctuaire qui lui fut exclusivement consacré. En 1711, le chanoine François Chappuy, curé de la ville, voulu répondre à une aspiration que toute la paroisse manifestait depuis longtemps.

A dix minutes de la ville, au coude que fait le Doubs pour reprendre son cours vers la France, s'élevait un humble oratoire, bâti en 1580 en l'honneur de saint Nicolas, dans le champ des morts appelé le cimetière des pestiférés. C'est là, en effet, qu'on avait enterré les nombreuses victimes qu'avait moissonnées la peste de 1576, et sans doute déjà la peste non moins désastreuse de 1534. Or, cet oratoire, en 1711, menaçait

 

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ruine, ce qui donna au curé Chappuy la pensée heureuse de remplacer cet édifice par une chapelle en l'honneur de la Mère des élus et des saints.

Le pieux fondateur voulut que sa chapelle fût une reproduction exacte, sinon par son orientation, du moins par sa forme et ses dimensions, de la Sainte Maison de Lorette.

Son plan fut réalisé avec son voeu. Le 8 septembre 1711, fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, la première pierre de la chapelle était posée par le prévôt du Chapitre, Jean-Jacques Beurret, docteur en théologie, et le 8 septembre 1712, le même prélat en faisait l'ouverture et la bénédiction solennelle. Il bénissait en même temps la belle statue de Marie et de son divin Fils, qui fait le plus riche ornement de la chapelle. C'était un don de la pieuse munificence du Rme Jean-Georges Voirol, le 38e Abbé des Prémontrés de Bellelay.

La chapelle de Lorette, avec sa statue de Marie richement vêtue, sa grille en fer forgé et bien travaillé, la sainte chapelle avec son plafond d'azur semé d'étoiles et ses murs imitant à l'intérieur la brique rouge de Lorette, vit bientôt accourir de tous les environs et surtout des terres de la Prévôté (Clos du Doubs) de nombreux pèlerins. En même temps, des bienfaiteurs enrichissaient ce beau sanctuaire, et y fondaient jusqu'à soixante messes. Parmi ces bienfaiteurs, il convient de nommer François Bernard Billieux, Ursanne Billieux et sa veuve Marie-Thérèse Liépure, François Danville, Ursanne Theubet, Béatrix Bassand, le prévôt du Chapitre Louis Kloetzlin d'Altnach et le chanoine Antoine de Grandvillers.

Six ans après l'ouverture de la chapelle, ses revenus se montaient à 161 livres et 10 sols de Bâle, soit 4500 fr. valeur actuelle.

Il fallut dès lors, et plus encore dans la suite, établir un chapelain spécial pour célébrer à Lorette les messes fondées et celles que demandaient les pèlerins. En 1760, le chapelain de Lorette était Ursanne Verdat, auquel succéda Germain Bouvier, l'un et l'autre prêtre de Saint-Ursanne.

Si la chapelle de Lorette avait son chapelain attitré, elle avait aussi son gardien. L'année après sa construction, on

 

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éleva à la porte du sanctuaire un modeste édifice. Le premier gardien de Lorette fut un tertiaire de Saint-François, François-Joseph Aubry, de Muriaux ou de Spiegelberg, dans les Franches-Montagnes. A la même époque un autre « Bruder » était gardien de la Grotte : c'était l'abbé Pacifique Migy, de Montenol. Après le frère Aubry et son successeur le frère Schütz, les gardiens de Lorette donnèrent lieu, comme ailleurs, à plusieurs plaintes qui amenèrent leur suppression.

Est-il besoin de rappeler que la chapelle de Lorette fut fermée pendant la Révolution? Dès les premiers jours de l'invasion du pays par les Français en 1792, Saint-Ursanne fut inondé, infesté de ces troupes de « volontaires » volontairement impies. Si les Français d'alors ne trouvèrent pas à Saint-Ursanne, comme à Porrentruy, un nombre suffisant d'adeptes pour renverser les autels de l'église paroissiale et y installer leur déesse et son abominable culte, ils ne s'en montrèrent pas moins acharnés à détruire tout ce qui appartenait au culte chrétien.

Cependant un pieux larcin put soustraire la statue miraculeuse de Notre-Dame de Lorette à leurs feux de joie, qui dévorèrent les portraits de douze princes-évêques, ornement de la grande salle de I'Hôtel de Ville. Nous venons de dire : la statue miraculeuse. Plus de quarante ex-voto, conservés dans la chapelle, nous autorisent à donner ce nom à l'image de Marie. Ces ex-voto, témoignages de la prière exaucée, représentaient tour à tour des malades désespérés du médecin ou même des mourants revenant à la vie, des noyés ou d'autres malheureux échappant à la mort par l'intercession de Notre-Dame de Lorette, etc., etc... On voit sur ces tableaux, offerts par la reconnaissance, jusqu'à des troupeaux d'animaux domestiques, dont la conservation en temps d'épidémie est attribuée aux humbles prières adressées à la Protectrice puissante de tous ceux qui l'invoquent avec une humble ferveur.

Fermée pendant les jours de la Terreur, la chapelle de Lorette essaya timidement de se rouvrir sous les thermidoriens. Mais ces derniers ne le cédaient pas à Robespierre en haine de la religion. Un prêtre s'était hasardé, en 1797, il y allait de

 

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sa vie, à célébrer le saint sacrifice dans la chapelle de Lorette au milieu d'une affluence considérable de fidèles. Cette affluence le sauva. Tandis que les gendarmes accouraient s'emparer du proscrit, il se perdit dans la foule qui favorisa sa fuite. Le conseil municipal faillit, pour ce fait, se voir destitué et jeté dans les prisons de la France révolutionnaire. L'audace seule de la résistance le sauva. Parler haut au personnel de thermidor et menacer de révéler leurs turpitudes, c'était leur imposer. La municipalité de Saint-Ursanne, en face du juif Lopez, qui faisait la pluie et le beap temps dans le pays, usa de ce procédé, et le Juif trouva bon, dans sa prudence, de battre en retraite.

Après le Concordat de 1802, la statue de Notre-Dame de Lorette ne tarda pas à faire sa réapparition dans son sanctuaire. Les pèlerinages reprirent bientôt leur cours. Des paroisses entières revinrent, comme autrefois, en procession à Notre-Dame de Lorette. On venait demander à son intercession puissante, tantôt la sérénité du ciel tantôt les pluies que réclamait la terre. Au nombre de ces paroisses, nommons Boécourt, Glovelier, Saint-Brais, Epauvillers et Lamotte.

Grâce à une loi draconienne imposée au Jura par le Kulturkampf bernois, ces processions ont cessé. Interdites par la loi en question, elles sont devenues impossibles. Ce qui n'empêche nullement les anciens de redire à qui veut l'entendre : « Vingt fois nous sommes venus en procession demander à Notre-Dame de Lorette le temps nécessaire ou favorable à nos récoltes, et chaque fois nos prières publiques ont été exaucées ! »

Espérons qu'un jour la. liberté religieuse fleurira de nouveau dans notre Jura, et que les processions saintes pourront de nouveau se déployer au soleil de la vraie liberté.

En attendant, les fondations pieuses d'autrefois ont été ruinées par la Révolution qui les a dévorées, comme elle a dévoré la fortune de la ville de Saint-Ursanne et bu le sang de ses fils et de ceux de la Prévôté.

De nos jours, une nouvelle fondation a été faite, pour la célébration de la sainte messe dans la chapelle, le samedi de chaque semaine depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte.

En outre, on y célèbre la sainte messe à divers autres jours

 

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de l'année, et chaque fois la chapelle est trop petite pour recevoir les assistants.

Deux prêtres, selon leur pieux désir exprimé de leur vivant, ont trouvé leur dernière demeure sous le pavé de la sainte chapelle. Ce sont les deux curés de la ville, MM. Bernard Parrat, un des derniers chanoines de l'ancien Chapitre de Saint-Ursanne, mort en 1804, et Jean-Jacques Besançon, d'abord curé à Novilard, près Giromagny, décédé à Saint-Ursanne, en 1818. Ils furent l'un et l'autre de fervents serviteurs de Marie. Espérons qu'après avoir prêché ses grandeurs et imité ses vertus sur la terre, tous deux contemplent et chantent sa gloire dans les cieux.

 

3. Notre-Dame de la Grotte de Saint-Ursanne.

 

LA GROTTE DU SAINT. — SA STATUE ET CELLE DE MARIE. — LES PÈLERINS DE SAINT FIACRE.

 

A la suite du pèlerinage de Lorette, nous devons mentionner, sur les bords du Doubs, un autre pèlerinage non moins fréquenté.

C'est celui de Notre-Dame de la Grotte.

A deux pas au dessus de la chapelle de Saint-Ursanne, qui était au XIVO siècle sous le vocable du saint martyr Léodegar, évêque d'Autun, se trouve, dans le rocher pittoresque qui domine la collégiale, la grotte qui a servi de retraite, comme nous l'avons dit, au bienheureux solitaire Ursanne, pendant les sept ou huit dernières années de sa vie.

Cette grotte a été de bonne heure, on le comprend, transformée en oratoire. Fermée par une grille en fer forgé, elle renferme un autel. Sous la pierre sacrée apparaît, couchée sur une natte, la statue en bois de l'illustre disciple de saint Colomban, dans l'attitude du repos qu'il demande à la méditation.

Sur l'autel s'élève l'image de Marie avec le divin Enfant sur le bras. C'est une belle statue. dissimulée sous les plis d'une robe, dont les riches couleurs varient avec le cycle de l'année chrétienne.

 

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C'est là, aux pieds de la Mère de tout secours, que vont porter leurs prières, en gravissant les cent-quatre-vingt-seize marches qui conduisent à la Grotte, les pèlerins accourus de loin et de près pour invoquer, avec la douce Mère, le saint de la Grotte et son contemporain saint Fiacre.

Que de miracles ont répondu et répondent encore de nos jours à la foi vive, humble et confiante des « pèlerins de saint Fiacre », de saint Ursanne et de la Mère des chrétiens, si bien nommée le Secours des infirmes !

Que de pauvres malades guéris ! Que de victoires, que de grâces obtenues par la piété des pèlerins ! Et souvent aussi, que de larmes de reconnaissance versées avec bonheur en ce lieu béni, où se succèdent sans cesse, avec les mêmes espérances et les mêmes succès, les générations de plus de douze siècles !

Grotte aimée, dont le poète dirait :

 

Là, dans les flancs creusés d'un rocher qui surplombe,

S'ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe

Aime à gémir d'amour.

(LAMARTINE.)

 

4. Notre-Dame de Lourdes à Montenol.

 

MONTENOL ET SA CHAPELLE. — LOURDES ET LES 18 APPARITIONS (1858). — PÈLERINAGES ET MIRACLES. — SŒUR MARIE-BERNARD. — LA CHAPELLE DE SAINTE-ANNE (1817), DÉDIÉE A NOTRE-DAME DE LOURDES (1881). — EMBELLISSEMENTS ET PÈLERINAGE.

 

Puisque nous sommes sur les bords du Doubs, ne les quittons pas sans pousser une pointe dans le « Clos du Doubs. »

Gravissons la montagne, et suivons la route postale qui conduit de Saint-Ursanne à Epauvillers et à Soubey. Après trois quarts d'heure d'une ascension qui n'est pas trop laborieuse, nous voici à l'entrée d'un petit et charmant village qui épanouit ses maisons, comme une blanche fleur ses pétales, au sommet du monticule. Montenol est le nom de cette commune.

A l'extrémité orientale de ce catholique village, s'élève une

 

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gracieuse chapelle avec son clocheton où se balancent deux cloches jumelles.

Cette chapelle était primitivement dédiée à sainte Anne. C'est aujourd'hui Notre-Dame de Lourdes.

Nous avons dit ce qu'est Notre-Dame de Lorette. Rappelons à grands traits l'histoire et les origines de Notre-Dame de Lourdes.

Au pied des Pyrénées, à l'embouchure de sept vallées dont plusieurs sont des stations de bains très fréquentées, s'élève sur un rocher un ancien château fort, projetant son ombre puissante sur une ville, baignée par les eaux d'un torrent. Cette ville, c'est Lourdes ; ce torrent, c'est le Gave.

Or, sur la rive droite de ce cours d'eau, qui descend de la grande montagne, à dix minutes de Lourdes, apparaît une grotte large, vaste et profonde. Et voici ce qui se passait à l'entrée de cette grotte, le 11 février 1858.

Une jeune fille, une innocente enfant allait franchir le Gave dans la direction de la grotte, lorsque, mise en éveil par un souffle extraordinaire, elle vit tout à coup une éclatante lumière. Emue, agitée, hors d'elle, l'enfant cède à l'attrait qui la presse. Elle s'approche de plus en plus de la vive clarté qui frappe ses regards. Bientôt, du sein de cette clarté, une figure admirable se dégage. Debout, dans une sorte de niche formée par une infractuosité du rocher, les pieds foulant légèrement un églantier dépouillé de ses feuilles, une dame d'une beauté toute céleste apparaissait radieuse, souriante, aux yeux ravis de Bernadette Soubirous. Cette éclatante vision, c'était Marie, la Vierge Immaculée, la Reine du saint Rosaire. Au témoignage de la jeune voyante, Marie était vêtue d'une robe d'une éclatante blancheur. Autour de Marie rayonnait de toutes parts une lumière plus vive, mais mille fois plus douce que la lumière du soleil. Pour tout ornement Marie portait une ceinture, qui retenait les plis de sa robe virginale et retombait avec grâce sur ses pieds recouverts l'un et l'autre, comme chaussure, d'une rose d'or. La ceinture, comme les yeux que Maria reposaient avec une douceur infinie sur son enfant bien-aimée, avaient la couleur de l'azur des cieux. Un voile d'une blancheur immaculée

 

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retombait de la tête, couvrait de ses plis les épaules de la Vierge sainte, et descendait jusque vers le bas de la robe. Un chapelet à la chai ne d'or et aux grains d'une blancheur de lait, se déroulait lentement dans les mains jointes de Marie. Aux yeux de l'enfant ravie, la Vierge sainte lève pieusement le bras et fait le signe de la croix. La voyante imite ce mouvement, trace sur elle le signe sacré, commence son rosaire, et lorsqu'elle arrive à cette parole de l'Ange, principe du salut du monde : « Je vous salue, ô pleine de grâce !... », la céleste vision s'évanouit, et Bernadette, l'âme livrée à des émotions d'un charme divin, se retrouve seule à l'entrée de la roche Massabielle. Elle ne quitte ce lieu sauvage et enchanté, qu'en se promettant d'y revenir bientôt. Elle y revient, et dix-huit fois Marie apparaît à son virginal regard. Marie apparut à son humble servante le jour de la fête de l'Incarnation du Verbe de Dieu dans son sein immaculé. En cette fête, Elle daigna répondre à cette question naïve, redite trois fois par l'enfant : « Belle Dame, quel est votre nom? » — Je suis, dit la Vierge avec un accent ineffable, l'Immaculée Conception ! — N'oublions pas que le grand serviteur de Marie, l'illustre Pontife Pie IX, venait de fixer à jamais, par un infaillible oracle, le dogme de la conception immaculée de la Mère de Dieu.

Dans d'autres apparitions, Marie dit à sa fille privilégiée entre toutes : « Priez pour les pécheurs. Je veux voir ici beaucoup de monde. Qu'on y bâtisse un sanctuaire, et qu'on y vienne en procession. »

Et voici qu'à la voix d'une enfant, que Marie bénit en lui apparaissant une dernière fois à la fête de Notre-Dame du Carmel (saint Scapulaire), les peuples sont accourus de près et de loin, de toutes les contrées de l'Europe, de l'Afrique, de l'Asie, de l'Amérique et de la lointaine Océanie, et sont venus invoquer à l'envi, dans la grotte de Massabielle, la Mère des miséricordes et la dispensatrice des grâces du Seigneur.

Un sanctuaire, deux sanctuaires magnifiques, vastes et ornés comme des cathédrales, deux immenses basiliques sont sorties du sol et suffisent à peine à renfermer les foules qui se succèdent et se pressent aux roches bénies de Massabielle.

 

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Oh ! quelles impressions mystérieuses, douces, fortes, émouvantes saisissent l'âme du pèlerin qui porte là dans la majesté de sa foi et le ravissement de son amour, ses pas et ses prières ! L'auteur de ces lignes les a éprouvées en 1874; mais ces émotions saintes, nulle plume, nulle parole ne sauraient les rendre.

Des milliers et encore des milliers de miracles ont illustré la grotte de Lourdes depuis le jour où l'eau mystérieuse, à la voix de Marie et sous les doigts de sa petite servante, a jailli du rocher comme autrefois l'eau du désert à la voix de Dieu et sous la verge de Moïse.

Ces miracles, désormais innombrables, sont évidemment la confirmation la plus irrécusable des apparitions surnaturelles de la Vierge Immaculée à l'humble Bernadette.

Ajoutons que cette dernière, à qui Marie avait confié trois secrets personnels, a terminé saintement sa carrière le 16 avril 1879, dans la maison des Soeurs de la Charité de Nevers, qu'elle n'a cessé d'édifier par son humilité plus encore que par toutes les autres vertus qui font la parfaite religieuse. Soeur Marie-Bernard, comme elle s'appelait en religion, est morte à l'âge de 35 ans.

De Lourdes, revenons dans le Clos du Doubs. La chapelle élevée à Montenol, en l'honneur de sainte Anne, en 1817, par la piété de l'active Ursuline, Soeur Marie Béchaux et le concours de M. Mouttet, vicaire à Saint-Ursanne, réclamait en 1880 d'impérieuses réparations à faire à son autel. Le tableau du retable représentait les saints Apôtres Pierre et Paul. Il tombait en lambeaux. Pour le remplacer, on rêva un beau tableau de Notre-Dame de Lourdes. Une piété généreuse autant qu'éclairée fit bientôt de ce rêve une réalité.

Et depuis le 24 juillet 1881, l'autel de la chapelle de Montenol est devenu l'autel de Notre-Dame de Lourdes, et la chapelle un doux sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes.

Des indulgences ont été obtenues de Rome pour les pèlerins qui vont sur la montagne invoquer la Vierge de Massabielle. La sainte messe se célèbre de temps à autre dans cette chapelle, où les pèlerinages vont en se multipliant. Déjà ornée d'un

 

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chemin de croix, outre la croix monumentale qui se dresse sous son porche, et qui est due au. ciseau d'un ouvrier de la localité, la chapelle s'est enrichie de trois belles statues : celle de sainte Anne, groupe de la Mère et de son auguste Fille, celle du Sacré-Coeur à droite de l'autel, et à gauche celle de saint Joseph.

Rien ne manque à ce beau sanctuaire, on le voit, pour y nourrir la piété confiante des fils et des filles de Celle qui s'est nommée de ses propres lèvres « l'Immaculée Conception, » et que tous invoquent avec fruit sous le beau nom « de Notre-Dame de Lourdes. »

 

5. Notre-Dame de Lourdes à Bonembey.

 

LE SITE DE BONEMBEY. — CHAPELLE BATIE EN 1876. – SA BÉNÉDICTION. — PÈLERINAGE.

 

Le 8 septembre 1876, un nouveau sanctuaire ouvrait ses portes aux fidèles enfants de la Mère du Ciel. C'était la première chapelle de Notre-Dame de Lourdes dans le Jura bernois. Des mains pieuses l'ont bâtie au flanc d'une colline; de loin elle apparaît comme un lys gigantesque au milieu d'une pelouse de riante verdure, encadrée dans une forêt d'aliziers, de hêtres et de noirs sapins. Nous ne pouvons mieux en décrire l'élégance et le site qu'en empruntant à la Semaine catholique de la Suisse la relation suivante, avec les légères modifications qu'elle demande :

« De Glovelier à Saulcy, la route gravit une montagne semée de bois, de champs, de prés et de pâturages. Il y a là des sapins séculaires, les plus beaux arbres qui se puissent voir. A mi-hauteur, un petit vallon s'ouvre et s'incline solitaire au milieu des bois, laissant la route continuer sa course vers Saulcy. C'est Bonembey.

« Dans ce vallon, le culte de la Sainte-Vierge se transmet d'âge en âge comme un héritage précieux. Une chapelle dédiée à Notre-Dame de Lourdes a été élevée tout près de la maison

 

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de Bonembey (Bien au ruisseau), sous la direction d'un excellent architecte, auquel Sion doit son magnifique sanctuaire. Nous venons de nommer le révérend Père Lovi, de la Compagnie de Jésus. Il est originaire de la Racine, hameau faisant partie de la paroisse de Saulcy.

« Le modeste sanctuaire est gothique. Un choeur, plein de grâce, renferme l'autel dédié à la Vierge de Lourdes, dont la statue surmonte le tabernacle doré, sous un baldaquin aux colonnettes sveltes et élancées. Les ogives des fenêtres sont ornées de vitraux du meilleur effet. La voûte, peinte en bleu de ciel, est constellée d'étoiles et fait au sanctuaire un pavillon ravissant.

« La bénédiction de la chapelle a eu lieu le jour de la Nativité de la très Sainte-Vierge (1876) avec toute la cérémonie que comportait cette belle cérémonie. L'assistance était nombreuse. Plusieurs ecclésiastiques rehaussaient la fête de leur présence. Le canon, de sa voix joyeuse, réveillait les échos des montagnes. On se sentait heureux de retrouver sur ces hauteurs les splendeurs et les grâces du culte catholique, et de compter un sanctuaire de plus consacré à la très Sainte-Vierge. »

Depuis bientôt quatorze ans, la pieuse chapelle de Bonembey voit arriver au pied de son autel des pèlerins heureux d'abréger les distances et de trouver, â deux ou trois lieues de leur demeure, un sanctuaire qui leur rappelle et la grotte et la basilique de Lourdes et la Vierge miséricordieuse qui répond à ce vocable par l'éclat des miracles.

 

6. Notre-Dame de Lourdes à Pleujouse.

 

BÉNÉDICTION DE LA CHAPELLE. — MILLÉSIME ET FONDATEUR. — LA FÊTE TITULAIRE. — L'AUTEL ET LA STATUE DE LA VIERGE. — AUTRES ORNEMENTS DE LA CHAPELLE. – MESSES ET PÈLERINAGE.

 

Le 24 octobre 1881, une charmante fête réunissait à Pleujouse, au pied de l'antique château de ce nom, une foule pieuse et recueillie, avec un nombreux clergé.

 

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Une cérémonie qui intéressait hautement cette localité et toute l'Ajoie, s'accomplissait en ce lieu. C'était la double bénédiction faite par Mgr Hornstein, doyen de Porrentruy, d'une chapelle et de la cloche destinée à appeler à la prière les coeurs dévoués à Marie.

Cette cloche, d'un poids de 44 kilogrammes, est sortie de la fonderie Causard, à Colmar.

Au-dessus de la porte d'entrée du nouveau sanctuaire on lit le millésime de l'année où il a été construit : 1881. On y lit de même le nom du bienfaiteur auquel l'Ajoie orientale doit cette chapelle, la première que ce pays ait dédiée à « Notre-Dame de Lourdes ». M. François Challet, curé à Epauvillers, et missionnaire apostolique, a bien voulu doter de ce bienfait son village natal. Il n'y a pas consacré moins de 4.000 fr.

Entrons avec un religieux respect dans ce frais sanctuaire, dont la fête titulaire a été fixée par l'Ordinaire diocésain au 25 mars, jour de l'Annonciation de la très Sainte-Vierge, et anniversaire d'une des principales apparitions de « l'Immaculée-Conception » à sa jeune et humble servante Bernadette.

A l'intérieur de la chapelle, tout respire l'art au service du bon goût et de la piété. L'autel, qui a été fait par Léon Maître, à Epauvillers, est en chêne et porte comme ornements deux colonnes torses sur lesquelles se détachent des grappes de raisins. Au tombeau apparaît, sur le panneau doré du milieu, le monogramme de Marie, tandis qu'on voit à droite et à gauche le Sacré-Coeur de Jésus et le Coeur Immaculé de sa très douce Mère.

Au-dessus de l'autel, dans une niché élégante, Notre-Dame de Lourdes se montre aux regards des pèlerins et semble appeler sur eux, par ses prières jointes aux leurs, toutes les bénédictions du Ciel. Du côté de l'Evangile, saint François d'Assise, et du côté de l'épître sainte Philomène, la chère petite sainte du Curé d'Ars, constituent la garde d'honneur de Notre-Dame de Lourdes. En outre, dans un coin du choeur de la chapelle, un groupe d'une exécution tout artistique, représente la sainte Famille de Nazareth ou la Santa Casa de Lorette. A ce groupe répond, à l'angle opposé, une grotte de Lourdes,

 

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en carton-pierre, avec Bernadette aux pieds de la céleste vision.

Enfin, des bancs bien taillés, quoique simples, recouvrent un pavé dont la mosaïque cadre parfaitement avec les riches couleurs qui brillent aux vitraux du nouveau sanctuaire.

Outre l'office solennel, qui se célèbre chaque année avec sermon, dans cette chapelle trop étroite pour la foule pieuse qui essaye de s'y presser, le saint Sacrifice y est offert à peu près chaque semaine. Et l'on y vient chaque jour de tous les villages voisins, tant de l'Alsace que de l'Ajoie, invoquer avec ferveur Celle qui a dit à la voyante de Lourdes : « Pénitence et prière ! » et qui redit à tous : « Priez et vous obtiendrez. Demandez des miracles et les miracles couronneront votre humble confiance, votre persévérance et la ferveur de votre prière. »

 

7. Notre-Dame de Lourdes à Soyhières.

 

SITE ET EMPLACEMENT. — LES LACETS. — LA CHAPELLE. — LES COMTES DE SOGERN. — LE SAINT CURÉ BLANCHARD. — LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE SALES.

 

Lorsqu'on sort de Soyhières, en remontant le ruisseau de l'Angoula, qui murmure à deux pas de la, route de Mettemberg, on aperçoit au nord du village, sur une éminence, un modeste édifice avec clocheton et cloche.

C'est encore une chapelle de Notre-Dame de Lourdes. Bâtie avec les matériaux et sur l'emplacement du choeur de l'ancienne église où Soyhières, dès le XIVe siècle, se réunissait pour assister au saint sacrifice, et qui n'a été abandonnée qu'en 1714, année de la construction de l'église actuelle, le nouveau sanctuaire de la Vierge Immaculée a été orné avec zèle et goût par le curé de Soyhières, M. Joseph Stouder, missionnaire apostolique.

Grâce à ses soins, un sentier aussi commode qu'agréable, orné d'un chemin de croix, conduit des bords du ruisseau, par

 

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des lacets qui rappellent Lourdes, au plateau servant d'assise au pieux édifice, parfaitement orienté. A l'occident, un porche, aux colonnettes sveltes et légères, abrite le seuil de la chapelle. L'intérieur reluit de grâce et de propreté. Une charmante grille trace les limites entre le choeur et le vaisseau garni de bancs. Des vitraux y répandent une lumière semée de couleurs. L'autel est orné de la statue de Notre-Dame de Lourdes, que l'on vient invoquer de tous les environs.

Comment parler de Soyhières et de son nouveau sanctuaire à Marie, sans rappeler quelques-uns des illustres serviteurs de la Mère de Dieu sur les bords riants de la Birse ? Là, en face de Notre-Dame de Lourdes, de l'autre côté de la rivière, dans ce manoir du XIe siècle, dont les ruines gardent le souvenir, vivaient les comtes Oudelard et Ulrich de Sogern, qui furent tour à tour les avoués et les protecteurs de l'abbaye de Moutier-Grandval, les fondateurs des monastères de Beinwyl, au canton de Soleure, et d'Aurora, dans le canton de Berne, comme aussi du couvent des Bernardines, â Petit-Lucelle, en même temps qu'ils étaient les nobles bienfaiteurs de l'abbaye de Saint-Alban, aux portes de Bâle ?

Et ici, au pied de la petite chapelle, dans l'église de ce charmant village, reposent les restes vénérables du saint curé Jean-Pierre Blanchard, sur la tombe duquel on voit chaque jour de pieux pèlerins venir demander à Dieu de nouveaux miracles, par l'intercession de Marie et les mérites de son illustre serviteur. Et n'est-ce pas dans cette même église, petite, mais décorée avec grâce, qu'a prié la vénérable Mère Chappuis, Soeur Marie de Sales, supérieure de la Visitation à Troyes, que l'Eglise s'apprête à élever sur les autels? N'est-ce pas dans cette même église que la future sainte de Soyhières a reçu la divine grâce du baptême, de la première communion et de la vocation religieuse?

Puisse notre vif désir de la voir proclamer vénérable, puis bienheureuse, se réaliser bientôt! C'est le voeu de toutes les âmes qui aiment leur pays et les saints qui ont mission d'y protéger, du haut des cieux, la foi qui sauve et la vérité libératrice.

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8. Notre-Dame de la Salette à Rossemaison.

 

LE MONTCHAIBEUT. — ROSSEMAISON ET SA CHAPELLE. — APPARITION DE MARIE A LA SALETTE. — L'ARCHICONFRÉRIE DE NOTRE-DAME RÉCONCILIATRICE. — INDULGENCES ÉT FAVEURS ACCORDÉES AU PÈLERINAGE.

 

Entre Courrendlin et Courtételle, dans l'ancienne vallée du Salsgau, s'élève un monticule autrefois bien connu des Romains. Cette petite montagne est couronnée par un plateau, où les légionnaires de Jules César avaient trouvé bon d'asseoir un camp retranché, dont les siècles n'ont pas effacé les traces. De ce sommet, qui s'élève isolé dé toutes parts au centre de la vallée, les maîtres du monde tenaient sous le fer de leur glaive et de leur autorité les vieux Celtes de la Rauracie, habitant ce gaù ou cette contrée (1). Aussi les Romains avaient-ils donné à ce monticule le nom significatif de mons caput ou principal sommet. Ce que la langue celtique a traduit par le mot. Mont Chaipeut, devenu le Montchaibeut de nos jours.

Du côté où le soleil se couche, le Montchaibeut découvre son flanc, que revêt un riche tapis de champs, de prés, de pâturages et de verdure. Et du sein de cette verdure, se détache un gracieux village qui se perd à moitié dans son frais bouquet d'arbres fruitiers.

Ce village, qui n'était d'abord qu'une ferme avec sa maison rouge, rubra domus, comme dit une charte ancienne, c'est Rossemaison, en allemand Rothhaus. Dès les temps les plus reculés, cette localité, séparée du Sorngau par la Sorne, faisait partie du Salsgau, devenu, en 1119, la prévôté de Notre-Dame de Moutier.

 

1 Le mot celtique gaù signifie littéralement, non un pays, ni une province, mais bien un cours d'eau, une rivière, un torrent. C'est, encore de nos jours, le sens du mot gave qu'on trouve dans le midi de la France, au pied des Pyrénées. Le Birsgau, le Sorngau, c'étaient les rivières de la Birse, de la Sorne. La rivière donnait son nom à la vallée qu'elle arrosait.

 

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C'est ce qui explique, le fait que Rossemaison, bien que plus rapproché de Delémont, continue à faire partie de la très ancienne paroisse de Courrendlin (1).

Jusqu'en 1870, Rossemaison n'avait pas de chapelle. Depuis longtemps, cette religieuse population en appelait une de tous ses voeux. M. l'abbé Joseph Echemann, vicaire de M. le chanoine Rais à Courrendlin, s'est ému de ce pieux désir. Il l'a partagé et s'est mis à l'oeuvre.

Grâce aux souscriptions volontaires et aux dons généreux que son zèle a su recueillir, un beau sanctuaire s'est élevé de 1869 à 1870 en l'honneur de la très Sainte-Vierge. Et pour répondre mieux encore à ses propres aspirations et à celles du peuple catholique, le fondateur de ce sanctuaire voulut le dédier spécialement à « Notre-Dame de la Salette ». L'ouverture solennelle en a été faite par le vénérable chanoine Rais, le 19 septembre 1870, au milieu d'une affluence considérable accourue de la paroisse et des environs.

Notre-Dame de la Salette ! le 19 septembre ! Pourquoi ce vocable ? et pourquoi cette date? c'est ce que nous croyons à propos de rappeler.

Au sortir de Grenoble, si l'on dirige ses pas vers le Midi, en remontant le Drac, torrent impétueux qui porte ses flots à l'Isère, on arrive par Vizilles et La Mure, à la petite ville de Corps, humblement assise au pied des contreforts des Alpes du Dauphiné. Vers le sommet d'une de ces montagnes au flanc sévère, se déploie, dans la verdure, un gracieux plateau, d'où le regard s'étend au loin sur les pics neigeux et les blanches cascades qui en descendent comme dés nappes d'écume.

Ce plateau, qui ne mesure pas plus de 150 mètres de long sur une largeur de 200 mètres, est à une hauteur de 1800 mètres au-dessus du niveau de la mer. On n'y arrive de Corps qu'après

 

1 Courrendlin, curtis Andelini, avait déjà une église au temps du martyre de saint Germain, premier Abbé de Moutier, et de saint Randoald, son bibliothécaire, c'est-à-dire en 670. Les actes authentiques de ces deux martyrs, écrits par Bobolène au siècle qui suivit leur bienheureuse mort, mentionnent expressément « la. basilique d'Ursanne, à Courrendlin ».

 

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une ascension laborieuse de deux à trois heures, en passant par le petit village qui a donné son nom au plateau de la Salette.

C'est sur ce sommet voisin des cieux, alors vide de toute habitation, que la Mère des miséricordes daigna se montrer aux regards d'une jeune bergère et d'un jeune pâtre. Celui-ci se nommait Maximin Giraud ; onze ans étaient son âge, deux ans de moins que sa compagne, Mélanie Matthieu, l'un et l'autre originaires de Corps, et demeurant aux Ablandins, hameau dépendant de la Salette.

Le samedi 19 septembre 1846, veille de la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, par un ciel pur d'où rayonnait un brillant soleil d'automne, les deux enfants étaient à garder leur troupeau de vaches sur le plateau que nous venons de décrire. C'était l'heure de midi, les cloches de Corps et de la Salette venaient de sonner l'Angelus. Les deux bergers, après s'être un instant livrés au sommeil, étendus sur la pelouse, descendaient reprendre leurs petits sacs de provisions déposés près d'une source, alors tarie, lorsque Mélanie, anxieuse, effrayée, arrivée la première, appelle Maximin, en lui disant : « Viens vite, viens voir cette clarté là-bas ! » Et, du doigt, la jeune fille lui montrait la fontaine. « Alors, racontent les enfants, la clarté s'ouvrit et au milieu nous vîmes une Dame, assise sur une pierre, les pieds dans le lit desséché de la source. Elle était là, les coudes sur les genoux et la tête dans les mains. »

A peine les enfants l'ont-ils aperçue, qu'écartant ses mains, elle leur laisse voir un visage d'une beauté ravissante. Mais ses yeux versaient dès larmes, « et ces larmes, ajoutent les enfants, étaient brillantes; elles ne tombaient pas à terre, elles disparaissaient comme des étincelles de feu. »

La figure de l'Apparition jetait un éclat si éblouissant que le soleil pâlissait aux yeux des petits bergers, et semblait n'être qu'une ombre obscure. Maximin ne put supporter ce rayonnement stout céleste ; Mélanie le vit, mais sans pouvoir en soutenir le regard.

« Marie, car c'était Elle, portait au front une couronne de

 

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roses et un diadème de lumière. Sa poitrine virginale était recouverte par la blancheur d'un fichu, sur lequel apparaissait une guirlande tressée de roses comme la couronne. Des roses encore, aux couleurs incomparables et variées, ornaient sa chaussure blanche. Et de toutes ces roses il sortait une sorte de flamme, qui s'élevait comme l'encens et se mêlait à la lumière céleste dont la « Rose mystique » était enveloppée. Elle était vêtue d'une robe d'argent semée de perles lumineuses, cachée en partie par un tablier d'or. Au cou de la Reine du Ciel était suspendue une chaîne d'or, à laquelle était fixé un crucifix, avec des tenailles à droite et un marteau à gauche : deux emblèmes de la Passion qui semblaient, au dire des voyants, ne tenir à rien. »

Tandis que les enfants, muets d'étonnement et pénétrés de la terreur que fait éprouver le surnaturel, contemplaient ce ravissant spectacle, la Dame se lève. Elle croise les bras sur sa poitrine, et d'une voix douce comme une musique du Ciel : « Ne craignez rien, mes enfants, leur dit-elle; venez à moi, je vous apporte une grande nouvelle. » A ces mots, les deux bergers s'approchent, ils franchissent le lit du ruisseau et Marie s'avance jusqu'à eux. Alors la Mère des miséricordieuses douleurs leur adresse ces paroles : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si lourd que je ne puis plus le soutenir. »

« Depuis si longtemps, ajoute-t-Elle, je souffre et je prie pour vous!.. » Et voici qu'à cet accent de douleur, à ce cri d'alarme qui s'échappe du coeur de la plus tendre des Mères, un autre accent répond. C'est le Crucifix qui prend une voix, et cette voix, au témoignage de Mélanie, ajoute cette plainte amère comme celle qui retentissait autrefois des lèvres attristées et menaçantes d'Abdias et du fils d'Amos : « Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et l'on ne veut pas me le donner ! »

« C'est là, reprend la divine Mère, ce qui, avec les jurements, appesantit le bras de mon Fils ! » Et Marie, en faisant de ces deux enfants ses envoyés auprès des hommes, continue à se plaindre des blasphèmes qui s'élèvent contre le Nom de son

 

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divin Fils. Elle annonce les châtiments que provoquent ces deux crimes, le blasphème et la profanation des saints jours. Ces châtiments sont les suivants : une grande mortalité parmi les enfants au-dessous de sept ans, la stérilité du sol et de ses produits (blé, raisin, pommes de terre), et celle des arbres, en particulier du noyer, qui abonde dans le Dauphiné. Elle confie à chacun des enfants tour à tour un secret particulier, que l'autre n'entend pas, bien qu'elle continue à parler à haute voix. Elle les engage à bien faire leurs prières matin et soir, et surtout à réciter pieusement le Pater et l'Ave. A Maximin, Elle rappelle familièrement un fait qu'il avait oublié, puis Elle dit à tous deux : « Mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple! » A ces mots, Elle franchit le ruisseau, prononce une seconde fois ces mêmes paroles, puis remonte vers le plateau en glissant, disent les bergers, plutôt qu'en marchant sur l'herbe sans la faire plier, et sans projeter une ombre. Les enfants, sous le charme de la vision, suivent Marie. Elle s'arrête un instant, et bientôt s'élève au-dessus du sol, le visage tourné vers l'Orient. Regardant le ciel, puis la terre, Elle reste un moment suspendue, et enfin, disent les enfants dans la naïveté de leur langage, « nous n'avons plus vu la tête, plus vu les bras, plus vu les pieds. Elle semblait se fondre. Nous n'avons plus vu qu'une clarté en l'air.» Maximin, dans un transport inconscient, s'était élancé pour saisir de la main les roses qui brillaient sur les pieds de la Vierge, mais tout avait disparu.

Ce n'est pas ici le lieu ni le moment de reproduire les preuves nombreuses et irrésistibles qui établissent la certitude de l'apparition de Marie sur la montagne de la Salette. Ce travail a été fait longuement, patiemment, minutieusement, par ceux qui ont mission dans l'Eglise pour le faire. La démonstration a été victorieuse, et d'éclatants miracles sont venus, du Ciel même, la confirmer. Aussi, Notre-Dame de la Salette ne tarda pas — ce qui constitue aux yeux du savant évêque d'Alger Mgr Dupuch, une confirmation de plus de la vérité de l'apparition de Marie — d'avoir des filiales partout, non seulement en France, en Belgique, en Angleterre et en Italie, mais encore, ajoute l'illustre prélat que nous venons de nommer,

 

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« sur le sol brûlé de l'Afrique, sous les frais ombrages des forêts de l'Amérique et jusque dans les îles lointaines du Grand Océan. Voilà, conclut Mgr Dupuch, le cachet particulier de l'oeuvre de la Salette : c'est une oeuvre éminemment catholique. »

Rome enfin a mis le sceau à cette multiple confirmation. Une confrérie de Notre-Dame Réconciliatrice de la Salette y a été établie. Pour répondre à l'invitation maternelle adressée aux pécheurs par la Mère de Miséricorde, le Souverain-Pontife Pie IX, par un bref du 26 août 1852, approuva cette confrérie et accorda à tous ses membres les plus précieuses indulgences . Le 7 septembre suivant, le grand Pape, l'illustre serviteur de Marie, va plus loin. Il érige en archiconfrérie la confrérie dont nous venons de rappeler le nom et l'origine. Et le 2 décembre de la même année, Pie IX, qui a lu les secrets des enfants de la Salette, en déclarant, à travers ses larmes, que ce sont des fléaux pour la France (guerre de 1870), autorise par indult spécial toutes les églises du diocèse de Grenoble à célébrer solennellement, le 19 septembre de chaque année, la mémoire de l'apparition de la Mère de Dieu sous une forme visible, au lieu dit la Salette.

Sans nous arrêter aux considérations religieuses et morales qui ressortent de cette maternelle apparition, et que font d'elles-mêmes toutes les âmes croyantes, nous nous bornons à dire qu'au grand applaudissement des fidèles enfants de Marie, M. l'abbé Echemann, qui a fait aussi, comme nous avons eu le bonheur de le faire en septembre 1874, le pèlerinage de la sainte montagne, a consacré, en 1870, la chapelle de Rossemaison, pour la Vallée et le Jura catholique, à Notre-Dame de la Salette (1).

Aussi de toute la Vallée, on va en pèlerinage à Notre-Dame de la Salette de Rossemaison. Et le jour n'est pas éloigné, où la

 

1 M. le doyen Echemann a de même enrichi sa chère paroisse de Courrendlin d'un beau sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes à Vellerat, et la paroisse de Courtételle d'une chapelle du Sacré-Coeur, aux Esserts, propriété de sa famille.

 

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reconnaissance pour les bienfaits reçus tapissera d'ex-voto le nouveau sanctuaire de Marie. Un gracieux autel s'y élève dans le choeur, que sépare de la large nef un arc de triomphe. De beaux tableaux, dons de la piété, ornent également le saint édifice. Quatre grandes fresques rappellent les principales scènes de l'apparition de Marie aux pâtres des Alpes. Le plafond du choeur et celui du vaisseau de la chapelle ont été décorés avec élégance par le peintre Meyer. Deux riches statues ornent l'autel. L'une est celle de Notre-Dame de la Salette parlant aux deux bergers, l'autre est celle de saint Joseph.

Ce qui augmente la piété des fidèles, et leur dévotion envers Notre-Dame de la Salette, c'est la précieuse faveur obtenue par M. le vicaire Echemann. Le 15 décembre 1872, un diplôme émané de Rome, agrégeait la chapelle de Rossemaison à la basilique de la Salette, et faisait part à cette chapelle de toutes les indulgences attachées au vénérable sanctuaire de la Salette.

Trois mois avant la date de ce diplôme, une autre flaveur était accordée à la chapelle de la Salette. L'Archiconfrérie de Notre-Dame Réconciliatrice y était canoniquement érigée et affiliée à celle de la montagne sainte. Chaque samedi de l'année, la messe se célèbre dans ce sanctuaire. Et chaque année, le 19 septembre, un office solennel, avec sermon, a lieu dans la chapelle de Notre-Dame de la Saietté de Rossemaison. L'aimable invitation de notre ami d'enfance, M. le vicaire de Courrendlin, nous a valu la joie, en 1885, de redire à tout un peuple que ne pouvait contenir la chapelle de Rossemaison, les gloires de Notre-Dame de la Salette, et les divines espérances, mêlées de saintes terreurs,. que sa parole à Mélanie et à Maximin a répandues dans toutes les âmes éclairées des lumières de la foi.

 

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9. Notre-Dame de Montcroix.

 

LA CLOCHE DE MONTCROIX. — LE PRÉVÔT J. CHRISTOPHE BAJOL. — L'IMAGE MIRACULEUSE. — CHAPELLE ET BÉNÉFICE. — INDULGENCE DU 8 SEPTEMBRE. — ARCHICONFRÉRIE DE NOTRE-DAME RÉCONCILIATRICE.

 

A quelques pas de Delémont, et à l'est de cette ville, apparaît sur un monticule une gracieuse construction qui rappelle une villa d'autrefois. Un léger clocheton s'élève au-dessus de l'édifice. La cloche qu'il renferme appelle les âmes chrétiennes trois fois le jour à honorer la Vierge sainte. Aussi lit-on sur cette cloche, bénite en 1805, avec ce millésime ces deux mots : «Thaumaturgae Matri : à la Mère des miracles. » C'est le nom que donnèrent à Marie le parrain et la marraine de cette cloche : Fidèle Bajoi et sa soeur Brigitte. De temps à autre aussi, l'airain sacré invite les fidèles à prendre part au sacrifice eucharistique.

Il y a là, en effet, un charmant petit sanctuaire que son propriétaire actuel, M. le doyen Echemann, a fait peindre avec goût, en 1884, par l'artiste Reiser, de St-Gall.

Nous sommes dans la chapelle de Notre-Dame de Montcroix.

Dès l'année 1654, Montcroix était la propriété du prévôt de l'antique Chapitre de Moutier, réfugié, comme on sait, à Delémont après l'extinction du catholicisme dans le val de Moutier, en 1530. Ce Chapitre, qui a subsisté à Delémont jusqu'à la Révolution, féconde en ruines, avait pour prévôt, en 1660, l'archidiacre Jean-Christophe Bajol, chanoine de la vénérable collégiale dès l'année 1608.

Le prévôt Bajol, décédé en 1662, avait fait par testament une donation considérable en vue de la création d'une école de filles pour la ville. Dans ce but, il avait fait construire, dans ses jardins de Montcroix, le bâtiment qui s'y trouve avec la chapelle attenante. C'était un logement qu'il préparait aux Soeurs Ursulines, ou à celles du Tiers-Ordre de saint François, auxquelles serait confiée l'éducation des jeunes filles de la ville. Les intentions du généreux fondateur échouèrent contre le mauvais vouloir du magistrat delémontain. Mais ce qui resta

 

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debout, ce fut la chapelle de Montcroix avec sa douce image de Marie, provenant du couvent des Jacobins ou Dominicains de Besançon. Cette image miraculeuse n'a échappé au vandalisme de l'impiété française, en 1793, que grâce à l'empressement du custode Ignace de Rosé, qui la sauva chez les filles de saint François de Sales, à la Visitation de Soleure. Elle n'en est revenue qu'après la demi liberté rendue à l'Eglise en 1802.

Pour honorer cette sainte image, considérée dès le principe comme miraculeuse, le prévôt Bajol avait fait un legs de 170 livres, destiné à l'entretien d'une lampe dans la chapelle et à la célébration d'une messe qui devait s'y dire chaque mois. C'était la création d'un bénéfice. En 1668, le bénéficier de Montcroix était le chanoine Wolfgang Jacques de Staal, qui mourut prévôt de Schönenwerth, en 1711. Chaque année, au jour de la dédicace de la chapelle, le Chapitre de Moutier y célébrait un office solennel, auquel assistait le magistrat de la ville.

Vendue en 1686, par le Chapitre, au baron de Wicka, la propriété de Montcroix a passé, dans notre siècle, aux mains de M. le chanoine P.-J. Rais, doyen de Courrendlin, qui l'a cédée en toute propriété à son digne vicaire, actuellement son successeur, par acte du 23 janvier 1883.

La chapelle continue à recevoir les nombreux pèlerins qui s'y rendent à l'aller ou au retour du Vorbourg. On y célèbre aussi de temps à autre le saint Sacrifice. Chaque année, à la fête de la Nativité (8 septembre), l'affluence est grande. En ce jour, fête principale de Montcroix, il y a indulgence plénière aux conditions ordinaires, pour tous les pèlerins qui vont prier dans la sainte chapelle. Cette faveur a été accordée à ce sanctuaire par bref de Pie VII, daté de Paris, le 13 mars 1805.

Autre faveur. L'archiconfrérie de Notre-Dame Réconciliatrice a été érigée en ce sanctuaire par son propriétaire, M. le doyen Echemann, en vertu d'un diplôme spécial obtenu par lui le 16 septembre 1872.

 

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10. Notre-Dame du Vorbourg.

 

LA CHAPELLE DE SAINT-IMIER EN 1049. — SA CONSÉCRATION PAR SAINT LÉON IX. — NOUVELLE CONSÉCRATION EN 1586. — LES GARDIENS (BRUDER) DE LA CHAPELLE. — LES NOBLES DU VORBOURG. — AUTELS, COURONNEMENT ET INDULGENCES. — EX-VOTO DE PEQUIGNAT. — LE SANCTUAIRE DÉVASTÉ PAR LA RÉVOLUTION. — LE CURÉ BOUVIER ET LES MAIRES DE LA VALLÉE EN 1792. — LES CROIX DU ROSAIRE. — UN DON DE MGR LACHAT.

 

Le plus ancien sanctuaire de Marie dans la vallée de la Sorne et de la Scheulte, c'est bien la chapelle du Vorbourg. Il est vrai qu'à l'époque de son érection, cette chapelle ne fut pas dédiée à la très Sainte-Vierge, mais bien à saint Imier, une des gloires du Jura, comme aussi l'un des plus dévoués serviteurs de Marie. L'histoire nous apprend, en effet, qùe saint Imier, né au château de Lugnez, près Damphreux, au VIesiècle, fit le pèlerinage de Terre-Sainte pour visiter les lieux sanctifiés par le Dieu de notre salut et Marie, sa virginale Mère.

Jusqu'en 1586, la chapelle du Vorbourg fut ainsi la chapelle de Saint-Imier.

Ce sanctuaire apparaît de nos jours comme une blanche couronne au sommet du rocher qui marquait, il y a douze siècles, la limite entre les Allemands et les Bourguignons. La chapelle faisait alors partie du château inférieur, bâti sur ce sommet par les ducs d'Alsace au VIIe siècle. En 1049, la chapelle et le château appartenaient, au témoignage de Buchinger, Abbé et historien de Lucelle, à Gérard comte de Nordgau et de Dagsbourg. Gérard était un parent, quelques-uns disent même le frère ou au moins le cousin du grand Pape saint Léon IX. Un voyage que fit saint Léon « dans sa douce Alsace » en 1049, amena l'illustre Pontife au château du Vorbourg, où il visita 'les membres de sa famille. On sait que saint Léon IX était l'un des fils du puissant comte d'Eguisheim Hugues IV. Sa mère était Hedwige, comtesse de Dagsbourg. Pendant son passage

 

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au Vorbourg, le saint Pape voulut bien consacrer lui-même la chapelle de saint Imier. C'est ce que rappelle un tableau très ancien suspendu dans le choeur de ce beau sanctuaire.

Un second tableau conserve la mémoire d'un autre événement. On y lit ce qui suit :

« L'année 1586, le lundi de Pâques 7 avril, ce sanctuaire, que les orages du siècle avaient presque détruit, fut l'objet d'une consécration nouvelle. L'évêque consécrateur Marc (Tettinger), suffragant de l'évêque de Bâle, le dédia au Dieu tout-puissant, à la bienheureuse Vierge, à saint Imier et au saint Abbé Othmar. Une indulgence de 40 jours fut accordée aux pieux visiteurs de la chapelle le jour de la consécration et l'année suivante au jour anniversaire de cette solennité. »

Rebâtie en 1586 et de nouveau en 1669, la petite chapelle de la Mère de Dieu fut agrandie; on y ajouta une demeure pour un frère gardien. Parmi les gardiens de la chapelle, on conserve le souvenir populaire de l'un d'entre eux appelé ou surnommé, à cause de sa maigreur, la Tête d'os, en patois la « Tête d'oche », personnage pieux, mais simple et naïf. Avant l'établissement de ces gardiens, la chapelle n'en avait pas d'autres que les Textors ou Tisserands, qui habitaient une maison dans les ruines du château inférieur. Cette famille aurait été, dit-on, la souche des Vorburger, nobles du XVIe siècle, qui ont donné quatre chanoines au Chapitre de Moutier, Nicolas, Marcel, Sigismond (1600-1613) et Jean-Philippe de Vorbourg. Le dernier a publié une Histoire romano-germanique en 1645 à Francfort, où il était envoyé par l'évêque de Bâle pour la paix de Westphalie. Il fut aussi conseiller intime de l'évêque de Würzbourg, puis de l'électeur de Mayence. Prévôt du Chapitre de Moutier depuis 1623, il mourut en 1660.

Trois autels ornent le pieux sanctuaire du Vorbourg. Le maître-autel qu'embellissent les statues de saint Imier et de saint Othmar, porte au milieu la statue miraculeuse de Notre-Dame du Vorbourg. Elle a été couronnée, avec l'assentiment de Pie IX, le dimanche 12 septembre 1869, par Mgr Lachat, au milieu d'un immense concours de prêtres et de fidèles. Et depuis

 

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lors; chaque année, une octave d'offices chantés avec sermons, rappelle ce pieux événement, dont nous avons donné ailleurs (1) une description complète. Et chaque année, une grande affluence de fidèles assiste avec empressement à ces pieux exercices ; on peut y gagner de précieuses indulgences dues à Grégoire XVI, puis à Pie IX, lequel en agrégeant à la chapelle de Lorette celle du Vorbourg, a communiqué à cette dernière toutes les faveurs spirituelles qui enrichissent la première.

Dans la nef, séparée du choeur par une grille monumentale, se dressent deux autels. Celui de gauche est consacré à la Sainte-Famille, et celui de droite à Notre-Dame des Sept-Douleurs. Ces autels latéraux ont été consacrés le 16 octobre 1684 par le suffragant de l'évêque de Bâle, Caspar Schnorff, évêque de Chrysopolis.

La chapelle, aux fenêtres ogivales ornées de trois vitraux, renferme, en outre, une chaire et une tribune avec harmonium pour l'accompagnement du chant pendant les cérémonies saintes.

Des ex-voto, aux cadres dorés, tapissent les murs du sanctuaire, et attestent la maternelle bonté de Marie envers ceux qui font appel à sa puissante protection au sein du danger. Il n'y a pas jusqu'à l'infortuné Pequignat, le Leuberger ou le Schybi des Etats de l'Evêché de Bâle en 1740, qui n'ait laissé là, à en croire son biographe, la trace de sa piété touchante envers la Vierge du Vorbourg. Ce qui est certain, c'est que le « roi des Ajoulots » avait la plus tendre dévotion envers Notre-Dame des Ermites. C'est ainsi que nous le voyons, au moment de son arrestation à Bellelay, donner à la servante de l'auberge, quatre pièces de cinq sols : deux pour des messes, et les autres, ajouta-t-il, « à donner pour le nom de Dieu en l'honneur de Notre-Dame des Ermites. » Pieuse générosité, qui n'empêcha pas sa tête, hélas ! de rouler sur l'échafaud, avec deux autres, la veille de la Toussaint 1740.

La chapelle du Vorbourg fut pillée et dévastée en 1793 par l'impiété révolutionnaire. Cependant les Français ne purent

 

1 Dans le Rosier de Marie, année 1869. La Semaine catholique l'a reproduite en entier, en 1883, dans son numéro du 8 septembre.

 

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mettre la main sur la statue miraculeuse. La piété ingénieuse réussit à l'enlever et à la tenir cachée en lieu sûr. Elle ne reparut dans son sanctuaire vénéré qu'après le concordat de 1802, par les soins du savant et dévoué curé de Delémont, Joseph Germain Val. Hennet ( + le 8 janvier 1831, à Soleure, où il était grand-doyen du Chapitre diocésain).

La Révolution, d'ailleurs, outre sa haine contre tout ce qui était religieux et chrétien, avait une dent particulière contre la chapelle du Vorbourg. C'est là que la Vallée de Delémont s'était donné rendez-vous en 1792 pour aviser au moyen de se débarrasser des Français, de leur impiété fanatique et de leur tyrannie, d'autant plus odieuse qu'elle s'appelait la liberté.

Un jour, c'était le 2 juillet, fête de la Visitation de la très Sainte-Vierge, la chapelle regorgeait de monde accouru de tous les points de la Vallée. Un prêtre était à l'autel, où il célébrait les divins mystères. C'était le curé de la petite république de Montsevelier, laquelle fut de 1792 à 1797, le Saint-Marin de la Vallée. Ce vénérable prêtre, avec sa blanche couronne de soixante hivers, se nommait Jéan-Germain Bouvier. Originaire de Saint-Ursanne, il était fils du conseiller de cette ville Erard-Théobald Bouvier et de Marie-Catherine Chèvre, soeur du chanoine de Saint-Ursanne, Jean-Georges Chèvre, de Delémont. A peine a-t-il achevé le divin sacrifice, que le peuple s'apprête à sortir, pour discuter en plein air sur les mesures à prendre en vue de sauvegarder l'indépendance du pays, sa religion, ses droits, sa liberté. Mais, ô surprise! ô terreur! La chapelle est cernée et de toutes parts on n'aperçoit que les baïonnettes françaises. Se rejeter dans la chapelle, courir sur les tribunes, s'élancer jusque sous les tuiles de la chapelle pour y cacher leurs papiers, ce fut pour les maires de la Vallée l'affaire d'un instant. On se hasarde à sortir du lieu saint. Les premiers qui paraissent sur le seuil sont arrêtés, menacés, fouillés. Comme la troupe du commandant de place Michaud ne trouve sur eux rien de compromettant, on les laisse aller, et la foule après eux. Il n'en fut pas ainsi du curé Bouvier. Accusé d'être l'âme du mouvement « séditieux », le digne prêtre est emmené par la soldatesque à Delémont et conduit au

 

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corps de garde. Là, on l'interroge sur le rassemblement. Il ne sait ou ne veut rien dire. On finit par le laisser, bien qu'à regret, regagner sa paroisse.

Nous ne pouvons mieux compléter cette courte notice, qu'en reproduisant ces lignes d'une pieuse brochure sur le Vorbourg, due à la plume de l'auteur de l'Abeille du Jura, le savant et modeste abbé Sérasset (1) : « La colline rocheuse du Vorbourg, sur laquelle s'élève ce vénéré sanctuaire, rappelle la montagne du Calvaire, et le chemin qui conduit au Vorbourg, la voie douloureuse de Jérusalem au Calvaire. Aussi nos pères ont consacré le chemin du Vorbourg par l'érection de quinze croix de distance en distance, et ils ont transformé en Calvaire l'esplanade sur le rocher à pic derrière la chapelle. Ces croix, abattues par l'impiété révolutionnaire en 1793, ont été successivement relevées par la piété des fidèles, et maintenant les pieux pèlerins qui vont au Vorbourg peuvent de nouveau méditer à leur aise les quinze principaux mystères du saint Rosaire, qui y sont représentés en bas relief. »

La chapelle du Vorbourg conserve, avec une crosse de Mgr Lachat, la mitre qu'a portée au Concile du Vatican l'illustre confesseur de la foi.

 

11. Notre-Dame des Ermites à la Vacherie-Mouillard.

 

SAINT MEINRAD ET LA STATUE DE LA VIERGE. — DÉVOTION POPULAIRE ET MIRACLES. — LA SAINTE-CHAPELLE DÉTRUITE. — LES PÈRES BÉNÉDICTINS. — UNE FILIALE DANS LE JURA.

 

Lorette, Lourdes, les Ermites : trois noms chers aux enfants de Dieu et de sa douce Mère. Trois foyers de dévotion, trois aimants divins qui attirent et charment le coeur où vit la foi dans sa pureté.

 

1 Ancien curé de Develier, décédé à Delémont, à l'âge de 80 ans, le 1er janvier 1886, et suivi dans la tombe par Mgr Vautrey, quatre mois après.

 

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Si des milliers de fidèles s'en vont chaque année, bravant les distances, se prosterner avec bonheur, les uns dans la Sainte-Maison de Lorette, les autres au seuil de la Grotte de Lourdes, c'est aussi par milliers que la Vierge d'Einsiedeln voit arriver, soit isolément, soit par groupes (pèlerinages), au pied de sa miraculeuse Image, les pèlerins de la Suisse et de toute l'Europe.

Pèlerinage éminent, que recommande le double respect de Marie et des âges. Il remonte, en effet, bien haut dans le cours des siècles chrétiens. N'est-ce pas avant 859 que la Vierge d'Einsiedeln fat envoyée au saint Ermite Meinrad, par la vierge Hildegarde, fille de l'empereur Louis-le-Germanique, et première abbesse des Bénédictines de Zurich, comme un don de sa pieuse munificence ? Et la dévotion envers la Vierge de Meinrad n'a-t-elle pas commencé aussitôt après le martyre du grand serviteur de Marie?

C'est au pied de cette douce image qu'avait jailli le sang du martyr. C'est devant cette image que mille fois il avait répandu ses prières et ses douces larmes d'amour. On comprend que les peuples aient éprouvé une douce joie et une confiance invincible à s'agenouiller là, où le saint du désert avait laissé la trace de ses genoux, à prier où il avait tant prié lui-même, et un demi-siècle après lui son digne émule saint Bennon.

Et bientôt la prière, ardente comme la foi, obtenait de Marie, en ce lieu saint, les bienfaits, les grâces, les miracles que la terre ne pouvait donner. C'est ainsi que près de douze siècles sont venus l'un après l'autre apporter à la Vierge d'Einsiedeln le tribut varié de leur vénération, de leurs espérances et de leurs actions de grâces. La nouvelle religion de Zwingli, gardien félon de la sainte image, avait bien pu diminuer le nombre, mais non la confiance des pèlerins.

Il en fut de même de la religion, plus nouvelle encore, des Français de la Révolution. Elle réussit, il est vrai, à mettre en pièces la sainte chapelle, dont la merveilleuse consécration remontait à l'an 948. Mais la statue miraculeuse ne fut pas souillée par les mains impures des adorateurs de la Raison. Sauvée à Saint-Gérold, dans le Vorarlberg, elle fit sa

 

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réapparition en 1803, dans sa magnifique église, et en 1817 dans son sanctuaire enfin relevé de ses ruines.

C'est là, sous la garde des dignes fils de saint Benoît, qui se succèdent en ce lieu depuis mille ans, avec le double éclat de la science et de la piété, que dans toutes les langues de l'Europe Marie est honorée, invoquée et répond sans cesse aux soupirs qui montent vers Elle par de nouvelles consolations et de nouveaux miracles.

Le Jura suisse, en particulier, tout en fréquentant ses nombreux sanctuaires à Marie, envoie à Notre-Dame d'Einsiedeln chaque année, en dehors même des pèlerinages organisés, des centaines de pèlerins.

Cependant, que de fidèles aimeraient, eux aussi, du Jura porter leurs hommages à Notre-Dame des Ermites, et se voient privés de ce bonheur par d'impérieuses circonstances!

Or voici qu'en leur faveur, une filiale de la sainte Chapelle des Ermites vient de sortir, comme un lys, du sol jurassien.

Sur les sommets du Lomont, d'où la vue s'étend au loin sur la verte Ajoie, s'élève, depuis 1888, une modeste et gracieuse chapelle, dédiée à Notre-Dame des Ermites. Erigée à vingt minutes de Seleute, et à deux pas de la ferme dite Vacherie-Mouillard, par le propriétaire de ce vaste et beau domaine, M. l'avocat et député Daucourt, de Porrentruy, ce nouveau sanctuaire a été béni solennellement, ainsi que la cloche qui se balance dans son gracieux beffroi, par Mgr Chèvre, en 1888.

Il remplace avantageusement un ancien oratoire qui se trouvait là, et qui succombait, pierre à pierre, au poids des ans. Chaque dimanche, dans la bonne saison, on voit de pieux groupes de pèlerins de l'Ajoie et de la Vallée du Doubs, gravir la montagne et porter à Notre-Dame des Ermites leurs prières et leurs pieux cantiques.

 

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12. Notre-Dame da Sacré-Coeur, à Seleute.

 

UN SANCTUAIRE DU SACRÉ-CŒUR DANS LE JURA. — NOTRE-DAME DU SACRÉ-COEUR ET SA BASILIQUE A ISSOUDUN. — L'AVOCATE DES CAUSES DÉSESPÉRÉES. — SA CHAPELLE A SELEUTE. — BÉNÉDICTION DE LA CHAPELLE ET DE LA CLOCHE.

 

Sur un des points culminants des Franches-Montagnes, dans la paroisse du Noirmont, s'élève un beau sanctuaire dédié au Sacré-Coeur de Jésus. Oeuvre de pieuses bienfaitrices, cette chapelle a été construite, il y a une quinzaine d'années, par les soins de M. l'abbé Albert Cuttat, alors curé de cette paroisse. Le Sacré-Coeur avait ainsi son sanctuaire dans le Jura. Il restait à enrichir ce catholique pays d'un sanctuaire à « Notre-Dame du Sacré-Coeur. »

C'est ce projet qui vient de recevoir, il y a un an, sa réalisation à Seleute, dans la paroisse de Saint-Ursanne.

Mais pourquoi ce nouveau sanctuaire et ce vocable nouveau ? Qu'est-ce que Notre-Dame du Sacré-Coeur ?

Au beau milieu de la France, dans cette Touraine qu'elle nomme si bien son jardin, se trouve entre Châteauroux et Bourges, au flanc d'une colline, la ville riante d'Issoudun. En été, les pampres de la vigne lui forment une couronne que relève l'or des moissons. C'est là qu'en 1854, la double ferveur d'un adorateur du Coeur divin de Jésus et d'un serviteur de la Vierge Immaculée a su trouver, dans sa piété ingénieuse, le moyen d'honorer à la fois et la divine Mère et le Coeur adorable de son Fils. Aller au Coeur du Fils par le Coeur de la Mère, telle a été la pensée créatrice de l'Archiconfrérie de Notre-Dame du Sacré-Coeur.

Cette pensée heureuse, l'initiative de cette grande oeuvre est due au R. P. Chevalier, fondateur, dès l'année 1854, de la Congrégation des missionnaires apostoliques du Sacré-Coeur. Oeuvre qui a reçu les éloges et l'approbation de Pie IX et de Léon XIII.

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Une basilique immense, magnifique, aux vitraux resplendissants dans leurs fenêtres ogivales, s'est élevée à Issoudun par les dons pieux d'innombrables âmes dévouées à Notre-Dame du Sacré-Coeur.

Et à peine la basilique a-t-elle vu le jour que des centaines d'ex-voto en ont recouvert les murs, témoins éloquents de la bonté toute puissante de Notre-Dame du Sacré-Coeur envers toutes les âmes qui l'invoquent avec une généreuse confiance.

Les miracles rappelés par cette galerie d'ex-voto sont la plupart si étonnants, qu'ils ont valu à Notre-Dame du Sacré-Coeur le glorieux surnom d'Avocate des causes difficiles et d'Espérance des causes désespérées.

Motifs puissants, on le voit, de,favoriser le Jura catholique d'un sanctuaire en l'honneur de Notre-Dame du Sacré-Coeur.

Aujourd'hui ce sanctuaire, le premier dans le Jura et peut-être dans la Suisse entière, est debout. Des hauteurs du Lomont et de la Croix, il domine la Vallée et le Clos-du-Doubs. Nous taisons, puisqu'il le veut ainsi, le nom du pieux fondateur de cette chapelle.

Mais nous rappellerons avec bonheur que la bénédiction solennelle en a été faite, ainsi que celle de la statue et de la cloche de Notre-Dame du Sacré-Coeur, par le révérend doyen de Saint-Ursanne, Mgr Chèvre, le 18 novembre 1889, au milieu d'un immense concours de prêtres et de fidèles. Et depuis ce jour, on va de toutes parts, de la France comme de la Suisse, invoquer à Seleute Notre-Dame du Sacré-Coeur, et lui demander avec une foi que récompenseront bientôt les miracles, les guéri-sons de l'âme et du corps, les grâces, les bienfaits dont Notre-Dame du Sacré-Coeur aime à se montrer, jusqu'à la prodigalité, la généreuse dispensatrice.

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13. Chapelle de l'Assomption de la Sainte-Vierge à Châtillon

 

CONSTRUCTION DE LA CHAPELLE. — SA BÉNÉDICTION ET CELLE DE

LA CLOCHE. — MESSES ET PIEUX EXERCICES.

 

Dès l'année 1808, un échange de terrain avait lieu entre la commune de Châtillon et Jacques Chalverat, en vue de l'érection d'une chapelle. Toutefois la construction n'en fut achevée qu'en 1817. Un autel y fut ensuite dressé. Il provenait de l'église des Capucins de Delémont. La cloche de la chapelle a été livrée en 1825 par Urs Meyer de Blerschwyler. Ce n'est qu'en cette même année qu'eut lieu, le 14 septembre, la bénédiction de la chapelle par M. Greppin, curé-doyen de Courrendlin. Le même jour, la cloche a été baptisée par le doyen Hennet de Delémont. Le doyen de Courrendlin va célébrer une fois par semaine la sainte messe dans ce sanctuaire de Marie, où les fidèles de Châtillon se réunissent chaque année pour célébrer, avec la piété qui les distingue, le mois de Marie et d'autres exercices de dévotion chrétienne.

Cette chapelle, assez spacieuse, et où l'on aime prier, est sous le vocable de l'Assomption de la très Sainte-Vierge.

 

14. Notre-Dame sons les Chênes, à Boncourt

 

CHAPELLE CONSTRUITE EN 1825. — SA BÉNÉDICTION SOLENNELLE. — ENGAGEMENT SOUSCRIT PAR LES FONDATEURS. — DONS ET LEGS. — LA CLOCHE « DE LA PERSÉCUTION ». – EMBELLISSEMENTS - DÉCLARATION DES HÉRITIERS DES FONDATEURS. — CIMETIÈRE ET OMBRAGE. — MESSE DU SAMEDI.

 

Poésie et piété, que de charme et que de fraîcheur dans ce nom de la chapelle de Marie à dix minutes de Boncourt, à vingt minutes de Delle et de la frontière qui sépare la France de la Suisse ! Notre-Dame des Chênes ! En respirant le parfum de ce nom, ne croit-on pas voir la Vierge-Mère étendant sa

 

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protection, non plus sur les villes et les campagnes, mais sur les forêts et leurs dômes de verdure?

C'est en 1825 que fut construit le sanctuaire de Notre-Dame sous les Chênes, « oeuvre louable des bourgeois et habitants les plus notables de Boncourt, de leur zèle à augmenter la dévotion envers Marie. » Ce sont les paroles de l'évêque François-Xavier de Neveu, dans l'autorisation qu'il donne, par son provicaire Al. de Billieux, le 22 décembre 1825, à la paroisse de Boncourt, de faire bénir le nouveau sanctuaire et d'y célébrer le saint Sacrifice.

Cette bénédiction solennelle eut lieu le 6 février 1826. Elle fut faite par le délégué de l'évêque, le curé de Buix, M. Laurent Meusy (Père Ursanne), ancien religieux de Bellelay, en présence des curés suivants : MM. Juster, à Saint-Dizier; Joseph Courbat, à Courtemaiche; J.-B. Noirjean, à Bure; Bernard Gigon, à Montignez ; Chevretot, à Delle ; N. Denier, à Croix ; Cramatte, à Damphreux; Bigey, à Courtelvant, et H. Hierme, à Boncourt.

Le 11 décembre précédent, les pieux constructeurs de la chapelle, au nombre de trente, avaient signé l'engagement, pour eux et leurs descendants, « de pourvoir à l'entretien décent de ladite chapelle, et d'y fournir tout ce qui est nécessaire pour y célébrer la sainte messe. »

plus tard, des dons et des legs furent offerts à la Vierge sous les chênes. Voici les noms de quelques-uns de ces bienfaiteurs : Jean-Baptiste Gelin, Jn-Bte Girardat, Pierre-Séraphin Prêtre et son épouse Marie-Jeanne, Mmes Kilcher et Mathey-Gürtler, Mlles Béchaux et Berthilde Jeanpierre, Mme Grisez, née Kilcher, etc. Deux messes ont été fondées dans la chapelle, en 1858, par Mme Marthe Kilcher, pour elle et son mari défunt, Joseph Kilcher, de Milandre.

En 1881, le 16 mai, Notre-Dame sous les Chênes s'est enrichie d'un clocheton et d'une gracieuse cloche, dont le son joyeux rappelle aux catholiques de Boncourt leur inviolable fidélité à Dieu et à son Église. Cette cloche, en effet, bénite solennellement par Mgr Chèvre, doyen de Saint-Ursanne, dans la vaste cour de la maison hospitalière qui servait d'église aux fidèles de Boncourt, chassés du lieu saint par la violence et

 

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l'apostasie qui le souillait, a servi au culte catholique de la paroisse, jusqu'au jour oh celle-ci a pu rentrer en possession de ses droits les plus sacrés, de sa chapelle et de son antique église (1880).

Avec la cloche dite « de la persécution, » d'autres embellissements ont été apportés à Notre-Dame sous les Chênes, la même année. On y a consacré la somme de 554 fr., couverte en partie par les dons tant des demoiselles et des dames de la Conférence, que de Mme Kilcher, née Girardat, de Boncourt. Deux peintres y ont travaillé : M. Richard, pour le décor des murs, et M. Christe, pour la statue de la Sainte-Vierge.

L'année suivante, quarante héritiers ou héritières des constructeurs de la chapelle signaient un nouvel acte, par lequel tous maintenaient à leur tour, pour eux et leurs descendants, la propriété de la chapelle avec toutes les charges souscrites par les fondateurs.

Un nouveau cimetière vient d'être établi pour la paroisse de Boncourt, à l'ombre du sanctuaire de Marie. Elle n'est plus seulement Notre-Dame sous les Chênes, elle est aussi la consolation de ceux qui pleurent et la Mère de ceux qui ne sont plus et qui attendent sous ses auspices leur entrée au ciel.

Une nouvelle enceinte va entourer la chapelle en même temps qu'une plantation d'arbres va l'ombrager d'une fraîche verdure.

En attendant « on va beaucoup prier dans ce sanctuaire, » nous écrit M. le curé Henry, en ajoutant qu'il y célèbre chaque samedi, depuis le mois de mai jusqu'en octobre, la sainte messe, à laquelle assiste toujours beaucoup de monde.

 

15. Notre-Dame de Bon-Secours, à Fahy

 

CHAPELLE DE 1376. — ÉGLISE PAROISSIALE. — STATUE MIRACULEUSE

ET PÈLERINAGE.

 

Au sommet d'un plateau qu'ombrageait autrefois une vaste forêt de hêtres, s'élève depuis des siècles un riche et beau village : c'est le village des hêtres (fagus) ou Fahy, avec son

 

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sanctuaire de Marie, bien connu des pèlerins sous le nom consolant de « Notre-Dame de Bon-Secours. » Cette chapelle, avec son antique statue de la Vierge, remonte au delà du XVme siècle. Dès l'année 1376, elle avait son chapelain ; il se nommait Jean Briant.

En 1788, la chapelle de Notre-Dame de Bon-Secours fit place, avec son clocher conservé, à un édifice plus vaste, qui fut érigé en église paroissiale à la suite du concordat de 1802. La sainte image de Marie n'en continua pas moins d'attirer à elle de nombreux pèlerins, lesquels ont souvent éprouvé, comme l'attestent de touchants ex-voto, les heureux effets de leur prière confiante .à la Mère de Bon-Secours.

 

16. Notre-Dame du Saint-Nom de Jésus, à Chevenez

 

CHAPELLE DE 1420. — NOUVEAU VOCABLE.

 

Au sortir du village de Chevenez, déjà nommé dans une charte pontificale de 1139, on aperçoit, à droite et sur le bord de la route qui conduit à Blamont, un modeste édifice dont l'origine, due à la famille Juillerat qui en reste propriétaire, remonte à l'année 1420. Dédié primitivement au Saint-Nom de Jésus, elle a substitué dans la suite ce vocable à celui de Notre-Dame du Saint-Nom de Jésus. Changement qui provient sans doute d'une statue ou image de la Sainte-Vierge, particulièrement vénérée dans ce sanctuaire, dont l'Assomption est la fête titulaire. Un marbre, placé sur l'autel en 1763, permet d'y célébrer le saint Sacrifice. De nos jours, la chapelle est ornée d'une belle statue de Notre-Dame du Sacré-Coeur.

 

17. L'Immaculée-Conception, à Develier-dessus

 

LE SAINT-CRUCIFIX. LA CHAPELLE DE MARIE ET DE SAINTE PHILOMÈNE.

 

Un des plus anciens villages de la vallée qu'arrose la Sorne est sans contredit la Delii villa des Romains, le Develier de nos jours. Cette intéressante paroisse se divise en Develier

 

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dessus et en Develier dessous ; et chacune de ces localités est un but de pèlerinage.

A Develier-Dessous, dans l'église paroissiale, c'est le « Saint-Crucifix, » devant lequel la foi aime à répandre ses prières. On sait que ce crucifix en bois, qui a cinq pieds de haut et porte le millésime de 1600, était suspendu à l'arc de triomphe de l'église, lorsque celle-ci fut incendiée en 1637 par les Suédois, et qu'il fut retrouvé intact au milieu des ruines fumantes.

Cette conservation plus que merveilleuse lui a valu et lui vaut encore la vénération de toute la contrée.

On raconte plus d'un miracle obtenu par la prière faite au pied de cette sainte image.

Develier-dessus a aussi un charme qui attire les pas des pèlerins. L'Immaculée-Conception a eu là son sanctuaire dans la vallée, dès l'année 1837.

Un excellent tableau, oeuvre d'un artiste de Munich et don pieux du baron de Verger, orne l'autel, et la Vierge Immaculée voit à ses pieds la châsse de sainte Philomène, habilement sculptée et reproduisant celle de Mugnano.

Bénite en 1838, le 11 décembre, en même temps que la cloche, par M. le doyen Nicolas Friat, la chapelle de « l'Immaculée-Conception et de Sainte-Philomène » est bientôt devenue l'objet d'un pèlerinage à peine ralenti par l'odieuse persécution de 1873 à 1878. De nos jours on s'y rend de toute la Vallée, ainsi que de l'Ajoie et. des bords du Doubs.

 

18. La chapelle du Paradis, près de Bure

 

LE PARADIS. — LES SORCIERS ET LE SABBAT AU XVIe SIÈCLE. —

LE NOUVEAU SANCTUAIRE. — NEUVAINE ANNUELLE

 

Bien que ce sanctuaire, construit en 1879 par la famille Vallat (Joseph), ne soit pas exclusivement dédié à la Sainte-Vierge, mais bien au Sacré-Coeur, à Notre-Dame de Lourdes et à saint Joseph, il convient d'en dire un mot.

On donne le nom de « Paradis » à une jolie ferme située à mi-chemin entre les deux villages de Bure (Suisse) et de Croix

 

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(France). Autrefois, ce lieu ne jouissait pas d'une réputation bien brillante. Il était considéré, à tort ou à raison, comme un rendez-vous des sorciers, comme un lieu de sabbat, où ils se réunissaient de toute la contrée pour leurs superstitions nocturnes mêlées des plus honteuses orgies.

Depuis longtemps, ces assemblées, où le « Robin » se jouait de ses dupes, dont il faisait ses victimes il y a trois siècles, ont cessé de jeter l'effroi et l'horreur au coeur d'une population profondément chrétienne.

D'ailleurs, il n'y a pas de meilleur moyen de donner la fuite aux esprits de ténèbres que l'érection d'un sanctuaire en l'honneur de Marie et à la gloire de son divin Fils. N'est-ce pas en même temps le moyen le plus propre pour attirer sur un coin de terre et ses paisibles habitants les plus heureuses bénédictions du Ciel ?

C'est ce qu'a si bien compris la famille Vallat, propriétaire du « Paradis ». C'est aussi ce que comprend le village de Bure, qui fait chaque printemps une neuvaine à la chapelle du Paradis, pour la conservation des biens de la terre.

Souvent, pendant la belle saison, la cloche se met en branle dans son modeste clocheton. Elle avertit les fidèles d'accourir au pied de l'autel ; le curé de la paroisse est là pour invoquer, par l'adorable Sacrifice, et le Coeur divin de Jésus, et l'immaculée Vierge de Lourdes et le virginal Epoux de Marie, l'humble et doux saint Joseph.

 

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* *

 

Notre travail, pour le canton de Berne (Jura), s'arrête là. Outre les sanctuaires que nous avons décrits, il en est d'autres encore sur lesquels nous aurions à donner des renseignements qui ne manqueraient pas d'intérêt. Telles sont les chapelles suivantes :

 

Sainte-Anne, à Mettemberg (1819) et à Ederschwyler (1864) ;

Saint-Antoine, à la Scheulte (1861) ;

Saint-Kilien, actuellement Saint-Gelin, à Cornol (XIIIesiècle) ;

Saint-Eloy, à Courtemantruy (1770);

Saint-Symphorien, à Courtemaiche (1603);

 

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Saint-Imier, à Damphreux (?) et à Fregiécourt (1339) ;

Saint-Hubert, à Bassecourt (1630) et au château du Raimeux (XVIIe siècle);

Sainte-Philomène, à Courcelon (1838) et à Recollaine (1863) ;

Saint-Michel, à Miserez (1660) et à Delémont (XVIIe siècle) ;

Saint-Germain, à Porrentruy (XIIIe siècle), ancienne église paroissiale ;

Saint-Charles, à Saignelégier (1621-1880) et à Laufon (?) ;

Saint-Vendelin, à Blauen ;

La chapelle du château d'Augenstein, avec ses vitraux gothiques du XIVe siècle;

Sainte-Jeanne, à la Bosse (1719) ;

Le Saint-Craal ou Graal, de nos jours Saint-Grat, à Mont-sevelier (XVIIe siècle);

Saint-Fromond, à Bonfol (1883);

Sainte-Croix, à Fontenais-Villars (1445) ;

La chapelle d'Envelier (1872) ;

Celle de la Vacherie-dessus, près de Roche-d'Or (1876).

 

Le vocable de la plupart de ces chapelles dit assez qu'elles sont étrangères au cadre que limite le titre de notre ouvrage. Nous ne pouvons donc que remettre à plus tard, si Dieu le veut, les notices qui intéressent ces pieux sanctuaires.

Pour le moment, nous avons hâte, en suivant le plan que nous nous sommes tracé, de passer du Jura bernois au canton de

 

§ 3. LUCERNE

 

Ici encore, par la raison que nous venons de dire, nous laisserons de côté pour le moment, bien qu'à regret, les beaux et riches sanctuaires qui ne sont pas sous le vocable de Marie.

Tels sont ceux de la Sainte-Croix, à Schüpfheim et à Wittenbach ; du Saint-Sacrement, à Ettiswyl ; du Précieux-Sang, à Willisau; de Sainte-Anne, au Schwendelberg ; de Sainte-Elisabeth, à Hitzkirch ; de Sainte-Odile, à Buttisholz ; de Saint-Jost, à Blatten; de Saint-Vendelin, à Greppen, et tant d'autres

 

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sanctuaires illustrés par les miracles du Ciel et les prières des pèlerins.

C'est ainsi déjà, qu'en parlant du canton d'Argovie, nous avons passé sous silence les chapelles ou églises avec pèlerinage de Sainte-Anne, à Bünzen; de Sainte-Vérène, à Zurzach; de Saint-Donat, à Hermetschwyl ; du bienheureux Bourkard, à Beinwyl; de Saint-Léonce, à Muri ; de Saint-Castor, à Rohrdorf; de Saint-Juste, à Gnadenthal ; des bienheureux Anglo-Saxons, à Sarmensdorf, et d'autres encore; où de nombreux pèlerins vont demander avec confiance les bienfaits de l'âme et du corps.

Fidèles à notre plan, nous avons ainsi à signaler seuls, pour le canton de Lucerne comme pour les autres parties du diocèse de Bâle, les sanctuaires de Marie, en commençant par celui de

 

1. Notre-Dame de Lutherthal

 

DOCUMENT HISTORIQUE. — PRIÈRE EXAUCÉE. — SONGE ET VISION. — LA SOURCE MERVEILLEUSE. — CHAPELLE BATIE. — FÊTE PRINCIPALE. — NOTRE-DAME DE LA BONNE-MORT. — INDULGENCES, MESSES ET GARDIEN.

 

Luthern est un beau village et une grande paroisse de 1800 âmes dans la gracieuse vallée de ce nom.

La vallée de Luthern se détache du flanc nord du Napf, qui porte sa cime verdoyante jusqu'à une élévation de 1400 mètres.

Dans cette fraîche et fertile vallée se trouvent des bains, avec une gracieuse chapelle. L'origine de cette chapelle, avec les bains de Luthern, est intéressante ; elle est originale comme une légende mystique.

Toutefois ce n'est pas une légende que nous allons rapporter. C'est bel et bien un événement historique. Le document qui en fait foi est conservé aux archives de Lucerne. Il est écrit de la main du greffier de la ville, et remonte au 23 mai de l'année 1583, deux ans après le fait qu'il raconte avec les détails suivants.

En 1581, un pauvre père de famille, il se nommait Jacques Minder, fervent serviteur de la Sainte-Vierge, était en proie

 

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à de vives douleurs rhumastismales, qu'il ressentait souvent aux jambes depuis vingt ans. C'était la veille de la Pentecôte. Pendant la nuit, le malade redouble de ferveur dans ses supplications à Celle que l'Eglise nomme à juste titre le Salut des infirmes. Il semblait à Jacques Minder qu'il n'avait jamais prié avec tant de foi et de confiance en Marie. « 0 Mère, disait-il, obtenez-moi du moins que je sois en état de gagner le pain de mes enfants et de leur mère. Ah! ces chers petits enfants, je vous en confie le soin et l'avenir ! »

Une prière si humble, si touchante, devait être exaucée. Elle le fut. Les douleurs du malade se calmèrent et un sommeil réparateur vint lui fermer les yeux.

Mais voici que pendant son sommeil, la Vierge sainte d'Einsiedeln, devant laquelle, pieux pèlerin, il se croit en prières, abaisse sur lui un regard d'amour. Ses lèvres s'entr'ouvrent et laissent tomber comme une fraîche rosée, ces paroles pleines d'espoir : « Va derrière ta maison : à quelques pas de là, ouvre le sol. Une eau en jaillira; tu t'en laveras et tu seras guéri. En retour, promets-moi de réciter ta vie durant, chaque soir et chaque matin, au son de la cloche, trois Pater et trois Ave avec le Credo à la gloire de mon divin Fils et en l'honneur de sa Mère. Et comme preuve que ce que tu entends n'est pas un vain songe, dans l'espace d'une année, j'aurai pourvu à l'avenir de tes enfants, dont je vais être la Mère. »

 

Le lendemain, Jacques Minder avait oublié le songe de la nuit. C'était le saint jour de la Pentecôte. Sur le soir, il se dirige inopinément vers le lieu que lui avait indiqué la vision nocturne. Là, il entend sonner l'Angelus à la paroisse, il s'agenouille et prie. Tout à coup il entend sous ses genoux le bruissement de l'eau. Son rêve lui revient à la mémoire. Il rentre chez lui rempli d'une douce espérance. Dès le lendemain, il s'arme d'une pioche, il s'en va l'enfoncer dans le sol. Au premier coup une eau abondante en jaillit. Minder s'en lave aussitôt : à l'instant sa maladie de vingt ans a fui pour ne plus revenir. Puis, dans l'espace d'une année, ses six enfants meurent

 

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l'un après l'autre, et s'en vont rejoindre dans le ciel Celle qui a promis d'être leur Mère à jamais.

Plus tard, on agrandit la source merveilleuse, pourquoi ne dirions-nous pas miraculeuse? et dès lors cette « fontaine de Marie » est devenue un bain salutaire pour toutes sortes de malades.

En souvenir de ces événements, une chapelle fut bâtie en ces lieux, aux frais de l'autorité civile. Dès l'année 1584, ce sanctuaire fut consacré à la Reine du ciel par l'évêque suffragant de Constance. Trop petite pour la foule qui y accourait, la chapelle de la Fontaine de Marie fut reconstruite et agrandie à plusieurs reprises, notamment en 1754. Le maître-autel, avec sa niche et sa douce image de Marie, en est le principal ornement. Aux murs sont attachés les tableaux, déjà fort anciens, du Chemin de la Croix. On y voit aussi de nombreux ex-voto en bois et même en argent, qui témoignent des grâces reçues et de la gratitude des invocateurs de Marie.

A l'extérieur, la chapelle offre l'aspect d'une grande propreté. Une petite tour la surmonte, dans laquelle se balancent trois cloches aux accents harmonieux.

La fête principale de la chapelle, qui rappelle le jour de sa consécration, est le sixième dimanche après Pâques. Un office solennel y est chanté avec sermon. L'affluence alors est considérable. C'est qu'il y a, en ce jour, indulgence plénière pour les pèlerins. Cette faveur est due au Pape Pie VIII, qui l'a accordée par bref du 14 septembre 1829.

D'autres indulgences ont été accordées par le même Pontife, à gagner aux fêtes de la Sainte-Vierge.

En 1600, une confrérie en l'honneur de « Notre-Dame de la bonne mort » a été érigée en cette chapelle et approuvée, à la demande de Mgr Salzmann, par le Souverain-Pontife Grégoire XVI, qui l'a enrichie d'indulgences. La fête titulaire de cette confrérie, à laquelle est jointe celle du Coeur immaculé de Marie, est fixée au jour de l'Assomption de la très Sainte-Vierge. Le lundi de la Pentecôte de chaque année, on chante deux offices pour les fondateurs et bienfaiteurs de la chapelle.

En outre, quatre-vingts messes, dues à trente-cinq fondations,

 

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se célèbrent annuellement aux pieds de l'Immaculée Vierge, sans comprendre les nombreuses messes que font dire les pèlerins. Aussi l'autel a-t-il été privilégié à perpétuité par le pape Pie VIII en 1829.

Près de la chapelle s'élève, depuis 1846, un grand édifice, offrant l'aspect d'un monastère. C'est la demeure du frère gardien de la chapelle. A quelques pas de là, se trouve une modeste auberge en faveur des pèlerins de Notre-Dame de la source ou de la fontaine de Lutherthal.

 

2. Notre-Dame de Werthenstein

 

ROCHER ET CHATEAU. — MERVEILLEUSE APPARITION. — L'IMAGE DE MARIE. — MIRACLES ET CHAPELLE. — NOTRE-DAME DE FRYBACH. — UN INCENDIE A LUCERNE. — LA CHAPELLE AGRANDIE. — LES PÈRES FRANCISCAINS. — PÈLERINS ET INDULGENCES. — ÉRECTION DE LA CHAPELLE.

 

A quatre lieues de Lucerne et à une lieue et demie de Wohlhausen, localité connue par la fin tragique des trois Tell en 1653, en plein Entlibuch, se dresse un rocher puissant, qui domine la ligne de fer et la vallée.

Sur ce rocher presque à pic, au pied duquel roulent les eaux de l'Emme, parfois torrentueuses, s'élevait autrefois, et encore au XVe siècle, comme un nid d'aigles, le château des sires de Werthenstein.

De nos jours, le château a fait place à un couvent et à un sanctuaire de Marie, où montent chaque jour, en plus ou moins grand nombre, de pieux pèlerins.

De ce pèlerinage, de ce monastère et de cette chapelle, voici l'origine.

En 1500, on recueillait dans l'Emme des paillettes d'or. C'était le gagne-pain d'un brave homme, fils de Marie, s'il en fût, et déjà d'un certain àge. Un jour, surpris par un orage, il se réfugie sous un rocher, où plus d'une fois déjà il avait trouvé un abri. La nuit arrive, il se met à faire avec dévotion sa prière

 

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du soir. Tout à coup il entend un chant doux comme celui des anges, et il aperçoit devant lui une clarté éblouissante. Sa dévotion n'en est que plus vive : mais sa prière finie, la lumière merveilleuse disparaît et les voix se taisent.

Le lendemain, il marque ce lieu du mystère par une image, représentant le couronnement de la très Sainte-Vierge; il attache cette image à un sapin, qui étendait sur le sommet du rocher l'ombre de ses branches au vert feuillage.

La vision, dont le pieux vieillard a été favorisé, trouva crédit dans la population de cette catholique contrée.

En 1518 et 1520, deux éclatants miracles vinrent donner gain de cause à la croyance populaire. Une chapelle fut bâtie au lieu et place du sapin séculaire. Tous, hommes, femmes, enfants, voulurent apporter leur concours à cette construction.

Le 2 août 1522, la chapelle était debout avec ses trois autels, et recevait sa consécration des mains de Mgr Melchior, suffragant de l'évêché de Constance.

Six ans plus tard, l'image du sapin, qui n'était qu'en papier, tombait en lambeaux. Elle fut remplacée par la statue actuelle, représentant le Sauveur descendu de la Croix, et reposant sur les genoux de sa très sainte Mère.

La provenance de ce groupe n'est pas sans intérêt.

Il y avait à Frybach, dans le canton de Berne, à deux lieues de l'illustre abbaye de Saint-Urbain, une statue miraculeuse de la très Sainte-Vierge, devant laquelle se réunissaient pour la vénérer et prier Marie, jusqu'à trente-cinq communes chaque année, le vendredi après l'Invention de la Sainte-Croix. Lorsque la religion de Zwingli eut pris la place de la religion de Jésus-Christ dans le canton de Berne, les images de Marie et des saints, leurs statues furent proscrites, lacérées, livrées aux flammes. La statue de Frybach échappa à la fureur des iconoclastes. Enlevée par une pieuse main, elle fut apportée à Werthenstein et placée ' en tout honneur dans la chapelle récemment construite. Cette statue sainte, vénérée pendant des siècles par un peuple qui avait alors la foi, a retrouvé, dans ce sanctuaire, un nouveau peuple digne de la posséder.

Le brave peuple de l’Entlibuch l'a compris, et la ville de

 

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Lucerne a éprouvé elle-même les heureux effets de l'invocation de Marie devant sa sainte image. En 1533, Lucerne allait être la proie des flammes. Déjà quatorze maisons avaient partagé le sort de la collégiale. Un voeu est fait à Notre.Dame de Werthenstein. Les flammes tombent, l'incendie s'éteint, la ville est sauvée. Un événement du même genre se produit en 1571. Un même succès répond à l'invocation fervente de la Vierge de Werthenstein. Et dans sa reconnaissance, le magistrat de Lucerne fait voeu d'accomplir chaque année un pèlerinage au sanctuaire de Marie, à Werthenstein, et le jour en est fixé : c'est le jeudi après la Pentecôte.

En 1610, la chapelle, devenue trop étroite, dut faire place à un sanctuaire plus vaste, lequel reçut sa consécration le 15 mai 1616, des mains de l'évêque suffragant de Constance. Outre le maître-autel et les autels latéraux, un quatrième autel fut érigé le 25 mars 1621, en l'honneur de Notre-Dame des Sept Douleurs. Le roi de France, Louis XIII, contribua à cette nouvelle oeuvre par un riche présent. Quatre ans après, l'archiconfrérie du saint Rosaire fut établie dans la chapelle de Werthenstein avec des indulgences spéciales en faveur des membres de cette Association. Enfin, un chapelain fut attaché à ce sanctuaire avec un traitement annuel de 160 florins.

Aux fêtes principales de la Sainte-Vierge, pour les confessions, le chapelain de Werthenstein recevait l'aide des PP. de Lucerne, Jésuites et Franciscains. C'était bien nécessaire. Une année, on compta jusqu'à 40.000 pèlerins.

Cette affluence détermina le gouvernement de Lucerne à élever près de ce sanctuaire béni une maison pour des religieux. Ceux qui furent appelés là en 1630, furent les Franciscains. C'était le 21 novembre. Une procession solennelle, partie de Lucerne, accompagna les Pères, lorsqu'ils vinrent la première fois sous la bannière déployée de Saint-François, et à la suite de la croix portée par le prévôt de la collégiale, Louis Bürcher, prendre possession de leur nouveau poste, sur le rocher et aux pieds de la Vierge de Nazareth. Le premier prieur du nouveau monastère, dont la première pierre fut posée par le nonce apostolique, Ranucio Scotti, fut le P. Germain Wetzstein, qui

 

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avait été curé dans l'Entlibuch, avant de revêtir le costume de saint François.

Sous une aussi pieuse garde, le pèlerinage de Werthenstein devint bientôt l'un des plus fréquentés de la Suisse. En 1747, le nombre des communions annuelles en ce saint lieu s'élevait à 80.000. Ce qui détermina le Pape Benoît XIV à accorder une indulgence plénière à tout pèlerin qui ferait pieusement ses dévotions dans ce sanctuaire. D'autres indulgences de 100 et de 200 jours furent accordées par le nonce Philippe Abziazouli.

En 1808, la chapelle de Werthenstein fut enfin érigée en église paroissiale. Elle fut desservie par les Franciscains jusqu'en 1838, année où fut supprimé leur monastère. Depuis cette époque, la paroisse est administrée par un curé et son vicaire. Aux fêtes de la Sainte-Vierge, les PP. Capucins de Schüpfheim viennent aider à entendre les confessions, ainsi que les ecclésiastiques des paroisses voisines, et le pèlerinage continue à donner chaque jour les plus heureux fruits. Gloire à Marie !

 

3. Maria Zell, près de Sursee

 

SELIGER DE WOHLHAUSEN, ABBÉ D'EINSIEDELN. — SON ÉPOUSE HEDWIGE, ABBESSE A ZURICH. — LA CELLA DE MARIE. — RECONSTRUCTION ET CONSÉCRATION. — LA VIERGE DE ZOFINGUE A MARIA ZELL. — FONDATIONS ET MESSES. — LA SERVANTE DE MARIE ET LE PIEU VOLÉ. — LES RR. PP. CAPUCINS. — CONFRÉRIE DE LA SAINTE-FAMILLE.

 

Un siècle s'était écoulé depuis la mort du troisième Abbé d'Einsiedeln, le Bienheureux Grégoire, fils du roi d'Angleterre Edouard Ier. Son troisième successeur était, en 1061, le comte Hermann de Kybourg.

Un jour, ce prélat vit arriver aux portes du monastère un beau chevalier qui demandait à lui parler. L'étranger est introduit. « Mon révérendissime Père, dit-il à l'abbé, si je viens frapper à votre porte, c'est pour vous prier de me recevoir dans votre sainte demeure, au nombre de vos fils. » Pèlerin

 

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lui demande l'abbé, quel est votre nom ? Et d'où venez-vous ? — Je viens des bords du lac de Sempach. J'ai dit adieu au château de mes pères. Le malheur m'a frappé. Je n'avais qu'un fils, le Ciel m'a ravi cet unique héritier de mon nom et de mes biens. Dieu a permis qu'il trouvât la mort dans les flots. Je m'incline devant la justice et la sainteté de ses décrets. Mon épouse, ma bien-aimée Hedwige, ne voit de consolation, au sein de sa douleur, que dans la vie religieuse. Je partage ses sentiments, et voilà ce qui m'amène en ce jour au seuil de votre saint asile. » Et le noble chevalier Seliger (Béat) de Wohlhausen, qui avait acquis de grandes richesses au service des empereurs à la tête de leur cavalerie, abandonnait à jamais ses biens pour demander le vrai bonheur au service de Celui qui sait et qui peut seul le donner.

Quelques années après, le noble preux, devenu à Einsiedeln le plus humble des fils de saint Benoît, était appelé par les suffrages de ses Frères à la dignité abbatiale. C'était en 1070. Pendant vingt ans, l'abbé Seliger gouverna le monastère avec sagesse. En 1090, sous le poids des ans, il résigna sa charge, et vécut encore neuf ans, qu'il consacra tout entiers à se préparer à une bienheureuse mort. Le 22 avril 1099, il s'endormit dans la paix du Seigneur. Il allait rejoindre dans le Ciel le fils qu'il avait pleuré, et la mère de ce fils, la tendre Hedwige, qui l'avait devancé dans la tombe. Elle était morte à Zurich, vers 1090, dans le monastère des filles de saint Benoît, après l'avoir dirigé saintement pendant de longues années en qualité d'abbesse.

Les deux nobles époux, qui achevaient si pieusement leur vie, avaient une dévotion très vive envers la Mère de Dieu. Dans leur jeunesse, en face de leur castel, qui s'élevait dans la petite île du lac de Sempach, ils avaient construit sur le rivage une chapelle à Marie. Aux yeux du peuple, c'était la chapelle du château. Pour eux c'était la demeure de Marie, Cella Mariae, Maria-Zell. C'était là que chaque dimanche, et souvent pendant la semaine, ils se rendaient par un pont d'une longueur de deux cents pas, pour assister, aux pieds dé Marie, à l'adorable sacrifice de l'autel chrétien.

 

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Autel, sanctuaire et château furent donnés au monastère d'Einsiedeln par le seigneur qui en était le maître, le saint abbé Seliger de Wohlhausen.

Le château, depuis longtemps, est tombé en ruines. Le sanctuaire de Marie est debout, entouré de la vénération de huit siècles. Il est vrai que la sainte chapelle, menaçant ruine sous le poids des temps, a été reconstruite en 1657 au prix de 2260 florins (1). Il est vrai encore qu'elle a été transférée à quelques pas des bords du lac, et assise au flanc d'une colline dans un site charmant. Mais c'est toujours Maria Zell, la Cella de Marie. Et les nombreux ex-voto qui font aux murs du sanctuaire actuel leur plus bel ornement, publient les grâces, les bienfaits, les miracles, dont Marie s'est montrée prodigue en ce lieu.

En 1510, au témoignage de la chronique de Zofingen, un fait extraordinaire ne contribua pas peu à donner un nouveau lustre au sanctuaire de Maria Zell.

La peste régnait à Zofingue et y faisait de cruels ravages. Une jeune veuve en fut atteinte avec ses deux enfants. Elle se nommait Anna Dubliker. Surmontant sa faiblesse, elle court se jeter au pied d'une statue de Marie dans un oratoire prêt à tomber ruines. Marie exauça l'humble prière de sa servante. Anna guérit, ainsi que ses deux enfants. La protégée de Marie, qui était pauvre, n'eut plus qu'une préoccupation : thésauriser l'argent nécessaire pour l'accomplissement de son voeu. Mais son modique trésor n'avait pas encore atteint la somme voulue, lorsque la ville de Zofingue, soumise alors au joug de Berne, vit remplacer la religion du Christ par celle du prêtre apostat Zwingli. On sait qu'elle était la haine fanatique de ce dernier et la fureur de ses sectaires contre la sainte Vierge, les saints,

 

1 La première pierre en fut posée par Guillaume Meyer, prévôt de Beromunster. Le 2 juillet de l'année suivante, la nouvelle chapelle fut consacrée par l'évêque de Lausanne Jodoque Knab, assisté des Rmes prélats d'Einsiedeln et de Muri. A cette occasion, l'abbé d'Einsiedeln fit présent d'un calice pesant 51 loths à la ville de Sursée, en reconnaissance de la généreuse hospitalité qu'elle accorda à ses illustres hôtes.

 

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leurs fêtes, leurs sanctuaires, leurs statues et leurs images.

Devant cette haine, cette fureur, que Satan le prince de l'erreur pouvait seul inspirer, tout ce qui rappelait le culte de Marie et des saints devait disparaître. Il en fut ainsi à Zofingue. Mais Anna Dubliken ne partageait pas le fanatisme des blasphémateurs. Jalouse de garder la foi, principe du salut, elle s'enfuit secrètement de la ville. En passant devant l'oratoire de Marie, elle voit un groupe de novateurs occupés à jeter par terre la statue de la divine Mère. Elle prie ces égarés de lui laisser la statue ; ils la lui rendent. Mais comment l'emporter elle-même? Elle supplie un des nouveaux sectaires de lui venir en aide. « Ton idole est trop lourde pour mes épaules, lui répond le blasphémateur, je vais la jeter dans le fossé. » Anna alarmée lui donne tout l'argent qu'elle possédait. L'homme continue à porter son fardeau. Mais lorsque le dernier liard de la veuve est tombé dans sa main, il la plante là, jette la statue dans un buisson et prend la fuite.

Anna ne peut se séparer de son trésor. Elle s'assied auprès de la statue, elle prie, elle attend. Cependant un de ses enfants, en cueillant des fleurs, trouve au pied de la sainte image une pièce de monnaie. A cette vue, la mère creuse le sol et trouve, au même endroit, un vase rempli de pièces d'argent. C'était de la monnaie romaine. Un voiturier vient à passer ; elle lui en donne la moitié pour la conduire avec ses enfants et sa chère statue jusqu'à Sursee, où elle raconte son heureuse aventure. On l'écoute, on s'étonne, on loue, on bénit la Vierge sainte. Au milieu de l'admiration générale, la sainte statue est portée et dressée dans le sanctuaire de Maria Zell.

On conçoit qu'au bruit de cet événement, la dévotion envers la Cella de Marie ne fit que s'accroître d'année en année. En 1628, le Rme abbé d'Einsideln, Augustin Koffmann, se vit obligé de donner à ce sanctuaire un chapelain spécial. Le premier fut Jean Witterwald.

Le monastère d'Einsiedeln a fondé cent cinquante messes à célébrer annuellement dans la chapelle de Maria Zell, telle qu'elle a été reconstruite en 1657, avec ses trois autels et sa

 

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chaire, auxquels est venu se joindre un orgue, qui complète heureusement, avec la grille du choeur, l'ornementation du sanctuaire. Outre les fondations pieuses, de nombreuses messes y sont demandées par les pèlerins, tantôt pour solliciter quelque nouvelle faveur de Marie, tantôt pour la remercier des grâces obtenues par sa maternelle intercession. D'autres témoignages de la bonté de Marie parlent aux yeux dans son beau sanctuaire : ce sont les nombreux ex-voto que la reconnaissance y a suspendus. Parmi les événements que rappellent ces modestes tableaux, il en est un, en particulier, qui mérite d'être rapporté.

Il y a près de trois siècles, une pieuse jeune fille, Catherine de Gaùensee, se rendait en pèlerinage à Maria Zell, chaque samedi de grand matin. Elle voulait, disait-elle dans la naïveté de sa foi, être la première à souhaiter le bonjour à la Reine du ciel. Chaque fois, elle trouvait les portes de la chapelle, bien qu'on les fermât chaque soir, ouvertes devant ses pas. Un jour cependant, par un temps de dégel qui rendait le chemin glissant, difficile, elle voulut s'aider dans sa marche d'un pieu qu'elle arracha à une haie étrangère. Cette fois, les portes du sanctuaire demeurèrent fermées devant elle. Pourquoi? Elle comprit sa faute, et reporta en toute hâte le pieu injustement enlevé. A son arrivée à la chapelle, elle la trouva ouverte comme toujours. Cette jeune servante de Marie mourut à vingt ans. Son corps repose sous les dalles du choeur de l'église de Sursee. Un monument funèbre porte, avec une inscription et les armes de sa famille, la date de 1567. On montre encore la maison qu'elle habitait.

Les RR. PP. Capucins, établis à Sursee en 1606, par les soins du banneret Michel Schnyder de Wartensee, vont souvent, dans la semaine, célébrer la messe à Maria Zell. Ils y vont surtout le 2 juillet, jour de la Visitation de la Sainte-Vierge, et fête titulaire de la sainte chapelle. C'est aussi l'anniversaire de sa consécration, comme nous l'avons dit, en 1658.

Une confrérie y est érigée en l'honneur de la Sainte-Famille, pour obtenir la grâce d'une bonne mort. Cette confrérie est

 

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connue au loin et compte des membres par milliers. Demander à la Sainte-Famille la grâce d'une bonne mort, n'est-ce pas lui demander la grâce d'une vie vraiment chrétienne? — Telle vie, telle mort !

 

4. Notre-Dame de Gormond

 

LE CHAPITRE DE BEROMUNSTER. — LA CHAPELLE DE GORMOND. — VOIX ET LUMIÈRE. — LE CURÉ SCEPTIQUE. — AGRANDISSEMENT DU SANCTUAIRE. — CHAPELAIN ET BÉNÉFICE. — NOUVEL AGRANDISSEMENT ET NOUVEAU LEGS. — DEUX OFFICES CHAQUE SAMEDI. — FÊTE TITULAIRE AVEC INDULGENCE. — PROCESSIONS. — EX-VOTO. — MAITRE-AUTEL ET VITRAIL. — LES AUTELS COLLATÉRAUX. — STATIONS ET FRESQUES. — CHAIRE ET ORGUE.

 

A mi-chemin entre le lac de Sempach et le lac de Halwyl, et à deux lieues de distance entre ces deux lacs, se trouve le beau village de Beromunster, avec ses 1,200 habitants. Son nom lui vient de la collégiale (münster, monasterium), fondée là en 720, par le comte Bero ou Bruno de Lenzbourg. Parmi les trente-quatre prévôts connus qui se sont succédé à la tête de cette antique église, nous remarquons, au XIIIe siècle, Dietrich d'Asuel, et Dietrich de Halwyll.

Le Chapitre de Beromunster, ou simplement de Münster, qui compte encore de nos jours, outre le prévôt, vingt-un chanoines et dix-sept chapelains, avait autrefois sous sa dépendance une vingtaine d'églises ou de chapelles, parmi lesquelles nous remarquons la chapelle de Gormond. Elle apparaît sur une colline verdoyante, à une lieue et demie de Münster, à droite, et à peu de distance de la route qui conduit, par Eschenbach, à Lucerne. La légende populaire raconte ainsi l'origine de ce sanctuaire de la Vierge sainte.

Sur la place où elle s'élève, un sapin gigantesque dressait vers le ciel ses branches puissantes. Dans le voisinage, se trouvait une ferme. Or, vers l'an 1380, le propriétaire de cette ferme entendait souvent retentir dans la verdure de cet arbre, un chant d'une suavité ravissante. Pour mettre fin à ce qu'il

 

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appelait lui-même une hallucination, il fit abattre le géant. Mais il ne put imposer le silence aux voix mélodieuses. Elles se firent entendre plus ravissantes que jamais. Il n'était pas seul, d'ailleurs, à les entendre. Tous les habitants de la contrée les entendaient comme lui, tous voyaient en outre dans les airs, pendant la nuit, une lumière qui en dissipait les ombres.

Dès lors, il n'y eut plus qu'une voix parmi le peuple : « C'est Marie, l'Etoile des mers et l'Astre des nuits, qui demande là un sanctuaire. »

Et ce sanctuaire fut bâti : tout le peuple des environs voulut y contribuer.

La contre-épreuve du prodige des nuits ne tarda pas à se produire. A Sempach se trouvait un curé, qui voulut enrayer l'élan populaire. Il alla jusqu'à défendre au sacristain de Hildesrieden, localité voisine, de montrer le sentier de Gormond aux pèlerins. Bientôt il se sentit atteint de douleurs d'entrailles auxquelles il allait succomber, lorsqu'à son tour il promit à Notre-Dame de Gormond un pèlerinage. Aussitôt ce voeu fait, le mal disparut, et le scepticisme du prêtre fit place au plus grand empressement à multiplier ses visites au sanctuaire de Marie,

En 1509, l'affluence des pèlerins était monté à un chiffre tel, qu'on se vit dans la nécessité de reconstruire et d'agrandir la sainte chapelle. Aussitôt bâtie, elle fut consacrée à Notre-Dame des Sept-Douleurs, par le Dominicain Père Balthasar, évêque suffragant de Constance, qui mit ce lieu saint sous le patronat définitif du Chapitre de Beromunster. En 1523, le Prévôt de ce vénérable Chapitre, Ulrich Martin, de Lucerne, y fonda un bénéfice en faveur du chapelain. Car, depuis 1509, un chapelain était attaché à ce sanctuaire. Ce qui valut à Notre-Dame de Gormond un accroissement de dévotion populaire, au point qu'il fallut, en 1612, agrandir une fois encore la sainte chapelle. Ce fut l'oeuvre du Prévôt de Münster, Louis Bircher, aussi de Lucerne. Bientôt un autre bienfaiteur fit à la chapelle un legs de 5000 florins. C'était Chrétien Hüberlin, qui était entré dans les saints Ordres après avoir été marié, et qui s'était bâti une demeure à l'ombre de la chapelle de Marie.

 

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Le peuple lucernois se rend avec bonheur à ce sanctuaire de Notre-Dame de Gormond. La foule est surtout grande, chaque samedi, depuis la fête des Sept-Douleurs de la Sainte-Vierge jusqu'à la fête de saint Michel. C'est qu'alors, deux offices fondés dans la chapelle, il y en a vingt-trois, sont chantés en l'honneur de Marie, au jour de la semaine qui lui est spécialement consacré par la piété catholique. L'affluence est plus grande encore le deuxième dimanche après Pâques. C'est alors la fête titulaire de la Confrérie des Sept-Douleurs de la très Sainte-Vierge, en même temps que l'anniversaire de la dédicace de la chapelle. Il y a, pour cette circonstance, indulgence plénière en faveur de ceux qui reçoivent les sacrements dans ce beau sanctuaire. Même faveur aux fêtes de la Visitation, de l'Assomption, de la Nativité, de la Présentation et de l'Immaculée-Conception de Marie. A pareils jours. il faut le concours "des Pères Capucins de Sursee, et d'autres prêtres pour les confessions.

Diverses paroisses des environs se rendent les unes après les autres chaque année en procession à Gormond. Ce sont : Beromunster, Neudorf, Hildisrieden, Römerswyl, Rickenbach, Pfeffikon, Eich et Sempach.

Si l'on aime à visiter le sanctuaire de Marie à Gormond, c'est que ce lieu saint, outre les grâces qu'on y reçoit, comme le prouvent d'innombrables ex-voto, est un des plus beaux et des plus vastes du pays. Surmonté, à l'extérieur, d'une tour où se balancent deux cloches qui s'harmonisent, il offre à l'intérieur trois autels en marbre fin tout chargé de dorures. Au maître-autel, au-dessus du tabernacle où est conservé le Saint-Sacrement, apparaît dans une niche bien décorée, la statue miraculeuse de Marie, avec un diadème d'or. Elle a à sa droite saint Blaise, et à sa gauche saint Euloge, les patrons secondaires de la sainte chapelle. Aux deux côtés de l'autel, deux monuments de marbre s'appuient contre le mur et redisent les noms de Chrétien Hüberlin et de Jacques Widmer, les deux principaux bienfaiteurs de ce sanctuaire. Un magnifique vitrail représente dans le choeur les mystères de l'Annonciation et de la Visitation de la Sainte-Vierge. On admire aussi, à l'arc de triomphe du

 

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choeur, un crucifix peint vers 1620, par les soins du Prévôt Bircher, dont nous avons déjà redit le nom.

L'autel du pèlerinage proprement dit est à droite du maître-autel. C'est là qu'on vénère l'antique tableau des douleurs de la Mère au coeur virginal transpercé de sept glaives. Aussi est-ce à cet autel que se célèbrent les messes de chaque samedi.

L'autel en face est aussi dédié à la Vierge des douleurs. La Mère du Sauveur y est représentée avec son adorable Fils sur les genoux, et sa mise au tombeau. Au-dessus de ce tableau, on voit saint Wendelin, avec sa houlette, entouré de ses fidèles brebis.

Diverses statues, de grandeur naturelle, ornent le vaisseau de l'église. C'est ainsi qu'on y voit saint Joseph avec l'Enfant-Jésus, saint Joachim et sainte Anne, saint François Xavier et saint Charles Borromée.

La voûte de l'église est ornée d'une belle fresque rappelant l'Assomption de la Sainte-Vierge.

Et afin que rien ne fasse défaut à ce vénérable sanctuaire, une chaire y parait et un excellent orgue, voix aimées, qui, à la grande joie des pèlerins, ne restent muettes ni l'une ni l'autre.

 

5. Notre-Dame de Hildiskirchen

 

LA FILIALE DE SEMPACH. — LA VIERGE MIRACULEUSE ET LES PROCESSIONS. — LES DEUX JOURS D'INDULGENCE. — LA NOUVELLE PAROISSE. — TABLEAUX ET CORPS SAINTS. — STATIONS.

 

A une lieue à l'est de la ville de Sempach, à jamais célèbre par la victoire des Suisses de 1386 et l'héroïsme de Winkelried, se trouve un beau village avec sa blanche église. C'est Hildiskirchen. Jusqu'en 1802, c'était un annexe, ou une filiale de la paroisse de Sempach. Filiale importante, car à toutes les fêtes principales de la Sainte-Vierge, si l'on excepte la Chandeleur, l'office paroissial se célébrait, non à Sempach dans l'église-mère, mais bien dans l'église de Hildiskirchen.

C'est que, dès le XIVe siècle, suivant un document

 

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authentique, et sans doute déjà longtemps auparavant, Hildiskirchen avait sa chapelle, avec sa Vierge miraculeuse amenant à ses pieds de nombreux pèlerins. Au siècle dernier, ce n'était pas moins de vingt-quatre paroisses qui se rendaient chaque année en procession à ce sanctuaire. De nos jours, quatorze paroisses des environs sont demeurées fidèles à ces religieuses traditions.

Dès 1663, le Chapitre de Lucerne se vit obligé d'envoyer à ce lieu de pèlerinage des Pères Capucins, ou des Pères Jésuites, pour entendre les. confessions des pèlerins qui y accouraient par légions saintes. Ce qui avait lieu surtout en deux circonstances. La première, c'était à la fête titulaire du saint lieu, le jour même de l'Assomption très glorieuse de Marie. La seconde, c'était le dimanche avant la saint Jean-Baptiste, jour qui rappelait la consécration du saint édifice.

Pour la première de ces solennités, Pie VI, par bref du 17 décembre 1785, a accordé aux fidèles qui visitent cette église une indulgence plénière aux conditions ordinaires.

Depuis 1802, Hildiskirchen forme une paroisse indépendante. Dans l'église sont érigées canoniquement, outre une Confrérie locale, approuvée de Rome, les Confréries du Saint-Rosaire et du Saint-Scapulaire.

Le tableau du maître-autel, d'une excellente exécution, représente Notre-Dame des Sept-Douleurs, tenant sur ses genoux maternels le Corps de son adorable Fils descendu de la Croix. Marie occupe, en outre, le tableau d'un autel latéral, qui rappelle le virginal mystère de l'Incarnation. Au second autel latéral, on voit la douce et bienheureuse mort de saint Joseph. Deux corps saints, décorés avec goût, reposent à ces autels. Ce sont les sainte martyrs Félix et Pacifique, dont la fête, fixée au lundi de la Pentecôte, se célèbre avec solennité et un grand empressement de la foule à recevoir les sacrements.

De très anciennes stations, bien faites, sont fixées aux murs de l'église, rajeunie avec goût en 1864. On y voit aussi toute une galerie d'excellents tableaux représentant des scènes de la vie du Seigneur et de la vie de son immaculée Mère.

 

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6. La sainte chapelle de Herrgottswald

 

LA FORÊT DU BON DIEU.-SANCTUAIRE ET AUTELS. —LE CHARTREUX JEAN WAGNER. — AU PIED DU PILATE. — CHAPELLE BATIE. — MORT DU SAINT ERMITE, SA TOMBE ET SES RELIQUES. — INDULGENCE ET CHAPELAIN. — NOTRE-DAME I)E LORETTE ET CONFRÉRIE. — FÊTES DU SANCTUAIRE.

 

Une charmante excursion à faire de Lucerne : diriger ses pas vers Kriens et s'avancer, en tournant à droite, dans un vallon plein de fraîcheur, qui monte insensiblement et qui conduit en une heure à la « Forêt du bon Dieu. » C'est la traduction vulgaire du mot Herrgottswald.

Il y a là une vaste chapelle, nous dirions presque une église, avec trois autels qui ne manquent pas de grâce, et qui ont reçu leur consécration, le 21 décembre 1621, des mains de l'évêque Joseph Antoine, suffragant de Constance.

Le maître-autel est dédié à la Sainte-Trinité et à la Vierge sans tache. A gauche, est l'autel de Saint-Jean l'Evangéliste, et à droite, celui de la Sainte-Croix et de Saint-Jean-Baptiste. Ces autels latéraux sont dédiés secondairement à d'autres saints tels que saint Jacques, saint Roch, saint Maurice, saint Antoine; puis à des saintes comme sainte Elisabeth, sainte Madeleine, sainte Agnès, sainte Barbe et sainte Afra.

Devant ces autels, vers l'entrée de la chapelle de Marie, où l'on vient prier de loin, se trouve un monument qui redit à tous le nom du principal auteur de ce pèlerinage. Il s'e nommait Jean Wagner. Il est mort à Hergottswald en odeur de sainteté. Voici son histoire :

Sur la rive droite de la Thur, à une lieue au nord de Frauenfeld, s'élevait jusqu'en 1848, année de sa suppression, le plus riche des huit monastères établis en Suisse par les fils de saint Bruno. Or, dans la Chartreuse d'Ittingen, que nous rappelons, et qui avait succédé en 1462 à un collège d'Augustins, vivait depuis 1476 un humble frère venu de Riedlingen en Souabe.

 

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C'était frère Jean Wagner. Cédant au désir d'une austérité plus parfaite, il avait sollicité du Saint-Siège l'autorisation de quitter son couvent pour se retirer dans un désert et vivre seul, seul avec Dieu. Le Pape Innocent VIII, par un bref du 16 mai 1489, accorda la permission demandée. Frère Wagner obtint de même l'assentiment de son supérieur, le Père Henri Ganser, de Winterthour, alors Prieur de la Chartreuse d'Ittigen, et du Général de l'Ordre, Antoine de Curno.

Le fils de l'obéissance dit ainsi adieu à son monastère et se mit en quête d'une solitude. Après l'avoir cherchée en vain dans les montagnes de Schwytz, il arriva au pied du Pilate dans un lieu solitaire, déjà sanctifié par les austérités d'autres ermites de l'un et de l'autre sexe. On a conservé les noms du Frère Walther, du Frère Wernli , des Soeurs Marguerite, Mathilde, Hedwige et Berthe, qui s'étaient sanctifiées dans ce désert. En y arrivant, Frère Jean s'écria avec le prophète : « C'est ici le lieu de mon repos, c'est la demeure que je me suis choisie à jamais. » Et il y planta sa tente.

Il y vécut dans l'exercice continuel de la prière et de la mortification. Depuis douze ans il édifiait ainsi le peuple chrétien, lorsqu'en 1503, l'avoyer Jacques de Wyl et sa digne épouse Jeanne, lui bâtirent, avec une cellule, une chapelle, qui fut consacrée l'année suivante. Une indulgence de cent jours fut accordée par le nonce apostolique, Raymond, à tous ceux qui contribueraient à pourvoir des ornements nécessaires le nouveau sanctuaire de Marie. Même indulgence renouvelée en 1512, par le cardinal Matthieu Schinner, qui avait succédé à Raymond, en qualité de légat du Pape. Jules II, à son tour, par un bref du 21 mars 1512, autorisa le saint ermite à choisir lui-même son confesseur en toute liberté.

Du vivant du Frère Jean, la chapelle de Marie à Herrgottswald commença d'être de plus en plus fréquentée. Des bienfaits signalés, qu'on y reçut par l'intercession de la divine Mère, ne firent qu'augmenter le nombre des pieux pèlerins. Et ce nombre alla en croissant, après la bienheureuse mort du saint ermite, arrivée en 1516, le 19 mai. Son corps n'avait plus que

 

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les os et la peau qui les recouvrait. Il fut déposé à l'entrée de la chapelle, à droite, dans la tombe que le serviteur de Dieu et de Marie s'était préparée de ses propres mains. Ses restes mortels exhalaient un parfum de roses. Et plus d'une fois on aperçut une lumière s'élevant de sa tombe et l'illuminant de sa clarté céleste. Ce même parfum fut remarqué en 1613, lorsque les ossements du saint ermite furent un instant déplacés pour être déposés dans un tombeau refait à neuf.

Huit ans après, ils furent recueillis avec respect dans un cercueil d'étain, lequel fut placé dans un tombeau d'une seule pierre, taillée aux frais du noble chevalier Jean-Louis Pfyffer, d'Altishofen. Sur le couvercle du monument, le ciseau d'un artiste a gravé l'image du pieux ermite vêtu de son habit de Chartreux. Il ne manque dans le sarcophage que la mâchoire du bienheureux, laquelle fut envoyée à la Chartreuse d'Ittingen.

Le parfum de ses vertus valut à la chapelle de Herrgottswald un nombre toujours plus grand de visiteurs. On y venait prier tout à la fois Marie et son illustre serviteur.

Le Pape Urbain VIII, en 1624, accorda une indulgence plénière à ce sanctuaire vénéré. On put même, dès l'année 1647, avec l'autorisation de l'évêque de Constance, y conserver le Saint Sacrement. Une chapellenie venait d'y être fondée et Wendelin Lang en fut le premier chapelain. Il obtint en 1649, de Soleure, un orgue pour sa chère chapelle reconstruite, agrandie et enrichie de trois autels en 1620 par les soins de Louis Pfyffer, que nous avons mentionné tout à l'heure.

La même année 1649 vit construire près de ce sanctuaire une seconde chapelle en l'honneur de Notre-Dame de Lorette. L'érection de cette chapelle, dont le plafond est orné de 250 figures allégoriques, fut l'occasion de l'établissement d'une confrérie en l'honneur de la sainte Famille de Lorette. Cette association pieuse fut approuvée et enrichie d'indulgences par les Souverains Pontifes Innocent X et Alexandre VII.

Les principales fêtes de Notre-Dame de Herrgottswald sont le troisième dimanche après la Pentecôte, le 15 et le 16 août et le dimanche dans l'octave de la Nativité de Marie. Il y a

 

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alors office solennel, et même procession avec le très Saint Sacrement. Ce qui explique et justifie une fois de plus le religieux empressement de la foule à y accourir de toutes parts.

 

7. Notre-Dame d'Eigenthal

 

PROMESSE ET PÈLERINAGE APRÈS LA MORT. — LA PESTE ET SAINT WENDELIN. — CHAPELLE BATIE ET CONSACRÉE. — INDULGENCE - CONFRÉRIE DU BON PASTEUR. — FÊTE ET CONCOURS.

 

Un jour, raconte le Père Gumpenberg, dans son Atlas de Marie, deux personnes du district de Willisau s'étaient promis l'une à l'autre de faire ensemble le pèlerinage d'Eigenthal. Elles n'attendaient que l'occasion favorable pour réaliser leur promesse.

Dans l'intervalle, l'une d'elle vint à mourir. L'autre n'oublia pas son voeu. Un jour, elle se met en route pour Eichenthal ou Eigenthal. Sur son chemin, elle fait rencontre d'une inconnue, qui s'offre à l'accompagner. Toute deux accomplissent pieusement le pèlerinage. Elles s'en reviennent ensemble comme elles sont allées. Quand elles approchent de la maison de la première, l'inconnue lui dit : « Voilà que je viens de faire enfin le pèlerinage que je ne pouvais faire sans toi. » A ces mots, elle disparaît dans un nuage de lumière. Sa compagne comprit. La promesse mutuelle qu'on s'était faite était réalisée.

L'auteur de ce récit ne fixe pas la date de l'événement. D'un autre côté, un tableau suspendu dans la chapelle d'Eigenthal, assise au flanc nord du Pilate, nous dit l'époque et la circonstance de son érection.

En 1517, une grande peste ravageait la contrée. Les pâtres du Pilate se réunissent pour délibérer sur les mesures à prendre en vue de conjurer le fléau. « Avant tout, dit l'un d'eux, il faut recourir au Seigneur par la prière. Demandons-lui pardon de nos fautes avec un sincère repentir, et la juste colère de Dieu s'apaisera. » Tandis que l'assemblée applaudissait à ces sages paroles, un étranger se présente. « Bâtissez, dit-il, une chapelle

 

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en l'honneur de la Reine des cieux, et qu'on y célèbre chaque année trois messes : la première en l'honneur de la Mère de Dieu, la seconde en l'honneur de saint Wendelin, la troisième pour les âmes du Purgatoire. » Après avoir dit ces mots, l'étranger disparaît, et tous s'écrient : « C'est saint Wendelin, c'est le saint lui-même, qui vient de nous parler. »

La chapelle fut bâtie, et la peste disparut. Le nouveau sanctuaire reçut sa consécration le 2 juillet, fête de la Visitation de la très Sainte Vierge. L'année suivante, le Pape Grégoire XIII accorda une indulgence à la chapelle d'Eichenthal.

Et depuis cette époque, le pèlerinage en ce lieu saint n'a fait qu'augmenter d'année en année. Une Confrérie y a été établie. C'est celle du Bon-Pasteur. Elle a été approuvée et enrichie d'indulgences en 1718 par le Pape Clément XI. Cette Confrérie a sa fête titulaire le dimanche après la Visitation. Il y a alors grand concours de fidèles pour la réception des sacrements, de même que le jour de la Nativité de la très Sainte Vierge. Les Pères Capucins de Lucerne s'y rendent pour ces deux circonstances. Et leur zèle peut à peine suffire pour satisfaire la piété des nombreux pèlerins.

 

8. Notre-Dame du Wesemlin

église des RR. PP. Capucins, près de Lucerne.

 

COMMENT S'ÉCRIT L'HISTOIRE. — LE SURNATUREL EN EST L'AME. — VICTOIRE DE CAPPEL ET SA CAUSE HISTORIQUE. — L'ORATOIRE DE MARIE SUR LE WESEMLIN. — APPARITIONS DE LA SAINTE-VIERGE (1531). CONSÉQUENCES DE CE FAIT. — NOUVEAU SANCTUAIRE. — SON AGRANDISSEMENT. — LES RR. PP. CAPUCINS. — « EX-VOTO » MODERNES. — LES JÉSUITES ET LES FRANCISCAINS. — LA COLLÉGIALE DE SAINT LÉGER. — LES FRANCISCAINES ET LES HOSPITALIÈRES. — LES URSULINES ET MARIAHILF.

 

Le surnaturel est l'âme de l'histoire. Il en est la clef et le dernier mot. Tout historien qui méconnaît le surnaturel est un faussaire. Il l'est doublement et par son silence et par son affirmation. Il tait sciemment des faits authentiques, certains,

 

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en un mot historiques, des faits qui sont le ressort des événements et qui seuls les expliquent. Il enlève aux faits leur valeur et leur vrai caractère. De la sorte, il les tronque et les dénature. Est-ce encore de l'histoire ? Ensuite, il donne aux faits purement naturels qu'il lui plaît de rapporter, des causes et des effets qui ne sont ni les vraies causes ni les vrais effets. L'occasionnel prend la place de ce qui est seul efficient; l'accessoire, quand ce n'est pas le fictif et l'imaginaire, devient le principal, si bien que le lecteur est deux fois trompé. Il est trompé par les faits, que la prétendue histoire lui laisse volontairement ignorer. Il est trompé, parce qu'on lui montre comme la cause première des événements ce qui n'en est qu'une cause secondaire ou simplement l'occasion qui les fait éclore.

Et c'est ainsi que s'écrit l'histoire! Comme si l'on pouvait séparer l'inséparable, et l'âme du corps. Non, il n'y a point d'histoire civile, vraie, réelle, complète, sans l'histoire de l'Eglise, qui en est l'âme et la vie. En un mot, sans le surnaturel, l'histoire n'est, selon le mot d'un vrai sage, qu'une conspiration contre la vérité.

On nous pardonnera ces réflexions. Elles naissent d'elles-mêmes lorsqu'on porte le regard de la pensée sur les faits que nous allons rapporter.

On sait la bataille de Cappel. On en dit les causes occasionnelles. En dit on la cause essentielle ? Oui et non. On ne méconnaît pas la conviction profonde, la foi, la fermeté des Lucernois en face de l'hérésie et 'de ses ténèbres, de ses menaces et de ses fureurs. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est l'événement considérable, qui vint en 1531, rendre plus vive, plus inébranlable, plus ferme, cette fois, cette conviction religieuse dans la catholique ville de Lucerne.

Cet événement qui nous explique la victoire de Cappel, le voici en résumé, tel qu'il nous est raconté par les Annales très authentiques des Pères Capucins de la province helvétique, au tome fer, de la page 20 à la page 104.

Sur la hauteur qui domine le lac et la ville de Lucerne du côté nord-est, à la place même où s'élève de nos jours l'église des RR. PP. Capucins, se trouvait une statue de la

 

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Sainte-Vierge, dans un humble oratoire qui menaçait ruine. C'était au temps où des prêtres impies et apostats, vicieux, ignorants et hableurs, qui avaient nom Zwingli, Haller, Oecolampade, etc., bouleversaient la Suisse par leurs erreurs, leurs mensonges et leurs blasphèmes. Déjà ces blasphèmes contre le Dieu des tabernacles et sa divine Mère avaient trouvé de l'écho jusqu'à Lucerne. Le mensonge y avait fait des dupes, et l'erreur plus d'une victime.

On était au mois de mai 1531.

Le soir de la Pentecôte, un spectacle étrange, consolant, vint frapper tous les regards.

Au-dessus de l'oratoire de Marie, que nous venons de mentionner, et qui existait là depuis un siècle et au delà, on vit apparaître, entre 9 et 10 heures du soir, une lumière d'un éclat extraordinaire et d'une ravissante douceur. Et du sein de cette lumière, on vit se dégager une figure. C'était Marie avec le divin Enfant sur le bras, Marie et l'Enfant rayonnant d'une gloire incomparable. « Marie, dit la chronique, avait derrière Elle le soleil, et sous ses pieds la lune. Deux anges de côté et d'autre de la divine Vierge, soutenaient sur sa tête une couronne d'or. Et les pieds de la Vierge Immaculée, ajoutent les Annales: avaient l'éclat de l'or. »

Le premier témoin de cette apparition merveilleuse, qui dura près d'un quart d'heure, fut le greffier même de la ville de Lucerne, le noble Maurice de Mettenwyl, qui l'a affirmé, ainsi que beaucoup d'autres, sous la foi du serment.

Le lendemain, lundi de la Pentecôte, à la même heure, par un temps magnifique, même apparition. La foule., ce soir là, était innombrable. Pendant plus de dix minutes, Marie apparut comme la veille aux regards de tous. Et lorsqu'elle eut pris son essor vers le ciel, une immense acclamation, mêlée de larmes de joie retentit sur le Wesemlin et fut répétée par les échos des alentours. « Vive Marie et vive la foi catholique! Que Marie et la foi catholique vivent à jamais dans nos coeurs et dans les coeurs de nos enfants ! » Ainsi disaient mille voix ne faisant qu'une voix, mille cœurs ne faisant qu'un coeur, pour acclamer Marie, la gardienne divine de la foi et de la

 

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vérité catholique. Les historiens protestants ont feint d'ignorer ce fait surnaturel. Hallucination, supercherie, auront-ils dit, et ils l'ont passé sous silence. Ce procédé trop peu loyal n'est pas celui de l'histoire vraie, complète et impartiale. On comprend en effet de quel poids un événement de ce genre, qui a frappé les yeux de tout un peuple, a dû être dans la fermeté inébranlable des magistrats de Lucerne à repousser les prédicants que Zurich ou plutôt Zwingli voulait leur imposer.

On comprend aussi qu'un tel événement n'ait pas été étranger aux délibérations de Brunnen ni à la confiance avec laquelle Lucerne et les quatre cantons catholiques jetaient le gant à Zurich et couraient aux armes. Cinq mois ne s'étaient pas écoulés depuis les apparitions de Marie à son peuple fidèle, que la victoire de Cappel y répondait comme l'effet à la cause, et avec la victoire, la paix, la liberté et la conservation de la foi catholique sur les bords du lac des Waldstäten.

Bientôt nous verrons de même à qui revient l'honneur de la victoire du Gubel, remportée par une poignée de braves sur l'armée de l'hérésie zwinglienne.

Après les apparitions de la très sainte Vierge sur le plateau fleuri du Wesemlin, le noble greffier Maurice de Mettenwyl se hâta d'en consacrer le souvenir par l'érection d'un nouveau sanctuaire, à l'endroit même où Marie était apparue le saint jour de la Pentecôte. Il voulut que l'autel en fût dressé sur la couche rocheuse qui avait servi d'assise à l'oratoire primitif, dont l'origine se perdait dans la nuit des temps. Et de nos jours encore le maître-autel de l'église du couvent se dresse sur la même place.

La chapelle de Marie, au Wesemlin, fut consacrée en 1556 par l'évêque de Constance. Des grâces extraordinaires, de nombreux miracles ne tardèrent pas à récompenser la foi des fidèles enfants de Marie, venant en foule l'implorer dans son nouveau sanctuaire. Bientôt la chapelle devint trop étroite pour l'affluence des pèlerins. Caspar Pfyffer la fit rebâtir, en l'agrandissant considérablement en 1584. Au maître-autel, il ajouta deux autels collatéraux. Il y ajouta, sur son terrain. une chapelle des morts, et un monastère qui fut achevé en 1588,

 

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La nouvelle église et la chapelle furent consacrées ,solennellement par le cardinal Octave Paravicini, qui était alors légat du Pape à Lucerne. Il dédia l'église à la glorieuse Reine du Ciel, à saint François d'Assise et à saint Gall. La chapelle fut dédiée aux saints martyrs de la légion thébéenne Urs et Victor. L'année suivante, 1589, les Pères Capucins, par suite d'une donation que confirma le Pape Clément. VIII en 1594, prirent possession du nouveau monastère. Et depuis trois siècles, ils ne cessent de répandre au loin l'édification de leur parole, sainte comme leur vie.

Les bienfaits de la divine Mère, dans, la belle église du Wesemlin, continuent à répondre à la confiance de la prière. C'est ce que nous apprennent les nouveaux ex-voto qui viennent se joindre chaque année à ceux qui décorent abondamment le sanctuaire.

Les Pères ne passent pas un jour sans aller chaque soir se prosterner humblement aux pieds de Marie, avec la vénération due à sa statue miraculeuse.

Ces fervents religieux n'étaient pas les seuls à vénérer la sainte image, avant l'oppression de la liberté religieuse dans les cantons catholiques à la suite de la guerre du Sonderbund (1847). Les Pères Jésuites, qui avaient à Lucerne un collège florissant à côté de leur vaste et magnifique église de Saint-François Xavier, aimaient à aller souvent, mais surtout à la belle solennité de la Portioncule, apporter le tribut de leur pieux hommage à Notre-Dame du Wesemlin. Avant eux, les Pères Franciscains de Sainte-Marie in der Au (dans la prairie), supprimé en 1838, après cinq siècles d'existence, en faisaient autant.

 

On y voyait aussi venir, comme encore de nos jours, les doctes chanoines de la collégiale quatre fois séculaire de Saint Léger (Leodgar), qui ont succédé en 1455 aux Bénédictins et à leur prévôté dite im Hof, fondée à la fin du VIIe siècle par le duc Wikard de Souabe. Pour l'honneur de la ville et de la religion cet illustre Chapitre continue, avec son prévôt mitré, ses chanoines et ses dix chapelains, à chanter chaque

 

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jour les louanges du Seigneur dans sa vaste collégiale (1).

A ces vaillants serviteurs de Dieu et de Marie, il convient d'ajouter, à la gloire de la ville catholique de Lucerne, les nobles servantes de la Vierge Immaculée et de son divin Fils. Ce sont les humbles filles de Saint-François dans leur charmant petit monastère de Sainte-Anne, établi au Bruck en 1498.

Ce sont encore les filles de Sainte-Marthe, les Soeurs hospitalières, qui prodiguent les soins de leur pieuse charité aux malades de l'hôpital de Lucerne.

Et jusqu'à la guerre liberticide de 1847, c'étaient les Filles de Sainte-Ursule, établies au Musegg dès l'année 1659, supprimées par la Révolution de 1789, rétablies dans leur maison de Mariahilf en 1844 et supprimées de nouveau par le gouvernement libéral de Lucerne en 1848. Depuis lors, leur couvent sert de maison d'école pour les filles de la ville et leur modeste église pour la catéchisation de la jeunesse.

 

9. Notre-Dame de la Forêt sur le Wesemlin

 

EXPIATION ET ORATOIRE DE MARIE. — PÈLERINAGE ET GRACES OBTENUES. — CONFRÉRIE DES APPRENTIS. — LAMPE, MESSE ET CALICE.

 

Nous avons raconté les deux merveilleuses apparitions de la Sainte-Vierge sur le Wesemlin en 1531. Nous aurions dû ajouter qu'elles n'eurent pas lieu exactement au même endroit. Le lundi de la Pentecôte, l'apparition se fit voir à quelque distance de l'antique oratoire que nous avons rappelé. Il y avait alors, là aussi, un petit oratoire. Il renfermait une statue, expiatrice d'un meurtre, qui avait été commis en ce lieu. Une inscription en vers, sur la porte de cette chapelle dédiée à la Sainte-Vierge, redit les circonstances de l'érection de ce sanctuaire « à la suite de l'apparition de Marie en ce lieu en 1531. »

 

1 Deux illustres évêques sont sortis du vénérable Chapitre de Saint-Léodegar. Ce sont Jost Knab, évêque de Lausanne de 1652 à 1658, et Joseph-Antoine Salzmann, évêque de Bâle de 1828 à 1854.

 

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On ignore les noms des bienfaiteurs auxquels ce sanctuaire doit son existence. Mais les béquilles, les jambes de cire, les bras, les coeurs, etc. suspendus aux murs de cette chapelle en guise d'ex-voto, disent assez qu'on n'y a pas invoqué en vain Celle qui est le Refuge de toutes les misères et le Salut de toutes les infirmités.

Les dimanches et les fêtes, dans l'après-midi, on voit de nombreux visiteurs porter leurs prières dans cette chapelle, qui est entretenue avec goût par le propriétaire. C'est là aussi que la Confrérie des apprentis aime à se réunir plusieurs fois dans l'année.

Les samedis et les dimanches, une lampe brûle nuit et jour dans ce sanctuaire de Marie. Chaque samedi, une messe s'y célèbre. On y trouve un beau calice donné à la chapelle, en 1659, par Mme Anna Pfytler.

Ce pieux sanctuaire, comme on le voit, est en quelque sorte un complément de la belle église des RR. PP. Capucins sur le Wesemlin.

 

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Le canton si profondément catholique de Lucerne ne compte pas seulement les sanctuaires à Marie que nous venons d'esquisser. Il en est d'autres encore, en bon nombre, qui mériteraient une étude non moins approfondie. Nous sommes heureux toutefois de les mentionner avec les renseignements succincts que nous devons à l'aimable obligeance de M. le doyen Meyer, curé d'Altishofen, et chanoine de la cathédrale de Bâle.

Les sanctuaires de Marie qu'il veut bien nous signaler dans le canton de Lucerne, outre ceux que nous venons de rappeler, sont les suivants :

 

10. L'Immaculée Vierge Marie à Dottenberg, paroisse d'Adligenswyl

 

En 1860, une chapelle du plus beau gothique a été construite dans cette localité par l'architecte Keller, sur l'emplacement d'un ancien oratoire de Marie, devenu trop étroit pour les

 

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nombreux pèlerins qui s'y rendaient de toutes parts. Bénite en 1861, par le commissaire épiscopal de Lucerne, M. Winkler, cette magnifique chapelle a été consacrée solennellement, en 1889, en présence du prévôt Mgr Tanner, qui a fait le sermon .de circonstance, par S. G. Mgr Léonard Haas, lequel l'a dédiée à l'Immaculée Vierge Marie, aux saints martyrs Côme et Damien et à saint Jodocus.

Mgr Haas, le digne successeur de Mgr Fiala sur le siège des évèques de Bâle, a redit avec l'éloquence qui le distingue, dans la cérémonie de l'après-midi, la dignité de ce nouveau sanctuaire érigé à Marie, et les bienfaits que les pèlerins avaient à attendre de sa toute-puissante intercession auprès de son Fils adorable.

Rendons cette justice à la pieuse famille Fluder, aujourd'hui famille Meyer. C'est elle qui a fait les frais de ce beau sanctuaire à Marie. La chapelle, avec ses trois autels et ses trois tableaux de Deschwanden (descente de croix, au maître-autel; sainte Agathe et saint Jost, aux autels latéraux) demeurent sa gloire et sa propriété.

 

11. Notre-Dame de l'Aurore à Rort, dans la paroisse d'Oberdorf

 

Quelle appellation à la fois poétique et biblique! Marie est bien notre virginale aurore, que chante l'Eglise : Sicut aurora consurgens. Aurore merveilleuse, qui promet au monde et nous a donné le Soleil de justice.

Le sanctuaire de Maria Morgenroth est un but de pèlerinage assez fréquenté. Il le sera davantage, dès qu'on aura donné suite au projet de l'agrandir, ce qui ne doit pas tarder.

A Rort se trouve une autre chapelle à Marie. Elle est sous le vocable de

 

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12. Notre-Dame des Sept-Douleurs dite aussi « la Croix de Michel »

 

Cette dénomination lui vient d'une croix monumentale, dressée à une époque,très ancienne, par un nommé Michel Lasser, à l'endroit même où s'élève de nos jours le sanctuaire de Marie.

 

13. Chapelles de Marie, à Horw

 

Dans cette grande paroisse, dont l'ancienne église, dédiée à la Sainte-Vierge dès le XIIIe siècle, était l'objet d'un pieux pèlerinage, s'élèvent" deux chapelles, l'une en l'honneur de Notre-Dame des Sept-Douleurs et de saint Antoine de Padoue, l'autre en l'honneur de la Sainte-Vierge, des trois Rois, de saint Sébastien et de saint Nicolas. Cette dernière a été consacrée le 6 janvier 1654 par l'évêque de Lausanne, le docteur en théologie Jost Knab, de Lucerne.

La cloche de ce sanctuaire porte le millésime de 1664, avec cette belle légende : Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum.

 

14 et 15. Le Saint-Nom de Marie

 

Le Saint-Nom de Marie est le vocable d'une vaste chapelle, devenue en 1875 église paroissiale, à Ebikon. C'est ainsi que, dans le Jura, les églises de Saignelégier et de Courgenay ont pour fête patronale l'Assomption de Marie, et celle de Miécourt sa Nativité.

A Grolisch, dans la paroisse d'Einen, se trouve de même un frais sanctuaire, qui a pour fête titulaire le Saint-Nom de Marie. On invoque aussi, dans cette dernière chapelle, saint Wendelin, en l'honneur duquel se célèbrent de nombreuses messes pendant l'année.

 

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16. L'Assomption de Marie

 

L'Assomption de Marie est la fête de la dédicace de la chapelle - d'Urswil, dans la paroisse de Hochdorf. Ce santuaire est con-sacré à Marie, à saint Joseph et en même temps aux saints Innocents (fête principale), à sainte Odile et aux quatorze Auxiliaires ou Nothhelfer.

Nottwil a aussi son sanctuaire de l'Assomption de Marie, ainsi que Wynikon.

 

17. Notre-Dame de Bon-Conseil

 

Notre-Dame de Bon-Conseil est invoquée à Ruswil, dans un pieux oratoire (Helgen Stoeckli), où l'on va de loin vénérer une image de Marie, apportée de Zurich à l'établissement du Zwinglianisme; les fanatiques partisans de l'hérésie ont crevé les yeux à cette sainte image.

 

18. Marie aux Neiges

 

Marie aux Neiges, ou Notre-Dame des Neiges, a son sanctuaire à Ibenmoos, dans la paroisse de Kleinwangen, dont l'église est sous le vocable de l'Assomption de Marie, ainsi que celle de Hildisrieden.

 

19. La Présentation de Marie

 

La Présentation de Marie est le vocable d'une jolie chapelle érigée à Herrlisberg, dans la paroisse de Hirzkirch.

 

20. L'Oratoire de Marie

 

L'Oratoire de Marie est le nom que porte une charmante chapelle, bâtie en 1888 à Vitznau, et bénite par le révérend curé Meyer. Le nom allemand de ce nouveau sanctuaire, Helgenstoeckli,

 

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évoque le souvenir d'une image de Marie honorée en ce lieu dès les temps les plus anciens.

Von der Meggen a aussi sa chapelle de Notre-Dame. On l'appelle Maria auf der Platten.

 

21. Notre-Dame de Bon-Secours

 

Notre-Dame de Bon-Secours ou Maria Hilf a plus d'un beau sanctuaire dans le canton de Lucerne. —Mentionnons, entre autres, l'ancienne chapelle des Filles de Sainte-Ursule, dans la ville de Lucerne, et Maria Hilf dans la paroisse d'Altishofen, lieu de prière très fréquenté, surtout pour les pèlerins qui se rendent à Kreuz-Hubel.

 

22. Kreuz-Hubel

 

Kreuz-Hubel est une belle chapelle, d'architecture romane, construite en 1883 en l'honneur de la Sainte-Vierge dans la paroisse de Dagmersellen.

Bénite, le 1er mai 1885, par le Père Gardien Irénée Amberg, cette chapelle, ornée d'un Chemin de Croix à tableaux peints, montre à son autel une ravissante statue de Marie avec l'Enfant Jésus. Bien que la Messe ne soit pas célébrée encore dans ce nouveau sanctuaire, on y voit affluer, presque tous les jours de l'année, de nombreux pèlerins des cantons de Lucerne, d'Argovie et de Soleure. De son côté, la paroisse de Dagmersellen s'y rend chaque année, au 1er mai, en procession solennelle au chant de pieux cantiques. De nombreux ex-voto, suspendus dans la chapelle, rendent témoignage, nous écrit M. le curé Renggli, de l'efficacité des prières faites avec confiance en ce frais sanctuaire.

Un autre confrère du canton de Lucerne, M. Jacques Vogel, curé à Saint-Urbain , nous communique sur l'église (style romain), bénite en 1715 par l'Abbé du monastère Cistercien, P. Malachie, les renseignements suivants, qui serviront de clôture à cette notice des sanctuaires de Marie dans le canton de Lucerne.

 

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23. Notre-Dame de Saint-Urbain

 

Cette belle et vaste église est dédiée à Notre-Dame de l'Assomption. On y voyait, avant la suppression violente de l'ab-baye par le radicalisme lucernois en 1848, de pieux ex-voto en grand nombre. De nombreux pèlerins y arrivaient de toutes parts. Ils aimaient à prier devant le riche tableau représentant, au maître-autel, le couronnement de la très Sainte-Vierge. Notre-Dame du Rosaire, Notre-Dame du Saint-Scapulaire, avaient là leurs confréries, conservées avec soin, ainsi que celle de Sainte-Anne, jusqu'à nos jours.

Onze autels se dressent dans ce lieu saint, qui a retenti si longtemps des chants pieux des dignes fils de saint Bernard. On sait, en effet, que l'abbaye cistercienne de Saint-Urbain, fondée en 1148, était une des 70 filiales de l'illustre monastère de Lucelle, qui devait son existence à saint Bernard lui-même. C'est assez dire qu'à Saint-Urbain, comme à Clairvaux et à Lucelle, la dévotion à Marie était en grand honneur. Comment l'exemple touchant des religieux de Cîteaux n'aurait-il pas contribué puissamment à développer et à confirmer, dans le peuple qui en était témoin, la confiance la plus illimitée et la plus douce envers la Mère de Dieu? De là les pèlerinages à Notre-Dame de Saint-Urbain. De là aussi les ex-voto, monuments populaires des grâces obtenues et des prières exaucées.

 

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Au moment où nous allions passer du canton de Lucerne dans celui de Soleure, nous recevons de M. Jos. Haas, rév. curé à Richenthal, les intéressants détails qui suivent sur la

 

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24. Chapelle de Notre-Dame de la Visitation à Langnau

 

SITE ET AGRANDISSEMENTS. — ORIGINE ET CONSÉCRATIONS SUCCESSIVES. — PÈLERINAGE. — MESSES DU MARDI ET DU SAMEDI. — DÉVOTIONS DIVERSES. — FONDATIONS PIEUSES. — OFFICES SOLENNELS. — COMMUNIONS NOMBREUSES. — LES CINQ FÊTES PRINCIPALES. — PROCESSIONS ANNUELLES. — HAGELMESSEN.

 

A mi-chemin entre les paroisses de Richenthal et de Reiden, S'étend, dans la plaine, un riche et beau village, dont les mai-sons sont voilées en partie sous l'ombrage d'une forêt d'arbres fruitiers, cultivés avec des soins intelligents qui en assurent le succès. Ce village est Langnau. Il compte, d'après le dernier recensement fédéral, 812 catholiques sur 878 habitants.

Là s'élève, à la gloire de Marie, une vaste chapelle, à laquelle conviendrait mieux le nom d'église. Elle peut, en effet, contenir dans ses bancs plus de 400 fidèles. Il est vrai que ce pieux sanctuaire n'a pas toujours eu les mêmes dimensions. Agrandi en 1832, et sans doute déjà une première et même une seconde fois, comme nous le verrons, en 1642 et en 1669, le sanctuaire de Marie à Langnau remonte à la fin du XVI° siècle. C'est ce que prouve le liber vitae de cette chapelle, dressé par Louis Gysat, greffier à Willisau, et archiviste distingué.

Ce qui est certain, c'est que le dimanche 4 juillet 1599, fête de saint Ulrich, le suffragant du cardinal Andreas, prince-évêque de Constance, dédiait solennellement cette première chapelle, avec son autel unique, à la Visitation de la Sainte-Vierge, ainsi qu'à saint Jean l'Evangéliste, à l'archange saint Michel et à saint Georges, martyr.

La chapelle de la Visitation n'avait alors qu'un autel. Elle en avait trois en 1642, lorsque, à la fête de sainte Madeleine, le suffragant de Constance, Mgr Jean-François de Strassberg, vint à Langnau bénir et consacrer les deux autels latéraux. Celui de droite (côté de l'Evangile) fut dédié à la Nativité de Marie et à tous les Saints. L'autel de gauche (Epître) fut consacré à

 

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l'Assomption de Notre-Dame, ainsi qu'à sainte Anne, à saint Jean et à sainte Marie-Madeleine.

Le 22 mai 1669, nouveaux autels et nouvelle consécration. Le suffragant de Constance était alors Mgr Georges Sigismond, évêque d'Héliopolis. La chapelle (église filiale) « de la Visitation de la Sainte-Vierge », après avoir reçu un nouvel agrandissement par les soins du curé de Richenthal, Nicolas Mantel, vit ses trois autels consacrés à nouveau par  le suffragant de Constance, qui y déposa les reliques suivantes : au maître-autel, dédié comme en 1599, des reliques de saint Pisistrate, martyr, de saint Placide et d'autres saints; à l'autel de la Nativité, des reliques de saint Claude, de saint Pisistrate et d'autres saints; à l'autel dé l'Assomption, des reliques de sainte Cunégonde et des compagnons de saint Maurice. Comme on le voit, les trois autels conservèrent leur dédicace, telle qu'elle avait été faite en 1642.

De nos jours, par suite de restaurations et de remaniements qui ont eu lieu en 1832, le maître-autel a pour tableau l'Assomption de Marie ; l'autel latéral du côté de l'épître, l'Annonciation ; et le collatéral, Notre-Dame des Sept-Douleurs. La chapelle possède, en outre, une statue de la Sainte Vierge, une croix de procession et trois bannières, dont l'une représente le patronage de Marie, la seconde la Croix, la troisième sainte Anne avec Marie enfant.

Dès son origine, la chapelle de Marie à Langnau a été visitée par de nombreux pèlerins. Des grâces innombrables ont été obtenues en ce sanctuaire, comme le prouvent les nombreux ex-voto qui vont, après avoir été aussi restaurés, orner de nouveau les murailles vénérables de la sainte chapelle. De plus, un orgue y sera prochainement installé.

En attendant, les pèlerins continuent à y porter, aux pieds de Marie, la confiance de leurs prières. Ils le font avec d'autant plus d'empressement que, par un privilège exceptionnel du Saint-Siège, le Saint-Sacrement y est conservé, et qu'en tout temps les fidèles peuvent y recevoir la sainte Communion.

Cette chapelle, en effet, est desservie avec zèle, à tour de

 

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rôle de mois en mois, par les curés voisins de Richenthal et de Reiden. Ce qui a lieu particulièrement chaque mardi et chaque samedi de l'année. Le samedi, après la messe dito ou chantée à la chapelle, le célébrant a soin de renouveler l'eau bénite. Le soir du même jour, ainsi que chaque dimanche à midi et le soir, le chapelet se récite dans ce sanctuaire avec les litanies de la Sainte-Vierge et le Salve Regina. En outre, conformément à une fondation pieuse faite il y a cinquante ans, chaque soir à 8 heures, la cloche de la chapelle retentit et invite les fidèles à prier pour les défunts.

Notre-Dame de Langnau, où l'on voit accourir, en temps d'épidémie, de chacune des paroisses avoisinantes, neuf enfants pour y réciter le saint Rosaire, a reçu depuis son origine do nombreuses fondations. Elles atteignent de nos jours le nombre de 380 et au-delà. La plus ancienne, qui continue à se dire chaque année, remonte à l'origine même du sanctuaire. Elle se célèbre pour tous les fondateurs et bienfaiteurs vivants et défunts de la chapelle de la Visitation, le premier mardi (autrefois le lundi) après la Dédicace du sanctuaire de Marie. Cette fête de la Dédicace avait lieu autrefois, dès 1669, le premier dimanche après la Visitation. De nos jours, elle se célèbre le premier dimanche du mois d'août.

Parmi les messes fondées à la chapelle de Langnau, se trouvent trente-quatre offices chantés avec Libera. Ce qui a toujours lieu le samedi. Quant aux messes basses, les curés de Richenthal et de Reiden les célèbrent par moitié, sauf trente-quatre qui sont pour le chapelain de Reiden. Inutile d'ajouter qu'outre ces messes fondées, un grand nombre de messes sont demandées chaque année par les pieux pèlerins, à diverses intentions.

Chaque année aussi, cinq offices solennels sont chantés dans ce beau sanctuaire. Déjà le 11 septembre 1640, le Chapitre de Willisau, réuni à Ettiswyl, prenait la décision suivante: « Après chaque fête de la très sainte Vierge Marie, il sera célébré à la chapelle de Langnau une sainte messe, soit par le curé de Richenthal, soit par celui de Reiden, soit enfin par tout autre prêtre. »

Vingt ans après, ces simples messes faisaient place à des

 

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offices chantés, précédés de confessions et de communions, dont le nombre s'élevait en moyenne à 500 chaque fois. Aussi les prêtres accouraient-ils do tout le voisinage prêter leur ministère pour ce pieux concours. Cette dévotion populaire existe encore. Et pour chacune des cinq fêtes principales de Marie, le curé de Richenthal, le curé de Reiden avec son chapelain et un Père Capucin sont là, dès la veille et encore le lendemain matin, pour les confessions des fidèles.

Ces têtes avec indulgences plénières et office solennel sont l'Immaculée Conception, la Chandeleur, l'Assomption, la Nativité de Marie et la Présentation. Pour chacune de ces fêtes, il y a, la veille à 4 heures, les premières vêpres solennelles, puis le jour de la tète, première messe, office chanté (sermon par le Père Capucin) et secondes vêpres à 3 heures. Des messes se célèbrent de même au premier jour libre après l'Annonciation et après la Visitation.

Outre ces messes et ces fêtes, les religieuses populations des environs de Notre-Dame de Langnau s'y rendent toutes annuellement en procession : Richenthal, cinq fois dans l'année, savoir à la saint Marc, le dimanche de l'Ascension, et aux fêtes de sainte Anne, de sainte Madeleine et de saint Magnus; Reiden, deux fois, à la saint Marc et le samedi après l'Ascension; puis une fois par an les paroisses d'Altishofen, de Dagmersellen, de Pfaltenau et d'Uffikon.

La paroisse d'Altishofen en particulier a soin, chaque été, de l'aire célébrer, trois samedis, la messe par deux prêtres pour être préservée do la grêle. Aussi cos messes s'appellent Hagelmessen, ou messes contre la grêle.

 

§ 4. SOLEURE

 

Dans ce canton, qui dessine ses contours en Suisse avec tant de bizarrerie et d'originalité, nous trouvons un certain nombre de beaux sanctuaires consacrés à l'invocation de la Reine du Ciel. Le plus éminent de tous nous parait être Mariastein, ou

 

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Notre-Dame de la Pierre. Mais il y a aussi près de Soleure, aux portes de cette ville, Notre-Dame de Lorette. Ce sanctuaire a un charme tout particulier. Aussi allons-nous commencer cette étude par

 

1. Notre-Dame de Lorette à Soleure

 

SITE ET ANTIQUITÉ DE LA VILLE.— SES MARTYRS.— LE ZWINGLIANISME ET LE CHAPITRE.— LES CORDELIERS ET LES BÉGUINES.— L,'HÉRÉSIE CHASSÉE DE SOLEURE.— LES REBELLES.— LES SIEURS CLARISSES.— L'AVOYER JEAN SCHWALTER.— LES PP. CAPUCINS ET LES SŒURS CAPUCINES.— DÉPUTATION EN ITALIE.— CHAPELLE ÉRIGÉE.— LE FRÈRE GARDIEN.— LES SŒURS DE LA VISITATION.— PIÉTÉ DES ÉTUDIANTS.— LES PÈRES JÉSUITES.

 

S'il est en Suisse une cité gracieuse, une ville charmante autant que paisible, c'est bien Soleure, assise en été, comme une reine de l'Orient, sous son ciel d'azur, le dos nonchalamment appuyé au Weissenstein, les pieds baignés dans l'Aar, l'oeil à demi voilé par sa paupière aux longs cils, et le front couronné de fleurs. Telle nous apparaît l'ancienne Solodurum, à  l'ombre de sa vieille tour qui défie les siècles, avec ses 8000 habitants, dont aucun bruit ne vient troubler le bonheur.

Dès les premiers siècles de notre ère, ou pour mieux dire, dès le premier siècle du christianisme, le Dieu du Cénacle et sa douce Mère furent connus dans cette ville qui se regarde, A tort ou à raison, après celle de Trèves, comme la plus ancienne de la Germanie. C'est du moins ce qu'on lit sur l'antique monument, au pied duquel elle s'abrite depuis une longue série de siècles.

 

In Celtis nihil est Salodoro antiquius unis Exceptis Treviris, quorum ego dicta soror.

 

Sans discuter historiquement la valeur de ce fier distique, contentons-nous de rappeler que Soleure fut assurément visitée, à l'époque où le prince des Apôtres était à Rome, par ses envoyés Euchaire, Materne et,Valère. Ce qui est certain, c'est que Soleure eut ses glorieux martyrs au commencement du

 

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IVe siècle. La fureur de Maximin contre les soldats de la légion thébéenne de Maurice dans le Valais, valut à Soleure la gloire de ses martyrs Urs et Victor, leurs vaillants compagnons d'armes et de foi. A la même époque, la vierge chrétienne Vérène, noble émule de sainte Régule de Zurich, échappait au glaive païen et vivait heureuse dans l'adoration du vrai Dieu et le silence de son désert au pied des monts du Jura.

Jusqu'au XVIe siècle, Soleure jouit en paix des bienfaits de la religion chrétienne. Mais la tourmente qui jeta dans les flots de l'erreur une partie de la Suisse et de l'Europe, faillit être fatale à la religieuse cité des bords de l'Aar. Dès l'année 1524, un humaniste ou, si l'on aime mieux, un helléniste, plaie de l'époque, nommé Melchior Macrin, greffier de la ville, ancien maître d'école à Saint-Urbain, chercha à y établir, sur les ruines du christianisme, la religion d'Oecolampade. Un autre sectaire, Philippe Grotz, de Zoug, reprit en 1529 le travail de Macrin en sous-oeuvre. Il se fit à Soleure un bon nombre de partisans. Berne, à la suite de Zurich et de Bâle, venait d'apostasier la foi. L'entraînement de l'exemple était à redouter. Il ne fallut pas moins que toute l'énergie des hommes de science et de talents, que comptait heureusement le Chapitre de Saint-Urs, pour repousser victorieusement l'erreur prête à s'imposer à la ville. Déjà le magistrat, cédant aux cris des sectaires et à l'influence de Berne, avait donné libre carrière à l'apostat Grotz. Il l'avait même autorisé à s'adjoindre l'apostat do Berne, Berthold Ilaller, qui fit à Soleure une trentaine de sermons dans l'église des Cordeliers livrée aux hérétiques. Ces derniers demandaient à cor et à cri une « dispute » religieuse. Le Chapitre de Saint-Urs lui répondit avec un sens parfait : « Ce n'est pas ici qu'il faut disputer de matières si importantes... l'Ecriture-Sainte ne se juge pas par elle-même; l'explication ne s'en peut et ne s'en doit faire qu'au sein de l'Église universelle (Concile oecuménique), et cela par ceux qui sont divinement ordonnés ou établis pour le faire à la place et au nom de l'Eglise, oeuvre de Dieu, conduite par l'Esprit-Saint et par là-même non sujette à l'erreur. »

Cette réponse, que nous donne le protestant Ruchat lui-même,

 

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n'empêcha lias les chanoines de mettre à néant une à une les erreurs, avancées par les sectaires, en quatre articles, coutre la messe, le purgatoire, le culte et les images des saints, l'eau et le sel bénits, et les cérémonies saintes de l'Eglise.

Ce Chapitre, qui comptait alors dans son soin des savants théologiens, remontait par son origine à la pieuse Berthe, reine de Bourgogne au Xe siècle. Il se composait d'un prévôt et de neuf chanoines avec un certain nombre de chapelains. Dans les jours mauvais qu'eut à traverser la ville de Soleure, le Chapitre avait à sa tête un prévôt distingué par sa science autant que par sa piété. C'était un Bernois, Louis Lïeubli, maître ès-arts. Il succédait à Nicolas de Diesbach, autre Bernois et saint personnage, qui fut élevé à l'épiscopat en qualité de coadjuteur de l'évêque de Bâle en 1519 (1).

Le digne et savant prévôt Laeubli et son Chapitre furent à Soleure le rocher contre lequel vinrent se briser, furieuses et impuissantes, les vagues impures de l'hérésie au XVI° siècle. Il y avait aussi les Pères Franciscains, ou les Pères Cordeliers, établis dans cette ville dès l'an 1280. Mais il y eut parmi eux, parait-il, de lâches déserteurs, qui diminuèrent leur crédit et l'influence de leur parole.

Il y avait enfin dans la ville, les pieuses filles de Saint-François, les Béguines d'avant 1421, qui avaient été l'objet d'une vraie et catholique réforme. La ferveur de leurs prières au Dieu de la Croix ainsi qu'à Marie sa Mère et leur Mère,

 

1 Quatre prévôts du Chapitre de Saint-Urs, devenu par le Concordat de 1828, le Chapitre cathédral du diocèse de Bâle, ont été élevés à la dignité épiscopale.

1. Henri de Neuchâtel, évêque de Bâle en 1262.

2. Nicolas de Diesbach, coadjuteur du pieux évêque de Bâle Christophe d'Utenheim en 1519.

3. Victor-Antoine-François Glutz-Ituchti, de Soleure, coadjuteur de l'évêque François-Xavier de Neveu, de 1820 à 1821, année de sa mort.

4. Mgr Frédéric Fiala, qui a répandu l'éclat de sa science sur le siège de Bâle, dont il a été le 72e ou le 73e évêque. Son antéprédécesseur, Mgr Charles Arnold, était aussi chanoine, en même temps que prédicateur de la cathédrale.

 

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ne fut pas étrangère à la conservation de la foi dans la ville, qu'elles continuent d'édifier encore de nos jours à l'ombre virginale de leur monastère actuel de Saint-Joseph, remontant à 1614.

Cependant ce qui décida le Sénat de Soleure à déployer finalement l'énergie voulue contre les religionnaires de Zwingli, ce furent non seulement les désordres dont ils donnèrent le spectacle, mais les troubles dont ils agitèrent la ville et toute la contrée. C'est pourquoi l'autorité n'hésita pas, en 1531, malgré les remontrances de Berne, plus menaçantes qu'amicales, à accepter avec empressement la proposition faite à Soleure par les cantons catholiques, après la victoire de Cappel, de congédier de Soleure les prédicants de l'erreur. Ce fut le salut de la ville. Les protestants tentèrent vainement un coup ale main pour s'emparer de l'arsenal et du pouvoir. L'avoyer Wengi déjoua leur complot et leur sauva la vie en leur faisant un rempart de son corps (30 octobre 1532).

Après cet événement, il y eut bien encore, jusqu'en 1536, des instances pressantes, menaçantes, adressées par Berne à l'Etat de Soleure en faveur des protestants qui avaient quitté cette dernière ville pour se réfugier à Wiedlisbach, à Büren et ailleurs. Mais le Sénat de Soleure sut tenir tête aux Bernois, et sa fermeté lui valut sur les rebelles opiniâtres une victoire définitive. Nous disons une victoire, car neuf de ces rebelles réfugiés à Büren, entr'autres deux Roggenbach, avaient poussé le délire jusqu'à déclarer formellement la guerre à l'Etat de Soleure. Ils on furent pour quelques jours d'emprisonnement à Buren, après quoi Soleure montra assez de grandeur d'âme pour leur rendre leurs biens, à eux et à leurs partisans.

On nous pardonnera cette courte digression historique. Elle a son importance au point de vue de la foi chrétienne, non seulement à Soleure, la fidèle alliée de Fribourg et des cinq cantons catholiques en 1532, mais dans la Suisse entière. D'ailleurs, c'est à la conservation de la foi que Soleure doit son beau sanctuaire de Notre-Dame de Lorette, qui a pour garde d'honneur les humbles Tertiaires du Saint-Nom de Jésus. Ces nobles Filles de sainte Claire, qui ont eu à leur tête deux Dames

 

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Billieux de Saint-Ursanne, s'établirent à Soleure en 1609. Cependant elles n'occupent leur monastère actuel, où elles suivent la règle des Capucines que, depuis 1618, année de sa construction. Quatre ans après, leur église était consacrée avec grande solennité par le nonce apostolique Alexandre Scoppi.

 

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En 1649, vivait à Soleure un homme d'une piété sincère et profonde envers la très Sainte-Vierge. Il avait visité lui-même la sainte maison de Lorette en Italie. Il avait, envers Notre-Dame de Lorette, comme il le dit lui-même dans l'acte de fondation de la chapelle de Lorette à Soleure, la plus vive reconnaissance pour des grâces nombreuses et de grands bienfaits obtenus par son intercession. « C'est ce qui m'a déterminé, ajoute le fervent serviteur de Marie, à élever près de ma ville natale un sanctuaire en tout semblable à la Santa Casa de Lorette. En outre, l'avoyer Jean Schwaller, c'était son nom, avait une haute estime et une tendre affection pour les fils et les filles de Saint-François. Depuis 1558, les Pères Capucins étaient établis à Soleure par les soins du trésorier de la ville, Louis Grimm.

Entre leur maison, située hors de la porte occidentale de Soleure, vers le Nord, et la maison des Sœurs Capucines, la distance n'était pas considérable. Pour favoriser les deux monastères, Jean Schwaller trouva bon, après en avoir obtenu l'autorisation du magistrat de la ville, de choisir, à portée do ces deux maisons saintes, l'emplacement de sa chère chapelle de Lorette. Le terrain sur lequel il avait jeté son dévolu appartenait au couvent du Saint-Nom de Jésus. Comme ce couvent était exempt, Jean Schwaller s'adressa au légat du Pape, François Poccapadulio, évêque de Tiffernati, pour solliciter la permission nécessaire. Il l'obtint, en même temps que le consentement du Chapitre des Soeurs Capucines.

Outre ces précautions indispensables, il en prenait en même temps une autre. Afin d'éviter toute erreur dans la disposition et la dimension de la chapelle qu'il allait bâtir, « en tout semblable

 

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à la Santa Casa », il délégua à Lorette, en Italie, le Frère François Théobald. Un ami de Schwaller, le conseiller Christophe Tscharandi, voulut payer les frais de ce voyage. A son retour, Frère François Théobald rapportait, dûment attesté et scellé, le plan exact de la Sainte-Chapelle, et de plus une copie fidèle de la statue de Marie en ce lieu saint.

Alors Schwaller put se mettre à l'oeuvre. La première pierre de l'édifice fut posée avec solennité. Toute la ville de Soleure se rendit processionnellement à cette cérémonie, accomplie par le noble prévôt de la collégiale, Jean Eichenmiiller d'Appenzell. C'était le 4 octobre 1649.

Grâce au concours des Pères Capucins et de personnes qui partageaient la piété de Jean Schwaller, la sainte chapelle s'éleva rapidement. L'année suivante, on put la bénir et y célébrer les saints Mystères. La statue de Marie, copie de celle de la Santa Casa, rayonnait sur son autel en quelque sorte improvisé. Toutefois la consécration solennelle du sanctuaire n'eut lieu que le 28 mai 1654. Elle se fit par les mains de Jost Knab, évêque de Lausanne, dont la juridiction s'étendait alors sur la partie de la ville de Soleure baignée par la rive gauche de l'Aar. L'anniversaire de cette dédicace fut fixée au dimanche qui suit la fête de la Visitation.

Trois ans avant la consécration, par acte du 4 août 1651, la sainte chapelle avec ses dépendances était donnée en toute propriété par le pieux fondateur, avec l'assentiment du nonce, aux Capucines du Saint Nom de Jésus. Cette donation était accompagnée des conditions suivantes :

 

1.         On aura soin d'entretenir en bon état la chapelle et le toit qui la couvre.

2.         Tous les Quatre-Temps, on y fera dire trois messes pour les bienfaiteurs soit défunts soit vivants.

3.         La chapelle ne passera jamais en d'autres mains.

4.         On tiendra en grand honneur la statue de la Sainte-Vierge, reproduction fidèle de celle de la Santa Casa.

5.         Le donateur se réserve, sa vie durant, d'agrandir, s'il le 1rouve bon, ce nouveau sanctuaire.

 

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6. Il s'entendra avec les Soeurs pour qu'une lampe brûle sans cesse devant la sainte Image.

Il voulut enfin que la chapelle eût son gardien à demeure. Le Frère Théobald fut désigné pour occuper. ce poste d'honneur. Il est vrai que les ressources pour son entretien n'étaient pas abondantes. La chapelle n'avait encore pour tout revenu que le produit du tronc qui y fut placé. Mais le noble fils de Jean Schwaller, héritier du nom et de la piété de son père, fit si bien que les Pères Capucins et les Soeurs du Saint-Nom de Jésus prirent de concert la charge d'entretenir le Frère gardien de Lorette « par amour pour l'Incarnation du Fils de Dieu et dans la pensée sainte de favoriser la dévotion du peuple chrétien envers ce sanctuaire. »

La dévotion populaire à Notre-Dame de Lorette ne fit que s'accroître en 1679 par la présence, des Soeurs de la Visitation dans le voisinage de la sainte chapelle. Appelées de Fribourg à Soleure par la fondatrice de leur centième maison et de leur première dans une ville allemande, les filles de saint François de Sales, à leur arrivée sur les bords de l'Aar, en 1645, eurent leur maison aux portes de la ville. Mais le magistrat ayant décidé, en 1672, d'agrandir la ville, leur monastère dû faire place aux nouveaux remparts. Ce qui les obligea à se bâtir de 1676 à 1679, le couvent qu'elles occupent encore saintement de nos jours, partageant leur temps entre la prière et l'éducation chrétienne, qu'elles donnent comme de vraies mères, à la jeunesse heureuse et nombreuse de leur beau pensionnat. Leur église, où celui qui écrit ces lignes a eu le bonheur de célébrer sa première messe, n'a été construite qu'en 1690. Elle a été consacrée en 1693, le 8 septembre, par l'évêque de Lausanne, Pierre de Montenach.

Le saint aumônier de la Visitation, M. Joseph Von Moos, aimait à rappeler un souvenir qui lui était cher comme il l'avait été à tant d'autres avant lui. « Autrefois, écrit-il, c'était pour les élèves du collège un devoir et un bonheur de venir souvent prier Notre-Dame de Lorette. Ils y accouraient surtout quand l'heure des examens approchait. Après une année de labeur, c'était à Marie qu'on demandait le succès vivement

 

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désiré. C'était à Marie qu'on était heureux et fier d'en faire hommage. »

Cette piété solide et franche d'une studieuse jeunesse était, dans notre siècle, une bonne tradition des moeurs scolaires d'autrefois.

Avant la Révolution, Soleure avait un des collèges les plus renommés et les plus fréquentés de la Suisse. Ce collège, avec cours de philosophie et de théologie, était une création des savants Pères de la Compagnie de Jésus, dont l'église rivalise encore de beauté intérieure avec la cathédrale. Appelés à Soleure en 1646, les Jésuites vouèrent leurs soins, non seulement à la prédication, mais plus encore à l'instruction variée, solide, à l'éducation chrétienne d'une nombreuse jeunesse, accourue de la Suisse et de l'étranger au pied de leurs chaires. La suppression de leur Ordre, en 1773, ne ralentit pas leur zèle pour l'enseignement. Ils formèrent un collège de professeurs avec un principal à la tête de l'établissement, et continuèrent leur oeuvre avec un succès qui ne se démentit pas, jusqu'à l'invasion et au bouleversement de la Suisse par les Français en 1798.

Or, un des pieux délassements que se donnaient les Pères et qu'ils donnaient à leurs élèves, c'était de se rendre avec eux par groupes, ou par classes, à Notre-Dame de Lorette, pour demander à la bénédiction de Marie le succès et la sanctification des travaux des maîtres et de leurs dignes élèves.

Les nombreux ex-voto suspendus aux murs de la chapelle sont bien propres, de nos jours comme aux jours qui ne sont plus, à raviver sans cesse la dévotion, la confiance des fidèles de Soleure et des environs à Notre-Dame de Lorette.

Cette confiance n'a pas été vaine, lorsqu'en 1876, Soleure se vit menacée de perdre sa belle cathédrale, prête à tomber au pouvoir du schisme et de son audacieux chef, l'apostat Herzog. Tout Soleure courut implorer, avec un redoublement de ferveur, la Vierge protectrice de la foi et gardienne de la vérité catholique. Et Marie répondit à ce cri de tout un peuple, par l'éclatante et décisive victoire du 10 septembre 1876. Gloire à Marie! Honneur à son éloquent serviteur, Mgr Fiala, hélas!

 

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trop tôt enlevé au diocèse de Bâle, lui dont la parole entraînante sut, sous les auspices de la Vierge de Lorette, déterminer ce vote à jamais mémorable, qui a sauvé Soleure et sa cathédrale des mains sacrilèges de l'hérésie du jour.

 

2. Notre-Dame de la Pierre

 

LE RICHE PLATEAU. — LES PÈLERINS. — RUINES DE TROIS CHATEAUX. — LE CONCILE DE BALE. — LA CHATELAINE ET SON ENFANT. — CHAPELLE ET ERMITE. — UN PRÊTRE GARDIEN DU SANCTUAIRE. — LES AUGUSTINS ET L'HÉRÉSIE. — RUINES ET RÉSURRECTION. — LE CHEVALIER REICH. — CHASUBLE ET TABLEAU. — LES BÉNÉDICTINS DE BEINWYL. — LEUR ÉTABLISSEMENT A MARIASTEIN. — PÈLERINAGES ET CONFRÉRIES. — LA RÉVOLUTION. — LE SANCTUAIRE RELEVÉ DE SES RUINES. — LE LIBÉRALISME SOLÉUROIS. — L'EXIL.

 

Après l'admirable sanctuaire d'Einsiedeln, il n'en est pas de plus fréquenté en Suisse que Mariastein. Mais aussi tout concourt à faire de ce lieu béni le rendez-vous de toutes les âmes qui mettent leurs joies et leurs espérances à honorer, à louer, à invoquer la vierge puissante et douce, la Mère de Dieu et des hommes.

Le site où s'élève, vers les sommets du Blauen, la vaste et somptueuse église de la Pierre, est un premier attrait pour le pieux pèlerin. C'est un plateau encadré de forêts, couvert de champs, de prés, de vignes, de vergers dont la riante verdure s'étale en été, comme un tapis semé de fleurs, à l'ombre d'arbres fruitiers de toute espèce. Et ce plateau, voisin des cieux, n'est qu'à deux lieues de la grande cité de Bâle. Il confine en outre à la catholique Alsace. De là ces flots de pèlerins, aux costumes variés, qu'on voit accourir de l'Allemagne, de l'Alsace, de la France et de la Suisse allemande et française. Et tous, aux pieds de la Vierge de Mariastein, ne font qu'une âme; tous n'ont qu'un coeur pour chanter et prier, chacun dans sa langue, la Mère qui couvre de son sceptre les riches et les pauvres, les ignorants et les savants, le bonheur et l'infortune, le juste et le pécheur.

 

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En face du sanctuaire de Marie, au nord du monastère de Saint-Vincent, apparaît debout aux regards qui cherchent à plonger dans les horizons du passé, une ruine encore imposante et fière comme le tombeau du dernier preux d'une race illustre.

Cette ruine, au nom poétique, c'est la couronne du pays, Landskron. Bâti ou rebâti au commencement du XIVe siècle par les Münch de Bâle, le château de Landskron eut ses jours de paix et de gloire jusqu'à la guerre de Trente ans. En 1634, il fut battu en brèche par l'armée franco-suédoise du farouche duc de Weymar. Le fier donjon ne se releva que pour tomber à jamais sous le canon de la France révolutionnaire en 1798 (1).

Dans une autre direction, à l'ouest de Mariastein, d'autres ruines apparaissent. C'est l'ancien château de La Bourg, dont la chapelle sert d'église paroissiale au village de ce nom.

A l'opposé, d'autres ruines couronnent un des contreforts du Blauen. C'est l'antique château des sires de Rothberg. Ils avaient, de leur temps, sous leur dépendance, le lieu où s'élève le sanctuaire de Marie. Et comme nous allons le dire, c'est à un sire de Rothberg que ce beau sanctuaire doit son origine.

Bien que l'événement que nous allons rapporter ait reçu une sorte d'approbation du concile de Bâle, en 1444, nous avons hâte de dire que la voix de cette assemblée de séditieux, déjà réduite alors à un très petit nombre, n'a pour nous ni poids ni valeur. Les prétendus Pères, qui ont marqué un Pape au carat de Félix V, étaient la plupart de tristes prélats les uns, comme Lallemand, aveuglés par l'orgueil, les autres, comme l'évêque de Bâle, Frédéric ze Rhein, d'une déplorable ignorance. Ce n'est donc nullement sur le témoignage de ce concile, dégénéré en brigandage de Rimini, que nous appuyons l'authenticité, même relative, du miracle auquel Mariastein doit son existence, mais bien sur la tradition populaire et constante qui nous l'a

 

1 Les Münch de Landskron ont donné deux évêques à l'Eglise. Conrad Münch fut évêque de Bâle de 1393 à 1402, et son frère Jean Miinch, évêque de Lausanne à la même époque. Hartmann Münch fut aussi évêque de Bâle (1418-1424), mais il était de la branche de Münchenstein. Les ruines du château de ce nom dominent la Birse, aux approches de Bâle.

 

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transmis. Voici le fait plus que merveilleux qui se racontait, il y a des siècles, et que redisait autrefois une très ancienne broderie conservée à Mariastein.

L'antique famille des chevaliers de Rothberg, déjà mentionnés dans nos documents de l'évêché de Bâle de l'année 1138, avait un de ses membres qui portait le nom de Jean. Jean de Rothberg habitait le donjon auquel il empruntait ou donnait son nom. Un jour d'été, son épouse assise à l'ombre de la forêt, se laissa aller au sommeil, oubliant le petit enfant qu'elle avait à ses côtés. Celui-ci s'avance en curieux jusqu'au sommet du rocher qui domine la vallée de toute sa hauteur : plus de 120 pieds. Sa témérité lui fut fatale. Il glisse et tombe dans l'abîme. Et lorsque sa mère s'éveille, quelle n'est pas sa terreur, en ne voyant plus son enfant près d'elle ! Elle l'appelle, l'écho seul répond à sa voix. Affolée, les yeux pleins de larmes et la voix de sanglots, elle court partout à la recherche de son petit enfant. Sa voix enfin répond à la voix maternelle. La châtelaine de Rothberg se fraye un passage à travers l'épaisseur des broussailles. O doux spectacle ! Son enfant est là, au pied du rocher, cueillant des fleurs; il en fait, dit-il, un bouquet pour la belle Dame toute vêtue de lumière et entourée d'anges, laquelle, ajoute-t-il, au moment de sa chute, l'a reçu sur son sein, et l'a déposé doucement sur le sol. « Elle m'a dit, continue l'enfant avec une joie naïve, qu'elle est Marie, la Mère de Dieu

et la Reine du Ciel, et qu'elle s'est choisi sur ce rocher une sainte demeure. »

A la suite de cet événement, dont le récit vole bientôt de bouche en bouche, le rocher béni fut l'objet d'une vénération qui devint générale. La grotte, au bas du rocher, fut transformée en chapelle avec plusieurs autels qui reçurent leur consécration (1).

Un noble de Landenberg, peut-être le père ou le frère de la châtelaine de Rothberg, voulut faire lui-même les frais de ce nouveau sanctuaire. Dans le bois au-dessus de la chapelle,

 

1 Cette grotte mesure 25 m. de long sur 15 m. de large, avec une hauteur de 10 m. Le cardinal Carafla, nonce en Suisse, disait, après un voyage en Terre-Sainte, qu'il n'avait vu nulle part une grotte qui ressemblât mieux à celle de Bethléem.

 

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garder la foi. Les prêtres qui les desservaient, investis du bénéfice de Mariastein, furent chargés de remettre en honneur le lieu saint et le pèlerinage. Ce qu'ils s'empressèrent de faire avec un pieux zèle. Un ancien catalogue nous a conservé les noms d'un certain nombre d'entr'eux. On y trouve de 1536 à 1634, les noms suivants : Jacques Augsburger, Urs Heni, Jean Huter, Blaise Schnaller, Melchior Gottfried, Jean Tengelli, Mathias Bucher, Félix Muller, Urs Buri, Melchior de Heidegg et Nicolas Suter. Bon nombre d'entr'eux reposent dans la chapelle souterraine.

 

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Un fait dont on ne peut méconnaître le caractère miraculeux, se produisit l'année 1545. Il eut un grand retentissement à Mariastein et dans les environs. Cet événement, qui n'est pas sans analogie avec le premier que nous avons rapporté, fut comme le signal d'une résurrection du culte de Marie en sa Pierre bien aimée.

La peste régnait dans la contrée et y faisait de nombreuses victimes. Pour échapper au fléau, le noble Jean Thuring Reich, fils de Jacques Reich de Reichenstein, seigneur de Landskron, avait fui son château avec son épouse Marguerite, et s'était réfugié avec ses gens à Mariastein dans la maison destinée aux gardiens du sanctuaire.

Le jour de la fête de sainte Lucie, 13 décembre, le noble chevalier était sorti dans l'après dîner pour prendre l'air. Il s'éloigne un instant de sa suite; on attend son retour, il ne reparaît pas. L'inquiétude gagne tout le monde. On court à sa recherche à travers les taillis. On ne le trouve nulle part. « Serait-il tombé du haut du rocher dans l'abîme ? » s'écrie-t-on. Et le curé Jean Augsbourg, ému des larmes de l'épouse de Jean Thuring, se hâte de contourner le rocher. Il se jette à travers les buissons épineux, il arrive au pied de la montagne. Le chevalier était là, en effet, gisant au milieu des pierres et des broussailles, et rendant mille actions de grâces à la Vierge sainte. Il était sain et sauf, à part quelques meurtrissures, qui avaient disparu huit jours après.

 

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Comment le noble chevalier avait-il pu faire cette chute effroyable? Curieux de mesurer du regard la profondeur du rocher, il s'était avancé jusqu'au bord. Puis, la main appuyée à une branche, il s'était penché en avant. La branche à demi usée par les ans, s'était brisée, et le chevalier était tombé la tête en avant dans l'affreux précipice, mesurant, comme nous l'avons dit déjà, 120 pieds de profondeur. Il aurait dû trouver mille fois la mort dans cet accident. Marie avait sauvé son pieux et dévoué serviteur.

Le père du chevalier Reich le comprit. Dans sa reconnaissance, il fit donner au sanctuaire de Marie les vêtements et les insignes que portait le chevalier au jour de sa chute, et ces vêtements furent convertis en une chasuble ornée du nom et des armes des Reichenstein. Cet ornement fait encore partie du trésor de Notre-Dame de la Pierre. En outre, on conserve dans la chapelle souterraine, au-dessus de la porte, un tableau représentant cet événement. C'est un ex-voto de Jacques de Reichenstein, lequel fit consigner le fait tout au long dans un document écrit de la main du greffier de Ferrette, dont le château, appartenant aux ducs d'Autriche, était alors tenu en gage par les sires de Reichenstein.

Avant l'hérésie du XVIe siècle, une congrégation avait su donner un grand éclat au sanctuaire de Notre-Dame de la Pierre. Un Ordre religieux, autrement éminent en science et en sainteté, allait donner â ce sanctuaire un éclat plus vif encore, au siècle suivant.

L'antique monastère de Beinwyl, qui remontait à l'an 1085, et devait sa construction aux avoués de l'abbaye de Moutier-Grandval (1), avait subi le contre-coup de la déformation religieuse, que l'esprit de mensonge appelait la réforme. Illustrée par quatre siècles de gloire et de vertus, cette abbaye était tombée presqu'à néant à la fin du XVIe siècle. Un de ses

 

1 Ces avoués étaient les comtes d'Eguisheim, de Ferrette, de Sogern, d'Asuel et de Froburg (mais non du Vorbourg, comme l'écrit, par erreur, Mgr Vautrey, dans ses Notices jurassiennes (article Soyhières).

 

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derniers religieux, fils de saint Benoît, Conrad Wescher, avait fait de vains efforts pour conjurer la ruine complète de sa chère maison.

En 1589, le gouvernement de Soleure lui vint on aide. Il demanda à la ferveur d'Einsiedeln de relever le monastère de Beinwyl. Einsideln confia cette noble et difficile tâche à un de ses religieux, le Père Wolfgang Spiess. Ce vrai fils de saint Benoît arrive à Beinwyl. Il se met à l'oeuvre. Le monastère se relève. Après lui, d'autres administrateurs, envoyés d'Einsiedeln et de Rheinau, continuent à marcher de succès en succès. Enfin, en 1633, Beinwyl est assez prospère pour se donner un nouvel abbé. Ce fut le Père Fintan Kiefer, de Soleure.

Homme aussi intelligent que pieux et actif, le Rifle abbé Kiefer eut la joie, et cette joie fut partagée par tout le Thierstein, de voir refleurir pleinement le monastère de Beinwyl. Témoin de cette heureuse résurrection, l'évêque de Bâle, l'humble et pieux Henri d'Ostein, l'ami dévoué des maisons religieuses comme des sanctuaires de Marie, songea à établir à Mariastein la communauté de Beinwyl, que le conseil de Soleure voulait transplanter à Oberdorf. Le nonce apostolique fut consulté ; il donna gain de cause à l'évêque. C'était en 1636. Deux Pères se rendent à Mariastein pour préparer les voies, L'un d'eux, à la fleur de ses ans, succomba à la tâche. C'est le Père Benoît Bisz. Il repose dans la sainte chapelle, non loin des restes mortels d'une illustre bienfaitrice, la noble vierge Anne-Marie de Wesemberg.

Le Père prieur Vincent Fink n'en continua pas moins son oeuvre d'installation. Grâce à son activité, secondée par le concours empressé de toute la population des environs, où chacun se montrait heureux d'apporter sa pierre à l'édifice, le monastère, commencé en 1645, fut debout trois ans après. Le 12 décembre 1648, les Bénédictins de Beinwyl franchissaient les cinq lieues qui les séparaient de Mariastein, et prenaient possession de leur nouvelle demeure, aux portes de laquelle ils arrivèrent avec leurs bagages et tout leur personnel, à cinq heures du soir. Et tous, joyeux, se hâtaient de descendre dans la sainte chapelle et d'y chanter l'hymne de l'allégresse,

 

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le Te Deum de la sainte Eglise. Les Pères étaient au nombre symbolique de douze. Un novice et un frère les accompagnaient.

A peine les pieux et doctes fils de saint Benoit furent-ils établis comme une garde d'honneur, auprès du sanctuaire de Marie, qu'on vit le pèlerinage reprendre son cours avec un accroissement qui s'accentua d'année en année. L'Alsace surtout s'empressa de chercher un refuge aux pieds de la Vierge des merveilles. Cette belle et riche contrée venait d'être affreusement ravagée par les sauterelles du Nord, les farouches Suédois, qui y continuaient leurs déprédations, leurs incendies et leurs meurtres. De nombreuses familles de tout rang venaient, ainsi que les communautés religieuses, de sauver ce qu'elles avaient de plus précieux, à Mariastein, et s'y étaient réfugiées comme dans une place forte. Un bon nombre de ces réfugiés voulurent finir leurs jours auprès du sanctuaire de leur divine Protectrice. D'autres y firent bénir leur union. De 1670 à 1691,

on ne compte pas moins de mille mariages célébrés dans le sanctuaire de Marie.

La piété éclairée des Pères Bénédictins de Mariastein, leur zèle à orner, à embellir sans cesse leur vaste église et les sanctuaires qu'elle couvre de son ombre, la vie et la majesté de leurs offices, tout contribua pendant plus dé deux siècles à amener aux pieds de Notre-Dame de la Pierre des foules sans cesse grossissantes. De saintes confréries érigées dans leur belle église voyaient augmenter de plus en plus le nombre des enfants de Marie, heureux de s'y faire agréger.

Dès l'an 1645, le P. Vincent Fink instituait dans l'église, dont il était le curé, la, confrérie du Saint-Rosaire. L'autorisation lui en était donnée par le Vicaire-Général de l'évêché de Bâle, le savant docteur, le théologien éminent et l'écrivain distingué (1), Thomas Henrici, qui fut évêque de

 

1 Il fut aussi Prévôt des collégiales de Colmar et de Saint-Ursanne. On a de lui deux beaux monuments de sa vaste science théologique. Ce sont les deux ouvrages intitulés : l'un, Catena aurea, véritable chaîne d'or des plus hautes pensées chrétiennes; l'autre, Irenicum catholicum, défense victorieuse et inéluctable de la vérité catholique contre les mille erreurs du protestantisme.

 

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Chrysopolis et suffragant de l'évêque de Bâle, de 1648 à 1660.

En 1663, ce fut la confrérie du Saint-Scapulaire qui fit son apparition à Mariastein. Elle fut suivie six ans après de celle de Notre-Dame des Sept-Douleurs, puis en 1690, de la confrérie de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Et toutes ces associations saintes reçurent une vie nouvelle par la confrérie de la Foi, de l'Espérance et de la Charité, qui dut son existence et son organisation à,la haute piété du Révérendissime abbé, Placide Ackermann, de Ramiswyl. (1804-1841.)

C'est à cet illustre prélat, dont la science égalait la sagesse et la piété, que Mariastein dut sa seconde résurrection, au sortir de la période impie et révolutionnaire de 1798 à 1802. On sait, en effet, comment les Français de la Révolution, en s'emparant de la Suisse, où ils avaient de sinistres et libérales intelligences, firent main basse sur tout ce qui avait quelque valeur matérielle dans les monastères, dans les églises, dans les sanctuaires, où ils promenèrent leurs souillures, leurs dévastations et leurs brigandages. Notre-Dame de la Pierre, on le comprend, ne fut pas épargnée. Les Français y laissèrent les quatre murs. Et encore dans quel état !

Ce fut la tâche du Révérendissime abbé Placide, de relever les ruines amoncelées par la liberté et la fraternité. Déjà l'abbé Jérôme Brunner avait retiré du sol, où on l'avait cachée avec soin, la statue sainte de la Vierge féconde en miracles. Déjà les Pères, disséminés par le souffle de l'impiété, étaient revenus se grouper auprès de leur Mère bien aimée. Mais tout était à refaire. Le Père abbé Placide ne faillit point à sa laborieuse mission. Il brava tous les obstacles. Les autels frirent relevés et les chapelles restaurées avec l'église. Le couvent fut remis en bon état. L'école des Pères s'ouvrit de nouveau à la jeunesse studieuse. Le choeur, l'office solennel reprirent leur cours d'après la règle sainte. Le pèlerinage renoua sa chaîne violemment rompue. Et Mariastein vit encore de beaux jours.

Le démon en fut jaloux. Il suscita à Soleure des hommes tels que Vigier (1), Kaiser, qui profitèrent de leur passage au pouvoir

 

1 Ce fougueux libéral, pour ne pas l'appeler d'un autre nom trop justement mérité, est mort à Soleure, en 1886, d'un cancer à la langue.

 

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pour anéantir, au nom de la liberté, la grande ouvre des siècles vraiment libres, et faire main basse sur les propriétés du monastère. Le vol sacrilège coûte si peu au libéralisme !

En 1874, sous les auspices des francs-maçons dits « libéraux », que nous venons de nommer et d'autres du même acabit, résolus comme eux de déraciner l'Eglise du sol de leur patrie, le monastère de Mariastein, ce rempart de la foi contre l'hérésie dite vieille catholique, fut supprimé violemment par le Grand Conseil de Soleure. L'Abbaye était prospère. Elle comptait vingt Pères, neuf Frères et huit novices. Le Révérendissime abbé Charles Motschi, qui avait succédé l'année précédente au grand artiste musical, le Révérendissime Léon Stôcklin, dut prendre le chemin de l'exil. Sa communauté le suivit à Delle, où elle dirige, depuis l'heure de son noble exil, un collège fondé par le Révérendissime abbé Charles, qui a la consolation de voir son oeuvre marcher de succès en succès dans cette ville hospitalière.

Le pèlerinage de Mariastein continue, il est vrai, mais il a perdu son éclat en perdant ses plus illustres gardiens.

Une troisième résurrection est certainement réservée au sanctuaire de Marie. Mais quand viendra-t-elle ? Dieu ne compte pas ses heures. Sachons attendre.

 

 

3. Notre-Dame de la Haie, à Meltingen

 

NOM ET SITE. — FÊTES, COMMUNIONS ET INDULGENCES. — LE VOILE DE LA CHATELAINE. — ÉGLISE BATIE EN 1527. — RESTAURATION ET ORGUE. — LE SUREAU HISTORIQUE.

 

Notre-Dame de la Haie : c'est ainsi que nous traduisons Maria im Haag. Nous pourrions sans peine le rendre tout aussi bien par ces mots : Notre-Dame du buisson, ou Notre-Dame du sureau. Nous verrons bientôt pourquoi.

Disons d'abord ce qu'est le site de ce gracieux sanctuaire de la très Sainte-Vierge.

Dans une fraîche vallée, à une lieue au nord de l'antique

 

 

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abbaye de Beinwyl, et à l'est du sommet jurassique dominé par les ruines du fier château des comtes de Thierstein, se déploie un charmant village avec un modeste établissement de bains. C'est Meltingen, avec sa blanche église, assise sur une hauteur et dominant le village. A toutes les fêtes de Marie, on voit des groupes de fidèles arriver de tous les environs et se presser dans le lieu saint. Un grand nombre d'entr'eux s'y présentent dès l'aube du jour. Il y a là un Père capucin de Dornach pour aider au curé de la paroisse à entendre les confessions. Des indulgences précieuses ont été accordées à cette église. De là les saintes communions qui s'y font en grand nombre. A l'Office, on aime à entendre la voix populaire, apostolique, de l'humble fils de saint François. C'est un attrait de plus. Ajoutons que chaque samedi, jour de Marie, des pèlerins viennent dans cette église recevoir les sacrements ou faire célébrer le saint Sacrifice en l'honneur de la Reine des Cieux.

A l'est du frais vallon de Meltingen, s'élève une colline qui portait autrefois à son sommet, le château des sires de Gilgenberg. Ce donjon , bâti sur un rocher à pic et entouré de remparts, était habité au commencement du XVIe siècle par le chevalier Jean Imier de Gilgenberg et son épouse Barbe de Breitenlandenberg, qui le vendirent à la ville de Soleure le 30 octobre 1527.

Or, il arriva qu'un jour la noble châtelaine, dans une promenade à Meltingen, alors dépendance du château, vint à perdre son voile. Un coup de vent venait de le lui enlever. Sa suite eut beau chercher et chercher encore. On ne put rien retrouver.

Une année s'écoula. La dame du château porte ses pas dans la même direction. Tout à coup une jeune fille de sa suite s'écrie : « Voyez, Madame, voyez là : c'est bien votre voile. »

C'était en effet le voile perdu l'année précédente à pareille époque. Mais ce qui augmenta la surprise, ce fut de voir ce bienheureux voile étendu sur une gracieuse statue de la très Sainte-Vierge, cachée là dans un buisson de sureau. Barbe de Landenberg ne put qu'admirer ce qui lui apparut comme un prodige. Sa piété y vit un signe du Ciel. « C'est Marie, dit-elle,

 

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qui demande un sanctuaire en ce lieu. » Le sanctuaire fut bâti, et l'on put y mettre, à la place d'honneur, la statue de la Vierge Immaculée. L'église, c'en était une, fut richement dotée. Et ce sanctuaire, avec sa statue miraculeuse, est depuis 1645 l'église paroissiale de Meltingen.

L'origine merveilleuse de cette église, explique suffisamment la dévotion envers Marie et sa douce image. Ce qui est remarquable, c'est que ce pèlerinage a commencé juste au temps où l'hérésie vomissait ses blasphèmes contre la Mère de Dieu, brisant ses statues et déchirant ses images à deux pas de là, dans la contrée de Sissach et de Liestal, imitant en humble esclave la ville de Bâle, qui régnait en souveraine sur ce beau

pays.

L'église de Meltingen, visitée si souvent par les nobles fils et les filles de la Mère de Dieu, a été, grâce à leurs généreuses offrandes, restaurée en entier, enrichie d'ornements et pourvue d'un excellent orgue par le curé Louis Krutter, mort saintement dans le Seigneur, le 14 décembre 1862.

Cette église conserve encore une partie du bienheureux voile auquel elle doit son existence. Ce précieux lambeau continue à voiler la statue sainte, au-dessous de laquelle on lit ce vers latin :

 

Quod Deus imperio, tu prece, Virgo potes.

 

Traduction parfaite de cette qualification donnée à Marie par un Père de l'Eglise : Omnipotentia supplex. « Marie est une toute-puissance suppliante. » Ou comme dit si bien la langue populaire à Meltingen : Maria im Haag, Die alles Vermag.

On conserve aussi, en l'entourant de soins, le bouquet de sureau, dans lequel a été trouvée la statue de Marie. En 1798, la fureur révolutionnaire l'avait arraché. Mais l'arbuste a repris pied. On le voit sur le cimetière près de l'église. Il est protégé par une haie contre les pieux larcins des pèlerins.

Ce souvenir est en outre vivant sur le tableau d'un autel latéral de l'église. Marie apparaît là avec deux anges qui la couronnent, vêtue d'un manteau richement brodé, l'Enfant

 

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Jésus sur les bras, et le sceptre de sa protection étendu sur les fidèles. Les pieds de la Vierge reposent sur le sureau historique, et à quelques pas de là, on lit sur un vitrail du XVIe siècle : « Jean-Imier de Gilgenberg et Barbe de Breitenlandenberg, son épouse, 1519. » Leurs armes brillent dans le verre peint parfaitement conservé.

 

4. Notre-Dame de Schoenenwerth

 

LE MONASTÈRE. — LE CHAPITRE OU MARIENSTIFT. — LA STATUE DE MARIE. — L'HÉRÉSIE ÉT LE SCHISME. — DIVERS PRÉVÔTS. — LE POÈTE BARZÉE.

 

Un chorévêque du nom de Radbert avait fondé, vers l'an 750, un monastère dans une petite île au milieu de l'Aar, entre Aarau et Olten. Il donna à la création de son zèle et de sa piété le nom de Belle-Ile ou de Schönenwerth. (Werd, werder, signifie une île dans le cours d'un fleuve.)

A sa mort, cet évêque missionnaire fit donation de ce monastère à l'évêque Remi de Strasbourg. A son tour, celui-ci donna ce couvent, par testament du 15 mars 778, à son Chapitre et à son Eglise. En sorte que le Chapitre de Strasbourg eut sous sa dépendance le monastère de Schönenwerth jusqu'à la transformation de ce dernier en Chapitre séculier. Et même après cette transformation, la collégiale de Schönenwerth eut à requérir du Chapitre de Strasbourg l'approbation de son prévôt élu, ce qui eut  lieu jusqu'au XVIe siècle.

L'église de ce noble Chapitre fut bâtie à neuf au XIIe siècle sur le tertre qu'elle n'a pas cessé d'occuper jusqu'à nos jours. Bien que dédiée, ainsi que le monastère primitif, au saint martyr d'Autun Léodegar, cette église n'en fut pas moins placée sous les auspices de la très Sainte-Vierge, et devenue collégiale, elle fut la collégiale de Marie, comme le Chapitre fut le Chapitre de Marie, Marienstift.

N'est-ce pas, en effet, à Marie et à sa puissante protection que le Chapitre de Schönenwerth a dû sa conservation à travers

 

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tant d'épreuves pendant une période de huit siècles? N'est-ce pas la protection de Marie qui a suscité, à diverses reprises, jusque parmi les princes de l'Europe, de si vaillants défenseurs de ce Chapitre et de ses droits séculaires ? C'est que Marie a été sans cesse invoquée en ces lieux, non seulement par le Chapitre dès son berceau, mais par les fils de saint Benoit, qui l'ont précédé dans la « Belle-Ile ».

Ce qui n'a pas manqué de donner un nouvel élan à la dévotion envers la très Sainte-Vierge, à Schönenwerth, c'est la statue de Marie portant l'Enfant divin sur ses bras, trouvée un jour sur les bords de l'Aar. Cette statue, a-t-on dit, venait de Berne. A l'époque de l'invasion de l'hérésie dans cette ville et de l'expulsion du vrai christianisme (1528), les sectaires de Haller et de Zwingli avaient précipité cette statue dans l'Aar, dont les flots l'avaient transportée et déposée sur ga rive droite, près de Schönenwerth. On s'empressa de recueillir, avec un respect mêlé de douleur, cette sainte épave du culte de Marie, qui venait d'échapper aux flots de l'hérésie. On fit plus. Une magnifique chapelle fut construite au jubé de la collégiale. Aussitôt consacrée, cette chapelle reçut la statue sainte, qui devint l'objet de la plus tendre dévotion des chanoines, des chapelains et des fidèles. On accourut de loin vénérer la sainte image, et invoquer la douce et puissante Mère qu'elle représentait aux yeux éclairés de la foi. La confiance en Marie fut récompensée par de nombreux miracles. On en a recueilli dix des plus remarquables de 1693 à 1821. On conçoit que de ces manifestations de la bonté, de la puissance maternelle de Marie, soit sorti un pèlerinage proprement dit.

Pourquoi faut-il que les mauvais jours de 1873 soient venus tarir cette source abondante de grâces, de bienfaits et de miracles ? Un schisme impur s'est installé à Schönenwerth. Son impudeur a pénétré jusque dans le sanctuaire. L'antique collégiale est tombée entre les mains des profanateurs. Le sacrilège souille le sanctuaire de Marie et de Saint-Léodegar. Adieu les prières ferventes répandues par la foi devant la sainte image de Marie. Adieu la foi elle-même. C'en est fait du pèlerinage et

 

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du Chapitre de Schönenwerth. Libéralisme, voilà ton oeuvre. OEuvre d'impiété, de destruction et de ruines !

 

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Pendant sa durée de sept siècles et plus, le Chapitre de Schönenwerth, qui ne comptait plus, depuis 1576, que cinq chanoines et quatre chapelains, au lieu de ses douze chanoines d'autrefois, a été sous la direction de trente-six prévôts, parmi lesquels nous remarquons les suivants :

Jacques Mielich, de Fribourg-en-Brisgau (1580-1605) ; Jacques-Wolfang Staal, de Soleure (1675-1711); Urs-Jacque Tschan, de Balstall (1817-1824).

On n'en trouve pas un qui ait été promu à l'épiscopat. Une illustration littéraire du Chapitre de Schönenwerth a été le poète national Jean Barzée, de Sursee, qui était, en 1660, le custode et l'architecte du Chapitre.

 

5. Notre-Dame de Wolfwyl

 

L'ÉGLISE DE MARIE. — LE CHASSEUR PROTÉGÉ. — LA STATUE APPORTÉE PAR L'AAR. — DEUX « EX-VOTO » REMARQUABLES. — PÉLERINAGES. — PROCESSIONS. — FÊTES PRINCIPALES.

 

Entre Soleure et Olten, on voit dans la plaine, sur la rive gauche de l'Aar, un beau et riche village, dont l'église élève vers le ciel sa flèche hardie. C'est Wolfwyl, « la villa du loup », avec ses 900 habitants.

Marie a, dans ce lieu, un sanctuaire tout resplendissant d'ex-voto, touchants témoignages de la prière exaucée. Ce sanctuaire n'est autre que l'église elle-même. C'est l'église de Marie ou Marienkirche.

A quelle époque remonte cette église avec son pèlerinage, que n'a pu emporter l'hérésie au jour de sa haine et de son fanatisme ?

Au Xe siècle, raconte la tradition populaire, les bords de l'Aar étaient encore couverts d'épaisses forêts. Un noble chasseur

 

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s'y était engagé avec sa suite. Le cheval qui le portait vint à se cabrer. Le chasseur tombe ; pris dans ses étriers, il est traîné sur le sol à une grande distance par un coursier qu'emporte la frayeur. bans sa détresse, le chasseur élève sa pensée vers Marie. Il fait voeu, s'il échappe à la mort, d'ériger une chapelle à sa divine Libératrice.

A peine cette promesse est-elle exprimée, que le cheval s'arrête. On relève Te noble chevalier. Il en était quitte pour de légères meurtrissures. A l'endroit même où le cheval s'arrêta, il bâtit une chapelle, qui fut bientôt un but de pieux pèlerinages pour tous les environs, et qui est devenue, après une première, puis une seconde construction en 1618, l'église de Marie à Wolfwyl.

On y voit une statue de la Sainte-Vierge, que la dévotion des fidèles sait apprécier, sans pouvoir en dire autant de l'art du sculpteur. A cette statue sainte, on attribue une même origine qu'à celle de l'église lie Schönenwerth. Jetée dans l'Aar par la folie furieuse des hérétiques de Berne, elle aurait été apportée et laissée là par les flots de la rivière, dont le cours en ce lieu est cependant très. rapide. Que cette statue ait échappé à la profanation et aux auto-da-fé des zwingliens, que des mains pieuses l'aient enlevée d'un sanctuaire de Marie détruit par l'erreur, c'est du moins ce qui semble ressortir de cette tradition de plus de trois siècles.

Parmi les grâces innombrables obtenues par l'intercession de la Vierge, dont la statue ancienne et miraculeuse entretient la ferveur du pèlerinage, il nous plaît de signaler celle qui est rapportée par un des ex-voto qui tapissent les murs du sanctuaire.

C'était le 10 juin 1720.

Le ferblantier Urs Borer recouvrait de zinc la tour de l'église. Il touchait au sommet, lorsque le pied lui glissa.. L'infortuné roule dans le vide ; il se relève sans éprouver le. moindre mal. On l'entoure , on s'étonne , on l'interroge. « Ne soyez pas surpris, répond-il, de me voir sain et sauf. Là-haut, à trois toises du sol, une Vierge m'a reçu dans ses bras, et cette Vierge, c'est Marie elle-même. C'est à l'Immaculée Mère de

 

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Dieu, ajoute-t-il au bas du tableau commémoratif de ce miracle, que je dois la conservation de ma vie. Je devais être assurément broyé sur un tas de pierres, au pied de la tour, si la divine Mère ne m'eût saisi la main gauche, pour me soutenir et me déposer doucement à terre. »

Et c'est en reconnaissance de cette protection miraculeuse de Marie, conclut l'inscription, comme aussi pour la faire connaître à tous, que ce tableau a été peint aux frais de l'honorable Urs Borer et de son épouse Anne Kymerlin, d'Olten. »

Il est à peine besoin de dire que l'ouvrier Borer avait toujours eu, dès son enfance, la plus tendre dévotion envers la très Sainte-Vierge.

Un autre ex-voto, plus récent, a été suspendu près de l'autel de Marie par un ressortissant de Wolfwyl. Depuis longtemps malade, et condamné par tous les médecins, auxquels il avait donné vainement, comme la femme de l'Evangile, une bonne partie de son avoir, ce brave homme avait fini par en appeler à la puissance maternelle de l'Immaculée Vierge. Après de ferventes prières, faites plusieurs jours de suite au pied de sa statue bénie, il avait enfin recouvré une santé florissante. Et trente-six ans après, six ans avant sa mort, dont il annonça longtemps à l'avance le jour et l'heure, le protégé de Marie lui fit peindre un tableau en souvenir reconnaissant de sa toute-puissante bonté.

Le Père Vincent Acklin, de Mariastein, auteur d'une excellente chronique, mentionne le pèlerinage de Wolfwyl comme un des plis fréquentés de la Suisse.

Aussi l'on y voit chaque année arriver de pieuses processions des paroisses environnantes. A la tête de saint Marc, c'est Niederbuchsiten; à celle des saints apôtres Philippe et Jacques, ce sont les paroisses de Kestenholz, Fulenbach et Oensigen. Cette troisième y revient avec Haerkingen pour l'Invention de la Sainte-Croix; d'autres paroisses, telles que Neuendorf, y viennent encore à d'autres époques. Elles étaient plus nombreuses avant un décret porté par Mgr Charles Arnold, et interdisant, pour des raisons de bon ordre, toute procession au delà d'une lieue de rayon. Avant ce décret, on voyait chaque

 

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année arriver à Notre-Dame de Wolfwyl, entre autres paroisses, outre celles que nous avons mentionnées, les paroisses de Hägendorf, de Kappel, de Matzendorf, de Balsthal, de Laubersdorf et de Wangen.

Les deux fêtes principales de Notre-Dame de Wolfwyl sont l'Annonciation et l'Assomption. Un Père Capucin d'Olten se trouve alors là, pour aider à entendre les confessions. Il en est de même, d'ailleurs, à toutes les fêtes de la Sainte-Vierge. Car alors, on le comprend, le concours des fidèles, venus de près et de loin, est toujours considérable.

 

6. Notre-Dame de l'Assomption, à Biberist

 

LA CHAPELLE DE 763. — L'ÉGLISE CONSACRÉE EN 1581. — L'AUTEL DE SAINTE-APOLLONIE EN 1722. — NOUVELLE ÉGLISE EN 1845. — DEUX FÊTES PATRONALES. — CHEMIN DE CROIX ET ORGUE. — ANNEXES.

 

On lit dans l'Histoire de la paroisse de Biberist, publiée par

M. le curé L.-R. Schmidlin, qu'une église ou chapelle « de la Bienheureuse Vierge Marie » existait déjà en 763 dans cette localité.

Ce sanctuaire, restauré ou rebâti, était encore debout en 1480, lorsque fut construite la nouvelle église de cette paroisse sur l'emplacement qui occupe l'église actuelle. Un siècle après, la nouvelle église de Notre-Dame recevait de nouveaux autels, que le suffragant de Constance, Balthasar Wurer, consacrait solennellement le 6 septembre 1581. Il dédiait le maître-autel « à la Bienheureuse Vierge Marie », à sainte Barbe et à sainte Catherine. Le second autel était dédié à saint Barthélemy, apôtre; à saint Laurent, à saint Arbogast, à saint Antoine et à sainte Odile. Le troisième était l'autel de Saint-Georges et des saints martyrs Urs et Victor. L'évêque consécrateur renferma dans les tombeaux de ces trois autels des reliques de plusieurs saints, entre autres, de saint Maurice, de saint Gall, de saint Gothard, de saint Urs et de sainte Ursule.

 

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L'autel de Saint-Barthélemy fut remplacé, en 1713, par un autel nouveau, érigé en l'honneur des trois Rois, de sainte Odile et de saint Barthélemy, comme aussi des saints Benoit, Gilles, Arbogast et Laurent. En 1722, le maître-autel, à son tour, fit place à un nouveau, grâce à la pieuse générosité du Chapitre de Saint-Urs, qui décora cet autel d'un tableau représentant Marie dans la gloire de son Assomption. Le second autel latéral était alors sous le vocable de sainte Apollonie, la vaillante martyre qu'on invoque, à cause de son supplice, contre les maux de dents. L'église, riche en reliques de divers saints, possédait en 1758 des reliques de sainte Apollonie.

Aussi l'autel de la sainte martyre lui resta dédié en 1768, lorsque l'église « de Notre-Dame de l'Assomption », renouvelée à cette époque, fut l'objet d'une nouvelle consécration. Par contre, le collatéral (côté de l'Epître) fut dédié aux saints martyrs Urs et Victor, et reçut en même temps du suffragant de Constance des reliques des saints martyrs Félix, Victor et Constant.

L'église de Notre-Dame de Biberist, vieille et caduque en 1845, devenue en outre trop étroite pour la population croissante de la paroisse, fut démolie, sauf la tour avec ses trois cloches, après la construction, en style renaissance, de l'église actuelle. L'évêque de Bâle, Mgr Jos.-Antoine Salzmann, en a fait la consécration solennelle le 22 novembre 1846.

Dès cette époque, de nouvelles toiles figurent aux trois autels : au maître-autel, Jésus en Croix; à l'autel de droite, la résurrection de Notre-Seigneur, et l'Assomption de Marie, avec les statues des saints apôtres Pierre et Paul; et à l'autel de gauche, la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et sainte Apollonie, avec les statues de sainte Barbe et de sainte Catherine. M. Schmidlin regrette qu'on n'ait pas confié aux mains de l'excellent peintre Deschwanden les tableaux que nous venons dé mentionner. Avec ce regret, que nous partageons, nous en exprimons un second : c'est que, sans respect pour les traditions, on ait éliminé des autels les anciens sujets pieux qui s'y trouvaient représentés et les caractérisaient tout en rappelant aux regards des fidèles l'antique et vraie dédicace de l'église.

 

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Ce qui serait plus en harmonie avec les deux fêtes patronales qu'on y célèbre chaque année : la première, en l'honneur de l'Assomption de Marie ; la seconde, en l'honneur de sainte Apollonie, patronne secondaire de cette église, que décore avec grâce un beau chemin de croix, dû au pinceau de Paul Deschwanden.

Une orgue à 14 registres et à double clavier, construit par Kyburz, de Soleure, y a trouvé place en 1870.

Deux annexes de Biberist, Lohn et Ammannsegg, ont chacune leur chapelle. Comme ces chapelles ne sont pas des sanctuaires de Marie proprement dits, nous n'avons pas à nous y arrêter pour le moment.

Mentionnons, par contre,

 

7. La chapelle de la Sainte-Vierge, à Derendingen

 

MESSE DU JEUDI. — VIERGE DE DESCHWANDEN.

 

Cette localité ressort de la. paroisse de Kriegstetten. Une chapelle y fut bâtie, en l'honneur de la Mère de Dieu, en 1724. On n'y voit qu'un autel, où le curé de Kriegstetten va tous les jeudis célébrer la sainte Messe. Cet autel se distingue par un charmant tableau de la Sainte-Vierge, oeuvre de Paul Deschwanden. Ce tableau a remplacé une statue de Marie, embellie d'ex-voto, qui ont été fixés à un des côtés de la chapelle, dont le style simple n'empêche pas la cloche harmonieuse d'inviter souvent les fidèles à porter aux pieds de Marie le tribut de leurs hommages et la ferveur de leurs prières.

 

8. Notre-Dame d'Oberdorf

 

CHAPELLE DE LA SAINTE-VIERGE, EN 1327. — ÉGLISE PAROISSIALE AVANT 1436. — INDULGENCES. — PÈLERINAGE. — FÊTE PATRONALE.

 

En 1668, une église nouvelle, construite par les soins de la ville et du Chapitre collégial de Soleure, s'élevait à Oberdorf, appuyant son flanc gauche à un antique sanctuaire de Marie.

 

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Dès l'an 1327, cette chapelle de la Sainte-Vierge était un but de pèlerinage pour les contrées environnantes. Elle avait son propre chapelain, qui était à la nomination du prévôt du Chapitre de Saint-Urs, collateur de ce bénéfice. Ce qui permettrait, semble-t-il, de croire que ce sanctuaire a eu pour fondateur, avant 1327, soit le Chapitre lui-même, soit son prévôt, ou quelqu'autre de ses membres, chanoine ou chapelain.

En 1436, la chapelle de Marie à Oberdorf était déjà érigée en église paroissiale, comme le prouvent des actes de vente de cette époque. C'est ce qui ressort aussi des termes d'un bref d'indulgences en faveur de ce sanctuaire, donné par le Pape Jules II, le huitième jour avant les ides d'avril de l'année que nous venons de mentionner.

Déjà le 1er juin 1447, une bulle d'indulgences avait été accordée au pèlerinage de Notre-Dame d'Oberdorf, par Etienne, évêque de Marseille, faisant la visite du diocèse de Lausanne au nom de l'évêque Georges de Saluciis.

Le 5 juillet 1595, nouvelles indulgences accordées par un bref du Pape Clément VIII.

Cinq ans après, eut lieu, en style moderne, la construction de l'église actuelle, adjacente à l'antique sanctuaire. Dès lors (23 juin 1608), un curé fut de nouveau désigné par le Chapitre-de Saint-Urs pour résider dans cette paroisse et la desservir.

La fête patronale de l'église et de la chapelle est célébrée avec éclat le 15 août, Assomption de Marie, et une foule considérable y accourt de tous les environs, pieux pèlerins, heureux d'apporter leurs hommages et leurs prières au pied de l'autel de Marie et de son antique et vénérable statue.

 

 

§ 5. THURGOVIE

 

Ce canton, qui reçoit son nom de la Thur, affluent du Rhin, ne compte, sur 105.000 habitants, que 30,300 catholiques. Un grand nombre de sanctuaires de Marie ont sans doute disparu dans ce beau pays à l'époque néfaste de la religion de Zwingli, ou de son christianisme falsifié et tronqué. Cependant divers

 

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sanctuaires sont restés debout, tels que ceux de la Sainte-Croix à Arbon et à Kreuzligen ; celui du Saint-Crucifix, à Bernrain ; ceux de Saint-Innocent, à Tobel; de Sainte-Idda, à Fischingen; de Sainte-Marguerite, à Sirnach; de Sainte-Elisabeth, à Wallenwyl, de Saint-Othmar, à Werd. Mais ces sanctuaires ne rentrent pas dans le cadre de notre travail. Il en est de même des autels dressés à Marie dans chaque église paroissiale. Nous ne trouvons, en vérité, à mentionner, dans le canton de Thurgovie, que deux sanctuaires de Marie proprement dits, et pré-sentant un réel intérêt.

Le premier est

 

1. Notre-Dame de Klingenzell

 

L'ABBAYE DE REICHENAU. — LE CHEVALIER ET LE SANGLIER. — VŒU ET CHAPELLE. — LE MONASTÈRE DE STEIN. — MIRACLES ET « EX-VOTO ». — CHAPELLE RECONSTRUITE. — L'IMAGE MIRACULEUSE. — DEUX CONFRÉRIES. — CHEMIN DE CROIX.

 

Au sortir de Constance, à une lieue à peine de cette ville et du lac limpide auquel elle donne son nom, comme elle l'a donné à un Concile à jamais fameux, le Rhin prend sa source vers l'occident et va jeter ses eaux dans un second lac. C'est le lac inférieur, Untersee. Au centre de ce petit lac, aux contours les plus bizarres, se trouve une île qui n'était autrefois qu'une pelouse de riche verdure. Son nom le dit et l'histoire ajoute que, vers l'an 724, sous la direction du Bienheureux Pirmin, les fils de saint Benoît, par une charte du maire du palais Charles Martel, furent mis en possession de cette île, qui mesure quatre kilomètres de longueur sur deux kilomètres de largeur.

L'abbaye de Reichenau fut bientôt une école de science éminente autant que d'éminente sainteté. De là sont sortis des saints et d'illustres personnages. Reichenau nous a donné saint Meinrad. De grands évêques en sont sortis. Citons entre autres les deux conseillers de Charlemagne, Hatton et Waldo, tous deux évêques de Bâle. En outre, Reichenau a été une vraie

 

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pépinière de maisons religieuses dont la seule énumération nous entraînerait trop loin.

Si nous venons d'évoquer, avec une vénération que nous ne taisons pas, le souvenir de cette ancienne et célèbre abbaye, qui fut réunie à l'évêché de Constance en 1536, c'est qu'elle n'est séparée pour ainsi dire que par le Rhin d'un sanctuaire de Marie érigé en 1333 dans les circonstances que nous allons dire.

 

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Entre les deux localités d'Eschens et de Mammern, s'élève une colline, dont la fraîche verdure était autrefois occupée par une forêt où abondait le gibier, délice des chasseurs. La chasse, qui était alors la récréation, sinon l'occupation principale de la noblesse, faisait en particulier le bonheur du chevalier Jean Walther de Hohenklingen. Or, il advint qu'un jour ce brave Nemrod eut affaire à un vaillant sanglier, qui lui inspira les plus vives terreurs. Blessé d'un,épieu au flanc, d'où le sang ruisselait, l'animal furieux se retourne contre son ennemi, et va se ruer sur le chasseur et le déchirer de ses crocs puissants, comme il vient de mettre en pièces les chiens qui l'entouraient. Pour échapper à leur sort, le chevalier n'a que le temps de s'élancer sur un chêne et d'y chercher un refuge. Mais ce refuge, à son tour, peut lui être fatal. Le chasseur y trouvera la mort, la mort de la faim. Car le sanglier est au pied de l'arbre. Il a essayé de le déraciner; l'arbre des forêts a résisté. L'animal s'est couché là : patient dans sa colère, il attend.

Les heures succèdent aux heures et l'hôte des bois est toujours là, méditant sa vengeance. Le chevalier a vainement appelé du secours ; sa voix ne traverse pas l'épaisseur des halliers. Aucun secours n'arrive, aucun n'arrivera.

Alors, dit son histoire, un frisson se fait sentir au coeur et jusque dans les chairs du chevalier. Il est en face de la mort. Sa dernière heure va sonner. Et après son heure dernière, le tribunal de Dieu, le jugement. A cette pensée, le chevalier jette un rapide coup d'oeil sur sa vie écoulée.. Hélas ! il la voit pleine de fautes et vide des oeuvres qui sauvent. A cette vue, à ce

 

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souvenir amer, son effroi redouble. Il est perdu pour le temps, perdu pour l'éternité. Grand Dieu! que faire? Une pensée lui vient. Il lui reste une chance de salut. Marie, la Vierge puissante, la Mère des infortunés qui recourent à elle peut le sauver encore, le sauver du double péril qui le menace. « O Mère ! s'écrie le chevalier Jean Walther, Secours des chrétiens, Refuge des pécheurs! secourez-moi et entendez le voeu que je vous fais de vous bâtir une chapelle en ce lieu même, si votre main m'arrache à la mort. »

Ce voeu est à peine formulé, que le sanglier se lève. Il cède à une force qu'il subit sans la voir. A pas lents, il s'éloigne et disparaît dans l'épaisseur des taillis. Le malheureux chasseur peut enfin descendre de son arbre cruellement hospitalier. Il regagne son château. II est sauvé. Mais il n'a garde d'oublier la Bienfaitrice à laquelle il doit la vie et le salut. La chapelle promise à Marie s'élève,au sommet de la colline. Ce sanctuaire est dédié à Notre-Dame de Bon-Secours, ainsi qu'à saint Georges et à saint Théodule. Et le 20 octobre 1333, par une bulle datée d'Avignon, le Pape Jean XXII s'empressa d'enrichir d'indulgences ce nouveau sanctuaire, ex-voto monumental d'une juste reconnaissance.

Trois ans après, le noble chevalier fit donation de sa chapelle, après l'avoir dotée richement, au monastère de Stein sur le Rhin, que les vertus et la science des Bénédictins rendaient alors florissant. Ce monastère, fondé au Xe siècle par le duc Bourkard de Souabe et sa belle et pieuse épouse Hedwige de Bavière, avait alors pour avoués les nobles de Hohenklingen. On sait comment les Bénédictins de cette maison, chassés violemment de leur monastère de Saint-Georges par les aimables sectaires du doux Zwingli, en 1526, se sont réfugiés auprès de leurs frères de Petershausen, près de Constance, dont les abbés ont pris dès lors le nom d'abbés de Stein am Rhein et de prévôts de Klingenzell. C'est qu'en effet, le chevalier Jean Walther, en donnant à l'Abbaye de Stein sa chapelle de Marie, avait mis pour condition que le monastère considérerait ce lieu béni comme une prévôté, dans laquelle deux prêtres de l'Ordre de Saint-Benoît célébreraient chaque jour le divin Office.

 

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Sous la garde de ces vrais fils de Marie, son sanctuaire de Klingenzell devint bientôt l'objet de la vénération des fidèles. On y accourut de près, de loin, de ce côté comme de l'autre côté du Rhin, et les miracles ne firent pas défaut à la ferveur des prières adressées à la Reine des Cieux.

Les miracles continuèrent, comme en font foi les nombreux ex-voto de la chapelle, lorsqu'en 1699, il fallut reconstruire, en le transférant ailleurs, le sanctuaire de Marie, que les eaux menaçaient de ruiner ainsi que la petite prévôté. Le nouvel édifice fut consacré solennellement, en 1705, par le suffragant de Constance Ferdinand de Wildegg, qui le dédia « à Notre-Dame des Sept-Douleurs, à Marie Immaculée, à la Vierge Mère de Dieu. »

Le 9 août suivant, eut lieu la translation solennelle de la sainte image de Marie par les mains du même prélat. Cette image sainte, devant laquelle on ne cesse d'aller invoquer Marie, est un tableau qui ne manque pas de grâce. Marie apparaît debout dans une nuée lumineuses Elle est richement drapée; un voile qui retombe dans la nue l'enveloppe. La Vierge Immaculée ne laisse paraître qu'une main, laquelle soutient la tête de son Fils adorable avec les épines qui la couronnent. Sur sa tête Marie, elle aussi, porte un diadème, mais ce diadème est d'or semé d'étoiles.

Deux Confréries, riches d'indulgences, ont été érigées dans ce sanctuaire par les soins des illustres fils de Marie et de saint Benoît. Ce sont l'Archiconfrérie de Notre-Dame de Consolation et la Confrérie de saint Benoît. En faveur des membres de ces associations pieuses, des trois autels qui se dressent dans le sanctuaire, deux sont privilégiés, savoir le maître-autel et l'autel de Saint-Benoît. Un troisième objet de dévotion dans la Cella de Marie, c'est le Chemin de la Croix érigé, en 1757, dans ce foyer de la piété chrétienne.

 

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2. Notre-Dame de Lilienthal ou de la Vallée des Lys

 

CITEAUX ET SES TRENTE FILIALES EN SUISSE. — FELDBACH ET KALCHREIN. —LA VALLÉE DES LYS. — LES RELIQUES DE SAINTE AURÉLIE. — MONASTÈRES SUPPRIMÉS PAR LE FANATISME ANTICATHOLIQUE.

 

La maison de Cîteaux, fondée en 1098 par saint Robert de Molesme, a été, ainsi que ses quatre filles, parmi lesquelles brille Clairvaux, d'une fécondité qui tient du prodige. Ce ne sont pas des centaines, mais bien des milliers de monastères cisterciens de l'un et de l'autre sexe, qui ont couvert l'Europe du XIe au XIVe siècle, ravissant la terre par le spectacle des austérités saintes de l'amour animant la foi, et envoyant au Ciel des pléïades de saints et d'élus. Avant l'invasion des erreurs grossières du XVIe siècle, on ne comptait pas moins de trente maisons de Cîteaux dans les limites de la Suisse actuelle. Dix étaient des monastères d'hommes, et vingt des monastères de femmes. S'il reste encore debout huit de ces derniers, les autres, ainsi que toutes les maisons de Cisterciens (nous y comprenons les Bernardins), sont tombés sous les coups de l'ange du mal et d'un triple ennemi qui les a battus en brèche : le protestantisme du XVIe siècle, la Révolution du siècle dernier, et le libéralisme, dit aussi radicalisme, qui continue à exercer ses ravages dans la société contemporaine.

Dans le canton de Thurgovie, trois maisons d'humbles Cisterciens, dont l'origine remontait au XIIIe siècle, ont été la gloire et le parfum de cette contrée pendant une durée de six siècles. Il fallait au pouvoir le radicalisme maçonnique de 1848 pour anéantir ce foyer de vertus, de paix et de sainteté.

Feldbach, près de Steckhorn, avait été fondé en 1252 dans, un site charmant, presque sur les bords du Rhin. Il avait été l'objet de nombreuses donations de ses bienfaiteurs, les abbés de Reichenau. Quarante abbesses se sont succédé à la tête de cette communauté sainte. En ce moment, l'Abbaye est la propriété de nous ne savons quel particulier. N'est-ce pas Proudhon qui a dit : « La propriété, c'est le vol »? Il a oublié

 

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d'ajouter, au cas que nous signalons, c'est le vol sacrilège.

Un second monastère de Cisterciennes était la Cella de Marie à Kalchrein, fondé en 1230 par le noble Conrad de Klingenberg. Le gouvernement radical de Thurgovie les a expulsées en 1848, et le monastère est devenu une maison de correction!

Les Cisterciennes ou Bernardines de Feldbach, de même que celles de Kalchrein, vivaient dans la plus parfaite harmonie avec leurs Soeurs de Dänikon ou Tennikon. C'est en 1257 que les sires Eberhard de Bichelsée, père et fils, avaient fondé, sur les bords de la Lützelmurg, entre Winterthour et Wyl, ce troisième monastère pour les vierges de l'Ordre de Cîteaux. Les comtes de Toggenbourg, les sires de Landenbourg, et plusieurs autres, s'étaient montrés généreux envers les Cisterciennes de Dänikon. Mais aussi, quel beau nom elles avaient su donner à leur monastère : « La Vallée des Lys »! Vallis liliorum. C'était rappeler à tous, et surtout à elles-mêmes, que la sainte virginité, dont elles donnaient l'exemple, était la vertu privilégiée et nécessaire des enfants de Dieu et de la Vierge Immaculée. Le lys, n'est-ce pas la blancheur de la pureté? Le lys, n'est-ce pas le parfum de la chasteté qui fait le vrai chrétien ? Sicut lilium inter spinas. N'était-ce pas là le chant aimé du grand serviteur de Marie, saint Bernard? C'était en efïet,pour perpétuer le souvenir du passage du saint de Clairvaux à Dänikon, lorsqu'il prêchait la deuxième Croisade, qu'avait été fondé le couvent des Filles de saint Bernard dans cette vallée des lys.

On comprend que leur église, l'église de Notre-Dame des Lys, ait été, dès son origine, visitée avec un pieux empressement par tous les fidèles des environs. Il est vrai que la dévotion à la sainte Mère de Dieu reçut un nouvel élan, lorsque l'église des Lys vit sur ses autels les ornements sacrés, lys mêlés de roses, venus de Rome en 1651. Nous voulons parler du corps virginal de la sainte martyre Aurélie. Il y eut alors redoublement de ferveur à visiter l'église des Cisterciennes de Dänikon. Et cette ferveur populaire s'est à peine ralentie, même après l'expulsion maçonnique des Filles de saint Robert et de saint Bernard. Chaque année, il y a encore affluence à la fête du saint de Clairvaux et à celle de sainte Aurélie, vierge et martyre.

 

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Ce que nous venons de dire de la dévotion populaire à Notre-Dame de Dänikon, se dirait avec non moins de raison et de vérité de toutes les églises des monastères qui fleurissaient autrefois dans le beau pays qu'arrose la Thur. Il y avait les Augustins, que saint Conrad avait établis à Creuzlingen, près de Constance, dès l'an 938. Il y avait aussi à Ittingen les dignes fils de saint Bruno, dont la Chartreuse avait pris la place, en 1462, des Augustins établis en ce lieu depuis trois siècles. Il y avait encore, non loin de Schaffhouse, les filles de sainte Claire, dont « le Paradis », c'était le nom de leur couvent, devait son existence, en 1253, au comte Hartmann de Kybourg, et qui fut enlevé, en 1836, aux pieuses Clarisses, réunies par le radicalisme thurgovien aux filles de saint Dominique établies, en 1242, dans « la Vallée de Sainte-Catherine » près de Dienenhofen. Il y avait, dès 1083, les Bénédictins de Wagenhausen et les Bénédictines de Münsterlingen, dont le monastère a été converti par le radicalisme en Hospice d'aliénés! Or, toutes les églises de ces communautés saintes avaient leur autel de la très Sainte-Vierge, leur Patronne et leur Mère, comme elle est la Mère et la Protectrice des chrétiens, aimant à se porter en foule, pleins de dévotion, aux pieds de Marie Immaculée et de sa resplendissante image.

Il en était de même à Fischingen et à Frauenfeld, lorsqu'en 1848, année d'explosion de haine maçonnique contre l'Eglise, les Pères Capucins furent proscrits de cette dernière ville, où depuis 1591 ils faisaient un bien immense ainsi que dans toute la contrée.

Ici, que de réflexions se pressent sous notre plume ! Nous les livrons à la sagacité du lecteur.

 

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§ 6. ZOUG

 

LA CATASTROPHE DE 1887. — QUATRE MAISONS RELIGIEUSES. — LES BERNARDINES DE FRAUENTHAL. — LES PP. CAPUCINS ET LES SŒURS CAPUCINES A ZOUG. — LES SŒURS DE LA CROIX A CHAMP.

 

 

L'année 1887 a donné à Zoug une lugubre célébrité. Tout un quartier, bien populeux, de cette charmante ville, s'effondrant dans les eaux perfides de son beau lac, quelle catastropher Et, après le désastre, quel spectacle ! Et quelle épreuve pour une population tout entière ! Mais aussi il est doux à notre patriotisme de l'ajouter : quelles vives sympathies a éveillées dans tous les coeurs de la Suisse, sans distinction de confession religieuse, le malheur navrant d'une ville aimée de tous ! Et quel empressement général dans toute la Suisse, à venir en aide à l'infortune qui frappait Zoug! Consolation pour cette ville et ses paisibles habitants. Autre consolation : le Père commun des fidèles lui-même s'est ému du malheur des catholiques de Zoug. Les 4,000 fr. qu'il a su, dans sa pauvreté, leur envoyer, ne sont pas un des moindres soulagements de cette cité dans sa douleur.

Zoug est une ville catholique, entourée d'un pays catholique formant le canton de ce nom. Cependant les sanctuaires de Marie n'y sont pas multipliés. Chaque église, il est vrai, a son autel et ses confréries de la Mère de Dieu. Chaque monastère est comme un foyer vivant de dévotion à la Vierge des vierges.

A une lieue au nord du lac de Zoug, dans une île riante formée par deux bras de la Lorze, peu avant son embouchure dans la Reuss, on voit le beau couvent dit la Vallée de Notre-Dame ou Frauenthal, Vallis Mariae. Des filles de saint Bernard furent établies en ce lieu dès l'an 1231 par le noble chevalier Ulrich de Schnabelbourg et sa digne épouse Agnès d'Eschenbach. L'église des blanches Cisterciennes, on le comprend, est l'église de Marie. Marie a là, depuis plus de six cents ans, un de ses plus doux sanctuaires.

 

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Un autre sanctuaire improprement dit, de la Mère de Dieu, c'est l'église austère des Pères Capucins, fixés à Zoug il y a bientôt trois siècles (1595), pour l'édification sainte de la ville et de toute la contrée. Il en est de même de l'église des Soeurs Capucines, qui ont succédé en 1612 aux Franciscaines, comme celles-ci, en 1591, avaient pris la place des Béguines, qu'on trouve à Zoug déjà en 1309. Leur monastère, auquel est jointe une excellente école, porte le nom de Présentation de la très Sainte-Vierge. Dès lors, leur église ne peut être qu'un beau sanctuaire de Marie.

Cham aussi possède, au pied de son petit château et non loin de sa magnifique église, un vrai sanctuaire de Marie. C'est l'église des Soeurs de la Croix et de leur nombreux et intéressant pensionnat. On y prie, on y chante, on y invoque Marie avec la ferveur qu'y mettent les voix angéliques, dont les harmonies montent, à chaque fête de Marie, vers son trône de grâces et de miséricordieux amour.

Cependant, il faut le dire, les églises que nous venons de mentionner ne sont pas, aux yeux du peuple chrétien, des sanctuaires où il va de préférence porter ses prières à Marie et lui offrir les ex-voto de la reconnaissance.

De ces sanctuaires bénis, nous ne connaissons que : Notre-Dame du Gùbel, la chapelle de Walterschwyl et celle de la Sainte-Vierge, à Zoug.

 

1. Notre-Dame du Gubel

 

LE SITE PRÈS DE SCHOENBRUNN ET DE MENZINGEN. — LES CAPUCINES. — LA VICTOIRE DU GUBEL (1531). — LES DIX-HUIT VEUVES A EINSIEDELN. — CHAPELLE DE MARIE AU GUBEL (1558). — LES GARDIENS ELSENER ET WYSENEGGER. — INCENDIE ET RECONSTRUCTION (1780). — FÊTE COMMÉMORATIVE (1831). — LUCERNE ET MARIAHILF (1843). — DÉFAITE DES CORPS FRANCS. (1845). — L'ADORATION PERPÉTUELLE (1851.)

 

Ce sanctuaire de Marie offre à notre étude le double intérêt de la religion et du patriotisme. Nous pourrions y ajouter l'intérêt ou plutôt le charme de son site. Aussi, que de fois

 

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et avec quel bonheur nous y avons porté nos pas, des bains de Schoenbrunn, soit seul, soit en compagnie de Monseigneur l'évêque de Bâle ou du Dr Edouard Hornstein , théologien autant que littérateur.

A une lieue à l'est de Zoug, s'élève une vaste et verdoyante colline, aux pentes douces et fertiles du côté du nord ainsi qu'à l'est vers Menzingen, où les Soeurs Théodosiennes forment à la piété les jeunes filles de la Suisse dans leur vaste et brillant pensionnat. Au Sud, la colline descend par des pentes rapides jusque sur les bords du lac d'Egeri. Cette colline, qui offre à son sommet de magnifiques points de vue, c'est le Gubel. Il a pour couronne un gracieux monastère avec son église, où le Saint-Sacrement, exposé nuit et jour, appelle sans cesse les adorations des fidèles, et plus encore celles des ferventes Capucines qui habitent ce sommet voisin des nues et tout près du ciel.

Cet asile des Filles de saint François ne remonte pas à une bien haute origine. Ce n'est qu'en 1851 qu'il fut inauguré par la première supérieure, Soeur Salesia Wahr, de Bâle-Ville et deux religieuses, dans le but d'y établir, comme chez les Norbertiennes à Sion près d'Utznach, l'admirable dévotion de l'Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement.

Toutefois, si le couvent du Gubel n'est que d'existence récente, il n'en est pas de même de la chapelle et du sanctuaire de Marie auquel a succédé l'église du monastère.

 

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Le 11 octobre 1531 avait vu l'hérésiarque Zwingli mordre la poussière au milieu des siens à Cappel, sous les murs du monastère Cistercien établi sur les bords de l'Albis, en 1185, par les pieux chevaliers d'Eschenbach.

Après cette sanglante défaite , les Zurichois songèrent à prendre leur revanche. Dans ce but, le capitaine Frey avait réuni un corps de 6,600 hommes, composé de sectaires accourus, non seulement de Zurich, mais de Saint-Gall, de Schaffhouse, de Thurgovie, de Mulhouse et du Toggenberg. Déjà cette armée

 

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de fanatiques avait pénétré jusqu'au coeur du catholique pays de Zoug. Campée au sommet du Gubel, elle menaçait de l'hérésie et du massacre la contrée entière.

Cependant un brave, nommé Iten, d'Aegeri, groupe en silence autour de sa bannière 650 pâtres. Il leur donne le mot d'ordre des catholiques à Cappel : Marie, Mère de Dieu ! Puis il les revêt de sarraus blancs, signe de ralliement, et la nuit venue, après une prière fervente faite à genoux par cette poignée de soldats improvisés, tous gravissent en silence la colline du Gubel. Ils arrivent aux portes du camp des zwingliens. Ils y pénètrent. L'action s'engage. Bientôt le sol est jonché de cadavres : 1300 ennemis sont tombés, comme à Sempach, sous les coups des Morgenstern. Frey lui-même est au nombre des morts. Le reste de son armée se débande, jette ses armes, et cherche son salut dans la fuite.

Cette victoire de 650 pâtres, dont le zèle pour la foi a fait autant de héros, eut lieu le 23 octobre 1531, trois semaines après la victoire de Cappel.

Ainsi raconte l'histoire. Nous disons l'histoire tronquée, incomplète, connue sous le nom d'histoire profane. Mais voici ce qu'elle ne raconte pas.

Nous lisons dans le registre des anniversaires de Menzingen : « A l'époque où les cinq cantons catholiques étaient violemment menacés de la perte de leur foi et de leur liberté, en 1531, du 20 octobre au 19 novembre, dix-huit veuves choisies parmi les plus pieuses de la contrée, étaient à Einsiedlen où elles avaient été envoyées des cantons catholiques, et là, nuit et jour, elles se succédaient six à six aux pieds de la très Sainte-Vierge devant sa sainte chapelle, et la priaient sans discontinuer pour le succès des armes catholiques. »

Et maintenant, aux yeux de quiconque a la foi et connaît l'efficacité de cette toute-puissance que Dieu a mise aux mains de l'homme sous le nom de prière, nous osons le demander : à qui revient avant tout l'honneur de la victoire inespérée du Gubel? Et à qui, trois semaines auparavant la gloire de Cappel ? Car tandis que les guerriers, comme plus tard à Willmergen, courent à la bataille à ce mot d'ordre : Marie, Mère de Dieu!

 

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n'oublions pas que des milliers de voix de femmes, d'enfants et de vieillards ne cessaient de monter vers le ciel et de dire à Marie : Reine de la victoire sur toutes les hérésies, sauvez-nous ! sauvez nos pères, nos époux, nos fils et nos frères !

 

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La foi éclairée et vive des vainqueurs du Gubel n'hésita pas à le proclamer : « C'est à Marie, c'est à la Mère de Dieu, s'écrièrent-ils d'une commune voix, que nous devons la victoire. Il est donc juste, ajoutèrent-ils, de consacrer à jamais le souvenir d'un événement qui nous a valu la paix, la liberté et la conservation de la foi chrétienne dans sa plénitude et sa pureté. Qu'un sanctuaire s'élève sur le lieu du combat, à la gloire du Dieu tout-puissant, à l'honneur de son Immaculée Mère et du saint évêque Séverin, comme aussi de toute l'armée céleste, en actions de grâces d'une victoire dont l'éclat n'est autre que l'éclat même d'un miracle. »

Et comme à Morgarten, comme à Sempach, la chapelle fut bâtie au sommet du Gubel, dès qu'une ère de paix durable se fut levée sur la patrie Suisse (1558).

Un siècle après, la chapelle de Marie au Gubel, visitée souvent par de pieux pèlerins, eut enfin son gardien. Caspar Elsener, de Menzingen, n'avait pas oublié, dans la tourmente des camps, la foi, la piété de son jeune âge. A son retour du service de France, il voua sa vie à honorer la divine Mère en gardant sa sainte chapelle. Avec le concours de personnes pieuses, et d'hommes bien pensants, entre autres, de son ancien capitaine, le baron de Zurlauben, de Zoug, Elsener se construisit une humble demeure où il vécut saintement jusqu'en 1689, année de sa mort. Après lui, d'autres Frères ermites occupèrent ce poste d'honneur. Le plus distingué parmi eux fut le Père Joseph Wisenegger, prêtre du Tiers-Ordre de Saint-François. Il était originaire du diocèse de Salzbourg. Il est mort au Gubel en odeur de sainteté l'année 1751, après avoir passé près de quarante ans dans cette solitude. Son corps repose dans le choeur de la chapelle.

Trente ans après, un incendie dévora la chapelle avec l'ermitage.

 

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C'était le 13 octobre 1780, en plein jour. On remarque cette particularité, que le feu respecta le maître-autel et les sceaux de sa consécration, au point qu'on aurait pu, dès le lendemain même de l'incendie, y célébrer la messe.

L'année suivante, on reconstruisit la chapelle, qui ne fit que gagner en dimension et en beauté.

Trois siècles après la bataille du Gubel, le 23 octobre 1831, un nombre imposant de fidèles étaient assemblés dans la chapelle de Marie et autour de son enceinte trop étroite. Cette foule pieuse, recueillie, émue, célébrait l'anniversaire de la victoire de 1531. Et chaque année, à la date du 23 octobre, fête de saint Séverin, un service solennel a lieu dans le sanctuaire de Marie, où la voix de l'éloquence à la fois chrétienne et patriotique fait couler de bien douces larmes.

 

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En 1843, Notre-Dame Auxiliatrice, c'est le nom sous lequel Marie est invoquée au Gubel (Mariahilf), vit à ses pieds, sur ses sommets radieux, un pèlerinage animé du plus noble enthousiasme. C'était le canton de Lucerne tout entier qui se donnait rendez-vous dans le sanctuaire de la Reine des victoires.

Ce canton catholique était alors sous le coup des menaces les plus violentes du « libéralisme » en Suisse. Contre les .Jésuites, appelés à Lucerne en 1844 par un gouvernement qui avait la sainte audace de sa foi, tous les « libéraux » de la Suisse, protestants ou prétendus catholiques, hurlaient en choeur. Ils en voulaient surtout à un homme de foi, de conviction et d'énergie. Cet homme, une des gloires impérissables du canton de Lucerne, c'était Joseph Leu, d'Ebersol. Déjà le « libéralisme », sous sa peau de brebis, fourbissait dans l'ombre l'arme qui devait faire du brave Leu un martyr de la religion et de la liberté. Leu s'en doutait-il? Pensait-il, lui, l'homme de la droiture et de la loyauté, que la haine de ses adversaires politiques pût aller jusqu'au meurtre, jusqu'à l'assassinat maçonnique? Quoiqu'il en soit, Leu était, en 1843, â la tête du pèlerinage national que nous venons de mentionner. Et il était là, disait-il aux hommes qui voulaient parler de politique à ses milliers de concitoyens,

 

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« non pour faire de la politique, mais uniquement pour prier Celui qui donne la sagesse dans les conseils et le courage au sein des combats. »

Deux ans ne s'étaient pas écoulés, que Lucerne était mis en demeure de produire au grand jour et cette sagesse et ce courage. Le 1er avril, un corps franc, composé de plus de 14.000 fanatiques, aux ordres du fougueux Ochsenbein, envahissait le canton de Lucerne. Cette troupe, levée et stipendiée par la maçonnerie, qui lui avait fourni armes et canons, s'avança, à travers quelques succès partiels, jusque sur la hauteur du Gütsch, d'où elle pouvait à son aise bombarder Lucerne.

C'en était fait de la ville et de son gouvernement catholique. Mais aux pieds de la Vierge du Gubel, des voix suppliantes se faisaient entendre avec une grande ferveur. Ces voix étaient pures. C'étaient celles des enfants de Menzingen, priant Marie de protéger la ville de Lucerne et son canton et de mettre en fuite ses perfides envahisseurs. La prière des anges de la terre est entendue. Au moment oit Lucerne va tomber aux mains des corps-francs, une panique s'empare de cette nouvelle armée de Suédois; elle se débande; elle prend la fuite. Et dans sa fuite précipitée, elle va se heurter, à Malters, aux armes d'un bataillon de milices lucernoises qui tue une centaine de « corps-francs », fait déposer les armes au reste de la bande et ramène 1,800 prisonniers à Lucerne. Il va sans dire que le brave général de cette armée avait trouvé son salut dans la fuite. La gloire du général rejaillissait sur Berne. Et Berne, fière de son héroïsme, l'en récompensa en l'élevant peu après aux premières charges de la République.

En attendant, la victoire avait couronné les drapeaux du catholicisme et de la liberté de tout un pays. Et cette prompte victoire, le pays vainqueur en faisait hommage à juste titre à Celle que des milliers de voix n'avaient cessé d'invoquer, et n'avaient pas invoquée en vain.

 

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La victoire de Malters avait eu lieu le 30 mai 1845. Pendant tout le mois de juin, on vit des milliers de pèlerins gravir les

 

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collines du Gubel. Les uns allaient accomplir leur voeu fait à Notre-Dame de Bon-Secours. Les autres allaient la supplier de ramener la paix dans la Suisse agitée et profondément troublée par le mot d'ordre maçonnico-libéral : Guerre aux Jésuites !

C'est dans ces circonstances, pleines de menaces pour la liberté de conscience, qu'une pensée généreuse vint à éclore. Pour appeler sur la patrie suisse, et en particulier sur les cantons catholiques, les bénédictions d'en Haut, on résolut de fonder, près de la chapelle de Marie au Gubel, un monastère ayant pour but l'expiation et la réparation, par l'adoration perpétuelle de Jésus-Christ dans le Sacrement de son amour. Ce projet, ratifié par la commune de Menzingen, reçut la haute approbation du pieux et savant évêque de Bâle, Joseph-Antoine Salzmann, lucernois d'origine. Le 23 octobre 1846, la première pierre du couvent fut posée. Grâce aux souscriptions volontaires et aux libéralités qui eurent lieu en faveur de cette grande oeuvre, le monastère fut achevé en 1851, et le 24 septembre, les trois premières religieuses dont nous avons parlé, y firent solennellement leur entrée et leurs voeux. Leur oeuvre de zèle a prospéré. Le Gubel compte de nos jours plus de trente Capucines, qui ne savent qu'une chose : aimer Jésus-Christ et le servir, en le glorifiant dans le plus doux de ses bienfaits, comme aussi en bénissant et invoquant nuit et jour sa divine Mère.

 

2. Chapelle de Marie à Walterschwyl

 

LES CISTERCIENS DE WETTINGEN. — UNE FONDATION. —

PÈLERINAGE.

 

Nous voici à une lieue et demie de Baar, non loin des bords de la Sihl. Au pied d'un vieux castel, habité jadis par de preux chevaliers, s'élève un groupe de maisons que domine de sa tour gracieuse, où se balancent deux voix aériennes, un sanctuaire assez vaste pour être orné de trois autels.

Cette chapelle dédiée à la Sainte-Vierge et à son fidèle serviteur saint Wendelin, c'est Notre-Dame de Walterschwyl.

 

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Et les maisons qui l'entourent sont les anciens bains de ce nom. Ils furent longtemps la propriété des Cisterciens de Wettingen, lesquels, las d'incessantes vexations, s'en dessaisirent totalement en 1750.

Bientôt après, les bâtiments et les bains, mal entretenus, s'en allèrent à moitié en ruines. La chapelle resta debout.

Des mains pieuses eurent soin de la conserver et de l'orner. Dès le XVe siècle, on allait y prier la douce Mère des miséricordes. Les prières et les visites à son sanctuaire se ralentirent, il est vrai, après le départ du Père cistercien chargé de l'administration des bains et de la desserte de la chapelle. Néanmoins, la sainte Messe continua à y être célébrée au moins le dimanche en faveur des catholiques des environs. Une fondation eut même lieu dans ce but.

De nos jours, la chapelle de Marie, avec son autel renouvelé et sa Vierge des Sept-Douleurs, voit de nombreux pèlerins y apporter la ferveur de leurs supplications. Ils peuvent s'appliquer à eux-mêmes la devise de Wettingen qui brille dans ses armes au-dessous de l'Étoile des mers : Non mergor. « Je ne fais point naufrage. » Non, point de naufrage, dit le grand poète de Marie, le doux saint Bernard, « point de naufrage possible pour l'âme qui sait invoquer l'auguste Reine du Ciel. »

 

3. Chapelle de Marie à Zoug

 

ANTIQUITÉ. — FONDATIONS ET CHAPELAINS. — BAPTÊMES.

 

« En 1280, raconte la Chronique de Zoug, la fête de Notre-Dame des Neiges vit arriver, à la suite du chevalier Pierre de Schwanden, une immense procession aux pieds de la Sainte-Vierge dans sa chapelle de Zoug. »

On voit que l'origine de ce sanctuaire de Marie remonte bien haut. C'est ce qui explique en partie la ferveur du peuple chrétien à y porter ses pas et ses prières. Les siècles y ont laissé l'empreinte de leurs bienfaits. De nombreuses fondations ont été faites en ce lieu vénéré par toute une suite de

 

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générations dévouées au Fils de Dieu et à son Immaculée Mère. Aussi deux chapelains sont au service de ce sanctuaire, où la statue de Marie portant dans ses bras le divin Enfant, est pleine de grâce et d'attraits.

Ce sanctuaire qui s'élève dans la vieille ville sur les bords du lac, dont elle domine les flots, est le plus ancien monument religieux de Zoug. C'est pour cela, sans doute, qu'on continue à travers les siècles à y porter les nouveaux-nés, pour recevoir aux pieds de la Mère des chrétiens le bienfait de la régénération baptismale.

 

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Nous terminons ici la notice des sanctuaires consacrés à la Vierge Immaculée dans le diocèse de Bâle, d'où l'ordre que nous nous sommes tracé nous appelle dans le

 

 

II DIOCÈSE DE COIRE

 

§ 1. LES GRISONS

 

MARIE INVOQUÉE DÈS LES PREMIERS SIÈCLES. — L'HÉRÉSIE ET SES RAVAGES. — LE SCHISME DE 1873. — IGNORANCE ET CORRUPTION. LES « RÉFORMATEURS » (Sic) DES GRISONS. — SANCTUAIRES DE MARIE CONSERVÉS.

 

Ce diocèse est bien l'un des plus anciens de la Suisse. La religion chrétienne y fut prêchée et pratiquée dès les premiers siècles de notre ère. Les premiers évangélisateurs de la vaste contrée des Grisons ne furent autres, pensons-nous, que les soldats chrétiens qui se trouvaient en nombre sans cesse grandissant dans les légions romaines, occupant ou parcourant ce pays.

Un de ces apôtres ceints de l'épée fut sans doute le soldat

 

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martyr, saint Fidèle , martyrisé à Côme, sous l'empereur Maximien.

Mais avant lui déjà, en remontant au IIe siècle, la tradition nomme saint Lucius et la sainte martyre Emérita, qui vinrent  semer dans les Grisons le bon grain de l'Evangile.

Mais quels furent les premiers évêques de Coire ? On l'ignore sans doute. Le plus ancien dont l'histoire nous dise le nom est saint Asimo, dans la première moitié du Ve siècle. Après lui sur le siège de Coire, viennent d'autres évêques honorés comme saints dès la plus haute antiquité. Ce sont saint Valentin en 540 et saint Ursanne II, vers 720.

Dans le diocèse de Coire, et en particulier clans les vallées des Grisons, le nom du Fils de Dieu fait homme ne put être prononcé ni adoré sans qu'on y mêlât dès l'origine le nom virginal, immaculé, de sa très douce Mère. Marie eut ainsi dès les siècles les plus reculés ses pieux invocateurs, puis ses premiers sanctuaires sur les bords de l'Inn et du Rhin. Ces sanctuaires, comme les autels de Marie, allèrent en se multipliant avec la foi des siècles. Le culte de la divine Mère, rayonnant au loin, de l'antique cathédrale de Coire dans toutes les montagnes des environs, avait atteint son apogée, lorsque la tempête du XVle siècle éclata soudain sur l'Eglise et se déchaîna comme un ouragan sur les religieuses populations du diocèse de Coire.

 

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L'ignorance produit l'erreur, et l'erreur appuyée sur l'orgueil devient l'hérésie. Elle devient aussi le schisme. Car le schisme ignore comme l'hérésie, ou feint, comme elle, d'ignorer la vérité. Nous parlons, on l'a compris, de la vérité chrétienne, inconnue ou méconnue, travestie, dédaignée ici par le schisme ignorant, là par l'ignorante hérésie. Hérésie ou schisme, les mauvaises moeurs en sortent comme les vers d'une chair pourrie. Abaissé, avili, dégradé, un homme que ronge l'immoralité, fille de l'erreur, est mûr pour l'apostasie. Il n'aime pas, il ne peut pas aimer la religion qui le condamne. Il est dans la nature du vice de haïr la vérité; il la fuit, il la persécute, il lui fait la guerre.

 

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Tels furent, ignorants et vicieux, au XVIe siècle, Luther en Allemagne, et en Suisse Zwingli, OEcolampade et Farel.

Impatients du joug sacré de la chasteté sacerdotale, ils ont secoué du même coup, et par contre-coup, avec ce noble joug, le joug divin de la vérité. L'erreur les a revêtus de son manteau de malédiction, ou plutôt ils ont eux-mêmes jeté ce manteau, comme une cuirasse, sur la honte de leur vie et l'infamie de leurs moeurs sacrilèges.

Ils ont fait plus. Poussés par l'esprit d'orgueil, qui est bien l'esprit de Satan leur maître, Luther, Zwingli et les autres, ont rivalisé de haine contre la vérité, et de zèle pour la détruire en la défigurant. Car la vérité religieuse est tout entière ou elle n'est, en ses tronçons, que chimère et absurdité.

Cependant, il faut bien l'avouer, les pères du mensonge auraient eu beau, au XVIe siècle, déployer tout le bruit de leur faconde, si de leur temps la société eut été moins ignorante. C'est l'ignorance du peuple qui a fait le succès, le triomphe du prêche hérétique. Nous en avons une preuve éclatante dans le siècle où nous vivons. Des prêtres libertins, vicieux, ignorants, se sont érigés en docteurs de mensonge. Emules du moine allemand et de ses consorts, n'ont-ils pas levé l'étendard de la révolte contre la vérité catholique? Forts de l'appui du pouvoir civil, n'ont-ils pas remué ciel et terre pour créer au sein et aux dépens du catholicisme, une nouvelle secte non moins absurde que celle des Luther, des Zwingli et des Farel ? Et quel écho a trouvé leur parole ? Quelle adhésion a rencontré leur schisme hérétique? L'ignorance seule a répondu au bruit de leur tam-tam, l'ignorance, disons-nous, avec son triste cortège de vices, d'orgueil, de fausse science et d'impiété. Voilà bien en deux mots la secte vieille-catholique. Et pas une âme de bonne foi, même parmi ses membres, ne songera à le contester.

Nous avons donc ici, sous nos yeux, la contre-épreuve de ce qui s'est passé dans notre Europe au XVIe siècle de l'ère chrétienne. Si des peuples entiers se sont jetés dans les bras de l'erreur, si leurs chefs, au nom d'une fausse liberté, leur en ont imposé le joug dégradant, c'est que ces peuples étaient laissés

 

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dans l'ignorance de la vérité religieuse. Etait-ce le crime du clergé ? Oui et non. Le clergé lui-même n'était rien moins qu'instruit. Nous n'en voulons d'autre preuve que l'empressement d'un trop grand nombre d'ecclésiastiques, à applaudir aux erreurs faciles des hérésiarques, à leurs exemples et à leur évangile, plus commode que l'Evangile de Jésus-Christ et de sa divine Eglise.

N'est-ce pas l'ignorance du clergé qui explique, bien plus encore que son absence de piété ou de moralité, ce fait monstrueux qu'en 1528, sur 200 prêtres et plus, la plupart à la tête des paroisses dans le canton de Berne, et il ne s'en est pas trouvé 30 qui aient préféré l'exil à la perte de leur âme, de leur religion et de leur foi? Même phénomène à Bâle, à Zurich, à Saint-Gall, à Neuchâtel, à Genève et à Lausanne. Et ce sont tous ces prêtres, séculiers ou moines, que leur ignorance rendaient prévaricateurs, traîtres à Dieu, à l'Eglise au peuple et à eux-mêmes, ce sont ces tristes Judas que le protestantisme, bon gré malgré, appelle ses pères. Triste origine et triste gloire d'une religion qui n'en est pas et qui n'en peut être une

 

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Ces réflexions nous sont inspirées tout naturellement par la chiite de la moitié et plus de la population catholique des Grisons, entraînée, à la suite d'un trop grand nombre d'ecclésiastiques ignorants et sacrilèges, dans l'abîme de l'erreur, où tant d'âmes continuent à se débattre et à se complaire.

D'après Hottinger et Ruchat, le curé de Davos, un certain Conrad, fut le premier dans lés Grisons à lever le drapeau de la révolte et à prêcher avec les deux Italiens, Biveroni et Salandroni, dès l'année 1522, « le pur Evangile » dans ce pays. Ces « apôtres » furent bientôt suivis dans leur ministère de mensonge par Jean Dorfmann, dit Comander, curé de Coire, secondé en 1524 par les Marmorio, les Stratio et les Bisaccio, qui exerçaient leurs ravages dans l'Engadine, tandis qu'un Monlazio en faisait autant dans la vallée de Munster, et un Saluzio dans tout le pays. En même temps un Brunner et un

 

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Hartmann, de Sargans, détruisaient la foi à Ilantz, pendant qu'un Samuel Frick, curé de Mayenfeld, à peine revenu de Rome, cédait à l'esprit d'erreur et pervertissait sa propre paroisse. En 1525, on ne comptait pas moins de quarante missionnaires zwingliens semant leurs erreurs à pleines mains dans les trois ligues des Grisons. En face de ce débordement, l'évêque de Coire, Paul Ziegler, avec les chanoines de sa cathédrale et l'Abbé de Saint-Lucius, Théodore Schlegel, essayèrent en vain de s'y opposer en portant leurs plaintes, en 1525, devant l'assemblée des représentants des ligues réunies à Coire. Ceux-ci, gagnés en partie à la cause de l'erreur, n'y répondirent qu'en demanda* une conférence religieuse, dont ils fixèrent le jour et le lieu. Elle devait se tenir à Ilantz, le 7 janvier 1526. Cette conférence eut lieu en effet à la date fixée. L'Abbé de Saint-Lucius et l'Official de l'Evêché y parurent. lls n'eurent pas de peine à défendre victorieusement les vérités catholiques, attaquées avec violence par les curés Dorfmann et Saluzio, qui avaient appelé à leur aide deux Zurichois, le ministre Hofmayer et l'helléniste Amman. Cependant cette « disputation » n'eut d'autre résultat que l'obstination plus grande des hérétiques dans leurs erreurs et leur acharnement à détruire les statues et les images de Marie et des saints dans les églises à Coire, à Ilantz et en vingt autres lieux. C'était là ce qu'on appelait, avec la suppression de la Messe et des Sacrements, et avec le mariage des prêtres, abolir le papisme. Que de sanctuaires où Marie, dans le canton des Grisons, était jusque-là pieusement invoquée, ont succombés à ce vandalisme de l'impiété iconoclaste, qui décorait ses erreurs et son pavillon du nom menteur de Réforme !

 

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Malgré ces fureurs« de l'impiété dans les Grisons, comme autrefois en Israël, des milliers de genoux refusèrent de fléchir devant Baal et continuèrent à adorer le Dieu de nos autels et de nos tabernacles. Leur dévotion éclairée envers la divine Mère du Sauveur n'en devint que plus ardente. Marie vit ses sanctuaires ornés avec plus de zèle et de goût, se remplir des

 

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chrétiens, demeurés, sous sa sauvegarde puissante, fidèles à Dieu et à sa sainte Eglise.

Nous trouvons encore, dans les Grisons, comme épaves échappées au naufrage de la foi, sept beaux sanctuaires de Marie, où les 43.000 catholiques du canton aiment à invoquer leur Mère.

Nommons avant tout

 

1. Notre-Dame de Dissentis

 

SAINT SIGISBERT, A DISSENTIS (613). — L'ABBÉ, PRINCE DU SAINT-EMPIRE (1570). —DÉVASTATION DES FRANÇAIS (1799). —L'ÉGLISE DE NOTRE-DAME ET LES MONARQUES FRANCS (720-781). — HOMMAGE DE LA VICTOIRE A MARIE (1499). — SAINT CHARLES BORROMÉE A DISSENTIS (1581). — L'ABBÉ CHRÉTIEN DE CASTELBERG.

 

C'était l'an 612. Menacé jusque dans son exil, où le pour-suivait la haine de la terrible Brunehaut, que l'effroyable châtiment dû à ses crimes n'avait pas encore atteinte, saint Colomban venait de dire un suprême adieu à ses bien aimés disciples saint Gall, saint Ursanne et saint Sigisbert. Après le départ du maître pour Robbio, chacun voulut suivre cet exemple et se chercher un désert pour y vivre, loin du monde et de ses bruits, seul avec Dieu. Tandis que saint Gall se réfugiait au sein des forêts plus rapprochées du lac de Brégenz, et que saint Ursanne allait demander aux bords du Doubs les joies austères de la solitude, leur compagnon, saint Sigisbert, remontait les rives du Rhin, et s'enfonçait dans un étroit vallon, dominé par de noirs sommets déserts, n'ayant pour société que les ours des Alpes, souvent plus traitables que les rares habitants de ces montagnes. Sigisbert fixa sa tente en disant le mot du chantre sacré : « Voici le lieu de mon repos, je l'ai choisi à jamais; j'y consommerai ma course. » Aussi bien, Marie était apparue à son fidèle serviteur et lui avait dit : « Etablis ici ta demeure. »

Mais bientôt sa sainteté lui valut des imitateurs. Le disciple

 

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de Colomban devenait maître à son tour. D'humbles cellules s'élevèrent autour de sa cellule. Une modeste église dédiée à Dieu, à la très Sainte-Vierge, et au grand thaumaturge des Gaules, saint Martin, réunit disciples et maître pour le sacrifice, la prière et la psalmodie sainte.

Tels furent les commencements de ce qui devint bientôt la grande et magnifique Abbaye de Dissentis, c'est-à-dire du Désert. On sait que ce monastère du fils de Colomban, et plus tard de saint Benoit, fut bien vu de Charlemagne et de ses successeurs qui contribuèrent à le doter richement. En 1570, l'empereur Maximilien éleva même l'Abbé de Dissentis, Chrétien de Castelberg, à la dignité de prince du Saint-Empire. Par contre, deux siècles plus tard, les Français livraient aux flammes l'Abbaye avec sa vaste bibliothèque, riche surtout en précieux manuscrits. La gloire de ce haut fait de 1799, revient au général Lecourbe, qui exerçait ainsi sa facile valeur, en vrai fils de la révolution, non contre les Russes, mais contre une poignée de moines n'ayant d'autres armes que la prière et le sacrifice.

En se relevant de ses cendres, rajeuni comme le phénix de la fable, le monastère apparut de nouveau avec son église de Notre-Dame, où douze siècles avaient porté à Marie le double hommage de la vénération et de l'espérance. Que de miracles avaient éclaté pendant cette longue période! Et que d'ex-voto avaient été suspendus là par la prière exaucée! Déjà près d'un siècle avant Charlemagne, la piété populaire accourait à ce lieu béni. En 781, Charlemagne lui-même, dit-on, y serait venu prier avec son épouse Hildegarde, à son retour d'un long voyage fait à Rome. Le futur empereur aurait fait alors de riches présents à l'Abbaye, en l'honneur de Marie et des saints Sigisbert et Placide, après avoir vénéré le tombeau miraculeux, où reposaient leurs précieuses reliques. Le roi Pépin en aurait fait autant dans une de ses expéditions en Italie. Ces deux illustres monarques ne faisaient que suivre les traces du vaillant Charles Martel. On raconte, en effet, que l'église fut dévastée par' les barbares au VIIe siècle ainsi que le monastère. Et l'on ajoute qu'au passage des Alpes par Charles

 

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Martel, guerroyant contre l'allemand Luitfrid, il se produisit un fait bien remarquable. Le prince gaulois fit une halte à Dissentis. Les chevaux de son escorte furent logés dans les ruines du sanctuaire de Marie. Le lendemain matin, on les trouva tous morts. Grand étonnement de Charles Martel. Mais lorsqu'il apprit de l'évêque saint Pirmin, qui était à Ptoeffers, que ces ruines étaient celles d'une chapelle miraculeuse de Marie, il s'empressa de la faire reconstruire, ainsi que le monastère tout entier (vers 720).

Reconstruite une seconde fois, après l'incendie qui dévora l'abbaye en 1387, l'église de la Sainte-Vierge vit arriver à son seuil, au sortir des guerres de 1499, une foule immense composée de nombreuses processions. C'étaient les guerriers du pays. Vainqueurs des impériaux à Glurns, non loin des bords de 1'Adige, ils venaient faire un hommage solennel de leur victoire à Marie, et accomplir les voeux faits à son autel sur le champ de bataille.

Un guerrier d'un autre genre et muni d'autres armes, celles dont l'Apôtre revêt le chevalier du Christ dans sa lettre aux fidèles d'Ephèse, le grand archevêque de Milan, saint Charles Borromée, vint à son tour porter les pas de sa piété au sanctuaire de Marie à Dissentis et vénérer en même temps les reliques des deux illustres serviteurs de la Vierge-Immaculée, saint Sigisbert et saint Placide. C'était en 1581. Lorsqu'on apprit à Dissentis que le saint cardinal traversait les alpes pour honorer de sa visite la vallée du Rhin, une procession solennelle s'improvisa comme par enchantement pour aller à sa rencontre. A la vue de tout ce peuple, de ce nombreux clergé portant les chasses des deux saints de l'abbaye, que suivait l'abbé revêtu de ses plus riches ornements, le pieux cardinal, appuyé sur son bâton de voyage, se mit à verser des larmes de piété, de joie et de douce émotion. Le prince abbé, qui eut l'honneur de recevoir au seuil de l'église de Saint-Maurice le digne neveu du grand Pape Pie II, était Chrétien de Castelberg. Il venait rendre à l'abbaye et au sanctuaire de la Mère de Dieu le lustre dont les avait dépouillés un siècle livré au vertige de l'hérésie zwinglienne. Ce prélat, homme

 

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de zèle et d'action, autant et plus qu'aucun de ses prédécesseurs, a bien mérité du monastère de Dissentis et de sa chère église de Marie. En restaurant la dignité du culte dans le lieu saint. en donnant au peuple des confesseurs pieux et instruits, il a l'ait revivre autour de lui la foi des âges chrétiens, et il a eu la consolation de voir par milliers les fidèles reprendre le chemin du sanctuaire de Marie, et venir se prosterner avec bonheur et confiance aux pieds de la Vierge. qui écrase la tête du serpent et triomphe de tous les vices et de toutes les erreurs.

 

2. Notre-Dame de la Lumière à Trons

 

L'ÉRABLE DE TRONS (1424) ET LA CHAPELLE DE MARIE (1444) —

LA LUMIÈRE MERVEILLEUSE. —- DÉDICACE DU SANCTUAIRE (1692).

— L'INCENDIE ÉTEINT. — L'AVALANCHE. — CONCOURS AUX

FÊTES DE LA SAINTE-VIERGE.

 

Entre Dissentis et Ilanz, au milieu d'une fraîche allée sur les bords du Rhin, s'étale un grand et beau village. C'est Trous avec son sol fertile, ses côteaux chargés de vignes et ses souvenirs historiques. C'est là , en effet, qu'à l'ombre d'un érable, témoin vivant qui n'est tombé qu'en 1841 sous les coups du temps et des tempêtes, c'est à l'entrée du village de Trons que fut jurée, en mars 1424, la fédération dite la Ligue Grise. Cette ligue, qui a donné son nom au canton entier des Grisons, eut pour promoteur le célèbre Abbé de Dissentis, Pierre de Pontaniger, de Tawetsch.

Ami du peuple et de la paix, ce prélat avait réuni, sous l'érable de Trous, les députés de plus de vingt communes, auxquels se joignirent les seigneurs de Werdenberg, de San Ot de Rhæzens. Et tous, à la voix de l'Abbé de Dissentis, firent d'une commune voix ce serment solennel : « Nous jurons, sous le regard de la Très Sainte Trinité, que chacun, pauvre ou riche, noble ou non, clerc ou laïque, restera ce qu'il est et s'en tiendra à ce qu'il a. » Ce serment, sauvegarde et respect

 

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des droits de tous, s'est renouvelé au ntènte lieu. de dix ans en dix ans, jusqu'à la veille de la Révolution. Le quatrième centenaire en a été célébré avec éclat en 1421. Mais pour le consacrer par un monument religieux, dès l'année 1844, une chapelle fut bâtie au pied de l'érable au frais ombrage. Ce sanctuaire dédié â sainte Anne, l'auguste mère de la Vierge Immaculée, est encore debout. A l'entrée, on lit en lettres d'or, cette inscription empruntée aux saints Livres : « Vous êtes appelés à la liberté. Où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. Nos pères ont mis leur espérance en Dieu, et Dieu les a rendus libres. »

Les murs de la chapelle sont revêtus de fresques, renouvelées en 1836, et représentant les députés de 1421 on armes, dans une fière et noble attitude. D'autres fresques. dans la grande salle de l'ancien baillage, conservent les armoiries des communes de la, Ligue grise ainsi que celles de tous les baillis depuis 1424.

Si l'amour de notre belle patrie nous a quelque peu attarde â ces grands souvenirs, ce n'est qu'a titre d'introduction à ce que nous avons à rapporter sur le beau sanctuaire, oit Marie reçoit les hommages de la religieuse population de Trolls et des montagnes voisines, qui portent leurs cimes jusqu'aux neiges éternelles.

 

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L'océan avec ses abîmes, ses houles, ses vagues et ses écueils féconds en naufrages, l'océan est une image saisissante du monde, qui menace d'engloutir sans cesse le passager, pousse son frêle esquif sur ses flots mouvants et semés de récifs. Et pour guider le nautonier â travers les périls de sa course, ce n'est pas trop d'un astre laissant tomber de l'azur du ciel la vive et douce lumière de ses feux. Cet astre, chante l'Eglise, c'est Marie, Ave Maris Stella: c'est la Vierge Mère de Dieu, Alma Dei Mater.

C'est sous cette forme, consacrée par la Liturgie sainte de l'Eglise, que Marie daigna se montrer, après la victoire qu'elle venait de donner sur l'hérésie à ses vaillants fils dans les champs de Willmergen.

 

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Pendant toute une semaine, les habitants de 'lions virent briller, aussi bien le jour que la nuit, au-dessus de la colline qui domine le village, un astre immobile, dont les rayons étincelants projetaient au loin une merveilleuse lumière. A cette vue. un sentiment général fit bientôt place à l'étonnement. « C'est l'Astre des mers qui nous visite. Que la Mère de notre Dieu soit à jamais notre Mère ! Exigeons a son nom béni un sanctuaire, où nous irons lui offrir, avec nos louanges, la joie de nos actions de grâces et la ferveur de nos prières !

Et l'on se mit à l'oeuvre.

En 1672, la chapelle était debout. C'était Notre Dame de la Lumière. Elle fut consacrée sous ce nom commémoratif de son origine, par l'évêque de Coire Ulrich de Mont, qui fixa au premier dimanche de mai l'anniversaire de cette cérémonie sainte.

Dès ce montent, le nouveau sanctuaire de Marie vit affluer de toutes parts les fidèles, qui venaient invoquer leur Mère dans les dangers menaçant l'âme ou le corps. Les grâces, qui répondirent abondamment aux prières, ne firent qu'augmenter de jour en jour la confiance des Fils et des Filles de Marie. A deux reprises, le village de Trons eut à éprouver les heureux effets de la protection de la Vierge puissante.

Un jour, le feu prend à une maison au centre du village. La flamme qui la dévore s'attaque aux maisons voisines. Les habitants consternés se sentent impuissants à conjurer le désastre. Une suprême ressource leur demeure : Ils tombent à genoux et élèvent leurs voix et leurs mains suppliantes vers Notre-Dame de la Lumière. A l'instant, la flamme retombe et le village est sauvé.

En 1723, des hauteurs alpestres qui avoisinent Trolls, une avalanche entraînant rochers, terrains et arbres sur son passage, se précipitait avec un bruit formidable vers la vallée. La masse neigeuse roule avec fracas jusqu'à la porte de l'église. La porte cède sous la pression, l'avalanche envahit le sanctuaire, elle pénètre jusqu'à la lampe qui brûle devant l'autel. Le souffle des vents suit l'avalanche, ébranle le lieu saint: la lampe, éclaboussée par la neige, n'éteint pas sa douce lumière.

 

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Image visible de la protection qu'une invisible main étend sur la localité et qui la sauve de la destruction.

De nombreux miracles ont été obtenus par l'intercession de Notre-Dame de la Lumière. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de voir le nombre sans cesse croissant des fidèles qui montent à son sanctuaire en méditant pieusement le Chemin de la Croix, érigé par la population de 'lions sur la route qui y conduit. On est moins surprit encore de savoir qu'un bénéfice a été créé près de cet autel, afin qu'il y ait là un prêtre en permanence, pour offrir chaque jour le Saint-Sacrifice, recevoir les confessions des fidèles et leur administrer le sacrement de vie. Cependant c'est principalement aux fêtes de la Sainte-Vierge que le concours du peuple est grand. Et parmi toutes les fêtes de Marie, celle qui attire le plus de monde à Notre-Dame de la Lumière, c'est celle du saint Nom de Marie, qui est célébrée par un office solennel, avec sermon précédé de très nombreuses communions.

 

3. Notre-Dame de Camps, près de Vals

 

LA VALLÉE DE LUNGNATZ. — INONDATIONS ET AVALANCHES. —CHAPELLE DU XVIe SIÈCLE. — LA VIERGE MIRACULEUSE. — EX VOTO. — PROCESSIONS AU SANCTUAIRE DE MARIE, GARDIENNE DE LA FOI.

 

Le Glenner est un des riches affluents qui apportent au Rhin le tribut de ses cascades et des glaciers des Alpes. En remontant cette rivière, qui est parfois un torrent dévastateur, on arrive dans une des vallées les plus pittoresques du pittoresque pays des Grisons. C'est la vallée de Lungnatz ou de Vals, dite aussi la vallée de Saint-Pierre. Elle s'étend sur une longueur de six lieues. A son extrémité, les escarpements qui l'encadrent se rapprochent au point qu'une porte pourrait fermer le passage.

Cette vallée est fertile, mais une double épée y est suspendue sur la tête de ses catholiques habitants. D'un côté la vallée est sujette à de terribles inondations comme on l'a vu en 1868. Et voici que, d'un autre côté, les avalanches la menacent chaque année de leur désastreuse invasion.

 

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Est-ce, comme on le pense, pour se mettre soles l'égide de Marie contre ce double ennemi, que la chapelle de Camps a été bâtie au flanc de la colline de ce nom, et au-dessus des flots écumeux de la Glenner ?

Quoiqu'il en soit, le sanctuaire actuel ne remonte pas au-delà du XVIe siècle. On y voit une statue miraculeuse de la Très Sainte Vierge. Cette statue, venue de Bohème, est d'une grande beauté. La douceur de ses traits attire et charme le regard des pèlerins. Ceux-ci accourent de toute la vallée aux pieds de la divine Mère. Leurs invocations ne sont pas stériles. Les murs de la chapelle le disent. Ils sont couverts d'ex-voto, rappelant le trésor de toutes les infirmités de l'homme. Et toutes ces infirmités de l’âme et du corps ont trouvé soulagement ou délivrance dans le recours à la divine Mère des chrétiens. Les fidèles de Vals le savent. C'est dans leur paroisse que se trouve ce vénéré sanctuaire. Ils s'y rendent en procession, avec la plus grande piété à toutes les fêtes de la Sainte Vierge. Il en est deux surtout, oie le concours est considérable. C'est la Nativité de la Sainte-Vierge, puis Notre-Dame des Sept-Douleurs.

Puisse la clémente et douce Mère bénir sans cesse ce bon peuple, qui a su, au XVIe siècle, repousser victorieusement l'hérésie et la fureur de ses apôtres ! Marie a gardé ce vallon. Elle lui a conservé le plus précieux de tous les trésors, la religion de la vérité, ou la vérité de la religion. Cet événement n'a sans doute pas été étranger à l'érection de la chapelle de Camps. La reconnaissance envers Marie n'est-elle pas une source de nouveaux bienfaits?

 

 

5. Notre-Dame de Zitail, près de Saluz.

 

LES PATRES DES ALPES. — APPARITION DE MARIE. — DEUX PRODIGES LA CONFIRMENT. — CHAPELLE RATTE (1580) — RECONSTRUCTION ET ÉGLISE. — PIEUX CONCOURS.

 

Dès que le printemps, de son haleine attiédie, fait fondre la neige au pied des Alpes, on voit les troupeaux, conduits par les patres, brouter l'herbe fraîchement éclose à l'ombre des cimes

 

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neigeuses. Ils montent, avec les jours de l'été, jusqu'aux régions les plus élevées. Septembre les ramène et la Saint-Gall (mi-octobre) voit les vaches alpestres reprendre le chemin de leurs chalets.

Il en était ainsi en 1580, lorsque l'humble pâtre. Jacques Dietegen, de Marmots, se trouvait, au déclin de l'été, à la garde de son troupeau. Le brave chrétien sanctifiait ses loisirs à louer, à invoquer sa douce Mère du Ciel. Un jour, Marie apparut à son fervent serviteur. Toute rayonnante d'une lumière qui efface celle du soleil et que la terre ne connaît point, du sein de sa clarté céleste, Marie adresse à son fils bien aimé ces paroles, qui ne cessèrent toute sa vie de retentir à son oreille et à son coeur : « Dis à mon peuple, que s'il ne fait point pénitence, il sera châtié par la peste, la famine et la guerre. Fais construire ici une église en mon honneur. Ne crains pas d'aller en avertir le peuple. Ton affirmation ne sera pas mise en doute, car le Ciel va donner un signe. »

A ces mots, que la Mère des miséricordes redira trois siècles plus tard, sur un autre sommet des Alpes, aux pâtres de la Salette, la vision céleste disparaît. Mais elle laisse une trace de son passage. Sur la pierre qu'avait touchée le pied virginal de Marie, trois gouttes de sang, le sang du Calvaire, imprimèrent une empreinte qui ne s'est, jamais effacée.

Le lieu béni, où s'était passé ce fait merveilleux, était la montagne escarpée de Zitail, dans la paroisse de Saluz, où l'on arrive en remontant l'Albula, puis le Rhin d'Oberhalbstein.

« Le ciel donnera un signe », avait dit Marie à son humble ambassadeur auprès de ses enfants. En effet, le soir même de l'apparition, toute la riante vallée d'Oberhalbstein put contempler un beau spectacle. C'était la montagne de Zitail, qui se montrait revêtue d'un manteau de lumière. Autre signe. Une épidémie ravageait le pays. Elle prit fin à dater de ce jour. C'est ainsi que Marie récompensait cette belle vallée de sa fidélité à l'honorer au sein du temple spirituel de la catholicité ; car l'hérésie zwinglienne avais. été impuissante à étendre son joug d'ignominie sur un peuple éclairé, dévoué à Marie et rendu par elle invincible dans la citadelle de la vérité catholique.

 

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Le récit du pâtre Jacques Dietegen avais troué sa confirmation deux fois éclatante. Aussitôt on se mit à l'oeuvre. La chapelle de Marie éleva son faite vers le ciel. Et la pierre qu'avait foulé son pied immortel, forme encore de nos jours le maître-autel de ce beau sanctuaire.

Il est à peine besoin d'ajouter que la vénération publique s'est attachée la chapelle de Marie à Zitail dès son origine. Et dès son origine aussi, elle a été le témoin des miracles obtenus par la puissante intercession de la Vierge, amie et Mère de tous ceux qui l'invoquent.

Le beau village de Saluz n'échappa à la destruction par le feu que grâce à la protection visible de Marie. En reconnaissance de ce fait, Saluz lit reconstruire à neuf, en l'agrandissant, le sanctuaire de Notre-Dame de Zitail, devenu depuis une belle église avec trois autels.

Malgré l'escarpement de la montagne et la raideur du chemin qui conduit à la sainte chapelle, le peuple y accourt en foule pendant l'été, à diverses fêtes solennelles. Parmi ces fêtes nommons la Visitation de la Sainte-Vierge, Sainte Marie aux Neiges et la Nativité.

L'église est tenue avec soin et ornée avec goût par le R. Père capucin, qui est à la tête de la religieuse paroisse de Saluz.

 

5. La statue miraculeuse de Santa Maria à Münster

 

LE MONASTÈRE DES BÉNÉDICTINES A MUNSTER. — SON ORIGINE ET SES ÉPREUVES. — L'HÉRÉSIE VAINCUE. — SANTA MARIA ET SON ÉGLISE MIXTE ABANDONNÉE AUX PROTESTANTS (1837). — ANTIQUITÉ DE CETTE ÉGLISE. — LA VIERGE MIRACULEUSE. — SA TRANSLATION SOLLENNELLE A MUNSTER. — UN ÉCLATANT MIRACLE.

 

A l'extrémité orientale du canton des Grisons, sur la rive gauche du Rani, affluent de l'Adige, s'élève un monastère de pieuses Bénédictines, dont la fondation remonte au siècle de Charlemagne. Bien plus, à en croire la chronique de cette maison religieuse, le grand empereur lui-même en aurait été fondateur en l'an 801. Aussi, le catalogue des abbesses de ce

 

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monastère, monasterium, Münster, qui a donné son nom et son héritage à la localité qui l'entoure, remonte tel qu'on le possède, jusqu'à l'an 1000. Ce qui ne favorise nullement l'opinion des historiens, tels que Mulinen, qui font du noble Ulrich de Terasp, au XIIe siècle, le principal fondateur de ce convent. Que ce dernier ait été un bienfaiteur de cette église, comme il l'a été de l'église des Bénédictines de Mariaberg, c'est le seul fait réel que puisse admettre l'histoire à son bénéfice.

Le monastère de Saint-Jean-Baptiste avait pour avoués, dés 1421, les ducs d'Autriche, lesquels cédèrent ce droit en 1179 aux Evêques de Coire.

Les guerres de Souabe en 1499, puis la guerre de Trente ans firent essuyer de grandes pertes à la maison des filles de Saint-Benoît. Elles en éprouvèrent de plus grandes encore au passage des Français de la Révolution en 1798 et 1799.

Une double gloire reste leur apanage. Elles ont vaincu deux redoutables ennemis, l'hérésie et le temps. Elles survivent aux bouleversements de dix longs siècles, comme elles ont survécu, en 1526 et en 1537, aux attaques violentes de l'erreur et de ses fougueux partisans.

Sous l'aile de Marie et sous l'égide de saint Benoît, les religieuses de Munster ont gardé le dépôt sacré de la vérité catholique; elles ont su le garder pour elles et pour toutes les âmes éclairées de la lumière de leur foi et de leurs vertus, dans le beau village de Münster.

On sait, en effet, que l'Engadine tout entière s'est jetée dans l'hérésie en 1537, à la voix de l'apostat italien Beveroni et de l'humaniste Ulrich Campell, forts l'un et l'autre de l'appui d'un Frédéric de Salis, qui avait bu le venin de l'erreur à Bâle, où il avait été l'élève trop docile du pédant helléniste le würtembergeois Simon Grynaeus.

En 1838, l'église des Bénédictines et de la paroisse de Munster est devenue l'objet d'un magnifique pèlerinage. En voici l'occasion et l'origine.

 

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A une lieue de Munster, en remontant vers l'Umbrail le vallon du Ram, on arrive à un pauvre hameau qui a nom Santa Maria

 

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(Magdalena). A la misère du sol, les habitants de cette bourgade joignirent, en 1537, la misère religieuse. A la majorité des voix, ils apostasièrent la foi chrétienne et se jetèrent dans les bras de l'hérésie. La minorité conserva néanmoins le droit de célébrer le culte catholique dans l'église du village, commune aux deux cultes. Après de longs frottements entre les fils de la vérité et ceux de l'erreur, les catholiques firent aux derniers, en 1648, une concession assez singulière. Ils signèrent une déclaration portant que l'église et le presbytère seraient la propriété des protestants seuls, au jour où le dernier bourgeois catholique de la localité viendrait à mourir. Les protestants n'avaient pas oublié ce fatal engagement, lorsque mourut, en 1837, la veuve de Capol ; c'était la dernière bourgeoise catholique du lieu. Mis en demeure de s'exécuter, les habitants catholiques se virent forcés d'évacuer le presbytère et l'église le 1er mars 1838. Ils se disposèrent en même temps à évacuer l'endroit, pour se réfugier dans le catholique village de Münster. Mais ils ne voulaient pas émigrer seuls.

 

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L'église de Santa Maria remonte à une haute antiquité. Ce n'était primitivement qu'une chapelle, et voici comment la légende populaire en raconte l'origine.

L'an 800 de notre ère, l'empereur Charlemagne, revenant de Rome, aurait traversé ce pays. Dans son voyage, il était, ajoute-t-on, accompagné de sa soeur, dont on a oublié le nom. Arrivé au passage de l'Umbrail, l'auguste voyageuse se sentait mourir. Dans cette extrémité, elle promit à la Vierge sainte de lui bâtir une chapelle au pied des Alpes, si Marie la sauvait du danger. Le danger disparut, et la soeur de Charlemagne se serait empressée d'accomplir son voeu. Telle serait l'origine de la première église de Santa Maria.

Or, dans cette église se trouvait encore, en 1838, une très ancienne statue de la Sainte-Vierge, vénérée des catholiques et jusque là respectée par les protestants. C'était cette statue sainte que les catholiques se réservèrent d'emporter avec

 

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eux dans leur émigration, au premier, jour de mars de l'an 1838. Cette translation eut lieu en effet, et de la manière la plus solennelle. Les Tyroliens du voisinage voulurent y prendre une large part. Dès la veille, ils affluèrent à Münster, et le défilé des braves catholiques de la frontière ne discontinua pas pendant toute la nuit. Le matin 9.000 hommes étaient là, pour escorter la Vierge miraculeuse de Santa Maria à Münster. Au bruit de dix mortiers, apportés de Glurns, se mêlant à l'harmonie des cloches de Münster et des musiques de Taufers et de Loatsch, jointes à celles de Münster, les prêtres, suivis d'une foule immense acclamant Marie, apportaient sur leurs épaules l'Arche de la nouvelle alliance, couronnée de fleurs brillantes, au lieu de son repos, nous allions dire de son exil, à l'autel qui lui était préparé dans la belle église de Münster.

Avant d'y être déposée, elle s'arrêta un instant sur le cimetière où l'attendait un autel improvisé, et où le doyen de Mals célébra un office solennel, au milieu des larmes et de l'émotion de tous.

Et voici que dès son arrivée, en son nouveau sanctuaire, Marie voulut témoigner sa bonté envers son peuple fidèle par l'éclat des miracles.

 

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Une Soeur du monastère, Catherine Willi, d'Ems, près de Coire, soeur du R. P. Gaspard Willi, Bénédictin à Einsiedeln, était malade au point de s'attendre d'un jour à l'autre à la seule guérison que lui laissaient entrevoir les médecins. Cette guérison, on l'a compris, c'était la mort. Pour s'y préparer, elle voulut recevoir les derniers Sacrements. Cependant un dernier rayon d'espoir se fit jour dans son âme. L'heure à laquelle l'art de guérir avoue son impuissance, n'est-ce pas l'heure où le Secours des infirmes aime à révéler sa bonté maternelle ? « Invoquons Marie, dit-elle à ses Soeurs, et faisons devant sa statue miraculeuse une fervente neuvaine. » Sa demande est agréée et toute la communauté se met en prières. Dès le premier jour de la neuvaine, c'était le 16 novembre, la mourante reçoit une fois encore la sainte communion. Puis la

 

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messe se dit pour elle à l'autel de la statue de Santa Maria. Le Saint-Sacrifice était à peine commencé que Soeur Catherine appelle l'infirmière. « Mes vêtements, dit-elle. » On s'étonne, mais on cède à son désir. Elle revêt sa robe et se fait conduire à la fenêtre qui donne sur l'autel et la statue de Marie. Un cri s'échappe de ses lèvres : « O Marie ! ô Mère bien-aimée ! — On accourt. La Soeur était sauvée et parfaitement guérie. On n'eut plus qu'à mêler à ses larmes de joie des larmes de reconnaissance envers la douce Mère des vierges. Les médecins qui ont soigné Soeur Catherine pendant sa longue maladie, et qui de guerre lasse l'avaient abandonnée, ont attesté par leur signature l'authenticité de la guérison merveilleuse de la malade.

Même attestation de la commune de Münster et du village de Taufers. Au bruit de ce miracle, d'innombrables visiteurs ont voulu s'en assurer, voir de leurs yeux la ressuscitée de Marie, et s'en sont retournés en s'écriant : Gloire à Celle qui est auprès de Dieu une toute-puissance suppliante !

D'autres miracles non moins éclatants ont été obtenus de Marie à la prière de ses humbles enfants agenouillés devant son image tout entourée d'anges : d'autres encore, assurément, continueront à glorifier la Reine immortelle des cieux.

 

 

6. Notre-Dame de Calanca

 

SIX SIÈCLES D'EXISTENCE. — GRACES ET CONSOLATION. — LA VRAIE

RICHESSE. — CONSERVATION DE LA VÉRITÉ CATHOLIQUE

 

Consacrée à la gloire de l'Assomption de Marie, la chapelle de la vallée de Calanca est fréquentée par de nombreux pèlerins. Ce sanctuaire a été construit en 1250. Voilà donc six cents ans, que Marie y révèle sa puissance mise au service de son maternel amour. Que de merveilles se sont accomplies en ce lieu ! Pendant six longs siècles, la grâce et la nature ont eu mille et mille témoignages de juste reconnaissance à offrir à la Mère des grâces et à la source de toutes les consolations.

 

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Les 2000 catholiques de la vallée de Calanca le savent. L'n sol trop peu fertile ne leur accorde pas en surabondance les richesses de la terre. Il est, par contre, des richesses plus élevées et plus pures. Ce sont celles de l'âme, les richesses de la religion et du ciel. Ils les doivent à la Gardienne de la vérité et à la Trésorière des grâces célestes. C'est Marie qui a protégé son peuple, qui l'a gardé au XVIe siècle contre la dent des loups. Les apostats italiens ou grisons n'ont pu distiller leur venin dans cette contrée, où Marie était invoquée avec fidélité par des âmes ferventes, sous la direction d'un clergé que le vice n'avait pas mordu au coeur.

Le protestantisme n'a pu naître que là où il a trouvé un père et une mère : une mère, l'ignorance ; un père, le vice dans le coeur d'un prètre ou d'un moine apostat.

 

 

7. Notre-Dame de Misocco

 

LE COMTE TRIVULCE. — SES OFFRES ACCEPTÉES, SA MAUVAISE FOI ET SA CRUAUTÉ. — SON CHATEAU DÉTRUIT. — RUINES IMPOSANTES. — LA CHAPELLE DE L'ASSOMPTION (1230). — DÉVOTION DU PEUPLE CHRÉTIEN.

 

C'était un bien méchant homme que le comte Trivulce au XVIe le siècle. Il avait acheté des comtes de Sax, la fraîche vallée qu'arrose la Moésa. Mais le peuple qui l'habitait, jaloux de sa liberté, avait offert d'acheter son indépendance à prix d'argent. « Qu'on me donne 15.000 florins d'or, avait répondu Trivulce, et vous êtes libres ! »

A cette déclaration, signée de la main du comte, le peuple se cotise. Heureux d'échapper au joug et aux exactions qui pesaient sur sa tête, il se saigne à blanc et réunit la somme demandée. Elle est aussitôt portée au comte. Celui-ci regrette ses offres. Il va jusqu'à nier ses promesses. L'envoyé du peuple, Caspard Prellini, auquel Misocco a depuis érigé une statue, exhibe la pièce revêtue de la signature du comte. Trivulce veut lui arracher ce témoin à la fois muet et accusateur. Prellini repousse avec énergie les efforts de cette main félone. Alors,

 

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dans sa fureur, le comte appelle ses bravis. « Qu'on le précipite dans l'abîme! » Ses ordres sont exécutés. Prellini tombe sans vie au pied du redoutable donjon.

A cette nouvelle, le peuple court aux armes. C'était son droit, c'était son devoir. Le château de Trivulce est assiégé. Il est pris, démantelé, ruiné.

Ces événements se passaient en 1527. En 1549, le peuple de Misocco achevait de secouer le joug, en rachetant les derniers droits qui pesaient sur lui.

Les ruines du château de Misocco annoncent encore ce qu'était ce repaire des comtes Trivulce. Elles restent les plus imposantes et les plus belles des Grisons et même de toute la Suisse. Elles élèvent vers le ciel, sur un rocher dominant la rive gauche de la Moësa, fières et menaçantes, quatre magnifiques tours reliées entre elles par des murs d'une épaisseur, d'une solidité qui semble défier à la fois la main de l'homme et celle du temps.

L'ombre de ces restes d'un autre âge se projette sur une humble chapelle. Depuis plus de six cents ans, les chrétiens de la vallée de Misocco ne cessent d'y porter leurs prières à Marie et d'y accomplir leurs voeux.

Bâtie en 1230, cette chapelle est dédiée à l'Assomption de la très Sainte-Vierge. Les supplications qui ont monté, de ce lieu béni, vers la Reine des Cieux, n'ont pas été vaines. C'est ce que nous apprennent les ex-voto qui recouvrent les murs de ce sanctuaire, lequel servait autrefois d'église paroissiale à la population de Misocco. Le peuple si profondément religieux de la vallée, à laquelle Marie a gardé le trésor pur du christianisme dans son intégrité, continue à se porter en foule au seuil de la sainte chapelle, dont l'autel est privilégié. Et aux prières de ses enfants, Marie continue à répondre par d'intarissables bienfaits.

 

§ 2. Schwyz

 

Si c'est une gloire pour la Ligue-Grise d'avoir donné son nom à un canton tout entier, c'est une gloire plus encore pour

 

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Schwyz d'avoir donné son nom à toute la Confédération. Mais il est, pour le canton de Schwyz, une gloire plus haute encore. C'est d'avoir vaincu l'hérésie et gardé pure la foi des guerriers de Morgarten, de Sempach et de Näfels. Il est vrai que l'autorité schwyzoise a poussé loin son horreur du zwinglianisme. En livrant au glaive et aux flammes les ennemis de l'Eglise et de l'Etat, les conspirateurs qui rêvaient dans l'ombre la ruine de l'une et la trahison de l'autre, Schwyz n'a fait qu'appliquer le code alors en vigueur dans les Etats chrétiens. Est-ce que Calvin lui-même, tout hérétique qu'il était, n'en a pas ordonné l'application rigoureuse à Michel Servet, qui cependant valait bien Calvin. Et si l'hérétique, la vieille Barbe d'Hospenthal, était, comme on l'a trop dit, une femme répandant ses bienfaits autour d'elle, ses bienfaits étaient-ils désintéressés ? N'était-ce pas dans les mains de cette femme un danger de plus ? Sa bienfaisance était une arme puissante au service de son zèle à mêler ses erreurs aux aumônes qu'elle semait autour» d'elle.

Si le canton de Schwyz a combattu les bons combats, s'il a gardé sa foi, il le doit aux lumières et à la fermeté de ses magistrats, à l'honneur d'un clergé sans peur et sans reproches, non moins qu'à la piété profonde d'un peuple auquel une religion éclairée avait conservé des moeurs pures.

Et tous, peuple, prêtres et magistrats, au jour du péril des âmes, ont mis leur confiance en la puissante Vierge, et la Mère de Dieu s'est montrée la Mère de tous par les grâces fortes et fécondes qu'elle a répandues sur tous.

Marie compte, en effet, six beaux sanctuaires dans le religieux canton qui a donné naissance à la patrie Suisse.

Le plus important de tous est la Sainte-Chapelle des Ermites. Mais le premier dans l'ordre que nous avons adopté est Notre-Dame de Lorette, à Biberegg.

 

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1. Notre-Dame de Lorette à Biberegg

 

LE CHATEAU. — LA MAISON REDING. — AUGUSTIN REDING, 41e ABBÉ D'EINSEDELN — SA CHAPELLE DE LORETTE. (1676). — INDULGENCES ET PÈLERINAGE.

 

Au-dessus de Rothenthurm et de sa « tour rouge », au pied de laquelle s'assemblait autrefois tous les deux ans la landsgemeinde de Schwyz, s'élevait, au moyen-âge, un château-fort, qui abritait de son ombre toute la contrée. C'était la demeure d'une antique famille qui s'est distinguée au service de la patrie et sur les champs de bataille. Un Reding se trouvait déjà à la tête de ses compatriotes à Morgarten. En 1798, Aloys de Reding tint en échec les troupes françaises dans les montagnes de Schwyz et réussit, par son héroïsme et celui de son peuple, à lui infliger de sanglantes défaites, qui valurent à Schwyz une paix honorable et la haute estime du général de Schauenbourg.

En 1676, le château de Reding avait fléchi sous le poids des siècles. Il n'en restait plus que les solides fondements. Un membre de la famille, qui brillait du double éclat de la science et de la piété, le Père Augustin Reding, dès 1641 humble fils de saint Benoît à Einsiedeln, était depuis six ans prince-abbé de ce monastère, lorsqu'il voulut en 1676, consacrer le souvenir de l'antique manoir, en élevant sur ses ruines une chapelle à la très Sainte-Vierge.

Pour donner satisfaction entière à sa dévotion envers Notre-Dame de Lorette, le Rme prélat fit construire la chapelle de Biberegg sur le plan exact de Lorette, en Italie. Même disposition intérieure : un seul autel ; au dessus, une grille, derrière laquelle apparaît la statue de la Sainte-Vierge, imitant autant que possible celle de Lorette. Même couleur aux murs, et au plafond même azur semé d'étoiles. La chapelle de Lorette à Biberegg renferme en outre un grand tableau avec cette inscription :

 

LES DIVERSES TRANSLATIONS DE LA SAINTE MAISON DE LORETTE

 

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A l'intérieur de la chapelle, on lit ces trois autres inscriptions :

 

TOUTES LES GÉNÉRATIONS M'APPELLENT BIENHEUREUSE

JE SUIS LA MÈRE DU BEL AMOUR

JE VOUS SALUE, MARIE, PLEINE DE GRACE.

LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS

 

Sous cette dernière inscription apparaissent les armes de la noble famille des Reding-Biberegg.

Bénite en 1678, par le Rme abbé Augustin de Reding, cette belle chapelle fut consacrée, en 1701, par l'évêque de Constance au milieu d'un immense concours de fidèles.

Une faveur extraordinaire a été accordée à Lorette de Biberegg par le Pape Pie VII. Il l'a enrichie de toutes les indulgences et des mêmes privilèges dont jouit la Santa Casa en Italie. Et déjà. Pie VII, en 1783, avait daigné ériger dans ce lieu saint la « Confrérie de la Bonne Mort », introduite par le pieux évêque de Constance, Maximilien-Christophe de Rodt. De son côté, le Pape Grégoire XVI a accordé 300 jours d'indulgences à quiconque récite dans cette chapelle trois Ave Maria aux intentions du Souverain-Pontife.

Les deux fêtes principales de ce sanctuaire, où chaque jour des pèlerins viennent implorer le secours de Marie, sont celles du Patronage de Saint-Joseph et la glorieuse Assomption de la très Sainte-Vierge. En ces deux circonstances, ce n'est pas trop des quatre confessionnaux qu'on dresse dans la chapelle pour les nombreux fidèles qui s'y pressent et y reçoivent les divins Sacrements.

De plus, chaque année, d'Einsiedeln, de Sattel et de Rothenthurm, on se rend en procession à Notre-Dame de Lorette.

 

2. Notre-Dame des Ermites

 

CONSÉCRATION MERVEILLEUSE DE LA SAINTE CHAPELLE. — SAINT MEINRAD. — LA STATUE MIRACULEUSE. — LES BIENHEUREUX BENNON ET EBERHARD. — PIÉTÉ DE NOBLES PERSONNAGES. — DEVOTION DES VILLES ET DES CANTONS SUISSES. — LA REVOLUTION ET SES RUINES. — LA SAINTE IMAGE RAPPORTÉE DE L'EXIL. SON NOUVEAU SANCTUAIRE. — L'ÉGLISE MODERNE ET SES 14 CLOCHES. — LES BÉNÉDICTINES D'AU. — LE PÈLERINAGE ET PÈLERINS ILLUSTRES.

 

Un sanctuaire de Marie consacré par les mains du Fils de Dieu et de Marie, du Pontife « qui seul demeure pour l’éternité », n'est-ce pas une ravissante merveille ? Et parce que c'est merveilleux, surnaturel, divin, est-ce impossible ?

Le 14 septembre de l'an de grâce 948, c'était un jeudi, et l'Eglise célébrait la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, une foule immense stationnait devant une église, autour de la modeste chapelle en bois, dans laquelle saint Meinrad avait prié de longues années, au pied d'une humble statue de la Vierge sans tache. Cette foule pieuse attendait avec une anxieuse ferveur le moment où le pontife de Dieu devait apparaître pour donner à ce sanctuaire la consécration qu'il venait lui apporter. Les heures succédaient aux heures, et la cérémonie sainte ne commençait pas. Tout à coup, aux yeux de la foule impatiente apparaît l'évêque consécrateur. Tous les froide se découvrent, les genoux fléchissent et les têtes s'inclinent sous la main bénissante de Conrad (1). Mais bientôt le saint prélat élève la voix, et quel ne fut pas l'étonnement, l'admiration de ce peuple de fidèles, en recueillant de ses lèvres ce récit rapide : « Mes enfants, s'écrie à travers ses larmes le saint évêque, vous attendez la consécration de la chapelle de Marie. Elle est faite et la cérémonie est achevée. Cette nuit même, pendant

 

1 C'était saint Conrad Ier, des comtes d'Altorf en Souabe, canonisé par le pape Calixte II en 1124. Saint Conrad fut aussi abbé de l'illustre monastère de Reichenau. Il est le patron de l'ancien diocèse de Constance.

 

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que j'étais en oraison dans le saint lieu, des harmonies d'une ineffable douceur ont retenti à mon oreille. A ces accents qui n'étaient pas de la terre, j'ai levé les yeux, et voici le spectacle qu'il m'a été donné de contempler. J'ai vu les anges chantant toutes les hymnes et faisant les cérémonies prescrites par l'Eglise pour la solennité sainte de la consécration. Et au milieu des anges, j'ai vu le Christ lui-même, le Prêtre de la loi nouvelle , revêtu d'ornements violets , célébrer les adorables mystères, entouré de quelques-uns de ses saints. Il avait à ses côtés saint Pierre, saint Grégoire, saint Augustin et les deux diacres saint Etienne et saint Laurent. Et devant l'autel, debout, dans une lumière éclatante, se tenait la très Sainte-Vierge. Longtemps mes yeux ont joui de cette admirable vision. Et voici qu'au moment où elle allait s'évanouir, une voix m'a dit : « Ne songe plus à consacrer ce sanctuaire, il est consacré par Dieu et ses anges. »

A ce récit, la foule reste muette de saisissement. Cependant une voix murmure tout haut : ce n'est qu'un songe. Alors du haut du ciel descendent ces mots : « Cesse, frère, cesse de vouloir consacrer une chapelle divinement consacrée. » Et trois fois ces mots retentissent aux oreilles de la foule. Au cri échappé de mille poitrines, un même cri répond : « Gloire à Jésus-Christ ! Gloire à sa divine Mère! Gloire au sanctuaire de Marie ! » On comprend qu'inaugurée par un événement aussi merveilleux, la sainte chapelle des Ermites soit devenue un but de pèlerinage attirant de près et de loin, en ce lieu divinement béni, les multitudes qu'on y voit accourir depuis bientôt mille ans. On comprend aussi que des grâces innombrables aient été obtenues des humbles fidèles invoquant avec confiance Notre-Dame des Ermites, dans tous les dangers menaçant la vie de l'âme et du corps.

L'authenticité de la consécration miraculeuse de la sainte Chapelle nous est garantie par une bulle du Pape Léon VIII. Dans cette bulle, le Souverain Pontife rapporte qu'il a entendu le récit de ce fait surnaturel des lèvres mêmes du saint évêque de Constance, Conrad lP1', lequel l'a affirmé de la manière la

 

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plus solennelle en présence de son digne ami, l'évêque d'Augsbourg, saint Ulrich, devant l'empereur Othon-le-Grand et son auguste épouse, sainte Adélaïde. C'était seize ans après l'événement. Les saints évêques Ulrich et Conrad, avec un grand nombre de princes et d'autres prélats, accompagnaient alors l'empereur dans l'expédition qu'il fit à Rome en 960.

Après Léon VIII, d'autres Papes, tels que Nicolas V, Pie II, Léon X, Pie IV, Urbain VIII et Pie VI, ont soumis à un nouvel examen le fait historique de la consécration miraculeuse de la sainte Chapelle, et ils n'ont pu qu'en reconnaître la réalité certaine; et tous se sont plu à rendre à ce fait un solennel hommage, en comblant ce lieu saint de privilèges et d'abondantes indulgences.

Remontons maintenant à l'origine de la sainte Chapelle.

 

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En 797, naissait dans un château de la Souabe un enfant que Dieu prédestinait à une haute sainteté. C'était Meinrad, fils du comte Berchthold de Hohenzollern. Confié de bonne heure aux soins du saint abbé de Reichenau, le bienheureux Hatton, son grand-oncle, qui fut l'ami de Charlemagne et l'un des plus grands évêques de Bâle, le jeune Meinrad sut joindre à ses progrès dans la littérature des progrès plus grands encore dans la science des saints. Entré à Reichenau en 807, il se voua tout entier au Seigneur en 825. Il était alors dans sa 29me année.

Peu après, il fut envoyé par Hatton à Bollingen sur les bords du lac de Zurich, et mis à la tête du prieuré que sanctifiaient là douze Bénédictins de Reichenau. Meinrad y vécut quelque temps. Mais son âme, embrasée de l'amour divin, était avide de sacrifices. Le saint religieux aspirait au silence, à la solitude, au désert. Il sollicite et obtient de son supérieur (1) la permission de se retirer sur un sommet voisin. Là encore, sur l'Etzel, il se trouvait trop rapproché des bruits du monde. Le saint ermite s'enfonce plus avant dans les noires forêts qui étendent leur

 

1 Hatton, ou son successeur qui était aussi son neveu, le bienheureux Erlebald.

 

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ombre sur ce désert. C'est là, qu'abrité par sa cellule faite de branches d'arbres, il trouve enfin le lieu désiré de son repos.

Cependant le bruit de sa sainteté ne tarda pas à arriver jusqu'aux oreilles de la pieuse abbesse des Bénédictines de Zurich. C'était la princesse Hildegarde, fille de l'empereur Louis le Germanique. Elle prit soin de faire construire, auprès de la demeure du saint solitaire, une chapelle où elle fit dresser une belle statue de la très Sainte-Vierge. Les anges seuls pourraient nous dire les ferventes prières que répandait saint Meinrad devant la douce image de Marie, jusqu'au jour où il tomba sous les coups sacrilèges des deux assassins, qui terminèrent sa carrière mortelle.

C'est cette même statue de Marie, devant laquelle les générations se sont pieusement agenouillées pendant plus de dix siècles, qui est encore de nos jours l'objet de la vénération des 200.000 pèlerins, qui vont chaque année demander à Marie protection, appui, soulagement, guérison, force et consolation dans les peines et les misères de la vie.

 

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Un demi-siècle s'était écoulé depuis le martyre de saint Meinrad. La chapelle abandonnée menaçait ruine. Un pieux chanoine de Strasbourg voulut la relever. C'était l'illustre Bennon, parent du roi de Bourgogne, Rodolphe Ier. Il vint en 906 dans les lieux sanctifiés par le solitaire de l'Etzel, y vivre de la vie de Meinrad et former à cette vie austère les disciples qu'attirait sur les pas de Bennon le parfum de ses vertus. Bientôt des cellules élevées près de la chapelle abritèrent le maître en sainteté et ses dignes élèves. A la prière, Bennon sut joindre le travail des mains. Il enseigna à ses frères de la solitude à défricher en même temps et leurs âmes et les forêts qui leur servaient de retraite. Appelé par la divine Providence, en 925, à occuper le siège des évêques de Metz, il y renonça lorsque son zèle lui eut valu de la part des méchants, avec la persécution la plus sanglante, la perte de ses yeux. Le pauvre aveugle voulut finir ses jours dans son heureux désert. Avant

 

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sa mort (940), il reçut une visite qu'appelaient sans doute ses prières. Le prévôt du Chapitre de Strasbourg, saint Eberhard, venait admirer, puis imiter la vie sainte de l'ancien chanoine Bennon. Mais Eberhard alla plus loin. Usant de ses richesses selon Dieu, il acheta les terres à moitié défrichées par saint Bennon, et se mit à construire dans sa nouvelle propriété un monastère digne des deux saints dont ces lieux gardaient la mémoire.

En 948, la sainte maison était debout, et debout aussi la nouvelle église qui étendait sur la chapelle primitive l'ombre de son vaste pavillon. C'est alors, comme nous l'avons dit, qu'à la prière du saint fondateur Eberhard, saint Conrad vint, accompagné de saint Ulrich, pour la double consécration de l'église et de la sainte chapelle. Il ne consacra que l'église, nous avons dit pourquoi.

 

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Après le bienheureux Eberhard, qui fut le premier abbé proprement dit de la maison de saint Benoît à Einsiedeln, la plupart de ses successeurs, dont quelques-uns furent des hommes vraiment distingués autant par leur science et leurs vertus que par leur prudence et leur haute noblesse, s'appliquèrent à entourer de vénération la sainte chapelle de Marie et à lui rendre l'honneur qui lui est dû. Mais à quoi bon rapporter ce qu'a fait pour le sanctuaire privilégié de Marie la piété de Gérold de Hohensax et d'Augustin de Reding ? A quoi bon redire comment le comte Caspar de Hohenems, pour accomplir le voeu de son oncle Marc Sittich, archevèque de Salzbourg, fit revêtir de marbre à l'intérieur et à l'extérieur la sainte chapelle? A quoi bon rappeler sa magnificence d'autrefois, lorsqu'on sait que les Français de la Révolution ont passé là? Ils y ont passé comme partout, en blasphémant, en pillant, en détruisant, Vandales du XVIIe siècle. La sainte chapelle n'a pas trouvé grâce devant leur fureur. Ils l'ont démolie et ont jonché le sol de ses débris sacrés. C'est là une des gloires, un des fiers exploits de leur général Schauembourg. Seulement, il n'a pu mettre la main sur la vraie statue miraculeuse. ÎI n'a pu envoyer à Paris

 

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comme trophée, qu'une imitation de la statue, heureusement substituée à la véritable.

Cependant, ce serait faire injure à la piété des cantons et des villes catholiques de la Suisse, que de passer sous silence les seize cierges qui brûlaient sans cesse aux deux côtés de la sainte image. Ces cierges avaient un poids chacun de 90 livres. Les huit de droite étaient fournis par Schwyz, Fribourg, Zoug, Appenzell, Bregenz, Rapperschwyl, Baden et Einsiedeln; les huit à gauche par Lucerne, Unterwalden, Glaris, Uri, le Toggenbourg, Soleure, le pays de Gaster et de nouveau Einsiedeln. Rappelons encore les cinq lampes d'argent, qui étaient suspendues à la voûte. C'étaient autant de dons, la première de Philippe III, roi d'Espagne; la seconde, de Caspar de Hohenems ; la troisième, de la ville de Lucerne; la quatrième, du duc d'Arnberg; la cinquième était une fondation pieuse. Tous ces trésors et tant d'autres sont devenus la proie sacrilège des révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle.

 

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« Les Français, dit un historien, s'étaient annoncés comme les libérateurs du peuple suisse, comme les soldats de la liberté et les protecteurs des chaumières. Une fois maîtres de l'Helvétie, ils se souillèrent par le meurtre, le pillage, le viol et l'incendie. Ils firent peser sur la Suisse un joug plus humiliant et plus odieux que ne l'avait été celui des Gessler et d'autres baillis autrichiens du XIVe siècle (1). »

Après avoir mis en pièces la sainte chapelle de Marie et dévalisé l'église et le monastère des Ermites, (mai 1798) ils laissèrent debout les bâtiments qu'ils eurent la générosité de ne pas incendier (2). En 1803, les Pères Bénédictins purent reprendre possession des murs qui leur étaient seuls restés.

 

1 Daguet, Histoire de la Confédération suisse, p. 500.

2 Pour rendre justice à la France , il est de notre devoir de rappeler ici le pèlerinage de réparation fait en 1864 par une paroisse de Paris au nom de la grande cité et de la France. C'était la paroisse de Saint-Laurent. Elle a gravé le souvenir de son pèlerinage sur une table de marbre appendue dans l'église d'Einsiedeln. Soixante ecclésiastiques et 240 laïcs de l'un et de l'autre sexe venaient ainsi, bien qu'un peu tardivement, le 14 juin 1864, faire amende honorable à la Vierge sainte, protester contre les blasphèmes et désavouer solennellement les crimes des Français de la Révolution.

 

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A leur retour du Vorarlberg, oit ils avaient trouvé un refuge dans l'abbaye de Saint-Gérold, les fils de saint Benoît rapportèrent avec eux la statue miraculeuse, qu'ils avaient emportée dans leur exil comme leur plus riche trésor.

Un peuple immense courut à la rencontre de la sainte statue jusqu'à l'Etzel, et l'accompagna de ses prières, de ses chants, de ses larmes jusqu'au seuil de son sanctuaire encore à demi dévasté.

Une nouvelle chapelle ne tarda pas à reprendre la place de celle qu'avait détruite l'impiété française. Elle ne fut cependant entièrement achevée qu'après la chute du tyran qui avait tenu l'Europe sous sa botte de soldat, baignée du sang d'un million d'hommes. En 1817, la sainte chapelle apparut de nouveau dans toute sa beauté, avec son vêtement actuel de marbre noir et gris à l'extérieur, et aux couleurs variées à l'intérieur. Un autel en marbre blanc de Carrare y fut dressé ; et au-dessus de l'autel, dans un ciel de nuages d'or, la statue miraculeuse reprit enfin sa place d'honneur. Sur la façade du nouveau sanctuaire, on voit une table d'airain, représentant la consécration de l'ancienne chapelle par Notre-Seigneur et les anges. C'est un beau monument de la piété de Charles-Albert, roi de Sardaigne.

Marie a retrouvé son sanctuaire. Depuis près d'un siècle, elle se montre de nouveau pleine de grâce, de douceur et de miséricorde, aux regards des milliers de pèlerins qui viennent implorer son secours. Sur eux elle étend sa main droite, tandis que l'Enfant-Dieu, sur le bras gauche de sa Mère, semble sourire à ceux qui la prient, de verser sur eux les dons inépuisables de son amour.

Le temps, avec ses dix siècles écoulés depuis saint Meinrad et la pieuse abbesse Hildegarde, a noirci le bois de la figure de

 

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la sainte image. Elle n'en est que plus vénérable. Elle rappelle ce chant du cantique sacré qu'adresse à Marie la liturgie sainte de l'Eglise : « Vous êtes noire, mais vous êtes belle ; vous demeurez à jamais la Bien-aimée du Roi immortel des cieux. »

L'église, qui étend sur la sainte chapelle l'ombre de ses voûtes élancées, n'a pas le cachet d'une haute antiquité. Son style moderne, dénué de caractère, nous dit assez qu'elle n'est que du dernier siècle. Elle fut en effet reconstruite par le prince-abbé, Thomas-Angélique Schenklin, en 1719, quinze ans après la reconstruction du monastère par son prédécesseur, Maur de Roll d'Emmenholz. En 1837, le Révérendissime abbé, Célestin Mailler, lequel occupe la 49e place dans la série des abbés d'Einsiedeln, fit restaurer avec soin les fresques nombreuses qui ornent l'église et représentent les figures et les allégories ayant trait au sacrifice eucharistique, ce noyau de la foi de l'Eglise, ce foyer de la liturgie sainte. Le tableau du maître-autel, qui représente l'Assomption de Marie, est l'oeuvre du peintre Kraus. Il a été retouché par Paul Deschwanden (1).

A l'extérieur, la façade de l'église a quelque chose d'imposant. Elle rappelle la façade de Saint-Jean de Latran à Rome. A droite et à gauche du portail, on voit les statues de deux illustres bienfaiteurs de la sainte chapelle et de l'abbaye. Ce sont deux empereurs, Othon Ier et Henri Ier. On aimerait à y voir de même la statue équestre de Rodolphe de Habsbourg, qui éleva l'abbé d'Einsiedeln, en 1274, à la dignité de prince du Saint-Empire.

Les deux tours qui ornent la façade renferment quatorze cloches merveilleusement harmonisées. Rien n'est beau comme ces quatorze voix d'airain lorsqu'elles s'unissent, dans un concert grandiose et céleste, pour annoncer aux fidèles et aux échos des environs la grande fête du 14 septembre avec ses milliers de pèlerins et ses grandes cérémonies relevées par la musique et les chants des Pères et des 120 élèves de leur

 

1 Voir notre Guide du pèlerin à Notre-Dame des Ermites. — Einsiedeln, Nyss et Eberlé, 1892.

 

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brillant collège. Rien de plus émouvant, le soir de ce même jour, que ces harmonies de l'airain, mêlant leurs voix aériennes aux voix sacerdotales, pendant la procession qui se déroule dans les rues d'Einsiedeln, inondées de la double lumière qui resplendit en même temps à chaque fenêtre et dans les mains pieuses de chaque pèlerin.

 

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Nous ne saurions achever cette trop courte notice, sans signaler encore quelques-uns des grands pèlerinages qui se sont accomplis à travers les siècles à Notre-Dame des Ermites, comme aussi quelques-uns des illustres personnages qui sont venus y apporter leurs dons et leurs prières.

Un des plus remarquables pèlerinages à la Sainte-Vierge du désert fut celui des saintes femmes, qui vinrent au XIIIe siècle, non seulement visiter la Sainte-Chapelle, mais se fixer à jamais dans les environs. Après avoir vécu pendant plus d'un siècle sous la règle des Béguines, les religieuses « alpestres » finirent, en 1359, par prendre la règle de Saint-Benoît. En 1403, elles habitaient leur nouvelle maison, avec église, sous la protection du prince-abbé d'Einsiedeln. Après l'incendie de, 1684, les Bénédictines de la prairie (in der Au) d'Alpegg, virent leur monastère se relever de ses cendres par les soins de l'abbé Augustin Hofmann, qui fit célébrer désormais, dans l'intérêt de la clôture, les offices dans l'église des religieuses par un de ses conventuels, en attendant qu'un digne successeur du pieux abbé Célestin Müller vint y établir, en 1846, l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Magnifique institution, qui continue à faire les délices des ferventes filles de Saint-Benoît dans leur modeste église de Tous les Saints.

Est-il besoin de rappeler qu'en 1798, ces humbles religieuses furent chassées de leur monastère par les Français, qui les dépouillèrent, ainsi que leur église, de tout ce qui avait quelque valeur artistique ou matérielle ?

Dès avant 1313, le canton de Schwyz, par décision prise dans

 

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sa Landsgemeinde, faisait chaque année un pèlerinage à Notre-Dame d'Einsiedeln.

Le même voeu s'est fait en 1351 par la ville de Zurich. Le magistrat de Bâle, pendant les ravages de la peste de 1439 en cette ville, voua de même un pèlerinage à Notre-Dame des Ermites, et l'histoire atteste qu'aussitôt le fléau prit fin. Pendant la guerre de Trente ans, en 1636, c'est la ville d'Augsbourg, qui va remercier de sa délivrance la Vierge d'Einsiedeln, et dès 1619, les villes de Feldkirch et de Fribourg en Brisgau s'étaient mises avec empressement sous la protection de Notre-Dame des Ermites. En 1651, c'est la ville de Zell qui accourt aux pieds de Marie, pour la remercier de sa maternelle et bienfaisante protection.

De nos jours, il n'y a pas moins de soixante-dix paroisses qui se rendent chaque année en procession à la sainte chapelle du désert. Le demi-canton de Nidwalden continue, comme dans les siècles passés, à s'y rendre en masse et le couvent va processionnellement à la rencontre de ce pèlerinage catholique et national.

« C'est ainsi, dit à bon droit le Père Charles Brandis, dans son Pèlerinage à Maria-Einsiedeln, que dès les jours du Bienheureux Meinrad, les âmes avides de paix et de lumière sont venues de siècle en siècle, de génération en génération, s'agenouiller devant la Vierge des miracles; c'est ainsi encore qu'à dater de l'événement merveilleux de l'an 946, le pèlerinage a pris un développement qui n'a pas cessé de croître jusqu'à nos jours. »

Dans la foule innombrable des pèlerins qui ont foulé le sol béni des Ermites, « ce sol, ajoute le Père Brandis, consacré par les vertus de saint Meinrad et plus encore par son sang », il nous plaît de mentionner d'illustres personnages. Après le cardinal Thierry, nonce apostolique en Allemagne, voici venir le roi Charles IV avec une imposante escorte de prélats et de princes, puis l'empereur Sigismond, l'empereur Frédéric III, le duc Henri de Mecklembourg avec son épouse Dorothée de Hohenzollern-Brandenbourg; ce sont ensuite les

 

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princes et les princesses de Hohenzollern, qui n'ont pas oublié que saint Meinrad était de leur puissante famille. Ce sont enfin, à la suite de tous les nonces du Saint-Siège en Suisse, des multitudes d'évêques, de la Suisse, de l'Italie, de la France et de l'Allemagne. Parmi les saints qui brillent au ciel de l'Eglise, au nombre des pèlerins de Notre-Dame, après les grands évêques d'Augsbourg et de Constance, saint Ulrich et saint Conrad, il faut nommer la sainte impératrice Adélaïde, sainte Adelrich et sa mère la bienheureuse Régulinde ; le bienheureux Grégoire, II1e Abbé d'Einsiedeln; la bienheureuse Elisabeth de Hongrie, religieuse de riss ; le bienheureux Nicolas de Flüe ; saint Charles Borromée et le bienheureux Benoît Labre.

Puissent, comme eux et avec eux, tous les pèlerins de Notre-Dame d'Einsiedeln, obtenir, par sa puissante intercession, la grâce de la voir, de l'aimer et de la bénir à jamais dans le Ciel!

 

3. La chapelle de la Sainte-Vierge sur le Katzenstrick

 

UN TABLEAU DE P. DESCHWANDEN.

TROIS FONDATIONS. — PÈLERINS DE LA BONNE MORT.

 

Sur la crête de la montagne dite le Katzenstrick, qui sépare Rothenthurm du plateau d'Einsiedeln, s'élève depuis 1861 une gracieuse chapelle sous le nom de Maria End ou trépas de la Sainte-Vierge. La bienheureuse mort de Marie est admirablement représentée au tableau de l'unique autel de ce jeune sanctuaire. Cette peinture est une des plus belles oeuvres de l'illustre Paul Deschwanden. On y voit Marie rendant à Dieu son âme virginale et éminemment sainte; autour de leur Mère sont groupés les Apôtres, dans l'attitude d'une tristesse qui n'est pas sans espérance et d'un deuil qui n'exclut pas l'admiration. Devant la douce image, brûle nuit et jour une lampe, qui semble prier pour le fondateur de ce sanctuaire aux fenêtres ornées de brillants vitraux.

Ce fondateur est le lieutenant Etienne Steinaer, ancien

 

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propriétaire de l'auberge des Trois-Coeurs à Einsiedeln. En créant cette chapelle, il y a établi trois fondations : la première pour son épouse Aloyse Benziger, la seconde pour les âmes du Purgatoire et la troisième en mémoire de la bénédiction de ce sanctuaire. Cette troisième messe se célèbre annuellement à la fête de sainte Anne, car c'est à pareil jour que le R. P. Caspard Willi, curé d'Einsiedeln, a bénit la chapelle avec son autel, en 1862, en présence d'une foule nombreuse et recueillie.

D'Einsiedeln et de Rothenthurm, comme de tous les environs, les pieux fidèles aiment à diriger leurs pas, surtout l'après-midi du dimanche, dans la bonne saison, vers la chapelle de la « mort de Marie », où les appelle le son argentin de la cloche, qui, trois fois le jour, des hauteurs de ce sommet, annonce le mystère joyeux de l'Incarnation du Verbe dans le sein immaculé de l'auguste Vierge. Déjà quelques ex-voto en cire attestent que la piété des pèlerins n'a pas été vaine, en venant invoquer Marie en ces hauts lieux. Cependant la grâce plus particulière qu'on lui demande, le nom même de la chapelle y invite, c'est celle d'une heureuse et sainte mort, pour les fervents invocateurs et pour ceux qui leur sont chers. A notre-Dame d'Einsiedeln on demande la vie, la vie de l’âme et souvent la vie du corps; à la Vierge de Katzenstrick on demande la mort, mais une mort sainte, ouvrant à l’âme les portes de la vie en Dieu, qui n'a plus ni aurore ni crépuscule.

 

 

4. Notre-Dame de Ried

 

LACHEN ET TUGGEN. — LA CHAPELLE SUR LE RIED - SA CONSÉCRATION (1684). — FONDATION ET EX-VOTO. — GRAND CONCOURS POUR LA FÊTE PRINCIPALE. — PROCESSION. — UFNAU.

 

Si, d'Einsiedeln, nous dirigeons nos pas vers l'Etzel, après avoir prié un instant dans la chapelle de Saint-Meinrad, nous franchissons bientôt un sommet, et voici qu'à nos yeux se découvre la belle nappe d'eau du lac de Zurich, ave la riche végétation semée de villes et de villages, qui l'encadre de

 

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toutes parts. A l'extrémité du lac, dans une anse pleine de verdure, un grand et beau village montre à nos regards sa blanche et belle église avec ses deux tours. C'est Lachen (lacus), qui doit son existence aux habitants du vieux Rapperswyl, détruit en 1350 par les armes de Zurich.

A peu de distance de cette charmante localité s'élève, sur une légère éminence, la chapelle de Notre-Dame de Ried. Avant d'y entrer, saluons avec respect du haut de ce tertre, à une lieue d'ici, vers le canal de la Linth, l'antique bourg de Tuggen avec ses souvenirs historiques qui nous sont chers. C'est là, en effet, que Jonas, l'historien de saint Colomban, nous montre, en 609, l'illustre fondateur de Luxeuil entouré de ses disciples, Gall, Ursanne et Sigisberg, faisant la guerre au paganisme, renversant le vase où la bière est offerte à de vaines idoles, brisant ces idoles elles-mêmes et jetant leurs débris dans le lac.

Dès le XIVe siècle, une chapelle de Marie existait « sur le Ried. » C'est là que venaient prier les pêcheurs qui habitaient les bords du lac. Ce sanctuaire n'était pas loin de sa ruine, lorsqu'en 1679 la population catholique de Lachen se décida à la rebâtir dans des proportions plus vastes, sous _le vocable de Notre-Dame des Sept-Douleurs.

Consacrée en 1684 par l'évêque suffragant de Constance, cette chapelle vit bientôt affluer de toutes parts aux pieds de Marie les fidèles enfants de la Vierge. Marie ne tarda pas à répondre à leur confiance par les grâces demandées avec ferveur à son Coeur de Mère. Les murs de la chapelle devinrent insuffisants pour recevoir les ex-voto que chaque année on y suspendait. Il en reste encore actuellement plus de 250, qui redisent à tous les bienfaits, les miracles de tous genres, obtenus en ce lieu par la piété invoquant Marie. Aussi on n'est pas étonné de trouver jusqu'à 140 messes fondées en ce sanctuaire.

Un attrait de plus qu'offre ce lieu saint, c'est la confrérie du Saint-Scapulaire, si riche d'indulgences, érigée en 1762 en cette chapelle.

La fête principale de Notre-Dame de Ried a lieu le cinquième dimanche de Carême. Elle se fait avec une grande solennité.

 

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Dès le matin de la veille, la paroisse de Lachen se rend en procession à la chapelle. L'après-midi, les fidèles assiégent les quinze confessionnaux établis sous l'avant-toit de la maison du gardien. Le lendemain, les messes succèdent aux messes, et les fidèles en foule s'approchent de la Table sainte pour gagner l'indulgence attachée à la fête. Le dimanche soir, à l'entrée de la nuit, la procession immense se remet en marche pour l'église paroissiale au chant du Te Deum de la joie et de la reconnaissance. Sur le passage de la procession, le village splendidement illuminé offre un aspect ravissant.

Une autre fête de Notre-Dame de Ried, c'est celle de la Visitation de la très Sainte-Vierge. On y voit arriver processionnellement les trois catholiques paroisses de Freienbach, de Feusisberg et de Wollerau.

A une lieue à l'est de ce sanctuaire, se trouve, en face de Pfäffikon, la charmante petite île d'Ufnau, où s'est sanctifié dans les austérités de la solitude le bienheureux Adelrich avec sa mère, la bienheureuse Regulinde. (Xe siècle).

 

5. Sainte Marie aux Neiges sur le Righi (Klaesterti)

 

L'ASCENSION DU RIGHI. — TROIS CLASSES DE TOURISTES. — UN PREMIER SANCTUAIRE. — NOTRE-DAME DES NEIGES, 1689. — CHAPELLE RECONSTRUITE ET CONSACRÉE EN 1721. —PÈLERINAGE FRÉQUENTÉ. — LES FRANÇAIS AU RIGHI EN 1799. — CHAPELLE DU KALTBAD, LÉGENDE - DEUX RECONSTRUCTIONS, 1585 ET 1779.

 

L'ascension du Righi demandait autrefois de l'effort et quelque courage. De nos jours, elle se fait sans peine et sans mérite. Vous vous asseyez dans un wagon à Arth ou à Vitznau. En moins d'une demi-heure, sans avoir dépensé le moindre souffle, vous êtes au plus haut sommet de la montagne.

Trois classes de voyageurs font cette ascension fashionable pendant la belle saison.

Il y a d'abord les blasés. Ils vont là pour aller là; ils ouvrent les yeux, braquent leur jumelle sur la plaine, puis sur les Alpes.

 

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Ils ont vu, ils ont dîné, ils descendent, et, de retour dans leurs salons, ils pourront dire : Nous avons été sur le Righi.

D'autres y arrivent à leur tour. Sur ce sommet voisin des nuages, dont le Righi domine parfois les tempêtes, à la vue des admirables panoramas qui se déroulent à leurs yeux, ils éprouvent dans leur âme et en rapportent chez eux les plus délicieuses impressions. C'est qu'ils n'ont pas seulement des yeux pour voir (les animaux voient aussi); ils ont un coeur pour sentir, ils ont une intelligence qui sait s'élever au-dessus des sens et du monde matériel. Ils admirent non seulement l'oeuvre, mais plus encore l'Ouvrier, parfait en Lui-même et parfait dans ses oeuvres.

Au-dessus de cette seconde classe de touristes, déjà respectable, montons encore. Nous arrivons au voyageur chrétien. Sans rien perdre des douces émotions que nous venons de signaler, le chrétien cherche sur son passage un signe de vie, une croix, un sanctuaire. Il le trouve et il trouve en même temps la paix dans l'effusion de son coeur aux pieds de son Dieu et de sa douce Mère; et dans sa foi et sa prière, il goûte les délices les plus pures et les plus suaves qu'il soit donné à l'âme d'éprouver ici-bas. Délices du ciel, dont elles sont un avant-goût!

Ces délices saintes, le touriste qui gravit, même en chemin de fer, les pentes abruptes du Righi, peut s'en donner la noble jouissance.

 

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Il y a deux siècles, qui songeait à faire l'ascension du Righi ? On s'élevait moins sur les cimes des montagnes et la pensée aimait à gravir davantage les collines éternelles. Le Righi ne voyait guère alors que les humbles pâtres, que l'été à son réveil amenait sur les croupes de la montagne à la garde de leurs troupeaux, et que l'automne ramenait modestement au pied de ces pâturages alpestres.

Déjà un premier sanctuaire s'était élevé, il est vrai, sur ces âpres sommets en faveur de leurs habitants de la belle saison. C'était la chapelle de Kaltbad, dont nous parlerons tantôt. Mais

 

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elle était sur le territoire de Lucerne. Et le Righi en partie appartient au canton de Schwyz. La chapelle était trop étroite pour y renfermer les Lucernois et les Schwyzois. De là souvent de religieux mais âpres frottements. C'est ce qui éveilla dans l'esprit d'un riche et pieux citoyen d'Arth cette patriotique pensée : Les Lucernois ont leur chapelle, pourquoi les Schwyzois n'en auraient-ils pas une ? — Et Jean Sébastien Zay, c'était le nom de l'avoué de l'église d'Arth, qui était en même temps membre du conseil de Schwyz, se hâta, après en avoir demandé l'autorisation à l'Evêque, de mettre la main à l'oeuvre. En 1689, il commençait, au-dessus du ruisseau de l'Aa, la construction d'une chapelle; et l'année suivante le sanctuaire dédié à la Sainte-Vierge était debout, en même temps qu'une modeste demeure en bois pour le prêtre chargé de desservir la chapelle. Avec la permission du nonce, Jules Piazzo, on pouvait dès lors célébrer les saints Mystères à l'autel improvisé, devant un magnifique tableau, copie de la Vierge de Saint-Luc à Rome, dû au pinceau habile de Balthasar Steiner, d'Arth.

Le Muta 1700, la chapelle fut solennellement consacrée par les mains du nonce Piazzo, qui la dédia à Notre-Dame des Neiges.

A la demande du zélé fondateur, auquel elle devait son existence, la chapelle de Marie aux Neiges fut mise par le nonce Michel-Ange Conti, dès l'an 1696, sous la protection spéciale de la Congrégation pour la Propagation de la foi, et l'administration indépendante en fut dévolue exclusivement aux PP. Capucins, établis à Arth depuis 1655.

Cependant cette première construction, faite à la hâte, ne fut pas de longue durée. En 1716, elle menaçait ruine. A la vue des nombreux pèlerins, qui bravaient avec courage la difficulté des chemins pour apporter leurs humbles prières à Notre-Dame des Neiges, on comprit qu'il fallait agrandir le sanctuaire. C'est ce qui eut lieu, grâce à l'activité du P. Paul Schorno, secondé vaillamment par la générosité de son digne père le landamman Christophe Schorno. Le 9 octobre 1721, l'évêque suffragant de Constance, désigné pour cette fonction par le nonce Firrao,

 

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successeur du légat Carraccioli, fit la consécration du nouvel édifice avec ses cinq autels, celui du choeur dédié à Sainte-Marie aux Neiges, et dans la nef, à droite, celui de Saint-François d'Assise ; à gauche, celui de Saint-Antoine de Padoue. Les deux autres autels sont au choeur de côté et d'autre du maître-autel.

A l'autel principal, orné de colonnettes, resplendit dans des rayons d'or la douce image de Marie, restaurée avec succès par le pinceau de l'artiste P. Deschwanden. Une grille en fer, ouvragée avec goût, sépare le choeur de la nef. Ce beau travail est un don fait à la chapelle en 1776, par le prince-abbé de Mari, Gérold Meyer. Des tableaux représentant diverses circonstances de la vie de la Sainte-Vierge ornent les murs, tandis que les portraits en pied des deux fondateurs du sanctuaire, Zay et Schorno brillent à la partie antérieure de la tribune.

En sortant de la chapelle, parfaitement orientée, on voit sous le porche toute une galerie d'autres tableaux. Ce sont les ex-voto commémoratifs de milliers de grâces obtenues en ce lieu par la confiante invocation de Notre-Dame des Neiges.

Au son des deux cloches, qui, de la tour de la chapelle, envoient leurs accords aux échos de la montagne, on voit venir chaque tête et chaque dimanche une foule pieuse s'agenouiller devant l'autel du sacrifice et occuper les trente bancs qui remplissent la nef. Deux Pères sont là en permanence pour accueillir les pèlerins au saint tribunal, tandis qu'un Frère est à leur disposition dans le modeste Hospice qui s'élève près du sanctuaire. Cet Hospice a été avantageusement remanié et augmenté de deux ailes en 1860 par les soins du R. P. Constantin, de Ruswyl. Les améliorations apportées à l'Hospice par son zèle, aussi actif qu'intelligent, permettent désormais de passer l'hiver à 4200 pieds d'altitude.

Le pèlerinage, qui a commencé avec la première chapelle, n'a pas discontinué jusqu'à nos jours. Il est vrai que la présence des Français avec leurs pièces de canon sur le Righi en 1799 l'a forcément interrompu pendant quelque temps. Cependant les Pères Capucins, bien que maltraités de toutes manières par ces hôtes impies, n’ont pas quitté leur peste d'honneur. Sous

 

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la garde de leur patiente et humble prière, le sanctuaire de Notre-Dame des Neiges a pu échapper à la dévastation des glorieux soldats de la liberté. De plus, les fils pillards de l'impiété révolutionnaire n'ont pas eu l'occasion de faire main basse sur le trésor de la chapelle. On avait eu soin de le mettre en lieu sûr avant l'arrivée des braves Français.

Après leur départ, les pèlerins purent enfin gravir de nouveau la sainte montagne, et prier « librement », soit devant les stations de la Croix qui bordent le chemin, soit dans les deux oratoires qui précèdent l'arrivée à la chapelle. L'un de ces pieux oratoires rappelle le Portement de la Croix et l'autre le Crucifiement.

Ce qui donne un charme et une valeur de plus au pèlerinage, ce sont les précieuses faveurs accordées à ce sanctuaire par les Papes Clément XII, Benoît XIV, Pie VI et les légats du Saint-Siège, Passionei, Durini et Bufialini. Outre les indulgences propres à l'Ordre des Capucins, chaque pèlerin peut gagner soit des indulgences partielles très nombreuses, soit une indulgence plénière, non seulement à la fête de Notre-Dame des Neiges, mais chaque jour de l'année, en remplissant les conditions ordinaires que prescrit le Saint-Siège.

 

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Les pèlerins de Sainte-Marie aux Neiges aiment, lorsqu'ils en ont le loisir, à franchir la distance d'une lieue pour visiter aussi la première et la plus ancienne chapelle du Righi. C'est la chapelle de Kaltbad, sur le territoire lucernois.

Ce sanctuaire est dédié à l'Archange saint Michel et à saint Wendelin. Son origine se perd dans la nuit des temps. Voici ce que rapporte la légende, telle qu'elle est venue à nous dans un ancien document, que conservent les archives paroissiales de Weggis.

Vers la fin du XIIIe siècle, un aubergiste de Grappen, nommé Walther Greter, avait trois filles dont la beauté attira les regards des Gessler et des Landenberg de l'époque. Ils avaient formé le projet infàme de les enlever pour les enfermer dans

 

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le château de Hertenstein. Les trois jeunes filles furent averties à temps du danger qui les menaçait. Dès la nuit suivante, elles s'enfuirent de la maison paternelle ; elles gravirent les pentes du Righi et cherchèrent à son sommet un refuge. Une grotte s'offrit à leurs regards. Elles y cachèrent à jamais leur innocence et leur vie A la mort de la dernière des trois nobles vierges, une source aurait jailli du sein du rocher. Et dès lors, les pèlerins vont boire, comme miraculeuse, l'eau de la source dite des trois soeurs Schwesternborn.

Un premier oratoire avait été construit en ce lieu dès le XIVe siècle. Tombé en ruine, il fit place à une seconde chapelle consacrée en 1585 par l'évêque Balthazar, suffragant de Constance. Elle fut rebâtie en 1779 dans les proportions qu'elle présenté aujourd'hui.

Pie VI a aussi enrichi d'indulgences la chapelle de Kaltbad sur la Reine des monts — Regina montium, — comme on se plaît à nommer étymologiquement le Righi.

 

§ 3 UNTERWALD

 

Le pays accidenté qui dispute son sol aux forêts du pied des Alpes, l'Unterwald, jaloux et fier de sa liberté civile, plus fier encore et plus jaloux de sa liberté catholique, l'Unterwald, qui a su repousser la tyrannie de l'erreur au XVIe siècle comme il avait repoussé la tyrannie des baillis au XIVe siècle, l'Unterwald toujours noblement et invinciblement attaché à la vérité parce qu'il fut toujours noblement moral, ne peut manquer d'offrir à ses vaillants fils des sanctuaires, où ils puissent à leur aise invoquer avec une foi robuste et confiante la Mère qui leur a gardé, à travers les épreuves et les âges, leur foi pure et vive, le plus précieux de tous les trésors.

Beckenried et Kehrsiten, Melchthal et Rickenbach, Siebeneich et Stans, autant de localités qui voient avec bonheur fleurir le culte des pèlerins envers la Mère de la foi et des moeurs.

 

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Point de vallée dans le montueux Unterwald qui n'ait un sanctuaire à Marie. Il n'y a pas jusqu'au bassin profondément encaissé de Horbis, qui n'ait sa chapelle. Il est vrai que cette dernière est dédiée non seulement à Marie, mais à la Sainte-Famille.

 

1. Notre-Dame Auxiliatrice, près de Beckenried

 

BECKENRIED ET LE TRAITÉ DE WALOSHUT, 1528. — CRÉATION DU PIUS-VEREIN, 1850. — NOTRE-DAME AUXILIATRICE, 1342. — NOUVEAU SANCTUAIRE,EN 1750. — GRACES REÇUES ET MESSES FONDÉES. — AFFLUENCE DES PÈLERINS.

 

Au pied des verts escarpements du Buochs, sur les bords riants du golfe de ce nom, est assis, le dos à la montagne et les pieds dans le lac des Waldstaetten, le gracieux village de Beckenried. Il est avantageusement connu des touristes, et son nom évoque de beaux souvenirs historiques.

C'est à Beckenried que les députés des cantons catholiques, en 1528, jetèrent les bases d'une alliance plus étroite pour répondre au Sonderbund formé par cinq Etats protestants sous le nom fallacieux de Combourgeoisie chrétienne. Ce fut le traité de Waldshut, signé avec Ferdinand, roi de Hongrie, par les délégués : Hug, de Lucerne ; Beroldingen, d'Uri ; Amstein, d'Unterwald; Gaschi; de Zoug et Amberg, de Schwyz. C'est encore à Beckenried que fut fondée, en 1850, par de généreux catholiques, aimant d'un même amour l'Église et la patrie, l'Association de Pie IX, le Pius-Verein, qui a déjà rendu en Suisse de si grands services à la cause de la vérité catholique.

En suivant le littoral du lac des Quatre-Cantons, dans la direction du beau village de Buochs, on arrive de Beckenried à un « Riedli », à une petite colline, où la place d'un sanctuaire se trouvait toute marquée. Ainsi pensaient déjà bien avant l'année 1691 les religieux habitants de cette contrée. Il existait, en effet, avant cette date, un humble sanctuaire dans le lieu où s'élève de nos jours la gracieuse chapelle de Maria-Hilf ou

 

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Notre-Dame Auxiliatrice. Ce lieu se nomme Riedli ou Rietli, Riitli. Près de là se voient encore les ruines du château des nobles d'Isenring. C'est à eux sans doute qu'on devait la première chapelle érigée au milieu de cette pelouse de verdure, alors que Buochs bâtissait sa chapelle de Saint Jodocus ou Saint-Jost (1342).

En 1750, un sanctuaire plus vaste fut construit là par la commune de Beckenried. C'est une des plus belles chapelles du Nidwalden. Elle mesure plus de 100 pieds de longueur sur 27 de largeur. L'intérieur se divise en choeur et en nef. Celle-ci est séparée du choeur par une grille en fer artistement travaillée. Sur le maître-autel, dédié à Marie, apparaît la Vierge miraculeuse représentée par une modeste statue en bois. Au même autel, un tableau digne de Deschwanden, qui en est l'auteur, offre aux regards le couronnement de Marie, auquel applaudissent les anges dans un tableau plus élevé. Saint Joseph et saint Antoine du désert ont, à droite et à gauche dans la nef, chacun son autel avec tableau dû au pinceau de Deschwanden. Saint Wendelin trouve aussi sa place à ce second autel, comme l'Ange gardien au premier.

Si les trois autels de ce beau sanctuaire charment par leur fraîcheur et leur grâce, c'est qu'ils ont été restaurés avec soin en 1863 par le peintre Hurter, de Lucerne, avec le concours de son illustre maître, P. Deschwanden. C'est au premier qu'on doit les fresques ornant les rnurs du Chemin de Croix. D'autres fresques redisent à l'oeil et à Firme du pèlerin les joyeux mystères de l'Incarnation et de la naissance du Sauveur, la douce et bienheureuse mort de Marie et sa glorieuse élévation dans le Ciel. Parmi les bienfaiteurs de ce lieu saint, il faut citer, outre les deux peintres qui viennent d'être nommés, le banneret J. M. Amstad de Beckenried.

La population des bords du lac entoure de sa vénération la chapelle de Marie. « On ne saurait dire, écrit un habitant de Beckenried, combien de grâces, et quelles grâces! ont déjà été obtenues en ce lieu béni. » Et ces grâces continuent de jour en jour à récompenser la prière des fervents invocateurs

 

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de Notre-Dame auxiliatrice. Chaque année on y célèbre plus de 150 messes fondées; la plupart se disent le samedi. A toutes les fêtes de la Sainte-Vierge, les vêpres y sont chantées et suivies d'un sermon. Alors, par un beau temps, la chapelle est trop étroite, et la moitié de la fo.ule est obligée de stationner au dehors. L'office terminé, les fidèles enfants de Dieu et de Marie auxiliatrice reprennent le chemin de leurs foyers, en redisant avec bonheur : C'est un lieu de grâces, c'est un lieu de délices. Nous y reviendrons.

 

2. La chapelle de la Sainte-Vierge à Kersiten

 

SITE DE LA CHAPELLE. — DEUX PÊCHEURS SAUVÉS PAR MARIE. — CHAPELLE BATIE ET LE TILLEUL DE 1612. — LE SANCTUAIRE BRÛLÉ PAR LES FRANÇAIS, 1798, ET RECONSTRUIT EN 1802.

 

Dans le caprice de ses plis et de ses replis, le lac de Lucerne forme près de Buochs, au pied du Btrrgenberg, une baie qui est un vrai berceau de verdure. Un bouquet de cerisiers, de noyers et de châtaigners étend la fraîcheur de son ombrage sur un groupe de maisons qui occupe ce site plein de charmes. Et au milieu de ces habitations se détache une grande chapelle. C'est le sanctuaire de Marie à Kersiten.

 

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Deux pêcheurs étaient éloignés des bords du lac dans leurs frêles embarcations. Un coup de vent soudain se fait sentir. C'est le signal d'une tempête. Elle se déchaîne avec fureur. Le lac agite ses flots, il soulève ses vagues ; vingt fois les barques sont sur le point de chavirer, et les pêcheurs d'être engloutis par les flots. Dans ce suprême péril, il ne reste plus qu'un espoir à Marc Baggenstoss et à son ami Gothard Engel berger, c'est le nom des pêcheurs. Marie peut encore les sauver. Ils invoquent l'Etoile des flots, et voici que non loin du rivage, au-dessus de deux tilleuls, l'Etoile du salut se montre à leurs regards. C'est bien Elle, c'est Marie, leur douce libératrice, qui

 

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semble leur tendre la main et leur dire : Courage! vous êtes sauvés. En effet, quelques coups de rames suffisent pour les amener sains et saufs au seuil de leurs demeures.

C'était en 1612. Cette même année vit s'élever le monument de leur reconnaissance envers Celle qui les avait si visiblement protégés, consolés, sauvés. Le pêcheur Marc donne le terrain pour la construction d'un sanctuaire à Marie, et son digne ami Gotthard en fait les frais.

Un des tilleuls que Marie semble avoir foulé de son pied virginal est encore debout derrière la chapelle. Les pèlerins qui accourent en ce lieu, ne s'en éloignent pas, dans la belle saison, sans emporter quelques feuilles de cet arbre vénérable. On attribue à ces feuilles, emblème de la confiance en Marie, des effets merveilleux.

Le nombre croissant des pèlerins de la Vierge de Kersiten a rendu trop étroit le sanctuaire primitif. Il a été rebâti dans les belles proportions qu'il présente de nos jours. Il a été rebâti coup sur coup. A peine venait-on d'y construire près de la chapelle, en 1789, une modeste demeure pour un prêtre chargé de la desservir, que les « libérateurs » de la Suisse venaient mettre tout à feu et à sang sur ces bords épouvantés. Chapelle et maison du chapelain furent livrées aux flammes par les vaillants héros de la Révolution. Deux ans après la Suisse était débarrassé de ces nouveaux Vandales. On se hâta de recueillir, surtout à Lucerne, des dons pieux, qui permirent de relever de ses ruines, avec une beauté nouvelle, la chapelle de Marie, ainsi que la maison de son chapelain à Kersiten.

Et depuis, le pèlerinage a repris son cours dans cette filiale de l'église de Stans.

 

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3. La chapelle de Marie à Melchthal

 

ARNOLD DE MELCHTHAL. — LE BIENHEUREUX NICOLAS DE FLUE. — LA STATUE DE LA VIERGE MISE A L'ECART. — FAITS MERVEILLEUX. — TRANSLATION DE LA SAINTE IMAGE. — LE SANCTUAIRE RESTAURÉ EN 1852.

 

Le nom harmonieux de Melchthal évoque de doux souvenirs au coeur qui aime la patrie suisse. Qui ne croit voir, à ce nom, apparaître au sein de cette fraiche vallée la noble et héroïque figure d'Arnold de Melchthal ? C'est bien là que vivait, paisible et heureux dans le travail des champs, le fier et digne ami de Tell et de Walther Fürst. C'est là, dans cette vallée abritée par les sommets du Bergstock à l'est, et de Hochsollen à l'ouest, qu'un jour Arnold abattit deux doigts à l'émissaire de la tyrannie qui venait lui enlever les boeufs de son labour en ajoutant : « Les paysans sont bons pour traîner eux-mêmes la charrue. » Et si Arnold de Melchthal eut la douleur de voir arracher les yeux à son père Henri, il eut la gloire, au sortir du Grütli, d'être, en 1308, le libérateur de sa patrie.

 

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Un autre souvenir cher à l'Eglise et aux âmes religieuses se rattache à la belle vallée de Melchthal. Un autre héros l'a illustrée à jamais. C'est là, en effet, au Ranft, qu'a vécu pendant de longues années le serviteur de Dieu et de Marie, le bienheureux Nicolas de Flüe. On sait que pendant dix-huit ans, le saint ermite du Ranft ne prit d'autre nourriture que la divine Eucharistie On sait aussi quelle était sa filiale dévotion envers la Mère de Dieu, et son zèle à la louer et à l'invoquer par la prière fervente du saint Rosaire. Aussi le Ranft n'a-t-il pas vu moins de trois oratoires ou chapelles, s'élever en l'honneur de la divine Mère.

Or, dans un de ces oratoires se trouvait, au commencement du XIIIe siècle, une antique statue de la Vierge sainte. En restaurant le sanctuaire où elle se trouvait, la statue devant

 

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laquelle le saint du Ranft avait si souvent chanté les louanges de Marie, fut en quelque sorte mise au rebut. Le gardien de la chapelle la relégua sur la galerie de sa maison. Elle n'y resta pas longtemps, et nous allons dire pourquoi, au témoignage de la chronique locale.

 

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En 1620, à une lieue du rocher sanctifié par le bienheureux Nicolas, une chapelle fut érigée à Marie. C'était dans le village de Melchthal, où se trouvait un pieux chapelain du nom de Traxler. Il était de Stans. De Melchthal il dirigeait souvent ses pas vers le Ranft; il allait y visiter son ami, le chapelain de Flüeli. Un jour, dans une de ses visites, il aperçut à une des fenêtres de la demeure de ce dernier, les traits charmants d'une personne qui lui était inconnue. Il n'en dit rien alors; mais en revoyant cette même apparition dans plusieurs autres visites, il finit par demander à son confrère le nom de la personne qui occupait la chambre en question.

       Elle est inoccupée et fermée, répondit le chapelain de Flüeli. Il n'y a là qu'une ancienne statue de la Sainte-Vierge. On l'avait d'abord remisée sur la galerie du sacristain. Mais souvent pendant la nuit, on remarquait une lumière assez vive qui l'entourait. C'est pourquoi je l'ai mise dans cette chambre qui lui est spécialement réservée.

        Mais ce que vous m'apprenez là est assez extraordinaire, et touche au merveilleux.

        Sans doute, reprend le chapelain de Milon, et ce qui l'est bien plus encore, c'est qu'on entend souvent comme des pleurs et des sanglots dans cette chambre isolée.

        Ce que vous me dites là, mon cher confrère, me donne un vif désir de la voir.

        Volontiers, suivez-moi.

A la vue de la statue au doux visage, le chapelain Traxler ne put retenir un cri d'admiration. « Mais ce sont là, dit-il, les traits, les vrais traits de la dame que j'ai vue si souvent à la fenêtre de cette chambre. Ah ! de grâce, cédez-moi cette statue antique. »

 

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Elle lui fut cédée et l'image de Marie tilt transférée solennellement de Flüeli à la chapelle de Melchthal. On conçoit qu'au bruit de ces merveilles, un pèlerinage se soit promptement établi à la Vierge de Melchthal. Et de nombreux ex-voto ont prouvé que Marie n'était pas insensible aux prières qui de ce sanctuaire montent vers son trône dans le ciel.

Un écusson, qui a disparu, portait autrefois au-dessus de la statue miraculeuse cette inscription : « Marie transférée miraculeusement du Ranft dans le Melchthal, montrez-vous notre Mère. »

Le chapelain Joseph-Aloys Würsch a bien mérité de ce sanctuaire en le restaurant avec soin l'année 1852. Il a donné un nouvel élan au pèlerinage par une publication intéressante qui a pour titre : Le pèlerinage à la divine Mère dans le Melchthal. Dans cet opuscule, il cite jusqu'à 38 faits extraordinaires qui prouvent combien Marie aime à exaucer les prières de ses pèlerins recourant à Elle dans leurs infirmités soit du corps soit de l'âme.

 

4. Le sanctuaire de Marie à Rickenbach

 

CHAPELLE SUR LA COLLINE. — LE HASLI CONVERTI PAR LES BAIONNETTES BERNOISES. — VANDALISME BERNOIS. — UNE STATUE SAUVÉE. — LE PATRE ET L'ÉRABLE. — NICHE ET CHAPELLE. — SECONDE CHAPELLE, 1691. — TROISIÈME CHAPELLE, 1860. — SOEURS ADORATRICES. — ENGELBERG. — SES PRINCIPAUX ABBÉS. — SON COLLÈGE.

 

A une lieue de Stans, vers l'est, s'élève la cime alpestre du Buochs, qui voit à ses pieds, au soleil du midi, une colline couronnant de sa verdure une chapelle de la Sainte-Vierge, dont l'origine remonte au XVIe siècle. C'est le sanctuaire de Marie à Rickenbach. L'accès n'en est pas facile. Le pèlerinage n'en a que plus de mérite. Au reste, le pieux voyageur, arrivé au terme de sa course, est dédommagé de ses peines autant par

 

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les charmes du paysage que par les joies saintes qu'il éprouve aux pieds de la Mère de toute consolation et de la Vierge féconde en miracles.

D'ailleurs, un attrait de plus pour rame chrétienne, c'est la présence des virginales servantes de Marie, qui mêlent leurs voix pures à la voix des pèlerins pour rendre gloire nuit et jour au Dieu de l'Eucharistie et à son Immaculée Mère.

Le 7 juin 1528, les habitants de Hasli, dans le canton de Berne, revenus de l'erreur luthérienne, où les avait jetés la surprise d'un premier moment, juraient à-la face du Ciel de revenir à la vérité, au culte chrétien et à la religion de leurs pères. Berne ne l'entendait pas de cette oreille. L'hérésie comblait les coffres de l'Etat et les remplissait des jolis millions qui devaient, en 1798, faire les délices des généraux français et de leurs armées révolutionnaires. Pour dompter l'énergie d'un peuple qui ne voulait plus de l'erreur et le courber une seconde fois sous le double joug de l'ours et de Zwingli, Berne se hâta d'envoyer contre les « insurgés » 5000 hommes armés. Devant leurs baïonnettes, leurs canons et leurs échafauds, les pâtres du Hasli se virent forcés de poser les armes et de crier : Vive la sainte religion de nos doux maîtres les Bernois !

Alors ceux-ci se mirent à l'oeuvre. Avec leurs partisans, ils envahirent les églises où ils mirent en pièces les confessionnaux, les autels, les tabernacles, les statues et les saintes images, dont ils jetèrent les débris sur des bûchers préparés au seuil des temples profanés.

Un pâtre de l'Unterwald se trouva témoin d'une de ces saturnales. Mais quel ne fut pas son étonnement à la vue d'une image de Marie s'élevant au-dessus de l'autodafé pour échapper aux flammes sacrilèges !

S'emparer de la sainte image, la presser dans ses bras, et l'emporter dans sa fuite fut pour le brave Unterwaldois l'affaire d'un moment. Il arriva ainsi, sans être poursuivi. jusqu'à son village de Büren, au-dessus de Stans.

Cette image, qui avait apparu au pâtre dans l'éclat du miracle, fut dès lors pour lui l'objet d'une vénération profonde. Lorsque

 

 

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les beaux jours de l'année suivante l'appelèrent à la garde de son troupeau, dans les pâturages de la montagne, il ne put se séparer de sa chère image. Il la prit avec lui, et la fixa dans le creux d'un érable, pour aller là soir et matin offrir ses prières au Fils de Dieu par sa très sainte Mère.

Cependant l'heure vint oit les neiges, descendant des sommets du Buochs, obligèrent le pieux serviteur de Marie de reprendre, avec son troupeau, le chemin de son chalet. Il n'avait garde d'oublier sa chère Vierge. Mais grande fut sa surprise en voyant la sainte image résister à. ses efforts et rester invinciblement fixée à l'érable usé par les siècles.

Emu de cet événement, le pâtre de Büren alla en faire le récit au curé de Stans, Baltbasar Spenzig. Celui-ci en fit part à d'autres, et toute une troupe d'ecclésiastiques et de laïques se rendirent au lieu indiqué pour vérifier le fait. A leur retour, ils ne purent qu'en attester la parfaite exactitude.

Bientôt il ne fut question dans tout le pays que de la merveilleuse image de Marie à Rickenbach. On y courut de toutes parts, et des grâces signalées récompensèrent la foi et la prière, des pèlerins. Lorsque l'érable qui, la retenait vint à succomber au poids des ans, il fut remplacé par une niche en pierre. Mais en voyant s'accroître sans cesse la foule des pèlerins, la commune de Büren, secondée par de généreux bienfaiteurs, bâtit une chapelle pour protéger contre les intempéries la sainte image et ceux qui accouraient la vénérer. A cette première chapelle, devenue trop étroite, il fallut ajouter un porche assez vaste pour abriter les pèlerins. Des confessionnaux y furent dressés en faveur de ceux qui demandaient, ce qui arrivait presque tous les jours, à faire la sainte communion aux messes qui se célébraient dans la chapelle, dont les murs allaient se couvrant d'ex-voto.

En 1691, une seconde chapelle fut bâtie dans des proportions considérablement plus grandes. Trois autels y furent érigés. Le maître autel garda sa place primitive : c'était la place même occupée autrefois par l'érable séculaire. Les autels latéraux furent dédiés à sainte Marie-Madeleine, l'illustre amie de la

 

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Mère des miséricordes, puis à saint Magnus, à saint Théodule et à saint Roch. Benoît XIV daigna même accorder une indulgence spéciale pour la tête de saint Magnus. La sainte chapelle, en 1777, fut l'objet de nouvelles faveurs de la part de Pie VI.

A peine cette seconde chapelle était-elle achevée, qu'elle reçut sa consécration solennelle des mains de l'abbé d'Engelberg, le Rme Ignace Burnat, dont le nom reviendra bientôt sous notre plume avec celui de son illustre abbaye bénédictine.

L'année 1860 a vu s'élever, en l'honneur de la Vierge de Rickenbach, une troisième chapelle, ou plutôt, cette fois, une belle et grande église. Elle n'est pas trop vaste pour les 19.000 pèlerins qui viennent y prier çhaque année, et pour les processions solennelles qu'y envoient annuellement à peu près toutes les paroisses du religieux pays d'Unterwald. Ce n'est pas trop non plus de deux Pères Bénédictins d'Engelberg, établis auprès de ce lieu saint, pour satisfaire la piété des pèlerins. Aux jours de fêtes, ils sont obligés de s'adjoindre le concours de deux autres Pères, tant pour les confessions que pour l'office divin et la prédication.

Ce n'est pas seulement du canton, d'Unterwald que viennent les pieux visiteurs du sanctuaire de Marie. Il en vient en grand nombre des cantons de Lucerne, de Schwyz, d'Uri, de Zoug, d'Argovie et même de l'Alsace et de la Souabe, de l'Italie et d'autres pays.

 

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Un monastère s'est élevé en 1864 auprès de la Source de grâces que nous venons de mentionner. Des âmes virginales se sont vouées à une oeuvre infiniment agréable à Marie. C'est l'adoration perpétuelle de son divin Fils dans le Sacrement de l'autel chrétien. Institution éminemment réparatrice et féconde, contre-poids aux blasphèmes de l'hérésie et aux outrages que le Fils de Dieu, incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge, reçoit même de ses propres enfants, jusques dans le mystère ineffable de son ineffable amour.

Les Soeurs adoratrices, établies à Rickenbach, en faisant la grande oeuvre des Soeurs dit Gubel et des Sœurs de Sion dans le

 

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diocèse de Saint-Gall, sont aussi leurs émules dans leur touchante piété envers la Mère des Vierges. Imitatrices de Marie, elles partagent leur temps entre la prière et le travail. Elles joignent ainsi les deux grands éléments de la vie religieuse : la vie de prière et la vie d'action, ou, comme dit I'Ecole, la vie active et la vie contemplative. Elles appellent, elles attirent sur elles-mêmes et sur tout un peuple les bénédictions du Dieu de nos autels, et lorsqu'il le faut, les miracles que nous vaut l'intercession toute puissante de la Reine des Cieux.

 

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Comment sortir de cette vallée, après avoir visité la Vierge et les vierges de Rickenbach, sans remonter la rivière qui l'arrose et sans porter nos pas jusqu'à la vénérable abbaye,des nobles fils de saint Benoît à la Montagne des Anges ?

Engelberg est aussi un sanctuaire de Marie. Le tableau de l'Assomption au maître-autel en fait foi. C'est d'ailleurs sous les auspices et sous le nom de la Vierge sainte que fut fondé le monastère d'Engelberg, en 1122, par le noble chevalier Conrad de Seldenbtiren, qui voulut y finir ses jours. Après lui, les papes et les empereurs, en particulier Calixte II et Henri V, se sont empressés d'étendre leur protection sur cette maison sainte et de la combler de leurs faveurs.

Jusqu'à la Révolution , qui vit les Français porter leurs ravages dans ce pays, la vallée tout entière d'Engelberg appartenait depuis plus de sept siècles au monastère des Anges.

Avant l'invasion des Français, un autre fléau a visité plus d'une fois cette magnifique maison de prières. Sur ses 52 abbés, quatre sont morts de la peste. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, ce fléau terrible s'abattit sur l'abbaye et enleva tous les religieux à l'exception d'un seul, l'abbé Georges Staub de Menzingen. L'abbaye a survécu à ces désastres, moins redoutables que l'hérésie qui n'a pu t'aire entrer son venin dans ces murs protégés par Marie.

Un autre ennemi a l'ait une rude guerre aux Bénédictins

 

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d'Engelberg. C'est le feu, qui a dévoré à trois reprises l'église et les bâtiments du monastère.

Engelberg est sous la protection de trois saints qui ont laissé dans cette abbaye le parfum de leurs héroïques vertus. Ce sont les trois premiers Abbés du monastère, saint Adebhelm, saint Frowin et saint Berchtold. D'autres Abbés se sont distingués par leur science profonde, autant que par l'éminence de leurs vertus. Tels furent Rodolphe Schertlieb au XIVe siècle, Barnabé Bürki au XVIe siècle, Léger Salzmann à la fin du XVIIIe siècle. Si le Dr en théologie Bürki, qui a su tenir sa place à côté du savant Eckius à la conférence de Baden en 1528, a été la gloire et le restaurateur de son abbaye, le Rme Salzmann, qu'a tué l'invasion française, a été le créateur du collège d'Engelberg. De nos jours nous voyons cette belle oeuvre fleurir de plus en plus sous la protection de Marie et sous la main de maîtres aussi savants que pieux et habiles.

Nommons encore l'abbé Ignace Burnoth, qui reconstruisit en 1689, à Grafenort, la chapelle de la Sainte-Croix, oit le peuple catholique va vénérer de merveilleuses reliques, savoir: une parcelle de la vraie Croix, une autre de la sainte Couronne d'épines et une troisième de l'instrument de la flagellation de Notre-Seigneur.

 

5. La chapelle de Notre-Dame à Siebeneich

 

SACHSELN ET SES NOBLES VISITEURS LE CARDINAL SCHINNER. — L'ÉGLISE DES RR. PP. CAPUCINS DE SARNEN. — LA CONFRÉRIE DES ROMAINS A KERNS. — SIEBENEICH, LA VIERGE AUX LARMES DE SANG. — PÈLERINAGE.

 

Pourrait-on visiter un des cantons les plus pittoresques de la Suisse sans se reposer un instant à Sachseln, sous les voûtes de la magnifique église érigée en 1633 à la mémoire de l'oracle de Sarnen, du héros et de la gloire de sa patrie, dont il fut l'ange pacificateur ? Quelle douceur on éprouve à contempler les

 

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reliques du Saint, à genoux, dans l'attitude de la prière ! Quel bonheur de les vénérer, en invoquant avec confiance ce saint qui fut pendant vingt ans, dans sa solitude du Ranft, l'admiration, la lumière et l'ami de tous! En priant devant les reliques saintes du bienheureux Nicolas de Flüe, nous ne faisons qu'imiter de loin la noble piété des illustres personnages, qui sont venus apporter en ce lieu le tribut de leur respect et l'hommage de leurs humbles prières. Ce sont des cardinaux, des évêques, des nonces, des princes, tels que le cardinal Schinner, l'évêque de Lausanne Benoît de Montferrand, les légats apostoliques Turrianus, Ladislas d'Aquin, Fabritius et vingt autres, les évêques de Bâle, de Coire et de Constance, les abbés de Saint-Gall, de Muri, de Wettingen, de Rheinau, de Dissentis, d'Engelberg et de Mariastein, et après ces nobles prélats, les représentants des puissances étrangères, tels que le comte Frédéric de Hohenzollern, le comte de Montfort, le comte espagnol Casati, le comte de Tournon et tant d'autres. Nous avons nommé le cardinal Schinner. Ajoutons, à sa gloire, qu'il fut le grand bienfaiteur de la chapelle du Ranft et qu'il mérite bien l'honneur de se voir dédier par Wülflin la première histoire de la vie du saint ermite d'Unterwald.

En quittant l'église de Sachslen, non sans avoir admiré ses tableaux votifs et ses colonnes en marbre noir, nous suivons les bords du lac de Sarnen. Une petite halte dans le chef-lieu de l'Obwald nous permet de visiter d'abord l'église et le couvent des Pères Capucins, les missionnaires de Sarnen et de toute la contrée depuis 1582, puis l'église des anciens Bénédictins d'Engelberg, transférés à Sarnen en 1615.

Après avoir prié avec bonheur dans cette église, devant la statue miraculeuse de l'Enfant de Noé], nous quittons la route qui nous conduirait en droite ligne à la chapelle miraculeuse du Saint-Sacrement près de Giswyl, puis au sanctuaire non moins miraculeux de saint Béat à Lungern, et, prenant la route à droite, nous arrivons, après une heure de course, au grand et beau village de Kerns.

Kerns, dit-on, a la plus ancienne église chrétienne de tout le

 

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pays. Ce n'est plus toutefois l'église actuelle avec ses tours élancées et ses belles fresques et ses riches autels, qu'il nous plaît de revoir, à deux pas du presbytère du savant et zélé curé Von Ah, cette église oit nous avons vu célébrer avec pompe, il y a plus de vingt ans, par Mgr Lachat, la grande fête de la Confrérie dite des Romains, c'est-à-dire des catholiques qui ont fait à Rome le pèlerinage au tombeau des Apôtres.

De Kerns, nous arrivons enfin par la route, non des écoliers, mais des pèlerins, au modeste sanctuaire érigé à Marie dans cette religieuse paroisse.

 

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Sieboneich, comme qui dirait les sept chênes, tel est le nom de la chapelle élevée à la Très Sainte-Vierge en 1722, Rappelons en quelles circonstances merveilleuses.

Depuis plus de vingt ans, on parlait au loin d'une Vierge miraculeuse, qui avait répandu des larmes de sang dans un sanctuaire de Beiz en Hongrie. Cet événement avait eu lieu en 1696. Des milliers de personnes en avaient été les témoins émus. L'impératrice Marie-Thérèse elle-même, comme le rappelle clans la chapelle de Sibeneich une inscription de 1745 à demi effacée par le temps, avait témoigné la plus profonde vénération envers la miraculeuse image.

Une copie en fut apportée dans l'Unterwald, et c'est pour la vénérer que fut construit, dans la forêt de Kerns, un premier oratoire en 1722. On y vint prier de divers côtés. En 1745, l'oratoire ne répondait plus au nombre des pieux visiteurs. Il fut transformé en une chapelle proprement dite. On y voit une fresque sur le mur. C'est la représentation de la Vierge aux larmes de sang. On lit au-dessous :

« Vraie copie de Notre-Dame de Betz, qui commença à pleurer des larmes de sang le 4 novembre 1696, et qui en répandit encore à plusieurs reprises. »

Trois autels décorent cette, chapelle. Au maître autel, un tableau de Marie en pleurs ; à droite, la fuite en Egypte ; à gauche, les bergers à la crèche. Les murs de la chapelle, qui

 

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est d'ailleurs bien entretenue, offrent divers ex-voto qui témoignent de l'efficacité des prières à Marie.

L'Obwald fréquente beaucoup ce lieu de pèlerinage, oit l'on dit souvent la messe. On y vient prier Marie pour toutes les infirmités Les femmes en espérance aiment surtout à venir se recommander à la Mère des mères et lui demander la vie et la grâce du baptême pour l'enfant que Dieu va leur donner.

 

6. Notre-Dame du Foyer, à Stans

 

NOTRE-DAME D'OBERRICKENBACH. — STANS, WINKELRIED ET LE B. NICOLAS DE FLUE. — LES FRANÇAIS DE LA RÉVOLUTION. — 44 VICTIMES DE LEUR CRUAUTÉ. — LES FILS ET LES FILLES DE SAINT FRANÇOIS EN FUITE. — NOTRE-DAME DU FOYER. — LES 14 NOHTHELFER. — L'OFFICE DU SAMEDI ET L'ASSOMPTION. — RESTAURATION DE 1864.

 

A l'est de Kerns, se dresse majestueux et fier le Stanserhorn, au pied duquel se déploie, au levant, le grand village de Wolfenschiessen, avec sa chapelle de Marie à Oberrickenbach, et son église renfermant les restes vénérés du petit-fils du bienheureux Nicolas, le pieux Conrad Scheuber, ancien landammann, comme son grand'père, et comme lui ermite au Ranft et que le peuple invoque, lui aussi, sous le nom de « bienheureux. »

Au sortir de cette belle église, dans laquelle est honorée Notre-Dame de Lorette, on n'a qu'à suivre le cours de l'Aa, qui descend d'Engelberg et on arrive une heure après à Stans, chef-lieu du Nidwald.

La vue de ce bourg évoque tout d'abord trois grands souvenirs qui appartiennent à l'histoire. Le héros de Sempach, Arnold de Winkelried, était un fils des montagnes de l'Unterwald. Aussi voit-on sa statue à Stans, ici, sur son piédestal près de l'église, là, sur la fontaine du bourg.

Ensuite c'est à Stans qu'était réunie, en 1481, la diète des confédérés, prêts à courir aux armes pour s'entr'égorger, lorsque parut au seuil de la salle des délibérations, religieusement

 

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conservée, le saint ermite du Ranft, dont les évangéliques paroles ramenèrent entre les fils d'une même patrie la paix si profondément troublée.

C'est à Stans, enfin, que les Français de Schauenbourg et de la Révolution, ivres de fureur et de sang, exercèrent leurs cruautés, en 1798, contre un peuple qui n'avait qu'un tort, celui de défendre au prix de son sang la double liberté de son pays et de sa foi. Ecoutons le récit abrégé que nous fait de ce drame sanglant un historien que personne n'accusera de cléricalisme (style du jour) : « Le 9 septembre 1798, le Nidwald fut attaqué de trois côtés à la fois par une armée de 16.000 hommes. A ces forces imposantes, ce petit pays n'avait à opposer que 2.000 hommes, renforcés par 200 volontaires de Schwytz et 20 d'Uri. Un pêcheur de Stansstad, Louis Fruonz, commandait la petite armée. Les montagnards n'en luttèrent pas moins avec une énergie admirable, sacrifiant leur vie, comme dit l'inscription de l'ossuaire de Stans (près de l'église), « pour Dieu, la patrie et la religion. » Le sang français rougit la baie d'Alpnach, la forêt de Kerns et les rochers de Rotzberg. Avec quelques centaines d'hommes de plus, et des chefs expérimentés, le petit peuple du Nidwald triomphait de l'armée de Schauenbourg. Mais le manque de plan, les forces trop supérieures de l'ennemi et sa formidable artillerie rendirent, après dix heures d'un combat héroïque, toute résistance inutile. Les vainqueurs se souillèrent par des cruautés et des abominations inouïes. Ils percèrent de leurs baïonnettes des filles et des . femmes, après les avoir outragées; ils égorgèrent des enfants à la mamelle, et en jetèrent d'autres dans le brasier de l'incendie qui dévorait maisons et villages. 414 personnes parmi lesquelles 130 femmes, filles et enfants, périrent dans cet horrible massacre. » (Daguet, Histoire de la Confédération suisse, p. 508 et 509).

Quatre cent quatorze martyrs de la foi et de la liberté! Les PP. Capucins, établis à Stans depuis 1582, et les Soeurs Capucines depuis 1621, n'échappèrent que par la fuite à ces horreurs et à la mort. La maison des Filles de Saint-François se vit convertie

 

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en orphelinat, dont la direction fut confiée au pédagogue Pestalozzi par la commission helvétique ( Zschokke). Ce n'est qu'après le simulacre de liberté rendue à la Suisse par Bonaparte en 1802, que les humbles Capucines, comme les Fils du saint d'Assise, purent rentrer dans leurs saintes maisons.

 

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A cette date de sinistre mémoire, le 9 septembre 1798, un prêtre célébrait la sainte Messe à laquelle assistait, anxieuse et recueillie, une foule de vieillards, de femmes et d'enfants. Tout à coup une balle siffle, frappe et tue le prêtre à l'autel du Sacrifice. C'était le signal de la boucherie. Les Français se ruent comme des bêtes fauves sur ce peuple en prières, et le sang des innocentes victimes inonde le temple saint. Même tuerie dans d'autres églises et dans diverses chapelles. Celle de Notre-Dame du Foyer ne fut pas épargnée. Ce sanctuaire est ainsi nommé, parce qu'il se trouve sous le foyer de la grande et belle église de Stans, fière des décorations artistiques qu'elle doit à un fils de Stans, l'illustre peintre Paul-Marie Deschwanden.

Cette chapelle souterraine, cette crypte de Marie, à laquelle on descend par un escalier en pierres, porte à l'un de ses murs une fresque représentant les 14 saints dits de « Bon secours. » (Nothhelfer). C'est là qu'on va les invoquer, ainsi que Marie leur puissante Reine, en faveur des âmes aux prises avec la mort. Que de fois les prières dans cette sainte chapelle. ont apporté consolation, paix et délivrance aux pauvres agonisants ! Le soir, on y récite le chapelet. Chaque jour, on y célèbre la première messe. En outre, un office y est chanté tous les samedis : c'est une fondation de l'épouse du chevalier Lussi, bienfaiteur de ce sanctuaire et de plusieurs autres. L'Assomption est la fête principale de la sainte chapelle; l'office alors se célèbre avec diacre et sous-diacre, et l'église, comme le sanctuaire de Marie, est remplie de fidèles.

Ce lieu vénéré a été l'objet d'une excellente restauration ainsi que l'église elle même, en 1864, ce qui n'a pas peu

 

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contribué à voir augmenter le nombre des âmes religieuses, qui vont avec délices y porter à Marie le tribut de leur amour et de leur invocation.

 

§ 4. URI

 

GUILLAUME TELL, UN VRAI CATHOLIQUE. — SA FOI DIGNE D'UN HÉROS. — LE PEUPLE D'URI MORAL ET FIDÈLE A LA VRAIE FOI.

 

Uri, Bürglen,Tell, association d'idées, trilogie qui s'impose. On connaît, on exalte l'héroïsme du créateur de la liberté suisse et de l'indépendance nationale. Pourquoi craint-on d'ajouter que Guillaume Tell était un chrétien de vieille roche, un catholique fidèle, remplissant avec bonheur le devoir de l'assistance au Saint-Sacrifice les fêtes et les dimanches, se confessant et communiant souvent pendant l'année, et puisant dans sa religion parfaite, autant que dans son coeur, sa tendresse pour son fils, son affection pour son épouse, sa charité pour les pauvres et par dessus tout, son patriotisme hardi jusqu'à la témérité, jusqu'à l'héroïsme? Et pourquoi l'histoire semble-t-elle oublier la tradition séculaire qui nous montre le brave de Ktissnacht et du Grütli finissant en héros sa noble vie? Il trouva la mort, dit le chroniqueur, dans les eaux du Schachen débordé, en voulant arracher à la mort un enfant qu'entraînaient les flots. L'héroïsme de la charité couronna ainsi l'amour héroïque de la patrie. C'est une fin digne de Tell. Légende! Ce n'est pas écrit, dira-t-on. Comme si l'histoire écrite au coeur de tout un peuple, racontée de père en fils, de génération en génération, n'avait pas sa valeur, aussi bien que tel parchemin écrit par une plume dont on affirme sans preuve la sincérité et la loyauté !

Est-il écrit que, dès les jours de Tell, le peuple d'Uri fut toujours profondément attaché à la foi de ses pères, à la vérité catholique, à la pratique de la vérité et de la foi? C'est cependant un fait que nul ne songera à mettre en doute. Et ce qu'on ne mettra pas davantage en doute, c'est que le peuple d'Uri

 

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fut, dans tous les temps, d'une pureté de mœurs qui lui a valu, avec sa piété noble et franche, la conservation du christianisme dans la tourmente du XVI° siècle. Car Uri aussi a eu l'honneur d'entendre des savants du poids des Zwingli et des Oecolampade, des Haller, des Bullinger et des Farel. Mais la foi du peuple a jugé sagement que l'Eglise, telle que l'a constituée et organisée soir divin Fondateur, en savait encore plus et savait de plus haut, de meilleure source, que les corrupteurs de la foi chrétienne substituant leurs blasphèmes et leur morale à la morale et aux vérités de l'Evangile.

Marie a protégé le peuple fidèle à l'honorer, plus fidèle encore à l'invoquer au jour du péril. Marie a sauvé son peuple, et le peuple de Dieu et de Marie. continue à invoquer Celle que l'Evangile appelle de son vrai nom : la Vierge Mère de Jésus, c'est-à-dire l'Immaculée Mère du Dieu des chrétiens.

On trouve dans le canton d'Uri, le plus montagneux de la Suisse, cinq beaux sanctuaires de Marie. Andermatt et Gortschwyler, lagdmatt, Riederthal et Sonnenberg sont autant de lieux bénis, qui se répondent comme parfois sur les montagnes d'Uri les feux de joie répondent aux feux de joie pour saluer dans cette contrée catholique les fêtes religieuses ou nationales.

 

1. Notre-Dame Auxiliatrice à Andermatt

 

GÉOLOGUE ET POÈTE. — LES RR. PP. CAPUCINS, 1580. — MARIE, SAINT JOSEPH ET SAINT SI BASTIEN. — FRANÇAIS ET RUSSES DANS LE VAL D'URSEREN. — NATIVITÉ DE LA SAINTE-VIERGE. — PÈLERINAGE.

 

Au temps quelque peu éloigné de nous et légèrement problématique, où les eaux de la Reuss ne s'étaient pas encore ouvert le passage des Schällenen, elles formaient au flanc septentrional du Saint Gothard un charmant lac, dont le bassin est devenu plus tard un frais, berceau de verdure. Ainsi dit le géologue. Il parle comme chante le poète.

 

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Quoi qu'il en soit des chants de l'un et des hypothèses de l'autre, par delà le pont du diable et le trou d'Uri, un gracieux vallon existe avec son beau village d'Andermatt.

Jusqu'en 1740, on regrettait de ne pas voir ce vallon alpestre consacré en quelque sorte à Marie par un sanctuaire digne d'Elle. Un généreux chrétien prit enfin l'initiative de cette oeuvre religieuse. A la voix du banneret Jean Maitzen, toute la vallée tressaillit de joie. Ses pieux habitants s'empressèrent d'apporter à ce travail le double tribut de leur argent et de leurs bras. En octobre 1740, la chapelle put être bénite sous le nom de Mariahilf par le P. Albert, curé de la vallée. On sait qu'à Urseren comme à Réalp, les PP. Capucins ont une petite résidence sous le nom d'hospice. Leur maison principale est à Altorf, au pied de la « Foret réservée » ou Bannwald. Ce couvent d'Altorf est le premier et le berceau des Capucins en Suisse. Ils sent établis, depuis l'année 1581, au chef-lieu du canton d'Uri, où ils furent appelés alors par le landamman Jean Walther Roll.

La chapelle de Mariahilf s'élève sur une éminence et sa tour, où se balancent deux cloches aux sons harmonieux, domine le village d'Andermatt. C'est un site très pittoresque, d'où la vue embrasse une grande étendue de la vallée. Trois autels sont érigés dans le sanctuaire de Marie, dont la voûte est ornée de jolies fresques représentant la Nativité, la Présentation et l'Assomption de la Mère de Dieu.

Le maître-autel conserve religieusement la « sainte Image » de Marie. Cette image vénérée, comme miraculeuse, a précédé la construction de la chapelle. Elle était suspendue à un sapin de la foret, où l'on allait avec confiance demander à la Sainte Vierge les miracles qu'on attendait et que maintes fois on a obtenus de sa maternelle bonté.

Saint Joseph a aussi sa place dans la chapelle de sa virginale Epouse. A l'autel de droite, dédié au plus saint des mortels, on voit le « Père de Jésus » rendant à Dieu sa belle âme. En face de son autel, est celui de saint Sébastien, le vainqueur de l'idolâtrie et de la peste. Un tableau d'une grande beauté orne

 

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le lieu-saint. Il représente Notre-Seigneur au jardin des Oliviers. De provenance espagnole, ce chef-d'oeuvre réunit la double richesse de l'art et d'une indulgence spéciale.

On voit dans la chapelle de Mariahilf un bon nombre d'ex-voto, dont le plus ancien remonte à l'année 1747. Parmi ces monuments de la reconnaissance envers Marie, on distingue un tableau qui rappelle la protection particulière dont la Vierge sainte a couvert une maison de la vallée d'Urseren en 1799. Cette année fut terrible pour la. vallée d'Andermatt et tout le pays d'Uri. On n'a pas oublié le passage des troupes du général français Lecourbe, poursuivi par le général russe Souwaroff, ni les combats sanglants qui se livrèrent à la descente du Saint-Gothard, ni les ravages causés dans le pays d'Uri par les Français et par les Russes. Or, la maison qui se mit à temps sous l'égide puissante de Marie, se trouvait entre deux corps d'armées aux prises l'une avec l'autre. Cette habitation, exposée à tous les projectiles n'a pas reçu une égratignure. Est-ce sans raison qu'on a vu là un miracle réel dû à la protection de la divine Mère ?

Pendant les cinq mois de l'année où la neige ne couvre point le sol du vallon, de nombreux pèlerins accourent à la chapelle, tantôt en groupes tantôt en procession. Mais à la fête principale de ce lieu-saint, à la Nativité de Marie, une foule considérable se presse dans la chapelle et l'entoure de toutes parts. Ce sont les fervents catholiques de Realp, d'Hospenthal et de Zum Dorf, qui se joignent à leurs frères d'Andermatt pour assister à l'office solennel avec sermon, et célébrer avec un touchant éclat la naissance de Marie et son patronage riche de grâces et de bienfaits.

 

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2. Notre-Dame des Sept-Douleurs à Goertschwiller

 

D.ANDERMATT A GOERTSCHWILLER. — NOTRE-DAME DES SEPT-DOULEURS. — DEUX FÊTES PRINCIPALES. — GRAND CONCOURS. — LE CRUCIFIX MIRACULEUX. — CHAPELLE BATIE EN 1570, AGRANDIE ET CONSACRÉE EN 1599. — TABLEAU DE CALVART, 1609. — SAINTE-ANNE DE SCHWANDEN.

 

En descendant de Mariahilf et d'Andermatt, nous saluons en passant le village de Güschenen avec sa bouche du tunnel du Saint-Gothard, puis à Armsteg, l'entrée de la pittoresque et admirable vallée de Maderan, et en suivant le cours de la Reuss aux flots bruyants et écumeux, nous arrivons à travers la cluse d'Erstfeld, au modeste village d'Attinghausen, où débouche, au pied de son vieux château et non loin de sa chapelle de saint Onuphre, la vallée qu'arrose et que bouleverse parfois le torrent du Schächen.

En remontant ce cours d'eau et la vallée agreste à laquelle il donne son nom, on rencontre à deux lieues de Bürglen le grand village de Spiringen, d'où l'on arrive, en gravissant la montagne, au sanctuaire de Notre-Dame des Sept-Douleurs, occupant le site charmant de Görtschwiller. On y vient de tous les points de la vallée de Schächen prier avec bonheur la Dispensatrice des grâces du Ciel. Le Pape Benoît XIV a enrichi d'indulgences ce sanctuaire. On peut les gagner chaque samedi et plus particulièrement aux deux fêtes principales de la chapelle, qui attirent là une foule considérable. La première. est celle de Notre-Dame des Sept-Douleurs, la seconde celle de la consécration de la chapelle, le dimanche après la fête de saint Gall. Outre les nombreuses messes fondées qui se célèbrent dans ce sanctuaire, on y chante les vêpres l'après-midi de chacune des fêtes de Marie. Aux vêpres , qui sont parfois remplacées par la récitation du saint Rosaire, on joint alors un sermon de circonstance. Des ex-voto en grand nombre sont suspendus aux murs de la chapelle, dont nous allons redire la merveilleuse origine.

 

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En 1568, deux phénomènes se sont produits qui s'éclairent l'un l'autre de leur surnaturelle lumière. Au jour de la fête de' la Nativité, Jean Conrad se rendait avec son domestique Klaus ou Nicolas à l'église de sa paroisse à Spiringen. Arrivés à Görtschwiller, ils trouvèrent sous leurs pas un crucifix qu'ils placèrent avec respect dans la haie bordant le chemin. Ils se hâtèrent ensuite de prendre des informations pour connaître le propriétaire de ce crucifix. Mais toutes leurs recherches furent vaines. Personne dans toute la contrée n'avait perdu la sainte trouvaille.

En même temps, des témoins dignes de foi affirmaient qu'ils avaient vu pendant la nuit, à deux reprises, une lumière extraordinaire éclairer la colline où avait été trouvé le crucifix mystérieux. Ces témoins ajoutèrent qu'ils avaient entendu là des chants d'une douceur toute céleste, et que de là encore leur était venus des parfums d'une suavité que la terre ne connaît point.

Ces faits et ces bruits vinrent à l'oreille du chevalier Azarie Püntener. Son esprit en fut frappé. Il interrogea tous ces témoins. Il demeura convaincu que le Ciel demandait un sanctuaire à Görtschwiller. Sa conviction ne fit que s'affermir en apprenant que maintes prières faites en ce lieu avaient été exaucées.

Le chevalier Püntener allait mettre la main à l'oeuvre, lorsqùe le bruit des armes l'appela en Italie en 1568. A son défaut, il chargea son frère Henri Püntener, vice-landamman d'Uri, de mettre à exécution son pieux projet. Deux ans après, la chapelle était en construction, à la grande joie du capitaine, qui envoyait son portrait à sa famille.

Vingt-cinq ans s'étaient à peine écoulés, que la chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs était trop étroite pour la foule qui venait se presser dans son enceinte. Les frères Püntener n'étaient plus là, mais les membres de leur famille avaient hérité de leur foi sainte en la Mère de Dieu. Ils furent heureux,

 

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ainsi que d'autres fidèles de la vallée de Schâchen, de prêter leur concours au landamman Steiger pour la construction d'une chapelle plus vaste et plus solide. En 1599, l'Evêque suffragant de Constance en faisait la consécration, et enfermait soigneusement dans le tombeau . du maître-autel le crucifix mystérieux, auquel le sanctuaire devait son existence.

En 1609, cet autel s'embellissait d'un magnifique tableau dû au pinceau de Denys Calvart. Ce tableau, grandement apprécié des artistes et des connaisseurs, représente le Sauveur descendu de la croix et reposant sur les genoux de sa divine Mère, ayant à ses côtés saint Jean et sainte Marie-Madeleine. Sous ce tableau est suspendu le portrait du fondateur de la première chapelle, Azarie Püntener.

Un Chemin de Croix a été érigé dans ce sanctuaire, muni d'un orgue et de trois autels.

La piété populaire continue à venir invoquer en ce lieu la Mère qui a connu toutes les douleurs, et qui sait les soulager, les consoler toutes. Marie est appelée, à juste titre, la Consolatrice de tous les affligés.

Souvent aussi, de ce lieu béni, le pèlerin ne redescend dans la vallée que pour remonter plus haut le cours du Schächen et porter ses prières à la bienheureuse mère de la Vierge Immaculée, à sainte Anne, dans sa belle chapelle de Schwanden.

 

3. La chapelle de Marie et de Saint-Grégoire à Iagdmatt

 

IAGDMATT SUR LA REUSS. — LE CERF DE SAINT EUSTACHE ET DE SAINT FÉLIX. — LE CHASSEUR; DEVENU ERMITE. — CHAPELLE REBATIE EN 1648. — LE SAINT MARTYR GRÉGOIRE, 1690. — FÊTE SÉCULAIRE DE SA TRANSLATION, 1790. — GRACES OBTENUES. — FÊTES PRINCIPALES. — LE SAINT GRÉGOIRE D'IAGDMATT.

 

A l'entrée de la vallée âpre et cependant fertile d'Ersfeld se trouve, au pied de ses hautes cimes, le village de ce nom avec ses 1200 habitants. C'est une des stations importantes de la

 

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ligne du Gothard sur les bords de la Reuss. Sur la rive droite de la rivière, on aperçoit près d'Ersfeld une chapelle qu'on prendrait plutôt pour une église. C'est le vaste et beau sanctuaire de Marie à Jagdmatt. Il est à moitié caché dans un bouquet d'arbres fruitiers, qui donne à ce site un aspect charmant.

Il faut remonter bien haut pour trouver l'origine de ce sanctuaire érigé par la foi chrétienne à la gloire de la Mère de Dieu. Il existait déjà, comme le prouvent des documents authentiques, au XIème siècle. Restauré ou rebâti en 1379, il fut agrandi et consacré d'après les ordres du Pape Benoît XII, sous le vocable de Notre-Dame de Jagdmatt (Prairie de la chasse).

 

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Qui n'a lu et relu avec admiration la belle légende de saint Eustache, martyr sous l'empereur Trajan, dont il était un des plus vaillants capitaines? Ce guerrier, romain de noble race, n'était pas chrétien ; il était, par contre, grand ami de la chasse. Or, un jour qu'il poursuivait avec ardeur un cerf d'une merveilleuse beauté, ce dernier s'arrête et laisse voir aux yeux étonnés du chasseur une croix brillante qui montrait entre les bois du cerf un Christ suspendu à l'arbre de la rédemption. A cette vue, il comprend que le Dieu des chrétiens l'appelle à servir sous sa bannière. Il va demander le baptême pour lui, pour son épouse Théopista et ses deux fils Agapit et Théopiste, qui eurent la gloire, avec saint Eustache, d'être jetés aux lions et de donner leur vie pour Jésus Christ.

Or, ce fait merveilleux, que nous verrons se reproduire au XIIIe siècle sous une forme un peu différente, aux yeux de saint Félix de Valois et de son digne ami saint Jean de Matha, dans la forêt où ils s'étaient retirés au diocèse de Meaux, un noble du pays d'Uri le voyait se renouveler à ses regards dès le XIe siècle dans la forêt, dont la hache a fait depuis la vaste prairie connue sous le nom de Iagdmatt. Et le chasseur chrétien, ajoute la chronique, frappé de la vue du Christ et de sa croix élevée entre les bois du cerf haletant, fut tellement

 

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touché de ce merveilleux spectacle, qu'il dit au monde un éternel adieu, pour finir sa carrière au lieu même où ses regards avaient contemplé la surnaturelle vision.

Après la mort sainte du Nemrod, devenu un humble solitaire, il fut enseveli dans ce lieu même, et l'on conserva pendant des siècles ses ossements vénérés ainsi que son couteau de chasse, sa ceinture et diverses autres reliques.

Le souvenir de la chasse mystérieuse était conservé avec soin autrefois dans un tableau de l'ancienne chapelle. Ce tableau existe encore. On le voit dans le sanctuaire moderne, à la partie supérieure de l'autel

Rebâtie en 1648, la chapelle de Marie à Jagdmatt fut l'objet d'une nouvelle consécration le 5 août de la même année. Et près d'un demi-siècle plus tard, elle reçut un autel neuf, dont un Valaisan, Jean Ambord, fit les frais. A cette considération, il fut reçu bourgeois d'Uri. Ce fut aussi l'occasion de la translation des reliques de saint Grégoire, martyr; elles furent placées sur l'autel pour demeurer exposées aux regards et à la vénération des fidèles. C'était en 1690. Dès lors, le nom du saint martyr se joignit au nom de la Reine des martyrs, sur les lèvres chrétiennes qui venaient prier dans ce sanctuaire. De nombreux miracles furent obtenus par cette double intercession de la Mère et d'un de ses illustres fils.

Un siècle après, en 1790, le peuple catholique d'Erst'eld voulut se donner la fête d'un touchant centenaire et renouveler la translation pieuse des reliques du saint martyr. A cette occasion, la chapelle fut restaurée avec goût, et les reliques de saint Grégoire, mises aux mains pieuses des filles de saint François, à Altorf, reçurent un nouveau vêtement (châsse).

Le saint s'empressa de les récompenser. Un tableau suspendu dans la chapelle redit à tous comment une religieuse vit disparaître tout d'un coup, par l'invocation du saint martyr, une grave maladie à laquelle elle était sur le point de succomber.

Les fêtes qui amènent le plus de monde à Notre-Dame de Jagdmatt; outre les jours spécialement consacrés à Marie, sont celle de saint Joseph, le virginal époux de la Vierge Immaculée,

 

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celle de sainte Anne et enfin la fête du saint martyr Grégoire.

En ces jours de prières, il y a office et sermon dans la chapelle, ainsi qu'à la Saint-Marc, jour auquel les processions de toutes les paroisses du pays se donnent rendez-vous dans la sainte chapelle.

On demandera peut être quel est le saint martyr Grégoire honoré dans la chapelle de Jagdmatt? Le martyrologe romain ne signale qu'un saint Grégoire, martyr : c'était un prêtre de Spolète, dont cette ville garde religieusement les reliques. Il s'agit donc sans doute à Jagdmatt d'un des nombreux martyrs renfermés dans les loculi des Catacombes, et qui reçut, à sa translation. le nom significatif de Grégoire (vigilant).

 

4. La chapelle de la Sainte-Vierge à Riederthal

 

LES VOIX MYSTÉRIEUSES. — SECONDE CHAPELLE. 1545. — RECONSTRUCTION ET CONSÉCRATION EN 1592. — CONFRÉRIE DU SAINT-ROSAIRE. — LE CHAPELAIN DE RIEDERTHAL. — PROCESSIONS. — INCENDIE ET VISU A ALTORF, 1693. — LORETTE ET ORATOIRE. — AFFLUENCE AUX FÊTES DE NOTRE-DAME DES SEPT-DOULEURS ET DE SAINT BARTHÉLEMY.

 

Un berger de Bürglen gardait un troupeau de chèvres au flanc des montagnes qui ceignent de leur couronne la fraîche petite vallée de Riedern, à l'est de la vallée d'Erstfeld, dont elle est séparée par les cimes altières du Hoh Faulen. Un jour, l'humble pâtre entendit des voix joyeuses. Elles chantaient des airs qui le ravissaient. [l s'approche, il veut savoir de qui viennent ces mélodieux accents. Il ne voit personne. Le lendemain, le surlendemain, même surprise et même bonheur. Au récit du berger , d'autres personnes accourent vers le bosquet aux voix mystérieuses. Elles entendent, mais il leur est impossible d'y découvrir âme qui vive.

Conclusion unanime : il faut bâtir là une chapelle à la Très Sainte-Vierge.

 

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Ainsi raconte la chronique de Bürglen et du Schächenthal. Le fait est que, bien avant 1545, une chapelle à Marie existait dans le Riederthal.

 

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En 1545, le conseil paroissial de Btirglen décidait de remplacer l'ancienne chapelle par une plus grande, « afin d'augmenter encore la dévotion envers ce lieu riche en grâces. »

Endommagée ensuite par l'humidité qui mouillait ses murs, la chapelle de Marie dut être reconstruite en 1592. Le 2 septembre de cette année, elle recevait une nouvelle consécration du suffragant de Constance, Balthasar, évêque d'Ascalon. Elle perdit alors sa confrérie du Saint-Rosaire. Cette excellente Association des fils et des filles de Marie existait depuis longtemps dans ce sanctuaire. En 1593, elle fut transférée et canoniquement érigée dans l'église paroissiale d'Altorf. Peu de temps après, vers 1600, un bénéfice fut établi en faveur de la sainte chapelle. Elle eut son chapelain propre, ayant pour obligation d'y célébrer la sainte messe tous les samedis qui ne sont pas jours de fête ou de confessions, car il doit, dans ce cas, prêter son concours au curé de Bürgien. Le chapelain de Riederthal est en outre à la disposition des pèlerins qui viennent faire leurs dévotions en l'honneur de Marie dans son paisible sanctuaire.

Le nombre de ces pèlerins est toujours considérable. Ils viennent de tous les points de la contrée d'Uri. Ils y trouvent ce que cherche leur foi, gomme l'attestent les ex-voto qui couvrent les murs de la chapelle. On y vient aussi en procession dans des circonstances graves. Deux processions se font régulièrement chaque année à Notre-Dame de Riederthal. L'une est celle d'Altorf, l'autre celle de Fluelen. L'une et l'autre ont pour but d'obtenir de la divine Mère la préservation du feu. C'est ainsi une assurance contre l'incendie. Est-ce la moins salutaire? Altorf l'a éprouvé. En 1693, toute la partie haute du bourg devint la proie des flammes. Déjà 73 maisons étaient en cendres, et le feu gagnait l'autre moitié du village. Alors,

 

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un voeu fut fait à la Vierge de Riederthal. Et les flammes respectèrent ce qui restait debout dans le bourg. Dès l'année de ce sinistre, la procession n'a ;pas discontinué. Chaque famille d'Altorf est obligée, ainsi qu'à Fluelen, de s'y faire représenter au moins par un de ses membres.

En se rendant d'Altorf à la chapelle de Riederthal, le pèlerinage a l'occasion sur son chemin, qui est d'une lieue, de faire deux petites haltes en l'honneur de Marie. La première est à la chapelle de Lorette au sortir d'Altorf; on y voit une charmante statue de la Très Sainte-Vierge. La seconde est à un oratoire qu'on désigne sous le nom de « Mère délaissée. » En outre, un Chemin de Croix, qu'on trouve un peu plus loin, introduit pieusement au sanctuaire de Riederthal.

Une foule immense y accourt à la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Il en est de même de la Saint-Barthélemy, anniversaire de la consécration de la chapelle. Ce n'est pas trop en ces deux jours, des quatre prêtres de Burglen, aidés de quelques Pères Capucins d'Altorf, pour répondre aux pieux désirs des fidèles et leur administrer les divins Sacrements. L'office est alors accompagné d'un sermon, qui se l'ait en plein air, car la chapelle ne peut contenir qu'une faible partie de l'immense auditoire.

 

5. Notre-Dame de Sonnenberg

 

PANORAMA. — LE BÉLUS PAÏEN. — LA STATUE MIRACULEUSE. — CHAPELLE CONSACRÉE, 1589. — RECONSTRUCTION ET CONSECRATION NOUVELLE, 1666. — SAINT ANTOINE ET SAINT WENDELIN. — RESTAURATION, 1864. — NOMBREUX EX-VOTO. — L'ASSOMPTION — QUELQUES AUTRES SANCTUAIRES. — LES BENÉDICTINES DE SEEDORF.

 

Si Marie est la rose des champs et le lis des vallées, Elle est aussi la Reine des monts et sait asseoir son trône sur les sommets voisins des cieux. Il en est ainsi au Rigi. Il en est

 

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de même au Sonnenberg, où l'on arrive en gravissant les pentes abruptes qui conduisent de Beckenried au Seelisberg. De cette cime radieuse, l'mil découvre un magnifique panorama qu embrasse, avec une grande partie du lac des Quatre-Cantons, la verdoyante vallée de Schwyz, dominée au loin par le Mythen, plus près par l'Axenberg, si avantageusement connu des touristes.

Sans nous arrêter plus longtemps à contempler ce spectacle grandiose et enchanteur, portons bien vite nos pas au sanctuaire élevé à Marie sur ces sommets que couronne le château de Beroldingen.

Nous voici à la chapelle de Marie. Avant d'en franchir le seuil, asseyons-nous un instant sur ce banc de gazon, et rappelons l'origine de ce beau sanctuaire.

Le nom de Sonnenberg, que porte le petit plateau qui s'étend au sommet de la montagne, fait penser instinctivement au culte idolâtrique rendu autrefois au dieu du jour sur les sommets les plus élevés. La montagne du soleil a sans doute eu, avant le christianisme, ses feux de joie pour adorer l'astre de la lumière. Est-ce pour achever de purifier ces sommets que Marie a demandé là-haut un trône et un sanctuaire? Est-ce, d'un autre côté, pour récompenser la piété fervente de ses enfants des montagnes? En tout cas, à en croire la chronique légendaire, c'est Marie elle-même, dont le maternel amour est sans cesse jaloux d'une effusion plus abondante de ses bienfaits sur ceux qui l'invoquent, c'est Marie qui a demandé sur ces cimes un nouveau foyer de grâces à répandre et d'invocations à recevoir.

Voici le fait surnaturel qui est conservé avec le respect des traditions populaires sur les hauteurs du Sonnenberg.

Au lieu même où s'élève en ce moment la chapelle de Marie, un berger de chèvres, qui priait chaque jour de tout son coeur la divine Reine du Ciel, vit un jour une brillante lumière apparaître à ses regards. Saisi d'étonnement, il s'approche du lieu où était cette lueur éclatante, extraordinaire. A sa grande joie, il trouve là une statue en bois représentant la Très Sainte

 

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Vierge. Et c'était de cette sainte image que rayonnait la vive lumière qui avait attiré ses pas. On eut peine à croire au récit de l'humble berger, dont on tournait en ridicule la simplicité naïve. Cependant, sur ses instances, plusieurs personnes se décident à aller voir de leurs yeux ce qu'il pourrait y avoir de vrai dans les affirmations du serviteur de Marie. Elles s'en reviennent en louant Dieu et en confirmant de tout point l'exactitude du fait mystérieux.

Aussitôt, on se hâte de dresser là une niche pour y placer la merveilleuse statue. On y vit bientôt accourir des pèlerins, qui en attirèrent d'autres sur leurs pas par le récit des grâces obtenues. Pour abriter la statue sainte, on construisit en bois une première chapelle, qui fut nommée la chapelle de la forêt. Mais le nombre croissant des pèlerins et de la population sur la montagne rendit nécessaire la construction d'une chapelle plus vaste. Ce qui eut effectivement lieu. Le 7 juin 1589, l'évêque d'Ascalon, suffragant de Constance, fit la consécration solennelle du nouveau sanctuaire sous le vocable de « Marie au Sonnenberg. » Ainsi l'atteste un ancien document. Il nous apprend en outre qu'un Frère gardien fut établi près de la chapelle pour en avoir soin.

La chapelle de Marie n'avait alors qu'un autel. En 1665, elle était trop petite pour la foule qui s'y rendait de toutes parts. Il fallut la rebâtir à neuf sur un plan plus vaste. C'est ce qui eut lieu en 1666. Le 15 septembre de l'année suivante, le suffragant de Constance, Georges Sigismond, évêque d'Héliopolis, consacrait les trois autels qui venaient d'y être érigés. Il dédiait le maître-autel à la Très Sainte-Vierge, le collatéral de droite à saint Joseph, à saint Joachim et à sainte Anne; celui de gauche à saint Nicolas et à deux saints qui sont chers aux pasteurs et aux cultivateurs, saint Antoine du désert et saint Wendelin (1).

 

1 En Suisse, saint Antoine a son autel ou sa statue dans une foule d'églises; il a de plus ses chapelles en grand nombre. Le cultivateur, propriétaires d'animaux domestiques, met sa richesse sous la protection du saint qui commandait avec empire aux esprits de ténèbres et que vénérèrent les lions de la Thébaïde.

Saint Wendelin est un autre protecteur de la richesse agricole ou champêtre. En Suisse, il a de nombreuses chapelles. Nous en trouvons à Blaueu, dans le canton de Berne; à Allenwinden et à Stalden, dans le canton de Zoug; à Ùreppen, dans le canton de Lucerne. etc. C'est que saint Wendelin avait été lui-même cultivateur et berger. Dans le Jura , les cultivateurs mettent leurs bestiaux sous la protection de saint Antoine et de saint Fromond. Contemporain et peut-être disciple de saint Ursanne, le bienheureux Fromond est particulièrement invoqué à Bonfol, où il a vécu en solitaire et où il a terminé sa carrière sainte. L'église de Bonfol est Le lieu de pèlerinage où l'on va, du Jura suisse et de l'Alsace, invoquer saint Fromond.

 

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Quant à la statue de Marie montrée au berger par une lumière céleste, elle occupe la place d'honneur qui lui revient de droit. Elle attire les regards des pèlerins au haut du maître-autel, où elle repose assise dans sa gracieuse niche.

La chapelle, avec sa grille de fer qui date de 1697, a été magnifiquement restaurée en 1864, grâce au zèle intelligent du pieux curé, Pierre Furrer. Dans un petit ouvrage qu'il a publié sur Notre-Dame de Sonnenberg et son pèlerinage de plus en plus fréquenté, il ne se plaint que d'une chose, savoir de l'embarras qu'il éprouve de ne trouver place dans la chapelle pour les ex-voto qu'y apportent chaque année les pèlerins non seulement d'Unterwald et d'Uri, mais de Zoug et de Lucerne, de Glaris et de Saint-Gall, de Fribourg et du Valais, en reconnaissance des grâces et des bienfaits obtenus par l'intercession de la Vierge miraculeuse de Sonnenberg.

Les pèlerins affluent surtout l'après-midi des fêtes de Marie. Ils aiment à entendre alors en ce lieu béni la parole sainte qui y est annoncée. Mais c'est principalement à la fête de l'Assumption que la foule gravit la montagne et se presse compacte et recueillie dans l'enceinte et aux alentours de la chapelle. On s'y approche des Sacrements, et le concours de deux Pères Capucins est plus que nécessaire en cette solennité. Il y a alors deux sermons, l'un à l'office du matin, l'autre dans l'après-midi.

 

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Et toutes ces âmes s'en reviennent la joie au coeur et pro-mettant à Marie, en prenant congé d'Elle, de revenir bientôt à son beau sanctuaire.

Cette joie pure, ces nobles sentiments d'une piété éclairée autant que vive, sont aussi partagés par la plupart des touristes chrétiens qui passent quelques jours ou une saison entière dans le magnifique Hôtel du Seelisberg.

 

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Pour compléter ces rapides notices sur les sanctuaires de Marie dans le religieux canton d'Uri, il nous resterait à en mentionner encore plusieurs autres, bien que moins importants Mais les limites de cet ouvrage ne nous laissent pas toute la latitude que désirerait notre vif amour envers Marie et ses doux sanctuaires. Cependant, nous ne pouvons résister au plaisir de citer encore, dans la paroisse de Schattdorf, et non loin de son église, à une demi-lieue d'Altorf, la chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Personne ne passe dans ce lieu béni sans s'y arrêter et consacrer au moins quelques instants à honorer, à invoquer la Vierge, la Mère qui nous a enfantés à Dieu dans les ineffables douleurs du Calvaire.

Enfin, comment sortir de ce cher pays d'Uri, sanctifié autrefois par les pas et les accents de saint Charles Borromée, sans saluer encore le modeste couvent des Filles de Marie et de Saint-Benoît à Seedorf? Ne sont-elles pas là, dans ce site charmant, au pied du Hertenberg, à l'embouchure de la Reuss dans le lac des Quatre-Cantons, depuis 1250, sous le nom de Soeurs de Saint-Lazare, comme le disent encore les armes de leur monastère? Soumises en 1559 à la règle de Saint-Benoît par le Pape Paul IV, à la demande du landammann Caspar Imhof, les Bénédictines de Seedorf n'ont cessé depuis de donner à tous le spectacle édifiant de la plus solide piété envers Jésus-Christ, sa divine Mère, et le fervent serviteur de l'un et de l'autre, l'admirable saint Benoît.

 

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III DIOCÈSE DE SAINT-GALL

 

§ 1. APPENZELL

 

DEUX REMPARTS CONTRE L'HÉRÉSIE. — LES FILLES DE SAINT

FRANÇOIS, 1424, ET LES RR. PP. CAPUCINS, 1588.

 

Au temps oit l'erreur triomphait sur des lèvres impures, le bourg d'Appenzell a su, avec les Rhodes intérieures, conserver la vérité catholique, c'est-à-dire pure et complète. Pourquoi n'en a-t-il pas été de même d'Hérisau, de Trogen et des Rhodes extérieures? C'est que ces dernières localités avaient à leur tête des prêtres ignorants, faibles, lâches, sinon vicieux. Appenzell, au contraire, eut le bonheur, en ces jours où le puits de l'abîme entr'ouvert répandait au loin ses ombres néfastes, de posséder un pasteur digne de ce nom par sa science et sa piété solide comme par sa foi. THéobald Huter était son nom, un nom qu'Appenzell, sans la plus noire ingratitude, ne saurait oublier. Il avait à Gonten un confrère, un ami cligne de lui. Ils furent à eux deux les colonnes inébranlables de la religion dans cette contrée.

Il n'en était pas de même, hélas! à Hérisau. L'erreur, il est vrai, y fut combattue éloquemment par le pieux et savant Joseph Forrer. Mais il fut loin d'être secondé dans son oeuvre de zèle et de lumière. Il y avait à Hérisau, dès l'an 1522, un Jean Darig, comme à Trogen un Pélage Amstein, deux pasteurs aussi ignorants que vicieux, qui s'empressèrent de suivre dans leurs errements deux confrères aussi vicieux et aussi ignorants qu'eux , les curés de Teuffen et de Huudwyl. Le premier s'appelait Schurtanner le second Walther Klarer. C'est à ces quatre malheureux que les Rhodes extérieures doivent leur apostasie et leur chute au fond de l'abîme. Il faut joindre à ces

 

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quatre noms ceux de deux autres apostats, Jean Hess et Ulrich Urnescher. Ces derniers tentèrent même une incursion jusqu'à Appenzell. Mais ils s'en revinrent bredouille. Ils avaient trouvé là à qui parler. Le noble curé Théobald Huter avait su bien vite leur fermer la bouche. Et Appenzell, à la suite de son digne pasteur est demeuré fidèle à Dieu, à son Eglise et par elle au vrai et pur christianisme.

Un nouvel effort fut tenté en 1530 par l'hérésie pour s'emparer d'Appenzell. Mais le ministre de Hundweil, Mathieu Kessler, s'y heurta à un digne successeur de l'invincible Théobald. C'était le curé Fessier, qui l'envoya paître lui et son évangile, non celui de Jésus-Christ ni des Apôtres, mais celui d'un Zwingli. De guerre lasse, l'hérésie se tint pour battue. Elle fit encore quelques soubresauts et finit par expirer aux portes d'Appenzell et des Rhodes extérieures.

L'hérésie s'arrêta de même au seuil du monastère de Grimmenstein dans les Rhodes extérieures, à une lieue du lac de Constance. Impuissante à « convertir » les Filles de Saint-François, dont la maison remontait à l'an 1424, l'esprit d'erreur qui est un esprit de violence, se vengea en 1549 en détruisant ce paisible couvent. Il se releva bientôt de ses ruines pour être rebâti à neuf en 1724, et continuer jusqu'à nos jours à glorifier le Dieu des tabernacles chrétiens, et la Vierge des vierges.

D'autres Capucines se livrent à la même occupation sainte. Ce sont celles de Sainte-Marie des Anges à Appenzell, celles de Wennenstein, près de Teuffen et celles de Gonten dans les Rhodes intérieures. Dans !e monastère de Wennenstein et sa filiale de Gonten, existe l'Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement.

Ces maisons pieuses sont autant de foyers, nous dirions presque autant de sanctuaires de la Très Sainte-Vierge. N'en est-il pas de même de la maison des RR. PP. Capucins, établis à Appenzell dès l'année 1588 ? Ce qu'il y a de certain, c'est que ce sont là deux forces vives pour le maintien de la foi catholique et de la dévotion à Marie dans le canton d'Appenzell.

 

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En fait de sanctuaires proprement dits, consacrés à l'invocation de la Très Sainte-Vierge, nous n'avons guère à signaler en particulier que :

 

Notre-Dame auxiliatrice à Haslen

 

IMAGE DE LA SAINTE-VIERGE TRANSFÉRÉE DE TEUFFEN A HASLEN,

1650. — PÈLERINAGE. — UNE CAPUCINE DE NOTHHERSEGG

MIRACULEUSEMENT GUÉRIE, 1651. — FÊTES. — SANCTUAIRES A

GANTEN ET A BRUTTLISAIT. — AUTRES SANCTUAIRES.

 

Entre Appenzell et Hundwyl, sur les bords de la Sitter, au flanc d'un hameau qui se détache de Sântis, on voit, au milieu de vertes et fertiles prairies, le beau village de Haslen à demi caché dans un immense bouquet d'arbres à fruits. Un tableau de la Sainte-Vierge est l'objet d'une grande vénération et de fréquents pèlerinages dans l'église de cette paroisse, dont la population catholique compte à peu près 800 âmes. Cette église n'est pas ancienne. Bàtie en 1649, elle n'a été érigée en titre paroissial que l'année 1668. Le premier dimanche après la Visitation de la Sainte-Vierge en était d'abord la fête principale. Depuis l'année 1854, c'est la fête de Marie Auxiliatrice, qui a lieu, comme chacun sait, le 24 mai. Pour cette solennité, le Pape Pie IX a même accordé une indulgence plénière aux fidèles qui feraient pieusement leurs dévotions dans l'église de Haslen. Hâtons-nous de rappeler l'occasion de cette précieuse faveur.

 

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La première paroisse du canton d'Appenzell, qui se laissa choir, à la suite de son pasteur sacrilège et félon, dans l'apostasie, fut Teuffen. Or, à peine la doctrine de Zwingli eut-elle pris la place de la doctrine de Jésus-Christ, de ses Apôtres et de sa divine Eglise, que la guerre fut déclarée à Marie, à ses images, à ses statues, comme aux images et aux statues des Saints. Dans la dévastation de l'église de Teuffen par les

 

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nouveaux iconoclastes, une image de Marie, vénérée des croyants, échappa à la fureur du vandalisme zwinglien. Ce tableau, qui représente Notre Dame Auxiliatrice, faisait depuis longtemps l'honneur et la beauté du maître-autel de l'église de Teuffen. Soustrait au feu par un pieux larcin, ce tableau fut caché dans une grange, où il resta près d'un demi-siècle. Le président Suter ab dem Lehn en fit l'acquisition, au moment où l'église de Haslen venait d'être construite. Suter fit hommage à cette nouvelle église de la précieuse image de Marie Auxiliatrice. En 1650, elle fut transférée avec solennité, de Teuffen à Haslen, et installée au maître-autel de la nouvelle église.

Dès ce moment, la dévotion envers Notre-Dame Auxiliatrice reprit son cours avec une ferveur plus grande qu'auparavant. Un vrai pèlerinage s'établit et ne fit qu'augmenter à la vue des grâces extraordinaires répandues avec profusion par la Trésorière de Dieu sur les âmes qui venaient l'invoquer avec une humble et ferme confiance.

Rapportons entre autres un fait qui s'est passé dès l'année 1651, c'est-à-dire, dès la première année après que l'image de Marie fut rendue à la lumière et exposée à la vénération des fidèles.

 

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A Notkersegg, près de Saint-Gall , est un monastère de Capucines, qui depuis 1634, offrent au Seigneur, en ce lieu béni, le double sacrifice de leurs prières et de leurs voeux évangéliques, auxquels elles joignent, depuis 1776, le Laus perennis des âges de foi, ou l'adoration perpétuelle du Dieu de l'Eucharistie.

Or, il y avait dans ce monastère, en 1651, une pauvre religieuse, qui, jeune encore, était en proie à des douleurs d'entrailles telles qu'elle ne pouvait plus marcher que courbée en deux, comme la femme de l'Evangile guérie au jour du Sabbat par l'adorable Médecin des âmes et des corps. Et comme l'hémoroïsse, elle pouvait dire : J'ai épuisé toutes mes ressources avec celles de l'art, et ma maladie n'a fait que s'aggraver. —

 

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Un jour, elle entend parler de la Sainte-Vierge vénérée à Haslen. « Si j'allais, moi aussi, prier Marie devant son image si merveilleusement conservée ». — Elle dit et se met en route. Le voyage fut long et difficile. Arrivée en face de l'image de Marie, elle s'agenouille, pénétrée de la plus vive confiance. A peine ses lèvres ont-elles murmuré une prière, qu'elle éprouve comme une secousse qui remue tout son être. Elle se lève, elle est guérie. Et toutes les Soeurs de son couvent signent avec elle l'acte attestant hautement la merveilleuse guérison.

Ce fut une grande joie et tout un événement, non seulement dans le monastère de Notkersegg, mais dans tout le pays. La confiance en Notre-Dame Auxiliatrice amena des pèlerins de plus en plus nombreux devant sa sainte image dans sa belle église de Haslen.

Et voilà pourquoi Pie IX a fait de Notre-Dame Auxiliatrice lapatronne de cette église et fixé sa fête au 24 mai, avec une indulgence plénière pour cette solennité.

D'autres fêtes voient y accourir en foule les enfants de « notre Mère qui est aux Cieux ». Le dimanche du Saint-Nom de .Jésus, Pâques, la Nativité, la fête du Saint-Rosaire, le dimanche « des âmes » dans l'octave de la Toussaint, sont autant de jours où l'église de Haslen est trop étroite pour la multitude pieuse qui vient invoquer là. Notre-Dame de Bon-Secours.

Et à tous ceux qui l'invoquent, Marie, en effet, obtient de son divin Fils joie et lumière, espérance et consolation, force et guérison ou soulagement, en un mot « bon secours ».

 

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Dans le religieux canton d'Appenzell, Marie est encore spécialement invoquée à Gonten, où l'église paroissiale est sous le vocable de « Notre-Dame du Bon-Conseil », puis à Brullisau, dans une contrée ravissante, où l'on arrive en saluant la chapelle de Sainte-Anne au sortir d'Appenzell, puis celle de Sainte Madeleine et enfin le Weissbad si avantageusement connu.

 

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Mais nous ne pouvons nous arrêter à ces sanctuaires, qui ne sont pas exclusivement consacrés à la Très Sainte-Vierge, non plus qu'à la « petite église » de Saint-Michel, bâtie en 1656, à l'entrée d'une magnifique grotte en l'honneur du saint Archange, patron de l'église, gardien du Pape et protecteur du Siège apostolique.

 

§ 2. SAINT-GALL

 

SAINT-GALL ET ZWINGLI. — LES GLOIRES DE L'ABBAYE DE SAINT

GALL. — L'APOSTAT VADIANUS (WATT). — SES AUXILIAIRES. —

L'HÉRÉSIE ET SES FUREURS. — LA VÉRITÉ CATHOLIQUE CONSERVÉE

PAR LES ORDRES RELIGIEUX. — SANCTUAIRES DE MARIE.

 

Deux noms, l'un de lumière et d'amour, l'autre d'orgueil et de ténèbres, deux noms qui font antithèse comme le jour et la nuit, deux figures planent sur la ville et le canton de Saint-Gall.

C'est d'abord, au début du VIIe siècle, l'illustre disciple de saint Colomban, l'émule et l'ami de saint Sigisbert et de saint. Ursanne, c'est saint Gall, qui nous apparaît avec son auréole de science, de vie de sacrifice et d'héroïques vertus. Le grand serviteur de Dieu et de la Vierge Immaculée meurt, en 624, au sein de la forêt qui lui a servi d'asile et à l'ombre du monastère qu'il a fondé. Sur sa tombe, où brille l'éclat des miracles, une oeuvre subsiste, traverse les siècles, brave mille orages, et succombe aux violences de la tempête déchaînée sur tout un pays par un prètre sans conscience et sans pudeur, par un Zwingli rejetant le double joug de la chasteté sacerdotale et de l'obéissance à l'Eglise, et secouant au sein de sa patrie, qu'il éblouit du faux éclat de sa demi-science tapageuse, les torches funèbres de la haine et de la guerre dont il sera l'ignoble et trop juste victime.

Avant de subir, en 1529, sous le choc du zwinglianisme, un premier ébranlement que devait suivre, en 1805, une chute

 

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totale, l abbaye de Saint-Gall avait eu ses jours de gloire. Nous ne parlons pas de ses richesses et de ses vastes possessions. Cette gloire, si c'en est une, lui a été funeste. Mais il est d'autres biens, d'autres richesses, qui ont mis au front de cette antique abbaye un diadème dont les siècles ne terniront pas l'éclat : ce sont les richesses de la science et de la sainteté,-deux trésors qui ont fait pendant des siècles l'admiration des hommes, comme ils font encore l'admiration de l'histoire.

Comment oublier les Ison et les Notker, les Eckart], les Totilon et les Radbert, qui ont brillé comme autant d'astres éclatants dans le ciel et la nuit du IXe et du Xe siècles ? Et avant ces hommes de science et de haute vertu, comment oublier le digne successeur de saint Gall, le vaillant saint Othmar, canonisé en 864 par le Pape Nicolas-le-Grand? Ensuite, que d'illustres prélats ont succédé à saint Othmar avec éclat et distinction ! Parmi les soixante-dix Abbés, ou même Princes-Abbés depuis 1204, qu'il suffise de rappeler , en 860, le savant Grimoald, chancelier du roi Louis; puis en 920, le non moins savant Hartmann; en 1001, Bourkard II; en 1204, Ulrich de Hohensax; en 1331, Rodolphe de Montfort, qui fut évêque de Constance, puis évêque de Coire; en 1444, Caspar de Breitenlandenberg; en 1532, Diethelm Blarer de Wartensee, lé restaurateur et le troisième fondateur de l'abbaye ; en 1687, le docteur en théologie, Célestin Sfondrati, comte de Riviera, et qui mourut à Rome, en 1696, revêtu de la pourpre des cardinaux.

On le voit, le monastère de Saint-Gall n'a pas vécu sans gloire, pendant les douze siècles de son existence, de la vie que lui avait donnée son noble fondateur.

Le nom de saint Gall est à jamais impérissable. Un autre nom, qui rayonne de quelque éclat, mais d'un éclat sinistre, un nom néfaste, qui, depuis trois siècles, devrait être enseveli dans l'oubli, c'est celui du réel auteur de l'apostasie de sa ville natale. Joachim de Watt ou Vadianus était, au XVIe siècle, un de ces humanistes auxquels le pédantisme littéraire semblait tenir lieu de toute science vraie et solide. Condisciple et ami de Zwingli à Vienne, il avait gagné quelques applaudissements

 

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et même une couronne et une bague d'or de l'empereur Maximilien pour une poésie emphatique, écrite à la louange de ce prince. Nommé professeur d'arts libéraux dans cette Université, il en fut même Recteur pendant quelque temps. Puis, après avoir pris ses degrés en médecine, il s'enfuit bravement, en 1518, devant la peste qui venait d'éclater à Vienne. De retour à Saint-Gall, il n'eut rien de plus pressé que de laisser là sa littérature, sa médecine et sou commentaire (plus que médiocre, dit Is. Vorsius) de Pomponius Mela, pour s'improviser théologien. Ardent promoteur des principes de Zwingli, il écrivit pour les justifier, tout un traité qu'il appelle modestement ses aphorismes sur l'Eucharistie et la transubstantiation. On comprend sans peine les absurdités nées d'une plume de poète géographe promenant son ignorance comme aussi sa mauvaise foi dans un domaine étranger et dans le vague de l'inconnu. Aussi, n'est-on pas .surpris de retrouver dans la « théologie » de Vadianus les sophismes évangéliques et historiques, dont sont émaillés les écrits du « réformateur » de Zurich.

Tel fut à Saint-Gall l'introducteur du « pur évangile » à la Zwingli. La ville de Saint-Gall repoussait avec horreur et mépris les erreurs prêchées en 1522 par les Watter et les Burgauer. « Découragés, avoue Hottinger, ils étaient sur le point de renoncer à leur oeuvre de démolition du christianisme, lorsque Vadianus sut leur inspirer du courage et une nouvelle ardeur. »

Magistrat de la ville, le théologien Vadianus jouissait d'une influence aussi grande que la sombre jalousie qu'il nourrissait contre le puissant Abbé de Saint-Gall et sa riche abbaye. Son activité fiévreuse valut enfin le triomphe a sa haine contre Rome et 1'Eglise. Dès 1524, l'erreur était victorieuse à Saint-Gall. A la voix d'un moine apostat de Coire, Wolfgang Ulman, et du maître d'école, Dominique Zilli, Vadianus et son conseil faisaient enlever les images des églises et des chapelles « tant dans la ville qu'à la campagne, dit Ruchat, mais peu à peu et de nuit, pour éviter le tumulte. » On en fit autant dans le

 

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Toggenbourg en 1527. L'apostasie de deux prêtres, Burgauer et Watter, ne fit que confirmer Saint-Gall et les Toggenbourgeois dans leurs déplorables erreurs. En 1528, une église paroissiale de Saint-Gall avait encore ses images et ses autels. C'était celle de saint Magnus. Le 28 février, elle subit le sort de l'église de saint Laurent; comme cette dernière, elle fut dévastée et mise à sac par les mains du vandalisme zvinglien.

A la même époque, par décision du magistrat de la ville, le peuple se rua sur les autels, les statues et les images de l'église abbatiale, qui fut pillée et saccagée de fond en comble.

Malgré ces fureurs et ces succès de l'hérésie, le pays de Saint-Gall dans sa majorité est demeuré fidèle ou revenu promptement à la vérité catholique. Les prières de diverses communautés religieuses et les grâces obtenues de Dieu par Marie, en faveur de son peuple et de sa foi, ne sont pas étrangères à cette fidélité et à ce retour. On y voyait, outre le monastère fondé par saint Gall, en 614, les fils de saint Benoît établis, les uns à Pfäffers, en 730, par saint Firmin, dans la maison dédiée à l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, d'autres, en 1152, à Saint-Jean sur les bords de la Thur. Saint Benoît avait aussi, dès 1397, ses Filles. dans le couvent de Saint-Georges à l'ombre du puissant monastère de Saint-Gall. Ailleurs, c'étaient les Filles de saint Bernard, qui, depuis 1259, glorifiaient Dieu par leurs voeux, leurs chants et leurs prières, les unes à Magdenau, puis à Flawyl, les autres à Marienberg (montagne de Marie) près de Rapperschwyl. La piété des Cisterciennes rivalisait de ferveur avec la piété des Filles de saint Augustin à Schünis (entre Wesen et Uznach), et des Filles de saint Dominique à Saint-Gall et à Weesen. Dans la même contrée, saint Norbert avait aussi ses humbles Filles à Bollingen, près de Rapperschwyl, comme il devait les avoir plus tard (1767) à Sion, près d'Uznach, sur la verdoyante-colline qu'elles cultivent de leurs mains tout en adorant nuit et jour le Dieu de l'Eucharistie et de l'autel. Enfin, les Filles de saint François à Saint-Gall ne cessaient, depuis 1410, de se montrer les fidèles servantes de Dieu et de l'Immaculée Vierge.

 

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La foi chrétienne, sauvée en partie par les supplications de ces communautés saintes, trouva de puissants auxiliaires pour son rajeunissement dans les Fils et les Filles de saint François, Capucins et Capucines, qui vinrent sanctifier ce pays, les premiers à Rapperschwyl, à Mels et à Wyl ; les secondes à Altstatten, à Yberg près de Wattwyl, à Notkersegg près de Saint-Gall (Adoration perpétuelle) et à Wyl, où elles tiennent encore de nos jours une excellente école.

S'il nous plaît de citer toutes ces fleurs de la religion écloses dans le pays de Saint-Gall, et dont les unes sont tombées sous la main du temps et de l'impiété des hommes, tandis que les autres continuent à faire rayonner autour d'elles leur éclat et leur parfum, c'est que ces fleurs étaient comme une vivante couronne tressée à Marie qui trouvait dans chacun des jardins qui les voyaient s'épanouir un sanctuaire de grâces et d'honneur.

D'autres sanctuaires attiraient aussi et continuent à attirer encore les coeurs et les prières à la Vierge bénie. Mentionnons en particulier la chapelle de Marie à Benken, celle de Lorette, à Liclttensteig, l'église de Marie de Dreibrunnen ; les églises de Berschis et de Jona, comme aussi trois sanctuaires dans le pays de Sargans. Donnons-en à grands traits une rapide esquisse.

 

1. Notre-Dame de Bildstein à Benken

 

UNE FÊTE A BENREN. — STATUE EN PIERRE. — BLASPHÈMES DES HÉRÉTIQUES. — UNE ÉPAVE DU VANDALISMIE. — CHAPELLE BATTE EN 1332, ET RECONSTRUITE EN 1848. — PÈLERINAGES ET FÊTES.

 

Le 12 septembre 1848, c'était grande fête dans la catholique . paroisse qui, sous le nom de Benken, se déploie à mi-chemin entre le beau lac de Zurich et celui de Wallenstatt, au milieu d'une plaine fertile et riante. Une grave et touchante cérémonie groupait le peuple chrétien autour de son évêque, le vénérable Jean-Pierre Mirer. Le noble prélat venait, dans cette portion

 

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de son diocèse, consacrer solennellement à Marie un nouveau sanctuaire.

C'était la vaste et gracieuse chapelle de Bildstein. Rappelons le sens et l'origine de ce nom.

 

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L'année même oit l'apostat Zwingli commençait à déblatérer contre le culte de Marie, et plus encore contre le joug de la chasteté, trop lourd pour ses épaules avilies, il y avait à Benken un brave chrétien, qui mettait sa joie, ainsi que le peuple de cette contrée, à honorer, à louer, à prier la douce Mère de Dieu. Ce dévoué serviteur de Marie était un employé du monastère de Schünis. Il se nommait Henri Jan. Pour populariser davantage le culte de la Très Sainte-Vierge, il Lui érigea non loin de Benken une statue en pierre. Etait-ce en même temps une digue toute puissante que sa foi songeait à établir prophétiquement contre le flot de l'hérésie et ses dévastations? Un fait certain, c'est que ce flot impur vint expirer au pied de la sainte image de Marie. Un instant, il est vrai, les fils du libertinage et de l'erreur saluèrent de leurs acclamations la nouvelle religion de Zwingli et de Vadianus, triomphante à Zurich et à Saint-Gall. Dans la fureur de leur zèle, les iconoclastes se ruèrent sur les statues et les images, dans les églises du pays de Gaster. Aux débordements de leur vandalisme, ils ajoutèrent le blasphème. A Amden, ils amassèrent en un tas les images de Marie et les statues des Saints sur la place publique, et leur firent ce petit discours, qui révèle l'audace et l'impiété de leurs coeurs : « Regardez bien : voilà le chemin de Schwyz, voici celui de Glaris, plus loin celui de Zurich et enfin celui de Coire. Choisissez le chemin qui vous plaira et prenez-le en toute sûreté. Mais si vous ne bougez pas de votre place, nous allons vous livrer aux flammes. » Ce qu'ils firent, en effet, ajoute Fassbind, l'historien de Schwyz, et ce qui fut imité dans toute la contrée environnante.

Une image seule, une statue do Marie échappa comme par miracle de la main des vandales. C'était la statue élevée sur son

 

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piédestal par la piété de Henri Jan. Aussi, lorsque le beau pays de Gaster, cédant à la bienfaisante influence des catholiques de Schwyz, fut revenu de son. erreur zwinglienne, heureusement passagère, et que les autels du vrai Dieu abattus dans les églises, y furent dressés de nouveau, la vénération publique entoura Notre-Dame de Bildstein. On s'empressa de l'abriter sous un toit contre les intempéries des saisons. Bientôt une première chapelle fut bâtie en ce lieu, puis une seconde lui succéda, plus belle, plus vaste et plus solide. Et de toute la contrée avoisinante, on s'empressa d'aller invoquer Notre-Dame de Bildstein.

C'est ainsi que s'établit, dès 1532, le pèlerinage à la chapelle de ce nom. Et trois siècles de durée n'ont fait que le développer et l'affermir.

Cependant, en 1848, le modeste édifice menaçait de céder à l'action du temps. Ses proportions, d'ailleurs, ne répondaient plus aux exigences de la piété publique. De là sa reconstruction sur le pied où elle se trouve de nos jours. Et même, telle qu'elle nous apparaît, elle est encore trop petite pour les jours où la foule y accourt et s'y presse. Il en est ainsi le jour de la Nativité de la Sainte-Vierge, fête principale de la chapelle. II en est ainsi encore chaque vendredi de l'année. On vient y vénérer, tout en priant Marie, une image de Notre-Seigneur attaché à la colonne de la flagellation. Cette pieuse image, qu'on portait autrefois de maison en maison pendant le Carême pour être vénérée des fidèles, est un don fait au sanctuaire de Marie par Marie-Anne Fäh, de Benken, morte dans ce village, en odeur de sainteté.

 

2. Notre-Dame de Lorette à Lichtensteig

 

LES SANCTUAIRES DE LORETTE EN SUISSE. — LICIITENSTEIG. — LES FONDATEURS DU SANCTUAIRE. — FONDATIONS PIEUSES. — FÊTES ET PROCESSIONS.

 

Les sanctuaires de Lorette (pèlerinage), bâtis sur le plan et les dimensions de la Santa-Casa en Italie, sont nombreux

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en Europe et dans l'univers catholique. On en compte quinze en France, neuf en Allemagne, neuf en Autriche et neuf en Suisse. Ces derniers sont : dans le diocèse de Bâle , ceux d'Achenberg, de Porrentruy, de Soleure et de Saint-Ursanne; dans le diocèse de Coire, ceux de Biberegg, de Buochs et de Burglen; dans le diocèse de Lausanne, celui de Fribourg, et dans le diocèse de Saint-Gall, le sanctuaire de Lichtensteig.

Ce dernier remonte à l'année 1678. Rien de plus gracieux que le site de la charmante petite ville de Lichtensteig. C'est une blanche couronne qui ceint le front d'une colline à pentes douces, arrosée par les eaux de la Thur. Elle domine la fraîche et riante vallée du Toggenbourg, dont cette jolie ville semble être la perle et la reine. Non loin de là sont les ruines du château des anciens maîtres du riche comté de Toggenbourg. En 1678 , Lichtensteig avait passé sous la domination des princes-abbés de Saint-Gall. Le bailli de l'abbaye dans cette ville était alors Louis Reding, de Biberegg, qui avait pour épouse noble dame Anne-Marie de Roll. L'un et l'autre avaient une tendre dévotion envers la Sainte-Vierge. Ils résolurent d'un commun accord de lui ériger, hors des murs de Lichtensteig, une chapelle semblable à la Santa-Casa de Lorette, en Italie. Ils soumirent leur projet au prince-abbé de Saint-Gall, qui était alors le pieux Gall Alt. Celui-ci applaudit à leur dessein, et leur céda même, dans ce but, les matériaux. qu'il venait de faire préparer pour la construction d'une nouvelle maison du bailli.

Le pieux fondateur reçut pour l'érection du nouveau sanctuaire 2.000 florins, dons de la piété populaire recueillis par le magistrat de la ville. Il y joignit de ses fonds propres, 3.000 florins, ce qui ne l'empêcha pas de fonder, deux ans après, une chapellenie à Mosnang, en l'honneur de la Bienheureuse Vierge et de saint Joseph.

La chapelle, une fois bâtie, ne tarda pas à trouver de nouveaux bienfaiteurs. Une dame de Lichtensteig, Marie-Barbe Germann, fonda au prix de 6.000 florins la chapellenie de Lorette, « par dévotion spéciale, disait-elle, envers le très saint mystère de

 

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l'Incarnation. » Aux messes à célébrer en vertu de cette fondation, une autre dame, Elisabeth Goret, joignit sept autres messes à célébrer pendant les octaves des fêtes de la Sainte-Vierge.

Ces fondations pieuses, hélas ! comme tant d'autres, ont disparu dans notre siècle sous la main rapace et impie du libéralisme maçonnique.

Mais ce que l'impiété n'a pu atteindre, c'est la vénération de tout ce que le Toggenbourg compte de vrais catholiques, pour la sainte chapelle de Lorette. L'empressement des fidèles à porter leurs prières à la Vierge de Lorette, a redoublé de ferveur depuis qu'un zèle intelligent et actif, aidé des dons généreux de nombreux chrétiens, a su lui rendre sa fraîcheur et sa beauté première.

Deux fêtes surtout y attirent un grand concours. Ce sont l'Assomption et le premier samedi dans l'octave de cette belle fête.

Cette seconde fête est marquée par le pèlerinage de la grande et religieuse paroisse de Mosnang qui s'y rend en procession, y chante l'office et écoute avec bonheur le sermon qui se fait, comme toujours en pareille circonstance, en plein air, à cause de la foule accourue de tous les points du Toggenbourg.

Et chaque pèlerin est heureux de mettre en pratique cette inscription qu'il lit sur une porte latérale du sanctuaire : « Remerciez Marie des bienfaits reçus, puis implorez d'Elle de nouveaux bienfaits. »

 

3. Notre-Lame des Trois-Fontaines

 

LA VIERGE DE RUTI. — LES AUTELS ET LES FRESQUES. — LE PREMIER DÉCORATEUR. — EXEMPLE IMITÉ.

 

Le sanctuaire de Marie à Dreibrunnen fait le plus bel ornement de la fraîche contrée qui s'étend entre Wyl et Mûnchenwyler au nord de Sirnach. Ce qui met en honneur ce lieu de pèlerinage, c'est l'antique statue de Marie, sauvée du monastère des Prémontrés de Rüti à l'heure de sa dévastation

 

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par les Zwingliens de Zurich, en 1525, et apportée en toute diligence, par des chemins détournés, à l'église de Dreibrunnen, qui appartenait au couvent de Rüti dès 1280.

Cette sainte image ressemble si bien à celle de Notre-Dame des Ermites, qu'elle paraît en être comme la reproduction, à cette différence près, qu'à Dreibrunnen la figure de la Vierge garde sa blancheur.

La douce image, richement vêtue, sourit aux pèlerins du haut de son trône, au maître-autel, qui fut spécialement consacré en l'honneur de Marie, en 1622.

Deux autels latéraux, séparés du vaisseau par une grille, sont tout remplis de souvenirs vivants de la divine Mère. A l'autel de droite, c'est Marie et sainte Elisabeth avec le petit saint Jean. A gauche, c'est Marie avec le divin Enfant.

Ce ne sont pas les autels seuls qui parlent de la Vierge sainte, c'est la voûte, ce sont les murs du sanctuaire. Partout des fresques, partout des scènes de Marie, avec des versets de son admirable Magnificat.

Le premier peintre décorateur y fut appelé par un brave du nom de Jean-Jacques Müller, de Wyl, qui en avait fait le voeu, dans une bataille navale, s'il en sortait sain et sauf. La prière fut exaucée, et le guerrier, de retour à Wyl, où il fut marguillier, tint parole et fit peindre la voûte à ses frais.

L'exemple du bien est contagieux. Après lui, bon nombre de pieux fidèles, de l'un et de l'autre sexe, ne se montrèrent pas moins remplis de zèle et de générosité. Les murs du sanctuaire, grâce à une sorte de rivalité sainte, se couvrirent peu à peu de nouvelles fresques, au point de retracer, de sa Nativité à son Assomption, toutes les scènes si douces de la Mère des miséricordes.

 

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4. Notre-Dame d'Iona

 

TEMPLE PAYEN ET SANCTUAIRE DE MARIE. — SUPPRESSION D'UNE MAISON DE PRÉMONTRÉS - BLASPHÈME CHATIÉ. — PÈLERINAGE ÉTABLI.

 

Sur la colline couronnée avec tant de grâce aujourd'hui par la belle église gothique d'Iona, non loin de Rapperschwyl, se trouvait autrefois un temple païen, ou du moins un autel pour les sacrifices. Une pierre romaine, monument du culte païen, retrouvée en 1853 dans les fondations de la vieille église, en est une preuve évidente. Nous avons déjà dit ce qu'était apparemment la déesse Iona, qu'adoraient les habitants de l'Helvétie avant la lumière de l'Evangile.

A la place et au lieu même où l'erreur avait immolé ses victimes à l'esprit de ténèbres, Marie, la Vierge sans tache, la Mère de l'humanité régénérée, devait recevoir les hommages réparateurs de l'adoration et du pur amour de ses enfants.

En 1525, lorsque le zwinglianisme, après avoir exercé sa fureur à Zurich, vint s'abattre sur les campagnes qui, pour leur malheur, dépendaient de cette ville, fleurissait depuis trois siècles à Rüti, au dessus de Rapperschwyl, sur les bords de l'Iona; un monastère des fils de saint Norbert. A la voix de l'apostat Zwingli, le magistrat de Zurich, sans tenir compte de la résistance noble et ferme de l'abbé Félix Klauser, invincible dans sa foi au Dieu de l'Evangile, dans sa fidélité à l'Evangile de Dieu, décida la suppression violente de cette belle maison de Prémontrés. Les biens du monastère passèrent aux mains sacrilèges de l'Etat, tandis que ses satellites, le blasphème à la bouche, mettaient en pièces les statues et les images de Marie et des saints de Dieu dans la riche église de l'abbaye

Une statue de la Sainte-Vierge devint surtout le jouet de ces blasphémateurs. Leur impiété s'avisa de lui mettre sur la tête un vase rempli d'eau, en disant à la statue : — Mariette, tu peux bien encore porter un peu d'eau.

 

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Mais voilà que le vase tombe, l'eau s'en échappe, elle rejaillit jusqu'aux yeux des hérétiques, qui se retirent le visage tout noir et tout défiguré. Tout le monde fut frappé de cet événement, et l'on s'empressa de reporter en tout honneur la statue sainte dans l'église d'Iona.

Dès lors, on le conçoit aisément, la sainte image de Marie, palladium de l'église qui l'abrite, est devenue l'objet de la vénération des fidèles, le but d'un pèlerinage de plus en plus fréquenté. Ce pèlerinage s'étend au lieu même où s'est passé le fait surnaturel que nous venons de rapporter. Ceux dont les pieds sont souffrants vont les poser sur le sol à la place même où Marie sut châtier les insulteurs de son image. Et, ce qui est à remarquer, c'est que cette place reste nue, et qu'on n'y voit jamais pousser le moindre brin de gazon.

 

5. Notre-Dame de Mels

 

STATUE SAUVÉE — FOI RÉTABLIE.    — CHAPELLE CONSTRUITE.

 

La Seez est une charmante petite rivière qui donne la vie et la fertilité à la vallée de Weisstannen, dans la partie méridionale du canton de Saint-Gall. Elle arrose le beau village de Mels, avec sa population de près de 4,000 âmes. Là se trouve un couvent de Capucins érigé en 1651.

Or, en 1531, un brave catholique de Mels, bourg menacé alors de verser dans la religion de Zwingli, aperçut, charriée par les flots de la Seez, une statue de la Sainte-Vierge, que L'hérésie y avait jetée avec d'autres images des saints. Il s'empressa de retirer cette statue et de la placer en tout honneur dans sa maison: Il l'arrachait ainsi, comme épave, au vandalisme hideux prêché dans cette contrée par les deux apostats, Martin Segher, à Ragatz, et Martin Mennhard, curé de Flums.

Zurich, qui avait un mot à dire dans cette région, y soufflait le vent de l'hérésie. Les cantons catholiques prirent, contre Zurich, fait et cause pour la foi des premiers siècles. La victoire

 

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leur demeura. Revenu tout entier au catholicisme, le village de Mols fut reconnaissant de cet immense bienfait, non seulement à ses vaillants protecteurs, mais plus encore à la vraie Protectrice de la foi, l'auguste Vierge-Marie.

Aussi, la population de Mels s'empressa-t-elle, au lendemain de la bataille de Kappel, où fut tué Zwingli, de bâtir, en actions de grâces, une chapelle à la Vierge sainte, et d'y exposer aux regards et à la vénération des fidèles la statue de Marie, comme autrefois Moïse, sauvée des eaux.

En 1670, une nouvelle chapelle succéda à la première. Cette reconstruction était l'accomplissement d'un voeu fait par la paroisse pendant la peste qui sévit en Europe de 1618 à 1639. Consacrée en 1691 par l'évêque de Coire, Ulrich VI, ce sanctuaire, dont le maître-autel est orné d'un tableau de prix, est devenu le but d'un pèlerinage assez fréquenté. La statue de Marie y représente, dans un nuage, la divine Mère portant l'Enfant Jésus dans ses bras. Non loin d'elle se trouve celle de saint Roch, le puissant protecteur contre la peste.

 

6. Notre-Dame de Bon Conseil à Tils

 

LUMIÈRE NOCTURNE. — OVATION. — CHAPELLE.

 

A une demi-lieue de Mols, se montre, à l'ombre de ses chàtaigners, le village de Tils avec sa blanche chapelle, bàtie en 1769. Voici à quelle occasion :

Une lumière apparaissait de temps à autre, pendant la nuit, autour du rocher sur lequel s'élève la chapelle. La foi populaire vit là un signe d'en haut. C'était un oratoire qui était demandé en ce lieu. L'oratoire y fut, en effet, construit, renfermant une image de Notre-Dame du Bon-Conseil. La piété envers Marie y amena des fidèles de plus en plus nombreux. On reconnut la nécessité de convertir en chapelle le trop modeste oratoire. C'est ce qui fut exécuté en 1779, par le produit d'une souscription dans le village.

La chapelle où se trouve aussi une image de saint Wendelin,

 

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est bien fréquentée, non seulement par les pieux habitants de Tils, mais encore par de nombreux pèlerins qui y viennent des environs, récitant le rosaire à l'aller et au retour. Des ex-voto ornent le sanctuaire de Marie, où chaque samedi, de Pâques à Saint-Michel, un Père Capucin va célébrer les messes qui y sont fondées.

 

7. Notre-Dame de Berschis

 

CHAPELLE, PUIS EGLISE DE NOTRE-DAME AUXILIATRICE. OFFICE DU SAMEDI. — INDULGENCE DE L'ANNONCIATION.

 

Tout en s'alignant en longues files pour gravir la hauteur pittoresque où s'élève la chapelle de Saint-Georges, près de Berschis, les pèlerins du pays de Sargans n'oublient pas de saluer et d'invoquer, à l'aller et au retour, Notre-Dame Auxiliatrice dans l'église paroissiale de Berschis. Cette église n'était, jusqu'en 1703, qu'une modeste chapelle où, déjà les pèlerins venaient de divers côtés prier la Mère de tout aide et de tout secours. Aussi bien, cette chapelle une fois convertie en église, par l'érection de la paroisse de Berschis, on a eu soin d'y établir une confrérie sous le vocable de Notre-Dame Auxiliatrice, et le Saint-Siège a daigné l'enrichir de précieuses indulgences.

Tous les samedis, un office est chanté dans ce sanctuaire avec des prières à la Sainte-Vierge en faveur des pèlerins qui accourent là de près comme de loin, et qu'on voit plus particulièrement nombreux chaque samedi de Carême.

L'Annonciation, fête titulaire de la Confrérie, est le jour où l'affluence des pieux visiteurs de Marie est le plus considérable. C'est qu'ils ont ce jour-là l'occasion de gagner, aux conditions voulues, une indulgence plénière. La confiance end Marie trouve pour tous un aliment dans la vue des nombreux ex-voto qui font l'ornement le plus consolant de ce sanctuaire de la Mère de Dieu.

 

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IV DIOCÈSE DE LAUSANNE ET GENÈVE

§ 1 FRIBOURG

 

Si la vieille cité des Zaehringen, grâce à un Conseil d'Etat composé d'hommes éminents, grâce à son Grand Conseil, où la majorité brille de la double lumière de l'intelligence et de la foi, est fière à bon droit de sa jeune Université, déjà si florissante, Fribourg peut être fière aussi de ses institutions et de ses édifices dus à l'antique foi des générations qui ne sont plus.

Une figure, dans l'histoire, jette sur Fribourg une gloire incomparable. Qui ne salue en la personne du B. P. Canisius le restaurateur, ou du moins le grand apôtre du catholicisme sur les bords de la Sarine ?

Sans lui, sans sa parole éclairée et ardente comme son zèle, qui sait si Fribourg serait encore catholique?

Mais la Vierge, prêchée et invoquée par l'homme de Dieu, a étendu sur Fribourg son manteau protecteur. Et Fribourg, reconnaissante envers Marie et son illustre Serviteur, le Père Canisius, de l'immense bienfait de la foi conservée dans cette ville et par elle dans les limites de son ancien domaine, compte de nombreux sanctuaires consacrés à l'honneur de la Mère de Dieu. Il nous plaît de nommer en premier lieu

 

1. Lorette

 

Ce beau sanctuaire, où surabondent les ex-voto de la reconnaissance envers Marie, et si avantageusement situé aux portes de Fribourg, doit son existence aux événements qui désolèrent la Suisse au XVIe siècle (1). La discorde, fille de l'hérésie, y secouait ses torches brûlantes.

On allait en venir aux mains, et Villmergen n'était pas éloigné.

 

1 Notre-Dame de Lorette a aussi sa chapelle aux Arses, dans la paroisse de Charmey

 

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Pour conjurer les maux de la guerre civile, et amener la

victoire sous les drapeaux catholiques, un pieux religieux de

Bourgogne, qui mourut en odeur de sainteté vers 1653, avait

eu une vision lui révélant que la victoire des armes catholiques

serait obtenue au prix de deux sanctuaires érigés en l'honneur

de Marie, l'un par le canton de Fribourg, l'autre par l'ensemble

des cantons catholiques. Fribourg, docile à cette voix autorisée,

s'empresse d'y répondre en construisant sur le Bisemberg la

chapelle de Lorette qui le couronne, et d'où la Vierge puissante

se plaît à bénir la cité et le pays qu'arrose la Sarine. Bâti exactement sur le plan et dans les dimensions de la Santa Casa, le nouveau sanctuaire était debout et solennellement consacré par Mgr de Watteville le 11 octobre 1648.

Les supplications à Marie s'y multiplièrent et moins de sept

ans après, les catholiques sortaient vainqueurs de la première journée de Villmergen (1656).

Cette première victoire, hélas! devait être suivie, au même lieu, d'une sanglante défaite un demi-siècle plus tard (1712). Mais aussi les cantons catholiques étaient demeurés sourds à la voix qui leur demandait l'érection en commun d'un second sanctuaire à Celle qui est et qui sera toujours la Reine de la victoire (1).

« La chapelle de Lorette, dit le P. Apollinaire dans son intéressant Dictionnaire des paroisses du canton de Fribourg (tome VI, 500-503), fut construite en style de la Renaissance avec un élégant frontispice et ornée de statues de grandeur naturelle, placées entre les pilastres des murs extérieurs. Ces statues furent placées dès 1650, par des principales familles de la ville, dont on voit les noms au bas de chaque niche. »

Ces statues, ajoute le P. Burgener, sont celles des quatre

 

1 A défaut de ce second sanctuaire, et pour y suppléer, Fribourg dédia l'autel de Notre-Dame de Saint-Nicolas, à Notre-Dame Auxiliatrice ; cet autel, dans ce but, fut splendidement décoré, et sous les armoiries des baillages fribourgeois, on peut lire cette noble inscription : Sub hoc patrocinio stat stabitque Friburgum. Sous ce patronage Fribourg est et restera debout.

 

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Evangélistes, puis des deux saints Jacques, apôtres, en outre celles de saint Joachim, de sainte Anne, de Cléophée, de Salomé (Wallfahrtsorte, II, 126).

Sous la chapelle s'étend une crypte, conquise en partie sur le roc et qui sert de base au sanctuaire. En outre, ce que Lorette offre de remarquable, c'est la lampe qui brille toutes les nuits dans son modeste clocher, « semblable à un phare qui dirige les coeurs vers la Mère de Dieu et des hommes. » L'entretien perpétuel de cette lampe est dû à un bienfaiteur de la chapelle, Henri Reyff, qui a fait une fondation dans ce but.

Restaurée en 1784 et 1786 par le peintre Locher et le sculpteur Muller, Notre-Dame de Lorette a été en 1890 l'objet d'une nouvelle restauration due aux soins de l'Evêché et à la libéralité d'un coeur reconnaissant envers son auguste Bienfaitrice. Un artiste, M. Romain de Schaller, a su diriger ces travaux avec goût, et en même temps un second artiste, aussi Fribourgeois, M. Gougain, a fermé l'entrée du choeur par une grille qu'on dit un vrai chef-d'oeuvre.

 

2. L'église de Notre-Dame

 

A l'intérieur de la ville, Fribourg voit avec bonheur de pieux pèlerins venir s'agenouiller dans l'église dite de Notre-Dame. Respectable par son nom et sa destination, elle ne l'est pas moins par sa haute antiquité. Les anciennes Chroniques la disent même antérieure à la construction de la ville. Ce n'était alors, il est vrai, qu'une humble chapelle, où les ducs de Zaehringen venaient, de leur château, entendre la messe.

Déjà en 1167, elle menaçait ruine. Reconstruite en style de transition et agrandie en 1201, comme le dit une inscription placée au choeur, elle fut successivement restaurée en 1584, puis en 1785, grâce cette fois aux 18,000 écus légués en faveur de ce sanctuaire par le pieux Antoine Vonderweid.

n 1417, on comptait dans cette église un Chapitre de douze prêtres, de l'Ordre des Mineurs, y chantant chaque jour les louanges de Dieu et de la Vierge Immaculée. En 1565, le nombre

 

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des chanoines, grâce aux mauvais temps que traversait la foi, se vit réduit de moitié.

Par contre, la piété des fidèles envers Marie et son église n'a fait qu'augmenter dès cette époque. Elle était à son comble lorsque, le 6 septembre 1787, l'évêque de Lenzbourg consacra le nouveau maître-autel et y rapporta, en procession solennelle, la statue de Marie de l'église des Cordeliers, où elle avait été déposée pendant les travaux de la restauration du sanctuaire. En ce beau jour de fête, « des larmes de joie et de bonheur coulèrent avec abondance au moment où Marie sembla de nouveau prendre possession de son église : c'était la rentrée d'une mère au sein de sa famille. » (R. P. Apollinaire, Dictionnaire).

Outre la Confrérie du saint Rosaire et diverses autres associations enrichies d'indulgences par les Souverains Pontifes, deux Congrégations de la Sainte-Vierge, l'une d'hommes, l'autre de dames, y sont établies, sous le vocable de l'Assomption. Ces deux Congrégations n'en faisaient qu'une en 1581, année de son érection, mais elles furent séparées, deux ans après, par le B. P. Canisius.

C'est dans ce sanctuaire, dont la conservation, plusieurs fois menacée, est due à la grande piété des catholiques de la ville, qu'ont lieu chaque année, avec le plus religieux empressement, les exercices et les sermons du Mois de Marie, ainsi que les prières de l'Archiconfrérie du saint et immaculé Coeur de Marie, qui y fut établie en 1841. De plus, tous les jours de l'Avent, une messe votive de la Sainte-Vierge y est chantée à cinq heures et demie du matin, et suivie trois fois par semaine d'un sermon donné par un Père Capucin, à un auditoire toujours aussi nombreux que recueilli.

 

3. Notre-Dame des Ermites, dans l'église des Pères Franciscains

 

Cette église, une des plus belles de Fribourg, est visitée tous les jours par de pieux pèlerins.

Elle doit ces visites principalement à la chapelle de Notre-

 

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Dame des Ermites. Ce sanctuaire, dont la fondation remonte à. l'an 1694, est l'oeuvre d'un pieux chrétien, Jean Ulrich Wild, grand conseiller de Fribourg. Témoin de la ferveur avec laquelle le peuple fribourgeois se rendait par groupes, chaque année à Einsiedeln, pour y vénérer là Vierge de saint Meinrad, Jean Ulrich Wild voulut rendre plus facile, plus accessible à tous, cette pieuse dévotion. C'est donc dans ce but qu'il obtint du Provincial des Franciscains la permission d'ériger; à ses frais, dans leur église, une chapelle en l'honneur et sous le nom de Notre-Dame des Ermites, en la pourvoyant des ornements et de tout le mobilier nécessaire, pour y célébrer la sainte Messe. A ce prix, les RR. PP., à sa demande, prirent l'engagement d'aller chaque samedi et à toutes les fêtes de Marie, après complies, chanter le Salve et les litanies de la Sainte-Vierge, avec trois Ave Maria, dans le nouveau sanctuaire aux intentions du fondateur.

A dater de ce moment, l'église des Franciscains vit affluer de jour en jour les pieux visiteurs de la sainte chapelle, érigée sur le plan de celle d'Einsiedeln et ornée de même d'une statue de Marie aux teintes noircies par le temps.

Rebâtie en 1748 par la famille de Gottrau, Notre-Dame des Ermites, loin de perdre de sa valeur aux yeux des fidèles, n'en fut que plus fréquentée, comme elle l'est encore de nos jours. La foi des pèlerins leur a valu et leur vaut encore de précieuses grâces, comme l'attestent de nombreux ex-voto qui en font, certes, le plus bel ornement.

Mentionnons, avant de sortir de Fribourg :

 

4. Mariahilf, ou Notre-Dame de Bon-Secours

 

Construite avant 1627, réparée et agrandie en 1702, puis bénite le 3 janvier 1703, cette chapelle fut reconstruite et consacrée en 1762. « De 1807 à 1828, elle devint l'église du Séminaire; de 1828 à 1848, celle des RR. PP. Rédemptoristes, où ils célébrèrent avec beaucoup de pompe et pendant huit

 

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jours la canonisation de leur fondateur, saint Alphonse de Liguori (1840). » (R. P. Appollinaire, Dict. hist.)

En 1848, les vaillants fils de saint Liguori se virent odieusement expulsés de Fribourg et de la Suisse par le radicalisme, sous le prétexte, qui, du reste, ne peut que leur faire honneur, qu'ils étaient « affiliés aux Jésuites. » Dès lors, Mariahilf est desservie par un prètre qui y célèbre chaque jour la sainte Messe pour les divers établissements des Soeurs de Charité.

 

5. Notre-Dame de Bourguillon

 

Si l'antique église de Bourguillon voit chaque semaine bon nombre de pèlerins venir sur cette hauteur en redisant et méditant les saints mystères du Rosaire, c'est que de nombreuses grâces ont été obtenues dans ce sanctuaire par l'invocation pieuse de Marie, dont l'image flotte, suspendue au milieu de la voûte, portant les armoiries de Berne et de Fribourg. Cette image proviendrait , d'après une tradition populaire, d'une auberge de Guggisberg. Le vandalisme protestant du XVIe siècle aurait essayé de la livrer aux flammes, dont on remarque encore quelques traces. Mais un pieux chrétien s'en empara et la sauva à Fribourg et en fit don à l'église de Bourguillon. (P. Burgener, Wallfahrtsorte).

Construite ou rebâtie en 1464, en faveur des infortunés reclus de la léproserie établie en ce lieu dès le XIIIe ou le XIVe siècle, l'église de Bourguillon conserve de cette époque son choeur et sa flèche élancée.

En 1761, la nef fut rebâtie, et le maître-autel fait à neuf en 1768.

Pendant quatre siècles, le pèlerinage de Notre-Dame de Bourguillon valut à la piété fervente les plus abondantes grâces. « Le Père Canisius allait souvent à Bourguillon se retremper dans la ferveur et la confiance. Le P. Poiré, dans le XVIIe siècle, nous redit la célébrité du pèlerinage. Les élèves du Collège s'y rendaient processionnellement chaque année avec leurs

 

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professeurs (les PP. Jésuites). Les personnes qui ont fréquenté le Collège antérieurement à 1847, se rappellent avec émotion cette longue procession (de 800 à 1000 élèves) à travers les rues de Fribourg montant la rampe de Lorette en chantant Omni die dic Mariae et récitant le chapelet. » (R. P. Appollinaire, Dict.)

 

6. Notre-Dame de l'Epine à Berlens

 

Romont, la cité forte et gracieuse, bâtie en 920 sur la Glàne par Rodolphe de Bourgogne, est fière à bon droit, de sa « Notre-Dame de la Porte », due à une confrérie de l'Immaculée-Conception remontant au delà de 1429. Mais près de la ville où naquit l'historien Guillimann, se trouve un charmant petit village, dont la population toute catholique ne va pas à 200 âmes, et que connaissent bien les fidèles enfants de Marie. Ils aiment à venir, même de loin, contempler au maître-autel de l'église la statue antique de la Vierge, honorée sous le nom de Notre Dame de l'Epine.

De ce nom quelque peu romantique, voici l'origine que donne la notice populaire. Trouvée et recueillie sur un buisson d'aubépine, la statue fut portée avec respect dans l'église du lieu. Mais, ô merveille! le lendemain elle se trouvait de nouveau debout sur son buisson. Ce n'est qu'après la promesse faite à la douce Vierge de l'honorer d'un culte tout particulier qu'elle finit par accepter l'hospitalité de l'humble église, où son image est vénérée depuis près de cinq siècles.

Notre-Dame de l'Epine est surtout invoquée pour la guérison des maux d'yeux. Aux pèlerins qui accourent dans ce but, même du canton de Vaud, le prêtre applique sur les yeux une agate bénite, et prononce en latin une prière ou bénédiction spéciale.

Beaucoup d'ex-voto en argent, conservés dans cette église, attestent qu'on n'a pas invoqué en vain Notre-Dame de l'Epine. Aussi voit-on chaque année plusieurs paroisses avoisinantes venir en procession dans ce sanctuaire le lendemain de l'Ascension.

 

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Au retour, chaque pèlerin a soin de cueillir un rameau du gigantesque buisson d'aubépine, voisin de l'église, et de l'emporter avec un religieux respect.

Un vitrail du XVIe siècle représente Marie avec l'Enfant Jésus sur le bras, debout sur un buisson avec ces deux mots écrits au-dessous : Rubus ardens « Buisson ardent », allusion à l'application que l'Eglise fait de ces mots à la Sainte-Vierge dans l'Office de la Chandeleur (1).

 

7. Notre-Dame de Bulle

 

Au nord et à quatre lieues du Moléson, dont le sommet offre un panorama enchanteur, s'étend. dans une plaine fertile la gracieuse ville de Bulle. De nombreux pèlerins y accourent de toutes parts. Ce qui les attire, c'est le sanctuaire de Notre-Dame des Sept-Douleurs, placé depuis près de trois siècles sous la direction des RR. PP. Capucins, auxquels il doit, sinon son existence , du moins son extension et son embellissement. Dès le XIIIe siècle, une chapelle primitive renfermait à Bulle l'image de Marie. Mais peu à peu ce sanctuaire avait subi les injures du temps.

En 1641, il fut relevé par les soins de l'oratorien Claude Mossu, de Charmoille, en France, qui mourut à la peine, et fut enseveli sous le maître-autel de ce sanctuaire. En 1665, les RR. PP. Capucins furent appelés à Bulle et sept ans après installés dans le nouveau couvent. En 1687, la chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs fut définitivement confiée à leurs soins.

Trop étroite pour contenir la foule des pèlerins, surtout aux fêtes de Marie, elle fut agrandie par les RR. PP., et à l'unique autel qui existait, succédèrent bientôt quatre autels et neuf confessionnaux, qui se virent assiégés par les foules accourues du Valais, de la Savoie et de la France. De nos jours, les pieux

 

1 Nous rappelons à nos lecteurs l'intéressante brochure de M. l'abbé Jeunet, ancien curé de Berlens, sur Notre-Dame de l'Epine.

 

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pèlerinages continuent et les pèlerins voient avec édification et bonheur, chaque samedi, comme aussi chaque dimanche et aux fêtes de la Sainte-Vierge, les fils de saint François se rendre, avec la piété de leur Père, devant la sainte image, pour y chanter le Salve Regina, avec la conclusion de saint Bernard.

 

8. Mariahilf . — Notre-Dame Auxiliatrice à Gain

 

Guin, dans la Singine, ne compte pas moins de 2.700 catholiques sur une population de 3.300 âmes.

Cette importante paroisse possède un sanctuaire de Marie auquel accourent de nombreux pèlerins. Souvent de pieuses processions des paroisses environnantes viennent implorer la Vierge de tout secours dans les détresses où les jettent parfois les caprices de la température compromettant les récoltes par l'absence ou la trop grande abondance de pluie ou de soleil. De nombreux ex-voto prouvent que Notre-Dame Auxiliatrice n'est jamais invoquée en vain dans son beau sanctuaire. .

Il doit son existence à deux excellents chrétiens : Pierre de Montenach, banneret de Fribourg et le conseiller Pierre-Nicolas de Boccard, dont le fils, Joseph Hubert de Boccard, qui fut évêque de Lausanne, de 1745 à 1758, dirigea les travaux de construction qui furent achevés en 1763. La chapelle est vaste, munie de six fenêtres, dont deux éclairent le choeur. Divers symboles de la Vierge Immaculée ornent avec goût la voûte de ce sanctuaire. Ici, c'est l'arche de Noé avec la colombe et le rameau d'olivier. Inscription : Nuntia pacis, Messagère de la paix. Là, c'est un vaisseau battu par la vague menaçante, avec ces mots de l'Alma : Succurre cadenti, Secourez celui qui tombe. A la voûte du choeur, c'est l'arche d'alliance et cette inscription empruntée à l'Ange de l'Ecole : In figuris praesignatur, Elle nous est montrée à l'avance par les figures. En face, la porte du ciel : Janua coeli.

Chaque année, la fête du Saint Nom de Marie y amène un

 

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grand concours de fidèles, qui viennent y recevoir les Sacrements, assister pieusement au sermon et à l’office solennel qui s’y célèbre.

 

9. Notre-Dame des Neiges à Lessoc.

 

Si le Righi est fier et heureux de sa Notre-Dame des Neiges, là catholique Gruyère montre avec non moins de bonheur son sanctuaire dédié à Marie, sous le même vocable. Non loin des bords de la Sarine, au flanc d'une verte montagne, se détache comme un nid de fauvettes, le joli village de Lessoc.

Et voici le charmant spectacle qu'offre cette paroisse aux regards chrétiens. Par une belle après midi de la bonne saison, au sortir des Vêpres, auxquelles tout le monde se fait un devoir d'assister, on voit au-dessus du village des groupes de jeunes gens et de jeunes filles suivre gais et heureux, les sinuosités d'un chemin qui gravit la montagne. Où vont-ils porter leurs pas? Sans doute à quelque chalet où les attend le plaisir de la danse? Non, certes; un plaisir plus pur et plus doux attire ces jeunes coeurs. C'est celui de visiter le beau sanctuaire de Marie, et d'y offrir leurs prières et leurs chants à Notre-Dame des Neiges, que va aussi invoquer, en uniforme, tout enfant de la patrie, avant de se rendre sous les drapeaux, lorsqu'il y est appelé.

Ce sanctuaire, si gracieusement situé, est l'oeuvre de trois frères du nom de Castella. Deux d'entre eux étaient curés, l'un, Dominique - Jean, à Lessoc ; l'autre, Dominique-André, à Neirivue.

Jacques Castella, le troisième frère, dont les deux filles et le fils se consacrèrent à Dieu, voulut partager leur pieux projet d'élever à Marie un nouveau sanctuaire.

Un jour, dit la tradition, une neige abondante étant tombée à Lessoc et dans les environs, la hauteur du roc resta nue, ce qui donna l'idée aux trois fondateurs d'ériger là une chapelle et de la dédier à Notre-Dame des Neiges, à l'exemple du patricien romain Jean et de sa digne épouse au temps du Pape

 

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Libère. Ils trouvèrent bon de lui donner une forme originale. C'est, en effet, un octogone dont l'autel repose absolument sur le roc. Aussi, lit-on sur le tombeau de l'autel ces mots du Psalmiste : « Il m'a élevé sur le rocher. » Deux autres mots significatifs se lisent de côté et d'autre de l'autel, au-dessous de deux anges couronnés de fleurs : — VoveteReddite — « Faites des voeux, mais accomplissez les. »

La fête patronale de ce sanctuaire, orné d'ex-voto et riche de plus de 50 messes fondées, a lieu le 5 août, chaque année, au milieu du plus grand concours.

 

10. Notre-Dame des Marches

 

Dans la paroisse et l'ancien prieuré bénédictin de Broc, dont l'église, mère de plusieurs autres, semble remonter au IXe siècle, sinon plus haut encore, se trouve la chapelle de Notre-Dame des Marches, dont l'origine va bien au-delà de la guerre de Trente-Ans. On y voit un curieux ex-voto. C'est un tableau représentant un personnage qui tient des chaînes dans ses mains. Avec sa famille, il remercie la douce Vierge d'une guérison ou d'une délivrance obtenue. « Il a fait un voeu, dit l'inscription, et a recouvré la santé, 1675. » Vovit et sanitatem accepit. Ce tableau paraît suffisamment redire l'origine des chaînes suspendues dans la chapelle.

En 1705, la chapelle des Marches fut reconstruite par les soins des trois frères prêtres, D. François, D. Nicolas et M. Jacques Ruffieux, de Broc; ce dernier, doyen de Gruyères et D. Nicolas, prieur de Broc. La population de Broc eut sa part des travaux demandés par une nouvelle construction, plus grande que l'ancienne.

Une donation de « noble Ranz Peter Castellaz, de Fribourg », valut au nouveau sanctuaire l'engagement pris par le Prieur et le Curé de Broc, d'y chanter les Litanies de la Sainte-Vierge, après les Vêpres, aux fêtes de la Nativité, de l'Annonciation, de la Conception et de l'Assomption de Marie

 

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De tout temps, on est allé avec empressement prier Notre-Dame de Broc. Mais de nos jours, « l'événement qui a le plus illustré Notre-Dame des Marches, est la guérison instantanée d'une jeune malade de Broc, transportée mourante dans la chapelle le 17 mai 1884. La science était à bout de ressources ; la malade, clouée par la maladie pendant six ans sur son lit, fut portée par quatre hommes, de son domicile à la chapelle. La distance était de 20 minutes; on mit une heure et demie pour l'accomplir.

La malade revint à pied. » (R. P. Apollinaire, Dict.) Depuis ce moment les pèlerins accourent de plus en plus nombreux aux pieds de Notre-Dame des Marches.

Ce sanctuaire avait autrefois pour gardien un ermite, Frère du Tiers-Ordre de Saint-François.

 

11. Notre-Dame de Montban

 

Une paroisse heureuse dans le canton de Fribourg (district de la Sarine), c'est celle de Farvagny. Au lieu d'un sanctuaire de Marie, elle en possède deux : l'un à Montban, l'autre à Posat. Mentionnons d'abord le premier. M. Hel. Raemy , de Bertigny, en retrace ainsi l'origine.

« Le fils du meunier Jolion, de Grenilles, reçut une petite madone en terre, de Jésuites missionnaires, qui la tenaient eux-mêmes d'un Bénédictin d'Einsiedeln. Il pratiqua une niche au milieu d'un vieux chêne, y déposa cette statue de Marie, l'orna de fleurs et vint chaque jour y faire ses prières pour être délivré, comme il le fut en effet, de la poursuite d'un spectre, qui le tourmentait, dit-il, chaque fois qu'il traversait cette forêt avec ses chevaux.

La dévotion de ce jeune homme trouva des imitateurs. La foule des fidèles se pressa autour de ce nouvel oratoire, surtout depuis qu'on eut remarqué très fréquemment une lumière plus éclatante que celle du soleil, environnant, pendant la nuit, ce chêne majestueux, qui, en hiver comme au printemps, conservait toute sa sève.

 

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Mgr Cl. Ant. Duding, ayant eu connaissance de ce prodige, organisa une enquête pour vérifier tous ces faits. Dès que la vérité eut été constatée, l'Evèque invita la paroisse de Farvagny à se charger de l'érection d'une chapelle à la place du vieux chêne, avec la faculté de percevoir les oblations et d'administrer les capitaux que la piété avait déjà offerts et allait offrir encore à Marie. Cette proposition n'ayant pas été agréée, l'Evêque se chargea lui-même de cette oeuvre sous les auspices du curé de Farvagny, D. Galley, de Charmey, et de M. Jacques Vonderweid, de Pont, qui légua à cette chapelle la moitié de sa vaisselle d'argent. Ce don valut à Notre-Dame de Montban un beau calice en vermeil et de jolies burettes d'argent.

Quant à la madone miraculeuse que le jeune Jolion avait incrustée autrefois dans le vieux chêne, on la conserve religieusement au milieu de l'autel dans une niche ornée qui offre l'aspect d'un tabernacle.

Au frontispice de la chapelle, on lit le millésime de 1727 avec ces mots de saint Bernard ajoutés au Salve Regina : O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria. Dans l'intérieur, on voit un premier ex-voto de 1730.

La reconnaissance des fidèles pour les nombreuses grâces obtenues à Notre-Dame de Montban, se traduisit par des dons abondants qui, tout en soutenant les écoles, permirent à Farvagny de restaurer son église, comme le dit une ancienne inscription.

 

12. Notre-Dame de Posat

 

On vante le site de Posat, mais ce qu'on cherche de préférence sur cette hauteur, c'est la chapelle de la Mère miraculeuse, comme elle est nommée en 1678. La fête de la Visitation voit surtout se diriger vers ce sanctuaire de nombreux fidèles. Leur confiance est fortifiée par le souvenir de divers miracles obtenus en ce lieu par l'invocation de la Mère de Dieu.

Cette invocation remonte bien haut. Dès le XII° siècle, une chapelle existait à Posat. Après avoir été occupée par les

 

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Soeurs de Saint Norbert, elle passa aux mains des PP. Jésuites de Fribourg. En 1695, cet ancien sanctuaire, où accouraient beaucoup de pèlerins, fut remplacé par une chapelle style renaissance plus vaste et mieux ornée, grâce à la pieuse générosité de Mme la colonelle Praroman.

Le tableau du maître autel (Visitation) représente avec quatre tableaux au choeur, dix autres dans la nef, les mystères du saint Rosaire. D'autres tableaux ornent encore la chapelle (saint Joseph, sainte Anne, les Docteurs de l'Eglise).

Le Tabernacle, en bois sculpté et doré, est un don de la cour de Louis XV fait aux PP. Jésuites.

Une particularité qu'offre Notre Dame des miracles à Posat, c'est la source qui sort de dessous la chapelle, et à laquelle vont boire pieusement les pèlerins, qui en emportent même dans leurs maisons pour s'en laver les yeux.

 

13 Notre-Dame de la Tour à Montagny

 

Montagny est à trois lieues de Fribourg, dans la direction de Payerne. Non loin de ce village, bâti sur les ruines d'une ancienne ville, se trouve l'emplacement d'un ancien château dont la tour seule ne fut pas détruite. Les riches barons de la cour, qui avaient passé de la seigneurie de la maison de Savoie à celle de Fribourg en 1478, avaient construit près de leur château une chapelle en style roman, pour y abriter une statue miraculeuse de Marie découverte, dit-on, dans le sol, où elle se trouvait enfoncée.

Les pèlerins y accoururent au point que les habitants de Montagny en prirent ombrage, et voulurent, prétendant l'exiguité de la chapelle, transférer la Vierge miraculeuse dans leur église paroissiale. Mais on raconte que chaque matin la statue sainte se retrouvait d'elle-même dans son bien-aimé petit sanctuaire. De là pour ce dernier un accroissement de renommée et l'honneur d'être élevé, après sa reconstruction en 1780, due aux libéralités de la famille d'Affry, à la dignité d'église paroissiale, où le pèlerinage continue d'avoir son cours.

 

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14. Notre Dame du Pont du Roc

 

Parmi les neuf chapelles qui font, avec son église, son site et son aisance, la gloire de la paroisse de Charmey (1150 âmes), se trouve, outre le sanctuaire de Lorette aux uses, celle de Notre-Dame du Pont du Roc, à trois kilomètres de ce beau village, du côté de Bellegarde. Là, en face de sommets alpestres, à l'angle d'un rocher dominant la Jogne, un pieux chrétien, Jean Pettolaz, de Charmey, trouva bon, en 1692, d'élever à Marie une modeste chapelle, hommage de sa reconnaissance pour la conservation de sa vie.

Un jour, revenant de Bellegarde à Charmey, il tomba avec son cheval dans les flots de la Jogne transformée en torrent. Entraîné par la violence du courant, il allait y trouver la mort, lorsque tout à coup, il se vit poussé et déposé par les ondes sur une grande pierre. Assis tremblant sur ce roc, en attendant que lui vint le secours qui ne tarda pas, il se prit à réfléchir qu'il ne devait son salut qu'à sa Mère du Ciel, sans laquelle il efrt infailliblement péri, et il se décida à lui ériger la chapelle qui lui doit son existence.

Ce sanctuaire vit bientôt de nombreux enfants de Marie y accourir pour invoquer devant le tableau de l'Assomption la douce Mère et son puissant secours envers tous ceux qui mettent leur confiance en Elle. Des ex voto apprennent que cette confiance n'est jamais vaine. Aussi, la paroisse de Charmey s'y rend souvent en procession, particulièrement chaque année à la fête de sainte Catherine. On n'a pas oublié comment, en 1799, dans la nuit du 23 au 24 octobre, le voeu d'une procession annuelle arrêta l'incendie qui menaçait de dévorer le village entier.

Outre plusieurs messes fondées dans cette chapelle, les pèlerins en font célébrer souvent, et chaque fois le sanctuaire se remplit de pieux dévots à Marie.

 

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15. Notre-Dame de Villaraboud ou Notre-Dame au Bois, Notre-Dame des grâces

 

C'est le nom et le titre sous lequel ce sanctuaire fut placé par Mgr Yenni lorsque, en 1831, le pieux évêque accorda l'autorisation d'y célébrer le saint Sacrifice. Jusque-là, on se bornait à y chanter le Salve Regina, des hymnes et des cantiques à la gloire de Marie.

Cette chapelle, où depuis près d'un siècle on va en pèlerinage, a une origine qui lui est commune, on l'a vu, avec beaucoup d'autres sanctuaires.

C'est d'abord une image de la Vierge placée par une main pieuse au flanc d'un sapin dans une forêt. Les passants s'y arrêtent pour prier. La dévotion augmente et on sent le besoin d'élever un oratoire à Marie auprès de l'arbre où le pèlerin d'Einsiedeln, Joseph Majeux-Dupont, avait fixé la statue vouée à Marie. En 1804, une chapelle proprement dite succéda à l'oratoire et fut solennellement bénite par le curé Houllin, doyen de Romont, dont Villaraboud n'est distant que d'une petite lieue.

En 1847, de nouveaux embellissements y furent apportés par les soins du curé Chassot, et en 1852 par les libéralités pieuses des Diesbach de Mézières.

En outre, les offrandes et les dons des fidèles attestent, de nos jours, leur confiance en Marie et leur reconnaissance envers la Mère de toutes grâces.

 

 

16. Notre-Dame de Wallenried

 

Outre sa chapelle de l'Assomption à Daremberg qui, bâtie à la suite de la bataille de Laupen en 1339, a vu au XVIe siècle de nombreux paroissiens venir invoquer la Vierge victorieuse de toutes les hérésies, et s'est vue de nos jours (février 1895) atteinte de la foudre pour la troisième fois, la paroisse de

 

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Cormondes possède son sanctuaire de Marie à Wallenried. C'est un but de pèlerinage.

Cette chapelle qui existait dès l'an 1617, a été reconstruite, agrandie et embellie par les soins du colonel Rodolphe de Castella. C'était l'accomplissement d'un vœu qu'il avait fait lorsque, commandant de la place de Wesel, il s'était vu avec ses 2,500 hommes, attaqué par une armée de 20.000 Prussiens. Sa défense fut victorieuse et, en 1764, le voeu qu'il avait fait amenait la reconstruction de la chapelle de Marie à Wallenried, où le colonel fit placer un grand tableau reproduisant, outre son portrait, ceux de son père, de sa mère, de ses dix frères et de ses cinq soeurs.

Le voeu de Castella est rappelé dans une inscription latine qu'on lit sur la porte de la sacristie de cette chapelle, visitée par beaucoup de pèlerins.

 

17. Notre-Dame des Sept-Douleurs à La Roche (Zurflüh)

 

Plus d'une statue de Marie a été arrachée, ainsi que nous l'avons vu, aux mains fanatiques des Vandales du protestantisme. Il parait en être ainsi de la Vierge des Sept-Douleurs qu'on vénère dans le sanctuaire de La Roche, au pied du Kesselberg, dans la religieuse Gruyère. Nous voulons parler de la statue en bois qui se trouve au-dessus de la porte d'entrée de cette chapelle. Car, à l'intérieur, où il y a trois autels, le maître-autel présente aux regards de la piété une statue plus grande de Marie en larmes, berçant sur ses genoux le corps adorable de son Fils descendu de la Croix.

Primitivement, la chapelle de La Roche n'était qu'un modeste oratoire abritant l'image de Marie, apportée et abandonnée là du Gessenay par un pieux chrétien qui n'avait pas voulu apostasier la foi catholique.

En 1722, l'oratoire fait place à la chapelle où les enfants de Marie viennent avec empressement, de Corbières et des environs,

 

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tour à tour remercier et invoquer la Mère de tout secours, et pour l’âme et pour le corps.

Ajoutons que les autels latéraux du modeste édifice sont dédiés l'un au B. Nicolas de Flue, l'autre à saint Béat, qu'une tradition respectable dit l'envoyé de saint Pierre et l'apôtre de Jésus-Christ dans l'Helvétie, dès le premier siècle de l'ère chrétienne.

 

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Bien d'autres chapelles de Marie dans le catholique pays de Fribourg pourraient être avantageusement mentionnées. Telles sont les chapelles de Notre Dame du Chêne près d'Attalens, celles de Chénens, de La Corbaz, des Muèses (Posieux), de Rio de Montelon, etc., etc. Mais l'heure presse.

Après avoir parcouru le canton de Fribourg dans tous ses sens, il nous faut, presque à regret, porter plus loin nos pas.

Nous regagnons Bulle, et nous partons pour Genève, où nous visiterons le seul monument qui appelle notre attention dans cette ville.

 

§ 2 GENÈVE

 

Notre-Dame de Genève.

 

L'ombre de Calvin continue à planer, froide, austère et sanglante, sur la cité où s'abattit, non cet aigle, mais ce vautour, en 1536. On sait avec quel soin jaloux l'intolérance de l'hérésiarque, après avoir chassé de son sein tous les fidèles enfants de l'Eglise, leur en ferma les portes pendant près de trois siècles. Ce n'est qu'en 1815 que les traités de Vienne forcèrent Genève à recevoir dans ses murs, auprès du culte du Dieu de Calvin, le culte du vrai Dieu, c'est-à-dire du Dieu de l'Evangile.

Un instant, les ténèbres ont semblé faire place à la lumière. On aurait pensé alors que la vieille haine du calvinisme allait se fondre au soleil d'une vraie et sincère fraternité.

 

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Mais les jours de James Fazy et de la liberté qu'il voulait pour tous n'eurent pas une longue durée. Ce ne fut qu'une éclaircie. Elle permit cependant aux catholiques de Genève de se donner, grâce à leur curé aussi habile que zélé, M. Dunoyer, et à son digne vicaire, le futur cardinal Mermillod, une église vaste et splendide, répondant aux voeux de tous.

Ce monument, du plus beau style ogival, reçut, à sa consécration par Mgr Marilley, le 8 septembre 1859, le titre significatif de Notre-Dame Immaculée. Pie IX, qui avait ouvert la souscription pour la construction de cet édifice par une somme de 5000 fr., l'avait enrichi d'une magnifique statue en marbre de l'Immaculée Vierge, chef-d'oeuvre des artistes de Rome, qui en avaient fait hommage au Saint-Père le jour même de la proclamation du dogme si cher au coeur du Pontife et à tout coeur

catholique.

Devant cette ravissante image de Marie, on voyait accourir plus nombreux de jour en jour les invocateurs de la douce Mère de Dieu.

Ce courant de piété était un vrai pèlerinage qui s'inaugurait. En fallait-il davantage pour réveiller toutes les fureurs de l'hérésie contre Marie et le catholicisme ? Comprimée et frémissante, la rage de Satan appelait avec une impatience mal contenue l'heure où le culte de l'auguste Vierge, victorieuse de l'hérésie, pourrait enfin être proscrit du monument de foi et d'amour érigé à Genève par les dons généreux de toute l'Europe catholique. Cette heure funeste sonna enfin, « l'heure de vengeance et de la puissance des ténèbres. »

A peine le Kulturkampf eut il fait son apparition, sinistre météore, dans les brouillards d'Outre-Rhin, que Genève, une fois de plus à la remorque de Berne, se mit à persécuter le catholicisme, non plus à coups d'épée, mais à coups de lois et de décrets marqués au coin, non encore usé, de la haine de Calvin contre l'Eglise et son Chef. La persécution « légale » produisit l'effet désiré. Devant une secte hybride, créée par la haine et alimentée par l'ignorance, les catholiques de Genève, dépouillés par un gouvernement protestant en faveur

 

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de cette secte se virent chassés sans pitié de leur belle église, livrée à l'apostasie et au sacrilège.

On comprend que, dès lors, tout pèlerinage ait cessé dans ce sanctuaire profané, et cela à la triste joie des ennemis de la

Vierge Immaculée.

Joie éphémère, dirons-nous, car un jour, qui ne peut être bien éloigné, arrivera où Marie verra de nouveau ses fidèles enfants venir s'agenouiller, fervents et heureux, dans son temple et devant sa douce Image.

 

§ 3 NEUCHATEL

Notre-Dame du Landeron

 

La chapelle de Notre-Dame et des dix mille martyrs, dont la gracieuse et catholique cité du Landeron est fière, remonte à une époque antérieure au nouvel évangile de Farel.

En 1450, à la demande du curé du Landeron et de ses paroissiens, l'abbé du monastère de Cerlier, collateur de l'église de cette paroisse, consentit à l'érection de ce nouveau sanctuaire. Un chapelain y fut attaché. Son entretien lui était fourni sur les biens de l'abbaye. Après la suppression de celle-ci et l'incamération de ses biens par les Bernois, la paroisse dont les femmes avaient mis en fuite l'énergumène Farel, se chargea de nourrir le chapelain jusqu'à ce que la duchesse de Nemours y pourvût par ses pieuses largesses.

En 1696, les Pères Capucins, qu'elle avait appelés au Landeron, prirent possession de ce sanctuaire en même temps que de leur nouvel hospice. Depuis cette époque, la dévotion à Marie n'a cessé de s'affirmer de plus en plus vive dans cette antique chapelle, surtout par les neuvaines qui s'y multiplient.

 

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V DIOCÈSE DE SION

 

Le pittoresque canton du Valais, qui forme le diocèse de Sion, renferme un grand nombre de pieux sanctuaires dédiés à la Vierge sainte par la foi chrétienne apportée à ce peuple dès les temps les plus reculés. Grâce aux racines profondes jetées dans ces âmes par la vérité catholique, elle est sortie au XVIe siècle victorieuse des attaques de l'hérésie, qui loin de l'ébranler, n'ont réussi qu'à l'affermir.

La Vierge protégeait le Valais.

Elle le protège encore du fond de ses nombreux sanctuaires où chaque jour le bon peuple valaisan l'invoque avec ferveur. Pour en faire non la description, mais une simple esquisse, l'ordre alphabétique nous ouvre cette belle galerie par la chapelle de

 

1. Notre-Dame de Bâtiez à Martigny.

 

En 1518, Georges de Supersax rasait un vieux manoir, une « bastille » qui s'élevait depuis des siècles fière et menaçante en face de Martigny. Au pied du rocher sur lequel était assis ce nid d'aigles, se trouve, humble et modeste, une chapelle de la Sainte Vierge, où la population des alentours aime à porter ses prières. Appuyée contre le rocher, elle n'a de jour que par le côté opposé. De nombreux ex-voto la tapissent On y voit des malheureux qui tombent d'une voiture, d'une échelle, d'un rocher, et qui doivent leur conservation à la Mère de Dieu invoquée avec confiance. Ailleurs, ce sont des malades se soulevant sur leur grabat et attendant leur guérison de leurs prières adressées à Marie. Partout ce sont des témoignages de reconnaissance envers le « Secours des infirmes ». Cela nous dit

 

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assez combien est fréquenté le pèlerinage de Notre-Dame de Bàtiez, et combien il mérite de l'être.

Aussi, la fête des Sept-Douleurs amène-t-elle à l'office solennel qui se chante dans ce sanctuaire des foules de pèlerins, qui accourent là de loin et de près pour se mettre sous la garde de la « Mère de toute grâce ».

 

2. Notre-Dame de Burgspitz sur le Brigerberg

 

Brigue est une charmante petite ville que recommande son site pittoresque. Mais si l'on veut jouir d'un spectacle plus étendu et plus varié, qu'on prenne la route de Schlucht et qu'on s'élève, en suivant un beau chemin de croix, et en passant devant une gracieuse chapelle de Saint Joseph, jusqu'au Burgspitz. De ce .sommet la vue s'étend au loin, et tant au nord qu'au sud, ce sont les aspects les plus agréables et les plus variés.

Ici, l'on s'arrête à une jolie chapelle de la Sainte Vierge, où en 1845, lors de la guerre civile suscitée dans le Valais par le radicalisme, les défenseurs du gouvernement vinrent implorer, pour le succès de leurs armes, qu'ils obtinrent plein et entier, Celle qui est la Protectrice de tous les droits comme la sauvegarde de toutes les douleurs. Bâtie en 1760, cette chapelle de « Notre-Dame de l'Annonciation » a pour origine traditionnelle la présence d'une image de Marie, qui, enlevée à plusieurs reprises de ce lieu, s'y retrouva chaque fois.

Les catholiques des importantes paroisses de Brigue et de Glys savent 1 s grâces obtenues dans ce sanctuaire par les nombreux pèlerins qui le visitent, surtout dans la belle saison. Aussi viennent-ils en procession, le mardi et le jeudi de la Semaine Sainte, apporter à Marie leurs voeux et leurs hommages.

3. Notre-Dame de Chandelin

Chandelin ou Champdelin, est un village appartenant à la paroisse de Savièze (2.000 âmes) à une lieue au nord de Sion,

 

 

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appuyée à un contrefort des Alpes. Là se dressait autrefois, dans toute sa force, le château de la Soye détruit en 1417. Là aussi, un pieux prélat, Guiscard Tavelli, avait trouvé en 1375, une mort tragique.

Depuis longtemps, un oratoire s'élevait sur l'emplacement qu'occupe, dès avant 1666, la chapelle de Notre-Dame, qu'aiment à visiter les pèlerins de Sion et des environs. On n'a pas oublié comment, dans ses vieux jours, le vénérable chanoine Will, mort en odeur de sainteté, gravissait la montagne, le bâton de pèlerin d'une main et le rosaire de l'autre, pour mettre sa dernière heure sous la garde de Marie.

Les évêques de Sion ont aussi porté les regards sur ce sanctuaire et l'ont enrichi de bienfaits et d'indulgences. De nombreux ex-voto attestent les grâces obtenues par la foi en Marie dans ce gracieux sanctuaire. La fête de la Nativité, fête titulaire de la chapelle, y voit affluer de nombreux pèlerins, particulièrement de Savièze, qui s'y rendent en procession à diverses reprises dans le courant de l'année, mais particulièrement dans les calamités publiques, que la Mère de Dieu, pieusement invoquée, sait merveilleusement conjurer.

 

4. Notre-Dame d'Ernerwald

 

Ernen est un village de 415 âmes qu'on trouve sur la gauche du Rhône à trois lieues de Brigue, en remontant le fleuve. Au sud de ce village, chef-lieu de Conches inférieur (Unter Gans), dans une forêt de pins et de mélèzes, un homme s'était endormi. Dans son sommeil, il eut un songe. Il crut voir une grotte remplie de cristaux, et au milieu de ces cristaux une image de la douce Vierge Marie. Il conclut de cette vision que la Mère de Dieu voulait un sanctuaire en ce lieu, et il l'érigea, au prix,, dit la légende, des pierres précieuses qu'il y trouva.

Commencée en 1693, la construction s'acheva en 1709. Bien tôt la chapelle de Marie vit de nombreux pèlerins y accourir. Leurs prières furent exaucées, comme le prouvent les 130 ex-voto appendus aux murs du sanctuaire. Les papes Benoît XIV,

 

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Clément XIII et Pie VI l'enrichirent d'indulgences, surtout pour la « Visitation », fête titulaire de la chapelle. Un chemin de croix fut érigé sur la route qui y conduit, mais il ne tint pas devant les ouragans. De nos jours, le chemin de croix existe dans la chapelle, où l'on voit, dans le choeur séparé par une grille, un ravissant tableau de la Sainte Vierge avec l'Enfant Jésus.

 

5. Notre-Dame de Flüe, à Louèche

 

Louèche et ses bains sont connus de l'Europe entière : nous n'en dirons rien. Signalons seulement la gracieuse chapelle de la Vierge qui se trouve au nord est et à deux lieues du village, au pied de l'Altels Cette chapelle n'est, à vrai dire, qu'une magnifique grotte taillée dans le granit par les mains de la nature. On y honore depuis longtemps l'image de Notre Dame des Sept Douleurs. Cette grotte fut élargie à la fin du siècle dernier, et plus tard l'entrée en fut fermée par une grille. De pieux ex-voto, suspendus autour de la Vierge miraculeuse, attestent les grâces sollicitées et obtenues en ce lieu béni, où se font souvent des processions, et où viennent se promener ou prier en bon nombre les baigneurs de Louèche.

 

6. Notre-Dame de Glisacker

 

Il faut que Notre-Dame de Glisacker soit un lieu de pèlerinage bien fréquenté, pour que le protestant Bædeker, dans son Guide en Suisse, daigne écrire cette ligne : « Glis, un lieu de pèlerinage, avec une grande église romane (sic), au pied N. du Glishorn. » Ainsi parle le « Guide », qui pourtant se soucie peu des pèlerinages. C'est que, en effet, la chapelle de Marie, à Glisacker, est bien plutôt une vaste et splendide église qu'un simple oratoire; elle se remplit de pèlerins de toute la vallée de Glis et des environs, particulièrement tous les samedis de l'année, car en ce jour de Marie, il y a chaque semaine office et sermon.

 

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L'origine de ce sanctuaire et de ce pèlerinage se perd dans

la nuit des siècles On rapporte qu'un évêque de Sion, le burgonde Leudemond, se serait attiré la colère du roi Clotaire en cherchant à persuader à la reine de prendre la fuite et de faciliter ainsi à un de ses parents l'avènement au trône de Bourgogne. Le prélat, par l'intervention de saint Eustaise, abbé de Luxeuil, aurait obtenu sa grâce, et en reconnaissance il aurait bâti à Glis une chapelle en l'honneur de la Sainte Vierge. Ainsi, c'est à l'an 620 que remonterait l'érection de cette première chapelle. Le fait est qu'on ignore l'époque où elle fut bâtie; mais ce qu'on sait, ce qu'on voit, c'est qu'elle a fait place à une magnifique église à trois nefs, au choeur et aux deux chapelles latérales du plus beau gothique, et que cette église, devenue paroissiale, est un des lieux de pèlerinage les

plus fréquentés du Haut-Valais.

7. Notre-Dame des Hautes-Roches (zu hohen Flüen)

 

Après Glisacker, un des pèlerinages de Marie les plus fréquentés paraît être celui de Notre-Dame ad altas rupes. Situé à un demi lieue à l'ouest de Moerel, ce sanctuaire toutefois ne remonte pas très haut. En voici l'origine d'après la tradition populaire.

Une statue de Notre-Dame des Sept-Douleurs, charriée par le Rhône, s'était arrêtée flottant sur l'eau vis-à-vis du lieu même où se voit la chapelle actuelle Les pieux habitants de la contrée en conclurent que la Vierge douloureuse voulait là un sanctuaire. Le maire de Mcerel, Pierre Walsker, se mit à l'oeuvre avec son frère Chrétien. D'autres imitèrent leur exemple. La chapelle s'éleva et la statue de l'auguste Mère, d'abord placée sur le maître-autel, trouva une meilleure place au fronton même de la chapelle, où elle s'appuie à une croix

Trois autels ornent l'intérieur du sanctuaire. L'autel du choeur reposant sur six colonnes torses, resplendit de l'éclat de l'or. On y voit une belle descente de croix, ainsi que diverses statues, dont deux représentent l'une le serpent d'airain, l'autre

 

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le sacrifice d'Isaac. Une grille, qui s'élève jusqu'à la voûte, sépare le choeur de la nef, où l'on voit une belle chaire, un jeu d'orgues, un chemin de croix avec bon nombre d'ex-voto.

Les quatre premiers vendredis de Carême, la paroisse de Moerel s'y rend en procession et l'office y est chanté. Il en est de même à la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs.

Le sanctuaire est alors trop étroit pour contenir la foule qui s'y rend en procession et assiste à l'office et au sermon.

De nombreux pèlerins s'y succèdent et attestent leur confiance en la Mère consolatrice de toutes les douleurs

 

8. Notre-Dame de Kühmatten

 

Parmi les dix chapelles que possède la fraîche et pittoresque vallée de la Louèche, qui ne fait qu'une paroisse, se trouve, à deux lieues de l'église, le sanctuaire de Marie à Kühmaten, au pied des glaciers et des neiges éternelles. Ce n'était d'abord qu'un modeste oratoire, abritant une ancienne statue de la Vierge, dressé par de pieux pâtres, à l'endroit qu'ils avaient vu souvent, disaient ils, éclairé d'une lumière extraordinaire. Plus tard, des jets d'une lumière semblable apparurent aux regards des visiteurs de l'humble oratoire. C'est alors (1555) qu'avec l'autorisation de l'évêque Jean Jordan, fut construite la chapelle, où de nos ,jours se continue le pèlerinage à la Mère de Dieu Cette chapelle s'élève souriante au bord de la Lonza, protégée contre les avalanches par une épaisse forêt de sapins. La statue de la Vierge n'a quitté son premier oratoire que pour voir dans cette chapelle des foules plus nombreuses venir y apporter la ferveur de leurs prières. Comme « sur les Roches », l'autel du choeur, tout brillant d'or, est séparé de la nef par une belle grille de fer. Des ex-voto y rappellent les nombreux bienfaits de Marie. Une chaire, dressée dans la nef, en face de l'autel de Saint-Antoine, nous dit que la parole de Dieu est annoncée au peuple dans certaines circonstances, particulièrement le 2 juillet, fête du sanctuaire, et aux cinq processions qu'y fait chaque année la vallée de Louèche. De Zeneisten, les quinze

 

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mystères du saint Rosaire conduisent les pèlerins au seuil de la chapelle et aux pieds de la glorieuse Vierge de Lépante.

 

9. Notre-Dame du Lac Noir, à Zermatt

 

Cette chapelle porte le nom de Notre-Dame des Neiges, qui lui fut donné en 1784 par l'évêque de Sion Zenruffinen. Elle le mérite et par sa situation au pied des glaciers du Mont Cervin et par son altitude qui n'est pas à moins de 8.500 pieds.

Ce sanctuaire, bien connu des touristes catholiques de Zermatt, doit son existence au fait suivant :

Deux habitants de la contrée s'en revenaient d'Aoste, leurs charges sur le dos. Arrivés au glacier de Saint-Théodule, un brouillard épais et des tourbillons de neige les enveloppent au point de leur faire perdre leur sentier. Egarés sans ressource, ils arrivent au bord du Lac Noir, où se trouvait déjà une statue de Marie. Là, ils font voeu devant cette sainte image, de construire en ce lieu une chapelle à la Vierge-Mère, s'ils réussissent à retrouver leur chemin et à gagner leur foyer. Là-dessus, ils font quelques pas à l'aventure, et bientôt un sentier connu s'offre à leurs pas : ils arrivent chez eux sains et saufs. Un tableau rappelle ce souvenir dans le sanctuaire, qui, plus tard, fut considérablement agrandi par la commune de Zermatt.

En hiver, le pèlerinage est peu fréquenté à cause des neiges. Il l'est d'autant plus en été et surtout au 5 août, fête titulaire de la chapelle. De nombreux ex-voto attestent avec la reconnaissance des pèlerins, les grâces obtenues en ce lieu par l'intercession de la puissante Mère des chrétiens.

Avant de quitter Zermatt, signalons encor e la chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs sur le Furi, construite par les trois frères Furrer, de Zermatt, en 1747 Ici encore, la piété envers Marie trouve satisfaction, repos et bonheur.

 

10. Notre-Dame de Mayenberg

 

Le Mayenberg, voisin de Sion, est le lieu de villégiature de bon nombre de familles de cette ville. Dans un édifice religieux,

 

 

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qui date de 1685, se réunissent ces familles à certains jours déterminés comme aussi les dimanches et fêtes pour y entendre

la sainte Messe.

Un site plus élevé appelle touristes et pèlerins dans une modeste chapelle bâtie en 1779 par les premières familles de Sion en faveur des patres alpestres. Ce sanctuaire porte le beau nom de « Notre-Dame du bon Conseil ». Il est bien fréquenté pendant la belle saison. Les paroisses voisines s'y rendent en procession, pour obtenir de Dieu, par l'intercession do Marie, le temps favorable aux produits du sol. Chaque samedi, une messe fondée s'y célèbre de mi-juin à mi-septembre. A la fête de l'Assomption, le sanctuaire qu'ornent de nombreux ex-voto, est trop étroit pour contenir la foule accourue aux pieds de la reine du Ciel et de la terre, pour assister pieusement à l'office qui s'y chante, et au sermon qui redit, sur ces hauteurs voisines du ciel, les gloires, la puissance et la bonté de la Mère des hommes.

 

11. Notre-Dame des Neiges, au Crételet

 

Jean Cliva, de Randogne eut trois nuits de suite un même songe Il rêvait d'avoir découvert une statue de la Vierge au lieu même où se trouve maintenant la chapelle. Quelques jours après, il gravit la montagne avec son cheval pour chercher du fourrage. A la descente, son cheval effrayé prend le mors aux dents et se précipite au grand galop jusqu'au bord d'un rocher ; un pas de plus et c'en est fait du cheval et de son maître. Le cheval brusquement s'arrête. Tout est sauvé. Mais Jean Cliva n'oublie pas que c'est précisément en ce lieu qu'il a vu dans ses rêves la statue de Marie. Aussitôt son parti est pris. De concert avec sa femme, Marie Lovi, il bâtira là un sanctuaire à Celle qui l'a sauvé de la mort. Dès 1706, il se met à l'oeuvre sans retard, et le 5 août de l'année suivante, la chapelle de Notre-Dame des Neiges, à deux lieues de Sierre, était solennellement bénite et ouverte au public.

A dater de sa première fête titulaire, qui frit marquée par

 

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500 communions, le sanctuaire de Marie-aux-Neiges a vu croître d'année en année le nombre de ses pieux visiteurs. En 1726, on se vit d lus la nécessité de l'agrandir. Ce fut l'oeuvre de Jean Cliva aidé de Joseph Masserey, son beau-frère. Bien qu'accablé d'infirmités, Jean Cliva voulut un jour, appuyé sur deux béquilles, se rendre à son cher sanctuaire. Pendant qu'il y priait, ainsi que deux femmes malades, ils entendirent au dehors tin bruit de charpentiers et de tailleurs de pierre. Sortant de la chapelle, ils ne purent rien apercevoir. Et ce bruit se renouvela jusqu'à quatre fois.

En apprenant ce fait : « Tu vois, dit Masserey à son beau frère, combien notre projet d'agrandissement est agréable à Dieu et à sa douce Mère. »

De 1730 à 1737, le sanctuaire s'enrichit d'une sacristie, d'une tour avec cloche, et même d'un ermitage.

L'intérieur de la chapelle est orné d'ex-voto nombreux, qui justifient l'empressement des Papes Pie VI, Pie VIII et Grégoire XVI à accorder de précieuses indulgences en faveur des pèlerins qui vont prier Notre-Dame des Neiges au Crételet.

 

12. Notre-Dame de Ringacker.

 

Près de Louèche, sur un emplacement qui était, en 1297, un couvent de Sainte-Catherine, se trouve une chapelle de Marie, dont l'origine est rappelée par un tableau qu'on voit au-dessus de l'autel collatéral de droite, dédié à saint Joseph mourant. Ce tableau représente sept gerbes de blé. Celle du milieu, debout, est surmontée d'une hostie resplendissante. C'est ainsi que le lieu où Louèche allait bâtir une chapelle fut miraculeusement désigné. On hésitait à le trouver, lorsqu'un jour de moisson, une hostie brillante apparut au-dessus d'une gerbe, indiquant par sa présence le lieu où devait s'ériger vers 1680 le nouveau sanctuaire de Marie.

On y voit trois autels. Le principal est consacré à l'Immaculée-Conception ; celui de gauche à saint Sébastien et celui de droite, nous venons de le dire, à saint Joseph rendant à Dieu son âme pure et virginale.

 

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Sainte Barbe, sainte Odile, saint André et saint Paul ont aussi leurs statues ou leurs tableaux dans ce sanctuaire, que décorent de pieux ex-voto de la reconnaissance pour les grâces, les bienfaits, les miracles obtenus par l'intercession de Marie.

 

13. Notre-Dame de Ritzigerfeld.

 

La modeste paroisse de Biel, dans le district de Couches (Haut-Valais), possède aussi son bien-aimé sanctuaire de la Reine du ciel. Outre la messe qui s'y célèbre chaque semaine, la paroisse, d'une Sainte Croix à l'autre, gravit en procession le Ritzigerfeld, et les vêpres sont chantées dans la pieuse chapelle.

Telle qu'elle existe de nos jours, elle remonte à l'année 1814, où fut achevée sa construction entreprise sept ans auparavant, à la suite de la destruction partielle causée par une avalanche. C'était, déjà en 1807, une seconde chapelle, qui avait pris la place d'une plus ancienne mentionnée dès 1636 dans tin document authentique, oit elle est reconnue comme trop exiguë et insuffisante pour la foule des fidèles qui viennent y chanter et y prier. Trois fêtes de la Sainte Vierge y sont célébrées avec solennité par la paroisse et les pèlerins des environs Ce sont la Nativité, la Visitation et l'Assomption.

Pour les deux premières, Pie VI a accordé, aux conditions ordinaires, une indulgence plénière aux pieux visiteurs. Aussi accourent-ils nombreux sur ce sommet d'où l'on jouit, en été, du plus charmant coup d'oeil.

 

14. Notre-Dame du Rocher, ou de Sex, à Saint-Maurice.

 

Près de Saint-Maurice, se détache du flanc d'un immense rocher à pic, une gracieuse chapelle, où conduit l'ascension de plus de 400 marches taillées dans le roc. Gravissons ces marches, à la suite des pèlerins qui viennent par milliers, non seulement du Valais, mais de Fribourg et de la Savoie, chaque année, honorer et invoquer Notre Dame du Sex (Rocher).

 

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Nous voici au seuil du sanctuaire, dominant de plus de 100 mètres la vallée du Rhône. Elle porte dans son nom : « Reine des Martyrs » le souvenir vivant des 6.000 martyrs de l'immortelle Légion commandée par l'intrépide chrétien, saint Maurice. Des ex-voto suspendus dans la chapelle à la paroi du rocher qui lui sert de mur de ce côté, attestent les secours miraculeux obtenus par Marie aux prières confiantes de ses enfants. Un de ces ex-voto rappelle comment, en 1722, un jeune homme tombant du toit de la chapelle qu'il réparait, et précipité à une profondeur de 264 pieds, se releva sain et sauf et remonta aussitôt à son travail pour le continuer et l'achever.

L'origine de ce sanctuire, plusieurs fois ruiné et autant de t'ois rebâti, remonte, dit-on, jusqu'au commencement du VIIe siècle. L'histoire rapporte qu'en 610, après avoir passé trente ans dans l'abbaye de Saint-Maurice, un fervent religieux se retira dans une cellule bâtie près de la chapelle, et qu'il y vécut trois ans de la vie la plus austère.

Au retour d'un voyage en Italie, saint Eustache l'emmena avec lui dans 'son monastère de Remiremont, où le vaillant ermite mourut en odeur de sainteté l'an 627. Saint Amat ou Aimé, car c'était lui, né à Grenoble d'un noble père, grand vénérateur des saints de la Légion thébéenne, avait été confié, jeune encore, aux religieux de l'Abbaye, dont il voulut, son éducation achevée, partager la vie et la sainteté, comme il partagea ensuite la vie sainte des religieux de Remiremont.

 

15. Notre-Dame de Saas.

 

Bâtie en 1687 par l'habile tailleur de pierres Antoine Ruppen, et bénite sous le vocable de l’« Immaculée-Conception », la chapelle de Saas, dans la fraîche vallée de ce nom, vit de bonne heure les pèlerins gravir nombreux l'escalier taillé dans la pierre qui lui a valu le nom de « Notre Dame du Haut-Escalier » (ad altas scalas). Il fallut l'agrandir en 1747, et huit ans après, le sanctuaire s'enrichissait d'un orgue et d'une chaire. Des pieds et des mains, en bois et en cire, sont sus

 

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pendus au nombre de 200 et plus comme ex-voto dans la chapelle, qui a pour tête principale la Nativité de la Sainte-Vierge. En ce jour, ce n'est pas trop de quatre prêtres pour entendre les confessions des fidèles qui viennent y communier et assister à l'office solennellement célébré avec sermon et procession, suivie des Vêpres.

Quinze petits oratoires, renfermant les quinze mystères du Rosaire, érigés en 1709, détruits par les Français pendant la Révolution, puis reconstruits à neuf, et plus beaux en 1861, conduisent le pèlerin au seuil du beau sanctuaire de Marie.

 

18. Notre-Dame de Schalbotten.

 

Si du val de Saas, qu'arrose un bras de la Viège, nous passons dans la vallée de Saint-Nicolas, arrosée par l'autre bras de cette rivière, si souvent torrentueuse, nous trouvons dans cette seconde vallée bon nombre de gracieuses chapelles, formant aux flancs des montagnes et aux sommets des collines, leur plus belle décoration

Telle apparaît à Schalbotten, à deux lieues de Saint-Nicolas, la chapelle de Notre-Dame de Bon-Secours, bâtie en 1672, par la commune de Gosenried et reconstruite vers 1808, avec un agrandissement notable et nécessaire pour les pèlerins qui la visitent. Ici encore, les ex-voto de la reconnaissance annoncent les grâces obtenues et publient les miséricordieuses bontés de Marie. Le 4 septembre a lieu la fête titulaire de la chapelle, où de nombreuses messes, outre celles qui y sont fondées, se célèbrent dans le cours de l'année.

Endommagée par le tremblement de terre de 1855, la chapelle a été restaurée en 1857 et enrichie de Stations en 1862.

 

17 Notre-Dame de Viège.

 

En 1349, Viège avait deux églises : l'une, Saint-Martin de Tours, pour le peuple, c'était l'église d'en haut ; l'autre, celle d'en bas, pour la noblesse. Cette dernière, desservie par des

 

 

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chapelains, dits « altaristes », c'est-à-dire, vivant de l'autel, portait le nom de Sainte-Marie comme aussi celui des Trois Rois. Sous le maître-autel se trouvait, creusée par les mains de la nature, une sorte de crypte où l'on descendait par un escalier de huit marches. Convertie en chapelle par la comtesse Isabelle de Hübschburg en 1365, cette crypte prit le nom de e< Chapelle de la comtesse », qui, plus tard, fit place à celui de Notre-Dame du Foyer.

Quatre colonnes, disposées en carré, y servent de support au choeur de l'église Quatre autres colonnettes de marbre sont destinées à supporter l'autel, qui est portatif. Au-dessus de l'autel, dans l'ovale d'une excavation servant de niche, apparaît éclatante d'or, la statue de la divine Mère portant sur ses bras l'Enfant-Dieu. La couronne sur la tête, Elle foule de ses pieds l'antique dragon, et invite, par la grâce de son sourire, les chrétiens à venir invoquer leur miséricordieuse Mère.

Aussi, nombreux sont ceux qui viennent à Elle non seulement de Viège, mais de tous les environs, et nombreuses sont les grâces obtenues à ses pieds par sa puissante intercession.

 

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autorisée d'un orateur chrétien, et suivi du chant des Vêpres, avec accompagnement d'orgue, avant que là paroisse ne regagne, toujours en procession, sa belle église neuve.

Le sanctuaire actuel de la Visitation de Notre-Dame, construit en 1652, n'a fait que succéder à un sanctuaire plus ancien, qui était déjà un but de pèlerinage. On y voit trois autels : au milieu, celui de l'Assomption ; à droite, l'autel de la statue miraculeuse de Marie, et à gauche, celui de la Sainte-Croix.

Restaurée avec soin après le tremblement de terre de 1855, la chapelle de la Visitation n'en devint que plus belle et plus chère aux enfants de Marie, heureux d'y assister au saint-sacrifice chaque samedi de janvier, et dans beaucoup d'autres circonstances.

 

19. Notre-Dame de Wandflüe.

 

Appuyée à une paroi de rochers, et dominant la vallée du Rhône, non loin de Rarogne, s'élève la chapelle de Notre-Dame de Bon Secours, entretenue par la commune de Birchen.

Ce n'était dans le principe qu'un humble oratoire renfermant une statue de Marie, qu'on y voit encore. Cet oratoire devait son existence, dit la légende populaire, à une lumière qu'on apercevait en ce lieu, la veille des fêtes de la Sainte Vierge. Un soir, un homme tourmenté par un horrible mal de dents, fit voeu d'y construire une petite chapelle si son mal disparaissait. Aussitôt le voeu fait, le mal disparut et l'oratoire fut construit. En 1780, le capitaine Théodule de Roten agrandit la chapelle, reconstruite vers 1725. Les ex-voto, au nombre de plus de 30, redisent à tous les pèlerins que Marie n'est pas vainement invoquée en ce sanctuaire comme en mille autres qui lui sont dédiés.

 

20. Divers autres sanctuaires de Marie.

 

S'il n'était temps de mettre fin à cette étude, déjà longue, sur les sanctuaires de Marie dans la Suisse catholique, nous

 

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pourrions en citer bien d'autres encore dans le catholique Valais.

Pour terminer, mentionnons enfin la chapelle de Vernay ou des Vernes, à Bagnes, celle de Notre-Dame des Sept-Douleurs, à Salgesch, comme aussi la belle église du monastère de Saint-Bernard, où continuent à affluer depuis des siècles, du val d'Aoste comme du Valais, les pèlerins venant invoquer Notre-Dame de l'Assomption, à laquelle soit honneur et gloire sur la terre et dans les cieux à jamais !

 

 

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

Pages

Préface                                                                     III

Achenberg, Notre-Darne de Lorette         4

Altishofen, Maria Hilf                                              94

Andermatt, Notre-Dame Auxiliatrice         206

Baden, Mariawyl                                                      14

Beckenried, Notre-Dame Auxiliatrice       188

Benken, Notre-Dame de Bildstein                        230

Berlens, Notre-Dame de l'Epine                246

Biberegg, Notre-Dame de Lorette                        167

Biberist, Assomption                                              125

Boncourt, Notre-Dame sous les Chênes 57

Bonembey, Notre-Dame de Lourdes        34

Bourguillon (Norte-Dame de)                     245

Bremgarten (Notre-Dame de)                    9

Brigue, Notre-Dame de Burgspitz                         261

Broc, Notre-Dame des Marches                250

Bulle (Notre-Dame de)                                247

Bure, la Chapelle du Paradis                                 61

Calanca (Notre-Dame de)                         163

Chandolin (Notre-Dame de)                                   261

Charmey, Notre-Dame du Pont du Roc    254

Châtillon, Assomption de la Sainte Vierge 57

Chevenez, Notre-Dame du Saint-Nom de Jésus  60

Crételet, Notre-Dame des Neiges                        267

Dagmersellen, Kreuz-Hubel                                   94

Derendingen (Notre-Dame de)                  127

Develier, l'Immaculée Conception                         60

Dissentis (Notre-Dame de)                                    150

Dottenberg, la Vierge Immaculée             90

Dreibrunnen (Notre-Dame de)                   234

Ebikon, Saint-Nom de Marie                                  92

Eigenthal (Notre-Dame d')                         83

Einsiedeln (Notre-Dame d')                                    169

Ermites (Notre-Dame des)                                     169

Ernerwald (Notre-Dame d')                                    262

Fahy, Notre-Dame de Bon-Secours         59

 

276

 

Fribourg (Notre-Dame de)                         242

Fribourg, Notre-Dame de Lorette             240

s- Fribourg, Notre-Darne de Bon-Secours 244

Fribourg, Notre-Dame des Ermites                      243

Genève (Notre-Dame de)                           257

Glisacker (Notre-Dame de)                                    263

Garmond (Notre-Dame de)                                    75

Gcertschwyller, Notre-Dame des Sept-Douleurs  209

-lGubel, Notre-Dame Auxiliatrice               137

-Guin, Notre-Dame Auxiliatrice                  248

Haslen, Notre-Dame de Bon-Secours      223

Hautes-Roches (Notre-Dame des)                       264

Herrgottswald (Notre-Dame d')                  80

Herrlisberg, Présentation                            93

Hildiskirchen (Notre-Dame de)                  78

Horw (Notre-Dame de)                                92

Jagdmatt (Notre-Dame de)                                    211

Ibenmoos, Marie aux Neiges                                 93

Iona (Notre-Dame d')                                              236

lonenthal (Notre-Dame d'Ionenthal)           11

Katzenstrick (Notre-Dame du)                   179

Kersiten (Notre-Dame de)                         190

Klingenzell (Notre-Dame de)                                  129

Kühmatten (Notre-Dame de)                      265

Landeron (Notre-Dame du)                                    259

Langnau, Notre-Dame de la Visitation     96

La Roche, Notre-Dame des Sept-Douleurs  256

Lessoc, Notre-Dame des Neiges             249

Lichtensteig, Notre-Dame de Lorette       232

Lilienthal (Notre-Dame de)                                     133

Louèche, Notre Dame de la Flü ha                       263

Lucerne, Maria-Hilf                                      94

Lutherthal Notre Dame de)                                     64

Mariastein, Notre-Dame de la Pierre        96

Martigny, Notre-Dame de Bâtiez               260

Mayenberg (Notre Dame de)                     266

Melchthal (Notre-Dame de)                                    192

Mets Notre-Dame de)                                            237

Meltingen, Notre-Dame de la Haie                        117

Misocco Notre-Dame de)                           164

Montagny, Notre-Dame de la Tour                        253

Montban (Notre-Dame de)                         251

Montcroix (Notre-Dame de)                                    46

 

277

 

Montenol, Notre-Dame de Lourdes           30

Münster (la Vierge miraculeuse de)          159

Oberdorf (Notre-Dame d')                           127

Pleujouse, Notre-Dame de Lourdes         35

Porrentruy, Notre-Dame des Annonciades 19

Porrentruy, Notre-Dame de Lorette           20

Posat (Notre-Dame de)                              252

Rickenbach (Notre-Darne de)                    194

Ried (Notre-Dame de)                                           180

Riederthal (Notre-Dame de)                                   215

Rigi, Marie aux Neiges                                           182

Ringacker (Notre-Dame de)                                   268

Ritzigerfeld (Notre-Dame de)                     269

Rort, Notre-Dame de l'Aurore                    91

Rort, Notre-Dame des Sept-Douleurs      92

Rossemaison, Notre-Dame de la Salette            39

Ruswyl, Notre-Dame du Bon-Conseil       93

Saas (Notre Dame de)        270

Saint-Bernard, Eglise de Notre-Dame     274

Saint-Maurice, Notre-Dame du Sex          269

Saint-Ursanne, Notre-Dame de la Grotte 29

Saint-Ursanne, Notre-Dame de Lorette    23

Salgetsch, Notre-Dame des Sept-Douleurs 274

Saluz, Notre-Dame de Zitail                                   157

Schalbotten (Notre-Dame de)                    271

Schceenenwert (Notre-Dame de)             120

Seleute, Notre-Dame du Sacré-Coeur     55

Siebenrich (Notre-Dame de)                                  199

Soleure, Notre-Dame de Lorette               100

Sonnenberg (Notre-Dame de)                   216

Soyhières, Notre-Dame de Lourdes         37

Stans, Notre-Dame du Foyer                     202

Sulzberg (Notre-Dame de)                                     16

Sursée, Maria-Zell                                       70

Tils, Notre-Dame de Bon-Conseil                         239

Trous, Notre-Dame de la Lumière                         153

Urswyl, Assomption                                                93

Vacherie-Mouillard, Notre-Dame des Ermites    52

Vals, Notre-Dame de Camps                                156

Viège, tNotre-Dame de)                             271

Wispterminen, Visitation de Notre-Dame            272

Vitznau, l'Oratoire de Marie                                    93

Vorbourg (Notre-Dame du)                                    48

 

278

 

Wallenried (Notre-Dame de)                                  255

Waltenschwyl (Notre-Dame de)                 143

Wandflüe (Notre-Dame de)                                    273

Werthenstein (Notre-Dame de)                  67

Wesemlin (Notre-Dame du)                                   84

Wesemlin, Notre-Dame de la Forêt          89

Wolfwyl (Notre-Dame de)                            122

Zermatt, Notre-Dame du Lac-Noir                         266

 

 

Imprimerie catholique, 13, Grand'Rue, 13, Fribourg (Suisse)