PAR
LE R. P. DOM PROSPER
GUÉRANGER
ABBÉ DE SOLESMES
Sanas Pontifici Juris et sacrae Liturgiœ
traditiones labescentes confovere
DEUXIÈME ÉDITION
PARIS SOCIÉTÉ
GÉNÉRALE DE LIBRAIRIE CATHOLIQUE
Victor PALMÉ, éditeur
des Bollandistes, directeur général
76, rue des Saints-Pères, 76
BRUXELLES
SUCCURSALE
12, rue des Paroissiens, 12
|
GENÈVE
SUCCURSALE
4, rue Corraterie, 4
|
1885
POLÉMIQUE LITURGIQUE
NOTE
DE L'ÉDITEUR
PREMIÈRE DÉFENSE DES INSTITUTIONS LITURGIQUES
LETTRE A MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE
TOULOUSE
PRÉFACE
LETTRE A MONSEIGNEUR
L'ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE
§ I
§ II
§
III
APPENDICE
TEXTE
DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE
§ IV
§
Ier . Reproches faits au Bréviaire de François de Harlay.
§
II. Bréviaire du cardinal de Noailles.
§
III. Bréviaire et Missel de Ch. de Vintimille.
§ V.
BEAUTÉ DU BRÉVIAIRE DE PARIS.
PIÈCE
JUSTIFICATIVE
Nous donnons dans ce IV° volume des Institutions
liturgiques les deux Défenses que Dom Guéranger dut faire paraître de 1843
à 1847; la première est composée d'une
Lettre à Mgr d'Astros, archevêque de Toulouse, écrite
pour répondre à un livre publié sous le nom du vénérable Prélat; la seconde se
compose de trois Lettres destinées à réfuter l’Examen des Institutions
liturgiques par Mgr Fayet, évêque d'Orléans. La préface de cette nouvelle
édition, en tête du premier volume, trace le cadre dans lequel se placèrent ces
œuvres de polémique, dont quelques pages de la préface du troisième volume
forment le complément. Nous avons réuni ces quatre opuscules sous le titre
général de Polémique liturgique, titre imposé par leur forme même.
Toutefois nous tenons à faire observer au lecteur des Institutions que
ce dernier volume n'offre pas seulement un intérêt historique, comme retraçant
les épisodes de la lutte qui amena la chute des liturgies nouvelles et la
résurrection de la Liturgie romaine en France. Les deux Défenses
constituent surtout un ensemble de principes fondamentaux qu'il faut
nécessairement posséder, si l'on veut comprendre la Liturgie, son essence, son
importance, sa valeur au double point de vue de la foi et de la discipline. Dom
Guéranger n'avait pas cru que la révolution anti-liturgique
II
du XVIII° siècle eut été jusqu'à
effacer des esprits tous les principes théologiques sur ces matières; il n'avait
pas soupçonné, en écrivant ses deux premiers volumes, qu'on pût l'attaquer sur
des affirmations absolument conformes à l'enseignement de l'Eglise, et qui, à
cause de cela, ne lui semblaient pas « avoir si grand besoin de preuves (1). »
Les écrits dirigés contre lui vinrent bientôt révéler, par les erreurs qu'ils
posaient en principes, combien le mal était profond, et par là même combien les
Institutions liturgiques étaient un ouvrage opportun et nécessaire. Dom Guéranger
posa donc à nouveau et développa dans cette polémique les principes qu'il avait
seulement affirmés, en les entourant cette fois de preuves dont l'évidence
gagna la cause de la Liturgie contre les plus dangereuses erreurs.
C'est pourquoi, en rééditant ces
deux Défenses, nous appelons sur elles toute l'attention du lecteur
soucieux de trouver dans les Institutions liturgiques un enseignement
sérieux et complet. La table analytique placée à la fin du volume l'aidera
puissamment à dégager de tout l'ouvrage la quantité considérable de principes solides
qui s'y trouvent réunis.
MDCCCXLIV
Plusieurs personnes, dont les
désirs sont pour moi des ordres, m'ont témoigné leur étonnement de ne pas voir
paraître encore la Défense de mes Institutions liturgiques, si
solennellement promise l’année dernière. Je remplis aujourd'hui mon engagement,
en produisant cette Défense imprimée déjà depuis plus de huit mois.
J'avais cru pouvoir suspendre
quelque temps toute réplique, dans la pensée que le public catholique, occupé
tout entier des incidents de la grande controverse qui s'est élevée sur la
liberté de l'enseignement, trouverait difficilement assez de loisir pour
feuilleter les pages assez nombreuses de mon plaidoyer. Mais, tout bien
considéré, ce serait se flatter vainement que de s'imaginer qu'une telle
controverse, dans laquelle est mise en question la liberté même de l'Eglise,
doive s'assoupir de sitôt. Je suis même de ceux qui pensent qu'elle ne
s'éteindra qu'au jour de la victoire, et Dieu seul connaît de combien d'années
ce jour est encore éloigné de nous.
Il m'était donc impossible
de demeurer indéfiniment sous le
poids des accusations si graves qui ont été portées ,
contre ma personne, plus encore que contre mon livre, dans la brochure de
Monseigneur l'archevêque de Toulouse (1).
Si l'on ne m'eût reproché que
d'avoir enseigné sur la matière du droit
liturgique des opinions nouvelles,
IV
j'aurais eu à répondre simplement
que cette matière non seulement n'est pas même touchée dans les deux premiers
volumes de mes Institutions liturgiques, mais qu'elle y est même, en
plus d'un endroit, formellement exceptée. J'aurais pu ajouter que, ayant depuis
consacré une dissertation spéciale à cette importante matière, sous le titre de
Lettre à Monseigneur l'archevêque de Reims, personne, jusqu'ici, n'a
contesté mes conclusions qui s'appuient d'ailleurs sur l'enseignement des
meilleurs canonistes, en même temps qu'elles semblent empreintes de la plus
évidente modération. Enfin, la question d'application au temps présent ayant
été surabondamment résolue par le bref de Sa Sainteté à Monseigneur
l'archevêque de Reims, il m'eût suffi de protester de ma parfaite soumission à
ce document apostolique que j'ai publié moi-même, tout le premier, dans mon
opuscule sur le droit liturgique.
Si l'on ne m'eût reproché que des
erreurs historiques, le défaut de discernement dans l'emploi des autorités,
l'ignorance des faits et de la doctrine, j'aurais pu garderie silence, et
prendre mon parti sur ces accusations, soit parce que le livre étant sous les
yeux du public, chacun est maître de juger par les citations continuelles que
j'apporte à l'appui de mes assertions, si ces assertions sont réellement
fondées ou non ; soit enfin parce que ma profession monastique qui m'impose
l'obligation d'être probe, ne me confère en aucune façon le privilège de ne
jamais prendre des apparences pour des faits, pas plus que celui de n'être
jamais attaqué mal à propos.
Dans l'un et l'autre cas,
j'aurais donc pu me taire, et laisser au public la décision ultérieure dans
cette controverse, sans me mettre en devoir de présenter une Défense.
Malheureusement, l'illustre
adversaire n'a point borné son attaque à des reproches sur mon indiscrétion en
matière de droit liturgique, et sur
mon ignorance en fait
V
d'histoire ecclésiastique. C'est ma
réputation de catholique, c'est ma probité qu'il a mise en question : que
dis-je ? qu'il a anéantie autant qu'il lui était
possible. Je suis accusé dans la brochure d'avoir voulu flétrir l'Église de
France, et, d'avoir, à cet effet, entassé les calomnies, les falsifications
les plus odieuses et les plus grossières; et de plus, on a cru devoir
pronostiquer sur moi la fin malheureuse de l'abbé de La Mennais.
Si pourtant j'ai quelque
justification à produire, puis-je, en gardant le silence, prolonger
indéfiniment le scandale donné à l'Église par la publication de mon livre ?
N'est-ce pas une obligation de chercher à dissiper des accusations qui, mettant
en suspicion mon orthodoxie et ma probité, compromettent, d'un seul coup, ma
réputation d'honnête homme, mon caractère sacerdotal, et aussi l'honneur de mon
ordre et de ma congrégation ? Personne, je l'imagine, ne contestera mon droit
et mon devoir, en de telles circonstances ; et tout homme désintéressé
comprendra aisément que plus est élevé le caractère, plus haute est la dignité
de mon accusateur, plus aussi devient grave pour moi l'obligation de me laver
des impressions fâcheuses qu'ont dû faire naître contre ma moralité les
insinuations expresses dont il a cru devoir me poursuivre.
Sans doute, si je pouvais espérer
que toutes les personnes dont se compose le public intéressé dans cette
polémique prissent la peine de lire l'ouvrage, dans le but de vérifier la
portée des accusations dont il a été l'objet, une Défense publiée en
dehors du livre pourrait sembler moins nécessaire. Cette lecture ferait voir,
je m'en flatte, aux plus prévenus, que mon ouvrage, qui sera considérable,
d'après le plan exposé dans la préface du premier volume, n'a nullement été
composé dans le but de susciter des troubles ; que les assertions qu'il
renferme sont le résumé de travaux sérieux, et de plus, n'appartiennent
VI
pas plus à moi qu'aux auteurs approuvés dont je me suis
servi et dont j'allègue sans cesse l'autorité ; que mes attaques ne tombent
jamais que sur des personnes notoirement hétérodoxes ; que je rends justice à
tout ce qui s'est fait de bon dans l'Église de France comme ailleurs, et plus
qu'ailleurs ; que je n'ai écrit, ni insinué nulle part que le Bréviaire romain,
proprement dit, soit le seul qu'on puisse licitement réciter dans toute
l'Église ; que j'ai, au contraire, exalté en cent endroits le mérite et la
beauté des liturgies particulières anciennes et autorisées ; que, tout en
rapportant l'origine fâcheuse du Bréviaire de Paris, je n'ai jamais dit qu'il
contînt des hérésies; enfin, que j'ai protesté formellement contre tout
changement violent de l'ordre de choses actuellement établi en beaucoup de
diocèses de France, sous le rapport de la liturgie.
Mais je n'ai aucun droit, je le
sens, d'exiger du public qu'il veuille bien s'imposer la rude tâche de lire
deux gros volumes, dans le but unique de savoir à quoi s'en tenir sur une
polémique fort inégale entre un illustre et savant prélat, et un auteur
d'ailleurs assez obscur. La décision doit naturellement être basée sur d'autres
données, et je ne me flatte pas assez pour me dissimuler que les préjugés
défavorables sont de mon côté. Or, c'est le motif qui
m'a déterminé à publier cette Défense que d'ailleurs j'ai pris soin d'adapter scrupuleusement à la forme du
réquisitoire lancé contre moi, afin de la rendre en quelque sorte moins
étrangère à tous ceux qui ont pris connaissance de celui-ci.
Cette publication, qui semblera
peut-être, au premier abord, tant soit peu isolée au milieu de la vaste et
brillante polémique qui dure depuis un an sur les questions de
l'affranchissement de l'Église, s'y rattache néanmoins plus qu'on ne pense par
le fond même du sujet. Il va sans dire que les intentions sont pures et droites
de part et d'autre;
VII
mais de quoi s'agit-il, après tout?
Du degré d'unité qui doit paraître dans la forme religieuse. L'unité liturgique
n'a jamais existé entre Rome et l'Orient ; l'Orient, depuis de longs siècles,
est impuissant à produire et à conserver même l'ombre d'une société chrétienne.
Depuis un siècle et demi, la France a rompu l'antique lien liturgique; quelle
décadence de la foi et des mœurs ne nous a-t-il pas fallu subir depuis la même
époque ?
On dira tout ce qu'on voudra,
mais il n'est pas absolument ridicule de voir avec Charlemagne, saint Grégoire
VII et le concile de Trente, un des principes fondamentaux de l'unité sociale
de l'Occident dans l'unité de la Liturgie romaine. A quoi bon conserver la
langue latine dans les offices divins, comme garantie de l'immobilité du dogme,
si les formules sacrées conçues en cette langue ne sont pas mises à l'abri des
vicissitudes de temps et de lieux ?
Certes, les moments sont graves ;
l'heure a laquelle nous vivons est solennelle : déjà, nous sommes remués, et
nous le serons plus profondément encore. L'unité seule, acceptée dans toutes
ses applications, fera notre force, et assurera notre triomphe. La question
catholique ne sera pas toujours agitée dans l'enceinte des États particuliers ;
elle deviendra tôt ou tard la question européenne. Le jour approche où le cri
doit se faire entendre : Dieu le veut! C'est alors que l'unité de formes
assurant l'unité de vues et d'efforts, l'Église se débarrassera des entraves
nationales qui la meurtrissent si cruellement, et respirera librement sur le
plus glorieux des champs de bataille.
En attendant, ce grand travail va
se préparant ; car l'œuvre de Dieu, toujours humble dans ses commencements,
doit avoir son cours ordinaire. Le bel exemple donné par Monseigneur l'évêque
de Langres, et qui lui a mérité les éloges du Souverain Pontife, n'est déjà
plus sans imitateurs. En outre, plusieurs de nos prélats
VIII
n'attendent plus que l'instant
favorable pour rendre à leurs églises la Liturgie romaine. D'autres ont pris
des mesures énergiques pour arrêter un mouvement déplorable qui menaçait de
l'enlever à leurs diocèses. D'autres ont cru devoir pressentir les désirs de
leur clergé sur cette question, par voies de circulaires, ou en synode. Enfin,
en divers lieux, la réimpression des livres liturgiques s'est opérée sous
l'influence de principes totalement opposés à ceux qui présidèrent à leur
rédaction, au siècle dernier. On peut citer en ce genre le nouveau Bréviaire de
Lyon, dont les correcteurs récents ont fait disparaître nombre de passages qui
sont précisément ceux-là mêmes que j'avais notés dans mes Institutions
liturgiques. Qu'il me soit permis aussi de féliciter en passant Son
Éminence le cardinal-archevêque de ce que, par ses
soins, la fête de saint Grégoire VII se célèbre désormais dans l'Église
primatiale.
Ce mouvement ne s'arrêtera pas ;
il est du moins permis de le penser ; mais je ne veux pas aller plus loin sans
faire observer qu'il est en tout conforme à l'ordre et aux règles
ecclésiastiques. Je sais qu'on n'a pas craint de dire, dans un journal, que les
doctrines de mon livre tendaient à soulever le clergé du second ordre contre
l'épiscopat ; comme si des principes fondamentaux du droit ecclésiastique,
réclamés et appliqués, pouvaient jamais être une occasion de désordre ; comme
si je n'avais pas constamment enseigné que la rénovation liturgique ne peut
être durable et utile qu'autant qu'elle s'opérera par l'action directe des
premiers pasteurs !
Je le répéterai donc encore une
fois : si les droits de la hiérarchie pouvaient être aujourd'hui méconnus, si
l'Église de France semble en ce moment environnée de périls qu'il n'est plus
guère possible de se dissimuler, du moins les défenseurs de la prérogative
romaine ne se trouvent pas dans les rangs ennemis. Quiconque, en effet,
IX
est zélé pour les droits de la
chaire de saint Pierre, doit l'être par là même pour l'autorité sacrée de
l'épiscopat qui en émane. C'est la doctrine du Siège Apostolique, que celui qui
exalte le pouvoir du Pontife romain, exalte par là même l'épiscopat ; comme
aussi celui qui attaque les attributions sacrées de l'épiscopat insulte par là
même la chaire de saint Pierre. Je l'ai remarqué ailleurs : jusqu'ici on ne
compte pas de presbytériens parmi les adversaires de la déclaration de
1682 ; mais en revanche, on serait fort en peine de citer un auteur presbytérien
qui n'ait fait profession d'être à cheval sur les quatre articles. Des
jours viendront peut-être où tout enfant de l'Église en état de manier une
plume devra consacrer ses efforts à la défense des droits sacrés de nos
premiers pasteurs ; nous n'attendrons pas la dernière extrémité pour nous lever
aussi et soutenir la cause de ceux que le Sauveur lui-même appelle les Anges
des églises. J'ai cru devoir formuler ici cette protestation ; on doit éviter
de scandaliser les faibles, et d'ailleurs à la veille des troubles qui se
préparent peut-être, c'est un devoir et une consolation de rendre par avance
témoignage de sa foi et de ses sentiments.
En finissant cette préface, je me
permettrai quelques! réflexions sur un incident assez
étrange de la controverse liturgique. On a entendu des légistes, fameux
d'ailleurs par leur zèle contre la liberté de l'Église, M. Dupin et M.
Isambert, attaquer dans des discours à la tribune et dans des écrits, la
doctrine des Institutions liturgiques comme attentatoire aux libertés gallicanes
et aux franchises du pays.
Il y aurait pourtant matière à
une dissertation curieuse sur la question de l'unité liturgique dans ses
rapports avec la légalité, et je regrette vivement que le temps ne me permette
pas de l'entreprendre : toutefois, qu'il me soit permis de demander ici aux
deux célèbres magistrats quel
X
genre de légalité leur semble de
nature à être invoquée contre le Bréviaire romain.
S'il s'agit de l'ancien droit des parlements, on trouve que
les auteurs les plus accrédités au palais n'ont cessé de combler le Bréviaire
romain des témoignages de leur vénération. Ainsi l'avocat général Marion, en
1575, dans la cause de Kerver, imprimeur privilégié
de ce bréviaire pour la France; l'avocat général Servin,
dans l'affaire du chapitre de Chinon, où il représente, dans son plaidoyer, le
Bréviaire romain comme le plus repurgé et le plus
autorisé de tous; Chopin, dans son Monasticon;
Févret, dans son Traité de l'Abus, enseignent
tous constamment que l'introduction de ce bréviaire dans les cathédrales du
royaume est louable, désirable même, et ne discutent que sur les formalités à
observer pour l'y introduire. Je rapporterai même ici les paroles par
lesquelles l'illustre Antoine d'Hauteserre,
professeur de droit en la faculté de Toulouse, dans ses Vindiciœ
ecclesiasticœ jurisdictionis,
répond à ceux qui regarderaient comme une nouveauté l'introduction du Bréviaire
romain dans les églises de France : « Nihil novi affert qui dumtaxat sequitur ritus romanas Ecclesiae
quae est parens et magistra omnium ecclesiarum; nihil
novum comminiscitur, sed antiqua et meliora restituit, Ecclesiœ
rugas et maculas tollit, qui « se et suam ecclesiam romanœ
conciliat, sublata difformitate rituum. » (Lib.
II cap. XXII, page 74, édition de Naples.) Nos anciens
magistrats étaient donc bien loin de regarder l'usage du Bréviaire romain comme
une servitude pour les églises ; aussi ne trouvons-nous pas un seul mot contre
ce bréviaire dans le recueil de nos prétendues Libertés, pas plus qu'on
ne saurait découvrir dans les motifs de ne pas recevoir en France la discipline
du concile de Trente, motifs discutés fort au long par les jurisconsultes du
palais, la plus légère répugnance contre
le canon de ce concile qui renvoya au
XI
Pontife romain la publication du Bréviaire et du Missel
universels.
Si maintenant il s'agit du droit
actuel de la France, il est bien clair que la charte de 1800, qui ne prescrit
aux Français la profession d'aucune religion en particulier, ne saurait ni
favoriser telle forme de bréviaire comme plus légale, ni proscrire telle autre
comme moins constitutionnelle. Ici donc, si on veut aller plus loin, il faut se
résigner à tomber d'aplomb dans le ridicule.
S'appuiera-t-on sur les
Articles organiques ? Mais, outre qu'ils sont absurdes au point de vue constitutionnel,
et un grand nombre d'entre eux gravement et notoirement contraires à la
conscience des catholiques, le seul de ces articles qui fasse allusion à la
liturgie ne saurait, recevoir d'application qu'au moyen de l'introduction de la
Liturgie romaine en France.
Il est ainsi conçu : Article 39. Il
n'y aura qu'une liturgie pour toutes les églises de l'Empire Français. —
Mais quelle sera cette liturgie ? Les églises la choisiront-elles ? Dans ce
cas, la question est loin d'être vidée. Chaque église tiendra pour ses usages,
et d'ailleurs les anciens canons antérieurs aux bulles papales pour l'unité
romaine, recommandent simplement aux évêques de suivre les rites de la
métropole; mais ils n'ont rien qui favorise des circonscriptions nationales qui
n'existent pas dans l'Église.
Le gouvernement imposera-t-il
cette liturgie, élaborée dans les bureaux du ministère des cuites? Je ne le lui
conseille pas, nos évêques étant peu disposés à reconnaître un pape civil.
Reste donc le pape de Rome, et
lui seul. Or, on n'ira pas croire, j'imagine, que mille ans après Charlemagne,
trois siècles après le concile de Trente, et les huit conciles français qui ont
accepté la bulle de saint Pie V, le Saint-Siège
XII
consente à reconnaître pour la
France une autre liturgie que la Liturgie romaine. Le bref de Sa Sainteté à
Monseigneur l'archevêque de Reims n'a rien appris là-dessus à la généralité des
catholiques; tout au plus aura-t-il servi à distraire de leur illusion quelques
honnêtes gens qui s'étaient plu à rêver pour la France une liturgie nationale
qui ne serait pas la romaine.
Mais il est temps de clore enfin
cette préface; je le fais en soumettant au jugement et à la correction du Siège
Apostolique tout ce que renferme la Défense qu'on va lire. Puisse-t-elle
aider au développement de cette unité extérieure qu'il sera toujours permis aux
catholiques français de réclamer, et qu'il est facile au Dieu tout-puissant de
leur octroyer de nouveau, pour la glorification de son nom, la plus grande
sécurité de la foi, le ravivement de la piété, le
maintien de la subordination hiérarchique, la réunion de tous les peuples dans
une seule famille, par le moyen d'un seul langage, comme aux premiers jours du
monde. Erat terra labii iinius et sermonum eorumdem! (Gen., XI, I).
8 décembre 1844.
MONSEIGNEUR,
Dès les premières années de ma
jeunesse, je sentis en moi un attrait puissant pour l'étude de l'histoire
ecclésiastique, et je me reconnais grandement redevable à Dieu qui, dans sa
providence paternelle, fit naître en mon âme cette disposition, dont l'un des
principaux résultats devait être de fixer les facultés de mon intelligence sur
un objet grave à la fois et surnaturel.
De bonne heure j'appris donc à
m'identifier avec les destinées delà sainte Église catholique, colonne et
soutien de la vérité. De bonne heure, j'appris à compatir à ses
souffrances, à suivre ses combats, à jouir de ses triomphes, à soupirer pour sa
liberté. Je compris que tout cœur catholique devait aimer cette Mère commune
des enfants de Dieu, cette Épouse sans taches ni rides, qui a ravi le cœur de notre
divin et aimable Sauveur Jésus-Christ.
2
C'est pourquoi, je lui dévouai pour jamais, à cause de son
Époux, tout ce que mon cœur aurait d'amour sur cette terre, tout ce que mes
faibles efforts pourraient produire, dans la sphère étroite qui m'était
réservée.
Mais dans la recherche des
monuments à l'aide desquels l'œil catholique aime à suivre la marche de
l'Église à travers les âges, je ne me bornai pas à ces premiers siècles,
resplendissants de la pourpre des martyrs en même temps qu'illuminés par la
doctrine des Pères. Je voulus accompagner l'Épouse du Christ jusqu'aux
dernières épreuves de son pèlerinage, et l'histoire contemporaine du sacerdoce
me sembla mériter mon attention et mon étude, non moins que celle de l'Église
au moyen âge et dans les siècles primitifs.
J'avais quinze ans, Monseigneur,
lorsque votre nom m'apparut pour la première fois. Il brillait d'un éclat
immortel sur une des plus sombres pages des annales de l'Église, en ce siècle.
Un joug de fer pesait sur la
chrétienté; Rome était veuve de son Pontife qui languissait dans les fers. Les
plus fidèles serviteurs du Siège Apostolique expiaient leur courage dans la
captivité. Les églises frappées de viduité par la mort de leurs évoques,
tombaient aux mains des mercenaires. Le siège de Paris, capitale de l'Empire,
était usurpé avec scandale par un homme qui n'avait pas su respecter la double
barrière des bienfaits et des serments, et sur l'Église s'étendait une terreur
rendue plus profonde encore par le silence que gardaient les sentinelles
d'Israël.
Cependant, le cri du Pontife captif se fit entendre. Il
réclamait pour ces droits sacrés de la hiérarchie dont la violation entraîne la
ruine de l'édifice entier du christianisme; mais aucune voix n'osait servir
d'écho à celle du Pontife. D'affreux périls attendaient celui qui eût osé
transmettre à l'oreille du
coupable prélat l'anathème
3
lancé contre sa prévarication. Tout
à coup, dans l'Église de Paris, un prêtre se leva et dénonça au faux pasteur
l'arrêt apostolique qui flétrissait sa conduite. Quelques heures s'étaient à
peine écoulées, et ce prêtre avait entendu se fermer sur lui les verrous d'un
cachot à Vincennes.
Ce prêtre, dont le nom vivra à
jamais dans les fastes de la liberté ecclésiastique, ce prêtre qui ne
fléchissait pas lorsque tant de pontifes tremblaient, ce fut vous-même,
Monseigneur. Avec quelle vénération je lus un nom si glorieux ! Avec quelle
admiration je recueillis le récit d'un si généreux sacrifice ! Depuis lors, je
désirai ardemment voir et connaître le glorieux confesseur de cette époque
redoutable, durant laquelle, pour emprunter les paroles du Prophète, on peut
dire que toute tête était languissante, tout cœur abattu, tout genou
tremblant.
L'occasion tant désirée se
présenta lors du séjour que vous eûtes lieu de faire à Paris, Monseigneur, à
l'époque de votre translation sur le siège métropolitain de Toulouse. Je
m'empressai avidement d'assister aux saints Mystères célébrés par vous,
d'entendre les exhortations que votre voix paternelle prononçait quelquefois au
milieu des cérémonies saintes. Je ne me rassasiais pas de contempler le dernier
confesseur de la liberté ecclésiastique, le prêtre devenu pontife qui n'avait
pas craint d'exposer sa vie pour le lien sacré de l'unité et de la
subordination canonique. Depuis lors, rien n'a été capable d'altérer en moi le
culte sincère que vous avait voué ma jeunesse; mais j'étais loin de croire
qu'un jour dût venir où votre voix me dénoncerait devant l'Église comme un
écrivain dangereux et téméraire.
Vous avez cru dans votre sagesse,
Monseigneur, devoir i attaquer par un écrit imprimé, mes Institutions
liturgiques, et, certes, je respecte les intentions qui vous ont fait
agir. Il me serait même doux de m'avouer
vaincu dans
4
le combat, si j'avais la conscience
de ma défaite ; malheureusement, je ne l'ai pas, cette conscience. Je pourrais,
il est vrai, garder le silence et ne pas entreprendre ma justification; mais,
d'autre part, il me semble qu'un devoir impérieux, celui de défendre la vérité,
me presse de prendre la parole et de présenter des explications nécessaires :
je dirai plus (car je m'en flatte), une
justification complète.
Je sais, Monseigneur, toute la
distance qui me sépare, moi humble moine, de la personne d'un prélat vénérable
par ses cheveux blancs, par la confession de la foi, par le rang éminent de
l'épiscopat; mais, dans ma conviction de ne mériter pas vos reproches, n'ai-je
pas d'autant plus raison de m'affliger de les voir déversés sur ma tête, que
toutes les présomptions demeurent contre moi dans l'esprit de tant de
catholiques, étrangers à la controverse qui les a occasionnés. Si je suis
coupable des témérités, des inconvenances, des calomnies, des falsifications
dont vous m'accusez, Monseigneur, j'ai mérité assurément la flétrissure que
vous cherchez à m'imprimer; mais si je
suis en mesure de prouver que ces imputations ne sont pas fondées, n'est-ce pas
une chose dure pour un écrivain catholique de
les avoir subies, surtout avec
les suites qu'elles ont entraînées après elles ?
J'ai écrit mon livre avec
conviction, après de longues et sérieuses études; il ne renferme que des principes et des
faits. Les principes sont ceux de l'Église catholique sur la liturgie, tels
qu'ils sont professés dans les bulles des Souverains Pontifes, dans les conciles, celui de Trente en particulier,
dans les canonistes les plus approuvés : on peut voir sur cela ma Lettre à
Monseigneur l’archevêque de Reims, sur le droit de la liturgie. Quant aux
faits, ils sont du domaine de l'histoire et de la critique, et s'ils sont
vrais, il n'est ni en votre pouvoir,
Monseigneur, de les anéantir, ni au mien
d'en absorber
5
l'existence et la portée,
par le silence, ou par un
désaveu complet.
Mais je ne sais pourquoi je
chercherais à m'excuser devant vous, Monseigneur, d'entreprendre ma
justification lorsque je n'ai besoin que de me rappeler les principes admis de
tout temps dans l'Eglise, au sujet des écrivains catholiques, pour demeurer
parfaitement en repos sur l'effet que doit produire ma défense à vos yeux si
éclairés. N'est-ce pas un point de droit dans l'Église comme dans le for civil,
que l'accusé parle toujours le dernier ? L'acception des personnes n'est-elle
pas interdite par la loi divine, plus encore que par les lois humaines ? Et
vous savez avant moi et mieux que moi, Monseigneur, quelles facilités ont
toujours été données, soit dans les conciles, soit dans les jugements du Siège
Apostolique (1), aux écrivains de défendre, d'expliquer et d'éclaircir leurs
écrits, s'il arrive qu'ils soient appelés à en rendre compte. Ces explications
que j'ai l'honneur de vous adresser, je me serais fait un devoir de vous les
transmettre confidentiellement, si vous eussiez jugé à propos de me les demander;
aujourd'hui que le public est mis par vous dans la confidence des griefs que
vous croyez devoir me reprocher, il est bien évident que je ne puis me
dispenser d'employer la voie de la presse.
Or voici, Monseigneur, la manière
dont j'ai cru devoir procéder dans ma Défense. La brochure que vous avez
publiée attaque les Institutions liturgiques, par rapport à certains
principes ou faits généraux que j'ai mis en avant; j'essayerai de satisfaire
dans cette Lettre aux oppositions que vous avez produites contre mes thèses.
Une partie de votre opuscule est employée à discuter certains détails de mon
livre; je joindrai à ma lettre un tableau
6
des objections, et je placerai en
regard mes réponses. En cette manière, mes torts, si j'en ai, seront faciles à
constater; comme aussi s'il arrivait que mon livre se relevât des attaques que
vous avez cru devoir lancer contre lui, sa justification aurait du moins ce
caractère d'être prononcée en pleine connaissance de cause.
Je ne m'arrêterai point, Monseigneur, à récriminer contre la
forme que vous avez cru devoir employer dans votre discussion contre moi. J'ai
ouï dire que des personnes fort haut placées, et plus ou moins
favorables d'ailleurs à votre point de vue, trouvaient cette
forme tant soit peu acerbe. Pour moi, je vous l'avouerai, j'ai souri parfois en
lisant sur vos pages énergiques ces rudes qualifications qui s'échappent de
votre plume, et me viennent imprimer les notes d'imprudence (1), de témérité
(2), d'injustice (3), d'absurdité (4), de calomnie (5), de
fureur (6), de blasphème (7),
d'indécence (8), d'obscénité (9) ; sans parler de l'endroit où vous signalez dans mon style
les caractères qui font celui d'un jeune impie (10). Pour moi, je ne suis point
ennemi de la franchise du langage, sans aller pourtant jusqu'à regretter les aménités
littéraires de certains écrivains des XVI° et XVII° siècles ; et
d'ailleurs, dans ces jours où l'on voudrait, sous prétexte d'une soi-disant modération,
bannir des discussions la vigueur et l'énergie, j'aime à voir une aussi
imposante autorité que la vôtre, Monseigneur,
rappeler dans une polémique importante cette âpreté sans façon dont ne se
scandalisaient pas nos pères.
Toutefois, Monseigneur, il y a
bien dans votre brochure certains procédés de discussion que j'aurais désiré
n'y pas voir, parce qu'ils ne tiennent pas essentiellement à cette franche
allure que je me fais gloire d'estimer. Ainsi, par
7
exemple, à la page 48, vous
déclarez n'avoir pu vous procurer aucun exemplaire des Bréviaires de Paris
antérieurs à celui de François de Harlay,
et aux pages 49, 57, 58, 60, 68, vous me contestez, sans preuves par
conséquent, les faits que j'ai puisés dans ces bréviaires que chacun, après
tout, peut aller consulter dans les bibliothèques de Paris.
A propos d'une post-communion que
je signale dans le Missel du cardinal de Noailles que vous convenez n'avoir pas
non plus entre les mains, vous citez le Missel de Charles de Vintimille, dans
lequel cette post-communion fut réformée , et vous dites à vos lecteurs : Dom
Guéranger A CHANGE LE TEXTE ET A MIS, etc. (1) : ce qui est une accusation
de faux ni plus ni moins : mais accusation fâcheuse pour celui qui l'a lancée,
puisqu'il est facile tous les jours à vos lecteurs de consulter le fameux
Missel, et d'y voir que Dom Guéranger n'a pas changé le texte, ce qui
serait infâme, et n'a pas eu besoin de mettre ce que le cardinal de Noailles
avait mis.
Chacun sait ou doit savoir que le
Bréviaire de Paris de 1736, publié par Charles de Vintimille, excita de si
vives réclamations dans l'Église de Paris, que le prélat fut contraint de
retirer l'édition et d'en donner immédiatement une seconde, avec un grand
nombre de cartons aux endroits qui avaient choqué davantage. Pour apprécier les
intentions des rédacteurs de ce bréviaire, je devais donc remonter jusqu'à
cette première édition, antérieure aux cartons. Or, j'ai raconté avec toute
franchisent même avec éloges, le fait de l'insertion de ces mêmes cartons; je
croyais donc avoir prévenu toute possibilité de confusion. Quelle n'a donc pas
été ma surprise, lorsque j'ai vu, Monseigneur, que c'était avec la seconde
édition de 1736 que vous prétendiez réfuter les reproches que j'avais faits à
la
7
première, donnant ainsi le change
au public sur l'état même de la question, et faisant peser sur moi gratuitement
l'odieuse accusation de calomnie grossière et audacieuse !
Vous avouerai-je toute ma pensée,
Monseigneur ? Bien des pages de votre brochure, celles entre autres que je viens de signaler
et dont je demande justice à
votre loyauté, m'ont porté à croire, et j'ai accueilli cette pensée avec
bonheur, que d'autres mains que les
vôtres avaient conduit la rédaction de l'opuscule auquel je réponds en ce
moment. J'en trouverais encore une preuve dans ce qui est écrit, page 70,
savoir, que Sédulius est né en 1537 et mort en i63t.
L'antiquité ecclésiastique vous est trop familière, Monseigneur, pour
qu'on puisse vous imputer avec justice un tel
anachronisme au sujet d'un auteur chrétien dont les œuvres sont dans
toutes les Bibliothèques des Pères, dont
l'autorité est invoquée en théologie, auquel l'Église a emprunté, outre
l'introït Salve, sancta parens,
deux antiennes, lesquelles, ainsi que l’introït lui-même, se trouvent
citées et commentées plusieurs fois dans les homélies les plus
populaires du Vénérable Bède et de saint Bernard. Au reste,
dans la seconde édition de votre
brochure, le public verra avec plaisir que cette erreur a été corrigée. Je regrette
qu'on n'ait pas modifié de même
l'endroit de la page i3o, où l'on attribue des hymnes à saint Augustin, dont les œuvres
sont cependant bien plus connues encore que celles de Sédulius.
Au reste, je ne suis pas de ceux
qui jugent et condamnent un livre, ou un mémoire, pour deux ou trois méprises
dans lesquelles serait tombé l'auteur. Les hommes sérieux doivent porter leur
vue plus loin; et je souscris de tout mon cœur au jugement de Monseigneur l’évêque
de Chartres sur l'excellent livre du Monopole universitaire, par M. le
chanoine Desgarets.
9
« Qu'il me soit permis d'observer
ici, dit le prélat, que, dans un débat
où l'on allègue mille griefs, ou mille raisons contre un adversaire, lors même
que, parmi ces raisons et ces griefs, il
y en aurait cinquante ou même cent de mal assurés et d'incomplets, il suffit
qu'il y en ait neuf cents qui l'accablent et le condamnent d'une manière
péremptoire (1). »
De même aussi, dans le cas où je
ne pourrais me justifier sur quelques points de l'accusation que vous avez cru,
Monseigneur, devoir intenter contre moi (et j'espère fermement me justifier sur
tous, sans exception), il ne s'en pourrait rien suivre contre le fond des idées
émises dans un ouvrage déjà considérable, et dont votre critique effleure à
peine la dixième partie.
Mais laissons pour le moment les
détails, et résumons un peu la question débattue entre nous.
Or, voici tout simplement ce que
j'ai prétendu en publiant mon livre :
I. Dans le but de ranimer, du
moins en quelque chose, les traditions liturgiques qui ont faibli chez nous
(2), j'ai pris la liberté de publier un ouvrage longuement élaboré, dans lequel
mon but est uniquement de rappeler les principes de tous les temps, les maximes
de la tradition catholique sur le culte divin.
Ces maximes sont que la liturgie
doit tendre à l'unité des formules ; que cette unité est le vœu de l'Eglise ;
que les Souverains Pontifes, interprètes de la volonté de l'Eglise, l'ont
recherchée dans tous les temps; que l'obligation, pour les églises du
Patriarcat d'Occident, d'embrasser et de conserver la liturgie de Rome, est
incontestable.
10
Niera-t-on ces principes
fondamentaux ? Ce serait donner un démenti à tous les théologiens et canonistes
orthodoxes et me faire trop beau jeu dans la question.
II. En racontant l'histoire de la
liturgie, je me suis trouvé amené à faire voir comment les livres liturgiques
actuellement en usage dans un grand nombre d'églises de France ont détruit
l'unité de culte qui existait avant leur fabrication, comment ils ont été
rédigés contrairement à tous les principes admis dans tous les temps, en
matière de liturgie ; quelle part ont prise les sectateurs de l'hérésie jansénienne à cette grande révolution qui a tant influé sur
le sort de la piété chrétienne parmi
nous.
Me trouvant, par le plan même de
mon ouvrage, dans la nécessité de
traiter à fond de la prière liturgique de toutes les églises, pouvais-je passer
sous silence celle de l'Église actuelle de France ? N'aurais-je pas rendu comme
inutile tout mon travail en le privant d'une de ses principales applications ?
Quant à la vigueur avec laquelle j'ai
procédé, depuis quand est-ce un crime de traiter avec énergie la cause de l'Église ? Ai-je d'ailleurs manqué
d'égards aux contemporains ? Ai-je insulté, comme on le dit, les prélats
de nos églises ? J'en appelle à
mes lecteurs. Qu'ils disent si j'ai jamais
attaqué d'autres hommes que les
sectateurs ou les fauteurs de l'hérésie;
si j'ai manqué une occasion de relever le mérite de tant de grands évêques,
qui, au siècle dernier, se mesurèrent, sans calcul et sans respect humain,
contre l'hydre maudite, trop souvent caressée, ou du moins ménagée par d'autres.
III. Enfin, si après avoir
cherché par mes cris à rompre le sommeil trop général sur la situation
liturgique, j'ai paru souhaiter et même prédire à la France un retour vers
l'unité de la prière romaine ; ai-je accusé la lenteur ou la prudence de nos évêques
? Ai-je réclamé la
11
destruction immédiate des livres
actuels ? Ai-je cherché à exciter des troubles dans les diocèses ?
Je sais qu'on cherche à faire
peser sur moi cette calomnie. Heureusement, mon livre est là; et sur ce point
comme sur bien d'autres, il demeure lui-même la plus belle réponse à toutes les
diatribes lancées contre lui.
Voilà, Monseigneur, ce que je
pourrais me borner à répondre aux attaques dont mon ouvrage est l'objet. Cet
exposé général pourrait suffire à beaucoup de personnes, et si je retranche du
nombre de mes adversaires, ceux qui déclament contre mon livre sans l'avoir lu,
et c'est le grand nombre, comme toujours, les autres trouveraient dans la
déclaration que je viens de faire, de quoi se rassurer sur mes intentions et sur
la portée de mon attaque contre les liturgies modernes. Toutefois, je ne m'en
tiendrai pas là, et je me ferai un devoir de vous suivre, Monseigneur, dans
toutes les particularités de la polémique que vous avez cru devoir diriger
contre moi.
Et premièrement sur les principes
généraux de la matière, j'ai prétendu que la liturgie tend à l'unité des
formules et que cette unité est le voeu de l'Église. En cela du moins ma pensée
s'est rencontrée avec la vôtre, Monseigneur, car vous avez dit, en parlant de
moi : « Que dans cet ouvrage, Dom Guéranger eût exprimé le désir de voir
l'unité de liturgie établie, s'il était possible, dans toute l'Église catholique,
au moins dans l'Église d'Occident; qu'il eût exposé avec la chaleur qui lui est
propre, les avantages de cette unité; nous aurions approuvé un désir si raisonnable
et si orthodoxe. Nous aurions été également d'accord avec lui sur ce principe que
la liturgie doit être stable; qu'il est nuisible à la
12
piété et même dangereux pour la foi
d'y apporter sans cesse des changements (1). »
Que j'aime cet accord de nos
principes, Monseigneur ! Combien je désirerais qu'il continuât de se montrer
dans tout le cours de votre brochure ! Mais
bientôt vous en venez à déclarer qu'il vous est impossible de tolérer mes
maximes et ma manière de procéder dans mon livre. Pourtant, s'il
est indubitable à vos yeux que le désir de l'imité liturgique est un désir
raisonnable et orthodoxe; s'il est vrai, pour vous comme pour moi, que
la liturgie doit être stable, et qu'il est
nuisible à la piété et même dangereux pour la foi d'y apporter sans cesse des
changements, pourquoi n'estimeriez-vous pas, comme moi, un souverain
malheur, une faute insigne, le renouvellement de la liturgie fait au dernier
siècle dans les deux tiers des diocèses de France ! Pourquoi ne regretteriez-vous pas comme moi
cette unité qui existait il y a un siècle, unité décrétée par le saint concile
de Trente, resserrée par la bulle de
saint Pie V, proclamée par huit conciles
de France, l'un desquels est celui de votre propre métropole de
Toulouse, reconnue enfin par plusieurs Assemblées du Clergé de France ? Pourquoi cette unité et stabilité de la liturgie vous
tiennent-elles si peu à cœur, dans la pratique, que, pour juger du mérite et de l'opportunité de tel bréviaire
ou missel, vous en appelez simplement au goût personnel d'un chacun, disant franchement comme pour dernière raison : «
J'ai suivi le rit parisien pendant près de
cinquante ans, à Paris,
à Bayonne, à Toulouse, et je déclare que je l'ai trouvé très beau (2), » avec la
même tranquillité que vous dites
plus haut à propos d'un bonnet : « Ce que je sais par expérience, c'est que mes bonnets de chœur,
sans
13
être écrasés, ont toujours été
assez carrés pour bien tenir sur ma tête (1). »
Mais, Monseigneur, du moment que,
dans une matière ecclésiastique, il est question d'unité à établir, vous
savez qu'il devient nécessaire d'invoquer la prérogative romaine, laquelle,
faisons-y bien attention, ne peut s'exercer sans emporter avec elle, pour tous
ceux qui la reconnaissent, l'obligation d'obéir. Aussi, est-ce un fait
incontestable que l'unité liturgique n'est point simplement une utopie sur
laquelle il soit loisible à chacun de faire des phrases, mais bien un point de
droit positif dans l'Église, en sorte qu'on n'y peut admettre que de ces
exceptions rares et régulières qui confirment la règle.
Au XVIII° siècle, à l'époque du
renouvellement de la liturgie en France, les consciences n'étaient pas si
délicates qu'elles le sont généralement aujourd'hui sur l'article de la
soumission au Saint-Siège en cette matière. C'est pourquoi nous voyons les
évêques, auteurs ou promulgateurs des nouveaux bréviaires et missels, en
appeler simplement à leur autorité ordinaire pour justifier leur conduite,
jusqu'au point d'interdire expressément tout bréviaire et missel, autres que
ceux qu'ils publiaient. Depuis on est devenu, grâce à Dieu, plus timoré. On a
cherché à justifier l'innovation par le silence de Rome; on a fait circuler des
mots plus ou moins authentiques, proférés, dit-on, par un pape, par un
cardinal, quelquefois par un simple prélat romain ; tant on avait besoin d'une
Rome quelconque pour légitimer la fausse position dans laquelle on se trouvait
! Mais, de bonne foi, le gouvernement de l'Église serait-il possible, si,
désormais pour suspendre l'effet des lois les plus sacrées et les plus
générales, il suffisait de produire plus ou moins mystérieusement une simple
dérogation verbale et personnelle,
14
émanée le plus souvent d'une
autorité incompétente. Il ne resterait donc plus qu'à jeter au feu les Conciles
et le Bullaire,qu'à anéantir l'enseignement du Droit
canonique pour se borner uniquement au voyage de Rome, par le moyen duquel on
pourrait obtenir quelqu'une de ces explications favorables qui mettent à
l'aise. J'oserais cependant émettre le vœu qu'on les fît reconnaître et
certifier, comme il est d'usage pour les décisions verbales qu'on appelle dans
le droit, Oracles de vive voix, et qui, dans tous les cas, n'émanent que
de la personne même du Souverain Pontife, parlant et agissant comme tel.
En attendant voici un bref de Sa
Sainteté Grégoire XVI, adressé à Monseigneur
l'archevêque de Reims, dans lequel
le Siège Apostolique considère
comme toujours existante l'obligation statuée par le concile de Trente
et les bulles de saint Pie V ; dans lequel tout en reconnaissant à certaines
églises de la Liturgie romaine, le droit de garder la forme de bréviaire et de
missel dont elles usaient deux cents ans avant la bulle, le Siège Apostolique
leur refuse le droit de changer à volonté ces bréviaires et missels, condamnant
par là même l'innovation du XVIII° siècle ; dans lequel la conduite de Monseigneur
l'évêque de Langres, qui a rétabli dans son diocèse la Liturgie
romaine, est préconisée comme digne de tous les éloges; dans lequel enfin le
Souverain Pontife exprime le désir et l'espoir de voir les autres Évêques de
France se ranger tour à tour à la même
conduite, pour faire enfin disparaître cette variété de livres liturgiques,
scandaleuse pour les peuples et périlleuse en elle-même, ce sont les
expressions du Souverain Pontife.
Telle est, Monseigneur la
substance de ce bref important que j'ai publié moi-même dans ma Lettre à
Monseigneur l'archevêque de Reims, d'où l'Ami de la Religion l'a fait passer dans ses colonnes. J'avais pensé qu'une
autorité aussi imposante suffisait pour faire cesser toutes
15
les discussions, et d'autant plus
que l'Ami de la Religion, dans un article spécial, n'avait fait nulle
difficulté d'affirmer que votre manière de penser était identique à la doctrine
du bref; en sorte que, dans toute cette affaire, il ne me restait que l'insigne
témérité d'avoir remis en question une matière sur laquelle tout le monde est
d'accord, en me donnant, de plus, le tort d'accumuler force mensonges,
calomnies et inconvenances. J'avais beau chercher à
comprendre quelque chose dans toute cette mêlée, je n'en pouvais venir à bout.
On m'accusait; sans me faire mon procès, on me condamnait ; et, au milieu de
tout cela, mes principes me semblaient toujours catholiques, les faits allégués
toujours évidents; je ne pouvais retenir sur mes lèvres le fameux e pur si
muove !
Bientôt, on annonce la deuxième
édition de votre brochure, Monseigneur; je m'empresse de me la procurer,
espérant que j'allais y trouver l'explication du mystère, et, sur la question
même, des développements inattendus. J'ouvre le livre, et dès les premières
lignes d'une introduction particulière à cette édition, je trouve les paroles
suivantes :
« A peine cet opuscule avait-il
paru, que j'ai lu dans les feuilles publiques deux pièces d'une haute
importance, où l'on semble avoir voulu confirmer ce que j'ai dit, et sur la
liturgie en général, et à la gloire de l'Eglise de France. La première pièce
est émanée de la plus grande autorité qui soit dans l'Église. C'est le bref de Sa Sainteté Grégoire XVI, à Monseigneur
l'archevêque de Reims (1). »
Ravi d'une si solennelle
déclaration, et plein d'espoir de voir enfin l'unité liturgique appliquée à la
France dans le sens du bref de Sa Sainteté, je cours à la fin du volume au
16
chapitre intitulé : Beauté du
Bréviaire de Paris, pour voir en quelle manière a été modifiée une certaine
proposition qui me semblait totalement contraire à la doctrine nouvellement
professée. Quelle n'est pas ma surprise de trouver page 137, la même
proposition, dans les mêmes termes, après le bref connu et apprécié ?
« Tel est, y est-il dit, le
Bréviaire que l'abbé de Solesmes veut enlever à
la France. En plus d'un endroit il exprime cette espérance qu'il fonde sans doute sur le « grand effet que
doivent produire les déclamations continuelles et injustes de ses Institutions
liturgiques. Heureusement le Saint-Siège est plus sage que cet auteur. » Mais,
Monseigneur, comment avez-vous pu laisser cette phrase dans une seconde
édition, lorsque maintenant vous savez positivement que le Saint-Siège réprouve
le changement de la liturgie opéré dans les diocèses mêmes qui avaient un
bréviaire particulier légitime ? Si je
ne suis pas sage de réclamer le rétablissement
de l'unité romaine, ne voyez-vous pas
que vous faites peser le même reproche sur
le Souverain Pontife qui comble
d'éloges Monseigneur l'évêque de
Langres, et témoigne le désir et
l'espoir de voir ses illustres collègues suivre son exemple ? Savez-vous que certains
reproches finiront par me sembler doux à porter lorsque je les sentirai tomber
sur moi en semblable compagnie ?
Je reviens ensuite à votre
Introduction, Monseigneur, afin de saisir mieux votre pensée, m'imaginant aussi
que peut-être des explications inattendues viendront donner une autre face à la
question; mais ma surprise redouble, lorsque je lis ces paroles : « Il n'y a
rien (dans le bref) qui ne soit au moins implicitement dans notre écrit ; comme
on pourra s'assurer par la lecture de notre écrit qu'il ne renferme rien qui
soit contraire au bref (1). »
17
J'avoue que je m'y perds de plus
en plus : mais c'est bien autre chose quand je rencontre plus loin ces mots
inexplicables :
« Il y aurait peut-être un moyen
d'y mettre quelque unité (dans la liturgie), d'en assurer l'orthodoxie et de lui
donner une stabilité convenable. Ce serait de mettre en vigueur la règle du
concile de Tolède, lequel ordonne que, dans toutes les églises de chaque
province ecclésiastique, les offices publics, vêpres, matines, la messe, soient
célébrés suivant l'usage de l'Église métropolitaine (1). »
Comment, Monseigneur, vos sentiments sur l'unité liturgique sont identiques à ceux
du Souverain Pontife, et lorsqu'il proclame la nécessité de maintenir et de
rétablir l'unité décrétée par le concile de Trente, en reprenant le Bréviaire et le Missel
romains de saint Pie V, vous venez proposer les livres de la métropole! L'unité
provinciale vous paraît
un moyen suffisant d'assurer l’orthodoxie
des formules liturgiques, et après avoir, quelques pages plus haut, transcrit
le bref, en entier, vous lui donnez un tel démenti ! Je le répète, il doit y
avoir au fond de tout cela un malentendu que l'on ne s'explique pas : mais,
pour le moment, une chose demeure
claire; c'est que, malgré que vous trouviez dans le bref du
Saint-Père la confirmation de ce
que vous avez écrit contre moi, vous n'entendez pas du tout sacrifier aux désirs de Sa Sainteté
votre Bréviaire toulousain, quand bien
même l'occasion favorable insinuée dans le bref viendrait à se
présenter.
En effet, il ne saurait se
présenter une occasion plus favorable d'en finir avec la discordance
liturgique qu'une injonction pontificale de reprendre en France les usages
romains. Or, dans ce cas-là même,
d'après vos propres
18
paroles, Monseigneur, le
Saint-Siège devrait compter sur toute autre chose que sur une adhésion pure et
simple.
« Bien convaincu, dites-vous,
Monseigneur, de cette haute sagesse et de cette indulgence du Saint-Siège, s'il
arrivait que certains esprits qui ne voient ni aussi clair ni aussi loin que le
Vicaire de Jésus-Christ, fissent des efforts pour obtenir que, par un acte de
son autorité suprême, il proscrivît la liturgie propre à un grand nombre de
diocèses de France, nous recourrions nous-mêmes avec une pleine confiance à Sa
Sainteté, pour qu'elle daignât accorder à nos églises, en faveur de leur
liturgie, le privilège qu'ont obtenu jadis certaines églises d'Espagne et
d'Italie, pour le rit mozarabique et le rit
ambrosien. »
« Dans ce cas, nous n'appuierions
pas notre demande sur la crainte des dissensions qui pourraient résulter de la
proscription des liturgies auxquelles nous sommes attachés; nous laisserions à
Sa Sainteté le soin d'apprécier ce motif. Pour nous, nous commencerions au
contraire par protester de notre soumission sans réserve aux ordres qu'il
plairait à Sa Sainteté de donner; après quoi nous nous permettrions de lui
présenter des considérations encore plus importantes aux yeux de l'Épiscopat
français; elles seraient tirées de l'honneur même et de la gloire de l'Église
romaine (1). »
Ainsi, le Souverain Pontife
aurait méconnu l'honneur et la gloire de l'Église romaine, lorsqu'il se
flatte dans son bref de voir tour à tour Nosseigneurs les évêques de France
imiter le grand exemple de Monseigneur l'évêque de Langres, puisque, pour
imiter cet exemple, il ne faut rien moins que se débarrasser des liturgies
modernes. Ainsi, dans le cas où le Souverain
Pontife
19
jugerait à propos de passer du conseil au précepte en faveur
de l'unité liturgique, il céderait aux efforts de certains esprits qui ne
voient ni aussi clair, ni aussi loin que le Vicaire de Jésus-Christ, et
cesserait par conséquent d'y voir clair et loin comme devant. En vérité, ce
n'est point à moi, j'en conviens bien volontiers, Monseigneur, de critiquer
votre langage à l'égard du Chef de l'Église; mais aussi pourquoi nous dire que
le bref de Sa Sainteté ne renferme que votre pensée sur la question liturgique
?
Au reste, Monseigneur, je ne vois
aucune raison qui doive vous faire redouter de la part de Rome la proscription
directe des livres liturgiques propres à un grand nombre de diocèses de France;
je suis persuadé, au contraire, que la grande révolution liturgique
s'accomplira d'elle-même. Vous avez vu que telle est la pensée du Souverain
Pontife. Il ne doute pas que les évêques de France, les uns après les autres, alii atque alii, ne rentrent dans l'intention du concile de Trente
et des bulles de saint Pie V. Pour votre métropole, Monseigneur, il faut
ajouter : et dans l'intention du concile de Toulouse de 1590.
Quant à réclamer pour la liturgie
de 1736 le privilège des liturgies ambrosienne et mozarabe, la question n'est
pas du tout la même. Jamais la Liturgie romaine n'a régné à Milan, et les
chapelles de Tolède, exceptées de l'obligation de garder la forme de l'Office
romain, s'étaient maintenues dans la pratique du rite mozarabe jusqu'au temps
de Jules II, qui leur concéda régulièrement ce privilège. Au contraire, la
France, depuis le VIII° siècle, est romaine dans la liturgie; plusieurs fois,
depuis mille ans, ce lien a été resserré. Pour ne parler que de l'époque
postérieure au concile de Trente et aux bulles de saint Pie V, nous comptons
huit conciles provinciaux (dont un de la province de Toulouse), enregistrés
parmi les actes les plus
20
solennels de l'Église gallicane,
sans parler des résolutions des Assemblées du Clergé, proclamant hautement
l'obligation pour la France de suivre Rome dans la liturgie. Il n'est donc pas
libre de remonter à tel ou tel concile de Tolède pour en exhumer je ne
sais quelle unité métropolitaine de la
liturgie, quand l'unité
patriarcale est devenue tout à la fois un fait et un droit dans
l'Occident depuis tant de siècles. Il serait superflu de discuter ici ce qui
vient de se passer à Carcassonne: je me bornerai à dire en passant que si, pour
établir le règne du Bréviaire de Toulouse dans ce diocèse, il devient
nécessaire de supprimer, ne fût-ce que dans
une seule église, l'usage des livres de la Liturgie romaine, la mesure
est nulle, par défaut de droit, quant à cette église. Maintenant, si on se rappelle en combien de
milliers d'églises il fallut, au siècle dernier et en celui-ci, abolir la
Liturgie romaine pour faire place aux nouveaux livres, on a plus de peine
encore à croire que Rome puisse reconnaître les titres vénérables du rite
ambrosien ou du rite mozarabe, dans les productions modernes qui sont venues
détrôner, après neuf siècles, la prière de saint Grégoire. Mais encore une
fois, la question n'est pas là; le bref de Sa Sainteté à Monseigneur
l'archevêque de Reims suffit
parfaitement aux nécessités présentes, et Pierre n'aura pas parlé
en vain par la bouche de Grégoire.
Passant maintenant à la seconde
partie de ma Défense, je dirai que, du moment où il est reconnu par tout
le monde que l'unité dans la liturgie est un principe incontestable, et que les
règlements ecclésiastiques la réclament aujourd'hui comme dans le passé, il me
sera facile de démontrer que si, dans l'application de cette doctrine aux
21
faits, je me suis trouvé dans le
cas de raconter des choses pénibles, cet inconvénient, totalement inévitable,
ne peut m'être imputé comme un grief.
Or, ces faits sont que, dans le XVIII°
siècle, l'unité liturgique a été brisée; qu'elle l'a été arbitrairement et sans
ménagement pour l'autorité du
Saint-Siège et pour les anciennes traditions de la prière. Il suffit,
pour en demeurer entièrement convaincu, de
prendre d'une main le Bréviaire et le Missel parisiens des
archevêques François de Harlay et Antoine de
Noailles, et de l'autre, ceux de Charles de Vintimille, pour voir que ce sont
des livres totalement différents. Les livres des deux premiers archevêques,
malgré les modifications qu'ils ont subies, sont encore, dans l'ensemble et
dans la plupart des détails, conformes aux livres de Jean-François
de Gondy, lesquels portent en tête ces mots : Breviarium ou
Missale Parisiense, ad formam sacrosancti concilii Tridentini; ce qui veut dire
qu'ils sont romains. Les seconds ne ressemblent qu'à eux-mêmes et ont été
évidemment rédigés par de simples particuliers, d'après tel système de
composition préconçu, et abstraction faite de l'élément traditionnel dans la plus
grande partie de leur teneur. L'unité liturgique qui existait antérieurement à
la rédaction de ces livres, a donc cessé d'exister par le fait de leur
promulgation, et surtout de leur extension à un si grand nombre de diocèses.
Qui pourrait nier cette conclusion ? Et aussi qui pourrait interdire à un
auteur catholique qui veut traiter de la liturgie, de relever un fait si
important, sans la connaissance duquel cette science devient un vrai dédale par
l'impossibilité où l'on se trouve de faire cadrer les explications des
saints Pères, des mystiques, des
liturgistes et des canonistes, sur les
formules et les rites, avec la réalité de la plupart des formules et des rites
aujourd'hui en usage, par le fait de ce changement inouï dans les fastes
de l'Église ?
22
Je dis inouï dans les fastes
de l'Eglise; car lorsqu'au VIII° siècle, la Liturgie romaine fut substituée
en France à la liturgie gallicane, la perte que faisaient nos églises de leurs
anciennes coutumes était compensée abondamment par la richesse et l'autorité
des traditions romaines. Traditions pour traditions, c'était un échange auquel
l'Église de France avait plus à gagner qu'à perdre; sans parler du grand bien
de l'unité dans la forme religieuse et de la parfaite sécurité qui en résulte
pour le dépôt de la foi; double conséquence de l'introduction de la Liturgie
romaine, qui consola promptement nos pères de la suppression des livres
gallicans.
Une fois admise la nécessité de
rapporter, dans un ouvrage sur la science liturgique, le fait d'un bouleversement
des notions sur la matière, à partir du XVIII° siècle; je ne devais pas sans
doute me borner à jeter en avant ce fait, sans
garanties, sans explications. La science ecclésiastique ne procède point
ainsi en aveugle. Elle pèse les faits et leurs conséquences; elle éclaire les
obscurités, et, comme elle est la science
des choses de Dieu et de
l'Église, elle procède avec franchise et sans acception de personnes. D'où il
suit que, dans mon plan, je devais un récit fidèle des motifs et des
incidents de la moderne réforme de la
liturgie en France. Maintenant,
que je me sois trouvé dans la nécessité de dire que les hommes d'un
certain parti qui n'est pas celui de la foi catholique, ont eu de l'influence dans l'œuvre de cette innovation, comme promoteurs, comme rédacteurs
même ; cela s'ensuit de ce que je viens d'établir tout à l'heure, à la condition, bien entendu, que je ne
produise que des faits véritables et avérés. Soutenir le contraire, ce serait
vouloir bâillonner l'histoire, et cela
n'est plus possible aujourd'hui; quant à la fidélité des récits, je ne les
débite pas dans l'ombre; j'écris pour le public : il n'est personne qui n'ait
le droit de me dire, s'il y a lieu : vous en avez menti.
23
Ici, je le sens bien,
Monseigneur, je me trouve en face de l'accusation que vous m'avez intentée, de
malveillance et de calomnie contre l'Église de France ; accusation grave,
humiliante, fâcheuse, mais uniquement toutefois dans l'hypothèse qu'elle soit
fondée. Je pourrais assurément demander tout d'abord si ce système de
dénigrement et de calomnie contre l'Église de France est supposable; quel genre
d'intérêt je pourrais avoir à déverser le mépris sur une portion de la
catholicité au sein de laquelle je suis né et j'ai été initié au sacerdoce : car,
sachez-le bien, Monseigneur, je suis Français tout aussi bien que vous, et non
pas un religieux à peine arrivé en France (1). Je suis tout aussi jaloux
qu'un autre de nos gloires nationales; aucun engagement politique, aucun
antécédent ne m'obligent à renier le moindre de ces
honorables souvenirs, qui nous rendent chère la commune patrie. Comment donc
aurais-je pu avoir la pensée de flétrir l'Église de France ?
Il est vrai, j'en conviens, que,
si en ma qualité de Français, je suis tout aussi zélé qu'un autre pour
l'honneur de ma nation, en revanche, comme catholique, je fais profession de
n'avoir d'autre patrie que Rome. Et pourquoi cela ? Parce que Rome est la seule
localité à laquelle soient attachées les destinées de l'Église et par là
même de la révélation chrétienne; parce que je ne crois pas pouvoir adhérer
d'une manière inviolable, en matière de christianisme, à un autre centre qu'à
celui qui, établi par Jésus-Christ, possède l'infaillibilité de la doctrine et
la plénitude de la juridiction. L'Église de France aurait-elle reçu du Siège
Apostolique comme les églises d'Alexandrie et d'Antioche, une participation
solennelle de la prérogative romaine ? Non que je sache.
Si donc cette sublime distinction
n'a cependant pas empêché ces deux grands sièges de s'écrouler dans l'hérésie,
24
comment oserais-je embrasser d'une manière expresse
la solidarité de tout ce qui se ferait dans le sein de l'Église de France ? Je
n'adhérerai donc aux actes ecclésiastiques qui ont lieu dans ma patrie, qu'autant
qu'ils seront en harmonie avec la direction donnée par le Siège Apostolique ;
je redouterai les conséquences de ces actes, dans la proportion de ce que cette
harmonie me semblera moins visible; je m'en défierais tout à fait, si je voyais
évidemment Rome d'un côté et la France de l'autre. Encore une fois, je ne
comprends pas l'Église autrement, et si mon langage manque de courtoisie,
je le
regrette; mais je parle en France, comme je parlerais en Espagne, au
Mexique, aux États-Unis, en un mot
partout où les vraies notions de la foi et de la discipline existent par le
fait, il est vrai, mais non en vertu d'une promesse divine.
Je vous avoue, Monseigneur, que
j'ai lu avec peine certains
endroits de votre
brochure, dans lesquels vous avez cru pouvoir dire que l’ Église de France fut toujours, après l'Église romaine,
la plus ferme colonne de l’Église
de Jésus-Christ (1) ; qu'aucune autre église, après celle de Rome, ne
peut se glorifier d'avoir été protégée d'une manière plus éclatante (2).
Ces sortes de rapprochements, dont l'intention, certainement, n'a rien de mauvais, me semblent peu conformes au
respect que nous devons porter à cette Église, Mère et Maîtresse, dont la
solidité appuyée sur la parole de Jésus-Christ ne saurait convenablement être
mise en parallèle avec la fidélité plus ou moins constante
de toute autre église particulière. Les dons de la miséricorde
divine, soit qu'ils s'appliquent aux particuliers, soit qu'ils aient pour but
les nations, semblent bien plutôt l'objet d'une humble et discrète
reconnaissance qu'un sujet de se glorifier, surtout en
25
présence d'une œuvre aussi
divinement imposante que la permanence du Siège Apostolique, dans l'infaillible
enseignement de la foi, pour le salut de tout le troupeau de Jésus-Christ.
Pour moi, je crois dans ma
simplicité que l'humilité et le silence sur les grâces reçues, disposent
davantage le ciel à nous en continuer l'aumône, et quand j'entends des
catholiques français, prêtres ou laïques, parler de manière à faire croire
qu'il y aurait dans l'Église de France quelque garantie de plus que dans toute
autre église, pour la conservation de la foi et de l'unité, je m inquiète et
même je ne comprends pas.
Au reste, cette prétention du
mérite d'une église particulière au-dessus des autres n'est pas ancienne. Elle
a été inconnue à l'antiquité. Longtemps on a dit les églises d'Asie, les
églises d'Afrique, les églises des Gaules, etc. ; c'est presque constamment
le langage des Pères. Le génie catholique veillait à écarter tout ce qui
tendait à nationaliser l'Église dans le sens même le plus inoffensif. Le moyen
âge n'eut point d'autre manière de sentir sur ce point ; la France alors
donnait des évêques à l'Allemagne, à l'Angleterre, à l'Italie, qui lui en rendaient
à leur tour; tant était étroite l'union des provinces de la catholicité, sous
le Chef suprême dont l'autorité était alors reconnue de tous, en toutes choses
et dans son entier.
Plus tard, les souverainetés
modernes se sont constituées, la politique a isolé les nations, et pendant que
les frontières se tranchaient de plus en plus, les soi-disant libertés
nationales sont venues donner à chaque église une allure plus locale. L'orgueil
de pays s'est mis de la partie, et c'est alors que l'on a vu l'Église de
France, non contente de formuler ses doctrines positives sur la nature et les
applications de la constitution de l'Église et sur les prérogatives du Chef
suprême, en venir jusqu'à se créer à elle-même une pratique de la morale
chrétienne,
26
regardant comme en pitié le
soi-disant relâchement par le moyen duquel les Alphonse de Liguori,
les Léonard de Port-Maurice, les Paul de la Croix,
trouvaient le secret de guérir les plaies du péché dans les autres, en
s'élevant eux-mêmes au sommet de cette sainteté qui commande aux éléments, et
est un des caractères essentiels de l'Église catholique.
Oui, certes, Monseigneur, vous
avez bien raison de dire à la gloire de notre Église, que la foi fut
apportée dans les Gaules dès les temps apostoliques ; que le sang des martyrs y
coula abondamment ; mais je n'oserais pas répéter avec vous ce que vous
ajoutez : « Dans quel lieu du monde la doctrine évangélique s'est-elle
conservée constamment plus pure, et l'hérésie a-t-elle été plus fortement
repoussée (1) ? »
Laissons de côté l'hérétique
Vigilance pour un moment, si vous voulez ; ne parlons ni des terribles convulsions qui signalèrent chez
nous le treizième siècle, à l'époque de
l'hérésie des Albigeois, des Vaudois, etc. ; ne remontons pas plus haut que le
seizième siècle, et confessons que si
l'Allemagne donna alors Luther au
monde, la France eut à son tour le
malheur de donner naissance à Calvin; que l'hérésie sacramentaire parvint à s'établir dans notre patrie sur un
pied formidable, ainsi que l'attestent ses affreux ravages, et aussi les larges privilèges qui lui furent accordés par
l'Édit de Nantes. Assurément, il y avait alors, en Europe, des royaumes, des états,
au sein desquels la doctrine
évangélique se conservait plus pure, et où l’hérésie était plus fortement
repoussée.
Bientôt j'aurai à parler du
jansénisme, cette lèpre qui nous a travaillés si longtemps ; mais passons plus
loin. N'est-ce pas la France qui est apparue comme la citadelle du
philosophisme, au siècle
dernier ? N'est-ce pas au
27
milieu d'elle que s'est dressée
l'Encyclopédie, comme une Babel superbe? Notre langue n'est-elle pas allée
porter par le monde entier les écrits infâmes de Voltaire et des autres?
S'est-il remué quelque doctrine perverse, dans un coin quelconque de l'Europe,
que nos efforts directs, ou notre coopération, n'y aient paru avec évidence?
Certes, les affreux malheurs qui ont pesé si longtemps sur la France, et qui,
peut-être, la menacent encore, sont loin de prouver que notre nation ait fait
toujours des magnifiques dons de Dieu un aussi bel usage qu'on voudrait bien
nous le dire.
Dans aucun lieu du monde, la
doctrine évangélique ne s'est conservée plus pure et l'hérésie n'a été plus
fortement repoussée ! Et quand je l'accorderais, malgré l'histoire, est-il
possible de se flatter à ce point, lorsque, non plus simplement l'hérésie, mais
le scepticisme, mais le panthéisme, mais l'impiété disputent le terrain de
toutes parts à la vraie foi ; lorsque les mandements de nos évêques ne cessent
de signaler les progrès de l'indifférence et des doctrines funestes ?
L'Église de France n'est donc
plus aujourd'hui ce qu'elle a été aux temps anciens; ce serait une illusion et
une contradiction que de le soutenir aujourd'hui. Maintenant comment l'or
s'est-il obscurci ? Comment les efforts du clergé sont-ils devenus stériles ?
Comment l'héritage du Seigneur a-t-il dépéri entre nos mains ? Il est permis,
sans doute, de s'interroger sur ce terrible mystère, de rechercher les causes
de cet humiliant châtiment, d'étudier le passé pour voir s'il ne renfermerait
pas le secret des remèdes du présent. Pour moi, j’ai cru comme bien d'autres,
que nous n'étions pas tombés tout d'un coup, mais insensiblement, dans ce
malheureux état ; que cette désolante défection, d'une part, cette triste
stérilité de l'autre, accusaient dans le passé quelque grande faute. Comme bien
d'autres, je l'ai cherchée et j'ai cru la trouver
28
dans la prépondérance fatale de
certaines doctrines d'isolement, qui n'ont que trop prévalu chez nous depuis deux
siècles, et dont la liturgie a été l'un des points principaux duplication.
Mais, ô Eglise de France ! je n'ai point eu la pensée, Dieu le sait, de vous humilier
dans votre détresse. Mon livre est là pour attester avec quel amour j'ai
enregistré les noms et les services de ceux de vos pasteurs dont la
fidélité a été sans tache, comme les cardinaux de Bissy
et de Tencin, les archevêques Fénelon, Languet,
Saint-Albin, de Beaumont, de Juigné, etc. ; les
évêques Belzunce,
de Fumel, la Parisière, de Froullay,
de la Mothe-d'Orléans, etc. Pour quiconque a lu mon
livre, rien n'est plus évident que le témoignage que j'ai rendu à la sainteté
des Vincent de Paul, des Olier, des Éveillon, des Gourdan, etc., à la science des l'Aubespine,
des Hugues Ménard, des du Saussay, des
Théophile Raynaud, des Morin, des Sirmond, des Fronteau, des Guyet,
des Thomassin, des Mabillon, des Ruinart, des Honoré
de Sainte-Marie, des Renaudot, des Lebrun,
des Grancolas, des Martène,
etc. J'ose dire que mon livre est un monument, si humble qu'il soit, à la
gloire de tant de grands hommes. Il est vrai, ô Église de France ! que j'ai donné à entendre que
vous n'êtes ni Mère, ni Maîtresse,
mais fille et sujette de l'Église romaine ; que vous n'avez de
vie et de lumière qu'autant que vous la
puisez à cette source unique établie de
Dieu ; que des périls vous ont environnée, et que vous avez été blessée dans
les combats qui vous furent livrés par des ennemis intérieurs et extérieurs, mais avec quelle joie aussi
j'ai entonné, dans les dernières pages
de ce livre calomnié, le cantique
de votre résurrection, et redit ces coups merveilleux de la main du Très-Haut,
par lesquels vous avez été ramenée des portes de la mort, et le progrès de
cette convalescence qui fera place bientôt à la vigueur des anciens jours,
alors
29
que vous n'aviez qu'une prière avec
l'Église romaine, et que les traditions de sa discipline vous assuraient le
triomphe contre tous vos ennemis ! Oui, je l'avoue, je me suis souvenu de cette
parole de l'apôtre : Qu'il n'y a en Jésus-Christ ni scythe, ni barbare (1),
et je l'ai comprise dans ce sens qu'il n'y a dans l'Église ni Français, ni
Allemands, ni Chinois, ni Péruviens ; mais seulement des hommes initiés sans
distinction de races, ni de frontières, à la lumière d'une même Foi, à la
sanctification des mêmes Sacrements. J'ai pensé, et je pense encore, que si un
plus grand honneur devait être attribué à quelqu'une des provinces de la
catholicité, ce devrait être uniquement en proportion de sa fécondité à
produire des enfants de Dieu, de vrais fidèles, et j'ai vu, ô Église de France
! que, depuis deux siècles, votre sein a cessé d'être
aussi fécond, le lait de vos mamelles aussi abondant, la famille qui autrefois
se pressait autour de vous aussi nombreuse. Dieu sait d'ailleurs les vœux que
je lui adresse pour le retour de votre ancienne gloire ; il sait que mon cœur,
s'il a ressenti vos humiliations, n'a point été assez avili pour se complaire à
les révéler, et malgré tout ce qu'on a dit, j'ose affirmer que ma plume n'a
point fait défaut aux sentiments de mon cœur.
Quelques personnes, en ce siècle,
ont fait la remarque que le cœur des catholiques français était devenu plus
tendre pour Rome ; que cette Mère commune, qui naguère était pour eux
simplement l'objet d'une vénération plus ou moins froide, devenait de jour en
jour le centre de plus vives affections ; que les pèlerinages vers cette Cité
sainte se multipliaient dans une progression qui nous reportera bientôt aux
jours les plus fervents du moyen âge ; que l'amour toujours croissant des
fidèles pour le Siège Apostolique s'épanchait sans cesse par les cent bouches
3o
de la presse, en protestations, en
hommages, en vœux, en désirs plus chaleureux les uns que les autres. Oui, certes, il en est ainsi,
et c'est là le grand fait religieux qui s'accomplit aujourd'hui en France;
mais, qu'est-ce à dire ? sinon que dans la détresse où
se trouve la foi dans notre patrie, nous recourons au foyer de la lumière et de
la vie, pour obéir à l'instinct même de la conservation. Ne nous y trompons pas
: si de nobles et incessantes conquêtes promettent à notre sainte foi des triomphes pour une époque plus
ou moins éloignée, si le mérite des œuvres de l'apostolat auxquelles tant de
catholiques français ont trouvé l'admirable secret de concourir, si les vœux
incessants qui montent vers le Cœur miséricordieux de la Vierge Immaculée
doivent, comme il n'en faut pas douter, abréger les jours de l'humiliation et de l'épreuve ; il n'est pas du tout
démontré que cette épreuve et cette humiliation soient encore arrivées au terme
que la justice divine a fixé. Hâtons-nous donc de chercher la seule vraie
sécurité à l'ombre de la Chaire Apostolique ; aspirons la vie qui nous échappe
de toutes parts, en nous rapprochant plus encore de ce
centre unique où elle est immortelle, et renions avec
franchise toutes autres maximes, tous autres usages que ceux qui s'accordent
avec la pleine et parfaite obéissance dans laquelle nous devons précéder les
autres églises, nous Français initiés à la foi par les pontifes romains, dès
les premiers siècles, et tout récemment rappelés de la mort à la vie par leur
toute-puissante sollicitude.
Aussi, je vous l'avoue,
Monseigneur, ai-je regardé comme un des plus graves inconvénients de la position
que vous avez prise en attaquant mon livre, la nécessité invincible dans
laquelle vous vous êtes trouvé d'essayer, encore une fois, la justification des
actes de la trop fameuse Assemblée de 1682. En ce moment encore, les feuilles
publiques dévouées au monopole universitaire, ces mêmes
31
feuilles saturées chaque jour
d'impiété et d'immoralité, ces feuilles qui ont eu l'audace de souiller de
leurs éloges la brochure que vous avez cru devoir diriger contre moi, réclament
en faveur de ce qu'on nomme la Religion de Bossuet ; elles se plaignent avec
menaces de ce que le clergé a cessé d'attacher son affection aux maximes et aux
libertés nationales de notre église. Pourquoi faut-il que vous hésitiez encore
à flétrir cet odieux manifeste des quatre articles, dont vous avouez pourtant qu'il
fournit dans la suite des armes et des prétextes aux ennemis de la Foi (1)?
Cette fameuse Déclaration, vous
l'appelez malheureuse; car, dites-vous, Monseigneur, elle
refroidit l'affection de l'Église romaine pour l'Eglise de France. — Oh!
dites plutôt qu'elle refroidit l'affection de l'Église de France pour l'Eglise
romaine, qu'elle nous mit sous le joug de la puissance séculière dans les
choses spirituelles; qu'elle éleva de notre côté vers Rome, un mur de
séparation en deçà duquel l'hérésie janséniste et le philosophisme nous
décimèrent cruellement ; qu'elle donna un corps et une consistance légale et
positive aux doctrines d'insubordination, desquelles sont sortis le
presbytérianisme et le laïcisme, qui se produisirent enfin à l'état
d'institution, dans la Constitution civile du Clergé; qu'elle a été le
protocole obligé de toutes les révolutions postérieures contre la puissance du
Saint-Siège dans les divers états, ayant été colportée par Pereira en Portugal,
par Febronius en Allemagne, par Ricci en Toscane, par
les prélats adulateurs de Napoléon dans toute la France, et le royaume
d'Italie, en 1811, Vous le savez mieux que personne, Monseigneur; car ce fut
après qu'on eût scellé les portes de votre cachot, que le Chapitre métropolitain
de Paris, ouvrant la scène par un acte trop fameux, dans lequel il
32
désavouait aussi hautement votre
noble courage que témérairement il insultait au Pontife prisonnier, on vit
paraître sur le Moniteur l'ignoble suite de ces Adresses à l'empereur
qui, pour être rédigées dans le but de canoniser à jamais la Déclaration de
1682, n'en sont pas moins demeurées un des plus grands scandales de cette
époque.
Déclaration malheureuse ; car
elle refroidit l'affection de l’Église romaine pour l'Eglise de France ! —
Non, Monseigneur ; appelons-la plutôt malheureuse, parce qu'elle exposa le
dépôt sacré de la foi au danger des nouveautés profanes. En effet, sans
parler de l'autorité des insignes
théologiens qui ont déclaré certaines en matière de foi, et approchantes de la
foi, les propositions contredites par cette Déclaration, nous apprenons de
Benoît XIV que le Saint-Siège, malgré
son attention à s'abstenir de toute note de censure
contre les quatre articles, a sérieusement songé à condamner la Défense
de la Déclaration par Bossuet, ouvrage qui ne renferme que la pure doctrine
de 1682, et qu'on n'a sursis à cette flétrissure que par la crainte d'exciter
de nouveaux troubles (1). Bien plus,
la sacrée Pénitencerie romaine,
ce tribunal d'une si haute
autorité, n'a-t-il pas déclaré dans une décision connue de tout le monde qu'un prêtre qui adhère encore à la doctrine de la
Déclaration, après les solennels avertissements que le Saint-Siège a donnés du déplaisir que lui
cause cette coupable entreprise, ne
peut recevoir l'absolution qu'autant qu'il serait
dans la bonne foi (2).
Déclaration malheureuse ; car elle refroidit l'affection de l’Église romaine pour l'Église de France.
33
— Non, l'affection de cette Mère tendre ne s'est point
refroidie à l'égard de l'Église de France : autrement, qui a donc retenu les
foudres aux mains du pieux Pontife Innocent XI ? Qui a donc inspiré tant
d'égards à Alexandre VIII, lorsque, sur son lit de mort, il publiait la bulle
contre les actes de la célèbre Assemblée ? Qui a donc inspiré à Clément XI des
paroles si pleines de charité dans son admirable bref aux évêques de
l'Assemblée de 1705 ? Qui a donc fait supporter aux Pontifes romains, durant
tout le xvin0 siècle, des évêques comme le cardinal de Noailles, Caylus
d'Auxerre, Colbert de Montpellier, François de
Lorraine de Bayeux, Soanen de Senez,
Bossuet de Troyes, Coislin de Metz, Montazet de Lyon, Loménie de
Toulouse, etc. ? Qui a donc inspiré cette affection si tendre, ces
encouragements si paternels, ces soins si charitables de Pie VI, envers nos
prélats et nos prêtres fidèles, quand le jour de la confession fut arrivé? Et
cette condescendance inouïe de l'angélique Pie VII, pour sauver au moins les
débris de l'Eglise de France, plus mutilée encore par le schisme que par la persécution,
d'où provenait-elle sinon de ce fonds inépuisable d'amour que Dieu a placé au
cœur des mères, et qui se retrouve agrandi et purifié au cœur de cette Église Maîtresse,
mais qui estime plus cher encore le nom de Mère des autres églises. Oh! qu'il est donc bien plus juste de dire : Déclaration
malheureuse ; car elle refroidit l'affection de l'Église de France pour
l'Eglise romaine!
Je vous ai suivi sur ce terrain,
Monseigneur, parce que vous avez voulu vous y placer, et je le répète, c'était
une des nécessités de la situation que vous avez choisie. Permettez encore que
je réclame avec la même simplicité sur ce que vous dites plus loin que «
l'Assemblée fut guidée dans ce qu'elle
fit par son attachement à la foi, et par son désir de conserver inviolable
l'autorité du Saint-Siège. » Et qui sera donc arbitre entre l'Assemblée et
34
le Saint-Siège, si ce dernier juge que la Déclaration est si
peu un monument d'attachement à la foi, de la part de ceux qui l'ont
rédigée, qu'il la casse, l'irrite, l'annule, en fait l'objet d'une
solennelle protestation devant Dieu (1) ? A ce compte, il faudrait donc
dire aussi que le Vénérable Innocent XI, ce Pontife dont le procès de
béatification est ouvert, s'y est mépris aussi bien que moi, lorsqu'il
appréciait avec tant de sévérité la conduite des prélats de 1682, dans cette
lettre si apostolique où il leur disait :
« Vous avez craint, là où il n'y
avait pas sujet de craindre. Une seule chose était à craindre pour vous ;
c'était qu'on pût avec raison vous accuser, devant Dieu et devant les hommes,
d'avoir manqué à votre rang, à votre honneur, à la dette de votre devoir
pastoral. Il fallait avoir en mémoire les exemples de constance et de force
épiscopales que ces anciens et très saints évêques, imités par beaucoup d'autres,
en chaque siècle, ont, en semblable circonstance, donnés pour votre
instruction............ Qui d'entre vous a osé plaider devant le Roi une cause
si grave, si juste et si sacrée ? Cependant vos prédécesseurs, dans un péril semblable,
la défendirent plus d'une fois, cette cause, avec liberté, auprès des anciens
Rois de France, et même auprès de celui-ci, et ils se retirèrent victorieux de la présence du
Roi, rapportant de la part de ce Roi très équitable la récompense du devoir pastoral vigoureusement accompli. Qui d'entre vous est descendu dans
l'arène pour s'opposer comme un mur en faveur de la maison d'Israël ? Qui a
seulement prononcé un mot qui rappelât le souvenir de l'antique liberté ?
Cependant, ils ont crié, eux, les gens du Roi, et dans une mauvaise cause, pour
le droit royal ; tandis que vous, quand
il s'est agi de la
35
meilleure des causes, de l'honneur
du Christ, vous avez gardé le silence (1) ! »
Pour en finir sur cette matière,
je crois nécessaire de rappeler ici les dernières paroles de la lettre par
laquelle les prélats de l'Assemblée adressaient à leurs collègues la fameuse Déclaration.
Il est salutaire de considérer de temps en temps certains faits et d'en peser
la portée : autrement, on court le risque de les oublier... Donc, les prélats
disaient : « A l'exemple des Pères du premier concile de Constantinople,
écrivant aux évêques du synode de Rome, pour leur faire passer les actes de ce
concile, nous prions votre fraternité et votre piété, Révérendissimes Évêques,
de se féliciter avec nous des mesures au moyen desquelles se conservera à
jamais intacte la paix de l'Eglise gallicane; en sorte que n'ayant qu'un même
sentiment avec nous, vous fassiez efficacement recevoir, chacun dans vos
églises, et aussi dans les universités et écoles soumises à votre charge
pastorale, la doctrine que nous avons cru, d'un commun accord, devoir publier,
en sorte que rien de contraire à cette doctrine ne soit enseigné. De là il
adviendra que de même que,
36
par le consentement des Pères du
synode de Rome, le concile de
Constantinople est devenu universel et œcuménique, ainsi, par notre
commun sentiment, notre Assemblée
deviendra le concile national du royaume
entier ; et les articles de doctrine que nous Vous envoyons, seront les canons
de l'Église gallicane, vénérables aux fidèles et immortels à jamais (1). »
Voilà, Monseigneur, dans ce
passage bien authentique d'une Lettre synodale rédigée par Bossuet,
voilà l'intention finale de
l'Assemblée de 1682. Constituer
pour l'Église de France une doctrine nationale que les évêques
maintiendront, à l'exclusion de toute autre qui lui serait contraire; une doctrine impérissable, qui s'enseignera dans les églises, aussi bien
que dans les universités, et qui sera proposée à la vénération des fidèles. Or, comme
les sociétés vivent par les doctrines,
et que les doctrines se produisent dans les institutions, nous avons
dans la Déclaration la
raison première d'un nombre considérable d'actes
ecclésiastiques depuis 1682, mais surtout de ce grand fait de la
suppression de la Liturgie romaine, et de son remplacement par de
nouvelles liturgies purement nationales. C'est pour cela, Monseigneur,
37
que, dans la défense de celles-ci, vous êtes contraint de
faire entrer l'apologie de la célèbre Assemblée ; comme moi-même, pour établir
les causes d'une si grande révolution, j'ai dû remonter jusqu'à ce fait qui me
semble avoir eu la haute influence dans tout ce qui s'est accompli depuis. Mais
j'en ai assez dit sur cette partie du vaste réquisitoire que vous avez dirigé
contre mon livre : je passe à des accusations d'une nature plus sérieuse.
Vous m'accusez, Monseigneur,
d'avoir voulu faire peser sur l'Église de France la note d'hérésie, et de
toutes parts cette assertion se répète sur votre parole. Examinons ensemble la
vérité du fait.
D'abord, quand j'aurais eu la
maladresse de tomber dans une erreur historique aussi grave, ce serait un
malheur pour moi, sans doute; mais, grâce à Dieu, l'orthodoxie proprement dite
de mon livre n'en souffrirait aucune atteinte. La conservation de la foi en
France, à telle ou telle époque, n'est qu'un fait, et non un droit. L'Église de
Rome est la seule dont la foi repose sur les promesses, et j'entends souvent la
voix de nos évêques dans leurs mandements, de nos prêtres dans leurs
prédications, rappeler aux fidèles que le don précieux de la Foi peut être
enlevé à une nation et transféré à une autre. Si donc, à aucune époque, cette
semence précieuse n'a été arrachée de notre sol, bien que depuis longtemps elle
n'y développe plus sa fécondité première, l'historien doit raconter les causes
de cette stérilité partielle, et faire ressortir, avec actions de grâces, les
prodiges de la miséricorde divine à laquelle, dit le prophète, nous devons de n'avoir
pas été consumés (1). C'est ce que j'ai voulu faire.
Cela posé, j'en viens au fait.
Or, vos raisons, Monseigneur, pour prouver que j'ai accusé d'hérésie l'Église : de France, sont
au nombre de trois : 1° Un syllogisme :
38
plus ou moins rigoureux que
j'aurais dirigé contre la foi de l'Église de France; 2° la création d'une
nouvelle hérésie dite antiliturgique, que j'ai
fabriquée tout exprès pour l'adapter à l'Église de France; 3° deux propositions
hérétiques que j'ai prétendu relever dans le Bréviaire de Paris, et qui ne s'y
trouvent pas. Vous voyez, Monseigneur, que je ne dissimule pas vos
accusations : discutons-les, s'il vous plaît, en commençant par le fameux syllogisme.
I. Vous dites donc, Monseigneur :
« L'accusation d'hérésie intentée par Dom Guéranger contre l'Eglise de
France, comme je l'ai dit, est
expresse; rien n'y manque; il la prouve par un argument en forme. Voici la
majeure : Le jansénisme est pour jamais inauguré au dictionnaire des
hérésies. (Tome II, préface, page X). Nous sommes bien loin de le
contester. Écoutez la mineure : Le jansénisme a été le
protestantisme de notre pays, le seul
qui ait
su se faire accepter. (Ibid., page IX.) Cela est-il clair? Il ne
faut pas être fort habile pour tirer la conclusion. L'Église de France est
donc hérétique, puisqu'elle a accepté une hérésie, celle de Jansénius (1). »
Voilà, j'en conviens, un
syllogisme assez brutal et dont l'auteur
a eu évidemment en vue d'accuser
d'hérésie l'Église de France. Mais, Monseigneur, qui l'a fabriqué, ce
syllogisme? Est-ce vous ou moi? Quant à moi, je le renie, pour deux raisons :
la première, parce qu'il n'est pas plus dans mon livre que dans ma tête; la
seconde, parce qu'il n'est pas en forme.
1° Ce syllogisme n'est pas dans
mon livre. Non, Monseigneur, il ne suffit pas, dans une discussion, quand on veut réfuter un
adversaire, d'aller prendre çà et là dans son livre des phrases qu'on range ensuite
dans un
(1) Page 35.
39
rapport arbitraire, pour leur faire
dire tout ce qu'on veut. La phrase qui sert de majeure au syllogisme, et
celle qui sert de mineure, loin d'être alléguées par moi dans le rapport
que la brochure leur attribue, n'appartiennent pas même à une même page. Après
avoir pris la majeure à la page X, on a été contraint, pour
trouver une mineure, de remonter à la page IX, et quant à la conséquence,
où l'a-t-on prise ? Assurément ce n'est pas dans mon livre. La proposition
contradictoire y est exprimée si souvent et en tant de manières, qu'il faut ne
m'avoir pas lu pour s'imaginer le contraire un seul instant.
Je reprends donc le syllogisme.
MAJEURE. Le jansénisme
est pour jamais inauguré au dictionnaire des hérésies.
Oui, j'ai dit cela, et c'est pour
moi une profession de foi que de le répéter.
MINEURE. Le jansénisme a été
le protestantisme de notre pays, le seul qui ait su se faire accepter.
Oui, encore, j'ai dit cela et je
le répète. D'abord, personne n'ignore le rapport des dogmes de Jansénius ] avec ceux de Luther et de Calvin. Quant au fait
de la présence du jansénisme en France, pendant un siècle ets
plus, il ne peut y avoir à le contester que ceux qui n'auraient pas
connaissance des efforts continuels des deux puissances pour l'extirper;
efforts stériles, qui n'ont servi qu'à constater plus évidemment la
prépondérance qu'avait obtenue, dans notre pays, une secte qui a constamment
compté plusieurs représentants avoués dans l'épiscopat, des milliers
d'adhérents dans le clergé du second ordre et les corporations religieuses,
enfin un nombre proportionné de laïques dévoués ; une secte soutenue avec
intrépidité par les diverses Cours de justice du royaume, et principalement par
le Parlement de Paris, environnée dans l'opinion publique de cette faveur qui
manque rarement de s'attacher à ceux qui
lèvent d'une
40
manière quelconque l'étendard de l'indépendance, surtout
quand ils ont à leur disposition la triple influence de la puissance
matérielle, du mérite littéraire et de la richesse ; une secte enfin qui, dans
un siècle, a produit pour sa défense et
sa propagation, environ deux mille volumes imprimés en
langue française, malgré la censure,
ou souvent avec la
connivence des censeurs
eux-mêmes, sans parler d'un déluge de pamphlets, satires, chansons, et
d'un journal arrivé à sa soixante-quinzième année, en dépit des
mesures et des arrêts de la police. En vérité, si, après tout cela, il n'est pas permis de dire que le jansénisme
avait pris pied en France, je n'y comprends plus rien. On ne saurait nier
assurément que le philosophisme à son tour n'ait réussi à se faire accepter
en notre pays, qui peut bien être considéré
comme sa seconde patrie : dira-t-on que
les faits par lesquels on le démontre sont
d'une nature différente de ceux
que je viens de rappeler au sujet du
jansénisme?
CONSEQUENCE. L'Église de
France est donc hérétique.
Je le répète, cette proposition
n'est point dans mon livre, et même le contraire y est en toutes lettres d'un
bout à l'autre, puisque je traite partout l'Église de France comme une église
catholique. L'auteur de la brochure l'a senti, et aussi il s'est bien gardé de citer une page en
particulier; il donne cette conclusion comme si évidemment incluse dans les prémisses, qu'un homme peu habile d'ailleurs l'en peut
extraire à volonté. Malheureusement, je crois
qu'il en est tout autrement, et
je vais prouver que le fameux syllogisme
n'est point en forme, précisément par le fait de la malencontreuse conclusion
qu'on lui impose.
2° Un syllogisme, en effet, n'est
pas en forme, quand la conséquence n'est pas contenue dans les prémisses;
or, la conséquence du syllogisme qui m'est attribué dans la brochure qui
porte le nom de Monseigneur l'archevêque
41
de Toulouse, n'est pas contenue
dans les prémisses, et de plus, le conséquent lui-même n'y est
pas inclus davantage. En effet, voici une troisième fois ce syllogisme sous les
yeux du lecteur.
MAJEURE. Le jansénisme
est pour jamais inauguré au dictionnaire des hérésies.
MINEURE. Or, le jansénisme a
été le protestantisme de notre pays, le seul qui ait su se faire accepter.
Donc..... devra
conclure tout logicien, habile ou non, donc, il y a eu des jansénistes plus ou
moins nombreux dans notre pays.
Pas du tout, on voudrait conclure
de cette façon : Donc, l'Église de France est hérétique.
Mais cette conclusion ne serait
légitime que dans le cas où le mot notre pays, qui signifie une
circonscription territoriale au sein de laquelle peuvent vivre les individus
les plus opposés en fait de croyances religieuses, serait identique à cet autre
mot l'Église de France, qui représente, au contraire, une société
spirituelle unie dans la croyance des mêmes dogmes et dans l'obéissance à la
même hiérarchie. Or, qui ne voit que ces deux dénominations sont
totalement distinctes, et que l'Église d'un pays, pour exister et pour
n'être pas hérétique, n'a aucunement besoin d'occuper matériellement toute la
superficie de ce pays? Autrement, quand on dit : L'anglicanisme est
le protestantisme de l’Angleterre, et s'est fait accepter dans ce pays, on
serait aussi en droit de conclure : Donc l'Église catholique qui est en
Angleterre est hérétique. Qui voudrait jamais
tirer une aussi étrange conclusion ?
En second lieu, pour que la
conséquence que l'on m'impute dans la brochure fût légitime, il faudrait encore
que la mineure renfermât ce qu'elle ne renferme pas plus que le livre lui-même.
Il faudrait qu'en disant : le jansénisme a été le protestantisme de notre
pays, j'eusse voulu
42
dire et exprimer en effet que ce protestantisme
de notre pays avait tellement envahi la France, qu'il ne restât pas un lieu
libre de son influence. Ai-je dit cela, explicitement ou implicitement ? Il
faudrait qu'en disant que le jansénisme a été le seul protestantisme qui ait
su se faire accepter dans notre pays, j'eusse voulu dire et exprimer en
effet que son envahissement a été tel que, moralement parlant, nul homme, clerc
ni laïque, n'a su s'y soustraire. Ai-je dit cela, explicitement ou
implicitement? Non, mille fois non. Le syllogisme par lequel on s'est chargé de
rendre ma pensée au public, n'est donc pas en forme, et je n'en suis pas
responsable.
C'est pourquoi, Monseigneur, je
crois que vous n'êtes nullement fondé à ajouter les phrases qui suivent. Je les
transcris ici pour nos lecteurs.
« Pour expliquer mieux sa pensée,
Dom Guéranger nous dit que le jansénisme est le protestantisme de notre pays,
c'est-à-dire que nous l'avons accepté en France, comme on a accepté le
protestantisme en Angleterre, en Prusse, en Danemark. L'Église gallicane est
janséniste comme les églises de ces royaumes sont protestantes. Rien de plus
positif que cette accusation. »
Non, Monseigneur, rien de moins positif
que cette accusation. Je viens de montrer qu'en bonne logique on ne pouvait
me l'attribuer; quant au fait en lui-même, l'énumération des personnages
catholiques appartenant à la France, que j'ai donnée tout à l'heure, comme
extraite de mon livre, suffit à prouver combien je suis loin d'avoir prétendu
que l'Église de France fût tombée en masse dans l'hérésie.
En terminant cette discussion sur
le fameux syllogisme, j'ajouterai encore un mot pour repousser une
imputation non moins injuste lancée contre moi dans ces paroles de la brochure
: « Peut-on excuser de témérité, y est-il dit, un prêtre,
un religieux qui accuse la plupart
des
43
catholiques français
d'être dans une déviation universelle relativement à la doctrine (1) ? »
D'abord, Monseigneur, je ne parle pas m présent, mais bien au passé dans la
phrase à laquelle la brochure fait allusion. Voici cette phrase : « La
déviation était universelle dans les doctrines admises par la plupart des
catholiques français (2). S'il y avait là une injure, elle ne serait pas du
moins pour les contemporains.
En second lieu, je ne dis pas la
doctrine, mais bien les doctrines; ce qui est fort différent : le
mot doctrine au singulier ne pouvant s'entendre en matière religieuse
que de la foi elle-même; tandis que, par les doctrines au pluriel, on
peut entendre, dans le langage ordinaire, mais surtout avec le contexte, des
principes et des maximes d'une importance moins capitale. On dit les doctrines
romaines, pour exprimer les principes du Saint-Siège opposés à la
Déclaration de 1682 qui renferme les doctrines gallicanes.
En troisième lieu, le mot catholiques,
appliqué aux Français dont je parle, montre bien assez clairement par
lui-même qu'il n'est point ici question d'hérésie; puisque le premier
effet de l’hérésie est de faire perdre à celui qui la professe le nom et
la qualité de catholique.
En quatrième lieu, que cette déviation
à l'égard des maximes romaines ait été presque universelle en France au XVIII°
siècle, c'est ce qu'attestent les actes des Assemblées du Clergé, les ouvrages
de théologie et de droit canonique, les arrêts des Cours de justice, lesquels
forment tout ensemble, pour cette époque, la plus solennelle et la plus
constante profession delà doctrine de 1682. On ne citerait peut-être pas dix
volumes écrits en France, au XVIII° siècle, dans lesquels on ait osé enseigner
ce qu'on
appelait les doctrines
ultramontaines. Or, c'est là tout simplement le sens de mon texte, comme il
appert, non seulement de la grammaire, mais de ce qui précède et de ce qui
suit. Une lecture plus attentive et plus bienveillante m'eût donc épargné cette
nouvelle imputation.
II. Je passe maintenant à mon
second grief contre l'orthodoxie de l'Église de France.
Vous dites, Monseigneur, que j'ai
imaginé une hérésie de ma façon, qu'il m'a plu d'appeler l’hérésie antiliturgique, tout exprès pour pouvoir l'appliquer à
l'Église de France, et vous demandez en quel lieu de la France on enseigne
une hérésie de cette nature (1) ?
A cela je réponds que je n'ai
point imaginé d'hérésie dans un but odieux à l'Église de France, pas plus que
je n'ai signalé tel ou tel lieu de la France où s'enseigne cette hérésie. Après
tout, quand l'erreur que j'ai dénoncée aurait ses apôtres directs en France, y
aurait-il beaucoup lieu de s'en étonner, inondés que nous sommes de toutes
sortes de prédicateurs d'impiétés et d'hérésies, dans notre malheureux pays? Je
dirai même plus; il s'enseigne pis que l'hérésie antiliturgique
: vous savez mieux que moi, Monseigneur, que M. Catien
Arnoult (2), n'en est plus là.
Mais venons au fait. Comme il est
reconnu de tout le monde, et vous le savez mieux que moi, Monseigneur, que le
cercle des erreurs possibles contre la révélation chrétienne est borné, en
sorte que l'on peut ramener à un petit nombre de systèmes hétérodoxes, à
quelques erreurs-mères, toutes les hérésies,
sans exception, qui ont cherché à souiller et à anéantir la doctrine
catholique, les théologiens ont cherché à assigner ces points principaux de la
doctrine hérétique, afin de rendre
plus lumineuse la
45
marche de l'enseignement et plus
victorieuse la polémique qu'ils dirigent contre les hétérodoxes.
Ainsi a-t-on reconnu les
caractères de l'hérésie panthéiste, bien qu'ils l'aient professée à
divers degrés, chez les valentiniens et autres sectaires des deux premiers
siècles, dont le système tendait plus ou moins à l'identification des
substances; chez les eutychiens, qui enseignaient
que, dans le Verbe incarné, la nature humaine a été absorbée dans la nature
divine; chez les jansénistes, qui prétendaient que l'opération divine sur les
actions bonnes de l'homme était absolue et sans aucun concours de la liberté
d'indifférence ; chez les quiétistes, qui soutenaient que l'homme parfait
arrivait à une telle union avec la substance divine, qu'il devait suspendre,
comme imparfait, tout acte propre, même vertueux, et réputer comme indifférent
tout acte mauvais.
Ainsi a-t-on reconnu les
caractères de l'hérésie dualiste, non seulement dans le manichéisme, qui
reconnaît deux principes indépendants, l'un bon, l'autre mauvais; mais aussi
dans le nestorianisme, qui divise en deux personnes la personne du Verbe
incarné; dans le système qui, non content de la distinction essentielle des
deux puissances, les déclare absolument indépendantes l'une de l'autre dans
tous les cas (1); dans le jansénisme avec son système de la double
délectation, au moyen de laquelle l'homme devient tour à tour, et sans le
concours de sa volonté proprement dite, le jouet de Satan, ou l'organe de Dieu.
Ainsi a-t-on reconnu l'hérésie rationaliste
ou le système de l'indépendance de la raison, dans le mouvement théologique
imprimé par Luther, mais surtout par Calvin, au seizième siècle, et poussé
aujourd'hui jusqu'à ses dernières conséquences chez les protestants
d'Allemagne; dans le socinianisme qui, s'attaquant
de front à la divinité de
46
Jésus-Christ, montra dès l'abord que tous les autres dogmes
chrétiens ne lui tenaient pas davantage à cœur; dans l'hermésianisme
qui, de nos jours, tout en laissant subsister en apparence la confession de foi
catholique, la mine sourdement par une doctrine diamétralement opposée à
l'essence de la foi.
Je pourrais pousser beaucoup plus
loin cette énumération des erreurs-mères, et
d'autant plus qu'elles ont elles-mêmes produit des subdivisions plus ou moins
fécondes; mais ce que je viens de rappeler suffira, je pense, à expliquer
comment j'ai pu songer à ramener à un même principe les diverses
manifestations, qu'on rencontre à travers les siècles, d'un esprit frondeur et
diamétralement opposé aux formes du culte divin. J'ai donné à cette
tendance le nom d’antiliturgisme, et je la
définirais volontiers : « Un désir de s'affranchir de la servitude extérieure
qu'imposent les pratiques du culte liturgique, en tant que traditionnelles,
mystérieuses et imposées
par une autorité supérieure. »
Or, il est certain que, de même
qu'on trouve dans certaines hérésies des éléments provenant soit du panthéisme,
soit du dualisme, soit du rationalisme, etc., on trouve aussi dans divers
systèmes d'erreurs, à différents degrés, la tendance que je viens de signaler.
Il est certain que l'Orient,
moins sec, moins froid que l'Occident, n'a pas connu autant que les peuples
occidentaux cette action du rationalisme pratique. Chez les races sémitiques,
les hérétiques comme les catholiques gardent les formes du culte traditionnel
avec une fidélité sans bornes, tandis que les peuples occidentaux, de même que
dans leurs systèmes d'erreurs ils se montrent généralement incroyants, portent
avec plus de peine le joug du service extérieur de la liturgie. J'ai cité
Vigilance comme le point de départ de cette tendance parmi nous, et c'est à
tort qu'on prétendrait qu'il
47
n'attaque que l’objet de
la liturgie et non la liturgie même (1). Quand, par exemple, il poursuit de
ses sarcasmes la coutume liturgique d'allumer dans l'église des cierges en
plein jour ; c'est bien assurément à la forme qu'il s'en prend. Je dirai de
plus, mais sans y attacher d'importance, que cet hérésiarque était né dans les
Gaules, et peut être réputé Gaulois, quoique ses ancêtres aient été
originairement des barbares transplantés d'Espagne en deçà des Pyrénées par
Pompée, quelque trois cents ans avant la naissance de Vigilance (2) ; lequel
étant déjà prêtre en 394, devait, quoiqu'on en dise, appartenir par sa
naissance au quatrième siècle et non au cinquième. Mais laissons ces légères
chicanes, et continuons.
Il est certain encore que les
divers principes d'erreurs qui se combinent dans chaque système général d'hérésie,
n'y entrent pas tous au même degré. Ainsi l'hérésie antiliturgique,
pleinement appliquée dans le calvinisme, ne reçoit pas tous ses développements
dans le jansénisme; puisque cette dernière hérésie ayant pour principe
constitutif de feindre l'union avec l'Église, ne peut pas rompre ouvertement
avec elle sur tous les points du culte extérieur. Son système est d'affaiblir,
de miner, de pousser à une transformation insensible vers le calvinisme dont
elle est sortie et qui doit l'absorber tôt ou tard. Je crois avoir suffisamment
fait sentir ces diverses nuances dans mon second volume, lorsque j'ai eu à
appliquer les caractères de l'hérésie antiliturgique
déterminés dans le XIV° chapitre du premier volume.
Cela posé, et laissant bien volontiers à votre jugement,
Monseigneur, la question de savoir si, métaphysiquement, j'ai eu raison, ou
non, d'abstraire en cette manière les caractères d'une tendance perverse qui
s'est fait remarquer
48
dans la plupart des phénomènes
hérétiques de l'Occident, durant une longue suite de siècles, j'en viens à la
plus grave partie de votre accusation. C'est que, non content d'avoir forgé une
nouvelle hérésie, je me suis avisé de l'appliquer à l'Église de France, afin de
ranger tout doucement les évêques de ce pays au nombre des hérétiques (1).
J'avoue que je ne m'étais pas
encore aperçu de ce résultat. En effet, pour qu'il fût de nature à m'être
imputé, il faudrait que j'eusse dit quelque part dans mon livre que les évêques
de France ont professé ou professent l'hérésie antiliturgique.
Où trouvez-vous cela dans mon livre, Monseigneur, dites-le moi, de grâce !
Oui, il est bien vrai que j'ai
écrit que les livres de la liturgie parisienne de 1736, qui se sont étendus
depuis à un grand nombre de diocèses, ont eu pour rédacteurs des hommes
appartenant à ce calvinisme mitigé qu'on appelle l'hérésie janséniste. Il est
bien vrai que j'ai signalé dans leur œuvre les caractères de l'anti-liturgisme qu'ils ont imprimés à tout ce qu'ils ont
produit; mais il est complètement faux que j'aie imputé indistinctement aux
évêques qui ont eu le malheur de propager ces livres, la note quelconque
d'hérésie, antiliturgique ou autre. Ceux qui ont lu
attentivement mon livre, savent que, de ces trois assertions, la dernière n'est
pas moins fondée que les deux premières : mais reprenons-les toutes les trois,
le livre en main.
1° Il est bien vrai que j'ai
écrit que les livres de la liturgie parisienne de ijS6, ont eu pour rédacteurs
des hommes appartenant au jansénisme. Or, cette assertion, je l'ai
démontrée par les faits; j'attends encore la réfutation de ces faits. En
attendant, je vais placer ici un choix d'autorités propres à éclairer la
matière.
49
La première autorité que
j'alléguerai sera celle de Charles de Vintimille lui-même. Que signifient les
cartons qu'il fit mettre au nombre d'environ cinquante dans la seconde édition
de son bréviaire, dès 1736, si ce n'est qu'il reconnaissait fondées les
réclamations des catholiques parmi lesquels on comptait jusqu'à deux de ses
grands vicaires, des curés respectables, les directeurs des séminaires de
Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas du Chardonnet (1) ? Que signifie l'étrange
précaution que prend le prélat dans la lettre pastorale pour la publication du
nouveau missel, deux ans après le bréviaire, lorsqu'il dit à son clergé : « Nous
pouvons affirmer que les vérités du dogme catholique exprimées dans les
anciennes oraisons, ont été religieusement conservées par nous dans toute leur
intégrité et inviolabilité (2) ? » Quel motif de se justifier ainsi du soupçon
d'avoir altéré le dogme catholique, si ce n'est la rumeur qui s'était élevée au
sein de l'Église de Paris, lorsqu'elle avait vu ses livres de prières livrés
aux mains des hérétiques, et soumis ensuite à une humiliante expurgation ?
Je citerai encore un nouveau
témoignage de la gravité des circonstances qui accompagnèrent la publication du
Bréviaire de Paris de 1736. C'est une lettre du cardinal de Fleury, au cardinal
Quirini, évêque de Brescia, en date du 22 juillet
iy'36. « A l'égard d'un exemplaire du Bréviaire de Paris, dit ce premier
ministre du Roi de France, j'en enverrai volontiers à Votre Éminence un
exemplaire, quand l'édition en sera achevée avec les cartons qu'on y a mis; car
on n'en vend plus des anciens, tels qu'ils avaient paru il y a trois ou quatre
50
mois. Mais vous trouverez bon que
je ne vous l'envoie pas sous mon nom, ne voulant pas que M. l'archevêque de
Paris croie que j'en adresse un au bibliothécaire du Vatican. Je n'en ai rien
lu, mais je sais qu'on en a fait de fort mauvaises relations à Rome, et je ne
puis que suspendre mon jugement jusqu'à ce que je l'aie examiné par moi-même,
ou que quelque personne assurée m'en ait dit son sentiment. M. l'archevêque de
Paris est fort jaloux de son ouvrage, et je me suis contenté jusqu'ici de
toutes les observations qu'on m'avait envoyées (1). »
En attendant, voici le jugement
non suspect que portait sur le bréviaire le trop fameux Colbert, évêque de
Montpellier, écrivant, sous la date du 9 mars 1736, à son célèbre ami Caylus, évêque d'Auxerre :
« On me dit beaucoup de bien du Bréviaire de Paris. Si mon Chapitre me le
demande, je l'adopterai pour mon diocèse. La vérité ne peut être sans
témoignage dans l'Église. Un homme d'esprit de cette ville compare M.
l'archevêque de Paris au prophète Balaam, qui était
appelé pour maudire et que Dieu força de bénir le peuple d'Israël (2). »
J'ai raconté ailleurs comment, au
milieu de la jubilation que causait aux jansénistes la faveur inespérée qu'on
leur accordait, le saint et orthodoxe évêque de Marseille, Belzunce,
s'affligeait et recommandait l'Église de Paris aux prières de ses diocésains.
Voici, dans une autre lettre de Colbert, en date du 21 août 1706, une allusion à cette courageuse
et apostolique protestation : « M. de Marseille a fait un mandement où il
attaque le Bréviaire de Paris sans le nommer. Pour couvrir son jeu, il a
demandé au
51
Pape une indulgence en faveur de ses diocésains qui
réciteront le Sub tuum
prœsidium et l’ Ave maris Stella, tel
qu'il est dans le Bréviaire romain approuvé par le Saint-Siège. La publication
de l'indulgence fait le sujet du mandement, et donne lieu à l'auteur de
déclamer contre les novateurs (1). »
Le pieux, savant et vigoureux
Languet, archevêque de Sens, le marteau du jansénisme, dans son troisième
mandement contre le Missel de Bossuet, évêque de Troyes, en mai 1708, s'exprime
en ces termes sur la coopération récente des hérétiques à la rédaction des
livres de la liturgie : « Que si, dans un nouveau bréviaire, quelqu'un
affectait de composer des antiennes avec les textes obscurs de l'Écriture, dans
lesquels les hérétiques vont puiser les objections que les théologiens
réfutent, l'artisan d'un tel bréviaire ne mériterait-il pas d'être repris? Et,
dans ce royaume, combien de bréviaires, sans en excepter le nôtre, dans
lesquels cette misérable affectation s'est glissée (2) ! »
Le bruit de ces scandales s'étant
répandu jusqu'en Italie, le docte Catalano, dans son
célèbre Commentaire du Pontifical romain, laissait exhaler sa douleur
dans les termes que je vais transcrire : « Sur l'autorité du Bréviaire romain,
dit-il, on pourrait ajouter encore plusieurs témoignages, au moyen desquels on
serait à même de montrer abondamment quelle a été récemment l'insigne audace et
insolence de certains évêques qui, sans consulter le Pontife romain, ont non
seulement changé ce bréviaire, mais l'ont souillé, et ont donné aux hérétiques
l'occasion d'établir leurs sentiments pervers (3). »
52
Vient ensuite Benoît XIV, qui, dans son traité de la
Canonisation des Saints, fait voir qu'il n'ignorait pas non plus l'affaire
des cartons, et la nature des inconvénients qui les avaient rendus nécessaires
: « Il semble qu'on peut affirmer, dit-il, que le parti le plus sûr serait que
ceux même des évêques qui pensent, après la bulle de Pie V, pouvoir ajouter et
changer quelque chose au bréviaire, ou publier un nouveau bréviaire,
demandassent préalablement le sentiment du Siège Apostolique; attendu qu'il est
démontré par l'expérience que des erreurs contraires à la saine doctrine se
sont glissées dans plusieurs des bréviaires ainsi publiés, moins peut-être par
la faute de ces évêques, que par celle d'autrui; en sorte qu'il est devenu
nécessaire de prohiber ces bréviaires après la publication, ou d'en ordonner la
correction (1). »
Si nous rentrons en France, nous
trouvons le courageux et éloquent Père Hongnant, l'un
des rédacteurs du Journal de Trévoux, qui prêta sa voix éloquente aux
réclamations des catholiques. J'ai cité sa seconde Lettre en entier.
Dans la troisième, qui n'est pas moins intéressante, l'auteur s'exprime ainsi
sur le Bréviaire de Paris : « Tous les artifices qu'on devrait mettre en œuvre,
si Ton avait résolu de composer un bréviaire en faveur de Quesnel, et contre la
bulle, vous les voyez employés
53
par nos réformateurs avec tout
l'art dont ils sont capables. Suppression affectée de presque tous les endroits
de l'Écriture et des Pères qui déposent le plus clairement contre les erreurs
nouvelles; substitution adroite de textes qui semblent les favoriser, empruntés
des anciens hérétiques, cités de nouveau dans les Hexaples en faveur des
propositions condamnées ; altération grossière de l'Écriture et des Pères si
indécemment défigurés, qu'à peine peut-on les reconnaître; affectation marquée
dans le choix et la fabrique des homélies et des canons, les plus propres à
remplir l'esprit des lecteurs des idées nouvelles; langage partout équivoque,
mais partout déterminé par le corps de l'ouvrage à un seul sens, c'est-à-dire
au sens janséniste ; on n'a négligé aucun des moyens qui conduisent
naturellement à l'exécution de ce projet.
« On a beaucoup parlé du
bréviaire, dès qu'il a paru; on a écrit pour et contre. Du côté des
catholiques, il n'y a eu qu'une voix générale qui proscrivait l'ouvrage, et le
condamnait aux ténèbres dont il est sorti. Les représentations si souvent
réitérées, les oppositions formées à la réception du bréviaire, sont des
preuves qu'il est bien difficile de dissimuler (1). »
En 1772, parurent les Mémoires
liturgiques de Bertrand de la Tour, chanoine de Montauban, sur lequel M.
Picot s'exprime ainsi : « Élevé au Séminaire Saint-Sulpice à Paris, il en
conserva toujours l'esprit. Il était fort attaché au Saint-Siège, et zélé pour
le bien de l'Eglise (2). » Dans celui de ces Mémoires qui est intitulé : Entreprise
des hérétiques sur la liturgie, on lit ce qui suit: « Enfin, sous M. de
Vintimille parut, par les intrigues de l'abbé Couet,
le fameux Bréviaire de
54
Paris, enfant chéri du
jansénisme, qui, malgré la défense de ce
prélat, se répandit partout, et fut vanté avec fureur par tous les jansénistes.
Il est étonnant que des évêques catholiques préfèrent à la source pure de Rome,
les eaux bourbeuses de l'erreur, et lui fassent le dangereux hommage d'adopter
son langage et ses idées. Quelque bon que fût d'ailleurs cet ouvrage, ce qui n'est certainement pas, la tache de son
origine devait le faire rejeter : Timeo
Danaos et dona ferentes.
L'Eglise est-elle assez pauvre pour avoir besoin d'emprunter de
ses ennemis? Ce malheureux enfant du jansénisme eut d'abord tous les airs de
son père. Il a été depuis modifié; on en a ôté les ESTAMPES SCANDALEUSES qu'on
avait mises à la tête, les noms
de Coffin, de Santeul, et des
autres poètes, qu'on avait mis à la tête des hymnes, et surtout plusieurs
passages, de tous côtés répandus, qui
favorisaient les nouvelles opinions.
« On avait surpris la bonne
foi de M. de Vintimille, dont la doctrine et les intentions furent toujours
bonnes. Ce ne fut qu'un cri quand il parut; le bruit en vint enfin à ses
oreilles; il ouvrit les yeux et fit faire plusieurs corrections à différentes reprises, ce qui le rendit plus
supportable. Mais, tout corrigé qu'il est, il y reste encore des choses bien
répréhensibles (1).
Quatre ans après, en 1776, une
partie des membres du Chapitre insigne de la métropole de Lyon, ayant formé
opposition à l'archevêque Charles de Montazet,
janséniste notoire, qui voulait implanter dans cette primatiale des Gaules le
Bréviaire parisien de 1706, rédigea un premier mémoire sous ce titre : Motifs
de ne pas admettre la nouvelle liturgie de M. l'archevêque de Lyon. On y
lisait entre autres choses ces paroles sur le Bréviaire de 1736 :
55
« S'il fallait nommer l'auteur du
Bréviaire de Paris, on pourrait dire qu'il s'appelle Légion. Combien de
mains suspectes se sont réunies pour élever ce fameux monument, et ensuite pour
le placer dans le sanctuaire de la capitale ! Comme le veau d'or, il fut formé
de tout ce que les rebelles avaient de plus précieux, et, dès qu'il parut, ils poussèrent
de grands cris de joie pour célébrer leur idole. Tout concourt donc
à faire redouter le prétendu zèle de perfectionner la liturgie. Tout annonce qu'il a été soufflé par l'esprit d'erreur. Peu
favorable à la piété qui ne dédaigne pas
les prières anciennes, et qui ne se plaint pas de leur simplicité, il tache d'introduire
dans l'Office sinon des erreurs palpables, au moins des expressions
ambiguës, susceptibles de divers sens, et dont les novateurs ne manqueraient
pas d'abuser (1) ».
Il ne s'agit pas de savoir si les
auteurs des réclamations que je viens de citer ont obtenu l'insignifiante, ou
plutôt l'honorable flétrissure d'un arrêt du Parlement de Paris; moins encore
aurait-on droit de s'étonner du petit nombre de ces voix réclamant contre
l'innovation, à une époque où chacun sait qu'il n'y avait nulle liberté
d'écrire dans un sens contraire aux maximes admises par les Cours de justice;
mais que l'on joigne à ces témoignages défavorables à l'origine du bréviaire de
1736, le sentiment et la conduite de deux des plus pieux évêques du XVIII°
siècle, Henri de Belzunce à Marseille,
et Félix de Fumel
à Lodève : le premier, adressant un mandement à son peuple pour l'engager à
redoubler de zèle dans le culte de la sainte Vierge et des saints, menacé par
de téméraires innovations; le second,
à peine monté sur son siège,
expulsant, avec vigueur, du sanctuaire, le Bréviaire parisien
56
que son prédécesseur y avait
introduit. Que Ton se rappelle en même temps l'estime hautement professée pour
l'œuvre de 1736, par Scipion de Ricci et son synode, par Grégoire et ses deux
conciles de Paris en 1797 et 1801 ; il faut bien qu'il y ait une raison de ces
antipathies d'un côté et de ces sympathies de l'autre.
Mais nous avons mieux que tout
cela, s'il est possible; c'est le témoignage de la secte elle-même
s'applaudissant, en 1765, de voir désormais régner sans obstacle dans l'Église
de Paris, ce bréviaire qui, tout mutilé qu'il soit par les cartons, lui semble
encore, dans l'état où il est, digne de ses plus chères complaisances. Écoutons
ces paroles de triomphe, et méditons-en la portée.
« Parmi les maux dont Dieu a
permis dans sa justice que l'Église de France soit affligée depuis le
commencement de ce siècle, il est aisé de remarquer quelques traits éclatants
de sa miséricorde, au nombre desquels on doit mettre la composition et la
publication qui s'est faite du nouveau Bréviaire de Paris. Depuis qu'il est en
usage, une heureuse expérience fait sentir que ce bréviaire, par le bon goût
qui règne dans toutes ses parties, fournit aux ecclésiastiques chargés du soin des âmes un secours toujours
présent, une ressource toujours
féconde et assurée,
soit pour se nourrir eux-mêmes
des vérités chrétiennes, soit pour en nourrir les autres, et que, par sa
traduction, il supplée, jusqu'à un certain point, au défaut d'instructions solides, dont la
disette ne fait qu'augmenter tous les jours dans les paroisses. Plus on
fera réflexion sur les circonstances
où cet ouvrage a paru, et sur le caractère du prélat qui en a conçu et
exécuté le dessein, plus on demeurera persuadé que, sans une
providence toute singulière, jamais
un homme tel que M. de Vintimille
n'aurait soutenu jusqu'au bout une telle entreprise, malgré les contradictions de
la cabale molinienne, et surtout
57
des jésuites, auxquels il ne
pouvait que céder sur tout le reste (1).
»
Il me semble, après tout cela,
Monseigneur, que l'on est en droit de conclure, sur l'autorité des témoignages
contemporains, ce que les noms seuls de Vigier, Mésenguy et Coffin suffisaient bien à mettre hors de doute,
savoir, que les livres de la liturgie parisienne de 1736 ont eu pour rédacteurs
des hommes appartenant au jansénisme. Je passe à ma seconde assertion.
2° Il est bien vrai que f ai
signalé, dans l'œuvre de ces auteurs, les caractères de l’antiliturgisme
qu’ils ont imprimés à tous leurs autres produits. Or, cette seconde assertion, c'est par des faits que je l'ai
démontrée. J'ai ] prouvé ce qu'avaient d'ailleurs établi les divers auteurs
catholiques cités plus haut, savoir, que la liturgie parisienne de 1736 fut rédigée
de manière à bannir un nombre immense de prières traditionnelles, remplacées
désormais par des textes de la Bible choisis arbitrairement, et souvent dans un
but suspect ; à diminuer les manifestations de la piété catholique à l'égard de
la sainte Vierge et des saints ; à restreindre la confiance des peuples aux
faits miraculeux ; à comprimer la notion et l'exercice du pouvoir apostolique
qui réside dans le Souverain Pontife. Mes preuves ont été nombreuses ;
cependant, je suis loin d'avoir cité la moitié de ce que j'aurais pu alléguer.
Dans votre brochure, Monseigneur, vous avez cherché à répondre
à une partie de mes arguments, qui d'ailleurs ne sont pas seulement les miens,
mais ceux des auteurs catholiques qui m'ont précédé dans la carrière. Vous
trouverez à la fin de cette lettre, mes réponses en regard de vos objections,
et, je le répète encore, je me flatte d'avoir satisfait à tout. Je passe donc à
ma troisième assertion.
58
3° Il est complètement faux
que j'aie imputé indistinctement aux évêques qui ont eu le malheur de propager
les nouveaux livres parisiens, la note quelconque d'hérésie, antiliturgique ou autre. Mon livre est là, Monseigneur
; c'est à lui que j'en appelle, à lui que vous ne pouvez en aucune façon récuser
dans cette cause où il s'agit de lui, et où il ne s'agit même que de lui.
Citez, je vous en prie, les pages : je m'avouerai tout aussitôt convaincu.—
Mais, me direz-vous, du moment que vous prétendez que les livres parisiens sont
l'œuvre de la conspiration antiliturgique,
n'accusez-vous pas par là même les prélats qui les ont propagés ? — A cela, je réponds qu'il faut faire ici
une distinction toute naturelle. Parmi les évêques qui introduisirent ces
livres dans leurs églises, les uns étaient appelants de la bulle Unigenitus, ou du moins ne la regardaient pas comme règle
de foi; les autres avaient franchement accepté ce jugement de
l'Église universelle. Les premiers, hérétiques jansénistes, rebelles à la foi
catholique, n'ont rien à perdre quand je les rangerais au nombre des antiliturgistes ; les autres furent inconséquents, je ne
crains pas de le dire; mais y aurait-il justice d'interpréter à la rigueur une
démarche à laquelle ils étaient entraînés par les idées du temps, dans un pays
où la mode exerce un empire si irrésistible, démarche que d'ailleurs tout
l'ensemble de leur conduite désavouait hautement ? Non, Monseigneur, il ne
serait pas équitable de poursuivre la mémoire de tant de prélats honorables,
pas plus qu'il ne serait conforme à la loyauté d'un écrivain catholique de
sacrifier, pour des questions de personne, les principes sacrés de l'Église en
matière de liturgie.
Je dirai donc avec franchise :
ces évêques ont eu un grand tort en rompant le lien liturgique avec Rome, en
acceptant de la main des hérétiques ce qu'ils ne voulaient plus recevoir de
celle du Vicaire de Jésus-Christ, en préparant par cette démarche des résultats
lamentables dans
59
un avenir plus ou moins éloigné ;
mais nulle raison n'oblige à faire peser sur eux le soupçon d'une préméditation
que rien n'atteste. Nous donc, victimes d'un passé désastreux, jugeons les
faits et les doctrines; c'est notre droit, c'est notre devoir ; mais
gardons-nous de prononcer sans preuves contre les personnes ; laissons à Dieu
sa justice et sa miséricorde. Tels sont les principes que j'ai eus sans cesse
devant les yeux, en écrivant mon livre, et c'est pour cela, Monseigneur, que je
me sens si à l'aise quand je me permets de vous demander la page de ce livre
qui contient les calomnies que vous m'imputez. Peut-être aurais-je pu réclamer
aussi, moi écrivain catholique, quelque chose de cette bienveillance qui, si
elle est un droit pour les morts, ne laisse pas d'en être un aussi pour les
vivants.
III. Je passe au troisième
argument au moyen duquel vous avez cru, Monseigneur, pouvoir démontrer que
j'avais accusé d'hérésie l'Église de France. Ce dernier argument vous paraît
même plus fort que les deux autres; vous me permettrez donc de l'examiner avec
tout le sérieux que comporte la matière.
« Jusqu'à présent, dites-vous,
Monseigneur, Dom Guéranger n'a découvert dans le Bréviaire de Paris que des
intentions hérétiques ; il veut maintenant nous y montrer des hérésies (1). »
Comme je n'ai nulle souvenance
d'avoir lancé une imputation de ce genre dans l'un ou l'autre de mes deux
volumes, je m'étonne tout d'abord de l'aplomb avec lequel ce nouveau délit
m'est attribué ; mais bientôt je reprends votre brochure, Monseigneur, et j'y
lis :
« Il n'a pu en trouver que
deux : ce serait déjà beaucoup trop (2).
»
60
Je le crois, en effet ;
mais, de grâce, en quel coin du
bréviaire les ai-je déterrées, ces deux hérésies ?
« Il voit la première
dans un canon, la seconde dans la strophe d'une hymne? (1). »
Me voici donc orienté davantage :
c'est pourquoi laissant, pour un moment, une digression sur les canons du
bréviaire, à laquelle je répondrai bientôt, je passe à l'examen du grief. Il
consiste à avoir écrit ces paroles que vous enregistrez, Monseigneur, comme le
corps du délit :
« On avait trouvé moyen de placer
au mardi de la IVe semaine de Carême quelques paroles du onzième canon du
troisième concile de Tolède qui enchérissaient sur la quatre-vingt-septième
proposition de Quesnel (2). »
Eh quoi ! Monseigneur, avoir
écrit ces lignes, c'est accuser le Bréviaire de Paris de renfermer des hérésies
? Pour moi, je ne le crois pas, et je suis persuadé que vous conviendrez avec
moi qu'il n'en est rien, quand vous aurez relu le passage. Est-ce que par
hasard j'aurais dit que ce canon enchérissait sur la quatre-vingt-septième HERESIE
de Quesnel ? Non : j'ai dit simplement : Sur la quatre-vingt-septième
PROPOSITION; ce qui n'est pas la même chose. Vous savez mieux que moi,
Monseigneur, que les cent une propositions de Quesnel ne sont pas cent
une hérésies; que la plupart même sont condamnées comme simplement fausses,
captieuses, malsonnantes, offensives des oreilles pieuses, scandaleuses,
pernicieuses, téméraires, injurieuses à l'Eglise et à sa pratique, etc.,
etc.; en sorte que, dans cette censure in globo,
on ne peut appliquer avec certitude la note d'hérésie qu'au petit nombre de
celles qui sont identiques à des propositions déjà notées comme telles. Le canon renferme donc, sans aucun doute, une
61
doctrine digne de censure, puisque dans le fait elle a été censurée par l'Eglise
universelle; mais, encore une fois, rien n'oblige à la qualifier d'hérétique,
et j'ai eu bien soin de ne le pas faire.
En outre, quand bien même
j'aurais dit que le canon en question est identique à la quatre-vingt-septième
hérésie de Quesnel, il ne s'ensuivrait pas le moins du monde que j'eusse accusé
d'hérésie l'Église de France; car voici, Monseigneur, les paroles que vous
ajoutez et qui me justifient complètement:
« Ce canon du concile de
Tolède ne se trouve pas dans le bréviaire, et Dom Guéranger nous dit plus tard
que, sur les vives réclamations qui avaient été faites, on l'avait retranché;
il n'y a donc pas à l'examiner (1).
En effet, Monseigneur, puisque ce
canon fut enlevé du bréviaire dès l'an ij36 et remplacé par un autre, suivant
l'ordre de Charles de Vintimille qui fit mettre des cartons aux endroits de son
bréviaire qui avaient le plus soulevé les catholiques, il suit de là que,
lorsque ce bréviaire, dans le cours des années suivantes, jusqu'à nos jours,
fut étendu à un si grand nombre d'églises de France, il ne contenait plus le
canon, hérétique ou non, qui fait l'objet de la discussion. Je n'ai donc
pu en aucune façon accuser l'Église de France d'hérésie, pour le fait de
réciter dans l'office divin un canon que mon livre lui-même n'a pas accusé de
contenir une hérésie, et qui d'ailleurs n'existe plus au bréviaire.
Franchement, Monseigneur, convenez qu'il faut ne pas avoir de grands reproches
à faire à un livre pour lui en adresser de si singuliers. Nous voilà donc,
j'espère, quittes du canon; passons à la strophe.
Je vais d'abord transcrire vos
paroles, Monseigneur, je répondrai plus facilement ensuite.
62
« Les jansénistes, dit Dom Guéranger,
se délectaient dans cette strophe (1); il est impossible de (la) justifier, si
l'on prend les termes dans la rigueur... Dieu seul sait combien de temps elle
doit retentir encore dans nos églises; mais qu'il nous soit donné de protester
contre une tolérance qui dure malheureusement depuis plus d'un siècle, et de
dire en passant un solennel anathème à trois propositions de Quesnel, que
Clément XI, et avec lui toute l'Eglise, a proscrites (et que) les quatre vers
de la strophe en question... rendent avec tant d'énergie. »
« Voilà une hérésie bien
manifeste (2). »
Eh non ! Monseigneur :
l'accusation d'hérésie n'est pas le moins du monde manifeste dans
ce passage. Quelle que soit la note théologique que méritent les trois propositions
prises en elles-mêmes, j'ai eu du moins l'attention de ne leur en appliquer
aucune en particulier. Il me suffisait de dire qu'elles sont proscrites par
toute l'Eglise, qu'elles méritent un solennel anathème : je ne suis
pas allé plus loin pour les, propositions elles-mêmes; donc, je n'ai pas pu
traiter la strophe d'hérétique, puisque je ne l'ai dénoncée qu'à raison de son
identité avec les propositions.
Remarquez bien encore ceci,
Monseigneur : j'ai dit (c'est vous-même qui me citez), qu'il est impossible
de justifier celte strophe, si l'on prend les termes dans la rigueur :
donc, je n'ai pas dit le moins du monde qu'elle serait toujours répréhensible,
lors même que, par une interprétation bénigne, on voudrait y ajouter, ainsi que
vous faites plus loin, des choses qui n'y sont pas matériellement.
63
Si on voulait faire le même travail de glose officieuse sur
la moitié des propositions de Quesnel condamnées dans la bulle Unigenitus, on nous aurait bientôt démontré aussi
que l'Eglise a eu tort de condamner une grande partie de ces assertions maudites.
Vous savez mieux que moi,
Monseigneur, que le but spécial de la bulle Unigenitus,
cette admirable constitution à qui nous devons le salut de la foi, a été
principalement de poursuivre l'hérésie janséniste dans ses
retranchements, en flétrissant toutes ces façons de parler captieuses et
à deux tranchants, à l'aide desquelles elle se cramponnait à l'Eglise, quand on voulait l'en mettre
dehors. La question est là tout entière et non pas ailleurs ; et quant aux
livres liturgiques dont nous parlons, croyez bien, Monseigneur, que si, au lieu
des simples échantillons que j'ai produits, j'avais voulu signaler une à une
toutes les reproductions malicieuses des
maximes de Quesnel qu'on y trouve, même aujourd'hui, soit dans les coupures de la Bible et des
saints Pères, soit dans les formules
de composition récente, ce travail eût
pris une dimension bien autrement
considérable.
Je reprends votre texte,
Monseigneur :
«Voilà une hérésie bien
manifeste. La strophe signalée rend avec une énergie remarquable trois
propositions condamnées. Aussi l'Abbé de
Solesmes regarde-t-il comme un problème
insoluble à résoudre, de savoir comment quelqu'un peut être obligé, sous peine
de péché, à réciter une hymne qui contient matériellement une doctrine qu'on
ne pourrait soutenir sans encourir l'excommunication (1). »
Oui, Monseigneur, ce problème me
semble toujours insoluble; car enfin la bulle ne défend pas seulement, sous la
peine de l'excommunication, de soutenir les
64
propositions hérétiques qu'elle condamne ; elle
défend sous la même peine de soutenir chacune des propositions condamnées par
elle, prises même séparément; d'en traiter publiquement, ou en particulier, si
ce n'est pour les combattre, etc.
C'est pour ce motif que, lorsque
le Bréviaire parisien de 1736 fut étendu à divers diocèses de France, plusieurs
évêques n'y consentirent qu'à la condition d'y faire certains changements,
indépendamment de ceux qu'avaient opérés les cartons de Charles de Vintimille ;
mais la fameuse strophe fut l'objet principal de leur sollicitude. A Évreux, on
la modifia dans un sens; au Mans, dans un autre. Vint ensuite le Bréviaire de
Toulouse de 1772 qui essaya une nouvelle variante assez peu poétique, mais d'un
sens plus orthodoxe. On peut voir pour tous ces faits le deuxième volume des Institutions
liturgiques, où je parle les pièces en main (1). On peut consulter encore
les Nouvelles ecclésiastiques, qui jettent les hauts cris contre
l'audace de ces prélats assez osés pour corriger les hymnes de Santeul d'après la bulle Unigenitus.
Il serait important de lire aussi la curieuse brochure publiée, soi-disant à
Avignon, par manière d'apologie du Bréviaire de Toulouse de 1772, et dans
laquelle l'auteur janséniste prend avec tant d'énergie la défense de ce
bréviaire, et de la strophe en particulier (2).
Mais si l'on désire quelque chose
de plus actuel et de plus éloquent que tout cela, on n'a qu'à lire un article
récemment donné dans le recueil périodique publié aujourd'hui même par les
jansénistes, à Paris. On connaîtra alors si la secte a renoncé à voir dans la
célèbre
65
strophe la glorification de son système condamné, si elle ne
réclame pas de toute sa force contre les interprétations bénignes auxquelles on voudrait
soumettre cette formule; si elle ne s'applaudit pas, en ce siècle comme au
siècle dernier, non seulement d'avoir fourni à l'Église de France la formule de
la prière publique, et par conséquent la confession de la foi, mais encore de
contraindre la bouche de tant de prêtres français à protester contre l'un des
jugements les plus solennels de l'Église universelle. Mais lisez plutôt
vous-même :
« L'opposition est manifeste
entre la doctrine de la bulle et celle de cette hymne, qui n'est pas seulement
tolérée, mais dont la récitation est prescrite, ainsi qu'on le dit fort
bien, depuis plus d'un siècle, dans plusieurs diocèses d'une des plus
importantes Églises du monde. Lors donc qu'on arrive à constater au sein de
l'Église, d'un côté la condamnation formelle d'un enseignement aussi important
que celui qui est contenu dans les propositions indiquées du Père Quesnel, et de
l'autre l'adoption non moins formelle de ce même enseignement, matériellement
contenu dans des prières approuvées non pas d'hier, non pas tacitement, ni
dans un coin reculé du globe, mais depuis longues années, mais en France, et
malgré des réclamations restées sans effet; une conclusion ressort de là, il
faut inévitablement le reconnaître, quoiqu'elle heurte directement les idées
qu'on a coutume de se faire sur l'état de la vérité dans l'Église; c'est que la
lutte qui, depuis deux siècles et plus, a pris naissance sur ces matières,
n'est point finie; c'est qu'il n'est point intervenu de décision certaine,
et que l'unité de doctrine ne s'est point établie sur ce point (1). »
Certes, le témoignage n'est pas
suspect; et, quant à sa portée en lui-même, il est bien évident qu'elle est fort
66
au-dessus de tout ce que j'ai dit
sur la strophe. Oui, je m'en flatte : tôt ou tard, on ouvrira les yeux, et
alors les attaques dont mon livre et ma personne ont été l'objet seront jugées
comme elles doivent l'être. En attendant, j'ai démontré jusqu'à l'évidence, ce
me semble, que je n'ai qualifié d'hérétiques ni la strophe, ni le
canon; j'ai montré plus haut que je n'avais point appliqué aux évêques
de France la note de l'hérésie antiliturgique
; j'ai fait voir aussi que le syllogisme qui m'était attribué comme
tendant à flétrir l'Église de France, dans sa foi, ne m'appartenait en aucune
manière :
Donc, il n'est ni vrai, ni juste
de dire que j'ai accusé d'hérésie l’ Église de France.
Maintenant, Monseigneur, me
sera-t-il permis de me plaindre à vous-même d'un procédé malheureux dont vous
avez cru devoir user à mon égard, en terminant votre brochure? Après avoir
accumulé contre mon livre toutes les accusations auxquelles j'ai répondu, et
toutes celles auxquelles je vais répondre, vous avez cru devoir me jeter à la
tête le nom de l'abbé de Lamennais, dans le but d'amener votre lecteur à faire
un rapprochement (c'est votre mot) (1), entre un homme tombé dans les
plus coupables erreurs, et moi, prêtre et religieux catholique, qui défends les
droits de l'unité. Et c'est après avoir si mal prouvé que j'ai calomnié
l'Église de France à propos de certains faits qui, après tout, sont du domaine
de l'histoire, que, cherchant contre moi dans l'avenir des armes que ni le
passé, ni le présent ne vous fournissent, vous vous hasardez à prophétiser sur
moi une chute pareille à celle de ce prêtre infortuné.
Dom Guéranger, dites-vous,
Monseigneur, s'offensera peut-être; il sera blessé, nous n'en doutons pas.
— Non, Monseigneur, je ne suis ni offensé, ni blessé : je vous
67
plains seulement de la dure
nécessité qui vous a contraint, pour attaquer mon livre, de lui faire dire si
souvent ce qu'il ne dit pas, pour prédire ensuite, sur de si étranges motifs,
l'apostasie prochaine de son auteur.
Je le sais, Monseigneur, je ne
suis qu'un homme pécheur, à qui l'indéfectibilité dans la foi n'est aucunement
promise; mais, à part le Pontife romain, en qui Pierre vit et parle à jamais,
quel homme sur cette terre peut se promettre, d'une manière absolue, qu'il ne
scandalisera pas l'Église par sa chute ? Dans la pratique des vertus, de la foi
par conséquent, nous sommes tous fils de nos œuvres, et si le moine s'élevant
dans son orgueil peut choir des humbles degrés de la chaire abbatiale dans
l'abîme de l'hérésie, l'histoire nous apprend que le Pontife aussi est tombé
plus d'une fois jusque des sommets du trône patriarcal, entraînant après lui,
dans sa chute, ce qui est bien plus triste encore, le peuple qu'il devait
éclairer. Gardons-nous donc de prophétiser la chute de ceux qui sont encore
debout ; mais, bien plutôt, selon le conseil de l'Apôtre qui parle pour tout
chrétien : que celui qui est debout veille à ne pas tomber (1).
Or donc, pour éviter la chute
lamentable du malheureux prêtre dont nous parlons, que tous les catholiques
s'appliquent à ranimer en eux les principes de soumission au Siège Apostolique,
et considérant que ce prêtre n'est tombé que pour avoir hésité d'abord à se
soumettre à un jugement du Pontife romain, jugement qu'il ne voulait plus
croire irréformable, abjurons pour jamais les désastreuses maximes de
1682, qui furent sa première station dans la voie rétrograde qu'il a suivie
depuis, le premier écueil sur lequel vint heurter sa nacelle désormais
flottante à tous vents.
68
Il me resterait beaucoup à
ajouter sur ce sujet; je ne veux dire qu'un mot, c'est qu'il semble étrange que
ceux-là mêmes qui n'ont que des excuses pour les prélats de 1682, s'avisent
tout d'un coup de pronostiquer la révolte contre les décisions du Saint-Siège,
à ceux qui naguère, dans la plus glorieuse des défaites, ont remporté la
victoire de l'obéissance (1). Il est des faits de ce siècle pour lesquels
l'histoire est déjà ouverte; il est aussi des hommes que l'on calomniait sur
tous lestons, il y a dix ans, et qui n'ont, depuis dix ans, répondu à de dures
attaques que par le silence et par des services. Que l'on prophétise donc tant
qu'on voudra contre eux; ils n'en vivront pas moins; ils continueront
d'implorer l'appui de Celui qui les fortifia au jour de l'épreuve.
J'aborde enfin la troisième
partie de ma Défense. Dans la première, je crois avoir suffisamment
démontré que je , n'ai point professé d'autres maximes
sur le droit liturgique en général, que celles de l'Église, et spécialement du
bref de Sa Sainteté Grégoire XVI. Dans la seconde, on a pu voir que si la
nature de mon travail m'amenait nécessairement à raconter des faits
déplorables, je me suis gardé d'en étendre la responsabilité à ceux qui ne
méritaient pas de la porter, et que je n'ai jamais fait usage de la note d’hérésie et d'hérétique, si ce
n'est dans les cas où elle était bien et dûment applicable. Maintenant, il me
reste à démontrer que je ne suis pas moins innocent du reproche que l'on
m'adresse d'avoir cherché à exciter du trouble dans les diocèses, en poussant à
des bouleversements violents dans les choses de la liturgie.
69
Je pourrais d'abord faire
observer que, dans le cas même où il me fût échappé des
indiscrétions en ce genre, j'aurais du moins cette excuse à produire, que, des
bouleversements liturgiques provoqués par moi dans le but de rétablir l'unité
romaine seraient plus excusables en eux-mêmes que les bouleversements occasionnés au siècle dernier, lorsqu'on arracha des
mains du peuple et qu'on mit, pour ainsi dire, au pilon, dans les deux
tiers de la France, les livres
vénérables de la prière romaine qui régnaient seuls depuis mille ans dans nos sanctuaires, pour les remplacer par
les neuves et suspectes productions de quelques obscurs contemporains. Car enfin, il faut
bien en convenir : la partie n'est pas égale. Tout Français que nous sommes,
les lois générales de l'Eglise sont au-dessus de nous : or, l'unité liturgique
est une loi générale de l'Eglise (1). Si donc nous l'avons enfreinte cette
loi, la conséquence toute naturelle est
que nous devons y revenir, pour peu que nous attachions quelque prix à l’ordre et
à la subordination. La question de temps n'est qu'une question secondaire et
d'une moindre importance. Mieux vaudrait donc pour moi avoir failli en poussant
trop vivement au redressement de ce tort immense, que d'avoir contribué à un
mouvement liturgique en sens inverse de celui-là. Si, par exemple, j'avais eu
le malheur de contribuer au renversement de
la Liturgie romaine dans le diocèse de Quimper où elle régnait
tranquillement en 1835, je me croirais, je l'avoue, une bien autre
responsabilité sur la conscience, que si je devenais tout d'un coup la cause
d'un retour instantané, mais violent, à cette forme vénérable de la prière
publique contre laquelle le nouveau bréviaire
ne pourra jamais prescrire. Cependant,
les auteurs de cette triste révolution n'ont encore
été ni
70
dénoncés, ni flétris ; et moi, me voilà contraint de me
justifier devant l'Église de ces reproches qu'on n'adresse qu'aux novateurs,
tandis que je ne fais, toute la journée, que réclamer contre les innovations.
Mais il est bien d'autres mystères plus étranges que celui-là : je reviens à mon
livre.
Pour l'usage de ceux qui ne
l'ayant pas entre les mains, ne peuvent pas le lire, et aussi en faveur de ceux
qui l'ayant entre les mains, ne le lisent pas (ce qui est très permis aux uns
et aux autres), je vais transcrire les pages de mon second volume desquelles il
appert que, bien loin de provoquer des bouleversements violents dans la
liturgie, j'ai su convenir qu'on ne devait procéder qu'avec prudence, dans
l'œuvre de restauration à laquelle j'aspire.
Au tome II, page 627, après avoir
rapporté le texte de la Lettre pastorale de Monseigneur l'évêque de Langres,
par laquelle ce prélat rétablit dans tout son diocèse la Liturgie romaine, accompagnant cette
démarche de tous les ménagements exigés par les circonstances, j'ajoute ces
paroles : « Qui n'admirerait dans cette lettre vraiment pastorale le zèle de la
maison de Dieu, tempéré par cette discrétion si recommandée par l'Apôtre, et
dont saint Pie V, au XVI° siècle, donna un si éclatant exemple, lors même qu'il
promulguait plus haut le grand principe
de l'unité liturgique. Tous les actes du même genre que notre siècle pourra voir s'accomplir dans l'Église de
France, seront d'autant plus efficaces dans leurs résultats,
qu'ils seront à la fois empreints de vigueur et de modération;
car nous n'avons garde de penser qu'on puisse guérir la partie malade en la
froissant durement et sans pitié. »
Dans la préface du même volume,
craignant que mes intentions ne fussent méconnues, et qu'on ne tirât des
principes et des faits que j'ai exposés, des conséquences contraires à la
tranquillité et au bon ordre des diocèses,
71
je n'ai pas craint de m'exprimer
ainsi : « Toutefois nous éprouvons le besoin de protester contre un abus dans
lequel, malgré nous, la lecture de notre livre pourrait peut-être entraîner
quelques personnes. Il ne serait pas
impossible que certains ecclésiastiques, apprenant par nos récits l'origine peu honorable de tel ou tel livre liturgique en usage dans
leur diocèse depuis un siècle, crussent
faire une œuvre agréable à Dieu
en renonçant avec éclat à l'usage de ces livres. Notre but n'est certainement
pas d'encourager de pareils actes qui n'auraient guère d'autre résultat final
que de scandaliser le peuple fidèle, et d'énerver le lien sacré de la
subordination cléricale. Pour produire un
bien médiocre, on s'exposerait à
opérer un mal considérable. Nous
désavouons donc à l'avance toutes démonstrations
imprudentes et téméraires, propres seulement à compromettre une cause qui n'est
pas mûre encore. Sans doute notre intention est d'aider à l'instruction de
cette cause, et nous la voudrions voir jugée déjà et gagnée par la tradition
contre la nouveauté; mais une si grande révolution ne s'accomplira qu'à l'aide
du temps, et la main de nos évêques devra intervenir, afin que toutes choses
soient comme elles doivent être dans cette Église de Dieu qu'il leur appartient
de régir (1). » Enfin, l'année dernière, ayant donné au public, pour satisfaire
au désir de Mgr l'archevêque de Reims,
une dissertation canonique en forme de Lettre sur le Droit de la Liturgie,
après avoir démontré dans cet opuscule, aussi bien que dans mon grand ouvrage,
que ce n'était point les liturgies diocésaines légitimes que j'attaquais, mais
uniquement les produits de l'innovation qui a chassé de nos églises la Liturgie
romaine ; que le droit de correction liturgique dans les églises non astreintes
aux livres
72
de saint Pie V n'entraîne en aucune
façon le pouvoir d'enlever les bréviaires et les missels à la forme romaine qui
est de droit dans tout le patriarcat d'Occident ; j'en venais à considérer la
situation extrême dans laquelle se trouvent tant d'églises de France, au sein
desquelles le culte divin n'est plus qu'une grande ruine, par l'anarchie et le
désaccord flagrant qui existe entre plusieurs des livres liturgiques, et
l'absence totale de quelques autres. Or, je disais tout tranquillement :
« Cependant mon intention, dans
tout ceci, n'est rien moins que d'exciter des troubles ou de causer dans les
églises de France des embarras d'une nature d'autant plus pénible, qu'une grave
question matérielle viendrait les compliquer encore. Dans les sociétés, les
déviations sont l'œuvre du temps; le temps seul peut y apporter remède. J'ai
professé à ce sujet, dans mes Institutions liturgiques, des principes
qui, si on s'était donné la peine d'en prendre connaissance, m'auraient garanti
du reproche d'injustice et d'exagération que l'on ne m'a pas épargné (1). »
Ensuite, pour appuyer cette
conclusion modérée, j'en venais à produire le bref de Sa Sainteté à Monseigneur
l'archevêque de Reims; car, encore une fois, Monseigneur, c'est à moi que vous
devez la publication de ce bref, dans lequel vous voulez ne voir que la
confirmation de vos principes sur le Droit liturgique. Quoi qu'il en soit, je
faisais suivre le texte du bref des réflexions qu'on va lire, toujours dans le
même but de prévenir les agitations et les mouvements violents :
« Qui n'admirerait cette
modération apostolique qui recule devant les mesures de rigueur; qui, après
avoir, dans un langage si ferme et si précis, montré jusqu'où s'étend le droit
des églises non assujetties aux Constitutions
73
de saint Pie V, et déclaré que ce
droit ne saurait aller jusqu'à changer et remanier à volonté les livres
liturgiques, insinue cependant, avec une bonté paternelle, que le retour aux
traditions de l'Église romaine, ce retour que le Saint-Père attend avec
confiance, devra s'opérer dans le moment favorable et avec les conseils de la
prudence? Il ne serait point d'un habile et paternel médecin de brusquer la
guérison d'une plaie dangereuse et envieillie. Il en arrêtera d'abord les
progrès, il la circonscrira dans des limites de plus en plus étroites, et ainsi
il préparera le jour où il la pourra fermer entièrement.»
« L'usage des livres liturgiques,
arbitrairement rédigés en France depuis un siècle environ, sera donc toléré
encore, et c'est un acte de justice apostolique d'insinuer cette conclusion
pratique; car la génération cléricale d'aujourd'hui est innocente de la faute
de ses pères, et d'ailleurs de grands obstacles matériels viennent à la
traverse. Prions donc pour que ces jours d'isolement soient abrégés, pour que
naissent bientôt ces circonstances favorables dont la prudence de nos prélats
profitera avec empressement (1). »
C'est donc maintenant,
Monseigneur, une chose bien claire et bien démontrée que je n'ai poussé ni à
des mesures violentes, ni à des résistances scandaleuses, dans le but de
rétablir l'unité romaine de la liturgie, et que les personnes qui se plaisent à
me charger de ce grief font peser sur moi une pure calomnie. Quant à la
question considérée en elle-même, il m'est impossible, ce semble, d'aller plus
loin sans désavouer les principes du bref de Sa Sainteté et ceux qui, dans tous
les temps, ont été professés par tout le monde en cette matière.
Au reste, la portée du bref a été
généralement sentie, et de toutes parts
on se réveille, étonné de
voir que
la
74
liturgie soit une chose si
importante, que, trois siècles après le concile de Trente, Rome vienne encore
réclamer l'exécution des décrets que fît cette sainte et auguste assemblée sur
le Bréviaire et le Missel. Pourtant, il eût été possible de s'épargner cette
surprise, en ruminant tant soit peu l'axiome de la tradition : Legem credendi statuat lex supplicandi
; car, après tout, quoi de plus grand, mais aussi de plus invariable, de
plus élevé au-dessus de toute autorité individuelle que la confession même de
la foi? De plus, quand on se rappelle que les trois grandes forces catholiques
des temps modernes ont poussé à l'unité liturgique; quand on voit Charlemagne,
dirigé en cela par les grands Papes de son siècle, saint Grégoire VII, mû par
l'Esprit divin qui reposait en lui, le concile de Trente, éclairé des lumières
du même Esprit, poursuivre avec une vigueur égale l'établissement et
l'organisation de la prière grégorienne dans tout l'Occident; il faut bien
convenir que le génie du catholicisme est là, ou qu'il n'est nulle part.
L'homme même qui n'a pas le bonheur d'être membre vivant de l'Église, sent et
confesse qu'il y a ici quelque chose de grand, qu'il s'agit de la principale
force sociale du catholicisme, de celle qui est à la fois lumière par la
confession la plus haute du dogme, chaleur et vie par l'onction de la prière !
Après cela, il m'est bien égal
d'entendre quelques-uns qui, n'ayant compris la Liturgie que comme une forme
mobile, à l'état diocésain, réglée sans appel par l'autorité de tel ou tel
directeur de séminaire, ne se sont jamais demandé ce que c'est dans l'Église
que la prière publique, de les entendre me dire et me répéter que je perds mon
temps dans des questions de rubriques. Certes, il s'agit bien ici
d'autre chose que de rubriques, et dans tous les cas, ne s'agît-t-il que
de rubriques, il s'agirait de grandes choses, et je le montrerai. Tout
dépend du point de vue; mais, malheur à celui chez qui les instincts de la foi
ne
75
tiennent pas lieu d'une science
spéciale, quand, par une cause ou par une autre, cette science vient à manquer
dans son intelligence! Mais je sens que je m'écarte trop de votre brochure,
Monseigneur; permettez, néanmoins, qu'avant de terminer cette discussion
générale, j'ajoute encore quelques mots.
Si, dans une matière aussi grave
que la liturgie, j'avais lancé des propositions nouvelles et malsonnantes ; si
je m'étais avisé de créer des points de vue inouïs et des applications étranges, je concevrais
l'irritation qu'on a fomentée contre moi. Mais, lorsque je viens à feuilleter
mon livre, et que j'y retrouve cette masse de témoignages puisés dans les
monuments les plus authentiques de la science et de l'histoire ecclésiastiques,
je suis tenté, je l'avoue, de soupçonner quelque partialité en ceux qui se sont
élevés contre moi avec autant de vigueur que si j'eusse pris dans les délires
d'un cerveau malade les assertions de mon livre. Pourtant, ce n'est pas avec
des épithètes plus ou moins dures qu'on se défait de tout un ensemble de faits
historiques et d'autorités respectables : tôt ou tard, un livre, s'il a quelque
fond, se relève de cette épreuve passagère, et la justice commence.
Quand ce jour sera venu (et il
est déjà venu pour beaucoup de personnes), que dira le public de la prévention
avec laquelle ont procédé ceux, par exemple, qui, si jaloux des traditions de
la Sorbonne et du Clergé de France, n'ont eu rien de mieux à faire que de
passer sous un silence prudent les censures motivées de cette même Sorbonne
contre les innovations liturgiques du XVI° siècle (1), et les magnifiques
extraits que j'ai produits des mandements de l'illustre archevêque Languet,
contre le Missel de Troyes, dans lesquels ce grand prélat expose sur la
liturgie les mêmes principes qui me font honnir
76
aujourd'hui (1)? Encore une fois,
tout cela n'aura qu'un temps, et je fais bon marché des attaques lancées contre
moi, tant que je vois que personne de mes adversaires n'a consenti encore à
établir une large et franche discussion, dans laquelle on daignât prendre acte
de mon livre et de tout ce qu'il contient.
Je dois relever ici un fait
caractéristique de la discussion, quoique franchement j'aie honte de discuter
gravement de si puériles imputations. Ce fait demeurera comme un monument de la
controverse actuelle : on pourrait certainement le donner à deviner à ceux qui
ne lisent pas certains journaux, sans aucune crainte qu'ils le pussent jamais
découvrir. Mais enfin quelle est donc cette redoutable fin de non-recevoir
lancée contre un ouvrage dont d'autres estiment du moins la portée grave,
pensant qu'on ne réunit pas pour rien, sur une matière quelconque, un tel
ensemble de faits?
« C'est, dit-on, que l'auteur
prétend que la pointe de nos bonnets carrés est exagérée, que nos chasubles
ressemblent à des étuis de violon; enfin, que dans les livres
liturgiques du siècle dernier on avait introduit des estampes remplies
d'inconvenance. »
Là-dessus, le livre et son auteur
sont jugés; l'un et l'autre sont décidément pour l'Église un objet de scandale.
Puisqu'on m'accuse, je répondrai. D'abord, si les cinq ou six pages qui
contiennent ces détails vous déplaisent, arrachez-les, je vous les livre de
grand cœur ! La portée du livre, s'il en a une, n'est pas là. Revenez à l'unité
liturgique; et l'auteur renoncera bien volontiers à ces quelques lignes qui
vous ont blessés. Voilà ma première réponse.
Entrant maintenant dans le
détail, je dirai que j'ai bien eu le droit de signaler dans la forme des
ornements sacrés
77
les déviations qui s'y font
remarquer, si ces déviations sont réelles et si elles se sont introduites sans
le concours d'aucune autorité ecclésiastique. Or, ces deux choses sont
certaines, de l'aveu de tout le monde.
Qu'il y ait déviation dans la
forme de nos ornements sacrés, il ne faut, pour s'en convaincre, que se donner
la peine de revoir les ornements fabriqués avant 1789, tels qu'on les retrouve
encore dans les sacristies, principalement des cathédrales. Il ne faut que
consulter, comme je l'ai fait souvent, les souvenirs des membres vénérables de
l'ancien clergé. On verra alors que les chasubles et les chapes de cette époque
n'étaient pas raides et étriquées comme aujourd'hui, que les surplis étaient
soumis à un tout autre système de plissage, que les bonnets carrés n'étaient ni
aussi allongés, ni aussi pointus. Il existe, au reste, de nombreux tableaux, de
nombreuses gravures des XVII° et XVIII° siècles sur lesquels figurent tous ces
divers ornements; qu'on se donne la peine de les rechercher, et qu'après avoir
comparé, on prononce.
Maintenant, que ces déviations se
soient introduites sans le concours de l'autorité ecclésiastique, c'est un fait
non moins patent. Dans les anciens conciles, dans les anciens statuts synodaux,
dans les anciens rituels, dans les anciens cérémoniaux, je trouve, sous le
titre de mensurœ sacrœ
supellectilis, toutes les règles pour la
longueur, la largeur, la hauteur de chacune des pièces du mobilier sacré de nos
églises. Qui, aujourd'hui, se met en peine de ces règles? Qui s'avouera
l'auteur officiel de la nouvelle mesure des bonnets, du nouveau système de
plissage des surplis, du choix des dessins à placer sur les étoles, sur les
chasubles, sur les chapes, de l'introduction de ce ridicule bougran qui ôte
pour jamais la qualité de vêtement aux ornements dans lesquels on l'introduit,
etc. Assurément, aucune autorité ecclésiastique n'a sanctionné de pareilles
choses : toute
la responsabilité en est aux
78
industriels qui fabriquent pour
le culte, et poussent sans cesse à de nouvelles modes acceptées avec la
même indifférence que les anciennes ont été rejetées. Avec cela, le sens de
l'esthétique sacrée s'en va de plus en plus : on cesse d'attacher une idée à
des formes extérieures dont rien ne garantit le sérieux et la stabilité ; et le
laid, le bizarre, l'insignifiant s'établissent là même où devraient se trouver
en permanence le beau, le grave, le sublime.
Il faudra pourtant sortir de là.
J'ai signalé dans mon livre les améliorations récentes déjà considérables et
toutes dans le sens d'un retour à l'esthétique des anciens jours. Mais,
puisqu'on m'a reproché d'avoir parlé du bonnet carré et de l'avoir trouvé peu
sérieux dans sa forme pointue, je suis déjà en mesure de produire contre lui de
plus graves autorités que la mienne. Plusieurs de nos archevêques et évêques
l'ont proscrit et remplacé par le bonnet romain; c'est faire assurément
beaucoup plus que je n'ai fait. On laisse dire un auteur; mais, quand un
premier pasteur commande, il faut obéir. J'estime donc l'avenir du bonnet
pointu plus gravement compromis par les actes de ces prélats que par toutes mes
invectives.
Pour ce qui est des étuis de
violon, entendons-nous bien. La comparaison est juste, sans doute ; mais
elle n'est pas de moi. L'illustre Welby Pugin qui jouit de la haute estime de tout l'épiscopat
catholique d'Angleterre et même de l'admiration de bien des gens sur le
continent, a trouvé que le devant de nos chasubles offrait cette similitude
malencontreuse : je me suis permis de le répéter, en citant mon auteur. Quand
je le rétracterais aujourd'hui, s'ensuivrait-il que ce grand et pieux artiste
n'a pas écrit cette parole? Ou encore, ces devants de chasuble en
demeureraient-ils modifiés le moins du monde ? Au reste, c'est encore par
l'effet d'une distraction qu'on m'a imputé d'avoir adopté ce jugement d'un
artiste étranger, pour toute espèce de chasubles. Voici mes paroles :
79
Ces chasubles qu'un inflexible bougran a rendues, dans
leur partie antérieure, semblables à des étuis de violon, pour nous servir de
l'expression trop vraie de l illustre artiste anglais Welby
Pugin (1). Il est donc bien clair que l’inflexible
bougran est la seule cause de ce malheureux effet contre lequel je m'élève. Ce bougran
dont la vogue est inexplicable était inconnu il y a quarante ans : nos
ornements tant soit peu anciens n'en ont jamais eu. Otez-le, et la ressemblance
avec l’étui de violon disparaît avec lui. Le vêtement se prête de
lui-même ; il n'est plus semblable à une planche qu'on a adaptée à un être
humain ; il prend la forme du corps : en un mot, il habille celui qui le
porte.
C'est donc un jugement plus que
sévère que celui qui m'impute d'avoir ridiculisé des objets dont le respect
se confond, dans l'esprit du commun des fidèles, avec celui qui est dû à la
religion même (2) : d'abord parce que je me joins de tout mon cœur au commun
des fidèles pour confondre dans mon respect les ornements sacrés avec la
religion même dont ils font partie : en second lieu, parce qu'il est évident
pour tout le monde que ce ne sont pas les ornements en eux-mêmes que j'ai
attaqués, dans cet ouvrage destiné à faire ressortir la grandeur et la sainteté
du culte ; mais bien les corruptions et altérations qu'on a faites, sans règle
et sans contrôle, de ces objets dont la forme était déjà fixée par l'autorité
compétente. Je passe aux gravures des missels et bréviaires.
J'ai dit, il est vrai, que les
quatre volumes des Bréviaires de Paris et de Poitiers, et aussi le frontispice
du Missel de Chartres offraient des gravures qui me paraissaient inconvenantes
: on m'a reproché d'avoir relevé ce fait. Franchement, je ne m'attendais pas à
ces réclamations.
80
Premièrement, parce que les
personnes qui ont commandé ces gravures, aussi bien que les artistes qui les
ont exécutées, ont disparu de ce monde, depuis assez longtemps. Les livres qui
contiennent ces images sont déjà usés en grande partie, et remplacés par
d'autres, sans gravures la plupart du temps.
Deuxièmement, parce que je ne
suis pas le premier à avoir trouvé de l'inconvenance dans ces estampes peu
liturgiques. Je citerai entre autres le pieux chanoine de la Tour. Dans le
passage que j'ai rapporté plus haut (1),on a vu qu'il
qualifiait de scandaleuses les estampes du Bréviaire de Paris de 1736
qui furent enfin retranchées dans l'édition de 1765. Ai-je dit davantage ?
Troisièmement, parce que je ne
pouvais pas croire qu'il y eût si grand crime à signaler le premier fait
d'envahissement de la forme grossière dans les objets d'église, aujourd'hui que
les bréviaires sont pour l'ordinaire sans estampes, mais que, en revanche, les
murs de nos églises étalent avec profusion, sous les yeux du peuple, les toiles
et les fresques les plus déplorables. Le libertinage des artistes ne se borne
plus à enfouir dans les livres liturgiques ses fantaisies graveleuses, et plût
à Dieu qu'il n'y eût à souiller nos églises que les tableaux commandés et
imposés par le gouvernement.
Pour moi, contraint par mon sujet
d'expliquer une tolérance qui est pour beaucoup de monde un continuel objet de
réclamations, j'ai cru qu'il y avait justice de l'excuser par cette
indifférence en matière d'esthétique dont nous sommes saisis depuis longtemps,
et voilà qu'on m'accuse moi-même de scandale. Oui, certainement, j'ai été
surpris de ces clameurs, et d'autant plus que je m'étais imaginé tout
simplement que si quelqu'un en cela méritait un blâme, c'étaient bien plutôt
les artistes
81
auteurs des gravures que moi-même
qui les dénonçais, après un siècle.
Au reste, le nom seul de Boucher,
auteur des gravures du Bréviaire de Paris de 1736, suffirait bien à tous ceux
qui n'ont pas vu ces gravures pour les leur faire apprécier. Quand je veux
m'expliquer certaines lettres apologétiques de ces misérables estampes,
publiées dans un journal et ailleurs, et me rendre compte des motifs qui ont pu
porter tout d'un coup des gens respectables à prendre fait et cause pour ce
peintre dont la licence est proverbiale, je suis obligé encore de recourir à
cette innocence complète en fait de connaissances en peinture qu'ils
regarderont peut-être comme une injure. Mais, en bonne conscience, est-il
permis de parler de peinture et de gravure, quand on ne sent pas que le nom de
Boucher au bas d'une gravure de bréviaire est déjà à lui seul une haute
inconvenance ? Si l'on croit pouvoir, sans blesser les bienséances, appeler le
trop fameux peintre des Grâces à représenter les Vertus théologales dans
un livre liturgique, pourquoi ne pas demander des cantiques à Voltaire ou à
Béranger ? Ils rimeraient leurs strophes aussi richement pour le moins que Boucher
a su dessiner chastement les Vertus dont il reçut la commande.
On a dit ensuite (1) : mais ces Vertus,
après tout, ne sont pas dans un état de nudité si complète. — Triste excuse
pour des images de bréviaire ! D'ailleurs, quel est le degré de nudité requis
dans une gravure de Boucher pour qu'elle ne puisse plus être admise dans le
livre du prêtre ? Ce qu'il y a de certain, c'est que ces gravures dans
l'édition in-4° de 1736 sont pires que dans les éditions in-12 de la même
année, et de 1738; que, dans l'édition de 1758, elles furent un peu gazées dans
un but
82
de bienséance, et qu'elles
disparurent enfin dans l'édition de 1765 et les suivantes. Certes, pour être
habillée, tant que l'on voudra, l'image d'une courtisane n'en est pas moins
repoussante dans un bréviaire.
Dans tous les cas, je le répète,
personne aujourd'hui ne peut être responsable de ces produits de l'art du XVIII°
siècle. Les estampes du Bréviaire poitevin disparaîtront à leur tour comme
celles du parisien; et il y a fort à parier qu'une nouvelle édition du Missel
de Chartres ne reproduira pas la gravure que portait en tête celui de 1782. En
parlant de ces choses, je croyais donc écrire de l'histoire ; je serais désolé
d'avoir blessé qui que ce fût, et à plus forte raison des personnes que
j'honore profondément et à bien des titres.
Après ces réclamations que
j'adresse à ceux qui m'ont attaqué si violemment sur ce que j'ai dit de
l'altération des ornements sacrés, et des gravures de certains livres
liturgiques, pressé de finir enfin cette lettre, je prends néanmoins la
liberté, Monseigneur, d'ajouter quelques mots encore sur un reproche que vous
m'avez fait, et qui me paraît exiger de ma part une justification.
Vous avez dit, Monseigneur, que
l'histoire de la fabrication des nouvelles liturgies, telle que je l'ai
racontée, était de nature à diminuer le respect que doit avoir pour ces
liturgies le clergé qui en use dans la célébration des offices divins.
Je réponds à cela que ce serait
en effet un grand malheur que la déconsidération qui s'attacherait à ces
formules s saintes et vénérables de la prière publique, dans lesquelles,
suivant l'axiome connu, nous devons aller chercher la règle de la foi.
C'est pour cela même qu'on ne peut se défendre d'un sentiment pénible en lisant
les lettres pastorales placées en tête de la plupart des nouveaux bréviaires du
XVIII° siècle, lorsqu'on entend les prélats déclarer qu'ils ont retranché du bréviaire
antérieur les
83
choses vaines, superstitieuses et peu édifiantes
qu'il renfermait, tandis qu'en définitive on voit qu'ils ont fait disparaître
presque tout l'ensemble vénérable du
Bréviaire romain.
Mais, s'il s'agit des livres
modernes, dont nous connaissons les auteurs, et qui ont été implantés sur les
ruines de ce qui était antique et décrété par l'Église, le mal ne me semble
réel que selon la manière dont on envisage le fait et le droit dans cette
innovation. Pour ceux qui croient que tout a été régulier dans le passé, et
qu'il n'est nul besoin de revenir sur ses pas, je conçois que toute attaque à
la considération dont ils voudraient voir jouir les nouveaux livres leur soit
sensible. Quant à ceux, au contraire, qui penseraient que le remaniement de la
liturgie a été à la fois irrégulier et funeste, et qui appelleraient de tous
leurs vœux, dans le sens du bref de Sa Sainteté, un retour aux anciennes
prières de l'Eglise catholique, il est bien clair qu'ils ne peuvent pas
envisager la question du même point de vue. Je n'ai pas besoin, sans doute,
d'affirmer que ma manière de penser est bien plutôt dans le sens des seconds
que dans celui des premiers. Je devais donc agir en conséquence.
Quant à croire que le silence
gardé par moi sur ces matières eût empêché le clergé de s'occuper des origines
liturgiques, ou que du moment qu'il s'en fût occupé, on aurait pu l'empêcher
d'être choqué d'événements certains en eux-mêmes, mais déplorables ; c'est une
idée qui malheureusement ne se pourrait soutenir. La trouée est faite désormais
par la science moderne dans le domaine des origines et antiquités religieuses,
et l'étude de la liturgie compte maintenant parmi les accessoires obligés de
toute science archéologique et esthétique. Déjà l'éveil nous avait été donné du
dehors sur l'importance architectonique de nos églises. Les symboles confiés à
nos antiques sculptures, à nos vitraux vénérables étaient déjà inspectés avec
zèle
84
par des étrangers, et l'érudition
profane en allait exploiter le monopole, avec plus d'un péril, si un rare et
magnifique dévouement ne fût venu se jeter à la traverse pour sauver notre honneur clérical (1). Le Comité historique des arts et
monuments poursuit en ce moment,
avec activité, des recherches intelligentes sur les couleurs
liturgiques, sur la forme des vêtements
sacrés ; et tandis que nous en sommes encore à produire périodiquement ces
misérables méthodes de plain-chant, destinées à éterniser la dégradation
de cette principale branche de la liturgie, des
sociétés savantes dissertent sur
l'histoire, sur les monuments, et
sur la réhabilitation de l'œuvre
immortelle de saint Grégoire. L'étude
des chartes et des chroniques a
fait découvrir aux apprentis de la
science diplomatique que nous avions remis à neuf les Introït de nos messes,
aussi bien que les verrières de nos absides.
Les travaux récents entrepris
sur la poésie légendaire,
la nécessité de rétablir les textes liturgiques cités en nature ou par
allusion dans tous les monuments du
moyen âge, ont fini par faire remarquer à plus d'un homme sérieux que les livres, dans lesquels nous
chantons aujourd'hui, diffèrent essentiellement de ceux dans lesquels on
chantait au moyen âge. Il est naturel de
rechercher la cause de cette refonte
de la prière publique qu'on croyait inviolable ; arrêterons-nous
ces investigations ? N'est-ce pas après
tout la plus facile des confrontations que celle qui peut se faire, en quelques
minutes, par la comparaison des diverses
éditions du missel, ou du
bréviaire de telle ou telle église ? Mais, quand on aura fixé, au moyen
85
des dates typographiques,
l'époque de l'innovation, n'en
viendra-t-on pas tout naturellement à en
rechercher les auteurs ? Les monuments du XVIII° siècle sont là, au service des
savants laïques aussi bien qu'au nôtre. Seulement, si nous ne prenions les
devants pour désavouer une entreprise contraire, après tout, au génie de
l'Église catholique, et dont, encore une fois, nous ne sommes pas les
complices, ne serions-nous pas en quelque manière responsables des
inconvenances de plus d'un genre qui seraient proférées et écrites sur ces
matières délicates ? Que d'idées incomplètes ! Quelle confusion de faits et de
principes ! Disons le mot, que de scandales au milieu d'une pareille mêlée !
Ne nous faisons donc pas
illusion. La science épuisée de rationalisme et de
recherches matérielles avance de. plus en plus
sur le terrain de la religion qu'elle a entrepris de défricher, trop
humainement, sans doute. Il y a du
danger, assurément, dans cette tendance un peu aveugle et surtout impétueuse ;
il y a du bien aussi. Éclairons donc la route avant le passage de ces hommes
trop désintéressés dans tout ce qui nous
occupe le plus. Afin de montrer nos
institutions dans toute leur grandeur à ces yeux profanes, réformons ce qui a
besoin de l'être ; désavouons du moins
les contradictions dont nous ne pouvons encore anéantir les conséquences
matérielles. Cela nous est d'autant plus
facile, que notre jeune Église du Concordat de 1801 n'a pas de traditions gênantes, et si,
pour nous rétablir en harmonie parfaite avec toutes les autres églises par
celle de Rome, il nous faut retourner à la pure source grégorienne de la
liturgie, disons, à notre tour,
avec franchise, et personne ne s'en scandalisera : Nous n’aurions pas
aujourd'hui à changer de bréviaire
et de missel, si nos pères du XVIII° siècle
n’en eussent changé les premiers.
Mais si le public laïque et
profane est déjà si peu loin de nous sur ce terrain de la liturgie,
j'ose me permettre de
86
de croire, Monseigneur, que la
publication de votre brochure est destinée à hâter sa marche. Mes deux volumes
n'avaient pas occupé la presse profane comme cet opuscule a su le faire. On veut désormais
savoir ce qu'il y a au fond de ces questions, et les plus incompétents, sous le
point de vue scientifique, ouvrent néanmoins les oreilles, au bruit des libertés
du royaume de France violées et foulées aux pieds. On entend prendre fait
et cause en cette matière toute cléricale maintes gens qui seraient fort en peine de réciter couramment leur Pater,
ou leur Credo. Le plus étrange dans tout cela, c'est que les invectives et
les menaces de cette foule me viennent
chercher, moi novateur insigne, tandis que les éloges, les félicitations
montent vers vous, Monseigneur,dans un accord vraiment
inexplicable. Après le Journal des Débats, il vous a fallu subir le Siècle,
la Gazette de France, le Courrier Français, et plusieurs autres
non moins profanes, entre lesquels je dois citer l’ Émancipation,
qui a cru devoir intituler un article : Opposition de Monseigneur
l'archevêque de Toulouse à la réaction
jésuitique. Puis, est venu M. Dupin, dans son célèbre éloge de Pasquier; puis M. Isambert, dans sa philippique
annuelle à la Chambre des députés, et chacun sait si l'un et l'autre ont parlé
dans le sens de mon livre. Ce n'est donc
pas tout à fait ma faute si la question liturgique a pris tout d'un coup un si vaste développement, et, assurément, ce
n'est pas moi non plus qui lui ai imposé cette étrange
couleur.
Le moment est venu, Monseigneur,
de clore cette lettre déjà beaucoup trop longue; mais l'importance du sujet, la
vigueur de votre attaque, la gravité des reproches que vous m'avez adressés
m'ôtaient la possibilité d'être court
dans ma défense.
J'ai parlé avec liberté et
franchise, comme il convenait devant le public, au tribunal duquel vous avez
cru devoir
87
en appeler contre moi. C'est à lui
maintenant de juger et de prononcer.
Que si, dans le cours de cet
écrit, il m'était échappé : quelque
chose qui outrepassât les bornes de la légitime i défense, je serais prêt à le
désavouer comme contraire non seulement à mon devoir, mais encore à mon intention.
Enfin, Monseigneur, permettez-moi
de finir cette lettre comme je l'ai commencée, c'est-à-dire en rappelant le
souvenir de l'action glorieuse, qui, il y a trente ans, vous marqua pour jamais
du sceau des confesseurs de la liberté ecclésiastique. Qu'importe, après tout,
que vous ayez vaincu ou non, aujourd'hui, dans cette polémique d'un moment avec
un homme obscur, quand l'Eglise garde chèrement la mémoire des combats que vous
livrâtes pour elle sur le plus formidable des champs de bataille ? Regardez en
arrière, Monseigneur : votre triomphe est assez beau. Si donc, en ce moment,
par la permission divine, je me trouvais avoir remporté une humble victoire, ce
ne serait pas à moi qu'elle serait due, mais à la Vérité seule, à la Vérité qui
est au-dessus de tous, parce qu'elle est la Lumière et la Vie.
Agréez, je vous en supplie,
Monseigneur, l'hommage du profond respect avec lequel je veux toujours être,
DE VOTRE GRANDEUR,
Le très
humble et très obéissant serviteur,
Fr. Prosper
GUÉRANGER,
Abbé de
Solesmes.
L'ÉGLISE DE FRANCE INJUSTEMENT FLÉTRIE, ETC. (*)
Examen des reproches faits par
Dom Guéranger aux Bréviaires et Missels de Paris, adoptés dans les trois quarts
des autres diocèses (1). [p. 45]
Le premier prélat français que
Dom Guéranger accuse de l'hérésie liturgique (2) est François
de Harlay, archevêque de Paris, et il faut voir comment il le traite (3). Cet
archevêque, comme plusieurs prélats, faisait une guerre opiniâtre au
Saint-Siège et à ses doctrines. Et ne croyez pas que cette guerre ne
regardât que les principes dits ultramontains : il est trois points sur
lesquels l’école française d'alors (par conséquent Fr. de Harlay)
n'était que trop unanime: 1° diminuer le culte des saints; 2° restreindre
les marques de dévotion envers la sainte Vierge ; 3° comprimer
l'exercice de la puissance des Pontifes romains. Aussi trouve-t-on dans le
Missel de Harlay, de honteuses et criminelles mutilations, des témérités
coupables ; encore est-on loin d'avoir signalé toutes celles qui paraissaient
dans cette œuvre ; elle renfermait en outre les plus singulières
contradictions... Étrange nécessité que subira la révolte jusqu'à la fin, de se
contredire d'autant plus grossièrement, qu'elle se donne pour être plus
conséquente à elle-même (4). [p. 46]
COUP D'OEIL SUR LES ACCUSATIONS DE DETAIL PORTEES PAR MONSEIGNEUR l'ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE CONTRE LES Institutions liturgiques.
Dans cette courte revue, je
mets sous les yeux du lecteur le texte même du Prélat, plaçant en regard mes
observations et mes réponses, à l'aide de renvois.
92
Voilà bien l'œuvre liturgique de
Fr. de Harlay qualifiée de révolte, accusée de criminelles mutilations, de
témérité coupable. Eh bien ! qui croirait que le même
prélat se trouve, quelques pages plus haut et quelques pages plus bas, justifié
par son accusateur lui-même, presque sur tous ces chefs (1). « On ne peut nier,
dit-il, que l'archevêque de Harlay n'eût le droit de travailler à la réforme du
bréviaire de son Église, puisque l'Église de Paris s'était maintenue en
possession d'un bréviaire particulier.
« Il ne pouvait être blâmable
d'avoir rétabli certains usages... dont la pratique avait été momentanément
suspendue.
« Dans le cas d'une
correction....., c'était une chose louable de remplacer certaines homélies (2)
de livres faussement attribués aux saints Pères.
« Il était louable également de
choisir dans les monuments de la tradition, des endroits où les saints Docteurs
réfutent... les erreurs anciennes et modernes.
« Il est vrai même de dire que le
Bréviaire de Harlay présenta dans sa rédaction un certain nombre de passages dirigés
expressément contre la doctrine des cinq propositions.
« Les légendes des saints...
pouvaient avoir besoin d'être épurées. [p. 47]
« Il pouvait être besoin
d'ajouter quelques hymnes pour accroître la solennité de certaines fêtes (3). »
Il y a quelque chose de plus, et
qui doit être d'un grand mérite aux yeux de Dom Guéranger ; c'est que le
Bréviaire de Harlay avait retenu un vaste ensemble du Bréviaire romain (4).
Mais à tel point que « l'on peut
dire encore, sous l'épiscopat de François de
Harlay, et sous celui du cardinal de Noailles, que la Liturgie de Paris était
et demeurait la Liturgie romaine... Aussi
voyons-nous le docteur
93
94
Grancolas consacrer un chapitre
entier à démontrer en détail l'identité générale du Bréviaire de Paris avec le romain.
»
Pour achever l'éloge du Bréviaire
de François de Harlay (1), Dom Guéranger nous
dit que le nouveau bréviaire avait résisté à l'envahissement des nouveautés, et
fortifié même en plusieurs endroits les dogmes de l'Église attaqués à cette
époque.
Je laisse à d'autres le soin de concilier ces éloges avec
les accusations que nous avons vues plus haut (2). Il ne nous reste qu'à
examiner dans le détail les reproches faits à ce bréviaire, dont on reconnaît
cependant à peu près l’identité presque générale avec le romain ; ces reproches
ne manquent pas (3). [ p. 48]
§ Ier . Reproches
faits au Bréviaire de François de Harlay.
Pour ne rien oublier, l'Abbé de
Solesmes attaque d'abord le titre du bréviaire (4), « qui était purement et
simplement celui-ci : Breviarium Parisiense. »
« On ne lisait plus à la suite de
ces deux mots, comme dans toutes les éditions précédentes depuis 1584,. ces paroles, ad formam Concilii Tridentini restitutum...
Certes, cette suppression..... présageait
bien ce qu'on allait trouver dans l'ouvrage. »
Comme je n'ai pu me procurer
aucun exemplaire des Bréviaires de Paris antérieurs à celui-ci (5), je ne me
permettrai pas de nier qu'ils portaient le titre que Dom Guéranger leur donne;
mais j'en doute beaucoup. Ce qui prouverait qu'ils ne le portent pas, c'est
que, dans le chapitre précédent, où cet auteur énumère les diocèses qui, depuis
le concile de Trente, adoptèrent purement et simplement le Bréviaire de saint
Pie V, ou qui se contentèrent
95
96
de réformer leur propre bréviaire à
l'aide des livres romains, il marque avec soin ceux qui ajoutèrent au titre la
clause : ad romani formam, ou ex decreto Concilii Tridentini. Or, quand il s'agit du Bréviaire de Paris,
il dit que l'on ne fit qu'épurer les anciens livres à l'aide de ceux de saint
Pie V, sans dire un mot de la clause en question (1). [p.49]
Ensuite, après quelques reproches
vagues de changements, l'Abbé de Solesmes en vient aux détails ; écoutons-le.
« L'office presque entier de la
sainte Trinité avait été réformé. »
Toutes les leçons sont les mêmes
; les hymnes sont sans comparaison plus belles dans le parisien; nous parlons
ailleurs du choix des antiennes (2).
« Les leçons de l'octave du Saint
Sacrement, si belles dans le romain, avaient été remplacées par d'autres. »
On en a conservé plusieurs du
romain, particulièrement celles qui servent à prouver, par la tradition des
saints Pères, la présence réelle de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie. Celles
qu'on a remplacées par d'autres, renfermaient, il est vrai, des leçons de
piété, et on a mis à la place d'autres textes des Pères qui font un ensemble de
preuves accablantes contre les hérétiques modernes (3). [p. 50]
Il est vrai que Dom Guéranger ne
trouve pas cela fort bon (4).
« Étrange préoccupation, dit-il,
de considérer le Bréviaire comme un arsenal de controverse, un supplément aux
traités qu'on étudie dans l'école ! »
Mais quoi de plus utile que de
faciliter aux ecclésiastiques la connaissance des saints Pères, par lesquels on
peut combattre victorieusement l'hérésie (5) ?
Du reste, ici Dom Guéranger me
paraît tomber en contradiction avec lui-même, puisqu'il trouve mauvais que les
bréviaires renferment ces beaux monuments de la tradition ;
97
98
tandis qu'ailleurs, il reproche aux
rédacteurs d'avoir voulu n'employer dans les offices que les paroles de la
sainte Écriture, pour abandonner, comme Luther, la tradition (1).
« Si l'on demande, dit-il, à
quelles sources avaient été puisées ces modernes formules; » (ne dirait-on pas
que source en est mauvaise ?) (2) « on trouvera que des phrases de l'Écriture
sainte en avaient exclusivement fait les
frais. Les paroles consacrées par la
tradition avaient dû céder la place à ces centons bibliques (expression
bien inconvenante) (3), choisis par des mains suspectes. » Plus bas il attribue
formellement aux rédacteurs des bréviaires, et par là aux évêques qui les ont approuvés, l'intention hérétique de
Luther, d'exclure la tradition (4). [p. 51]
« C'est aussi, dit l'Abbé de
Solesmes, le principe de Luther dans sa réforme liturgique, quand il disait :
Nous ne blâmons pas ceux qui voudront retenir les introït des Apôtres, de la
Vierge et des autres saints ; lorsque ces trois introït sont tirés des
Psaumes et autres endroits de l'Écriture. » Il venait de dire : Nous ne
saurions nous empêcher de protester énergiquement contre cette maxime
protestante. »
On ne pouvait pas intenter une
accusation plus injuste. Il prétend que François
de Harlay, dans la préface de son bréviaire, a avoué en partie cette intention.
« Maxime protestante, dit-il, qu'on n'avait pas osé avouer tout entière dans la préface du
bréviaire. » On l'avait donc avouée en partie.
Veut-on voir comment ? Écoutons François
de Harlay
dans cette même préface : « Ce que nous avons, dit-il,
ajouté, a été tiré, ou des écrivains les plus recommandables, la plupart
contemporains, ou à peu près, des événements qui sont rapportés, ou des sources
les plus authentiques des saints Pères, préférant même les plus [p.52]
99
100
anciens ; ou enfin, et
surtout, des oracles sacrés de la sainte
Écriture (1).
La maxime protestante, que Ton ne
veut se servir que de l'Écriture et qu'on rejette la tradition, est-elle ici le
moins du monde avouée? N'est-elle pas au contraire manifestement combattue (2)
? Et qui pourrait croire qu'elle eût été énoncée dans la préface du missel,
comme ose le dire Dom Guéranger ? Les paroles qu'il en cite, fussent-elles
fidèlement rapportées (3), sont bien loin de contenir une semblable hérésie.
Mais allons au fait : Y a-t-il au
monde un bréviaire où l'autorité de la tradition soit plus expressément
reconnue et les monuments traditionnels plus multipliés que dans le Bréviaire
de Paris, même dans celui donné par Charles de Vintimille ?
(Suit une discussion à l’ effet de montrer par des passages du Bréviaire de
Vintimille, que dans ce livre on admet les monuments de la tradition comme
dépositaires de la foi catholique. Qui jamais a nié cela ? Les jansénistes en
appelaient à saint Augustin et aux autres Pères qu'ils prétendaient leur être
favorables ? Ils compilaient même les passages des saints Pères en faveur de la
présence réelle, témoin la Perpétuité de la foi. Cela les empêchait-il de
remplacer par des textes nouveaux les formules traditionnelles de la liturgie
qui contenaient la foi de l'Église, et qui avaient pins d'autorité pour appuyer
les dogmes que telles phrases de l'Écriture et des Pères, nouvellement et
arbitrairement alléguées par une autorité individuelle et locale ? On peut voir
sur cette question l'archevêque Languet.)
Revenons à l'examen des reproches
de détail. [ p. 55]
« Les correcteurs du bréviaire
déshéritèrent l'Église de Paris de sa
vieille gloire, d'être fille de saint Denys
101
102
l’Aréopagite ; ils portèrent leur
main audacieuse sur le fameux prodige qui suivit la décollation du saint
fondateur de leur propre Église. »
Je sais que des auteurs graves
soutiennent que le premier évêque de Paris a été saint Denys l'Aréopagite;mais l'opinion contraire a prévalu. Dom Guéranger convient
que les légendes des saints propres aie Bréviaire de Paris pouvaient avoir
besoin d'être épurées. On a cru devoir épurer celle-là; Dom Guéranger pense
autrement : la question est de savoir qui a raison (1).
Je fais la même réponse aux
questions semblables, par exemple à celle de savoir si Marie, sœur de Lazare,
était la femme pécheresse dont parle saint Luc ; il me semble difficile de le
croire d'après le texte de l'Évangile (2). [ p. 56]
Quant au fameux prodige qui
suivit la décollation de saint Denys,
qui, d'après l'ancienne légende, porta sa tête, en faisant quelques pas,
après qu'on la lui eut coupée, j'en demande pardon à Dom Guéranger; mais il ne
fait pas ici preuve d'une saine critique : on peut dire que personne n'admet ce fait comme
probable. Les partisans mêmes de l’aréopagitisme, c'est
l'expression de Dom Guéranger
(3), ne se sont pas mis en peine de le défendre. Hilduin
est le premier, et peut-être le seul, qui Tait sérieusement rapporté. L'auteur de l’
Histoire de l'Église gallicane, que l'Abbé de Solesmes ne doit pas suspecter, traite ce miracle de
tradition populaire, qui a pu venir de ce que les peintres représentent
quelquefois les martyrs qui ont été décapités, portant leur tête entre leurs
mains (4).
Notre auteur passe ensuite au
culte de la sainte Vierge. « Nous voyons, dit-il, qu'il avait été grandement
diminué. On avait supprimé les bénédictions de
l'office de Beata qui étaient propres à
l'Église de Paris. » Pour connaître la
vérité de ceci, de même que de tous les
changements que l'on dit avoir été faits dans le bréviaire nouveau, il faudrait
avoir sous les yeux un exemplaire
103
104
des
bréviaires antérieurs, et je n'ai
pu m'en procurer aucun (1).
Du reste, cette allégation n'a, à
mes yeux, aucune vraisemblance. Dans le Bréviaire de Harlay, je trouve pour
deuxième bénédiction de l'office de Beata in sabbato, celle-ci qui est toute en l'honneur de la
sainte Vierge : Alma virgo virginum
intercedat pro nobis ad Dominum. Les trois bénédictions du petit office sont
toutes à la louange de la Mère de Dieu : quel motif aurait pu engager a faire
le changement dont on parle (2) ?
« Les capitules du même office,
dans lesquels 1 Eglise romaine applique à Marie plusieurs passages des livres
sapientiaux qui ont rapport à la divine Sagesse, avaient été sacrifiés. »
Ces capitules étaient donc
propres au Bréviaire romain. Pourquoi voudrait-on que le Bréviaire de Pans eut
abandonné ses propres capitules tirés des prophètes, et qui annoncent les
grandeurs de la sainte Vierge, pour prendre ceux du romain, fort beaux, je
l'avoue, mais qui ne s’appliquent à Marie que dans un sens accommodatif
(3) ? Ce qui est remarquable, c'est que nous verrons Dom Guéranger blâmer
les rédacteurs du Bréviaire parisien de l'emploi de l'Écriture dans ce même
sens (4). [ p. 57]
« Le Bréviaire de Paris ne
contenait plus cette antienne formidable à tous les sectaires : Gaude, Maria
Virgo, cunctas hœreses sola interemisti
; ni cette autre . Dignare,
etc., etc. »
Il faut toujours en venir à
savoir si ces antiennes étaient dans l'ancien Bréviaire parisien (5); et quand
cela serait, il y aurait encore à examiner si elles n'ont pas été remplacées
par des textes de l'Écriture au
moins aussi expressifs (6).
« Mais on ne s'était pas arrêté
là : le Bréviaire de Paris... fournira désormais des armes contre la vente de
la glorieuse Assomption de Marie; car, pourquoi avoir
105
106
retranché ces belles paroles de
saint Jean Damascène dans la sixième leçon : Hanc
autem verè beatam, etc. [ p. 59]
Que dom Guéranger se rassure : le
Bréviaire de Harlay a des leçons du même Saint qui disent l'équivalent en ces
termes : Si tamen sanctissimum ac
vitalem ipsius somnum mortem appellare fas est : nam quœ
veram vitam cunctis protulit, qui tandem mortem degustare aut ei obnoxia esse
queat (1).
Un prélat italien, très peu
favorable aux Français, faisait au Bréviaire de Paris un reproche tout opposé ;
et il remarquait que l'on était allé plus loin que Rome, en faveur de
l'Assomption delà sainte Vierge,en ce que l'oraison de cette fête dans le
Bréviaire romain ne dit pas un mot de l'Assomption de la sainte Vierge; tandis
que l'oraison du Bréviaire de Paris dit expressément que la Mère de Dieu, tout
en subissant la mort, n'a pu être retenue dans ses liens : In qua sancta Dei genitrix mortem subiit temporalem, nec tamen mortis nexibus
deprimi potuit, quœ Filium tuum,
etc. (2). Il est assez clair que l'Église enseigne moins expressément le fait
de la résurrection de Marie en rapportant le texte d'un saint Père qui le
suppose ou le raconte, qu'en l'affirmant elle-même (3).
« Pourquoi, le quatrième jour
dans l'octave, avoir retranché les trois leçons dans lesquelles le même saint
Jean Damascène raconte la grande scène de la mort et de l'Assomption corporelle
de la mère du Sauveur ? » Il y a une réponse fort simple à faire ; c'est que ce
jour-là l'Église de Paris a pour leçons du deuxième nocturne le récit de la
victoire de Philippe le Bel, qu'elle attribue, avec ce Roi vainqueur, à la
protection de la sainte Vierge et dont elle lui rend grâces (4). [ p. 60]
On peut penser encore que les
rédacteurs du bréviaire n'ont pas jugé les faits racontés par saint Jean
Damascène assez authentiques pour les consigner dans la liturgie. Benoît XIV,
qui les a discutés avec soin, n'a voulu
rien
107
108
affirmer à cet égard : Nos in utraque controversia, tum de anno, tum
de loco quo obiit B. Virgo,
nullius partes sequimur
(1).
Voici une accusation plus
sérieuse, mais qui repose sur un fait absolument faux.
« On avait supprimé le bel office
de la Visitation en masse. »
On n'a qu'à ouvrir le Bréviaire
de Fr. de Harlay, et même celui de Charles de Vintimille, et on y trouvera, au
2 juillet, l'office de la Visitation de la très sainte Vierge en masse,
du rit double-majeur, avec ses belles hymnes, ses
neuf leçons, ses antiennes propres (2). Dans le Bréviaire de Vintimille, il y a
une hymne de plus, ce qui prouve que l'on n'était pas devenu plus hostile au
culte de la sainte Vierge (3).
Dom Guéranger n'accuse pas la
commission du bréviaire d'avoir supprimé en masse l'office de l'Annonciation
de la sainte Vierge ; mais il lui fait un crime presque aussi grand d'avoir
changé seulement le titre de cette fête. « Dans la plupart des églises de
l'Occident comme de l'Orient, la solennité du 25 mars était appelée l’ Annonciation
de la sainte Vierge; par quoi l'Église voulait témoigner de sa foi et de sa
reconnaissance envers celle qui prêta son consentement pour le grand mystère de
l'incarnation du Verbe. La commission osa s'opposera cette manifestation de la
foi et de la reconnaissance... et décréta que cette fête serait désormais et
exclusivement une fête de Notre-Seigneur, sous ce titre : Annuntiatio
Dominica. » [ p. 61]
Nous verrons plus tard, que,
d'après Dom Guéranger lui-même, la commission qu'il accuse de cette intention
impie, était composée presque en entier d'hommes savants et respectables, qui
ne pouvaient vouloir s'opposer à la manifestation de la foi et de la
reconnaissance envers la Mère de Dieu (4).
109
110
Le seul mot Annonciation
rappelle nécessairement la Vierge pleine de grâces à qui le grand
mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu fut annoncé. [p. 62]
Comment Dom Guéranger peut-il
imputer à la commission d'avoir par ce seul titre décrété que cette fête serait
désormais EXCLUSIVEMENT une fête de Notre-Seigneur ? Tandis, surtout,
que l'office tout entier, les hymnes, les versets, l'invitatoire, les leçons,
les répons, tout enfin est en l'honneur de la sainte Vierge ; partout il y est
parlé de sa virginité et de sa maternité divine : et on vient nous dire qu'on a
voulu l'exclure de cette fête (1) !
Tels sont les reproches faits au
Bréviaire de Fr. de Harlay pour prouver qu'on a voulu diminuer la dévotion à la
sainte Vierge. Dom Guéranger passe ensuite à ce qui regarde l'autorité du
Pontife romain. [p. 63]
« D'abord, dit-il, François
de Harlay décréta que la fête de saint Pierre serait descendue au rang des
fêtes solennelles mineures. »
Si, dans le bréviaire antérieur,
cette fête était en effet du rit solennel majeur, je ne chercherai pas à
excuser le changement (2).
Dans le Bréviaire de 1828, elle a
été élevée (3} au rit solennel majeur ; il en a été de même dans le Bréviaire
de Toulouse.
« Les légendes qui racontaient
les actes d'autorité des Pontifes romains dans l'antiquité, furent modifiés
d'une manière captieuse... Nous n'en citerons qu'un exemple entre vingt; c'est
dans l'office de saint Basile. Il y est dit de ce Saint : Egit apud sanctum Athanasium
et alios Orientis episcopos ut auxilium ipsi ab Occidentalibus episcopis
postularent. » [ p. 64]
Voilà qui est bien positif. On a
modifié captieusement, dans Tintention d'affaiblir
l'autorité du Saint-Siège, la légende de saint Basile. Mais quelle est cette
légende qu'on a modifiée? Est-ce celle du
Bréviaire romain (4)?
111
112
Elle ne fait aucune mention du recours des évêques d'Orient
au Saint-Siège. Sont-ce les monuments anciens d'où le fait est tiré, qui ont été modifiés, altérés par les correcteurs du Bréviaire
de Paris ? Du tout ; le monument où l'on a pris ce fait, c'est la lettre même
où saint Basile dit à saint Anathase qu'il faudrait
recourir aux évêques d'Occident. Or, la légende du Bréviaire de Paris rend très
fidèlement le texte de la lettre de saint Basile. L'Église d'Orient étant
persécutée par Valens, empereur arien, ce grand évêque écrit à saint Athanase
qu'il ne sait qu'un moyen de soutenir la foi attaquée, qui est d'exposer les
maux dont ils sont accablés, aux évêques d'Occident, afin que ceux-ci viennent
à leur secours. Voici les propres paroles de saint Basile : Dudum novi... unam Ecclesiis nostris viam, si
nobiscum conspirent Occidentales episcopi.. Mitte
aliquos ex sancta tua Ecclesia viros in sana doctrina potentes ad Occidentales
episcopos : expone illis calamitates quibus premimur. [ p. 65]
Où est donc l'altération de la
lettre de saint Basile (1) ? L'Abbé de Solesmes voudrait-il blâmer les
correcteurs de l'avoir rendue fidèlement? C'est en vain qu'il nous parle d’appel,
lequel ne pouvait avoir lieu qu'autant que c'était au Saint-Siège qu'on avait
recours. Il ne s'agit pas ici d'appel : l'affaire avait été jugée par le
concile de Nicée ; c'est l'unité de doctrine entre les évêques de l'Occident et
de l'Orient que l'on veut opposer aux ariens et à Valens qui les soutenait ;
saint Basile le dit expressément (2).
Il y a d'ailleurs une réflexion
bien simple à faire, pour justifier les auteurs de la légende. Qui les
obligeait de rapporter un fait, dont il n'est pas question dans le Bréviaire
romain, et qui est favorable à l'autorité du Saint-Siège ? Ils n'avaient qu'à le passer sous silence
(3).
Dom Guéranger a donc calomnié ici
les rédacteurs du bréviaire. Il les calomnie encore, quand il cite les légendes
de saint Athanase et de saint Etienne comme ayant été [
p. 66]
113
114
altérées, toujours dans l'intention
d'affaiblir l'autorité du Saint-Siège.
La légende de saint Athanase, du Bréviaire parisien, en dit
plus en faveur de cette autorité, que celle du Bréviaire romain. Le Bréviaire
romain dit seulement que ce saint fut souvent rétabli dans son siège par
l'autorité de Jules, Pontife de Rome, par la protection de l'empereur Constant,
et par les décrets des conciles de Sardique et de
Jérusalem : Sœpè è sua Ecclesia
ejectus, sœpè etiam in eamdem, et Julii Romani Pontifias auctoritate,
et Constantis Imperatoris patrociniis, decretis quoque concilii Sardicensis, ac Jerosolymitani restitutus est.
Le Bréviaire de Paris dit, de
plus, que les ennemis de saint Athanase l'accusèrent auprès du Pape Jules ; ce
qui montre que les Orientaux reconnaissaient l'autorité du Pontife de Rome: Ab inimicis, tam apud Julium Papam, quam
apud Constantium Imperatorem, est impetitus. On ajoute que le Pape
Jules le déclara innocent dans un concile de cinquante évêques : A Julio
Papa in Synodo quinquaginta
episcoporum innocens declaratus, etc. Où est donc cette altération qui tend
à diminuer l'autorité du Pape dans la légende de saint Athanase (1) ?
Quant à la légende de saint
Etienne, le Bréviaire parisien y dit les mêmes choses que le romain sur la
controverse relative au baptême des hérétiques. Il rapporte ce mot si concis
par lequel le Pape décida la question : Nihil innovetur
nisi quod traditum est.
Il est vrai que l'on y fait
mention de la fraude par laquelle Basilide, évêque d'Espagne, qui avait été
déposé dans un concile pour cause d'idolâtrie, parvint à être rétabli par le
Pape Etienne ; mais ceci ne nuit en rien à l'autorité du Saint-Siège : le
recours de Basilide au Pape prouve au contraire cette autorité (2). Il faut en
dire autant de ce qui est rapporté dans la même légende, que Marcien, évêque
d'Arles, s'étant joint au parti des Novatiens,
115
116
Faustin de Lyon, et ensuite saint Cyprien, en donnèrent avis
à saint Etienne, et lui conseillèrent (1) d'adresser des lettres aux évêques de
la province et au peuple d'Arles, pour que l'on rejetât Marcien, et qu'un autre
fût mis à sa place : his (Novatianis)
cum se Marcianus Arelatensis adjunxisset, Stephanns primum à Faustino Lugdunensi, subindè à sancto
Cypriano monitus est in hune modum : Dirigantur in provinciam et ad plebem Arelate
consistentem à te litterœ, quibus, abstento Marciano,
alius in loco ejus substituatur.
Ce récit confirme
parfaitement, au lieu de
l'attaquer, l'autorité de l'Église romaine (2).
Dans tous les cas, il faudrait
vérifier si cette légende n'était pas dans
les anciens bréviaires de Paris (3). [p. 68]
« L'esprit qui animait
l'archevêque de Harlay parut surtout dans la suppression de deux pièces. La
première est le fameux répons de saint Pierre, où on lisait ces paroles : Tibi tradidit Deus omnia regna mundi.
»
Ce répons était-il dans les
bréviaires antérieurs ? J'en doute fort (4). Une raison assez simple de ne pas
l'y introduire, était la règle qu'on s'était faite, de n'employer que des paroles
de l'Écriture
dans ces parties de l'office (5).
Si l'on veut prendre
littéralement les paroles citées, il faut dire que,même
sous le rapport temporelle Souverain Pontife est le roi universel du monde :
était-il sage de susciter en France des disputes à cet égard (6) ?
« La seconde (pièce) est une
antienne... où on loue (les saints Papes) de n'avoir pas craint les puissances
de la terre ? Dùm esset summiis
Pontifex, terrena non metuit, sed ad cœlestia régna gloriosus migraine. » Il faut vouloir tout blâmer pour
faire un pareil reproche.
117
118
D'ailleurs Dom Guéranger altère (1) le texte ; terrena ne signifie pas les puissances, mais tous
les maux que l’on peut craindre sur la terre (2).
« Nous ne pouvons nous dispenser
de mentionner deux changements, dont les motifs nous paraissent du moins
inexplicables... Le public se demanda donc par quel motif François
de Harlay avait retranché dans l'hymne du dimanche à matines... les strophes suivantes Jam nunc, etc. »
Ce reproche est si mal fondé, que
je me dispenserai d'y répondre : à coup sûr le public ne
s'occupa guère du retranchement (3).
Après la critique du bréviaire, l'Abbé de Solesmes attaque le missel.
« François
de Harlay (en ne voulant composer les introït que des paroles de
l'Écriture) expulsa de l'Antiphonaire grégorien toutes ces formules
solennelles, touchantes, poétiques, mystérieuses, dogmatiques. » Nous avons
déjà répondu au reproche de n'employer que les textes de l'Écriture (4).
« Ainsi tombèrent ces introït
qui avaient, il est vrai, déjà été interdits par Martin Luther, tels que celui
de la sainte Vierge : Salve, sancta parens, etc. » Je ne veux pas me donner le tort que Dom
Guéranger s'est donné, en critiquant des formules de prières consacrées par
l'Église (5) ; mais on peut dire que cet introït n'est pas de ceux que
l'on peut appeler touchants et poétiques (6). Il n'est pas tiré des anciens
Pères de l'Église : on l'a pris dans Sédulius, né en 1537,
mort en
1631 (7).
« Et cet autre, de l'Assomption, Gaudeamus
omnes in Domino, etc. »
Cet introït ne dit rien de
spécial pour la fête de l'Assomption ; il peut aller à toutes les solennités de
la sainte Vierge, en changeant seulement le nom de la fête. On en
119
120
a fait l'introït de la fête du
saint Cœur de Marie (1), de Notre-Dame de la Merci au 24 septembre (2), et même
de la Toussaint. Nous avons en effet à nous réjouir aussi du triomphe des
saints, et les saints Anges ne cessent d'en louer le Seigneur.
(Monseigneur l’Archevêque de
Toulouse emploie les six pages suivantes à faire la comparaison des
introït, offertoires, etc., substitués par François
de Harlay aux pièces romaines qui se lisaient dans le parisien antérieur. Il
trouve les morceaux nouveaux supérieurs aux anciens. On sent qu'il est
impossible de suivre le prélat dans cette discussion. Tout serait renversé dans
l'Église, comme dans toute société, s'il
était permis aux pouvoirs inférieurs de
refaire sous prétexte de perfectionnement
les formules sociales imposées par l’autorité supérieure. Ce serait proclamer l'insurrection. Nous
pouvons raconter ces faits, chercher peut-être à les excuser ; mais les
justifier, c'est vouloir ébranler cent autres principes bien autrement
importants qu'un introït, ou un
offertoire. Quant à la question littéraire,
sa solution dépend du point de vue que l'on prend. Y a-t-il dans
Homère un seul vers qu'on ne pût refaire
avec plus ou moins de succès ? et cela empêche-t-il
l'Iliade d'être une œuvre sublime ? Ainsi en est-il de la Liturgie romaine : il
faut la voir d'ensemble, dans tous ses rapports avec l'antiquité, l'histoire,
le droit canonique, la mystique, la poésie : faute de cela, on ne la comprendra
jamais.
Après l’énumération dont je
viens de parler, Monseigneur l'archevêque de Toulouse reprend en ces termes la
série des reproches qu'il a cru devoir m'adresser) :
Enfin, parlant toujours de François
de Harlay avec cette indécence qu'il emploie envers d'autres prélats, l'Abbé de
Solesmes déclare être bien loin d'avoir signalé [ p.
75]
121
122
toutes les témérités qui
paraissaient dans cette œuvre.
« Elle renfermait en outre,
ajoute-t-il, les plus étonnantes contradictions. Suivant le plan de réforme
tracé dans la lettre pastorale, toutes les parties chantées du Missel devaient
être tirées de l'Écriture sainte ; cependant les proses ou séquences, qui sont
bien des parties destinées à être chantées, avaient été conservées.....Étrange
nécessité que subira la révolte jusqu'à la fin, de se contredire
d'autant plus grossièrement qu'elle se donne pour être plus conséquente à
elle-même. »
Tel est le langage respectueux de
l'Abbé de Solesmes quand il parle des Évêques (1). Mais qui peut croire (2) que
François de Harlay ait annoncé par sa lettre pastorale
que, dans le Missel, tout ce qui devait être chanté, serait tiré de l'Écriture
; tandis qu'il faisait composer des proses qui doivent plus que tout le reste
être chantées ?
Qu'y a-t-il dans les missels qui
ne doive être chanté ? Outre les proses, ne doit-on
pas chanter encore les collectes, les préfaces, les postcommunions (3) ? En
supposant que François de Harlay ait dit ce
qu'on lui fait dire (4), la raison ne demandait-elle pas qu'on l'entendît dans
un sens moral, et que l'on supposât quelque faute de rédaction ou d'impression,
plutôt que d'attribuer à des hommes qui ont le sens commun, une absurdité aussi
palpable, et pour eux sans aucun intérêt. Mais non : Dom Guéranger aime mieux
admettre un tel prodige de contradiction [ p. 77]
123
124
pour y voir une peine que la REVOLTE
subira jusqu'à la fin (1).
Il appelle ici révolte dans François
de Harlay ce qu'il a reconnu ailleurs être parfaitement conforme au droit (2).
Après cela, nous laisserons cet
auteur attaquer à tort ou à bon droit, tout ce qui s'est fait ou écrit en
France en matière de Liturgie, comme le Bréviaire de Cluny, les Missels de
Meaux et de Troyes, Claude de Vert, Grancolas, Foinard, etc. (3), pour ne nous occuper que des livres
liturgiques de Paris, qui ont été pris pour modèles dans le plus grand nombre
des diocèses de France, et que Dom Guéranger attaque, on peut le dire, avec une
sorte de fureur, comme on vient de le voir par celui de François
de Harlay ; voyons ce qu'il dit du Bréviaire parisien publié sous le cardinal
de Noailles.
« Il y a très peu de différence, dit l'Abbé de Solesmes,
entre les Bréviaires et Missels de François de
Harlay et du cardinal de Noailles ; cependant nous signalerons quelques traits
fortement caractéristiques. « Entre autres, la postcommunion de saint Damase au
11 décembre : Nullum primum
nisi Christian sequenles et
Cathedrae Petri communione sociatos, da nos,
Deus, Affnum semper in ea domo comedere in qua beatus Damasus successor piscatoris et discipulus crucis meruit appellari. »
Cette postcommunion, tirée d'une
lettre de saint Jérôme au pape Damase, exprime clairement ce que ce saint
docteur dit, dans cette lettre au pape sur l'autorité du Souverain Pontife, sur
la nécessité d'être uni à la Chaire de Pierre, Cathedrœ
Petri communione sociatos, et de
125
120
manger l'Agneau dans cette maison,
c'est-à-dire dans cette Église, où saint Damase dont on célèbre la fête, a
mérité d'être appelé le successeur du pêcheur, et le disciple de la croix ;
in ea domo, etc.
Dans la Messe du même jour, telle
qu'elle est dans le Missel romain, il n'y a pas un seul mot relatif à
l'autorité du Saint-Siège. Qui obligeait le cardinal de Noailles, s'il était
ennemi de l'Église romaine, de mettre cette postcommunion dans son Missel (1) ?
Qui le croirait? c'est cette postcommunion même que
Dom Guéranger incrimine comme étant dirigée contre les Papes.
S'il y a quelque obscurité dans
les premiers mots : nullum primnm; l'obscurité est la même dans saint Jérôme ;
mais ce qui suit en explique assez le sens (2).
Il faudrait que les prêtres qui
liront cette Messe de saint Damase, eussent l'esprit bien mal fait pour prendre
dans un sens hostile au Saint-Siège, une prière où l'on demande à Dieu pour
toute grâce, d'être toujours uni de
127
128
communion avec la Chaire
de Pierre, et de manger toujours l'agneau dans cette maison, etc. (1).
Dom Guéranger n'est pas heureux
dans les raisons sur lesquelles il appuie son odieuse interprétation. « Si
saint Jérôme, dit-il, eût vécu au temps de Luther ou de Jansénius, il eût
marqué avec son énergie ordinaire que, s'il n'entendait suivre d'autre chef que
Jésus-Christ, il ne voulait parler que du chef invisible. » Est-ce que du temps
de saint Jérôme, il n'y avait pas d'hérétiques ennemis du Saint-Siège (2)? Ce
saint Docteur n'avait-il pas, dans le moment même, un motif puissant de relever
l'autorité suprême du successeur de Pierre, et ne le fait-il pas réellement, et
dans ce qui précède, et dans ce qui suit ? Si donc il n'a pas marqué avec
son énergie ordinaire, qu'il ne voulait parler que du chef invisible, c'est
qu'il n'a pas eu la pensée que ce fût nécessaire (3).
« Et ces paroles, Cathedrœ Petri communione consociatos,
signifiaient-elles uniquement dans la bouche de saint Jérôme un simple lien
extérieur sans dépendance sous le double rapport de la foi et de la discipline
? » Et moi je demande : où Dom Guéranger a-t-il vu que le cardinal de Noailles
parle ici d'un simple lien extérieur sans dépendance (4) ?
Quelle justice y a-t-il à donner
aux mêmes paroles, insérées dans un missel catholique, un autre sens que celui
qu'elles ont dans le lieu d'où on les a tirées (5) ? Fallait-il, dans une
oraison, dire bien explicitement que l'on reconnaît dans le Pape, non seulement
une primauté d'honneur, mais encore de juridiction (6) ? Une postcommunion
doit-elle renfermer un traité de théologie (7)? Mais voici une accusation
encore plus singulière.
« La dernière partie de la
postcommunion offre encore matière à observation ; l'on voit que l'auteur
profite des paroles de saint Jérôme, pour flétrir, à propos de l'humilité de
saint Damase, ce que la secte appelle le faste
129
130
et l'orgueil de la cour
romaine. On y demande à Dieu la grâce de manger l’Agneau dans cette maison où Damase a mérité
d'être appelé le successeur du pécheur et le disciple de la Croix. »
A-t-on jamais imaginé, avant Dom
Guéranger, que Ton ne pût louer les vertus des saints Papes, sans être accusé
de vouloir rappeler les vices contraires de ceux de leurs successeurs qui ont
pu en être entachés (1) ?
Mais j'ai ici un reproche plus
grave à faire à cet auteur: il change le texte de la postcommunion (2). La
voici telle qu'elle est dans le Missel de Paris, au moins dans celui de Ch. de
Vintimille (3). Après ce que nous en avons vu plus haut, on y dit : Da nos,
Deus, Agnum semperinea domo comedere quant beatus Damasus Petri successor, doctrinœ et virtutum splendore illustravit ; c'est-à-dire,
donnez-nous de manger l'Agneau dans cette maison que le bienheureux Damase,
successeur de Pierre, a illustrée par sa doctrine et par ses vertus ; ce
qui ne fait aucun contraste avec le faste et l'orgueil dont on a prétendu
accuser la cour romaine. Mais Dom Guéranger, pour pouvoir incriminer les
rédacteurs du Bréviaire, a changé le texte et a mis (4) : In ea domo comedere
in qua beatus Damasus successor piscatoris et discipulus crucis meruit appellari ;
c'est-à-dire, donnez-nous de manger l'Agneau dans cette maison où Damase a
mérité d'être appelé le successeur du pêcheur et le disciple de la Croix. [ p. 81]
Ce qui achève de montrer
l'injustice de l'accusation de Dom Guéranger, c'est que, dans la secrète de
saint Damase, dans la même Messe, on relève la pureté de la foi de l'Église
romaine, en lui donnant le titre le plus glorieux, [ p. 82]
131
132
celui de l’Église vierge (1) ; Domine, da illam animi corporisque
munditiem ob quam romanae Ecclesiœ
judicio tuo electus Sacerdos Damasus, virginis Ecclesiœ doctor virgo mentit appellari : Donnez-nous, Seigneur, cette pureté
d'esprit et de corps qui a mérité à Damase, élu par votre jugement Prêtre de
l'Eglise romaine, d'être appelé le docteur vierge de l'Église vierge.
Si Dom Guéranger a traité si mal,
comme on l'a vu, les Bréviaires et les Missels de François
de Harlay et du cardinal de Noailles, c'est bien pire quand il en vient au
Bréviaire et au Missel de Ch. de Vintimille. Écoutons-le.
Dans ce bréviaire, « tout ou
presque tout était nouveau ; mais la nouveauté seule ne faisait pas le
caractère de cette liturgie. Elle donnait prise aux plus justes
réclamations..... Si les auteurs de la correction du Bréviaire de Harlay
s'étaient proposé de diminuer le culte et la vénération des Saints, de
restreindre principalement la dévotion envers la sainte Vierge, d'affaiblir
l'autorité du Pontife romain, ce plan avait été fidèlement continué dans le
Bréviaire de 1736 ; mais de plus, on avait cherché à infiltrer les erreurs du
temps sur les matières de la grâce et autres questions attenantes à celles-ci.
» [ p. 83]
Voilà l'accusation : écoutons les
preuves (*). « Pour infirmer le dogme de la mort de Jésus-Christ pour tous les
hommes, on avait retranché de l'office
du vendredi
133
134
saint l'antienne tirée de saint
Paul : Proprio filio suo non
pepercit Deus ; sed pro nobis omnibus tradidit illum. »
C'était la première antienne de
laudes. Il est difficile de prouver que telle a été l'intention des rédacteurs
dans le changement des antiennes des laudes. Il paraît, au contraire, qu'ils
ont voulu raconter toutes les circonstances de la passion de Notre-Seigneur,
dans les répons de matines, les antiennes de laudes et celles de vêpres (1).
Le neuvième répons de matines dit
que Jésus-Christ est mort sur la croix pour nous : Peccata nostra ipse pertulit in corpore suo, super
lignum; ut peccatis mortui, justitiœ vivamus.
Dom Guéranger objectera que l'antienne supprimée dit de plus qu'il est mort
pour nous tous (2). Eh bien ! qu'il lise la troisième
antienne de laudes du jeudi saint; il y verra que les rédacteurs n'ont pas
craint de rapporter les textes sacrés qui prouvent que Notre-Seigneur est mort
pour nous tous : Omnes nos quasi
oves erravimus... posuit Dominas in eo iniquitatem omnium nostrum
(3). [p. 84]
« On avait fait disparaître d'une
leçon du lundi de la Passion, ces paroles : Magnum enim facinus erat cujus consideratio illos faceret desperare ; sed
non debebant desperare pro quibus in Cruce pendens Dominus est dignatus orare.
»
Dans le Bréviaire de François
de Harlay, chaque férié du Carême a un évangile, suivi d'une homélie en trois
leçons. Dans celui de Ch. de Vintimille, chaque férié a d'abord deux leçons de
l'Écriture, ensuite l'évangile suivi de l'homélie en une seule leçon. Or, le
lundi dans la semaine de la Passion, on n'a pas retranché d'une leçon le passage
ci-dessus ; mais on a retranché deux leçons ; et c'est dans la dernière que le
passage en question se trouvait (4).
135
136
Je ne sache pas qu'une des
erreurs des jansénistes ait été
d'admettre des péchés irrémissibles (1).
La trahison de Judas fut
certainement un péché plus grand que celui des Juifs qui crucifièrent
Notre-Seigneur. Eh bien ! on trouvera dans la IV° leçon
du jeudi saint, du Bréviaire de Ch. de Vintimille, un passage de saint Chrysostôme qui enseigne la même vérité que le passage
supprimé dans les leçons du lundi de la Passion. Saint Chrysostôme
y dit, en parlant de Judas : O
Christi benignitatem ! O Judœ dementiam et insaniam !
Ille namque vendidit illum triginta argeneis ;
Christus autem postea non recusavit hunc ipsum sanguinem venditum vendenti dare
in remissionem peccatorum, si ipse voluisset... ita et sacrœ
mensœ particeps ille fuit, ut nullum excusationis
locum haberet. C'est-à-dire : O bonté de Jésus-Christ ! ô folie et fureur de Judas ! Il a vendu son Maître pour
trotte deniers; et après cela Jésus-Christ n'a pas refusé de donner ce même
sang à celui qui l'avait vendu pour lui mériter la rémission de ses péchés,
s'il avait voulu l'obtenir... Ainsi il participa (avec les autres
disciples) au banquet sacré, pour qu'il ne lui restât aucune excuse, s'il
persévérait dans son péché (2). [ p. 85]
Continuons.
« A la fête de sainte Agathe, une
autre homélie du même saint docteur avait pareillement disparu, parce qu'on y
lisait ces mots : Quod ideo
dixit, ut ostenderet superiore nobis auxilio opus esse (quodquidem
omnibus illud petentibus paratum est) si volumus in hac luctatione superiores
evadere. »
Dans le Bréviaire de François
de Harlay, les fêtes semi-doubles, comme celle de sainte Agathe, avaient trois
nocturnes et neuf leçons ; dans le Bréviaire de Ch. de Vintimille, ces fêtes
n'ont qu'un nocturne et trois leçons, la première de l'Écriture occurrente, et les
deux autres composées de la légende du
Saint ; c'est [
p. 86]
137
138
ainsi que l'homélie de la fête de
sainte Agathe a été supprimée (1).
« On avait retranché pareillement
la deuxième leçon du lundi de la Pentecôte, qui renfermait ces paroles :
Ergo quantum in medico est sanare
venit œgrotum (Christus). Ipse se interimit quiprœcepta medici
servare non vult. Salvari non vis ab ipso : ex te judicaberis. » Dans le Bréviaire de François
de Harlay, il n'y a pas de leçon de l'Écriture pendant l'octave de la Pentecôte
; mais seulement une homélie en trois leçons sur l'évangile. Dans celui de Ch.
de Vintimille, il y a toujours une leçon de l'Écriture, une deuxième tirée d'un
saint Père, et une troisième qui consiste dans une homélie sur l'évangile en
une seule leçon, au lieu d'une homélie en trois leçons. On a donc retranché
dans le Bréviaire de Ch. de Vintimille, les deux dernières leçons et le passage
cité par Dom Guéranger qui se trouvait dans la deuxième (2).
« Dans la deuxième leçon de
l'office de saint Léon, des : paroles de ce saint docteur qui semblaient mises
là tout exprès pour commander l'acceptation du formulaire et la soumission à la
bulle, avaient été effacées. Mais aussi
combien elles étaient expressives ! Damnent (hœretici) apertis prqfessionibus
sui superbi erroris auctores, et quidquid in doctrina eorum universalis Ecclesia
exhorruit detestentur; omniaque decreta synodalia quœ ad excisionem
hujus haereseos Apostolicœ
Sedis confirmavit auctoritas, amplecti se et in omnibus approbare, plenis et apertis
ac propria manu subscriptis protestationibus eloquantur. » [ p.
87]
Et de quel Bréviaire ces paroles
avaient-elles été effacées (3) ? Ce ne peut pas être du Bréviaire romain, puisqu'elles ne s'y trouvent pas. Ce qu'il y
a de remarquable, et que Dom Guéranger ferait bien de nous expliquer, c'est
qu'elles ont été insérées dans le Bréviaire même de Paris,
139
140
dans lequel Dom Guéranger prétend
que les jansénistes les ont supprimées (1).
«
Un passage de la troisième leçon de saint Martin, Pape et
Martyr, avait également disparu. On en
devinait sans peine la raison, quand on se rappelait qu'il y était parlé de
l'édit de l'empereur Constant, qui prescrivait le silence sur les questions de
la foi, et de la résistance du saint Pape à une mesure qui compromettait si
gravement les intérêts de l'orthodoxie. Les partisans du silence respectueux
avaient donc retranché les paroles suivantes : Interim Constans, ut suo Typo ab omnibus subscriberetur, silentiumque
in eo de quœstione
catholicos inter et monothelitas
agitata indictum observaretur... ; Romam misit Calliopam
a quo Martinus, cum edicto impio
juxta Lateranense
concilium resisteret, Roma vi abductus est. » [ p. 88]
Le 10 novembre, on fait l'office
de saint Léon le Grand, et seulement mémoire de saint Martin (2). A la fin de la troisième leçon, on lit une
légende abrégée de saint Martin, où l'on parle, et du Type de Constant que ce saint Pape condamna dans un concile de cent cinq
évêques, et de sa courageuse résistance, qui lui valut
l'exil et le martyre ; voici le
texte : Qui, condemnata, in
concilio Lateranensi centum et quinqua episcoporum, cum suis principibus hœresi, jussu Constantis imperatoris, cujus Typum quemadmodum et antea Ecthesim Heraclii, reprobaverat, per Calliopam
Ravennensem Exarchum de Ecclesia raptus, etc.
Si c'est avec intention que l'on a supprimé la mention du silence
prescrit par le Type, on ne peut que
blâmer une pareille suppression (3), quoique l'on parle de la condamnation du
Type qui prescrivait le silence ; mais la nécessité de réduire les deux leçons de saint Martin en une seule,
a pu donner lieu au retranchement (4). Du
reste, il ne faut pas croire que le
silence ordonné par l'empereur Constant fût la même chose que [ p. 89]
141
142
le silence demandé par les
jansénistes : Constant prescrivait le silence aux défenseurs de la vérité; les
jansénistes voulaient que l'on n'exigeât d'eux qu'une soumission extérieure et
un silence respectueux (1).
« C'était dans le même esprit que
l'on avait supprimé, au 26 novembre, l'office de sainte Geneviève du miracle
des Ardens. »
Il y a ici une fausseté et un contre-sens : une fausseté, parce que cet office n'a pas
été supprimé (2) ; seulement il est semi-double, et comme les semi-doubles
n'ont que trois leçons, tandis qu'auparavant ils en avaient neuf, on a dû
retrancher ici l'homélie de saint Irénée (3).
Il y a ensuite, un contre-sens. « Si l'on a fait cette suppression, c'est, dit
Dom Guéranger, a cause de certaines leçons tirées de saint Irénée, et dans
lesquelles étaient données les règles pour discerner les miracles des
hérétiques d'avec ceux de l'Eglise catholique ; ce qui devenait par trop
embarrassant, si on en voulait faire l'application aux prodiges du Bienheureux
Diacre. » Il n'est nullement question, dans les leçons de saint Irénée, de
règles pour distinguer les miracles des hérétiques d'avec ceux de l'Eglise
catholique. Ce saint Docteur dit que les hérétiques ne peuvent en faire aucun ;
tandis qu'il s'en opère beaucoup dans toute l'Église catholique : Non possunt hœretici
cœcis donare visum, etc. Pourquoi les
jansénistes auraient-ils supprimé un texte qui leur était si favorable, au
moment où ils se vantaient des prodiges du Bienheureux Diacre (4) ? [ p. 90]
« Les jansénistes, déconcertés de
leur petit nombre..... imaginèrent... que la vérité ne
triompherait qu'à l'arrivée d'Élie qui était prochaine. (Dans cette idée), le
nouveau Bréviaire avait consacré tout le corps des répons du VII° Dimanche après
la Pentecôte, à célébrer de si belles espérances. »
143
144
Je n'irai pas transcrire ici les trois pages de répons,
expliqués par Dom Guéranger comme il l'entend (1). Je me contenterai de dire
que si les rédacteurs du bréviaire ont eu l'intention qu'on leur prête, il faut
des yeux bien perçants pour l'apercevoir, surtout pour reconnaître avec Dom
Guéranger dans ces répons, les Molinistes, les docteurs de la morale
relâchée, M. Vincent ; c'était là le secret de la secte, suivant Dom
Guéranger : secret difficile à pénétrer. Je suis bien persuadé que très peu de
prêtres qui récitent le Bréviaire de Paris, se doutent de l'intention des
auteurs (2). [ p. 91]
Dom Guéranger dit qu'il nous fait
grâce de la complète énumération des passages scabreux du Bréviaire de
Vintimille. « Cependant, ajoute-t-il, nous en signalerons encore
quelques-uns. » Il faut croire que l'auteur a choisi les plus décisifs.
« Dans la Liturgie romaine, le
capitule de vêpres (du Dimanche) est celui-ci : « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu
Christi, Pater misericordiarum et Deus totius consolationis, qui consolatur nos
in omni tribulatione nostra. Béni soit le Dieu et le Père de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute
consolation, qui nous console de tous nos maux. » Voici comment (la secte
janséniste) a frauduleusement remplacé le sublime capitule que nous venons de
lire : « Benedictus Deus et Pater
Domini nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali
in cœlestibus in Christo, sicut elegit nos in ipso ante mundi constitutionem,
ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in charitate. Béni
soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en
Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel ; comme
il nous a élus en lui avant la création du monde, pour que nous soyons saints
et sans tache dans son amour. » [ p. 92]
145
146
Si l'on me donnait à choisir
entre ces deux textes, quoi qu'en dise Dom Guéranger, je préférerais le second (1).
Premièrement, parce qu'il est bien plus énergique dans ce qu'il dit des
bienfaits que nous avons reçus de Dieu.
Le premier texte dit seulement que Dieu nous console dans nos maux ;
le second dit que Dieu nous a comblés de toutes sortes de bénédictions
spirituelles. Deuxièmement, parce qu'il nous remplit d'espérance et
d'amour, en nous apprenant que le Seigneur nous a aimés le premier, qu'il a
jeté ses regards de miséricorde sur nous dès avant la création du monde,
et nous a choisis dès lors pour nous combler de ses bénédictions.
Troisièmement, parce qu'il nous rappelle que
si nous voulons
correspondre aux volontés miséricordieuses du Seigneur, nous devons nous
conserver saints et sans tache en sa présence dans son amour (2).
Toutes les raisons que Dom
Guéranger emploie pour blâmer le choix qu'on a fait de ce dernier texte, se
réduisent à dire qu'il y est parlé de prédestination, et que l’Église n'approuve pas qu'on
effraye les fidèles, en mettant trop souvent sous leurs yeux les terribles
mystères de la prédestination et de la réprobation (3). De la réprobation,
j'y consens; mais de la prédestination, c'est-à-dire de cet amour par lequel
Dieu, suivant l'expression du Psalmiste, nous a prévenus par les bénédictions
de sa douceur (4) ; je le nie... C'est cet amour prévenant de Dieu que saint
Paul emploie pour nous inspirer une grande confiance dans le Seigneur : Je suis plein de confiance, dit-il aux Philippiens, que celui qui a commencé en vous la bonne
œuvre (de votre salut), la perfectionnera jusqu'au jour de
l'avènement de Jésus-Christ ; et dans sa lettre aux Romains : Si nous
avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils pendant que nous étions
ses ennemis ; à plus forte raison, étant maintenant réconciliés avec lui,
serons-nous sauvés par la vie de ce même Fils.
147
148
Mais voici un reproche plus étrange : Dom Guéranger se
scandalise de ce que, dans l'hymne de vêpres, qu'il appelle d'ailleurs une
pièce d'un langage élevé et correct, on adresse à Dieu cette prière tirée
de saint Paul : Ad omne nos apta
bomun; Rendez-nous disposés à toute bonne œuvre
(1). Sa raison est que les jansénistes ont voulu prouver par ces paroles et par
d'antres semblables, l’irrésistibilité de la grâce. Nous ne poumons donc
plus nous servir des termes de l'Écriture, une fois que les hérétiques en
auraient abusé pour soutenir leurs erreurs (2). [ p.
94]
Les autres reproches contenus
pages 273, 274, 275, sont si dépourvus de raison, que ce serait perdre le temps
que de les répéter en détail. Voici le plus sérieux : on peut juger des autres.
« Le nouveau Bréviaire avait
gardé le R/ In manus tuas, Domine, etc.; mais
voyez ici la différence... L'Église romaine, afin que chaque fidèle puisse
répéter avec confiance ces douces paroles : In manus
tuas, etc., émet tout aussitôt le motif qui produit cette confiance dans le
cœur du dernier de ses enfants. Tous ont droit d'espérer; car tous ont été
rachetés : Redemisti nos. Écoutez
maintenant les rédacteurs du Bréviaire parisien : Redemisti
me, etc., la Rédemption, suivant eux, n'est pas une faveur générale, le
Christ n'est pas mort pour tous. »
Mais quand on aurait conservé le redemisti nos, il s'ensuivrait seulement que
Notre-Seigneur est mort pour tous ceux qui font cette prière, et non pour tous
les hommes (3).
Tous ceux qui disent ce répons In
manus tuas, disent aussi redemisti
me; ils déclarent donc qu'ils ont été rachetés (4).
Puisqu'on dit au singulier : Commendo spiritum meum, il était naturel de dire : Redemisti
me (5). [p. 95]
Du reste, le Bréviaire parisien
n'a fait que rapporter ce passage du Ps. XXX, tel qu'il est dans la Vulgate
(6).
149
150
( Ici, Monseigneur l’Archevêque
de Toulouse m'accuse d'avoir attaqué comme hérétique le Bréviaire de Paris, au
sujet d'un canon du troisième concile de Tolède, et d'une strophe de Santeul. J'ai répondu suffisamment à cette imputation dans
la Lettre ci-dessus, pages 60-66. Je ne reviendrai donc pas sur ce sujet: je
remplirai seulement ma promesse en répondant à un reproche que Monseigneur
m'adresse en passant. Voici ses paroles : )
Dom Guéranger commence par
avancer un fait entièrement dénué de vérité.
«Une suite de canons des conciles
à l'office de prime... avait été, dit-il, conduite de manière à ce qu'on n'y
rencontrât pas une seule citation des décrétales des Pontifes romains. » [ p. 96]
En ouvrant le Ier volume du
bréviaire, j'ai trouvé dans les trois premières semaines seulement de Tannée
ecclésiastique, cinq canons tirés des décrétales des Papes, de saint Léon IV,
de saint Innocent Ier , de saint Léon Ier, de saint Gélase, et encore de saint
Léon Ier. On en trouve vingt-quatre dans le reste du
bréviaire. On en a mis le tableau à la fin de cet écrit (1).
« Si maintenant nous considérons
la manière dont on avait traité le culte des saints, etc. » C'est toujours
l'accusation d'avoir voulu diminuer le
culte des saints, qui revient (2). [ p. 101]
Dom Guéranger rappelle ici ce
qu'il a dit sur le texte de la lettre pastorale de Ch. de Vintimille : « On a
conservé au dimanche sa prérogative d'exclure toutes sortes de fêtes, si ce
n'est celles qui ont dans l'Église le premier degré de solennité. » Et il dit
là expressément : « Le but avoué est de diminuer le culte des saints. » Je
voudrais bien que cet auteur nous montrât quelque part cet aveu, qu'on a voulu diminuer le culte des saints (3).
S'il avait lu les rubriques du
bréviaire qu'il censure, il
151
152
n'aurait pas calomnié, comme il le
fait, l'intention des rédacteurs. Car il aurait vu que le dimanche ne cède pas
seulement aux fêtes du rit solennel mineur et au-dessus; mais encore aux doubles
fêtés par le peuple, aux fêtes de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, de saint
Denys et du jour de l'octave, aux fêtes propres des lieux, c'est-à-dire, dans
les églises où il y a un certain concours de peuple pour honorer des reliques,
ou pour tout autre objet de culte particulier. Je le demande à l'Abbé de
Solesmes : pouvait-on apporter plus d'attention à ne pas diminuer le culte des
Saints (1) ? [p. 102]
Cavalieri, liturgiste très estimé
et commentateur des décrets de la sainte Congrégation des Rites, pense tout
autrement que l'Abbé de Solesmes sur le privilège des dimanches (2). Au lieu
d'y voir l'intention et l'inconvénient de diminuer le culte des Saints,
il blâme au contraire le zèle mal entendu qui fait solliciter sans cesse de
nouveaux offices des Saints ; la manière dont il s'exprime est remarquable : «
La démangeaison (ce sont ses propres termes que je rapporte ici), la
démangeaison d'avoir beaucoup de fêtes, s'est tellement emparée des esprits...,
que l'on voudrait qu'il y en eût presque chaque jour..., et je crains que, sous
le prétexte spécieux de piété, on ne cache le désir naturel à bien des gens
d'avoir des offices plus courts (3). »
Ensuite, parmi les raisons qu'il
oppose à ce zèle prétendu, il met la suppression de l'office d'un grand nombre
de dimanches : il nous apprend combien la sainte Congrégation des Rites est
opposée à cet abus, et cite à l'appui l'autorité de Clément VIII (4). [ p. 103]
Benoît XIV pense de même, et, le
croirait-on ? c'est Dom Guéranger qui nous l'apprend;
il en fait le sujet du plus grand éloge. Ce grand Pape, dit-il, « versé
profondément dans la connaissance des usages de l'antiquité, ne vit pas avec
indifférence..., que, depuis l'époque de
153
154
saint Pie V, les fériés se
trouvaient diminuées dans une proportion énorme par l'accession de plus de cent
offices nouveaux. Le rang de doubles assigné à la plupart de ces offices
entraînait de fait la suppression d'une grande partie des dimanches. Il était
bien clair que l'antiquité n'avait pas procédé ainsi. » Ch. de Vintimille
procédait donc comme l'antiquité. Benoît XIV, en voulant conserver l'office des
dimanches, avait-il l'intention de diminuer le culte des Saints (1)?
« Le calendrier avait subi les
plus graves réductions. » [ p. 104]
J'avoue qu'elles sont nombreuses.
Étaient-elles motivées? C'est là la question ; plusieurs raisons ont pu y
décider. Le désir de conserver, autant que possible, l'office des dimanches et
celui des fériés pendant le Carême, a dû en faire retrancher ou renvoyer
plusieurs (2).
Du reste, parmi ces Saints, il y
en avait un grand nombre dont on ne faisait, dans le bréviaire antérieur,
qu'une simple mémoire ; plusieurs n'avaient pas même de légende (3). Ces mémoires multipliées
pouvaient apporter quelque embarras dans les offices (4). Sans prétendre
justifier les systèmes suivis par les rédacteurs, qui auraient dû, à mon avis,
conserver surtout les mémoires des saints Papes, dont le sang répandu pour la
foi est une des gloires de l'Église
catholique ; je ne crois pas qu'ils
aient voulu diminuer le culte des Saints (5). Quelques auteurs ont pu
pousser trop loin la sévérité de la critique sur l'authenticité des vies de ces
héros du christianisme et de leurs
miracles ; mais en général les jansénistes n'étaient pas ennemis de leur culte;
même ils aimaient assez à parler de faits miraculeux, surtout quand ces faits
pouvaient
155
156
servir à accréditer leurs erreurs (1).
Nous devons ajouter ici quelques observations sur les retranchements reproches
par Dom Guéranger.
« En janvier, dit-il, on avait
supprimé les octaves de saint Jean, des saints Innocents, et même de sainte
Geneviève. »
Les trois mémoires qu'il fallait
faire tous les jours, pour les trois premières octaves, à l'office de la
Nativité de Notre-Seigneur, compliquaient beaucoup cet office; il faut l'avouer
(2). D'ailleurs, d'après les rubriques, on n'attribuait une octave qu'aux fêtes
du rit solennel majeur. L'office de saint Etienne, dans le bréviaire antérieur,
n'était que solennel mineur ; les autres seulement doubles majeurs ou mineurs.
La fête de sainte Geneviève était seulement du rit double majeur (3).
« La Chaire de saint Pierre à
Antioche avait disparu. » Il est vrai qu'on a réuni la Chaire de saint Pierre à
Antioche avec celle de Rome; mais on fait mention des deux dans le même office,
et on célèbre sous cette double dénomination, le Pontificat du chef des
Apôtres; voici le titre de l'office : In festo Pontificatûs seu Cathedrœ S.
PETRI, qui primum Antiochiœ
sedit, tum Romœ; et en effet, cet office renferme tous les titres
de la puissance du chef des Apôtres. Je suis persuadé que, même à Rome, on ne
blâmerait pas cette fête et cet office du Pontificat de saint Pierre (4).
[ p. 106]
« En mars, saint Aubin n'avait
plus qu'une simple mémoire. » L'Abbé de
Solesmes se trompe : s'il arrive hors du Carême, on en fait tout
l'office. En juin, on ne retrouvait plus les octaves de saint Jean-Baptiste et
de saint Pierre et saint Paul. »
157
158
C'est que leur fête était du rit
solennel mineur (1).
« En juillet était effacé saint
Thibault. »
Il n'est que renvoyé au 3o.
« En novembre on avait ôté saint Véran.»
C'est une erreur : dans le
bréviaire précédent on n'en faisan que mémoire le 10 ; dans le Bréviaire de 1736
on en fait l'office le 13 (2).
« Sainte Félicité. »
Dom Guéranger se trompe encore ;
on en fait l'office le 10 juillet (3).
« Sainte Geneviève du miracle des
Ardents . »
Nous avons déjà signalé cette
erreur : la fête en est marquée au 26 du même mois de novembre (4).
« Décembre enfin avait vu disparaître
l'octave de la Conception. »
La fête n'est que du rit solennel
mineur (5).
« Saint Thomas de Cantorbéri était transféré au mois de juillet. »
Quel mal y a-t-il ? c'est le jour de la translation de ses reliques (6). [107]
« Saint Sylvestre réduit à
une simple mémoire. »
150
160
C'est que l'octave de Noël
n'admet pas les semi-doubles (1).
Dom Guéranger revient souvent sur
les mêmes reproches, et répète les mêmes erreurs (2).
« Il ne peut, dit-il, s'empêcher
de signaler comme déplorable, le système d'après lequel on privait l'Église de
Paris, de deux des fêtes de sa glorieuse patronne. » C'est, je crois, la
troisième fois que Dom Guéranger fait cette accusation dénuée de toute vérité.
Les deux fêtes dont il veut parler sont celle du Miracle des Ardents,
qui se trouve, comme nous venons de le dire, au 26 novembre, et celle de la Translation
de la Sainte, dont on fait mémoire, tout comme dans l'ancien Bréviaire, le
28 octobre (3).
Saint Aubin, saint Eutrope, saint Thibaut, saint Véran,
dont il venait de déplorer mal à propos la disparition, dans la page
précédente, sont de nouveau l'objet de ses regrets
(4).
Voici un autre sujet de blâme : «
Le désir de donner plus de tristesse au temps du Carême avait porté nos
réformateurs à rejeter plusieurs saints à d'autres jours. » [
p. 108]
Dom Guéranger avait déjà attaqué
cette disposition contre laquelle il fait ce raisonnement : « Ou le Bréviaire
de Paris a atteint, par cette mesure, le véritable esprit de l'Église dans la
célébration du Carême, ou ses rédacteurs se sont trompés sur cette grave
matière. Dans le premier cas, l'Église romaine... reçoit ici la leçon... de sa
fille l'Église de Paris ; dans le second cas, y a-t-il donc si grand mal de
supposer que Vigier et Mézenguy...
aient failli quelque peu dans une occasion où ils avaient contre eux l'autorité
de l'Église romaine. »
Rien de plus mal fondé que ce reproche, et le raisonnement sur lequel Dom
Guéranger veut l'appuyer, ne vaut pas mieux. Vigier
et Mézenguy n'ont pas failli, en renvoyant à un autre
temps les fêtes de plusieurs saints qui
161
162
arrivaient dans le Carême, et bien
loin de vouloir faire la leçon à l'Église romaine, ils se conformaient à son
esprit et à celui de l'antiquité (1). Ecoutons le savant liturgiste que nous
avons déjà cité. « D'après le décret du concile de Laodicée, nous dit cet
auteur, on ne devait célébrer pendant le Carême les fêtes d'aucun martyr. » (Il
n'y avait guère d'autres fêtes de Saints dans les premiers siècles.) « Les
Églises du rit Ambrosien, aujourd'hui encore, conservent très rigoureusement
cette règle. L'Église romaine admet, il est vrai, quelques fêtes pendant ce
temps, mais en petit nombre, et les octaves furent supprimées, lorsqu'on revit
le Bréviaire. » [ p. 109]
Vigier
et Mézenguy se sont donc conformés, non seulement à
l'esprit de l'antiquité, mais encore à celui de l'Eglise romaine, et ils n'ont
pas voulu lui faire la leçon (2).
L'argument de Dom Guéranger est
d'ailleurs fort peu théologique. Cet auteur suppose qu'il s'agit ici d'un point
de foi sur lequel toutes les Églises doivent essentiellement garder l'unité
avec l'Église romaine (3). De plus, il raisonne comme si le Bréviaire et le
Missel romains étaient nécessairement parfaits ; mais s'il en était ainsi,
l'aurait-on corrigé après le concile de Trente ? Et les Papes auraient-ils
voulu, à diverses époques, y apporter encore des améliorations (4) ?
Oublions un moment tous ces
raisonnements pour considérer la chose en elle-même. L'esprit de l'Église
n'est-il pas d'inspirer aux fidèles, dans le temps du Carême, des sentiments de
componction et de pénitence (5) ? N'est-ce pas dans cet esprit qu'elle prend
ses habits de deuil, que ses prières sont pleines de douleurs et de
gémissements (6) ? N'est-il pas vrai, en même temps, que, dans les fêtes des
Saints, elle invite les fidèles à une sainte joie, se souvenant de ceux de
leurs frères qui sont déjà dans la gloire, et se consolant par l'espérance d'y
arriver un jour eux-mêmes ? Or, comment l'intention de l'Église qui nous invite
à la [p. 110]
163
164
componction pendant le Carême,
sera-t-elle remplie, si presque tous les jours en sont consacrés à célébrer
dans la joie les fêtes des Saints (1) ? Cette observation a plus de force
aujourd'hui où la discipline de l'abstinence et du jeûne étant beaucoup trop
affaiblie, fait moins sentir aux fidèles que l'on est dans un temps de
pénitence (2).
J'arrive à une nouvelle
infidélité de Dom Guéranger (3). Pour la rendre palpable, je n'ai besoin que de
rapprocher deux endroits du second tome de son ouvrage, en les rapportant sans
y rien changer. On trouvera le premier à la page 256, et le second à la page
282.
Dans le premier, l'Abbé de
Solesmes cite ce passage de la lettre pastorale que Ch. de Vintimille a mise à
la tête de son Bréviaire : « Les saints doivent être honorés, non par une
stérile admiration, mais par une imitation fidèle des vertus qui ont brillé en
eux. » [ p. 111]
Maxime sage, tout-à-fait
dans l'esprit de la religion, mille fois répétée par les saints Pères, les
Docteurs de l'Église, les prédicateurs de la sainte parole. Il ne faut pas se
contenter d'admirer les Saints d'une admiration stérile, il faut les imiter ;
rien de plus vrai, « rien de plus incontestable qu'une telle doctrine, » dit
Dom Guéranger lui-même.
Passez maintenant à la page 282.
Là, il lui a plu de changer le texte de la lettre pastorale, et de faire dire à
Ch. de Vintimille, parlant de son Bréviaire, cette absurdité : « On a évité
tout ce qui pourrait nourrir, à l'égard des saints, une stérile admiration (4).
»
Mais quoi ! quand
notre admiration à l'égard des Saints est stérile, et que nous nous contentons
de les admirer sans les imiter, est-ce la faute des choses admirables que nous
voyons en eux ? N'est-ce pas notre faute à nous ? Si c'était la faute de ce que
nous voyons d'admirable en eux, il ne faudrait plus rien rappeler de ce qui
mérite notre admiration, ni leurs miracles, ni leurs martyres, ni leurs
165
166
héroïques vertus, de peur que nous
ne nous contentions de les admirer. Tel est le principe absurde que l'Abbé de Solesmes
ose attribuer à Ch. de Vintimille (1). Il n'hésite pas davantage à lui
reprocher d'avoir tiré de ce principe les conséquences également absurdes qui
en découlent. [ p. 112]
« Cette crainte (de nourrir à
l'égard des Saints une stérile admiration) a été cause que l'on a gardé le
silence sur les stigmates de saint François. »
« C'est sans doute dans une
semblable intention que l'on avait retranché les célèbres paroles par
lesquelles il exhorte en mourant ses disciples à garder... la foi de la
sainte Église romaine. » Le premier fait est vrai, mais non pas le second
(2).
Il est vrai que, dans le
Bréviaire de 1736, la légende de saint François
ne fait pas mention des stigmates du Saint ; si c'est parce qu'aux yeux des
rédacteurs le fait n'était pas assez prouvé, on peut bien les accuser d'un
excès de sévérité dans leur critique (3). Ce miracle, appuyé sur des
témoignages irrécusables, est pour nous d'autant plus facile à croire que, de
nos jours, où Dieu paraît vouloir confondre nos incrédules en multipliant des
faits surnaturels, il paraît certain qu'il existe plusieurs personnes
stigmatisées, quoique d'une manière moins miraculeuse que ne l'a été saint François
(4). [ p. 113]
Mais il est faux que l'on ait
retranché de la légende de ce Saint « les célèbres paroles par lesquelles il
exhorte ses disciples à garder... la foi delà sainte Eglise romaine. » Les
voici telles qu'elles sont rapportées dans le Bréviaire de 1736 : Docebat eos honorare prœcipuâ
reverentiâ sacerdotes, et fidei quam Romana tenet Ecclesia firmiter adhœrescere (5).
Je ne m'arrêterai pas aux
reproches de Dom Guéranger sur les changements que l'on avait voulu faire à
l'hymne Ave maris stella, et à d'autres hymnes
(6).
167
168
Quant à l’ Ave
maris Stella, il avoue que l'on rétablit l'ancienne version (1). Pour les
autres hymnes, l'examen serait long et minutieux ; chacun peut comparer les
deux versions telles que l'auteur les rapporte, on verra que tout le venin
consiste dans les intentions qu'il prête aux rédacteurs (2).
Faut-il répondre aux reproches
faits aux versets des hymnes de la Vierge; de l’ Alma, où, au lieu du
verset Angelus Domini
nuntiavit Mariœ, et concepit de Spiritu sancto, on a mis avant la Présentation celui-ci : V/
Deus in medio ejus, R/. Non commovebitur, et après la Présentation, au lieu du V/ Post
partum, Virgo, inviolata permansisti, R/ Dei
genitrix, intercede pro nobis ; celui-ci : V/ Homo natus
est in ea ; R/ Et ipse fundavit eam Altissimus ? [ p.
114]
A l’ Ave regina, au lieu du V/ Dignare me laudare te, Virgo sacrata,R / Da mihi virtutem contra hostes tuos ; celui-ci : Elegit eam Dominus, R/ In
habitationem sibi.
Au Regina cœli
; au lieu de : Gaude et lœtare, Virgo Maria, R/ Quia surrexit
Dominus vere; on a mis
: Circumdedisti me lœtitia,
Domine; R/ Ut cantet tibi
gloria mea.
Au Salve ; au V/ Ora pro nobis, sancta Dei genitrix,
R/ Ut digni efficiamur promissionibus Christi; on a substitué
celui-ci : V/ Vultum tuum
deprecabuntur, R/ Omnes divites plebis.
Je me contente de les mettre en
parallèle, sans y ajouter aucune réflexion, disposé à montrer, s'il le faut, la
supériorité des versets du Bréviaire de Paris, pris en eux-mêmes (3) ; car il
eût été peut-être d'un meilleur goût, puisque l'on gardait les hymnes (4) du
romain, d'en conserver aussi les versets, qui en ont toute la simplicité.
« L'office du jour de la Circoncision,
Octave de Noël, qui jusqu'alors avait été en grande partie employé à
169
170
célébrer la divine maternité de
Marie, avait perdu les dernières traces de cette coutume grégorienne. »
Il est vrai que l'office de ce
jour est employé à célébrer le mystère d'un Dieu qui, par un amour
incompréhensible pour nous, s'est revêtu de notre nature, a pris le nom
adorable de Jésus, c'est-à-dire Sauveur, et a commencé à répandre
son sang pour notre salut. Mais n'est-ce pas là en effet le grand mystère qui
doit être l'objet de la fête de la Circoncision ? Célébrer la grandeur du Fils,
n'est-ce pas exalter la gloire de la Mère (1) ? Ajoutons que la Mère de Dieu
n'est nullement oubliée dans cet office (2). L'invitatoire, tiré des épîtres de
saint Pau!, rappelle que le Fils de Dieu est né de la
femme, et personne n'ignore que Marie est cette heureuse femme, bénie entre
toutes les autres et qui est devenue mère de Dieu : Filium Dei factum ex muliere,factum sub lege,
venite adoremus. L'invitatoire du Bréviaire romain dit seulement : Christus natus est nobis, venite adoremus
(3).
La doxologie qui se dit à la fin
de toutes les hymnes parle de la maternité divine et de la virginité de Marie :
Qui natus es de virgine,
etc. Il en est de même du R/ bref de Prime (4). Dom Guéranger accuse donc à
faux quand il dit que dans l'office de la Circoncission
on avait fait disparaître jusqu'aux dernières traces de la divine maternité de
Marie (5).
Et lorsqu'il dit que, dans les
nouvelles antiennes des laudes tirées de la sainte Ecriture, rien ne rappelle...
le culte de la mère de Dieu, c'est-à-dire, sans doute, sa maternité divine
et sa virginité, il se trompe encore (6). Car dans la première, on rapporte les
paroles de l'Ange qui nous apprennent que ce Sauveur Fils de Dieu, naîtra de
Marie : Pariet Maria Filium, et
vocabis nomen ejus Jesum. [ p. 116]
171
172
Dans la seconde, l'Esprit-Saint
nous apprend que la Mère de Jésus était vierge : Non cognoscebat
eam donec peperit filium suum primogenitum (1).
« Le nom de Marie continuait
toujours d'être exclu du titre de la fête de l'Annonciation. » J'ai déjà
répondu à ce reproche (2).
« L'office de la fête de l'Assomption
avait été privé de ces glorieuses antiennes : Assumpta
est Maria in cœlum. » Celles du Bréviaire
parisien sont assurément aussi glorieuses; à moins que l'on ne regarde
comme un défaut, que la gloire de Marie y soit célébrée avec les paroles mêmes
de la sainte Écriture. Pour n'en donner qu'un exemple : cette première antienne
du parisien : Quœ est ista
quœ ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super dilectum suum ; ne vaut-elle
pas bien celle-ci : Assumpta est Maria in cœlum : gaudent angeli, laudantes benedicunt Dominum (3) ?
« On n'entendrait plus lire...
ces beaux sermons de saint Jean Damascène... qui célébraient avec tant d'amour
et de magnificence le triomphe de la Vierge Marie. » Certes ! les sermons de saint Bernard que l'on a substitués ne
célèbrent pas avec moins de magnificence et d'amour, le triomphe de la Reine du
ciel (4). [ p. 117]
« La Nativité de Marie avait
perdu le brillant cortège de ces imposantes et mélodieuses antiennes, etc. »
Ce sont toujours les mêmes
plaintives déclamations, tout à fait dépourvues de fondement. Nous ne voulons pas faire de
parallèle, et déprécier un office pour exalter l'autre : que chacun les lise et
les compare (5).
« La fête de la Conception, quel
soin n'avait-on pas pris de la dégrader ? D'abord on l'avait maintenue au rang de
solennel mineur, » c'est-à-dire qu'on avait fait pour les fêtes de la sainte
Vierge, ce qui avait été fait pour celles de Notre-Seigneur, dont le Nativité
est annuel majeur, et l'Incarnation seulement solennel majeur (6).
173
174
« On avait osé supprimer l'octave
de cette grande fête. » Il n'y a d'octave, dans le rit de Paris, que pour les
solennels majeurs et au-dessus(1).
« Montrons maintenant ce que (les
auteurs du nouveau bréviaire) avaient fait contre l'autorité du Saint-Siège
apostolique. » [ p. 118]
Ici vient le reproche d'avoir
réuni en une seule fête, la Chaire de saint Pierre à Antioche et à Rome. Nous y
avons répondu (2). « L'invitatoire des matines était aussi fort remarquable...
: Caput corporis ecclesiœ Dominum, veniie, adoremus. »
Quoi qu'en dise l'Abbé de
Solesmes, cet invitatoire est bien choisi pour rappeler dans la fête du
souverain Pontificat de saint Pierre, que si Jésus-Christ est le chef invisible
de l'Eglise, Pierre en est le chef visible (3).
« Cet office de la Chaire de
saint Pierre était remarquable par une hymne de Coffin, dont une strophe
donnait prise à une juste critique. La voici :
Cœlestis intùs te Pater addocet,
Hinc voce certâ
progenitum Deo
Parente Christam
confiteris,
Ingenito similem parenti.
« Saint Pierre n'a point parlé
ainsi, il n'a point dit que Jésus-Christ fût simplement semblable au
Père; les ariens le voulaient ainsi. »
La critique est fort injuste : le
poète rapporte la confession par laquelle saint Pierre reconnut en Jésus-Christ
le Fils de Dieu ; or, que dit saint Pierre ? Tu es Christus Filins Dei vivi. Que dit la strophe de Coffin ? que
Jésus-Christ est engendré de Dieu le Père, progenitum
Deo parente; il ajoute: Semblable au Père qui n'est pas engendré.
Depuis quand est-il défendu aux catholiques de dire que le Fils est
semblable au Père ? Saint Paul ne [ p. 119]
175
176
l'appelle-t-il pas l'image du
Père? Est-on obligé, quand on parle du
Fils de Dieu, de
dire toujours tout ce qu'il est, et en particulier qu'il est consubstantiel
au Père (1). « Le nouveau Bréviaire dépouillait (la fête de saint Pierre) de son octave; » parce
que la fête n'était que solennel mineur. Voyez ce que nous avons dit
plus haut (2). « Le beau sermon de saint Léon au second nocturne, l'homélie de
saint Jérôme au troisième, avaient été sacrifiés. »
Le sermon de saint Léon a été
conservé en entier à la fête du Pontificat de saint Pierre (18 janvier) (3).
On a remplacé l'homélie de saint
Jérôme par celle de saint Augustin qui explique admirablement ce trait de
l'évangile si glorieux pour saint Pierre, où Notre-Seigneur lui fait la demande
: M'aimez-vous plus que les autres Apôtres ? et
lui dit ensuite : Paissez mes agneaux, paissez mes brebis (4). [ p. 120]
« On cherchait en vain une autre
homélie de saint Léon sur la dignité du Prince des Apôtres, qui se trouvait au
samedi des quatre-temps du Carême. »
Cette homélie est sur l'évangile
de la Transfiguration. Dans le Bréviaire de Paris, il y a ce jour-là un autre
évangile; on ne pouvait donc pas mettre l'homélie de saint Léon. Mais,
dira-t-on, pourquoi a-t-on changé l'évangile? Pour une raison assez simple :
c'est que le même évangile se dit encore le lendemain dimanche (5).
« Dans la légende de l'office de
saint Grégoire le Grand, on avait retranché les paroles dans lesquelles ce
grand Pape se plaint de l'outrage fait à saint Pierre par Jean le Jeûneur,
patriarche de Constantinople, qui s'arrogeait le titre d'Evêque universel. »
Accusation dénuée de vérité (6). Peut-on comprendre comment l'Abbé de Solesmes
a pu se la permettre (7) ? Le Bréviaire de Paris en dit plus sur ce fait que le
Bréviaire romain lui-même. Voici le texte du romain :
177
178
Joannis Patriarchae Constantinopolitani
audaciam regit, qui sibi universalis Ecclesiœ
Episcopi nomen arrogabat. Le parisien dit : Joanni Patriarchœ Constantinopolitano fortiter obstitit, qui sibi nomen
universalis Episcopi arrogabat : ce qui renferme bien tout ce qui
est dans le Bréviaire romain ; mais le Bréviaire parisien ajoute ce que ce
grand Pape en écrivit à l'impératrice Constantine : Qua de re ad Constantinam
Augustam ita scripsit : Etsi peccata Gregorii tanta sunt, ut pati talia debeat
; Petri tamen peccata nulla sunt, ut vestris temporibus pati ista mereatur ; par où saint Grégoire déclare qu'en lui réside l'autorité
même de Pierre (1).
« Parlerons-nous des absolutions
et bénédictions qu'on avait empruntées à l'Écriture sainte? » Singulier
reproche (2) !
« Et dont la longueur, la phrase
obscure contrastaient si fortement avec les anciennes. »
Pour répondre au double reproche
de longueur et d'obscurité, je me contenterai de rapporter l'Absolution et les
bénédictions du Ier nocturne (3) : ABSOL. Adaperiat Deus cor vestrum in lege sua, et in prœceptis
suis, et det vobis cor omnibus ut colatis eum. 1 BENED. Deus Domini Jesu Christi
pater gloriœ det nobis spiritum sapientiœ. 1 BEN. Filius Dei det nobis
sensum ut cognoscamus verum Deum. 3 BENED. Spiritus veritatis doceat nos omnem veritatem.
Remarquez que l'Abbé de Solesmes reproche tantôt la brièveté et tantôt la
longueur (4).
Voici un reproche bien mal fondé,
et bien inconvenant pour ne pas dire quelque chose de plus. [
p. 122]
« Le défaut de clarté... se
faisait remarquer principalement dans la bénédiction de compiles. «
Or, voici cette bénédiction : Gratia Domini Jesu Christi et caritas Dei,
et communicatio sancti Spiritus, sit cum omnibus vobis :
c'est-à-dire, Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la communication
du Saint-Esprit,
179
18o
et la charité de Dieu
soient avec vous tous. Où est l'obscurité (1) ? Écoutons les autres
reproches.
« D'abord la grâce, et toujours
la grâce. » A-t-on jamais vu un Chrétien trouver mauvais que l'on parle souvent
de la grâce de Jésus-Christ ? Nous sommes bien certain que Dom Guéranger n'a
pas voulu blasphémer; il n'en est pas moins vrai que sa plainte sent le
blasphème. Quoi ! lui dirai-je, vous êtes las
d'entendre parler de la grâce ! mais elle est l'objet
continuel des prières de l'Eglise; mais la grâce est notre vie; sans la grâce, nous ne pouvons rien
faire absolument de bon, d'agréable à Dieu, d'utile pour le salut ! C'est la
grâce que l'Eglise demande au commencement de toutes les heures de l'office, en
priant Dieu de venir à son secours : Deus in adjutorium meum intende.
Elle nous invite tous à demander la grâce trois fois par jour, en récitant
l'oraison de l’Angelus : Gratiam tuam, quaesumus,
Domine, mentibus nostris infunde, etc. Devons-nous, de peur d'être janséniste,
cesser d'être chrétien ? Ce qui suit ne
sent pas moins le blasphème (2). [ p.
123]
« Puis un texte de l'Écriture (et
quel texte?), un texte qui renferme les trois personnes de la sainte Trinité. »
En vérité, je ne sais à quoi pensait l'Abbé de Solesmes, quand il faisait de
tels reproches aux rédacteurs du bréviaire, et qu'il ajoutait : « Voilà leur
pensée, l'objet de leur triomphe. » On peut voir, si l'on veut, les raisons sur
lesquelles il s'appuie, je ne crois pas qu'elles vaillent la peine d'une
réponse (3).
181
182
Après cela, on ne trouve que des
reproches vagues, dont la
réfutation demanderait que l'on comparât
tous les offices des deux bréviaires (1). Voici cependant quelques
incriminations spéciales.
« Une grave et déplorable mesure
était la suppression du titre de Confesseur. »
Expliquons cette déplorable
mesure. Dans le commun des Saints du Bréviaire romain, on met sous le seul
titre de Confesseurs, pontifes ou non pontifes, tous les saints Évêques,
Abbés, Moines, Laïques. Dans le parisien, il y a un commun particulier pour
chacun de ces ordres de Saints : que l'on juge lequel des deux est préférable
(2). [ p. 124]
« Les prières de la
recommandation de l'âme avaient été tronquées. » Je ne sais où Dom Guéranger a
pris cela ; je ne vois, dans ces prières, d'autre changement que celui des
répons et des versets qui doivent être dits après que le malade a rendu le
dernier soupir, et ces versets, s'il y a quelque différence pour la longueur,
sont plus longs dans le Bréviaire parisien: ces prières ne sont donc pas tronquées
(3).
Dans l'office des Morts, « l'office de laudes avait été abrégé d'un
tiers. »
Il est vrai que, dans le Bréviaire
romain, les laudes ont sept psaumes et un cantique ; et que, dans le parisien,
elles n'ont que quatre psaumes et un cantique ; il en est de même pour l'office
de tous les jours. Cela vient de ce que, dans les laudes du Bréviaire romain,
de plusieurs psaumes on n'en a fait qu'un. Mais dans l'un et dans l'autre
bréviaire, il y a le même nombre de psaumes pour tous les offices, tant des
vivants que des morts (4).
Après avoir ainsi discuté le
bréviaire, on en vient au missel.
« L'évangile de la fête de saint
Pierre et de saint Paul.., avait disparu avec son fameux texte, Tu es Petrus, etc. pour faire place au passage du XXI°
chapitre de saint Jean, où Jésus-Christ dit à saint Pierre, Pasce
oves meas,
183
184
texte important sans doute pour
l'autorité du Saint-Siège, mais moins clair, moins populaire, moins étendu que,
Tu es Petrus. »
C'est là, sans doute, dans
l'esprit de Dom Guéranger, un attentat nouveau contre l'autorité du Saint-Siège
(1).
Les auteurs du missel avaient eu
si peu la volonté de faire disparaître ce texte, qu'ils l'ont mis à l'introït,
c'est-à-dire à l'endroit le plus apparent de la Messe ; de manière que, dans
cette solennité du Prince des Apôtres, au moment du sacrifice, la première
parole qui retentit dans l'assemblée des fidèles est celle-ci : Tu es Petrus; et tout le reste qui parle si éloquemment de
l'autorité suprême du Vicaire de Jésus-Christ (2).
« Pourquoi faire rédiger des
préfaces si longues et si lourdes ? » Si Dom Guéranger les trouve trop longues,
il ne doit pas faire un crime aux rédacteurs du bréviaire d'avoir visé à la
brièveté (3).
Comment accuser d'être lourdes
des préfaces qui au jugement de tous les hommes de goût, sont de vrais
chefs-d'œuvre de poésie (4) ? [ p. 126]
Un des caractères que Dom
Guéranger attribue au nouveau bréviaire, est de favoriser et de développer
le presbytérianisme. Il en donne deux raisons, qui, à coup sûr,
persuaderont peu de monde.
La première est que la nouvelle
liturgie fut l'œuvre de simples prêtres, à laquelle ont pris part des
laïques même. Quel rapport y a-t-il entre le presbytérianisme et la
correction ou rédaction d'un bréviaire par des prêtres, ou même des laïques (5)
?
L'Abbé de Solesmes prétendrait-il
que les archevêques de Paris auraient dû rédiger ou corriger eux-mêmes leur
bréviaire et leur missel ; qu'ils se fussent mis à composer des proses, des
hymnes et des préfaces ? Il leur eût fallu évidemment, dans ce cas, renoncer à
l'administration de leur diocèse (6).
185
186
A-t-il oublié ce qu'il nous a
dit, que les archevêques de Péréfixe, de Harlay, de Vintimille, chargèrent des
commissions spéciales de la révision et de la correction du bréviaire comme du
missel (1) ; et qu'après les avoir examinés ou fait examiner, ils donnèrent des
lettres pastorales pour autoriser et ordonner l'usage de ces livres liturgiques
? Comment voit-il dans tout cela le développement du presbytérianisme (2)
? [ p. 127]
Sa seconde preuve ne vaut pas
mieux. C'est que l'on a mis dans les nouveaux bréviaires un Commun des
prêtres, lequel devait bientôt être accueilli en tous lieux par
acclamation, à cette époque où les pouvoirs du second ordre étaient
proclamés si haut.
Que ceux qui, les premiers, ont
proposé d'introduire un Commun particulier des prêtres, aient voulu relever par
là le second ordre du clergé, c'est possible ; mais ils ont en même temps
honoré la dignité du sacerdoce et rappelé aux prêtres leurs devoirs: chose fort
bonne. Au fond, ce nouveau commun est plutôt contraire que favorable au
presbytérianisme, qui veut égaler les simples prêtres aux Évêques. Et en effet,
est-ce en distinguant les Évêques des prêtres ou en les égalisant, qu'on peut
arriver plus tôt au presbytérianisme ? C'est sans doute en les confondant. Eh
bien ! les bréviaires qui assignent un Commun aux
prêtres, au lieu de les confondre avec les Évêques,
187
188
les distinguent, au lieu de les
égaliser, les graduent (1). Il est vrai que, par ce nouveau Commun, les prêtres
sont distingués des simples justes, moines ou laïcs; mais cette distinction,
nous venons de le dire, est très-convenable, très-utile en ce qu'elle rappelle aux prêtres l'excellence
et la sainteté de leur ministère (2).
Avons-nous fini d'exposer et de
réfuter les accusations de Dom Guéranger contre les livres liturgiques de Paris
? Non : en voici une nouvelle, non moins singulière que plusieurs de celles
auxquelles nous avons déjà répondu. Dans le Bréviaire de Paris, on s'est
attaché à insérer des hymnes d'une latinité pure. C'est au fond le nouveau
reproche de notre auteur ; quoique, pour y mettre quelque apparence de raison,
il embrouille, autant qu'il peut, son discours (3). « On nous vante, dit-il, le
beau latin, le génie antique de Santeul... Quand à
nous, nous pensons que le latin de saint Ambroise, de saint Augustin, etc.,
n'est pas la même langue que le latin d'Horace, de Cicéron, etc. (4) » [ p.
128]
(Dans les pages suivantes,
Monseigneur l’archevêque de Toulouse après avoir exprimé sa prédilection,
assurément très permise, pour la latinité de Santeul,
en vient à la critique que j'ai faite des gravures du Bréviaire de Paris de 1736.
J'ai répondu à ces reproches dans la Lettre ci-dessus. )
On peut juger maintenant quelle
confiance il faut avoir aux incessantes déclamations de Dom Guéranger contre le
Bréviaire de Paris, et contre ceux du même rit qui ont
été publiés dans un grand nombre de
diocèses (5). J'ai [ p. 138]
189
190
suivi ce rit, pendant près de
cinquante ans, à Paris, à Bayonne, à Toulouse; or, je déclare que je l'ai
trouve très beau (1).
L'Abbé de Solesmes a prétendu, et
il le répète souvent, que les rédacteurs ont visé surtout à le rendre court
(2). Il est, quoi qu'il en dise, d'une juste longueur (3). Il y aurait
peut-être plus d'inconvénient dans une longueur excessive que dans une brièveté
un peu trop grande. Trop de longueur fatiguerait les bons ecclésiastiques qui
s'appliquent à dire leur office avec dévotion, et porterait les autres à en
précipiter la récitation d'une manière indécente. Les offices semi-doubles,
dans le courant de l'année, si on veut s'acquitter convenablement de ce devoir,
exigent bien une heure de temps ; il faut plus d'une heure pour un office
double (4).
Un avantage inappréciable, c'est
que chaque jour, même aux offices des Saints, on dit des psaumes différents,
tellement distribués, que dans la semaine on récite tout le psautier. Il n'y a
d'exception que pour les fêtes les plus solennelles, pour lesquelles on choisit
les psaumes [ p. 139]
191
192
les plus analogues au
mystère du jour, ce qui relève encore la solennité de ces fêtes (1).
Les prêtres chargés de la prière
publique, se rendent familiers par là tous ces cantiques sacrés, inspirés de
Dieu pour suggérer à son Église, non seulement les sentiments d'adoration, de
reconnaissance, de componction, d'humilité, d'amour, par lesquels il veut être
honoré; mais les termes mêmes dans lesquels il aime à recevoir ces hommages.
S'ils devaient réciter chaque jour les mêmes psaumes, l'habitude de les répéter
en affaiblirait le goût, et ceux qu'ils ne réciteraient presque jamais toucheraient
moins leur piété (2).
Parmi les psaumes, il y en a de
très longs, qui équivalent à trois et à six d'une longueur ordinaire. Saint
Benoît prescrit dans sa règle que ces psaumes soient divisés en plusieurs
parties, et que chaque division soit terminée par la doxologie, Gloire au
Père, etc. (3); un ancien concile l'ordonne de même (4) : par ce moyen les
offices sont tous d'une longueur convenable et à peu
193
194
près égale (1). Or, c'est ce qu'on
a pratiqué dans le Bréviaire de Paris... Le Bréviaire romain en avait donné
l'exemple pour le psaume CXVIII (2).
On a fait encore une chose utile,
en proposant un sujet particulier de méditation pour l'office de chaque jour de
la semaine, et y réunissant les psaumes qui sont plus relatifs à ce sujet.
L'attention se fixe beaucoup mieux sur un point de méditation déterminé. Un
autre avantage, c'est qu'en cherchant à appliqueras psaumes au sujet proposé,
l'esprit s'accoutume à découvrir dans la sainte Écriture les divers sens
qu'elle renferme (3). [ p. 146]
Les hymnes sont encore une des
beautés du Bréviaire parisien; tous les hommes de goût, qui veulent être
impartiaux, les admirent (4).
La sainte Ecriture y est
parfaitement appliquée aux divers mystères, et aux Saints dont on célèbre les
fêtes (5).
On a eu soin de rapprocher si
heureusement les textes de l'Ancien Testament et du nouveau, que l'on saisit
parfaitement l'accord admirable de l'un avec l'autre. C'est ce qu'on peut
vérifier dans toutes les parties du bréviaire. Nous citerons en particulier
l'office de la très sainte Trinité, qui est le mystère le plus fondamental de la
religion. On y voit énoncer ou indiquer dans presque tous les capitules, les
répons et les antiennes, ou l'unité de Dieu, ou la trinité des personnes,
souvent l'une et l'autre ensemble (6). [ p. 141]
On a eu soin d'éviter les
répétitions des mêmes versets, des mêmes répons, des mêmes antiennes, etc.,
comme, dans le missel, les répétitions des introïts et des évangiles; ce qui a
donné la possibilité de rapporter un beaucoup plus grand nombre de textes de la
sainte Ecriture : Les prêtres ne peuvent jamais la connaître assez (7).
Un des précieux avantages du
Bréviaire de Paris, est qu'un ecclésiastique qui le récite avec piété et avec
attention, ne peut manquer d'acquérir une grande connaissance
195
196
de la religion, et par là même une grande
facilité pour en instruire solidement les fidèles. Nous avons vu ce qu'a dit
l'Abbé de Solesmes, que c'était un arsenal pour la controverse (1).
Peut-être que le mérite le plus
grand de tous, sous le rapport de l'instruction, est d'avoir mis à la fin de
prime, pour chaque jour de l'année, un canon tiré des conciles ou des SS. PP. ;
de manière que tous ceux qui sont tenus à la récitation de l'office divin,
lisent nécessairement chaque année trois cent soixante-cinq canons, contenant
la tradition de l'Église sur le dogme, la discipline et la règle des mœurs.
L'Abbé de Solesmes n'a pu s'empêcher de louer cette addition faite au Bréviaire
parisien (2).
Tel est le bréviaire que l'Abbé
de Solesmes veut enlever à la France. En plus d'un endroit, il exprime cette
espérance, qu'il fonde sans doute sur le grand effet que doivent produire les
déclamations continuelles et injustes de ses Institutions liturgiques.
Heureusement le Saint-Siège est plus sage que cet auteur (3).
Mais n'est-il pas vrai que ce
bréviaire tend à diminuer le culte de la sainte Vierge, des Saints, à
affaiblir l'autorité des souverains Pontifes, et à favoriser les erreurs des
jansénistes ? Je le nie.
D'abord, je n'y vois rien, non
plus que dans le missel, qui tende à diminuer le culte de la sainte Vierge ;
j'y trouve même le contraire. Dans l'office de Beata
du samedi, je vois, à compiles, une hymne propre en l'honneur de la sainte
Vierge, ce qui n'est pas dans le romain. Les trois premiers mots, Virgo Dei genitrix,
nous disent toutes les grandeurs de Marie, sa virginité et sa maternité divine.
On déclare ensuite que tous les peuples l'honorent comme leur mère et leur
maîtresse ; Hinc populi matrem te
dominamque colunt.
On la prie de recevoir avec bonté les honneurs qui lui sont rendus par le peuple
fidèle: Suscipe quos pia plebs
tibi pendere certat
197
198
honores, et de lui accorder
la protection qu'il sollicite de sa bonté : Annue
sollicita quam prece poscit opem. Cette hymne, si
dévote envers Marie, ne se dit pas seulement à l'office du samedi, mais aux
autres fêtes de la sainte Vierge (1).
Tout le temps, depuis la
Circoncision jusqu'au dimanche de la Septuagésime, est consacré à célébrer la
naissance du Sauveur et la maternité divine de la très sainte Vierge, dont on
fait mémoire tous les jours à vêpres et à laudes : il n'en est pas ainsi dans
le romain (2). [ p. 142]
A toutes les fêtes de la Mère de
Dieu, il y a trois ou même quatre hymnes en son honneur; et quelles hymnes !
(3) Celle des IIes vêpres du jour de la Présentation de Notre-Seigneur et de la
Purification de Marie, Stupete, gentes,
est célèbre. Je ne rapporterai que celle des matines de l'Assomption ; on ne
peut exalter par une poésie plus sublime le triomphe de Marie.
Quœ cœlo nova mine additur hospes! etc.
La veille de cette fête si
solennelle de Marie, il n'y a dans le Bréviaire romain que l'homélie et la
mémoire de la sainte Vierge; dans le parisien, tout l'office est de la [ p. 144]
199
200
vigile, avec deux belles hymnes. Il
est du rit double aux petites heures (1).
Que dirons-nous de la prose, Inviolata, qui est propre au Bréviaire parisien, et
que l'on trouve à la suite du petit office de la sainte Vierge, dans l'édition
même de 1736? Peut-on invoquer cette bienheureuse Mère du Sauveur, avec une
confiance plus filiale, un amour plus tendre, une admiration plus féconde en
louanges ? On la chante ordinairement après le Pange
lingua ou le Tantum
ergo, au moment où l'on va donner la bénédiction du Saint-Sacrement,
c'est-à-dire qu'on célèbre la gloire de la Mère, pour obtenir de plus
abondantes bénédictions de la part du Fils (2).
Je ne peux m'empêcher de la
consigner ici. Elle est peut-être peu connue dans quelques diocèses de France. [ p. 145]
Inviolata, integra et casta es, Maria : etc.
On la chante à deux chœurs, et le
chant en est aussi affectueux que les paroles.
Voit-on dans tout cela
l'intention de diminuer le culte de la sainte Vierge (3) ?
Quant aux saints, j'ai dit que
l'on avait poussé peut-être trop loin la critique sur l'authenticité de leur
vie et de leurs miracles; j'ai exprimé le regret qu'on eût supprimé les offices
ou les mémoires de quelques saints Papes martyrs; mais on célèbre encore un
grand nombre de fêtes des saints, leurs offices sont très beaux, et Ton y
rapporte un assez grand nombre de miracles, pour affermir la foi et exciter la
dévotion et la confiance envers ces amis de Dieu (4), déjà en possession de la
gloire qui leur a été acquise par les mérites du Sauveur. On n'a qu'à lire
leurs offices et leurs légendes. Voyez en particulier ceux de sainte Geneviève,
de saint Maur, saint Antoine, saint Vincent, saint Polycarpe, sainte Scholastique,
sainte Marie Égyptienne, saint Benoît, saint [ p. 146]
201
202
Germain d'Auxerre, saint Martin de Tours, la fête de sainte
Geneviève des Ardents; dans tous ces offices on rapporte assez de miracles pour
qu'on ne puisse pas accuser les rédacteurs d'avoir été ennemis de la gloire des
Saints (1).
Mais ne se sont-ils pas appliqués
à affaiblir l'autorité des souverains Pontifes? Que quelqu'un d'entre
ces rédacteurs, sous des prétextes spécieux, eût obtenu des changements qui
tendraient à ce but, la chose ne serait pas impossible (2); mais l'ensemble du
bréviaire justifie suffisamment de cette accusation les rédacteurs en général,
et encore plus les archevêques qui l'ont approuvé (3).
La fête du Pontificat de saint
Pierre en dit plus pour l'autorité des souverains Pontifes, que la réunion
des deux Chaires du prince des Apôtres en une seule fête ne peut nuire à cette
autorité (4).
Quelle profession plus éclatante
du pouvoir de Pierre, que l'introït de sa plus grande fête, commençant par ces
mots : Tu es Petrus, suivis des célèbres
paroles par lesquelles le Fils de Dieu lui a conféré la puissance des Clefs, et
a fait ainsi de cet apôtre et de ses successeurs le fondement de son Église
(5). [ p. 147]
On a prétendu que c'est surtout
dans les hymnes, que l'on a déprimé la puissance du Vicaire de Jésus-Christ (6)
: qu'on lise donc cette première strophe de l'hymne des
203
204
laudes, dans l'office de son Pontificat,
c'est-à-dire de ses deux Chaires :
Qualis
potestas, Petre, quis
terris honos,
Cui jura Christus ipse concessit sua !
Quidquid
ligabis, quidquid et solves solo,
Hoc et ligabit,
solvet et polo Deus, etc. (1).
Dans l'édition du Bréviaire de
Vintimille de 1745, et encore de son vivant, on fit un autre choix des canons
de prime, parmi lesquels on mit celui-ci, qui est assurément bien favorable à
l'autorité des souverains Pontifes :
Ex libro septimo sancti Oplati Episcopi, de
schismate Donatistarum,
etc. (2).
Enfin, on accuse les hymnographes
du Bréviaire parisien, de ne jamais rien dire contre les hérésies du temps. Une
réponse générale qu'on doit faire contre cette accusation, c'est que si les mystères
de la Religion et les vertus éclatantes des Saints, sont de beaux sujets pour
la poésie, il n'en est pas de même des points de controverse (3). Par exemple,
que le Fils de Dieu soit mort pour le salut du monde, cette bonté
incompréhensible est bien capable d'enflammer le génie du poète ; mais s'il lui
fallait argumenter pour prouver aux jansénistes que le Sauveur n'est pas mort
pour les seuls élus, son enthousiasme se soutiendrait difficilement (4). Le
mystère de la mort de [
p. 148]
205
206
Jésus-Christ pour notre salut est souvent traité dans nos
hymnes; on y dit même qu'il est mort pour le salut de tous (1).
Lignum crucis mirabile
Totum per orbem prominet,
In qua pependit innocens,
Christus, redemptor omnium.
Orbis redempti qualia pignora !
C'est encore une hérésie des jansénistes de dire que la
grâce fait tout en nous dans le bien que nous opérons ; que notre libre arbitre
n'y est pour rien. Pour soutenir leur erreur, là où saint Paul dit : J’ai
travaillé plus que tous les autres, non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu arec moi : gratia Dei mecum ; ils
traduisent par la grâce de Dieu qui est avec moi. Eh bien ! cette
erreur est attaquée dans l'hymne que l'on dit à laudes, depuis le dimanche de
la Septuagésime jusqu'au Carême dans l'office du temps.
Qui nos creas
solus Pater,
De pristino
lapsos statu
Non solus
instauras : simul
Nostros
labores exigis (2).
Les jansénistes ont dit qu'on ne
pouvait pas résister à la grâce : dans la sixième strophe de cette hymne, on
suppose cette résistance :
At
obstinatis vindicem
Iram
reservas (3).
Le Bréviaire de Paris ne combat
pas les erreurs des jansénistes seulement dans ses hymnes, mais encore dans
207
208
ses répons (1). On a mis dans
l'office propre du même temps de la Septuagésime, pour l'antienne de none du
dimanche, ce beau passage de la Sagesse : Nihil odisti eorum quœ fecisti, parcis antem omnibus; quia tua sunt, Domine, qui amas animas;
et dans le capitule : Deus mortem
non fecit, nec lœtatur in perditione vivorum,
où sont condamnés ceux qui veulent que Dieu ait prédestiné les méchants au mal
et à la mort éternelle (2).
Cette hérésie est encore plus
directement combattue par le répons de la première leçon des fériés du Carême,
répons qu'on lit tous les jours jusqu'à Pâques : R/ Projicite à vobis omnes prœvaricationes
vestras, et facite vobis cor novum et spiritum novum ; quia nolo mortem
morientis, dicit Dominus; revertimini et vivite; JE NE VEUX PAS LA
MORT DE CELUI QUI MEURT. Peut-on s'exprimer plus fortement contre l'hérésie
détestable qui attribue à Dieu de vouloir la réprobation de ceux qui se damnent
(3) ?
200
210
Mais, dit l'Abbé de Solesmes, «
rien n'est moins étonnant que ce soin qu'avaient eu les rédacteurs du
bréviaire, d'insérer dans leur œuvre un certain nombre de textes (favorables à
la saine doctrine) qu'on aurait à faire valoir en cas d'attaque. » Je fais
observer là-dessus que ces rédacteurs pouvaient bien placer les textes en
question de manière qu'on n'eût à les dire qu'une fois. Comment se fait-il
qu'ils les aient mis au Propre du temps, à une époque où l'on fait presque
toujours l'office de la férié, ce qui met les prêtres dans la nécessité de les
réciter à peu près tous les jours, et de s'inculquer mieux les vérités qui y
sont contenues (1) ?
Je crois avoir justifié
suffisamment le Bréviaire de Paris, et avoir donné quelque idée de sa beauté,
que l'on ne peut du reste bien apprécier qu'autant qu'on le connaît
211
212
parfaitement (1). Mais il me semble
entendre Dom Guéranger qui me dit ce qu'il a répété mille fois, et en quoi il
met toute sa force : Après tout, quelle confiance peut-on avoir en un bréviaire
rédigé par des hérétiques? Car aujourd'hui le jansénisme est rangé sans
contestation aie nombre des hérésies (2).
Je réponds d'abord : Nous avons
justifié le bréviaire de toute hérésie; puisque l'Abbé de Solesmes n'a pu y en
trouver aucune; et que la seule proposition qu'il traitait d'hérétique, est,
comme nous l'avons prouvé, parfaitement orthodoxe (3). De plus, nous avons
montré que ce bréviaire, au lieu de favoriser l'hérésie, offrait des armes
contre elle (4). Ce double fait posé, j'en conclus que si le bréviaire est
sorti si pur d'une source impure, il
faut bénir Dieu qui, dans cette occurence, comme dans
une infinité d'autres, a protégé l'Église de France contre les machinations de
l'erreur (5).
Je réponds ensuite à Dom
Guéranger, en lui proposant moi-même une difficulté : Les évêques qui ont
publié les nouveaux bréviaires, n'étaient nullement favorables aux jansénistes;
comment ont-ils pu les charger de la rédaction ? Écoutons la réponse, elle est
en propres termes dans les Institutions liturgiques. « Cet archevêque (François
de Harlay), comme plusieurs prélats ses collègues..., professaient un
éloignement énergique pour la doctrine de Jansénius sur la grâce. Ils pouvaient
se servir des gens du parti quand ils en avaient besoin, [ p.
152]
213
214
mais ils savaient les contenir.
L’histoire de l’Église au XVII° siècle dépose de cette vérité (1). »
J'ajouterai à cela quelques
observations. Dans le commencement des hérésies, tant que leurs partisans ne
sont pas ouvertement en révolte contre l'Église, et qu'ils ne se séparent pas
des vrais fidèles, on est beaucoup moins sévère à leur égard (2). C'est ce qui
est arrivé pour les jansénistes, qui ont eu pour système constant de ne jamais
se séparer ouvertement, et ont employé toutes les subtilités possibles, les
distinctions du fait et du droit, le silence respectueux, l'appel au souverain
Pontife mieux informé, etc., pour conserver l'apparence de l'orthodoxie (3).
Il y avait
d’ailleurs parmi eux des hommes fort instruits, très versés dans les saintes
Écritures, et par là même très en état de travailler à la correction des livres
liturgiques (4).
215
216
Et qu'on ne croie pas, ce que Dom Guéranger ne cesse de nous
faire entendre, que les partisans du jansénisme dominaient parmi les rédacteurs
des bréviaires. D'abord il nous a appris lui-même, que les évêques qui les
employaient savaient bien les contenir (1). [ p.
153]
Ajoutons que dans la Commission
nommée par François de Harlay, sur onze
membres, Dom Guéranger n'en réprouve que trois, encore y en a-t-il un qu'il
accuse seulement d'être imbu des principes de l'école française de son temps
; c'est Claude Chastelain, homme, dit-il, véritablement savant dans
les antiquités liturgiques. Si Dom Guéranger l'avait pu, il n'aurait pas
manqué de jeter sur lui une couleur janséniste (2).
Les deux autres sont Jacques
de Sainte-Beuve et le Tourneux. Il ne
reproche autre chose à Sainte-Beuve que d'avoir refusé de signer la condamnation
de la doctrine de son ami Antoine Arnaud, en 1638; fait postérieur à
l'émission du bréviaire, et il lui rend la justice de dire que depuis il
signa le Formulaire. Ce devait être un homme fort recommandable, puisqu'il
fut choisi pour théologien du clergé. La collection de ses Cas de conscience,
dit Feller, décèle beaucoup de savoir, de jugement
et de droiture (3).
217
218
Les ouvrages de le Tourneux furent condamnés par le Saint-Siège, cela est
vrai; mais Dom Guéranger lui-même observe qu'ils ne furent condamnes qu'après
sa mort (1).
Je demande si cette commisse, composée de onze membres
qui, à l'exception de deux, méritent les éloges de l'Abbé de Solesmes, ne
devait pas inspirer de la confiance (2).
On ne peut pas en dire autant, je
l'avoue, des trois docteurs employés par Ch. de Vintimille ; savoir : Vigier, Mézenguy et Coffin (3).
N'allons pas cependant nous effrayer de ce qu'en dit Dom Guéranger.
« Le P. Vigier,
dit-il, bien qu'il n'eût pas appelé de la bulle, sa réputation n'en était pas
moins celle d'un homme rebelle dans le fond de son cœur (4). » Singulière façon
de juger les gens, non par leurs actions, mais par ce qui se passe au fond de
leur cœur! (5). Mais, dit-il, « il composa, pour aider à la pacification des
esprits, un mémoire dans lequel il écartait de la bulle le caractère et la
dénomination de règle de foi, la qualifiant simplement de règlement
provisoire de police. » Qui ne sait que, pour finir les divisions, on cède
souvent plus qu'on ne doit (6), mais le choix que le général de l'Oratoire,
le P. Lavalette, avait fait de lui pour pacifier les
esprits et faire recevoir la constitution, prouve qu'il n'était pas, dans
le fond du cœur, aussi rebelle qu'on veut le dire (7).
210
220
Le P. Vigier avait une grande
réputation de science ; en effet, un homme qui, à lui seul, avait enfanté le
Bréviaire de Paris, ne pouvait être un esprit médiocre (1); et il était
bien naturel que l'on parlât de lui à Ch. de Vintimille, quand il voulut donner
à son Église un nouveau corps d'offices (2).
Il n'est pas aussi facile de
justifier le choix de Mézen-guy, s'il est vrai que,
dès 1728, il avait été obligé de quitter le collège de Beauvais, à cause de son
opposition à la bulle. Ce qu'il y a cependant à remarquer, c'est que c'est à
lui principalement que Ton doit le Missel de Paris. Or, de l'aveu de tout le
monde, le missel est encore préférable au bréviaire. « Dans le fait, dit Dom
Guéranger lui-même, l'on doit convenir que le missel était généralement plus
pur que le bréviaire (3).
Il donne aussi de grands éloges
au talent de Coffin, en ces termes : «
Nous mettons, dit-il, son mérite comme hymnographe, beaucoup au-dessus
de celui de Santeul, pour le véritable genre de la
poésie sacrée (4). »
« Ses hymnes, dit Feller, qui n'est pas ici suspect, furent adoptées dans
tous les bréviaires nouveaux. Une heureuse application des grandes images et
des endroits les plus sublimes de l'Écriture, une simplicité et une onction
admirables, une latinité pure et délicate, leur donneront
toujours un des premiers rangs parmi les ouvrages de ce genre. Si Santeuil s'est distingué par la verve et la poésie, Coffin
a eu cette simplicité majestueuse qui doit être le caractère de ces sortes de
productions (5). » [ p. 156]
221
222
Mais c'était un appelant,
un hérétique notoire, si opiniâtre, que l’Église de Paris elle-même,
quand son hymnographe fut sur le point de mourir, lui refusa le baiser de paix
de sa communion.
Je ne peux répondre ici autre
chose, si ce n'est, d'abord, que lorsqu'on lui a demandé des hymnes pour le
bréviaire, son opiniâtreté n'avait pas été poussée jusqu'à mériter qu'on lui
refusât les sacrements (1). J'ajoute que l'Église adopte volontiers, en quelque
endroit qu'elle le trouve, tout ce qui est bon, utile, beau, parfait (2).
Pense-t-on d'ailleurs que ces
hymnes de Coffin, comme le Bréviaire de Vigier et le
Missel de Mézenguy, aient été reçues sans examen; et
peut-on croire que ces hommes, qui devaient attacher tant de prix à faire
accepter leurs ouvrages, n'aient pas évité avec soin ce qui les aurait fait
repousser ? (3).
Enfin, mettant à part tous ces
raisonnements, ce n'est pas de tels ou de tels auteurs que nous recevons nos
livres Liturgiques : nous les tenons des premiers Pasteurs, qui les
sanctionnent, qui s'en font garants, et qui ont caractère et mission pour
conduire leurs ouailles dans des pâturages où elles doivent trouver la vie et
non la mort (4). [ p. 157]
223
224
Dom Guéranger nous dit que « trente ans après l'apparition
du Bréviaire de 1736..., plus de cinquante cathédrales s'étaient déclarées pour
l'œuvre de Vigier et de Mézenguy.
» J'en conclus, et tout homme qui connaît l'attachement des Évêques de France à
la foi, ne pourra s'empêcher d'en conclure, que ce bréviaire, que tant
d'Évêques s'empressaient d'adopter, devait non seulement être exempt d'erreurs,
mais encore offrir de grandes beautés (1).
Aujourd'hui, après plus d'un
siècle qu'il est en usage dans tant de diocèses, après qu'il a été si
scrupuleusement examiné, jusque-là qu'on y a fait d'abord des corrections, sur
lesquelles on est ensuite revenu en rétablissant le texte primitif; après qu'il
a été approuvé par tant et de si grands évêques, n'est-il pas revêtu d'une
assez grande autorité, pour regarder comme singulièrement téméraires les
blâmes, les censures, les qualifications injurieuses que lui prodigue l'Abbé de
Solesmes (2) ?
Cet auteur réussira probablement
à éblouir quelques esprits, etc.
225
226
J'ai répondu, ci-dessus, dans ma
Lettre elle-même, Monseigneur, aux insinuations que vous avez cru devoir
proposer au public sur mon apotasie future qui doit
un jour scandaliser l'Église à l'égal de celle du malheureux abbé de Lamennais.
Je ne reviendrai pas sur ce sujet. Mais comme les dernières pages de votre
brochure m'accusent de mauvais vouloir contre l'épiscopat français, et que je
ne dois avoir rien de plus cher que de désavouer une imputation non moins
injurieuse à ma qualité de catholique, que peu méritée en elle-même, je
transcrirai ici quelques pages de ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Rheims, dans lesquelles j'ai répondu à cet étrange
reproche qui m'avait été adressé dans les colonnes d'un Journal ecclésiastique
par deux écrivains dont l'autorité, heureusement, est loin de former un préjugé
grave aux yeux des gens sérieux. Je disais donc :
« On a prétendu, et je vous
demande pardon, Monseigneur, de répéter en votre présence une assertion aussi
absurde, on a prétendu, dis-je, que le résultat de mes travaux sur la science
liturgique était une injure à l'épiscopat. Une pareille accusation, toute
étrange qu'elle est, était plus facile à formuler, il est vrai, qu'une
réfutation solide de tous les faits et de tous les points de droit que j'ai eu
jusqu'ici à produire.
« Mais allons au fond. Quelle est
donc après tout, la conséquence de mes principes, ou plutôt des principes
universels sur la Liturgie? C'est que cette forme si importante du catholicisme
doit tendre à l'unité, et que le moyen d'y établir et d'y maintenir l'unité,
est la soumission aux décrets vénérables et solennels des Pontifes romains sur
la matière. Et depuis quand ne pourrait-on plus invoquer les prérogatives du
Siège apostolique, sans faire injure à l'épiscopat? Si le chef est glorifié,
les membres ne le sont-ils pas avec lui ? Si l'autorité du Pontife romain se
développe sans obstacle dans les églises, n'est-elle pas la
227
meilleure sauvegarde du pouvoir des évêques, dont la
juridiction, menacée entant de manières par des rivaux -puissants, ne sera
jamais plus inviolable que lorsque la source divine d'où elle émane se montrera
plus à découvert? Qu'elle est éclatante la gloire, qu'elle est invincible la
force de l'épiscopat dans Pierre qui vit, parle et régit à jamais dans ses
successeurs ! Qu'ils sont puissants et vainqueurs du monde et de la chair, ces
frères de Pierre se faisant gloire de leur filiale et continuelle obéissance à
celui sur qui seul ils sont édifiés, à celui qui seul a les promesses d'une
doctrine infaillible, à celui qui seul les a reçu le pouvoir et la grâce pour
les confirmer, quand ils sont ébranlés ! Certes, si des excès étaient à
redouter dans les rapports des membres de la hiérarchie avec leur auguste chef,
ce ne seraient pas ceux de la soumission, mais bien plutôt ceux de
l'indépendance, et l'autorité épis-copale sera
toujours d'autant plus haut placée dans les respects, l'amour et l'obéissance
du clergé et des fidèles, qu'on verra ceux qui l'exercent se montrer plus zélés
observateurs des volontés apostoliques.
« Après cela, me fera-t-on un
crime de discuter certains points de droit de la solution desquels il résulte
que, dans le gouvernement de son diocèse, un évêque est borné par des lois
générales contre lesquelles il ne peut agir, sans que ses actes soient frappés
d'irrégularité, ou même de nullité? Mais où voudrait-on en venir par cette
voie? Il ne s'agirait donc plus seulement d'interdire l'étude de la science
liturgique; il faudrait encore empêcher tout enseignement du droit canonique,
et placer, par conséquent, l'Église de France dans une situation où jamais
aucune église ne s'est trouvée; puisque, dès les premiers siècles, la
connaissance des canons a fait essentiellement partie de la science du clergé.
Personne assurément, et nos vénérables Évêques moins que qui que ce soit,
n'accepterait une telle conséquence. Or,
228
cependant, qu'est-ce autre chose
que le droit canonique, dans sa plus grande partie, sinon l'ensemble des
règlements par lesquels le pouvoir des divers degrés de la puissance
hiérarchique se trouve circonscrit dans certaines limites, afin que l'harmonie
se conserve et se développe dans l'ensemble ? La puissance épiscopale si
auguste, si sacrée, n'est-elle pas déjà restreinte en cent manières par les
réserves apostoliques, et avant même que
le Saint-Siège eût statué la plupart de
ces réserves salutaires, l'histoire du droit ne nous montre-t-elle pas les
conciles généraux et particuliers occupés sans cesse, pour le bien du corps
ecclésiastique tout entier, à régler par des canons pour la rendre plus
efficace, cette autorité épiscopale par laquelle l'Esprit-Saint
régit l'Église de Dieu ? Il est évident que ceux qui m'ont fait le reproche
d'attaquer l'épiscopat, par le seul fait que je réclamais en faveur d'une
réserve papale, sont bien peu familiers avec la science du
droit canonique, ou sont du moins sous l'empire d'une bien singulière
distraction.
« Ce n'est pas tout. On est allé
jusqu'à dire que j'attaquais encore l’épiscopat, en ce que, dans les récits que
j'ai été obligé défaire, je produisais des faits propres à donner à entendre
que, à une certaine époque de notre histoire, la faiblesse ou la connivence d'une partie des Évêques de
France avait compromis les intérêts de la religion. D'abord, je pourrais
demander si l'on trouve quelque chose de faux, de hasardé dans les faits que
je raconte ; si les sources (et je les
cite toujours) sont suspectes ou peu sûres. Dans ce cas, que l'on me réfute, je
le désire, je l'implore ; car je n'ai garde d'être du nombre de ces historiens
qui aiment à charger de noires couleurs les tableaux qu'ils offrent à leurs
lecteurs. Que si les faits que je rapporte sont véritables, il n'y a que deux
partis à prendre sur leur sujet : les taire, par égard pour la renommée des
coupables; les publier, par respect pour la vérité historique.
229
« Le premier de ces deux partis
n'est pas praticable à une époque où chacun sait lire, dans un temps où des
intérêts de tout genre poussent tant de gens à fouiller les recoins de
l'histoire, à entreprendre de ces monographies quelquefois désespérantes dans
leur minutieuse fidélité. Pour moi, je partage pleinement à ce sujet les idées
de l'historiographe de l'Eglise catholique, le grand cardinal Baronius, qui déclare qu'après avoir pesé les inconvénients
de produire au grand jour, ou de dissimuler les mauvaises actions de certains
Papes, il a jugé prudent de s'exécuter avec franchise, plutôt que de laisser
dire aux Centuriateurs que les historiens catholiques, dont le devoir est de
démasquer les œuvres mauvaises des sectaires, sont indulgents pour les
faiblesses de leurs propres Pontifes.
« Reste donc le second parti qui
consiste à donner dans toute sa rigueur la vérité historique, et, certes, n'y
a-t-il pas une leçon bien précieuse à recueillir de la chute ou de
l'affaiblissement de ces colonnes que Dieu a établies, mais qui tiennent de lui
seul leur solidité ? Les Évangélistes nous ont-ils caché la chute de saint
Pierre et la trahison de Judas? L'Ancien et le Nouveau Testament écrits l’un et l'autre pour notre instruction,
comme parle l'Apôtre (1), ne nous racontent-ils pas en détail les
prévarications commises sur le trône et dans le sanctuaire; afin que nous
sachions bien que c'est la main de Dieu qui conduit son peuple, et que le
Seigneur se glorifie tour à tour dans sa justice et dans sa miséricorde ?
« Je sais bien que nous avons, en
France, la prétention d'être le premier cierge de l'Église catholique ; mais il
ne s'agit rien moins que de cette question oiseuse et délicate. Les monuments
du passé sont devant nous; c'est à eux seuls
qu'il faut faire appel.
L'historien, mais surtout
23o
l'historien ecclésiastique, n'est
d'aucun pays; c'est assez pour lui
d'être catholique. Je le répète, la question est toute dans les faits. J'accepte
donc volontiers telle controverse qu'on voudra sur la valeur des sources, ou
sur celle des faits en eux-mêmes ; mais je persiste à dire que l'Église de ces
derniers temps étant tout aussi bien l'Église de Jésus-Christ que celle du
quatrième siècle, il nous faut juger les personnes et les choses de ces années
récentes avec la même inflexibilité que s'il s'agissait d'une époque perdue
dans le lointain des âges.
« Au reste, j'ai eu d'assez
belles réserves à faire dans le récit des malheurs de l'Église en France au
dix-huitième siècle, d'assez beaux noms à signaler entre ceux que cette Église
honore, à la même époque, comme des
pasteurs sans tache. Sans compter Fénelon, qui dévoila avec tant de franchise,
dans son Mémoire confidentiel à Clément XI, la grande et lamentable plaie de
l'épiscopat de son temps; ai-je manqué d'éloges pour le cardinal de Bissy, les archevêques Languet et Saint-Albin,
les évêques La Parisière, de Belzunce,
de Fumel, etc. ? N'ai-je pas excusé sur les préjugés de leur pays et sur le
malheur des temps plusieurs prélats orthodoxes qui crurent accomplir une œuvre agréable à Dieu en substituant des
prières nouvelles à l'antique prière romaine ? A moins d'avoir deux poids et
deux mesures, à moins de juger indifférente l'hérésie formelle, et la plus
dangereuse de toutes, connue sous le nom de Jansénisme, ai-je pu donner comme de fidèles pasteurs ces évêques
qui, après avoir accepté et publié les jugements du Saint-Siège contre de criminelles erreurs, s'en allaient ensuite demander aux fauteurs connus de ces mêmes erreurs, appelants et réappelants des jugements de l'Église, de vouloir bien
s'employer à la rédaction nouvelle de la
Liturgie, et sacrifiaient, sur un mot de ces sectaires, les formules les
plus saintes, et l'union de prières
scellée avec l'Église romaine depuis
231
neuf siècles, au risque de
s'entendre reprocher par des prêtres catholiques l'altération même de la
doctrine, dans les livres qui doivent en être l'arsenal et le miroir toujours
pur ?
« Des arrêts de parlement condamnant au feu les
réclamations inspirées par le zèle de la
foi, ne prouveront jamais que le Bréviaire parisien de 1736 fût exempt de
reproches sous le point de vue de l'orthodoxie, tant qu'on se rappellera les
nombreux cartons qu'il lui fallut subir dès la première année de sa
publication. L'histoire ecclésiastique
enregistrera et livrera au jugement sévère de la postérité, tant de lettres pastorales placées en tête des nouveaux
bréviaires et dans lesquelles
les prélats s'applaudissaient
d'avoir fait disparaître de la Liturgie des choses vaines, inutiles,
superstitieuses ; tandis qu'en réalité les réductions qu'ils croyaient
devoir faire aboutissaient à restreindre les témoignages universels de la
dévotion catholique envers l'auguste Mère de Dieu, la religion à l'égard des
Saints, la vénération pour le Siège apostolique, à remplacer la parole des
Saints par celle de quelque personnage hérétique, ou tout au moins fort léger
d'autorité ; sans autre compensation pour la perte de cette belle et touchante
communion de prières avec le monde entier, sans autre indemnité pour la rupture
d'un lien si précieux avec Rome, que l'attrait naïvement offert d'un office
plus abrégé. Encore une fois, s'il n'est pas permis de raconter ces faits, et
de les déplorer comme de grands maux pour l'Église, comme les indices et aussi
les causes de la triste confusion d'idées qui s'en est suivie, tout est fini
entre les hommes. Non seulement l'histoire aura cessé d'être une leçon pour la
postérité ; mais on peut dire qu'il n'y a plus d'histoire possible.
« Après tout, sur quoi serait
fondée la solidarité de l'épiscopat d'un siècle avec l'épiscopat d'un autre
siècle, s'il est vrai de dire que, pour tous les hommes, quelque
232
rang qu'ils occupent, les fautes
sont personnelles comme les vertus? Le Fils de l'homme révélant à saint Jean,
dans l'île de Pathmos, les mérites et les démérites des sept principaux évêques
de l'Asie Mineure, et enjoignant à cet Apôtre de consigner ces jugements par
écrit pour l'instruction de l'Église, jusqu'à la fin des temps, n'a-t-il pas
voulu par là nous faire comprendre que la grâce d'un même caractère sacré, pour
être égale en tous, ne fructifie pas également en tous ? Pourquoi le
dix-huitième siècle, le siècle du philosophisme, de la décadence et de
l'anarchie, aurait-il, en celui-ci, le privilège d'une histoire flattée,
lorsqu'il nous est si facile à nous, venus après l'orage, ou nés pendant qu'il
grondait encore, d'avouer que dans tous les rangs on avait péché? Le Souverain
Pasteur ne nous apprend-il pas que si le troupeau est ravagé, c'est par la
faute du berger? Et l'apparition de l'ivraie dans le champ du père de famille
n'atteste-t-elle pas la négligence et le sommeil des serviteurs? Que si ces
fortes vérités nous faisaient peur, hâtons-nous de jeter au
feu, non seulement les annales de l'Église, mais les écrits des Pères et
les enseignements des conciles. Au reste, nul n'a
jamais prétendu, et moi encore moins que personne, que tout ait été mauvais,
au dix-huitième siècle. La
foi, qui, chez nous, a survécu
aux scandales de cette époque, atteste par sa persistance même que le nombre
des pasteurs fidèles devait encore être considérable au moment où éclata la
persécution. Le sang des martyrs et la magnanimité des confesseurs prouva que si l'Église de France avait pu faiblir, le principe de la vie
n'était pas éteint en elle.
« Je reviens sur cette accusation
d'attaque contre l'épiscopat, et je demande encore à ceux qui ont tenté de m'en
flétrir, si les conciles de France qui, au seizième siècle, proclamèrent si
haut l'obligation pour leurs églises d'embrasser la Liturgie réformée par saint
Pie V, n'étaient pas composés d'évêques ?
Si l'Assemblée du Clergé de
233
1606, qui prenait des mesures pour faire imprimer les livres
de la Liturgie romaine pour tout le royaume, n'était pas l'organe de
l'épiscopat? Si les quarante évêques qui, en 1789, tenaient encore dans leurs
diocèses pour la Liturgie romaine, cessaient d'appartenir à l'épiscopat ? Dans
tout ceci, qu'y a-t-il donc ? Je vois des évêques pour l'innovation liturgique,
des évêques contre l'innovation liturgique: il est bien malheureux que l'on
soit réputé ennemi de l'épiscopat par le seul fait que l'on croit devoir opter
pour le sentiment sur lequel une partie de l'épiscopat français s'est
constamment montrée unanime avec le Pape, chef de l'épiscopat, et avec
l'universalité des évêques d'Occident.
« Je devais cependant relever ce
reproche, tout odieux et déraisonnable qu'il soit. J'ajouterai, s'il le faut,
en appelant l'histoire en preuve de ce que j'avance, que jusqu'ici les
champions de la prérogative pontificale n'ont pas accoutumé l'Église à les
compter dans les rangs du Presbytérianisme; tandis que s'il est un fait patent
dans l'histoire des deux derniers siècles, c'est que, en France, en Italie, en
Allemagne, en Portugal, tous les écrivains hostiles à la hiérarchie n'ont cessé
de réclamer ce qu'ils appelaient les droits de l'épiscopat, usurpés,
disaient-ils, par la Papauté, en même temps qu'ils s'attachaient à élever sur
un prétendu droit divin les prérogatives du second Ordre, s'apprêtant à
réclamer ensuite contre les clercs en général les droits du laïcisme.
L'expérience doit enfin nous avoir instruits ; c'est pourquoi je ne
m'inquiéterai pas davantage de ceux qui persisteraient à ne voir dans le
rétablissement des ordonnances du Saint-Siège que la promulgation d'un principe
d'anarchie, et dans les récits du passé qu'une injure pour le présent.
« Au reste, notre situation, sous
le rapport de la Liturgie, comme sous beaucoup d'autres, est fort différente de
ce qu'elle était au siècle dernier;
la religion envers le
234
Siège apostolique n'est plus réduite à des phrases
pompeuses; elle a passé aux effets. On peut affirmer que, si, à l'heure où
j'écris ces lignes, l'Eglise de France se trouvait tout entière réunie sous les
lois de la Liturgie romaine, nul de nos prélats ne songerait à briser ce lien
glorieux de l'unité, nul de nos prêtres n'applaudirait à une mesure tendante à isoler les églises de la prière de celle qui est
leur Mère et Maîtresse. De toutes parts je l'entends dire, et cette déclaration
partant des bouches les plus augustes est descendue bien des fois jusqu'à mes
oreilles. Non, certes, il ne se fait pas solidaire de certains prélats du
dix-huitième siècle, cet épiscopat de nos jours qui n'a pas craint de se poser
en instances devant le Pontife romain pour obtenir des autels à ces deux
Vénérables prêtres, Louis de Montfort et Jean-Baptiste de la Salle, l'un et
l'autre poursuivis durant leur vie par les censures ecclésiastiques, l'un même
mort sous la suspense, en ce siècle de vertige où il n'était pas étonnant qu'on
eût perdu le sens de la sainteté, puisque celui de la prière allait
s'affaiblissant. »
BREF DE S. S. LE PAPE GREGOIRE XVI A MONSEIGNEUR
L'ARCHEVEQUE DE RHEIMS
A NOTRE VENERABLE FRERE THOMAS GOUSSET ,
ARCHEVEQUE DE RHEIMS.
GRÉGOIRE XVI, PAPE.
Vénérable
frère, Salut et Bénédiction apostolique.
Nous avons reconnu le zèle d'un
pieux et prudent archevêque dans les deux Lettres que vous Nous avez
adressées, renfermant vos plaintes au sujet de la variété des livres
liturgiques qui s'est introduite dans un grand nombre d'Églises de France, et
qui s'est accrue encore, depuis la nouvelle circonscription des diocèses, de
manière à offenser les fidèles. Assurément, Nous déplorons comme vous ce
malheur, Vénérable Frère, et rien ne Nous semblerait plus désirable que
de voir observer partout, chez vous,
les constitutions de saint Pie V, notre prédécesseur d'immortelle mémoire,
qui ne voulut excepter de l'obligation de recevoir le Bréviaire et le Missel,
corrigés et publiés à l'usage des Églises du rite romain, suivant l'intention
du concile de Trente, (Sess. XXV), que ceux qui, depuis deux cents ans au
moins, avaient coutume d'user d'un Bréviaire et d'un Missel différents de
ceux-ci ; de façon, toutefois, qu'il ne leur fût pas permis de changer à leur
volonté ces livres particuliers, mais simplement de les conserver, si bon
leur semblait. [Constit. Quod a nobis. — VII. Idus Julii 1568, et Constit. Quo
primum. Pridie Idus Julii 1570). Tel
serait donc aussi notre désir, Vénérable Frère ; mais vous comprendrez
parfaitement combien c'est une œuvre difficile et embarrassante de déraciner
cette coutume implantée dans votre pays depuis un temps déjà long; c'est pourquoi , redoutant les graves dissensions qui pourraient
s'ensuivre, nous avons cru devoir, pour le présent, nous abstenir, non
seulement de presser la chose avec plus d'étendue, mais même de donner des
réponses détaillées aux questions que vous nous aviez proposées. Au reste,
tout récemment, un de nos Vénérables Frères du même royaume, profitant avec
une rare prudence d'une occasion favorable, ayant supprimé les divers livres
liturgiques qu'il avait trouvés dans son église , et ramené tout son clergé à
la pratique universelle des usages de l'Eglise romaine, Nous lui avons
décerné les éloges qu'il mérite, et, suivant sa demande, Nous lui avons bien
volontiers accordé l'Induit d'un office votif pour plusieurs jours de
l'année, afin que ce clergé livré avec zèle aux fatigues qu'exige le soin des
âmes , se trouvât moins souvent astreint aux offices de certaines fériés qui
sont les plus longs dans le Bréviaire romain. Nous avons même la confiance
que, par la bénédiction de Dieu, les autres évêques de France suivront tour à
tour l'exemple de leur collègue, principalement dans le but d'arrêter cette
très périlleuse facilité de changer les livres liturgiques. En attendant,
rempli de la plus grande estime pour votre zèle sur cette matière, nous
adressons nos supplications à Dieu, afin qu'il vous comble des plus riches
dons de sa grâce, et qu'il multiplie les fruits de justice dans la portion de
sa Vigne que vous arrosez de vos sueurs. Enfin,comme présage du secours d'en
haut, et comme gage de notre particulière bienveillance, nous vous accordons
avec affection pour vous, Vénérable Frère, et pour tous les fidèles, clercs
et laïques, de votre Église, la bénédiction apostolique. Donné à Rome, à
Sainte-Marie-Majeure, le sixième jour d'août, de l'an 1842, douzième de notre
Pontificat.
|
VENERABILI
FRATRI THOMAE GOUSSET, ARCHIEPISCOPO REMENSI.
GREGORIUS PP.
XVI.
Venerabilis Frater, Salutem et
apostolicam Benedictionem.
Studium pio prudentique
antistite plane dignum recognovimus in binis illis fuis
litteris, quibus apud Nos quereris varietatem librorum liturgicorum, qnœ in militas Galliarum Ecclesias inducta est; et a nova
prœsertim circumscriptione Diœcesium
, novis porro non sine fidelium offensione auctibus crevit. Nobis quidem idipsum tecum una dolcntibus
nihil optabilius foret, Venerabilis Frater, quam ut servarentur ubique apud
vos Constitutiones S. Pii V, immortalis memoriœ
decessoris nostri, qui et Breviario et Missali in iisitm
Ecclesiarum romani ritus, ad mentent Tridentini
Concilii (Sess. XXV), emendatins
editis, eos tantum ab obligation eorum
recipiendorum exceptas voluit, qui a bis centum saltem annis uti
consuevissent Breviario aut Missali ab illis diverso; ita videlicet, ut ipsi
non quidem commutare iterum atque iterum arbitrio suo libros hujusmodi, sed quibus
utebantur, si velent, retinere possent. (Constit.
Quod a nobis. — VII Idus Julii 1568, et Constit.
Quo primum. Pridie Idus Julii 1570). Ita igitur in votis esset, Venerabilis
Frater; verum tu quoque probe intelligis quam difficile arduumque
opus sit morem illum convellere, ubi longo apud vos temporis cursu inolevit :
atque hinc nobis, graviora inde dissidia reformidantibus,
abstinendum in prœsens visum est nedum a re plenius
urgenda, sed etiam a peculiaribus ad dubia quœ
proposueras, responsionibus edendis. Cœterum cum
quidam ex regno isto Venerabilis Frater, prudentissima ratione idoneaque occasione utens, diversos, quos in ecclesia sua
invenerat, liturgicos libros nuper sustulerit, suumque
clerum universum ad romanœ Ecclesiœ
instituta ex integro revocaverit, Nos prosecuti illum sumus meritis laudum prœconiis, ac juxta ejus per ita perlibenter
concessimus Indultum officii votivi pluribus per annum diebus, quo nimirum
clerus ille bene cœteroquin in animarum cura
laborans, minus sœpe obstringeretur ad longiora in
Breviario romano feriarum quarumdam officia persolvenda. Confidimus equidem,
Deo benedicente,futurum ut alii deinceps atque alii Galliarum Antistites
memorati Episcopi exemplum sequantur ; prœsertim
vero ut periculosissima illa libros liturgicos commutandi facilitas istic
penitus cesset. Interea tuum hac in re zelum etiam commendantes, a Deo
supplices petimus, ut et uberioribus in dies augeat suce
gratiœ donis, et in parte ista suce
Vineae tuis rigatae
sudoribus justitiœ fruges amplificet. Denique
superni hujus praesidii auspicem,
nostraeque pignus praecipitae
benevolentiae Apostolicam benedictionem tibi,
Venerabilis Frater , et omnibus Ecclesiae tuœ Clericis Laicisque
fidelibus peramanter impertimur, Datum Romae, apud Sanctam Mariam Majorem, die sexta Augusti,
anni millesimi octingentesimi quadragesimi secundi,
Pontificatus nostri anno duodecimo.
|