III - CHAPITRE VII

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III - L. A Mgr de RHEIMS

CHAPITRE  VII : Des livres liturgiques depuis l'invention de l'imprimerie

 

La découverte de l'art typographique, après la première moitié du XV° siècle, devait exercer une action importante sur les livres liturgiques. Ils étaient, comme on l'a vu, les plus nombreux de tous les livres, et ce nouveau mode de reproduction étant de nature à leur être appliqué, les églises et les clercs ne pouvaient manquer d'y recourir dans une proportion considérable : c'est ce qui arriva en effet. Désormais, les manuscrits diminuèrent d'importance; moins commodes que les imprimés, ils leur cédèrent peu à peu la place, quoique cependant, comme nous le dirons bientôt, ils aient lutté jusqu'à nos jours pour conserver au moins une ombre de leur ancienne gloire.

Au milieu de cette crise redoutable que la société européenne éprouva par suite de l'invention de l'imprimerie, nous ne pouvons nous empêcher d'accorder un regret à ces vénérables évangéliaires, à ces précieux sacramentaires, à ces livres séculaires qui contenaient les chants du chœur, et qui tous, successivement bannis du sanctuaire dont ils avaient été l'un des principaux ornements, devaient périr en si grand nombre par l'insouciance de ceux mêmes qui les avaient si longtemps employés dans le service divin. Heureux ces livres, dont plusieurs faisaient, par la beauté de leur exécution et par tant de pieux souvenirs, une des principales gloires des églises, quand une main conservatrice leur assignait pour asile quelque

 

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recoin d'armoire obscure et humide, quelque grenier où il leur faudrait, en proie aux vers et à la poussière, traverser des siècles entiers sans avoir même jamais été remués par personne ! Mais plus heureux, sans doute, ceux qui, en nombre beaucoup moins grand, se trouvèrent établis sur les rayons poudreux de quelque archive ou de quelque bibliothèque capitulaires ! La richesse de la reliure en sauva quelques-uns ; on continua de les considérer comme faisant partie du trésor ; le peuple fidèle les vit encore figurer sur l'autel, en leur qualité de textes d'Évangiles destinés à servir dans les rites de la messe solennelle. D'autres durent leur salut à la beauté de leurs enluminures ; mais ce ne sont ici que des exceptions, et il est vrai de dire que les innombrables produits du pieux labeur de tant de générations périrent dans une proportion effrayante, à commencer du jour où les presses typographiques furent appliquées aux livres de la Liturgie.

Néanmoins, après avoir payé ce légitime tribut de nos regrets à tant de manuscrits sacrés, nous aimons à reconnaître que l'imprimerie se montra digne de la mission que lui confia l'Église de la servir par la reproduction des livres du service divin. Si nous avons pu, avec vérité, signaler dans les manuscrits liturgiques les plus nobles produits de l'art calligraphique, nous sommes en droit de revendiquer, pour l'art typographique, l'honneur d'avoir su traiter les livres eux-mêmes avec une convenance et une dignité irréprochables, en même temps qu'il obtenait, par leur moyen, de nouveaux développements, une nouvelle illustration.

L'imprimerie se fait gloire d'inaugurer ses annales par le célèbre Psautier publié à Mayence, en 1457 ; c'est un livre liturgique qui commence la série des impressions européennes, comme pour consacrer ce grand art à Dieu et à son Église. Le catholique ouvre et parcourt avec une

 

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sainte fierté ce beau livre, dont le grand format et la correction remarquable en font un monument à jamais vénérable. Ce Psautier, avec sa division romaine, ses rubriques, ses hymnes, tout son ensemble sacré, redit encore aux générations actuelles, et répétera à celles qui les suivront, la vérité de ce principe que nous avons avancé d'après les faits les plus expressifs, que tous les arts sont tributaires de la Liturgie. Imprimé sur vélin et destiné, par là même, à durer de longs siècles, on en connaît encore aujourd'hui sept exemplaires : deux à la Bibliothèque nationale, et les cinq autres dans celles de Londres, de Vienne, de Dresde, des comtes de Weissemburg et de lord Spencer (1).

On lit au verso du dernier feuillet ces lignes en lettres rouges :

 

Prœsens psalmorum codex venustate capitalium decoratus

rubricationibusque sufficienter distinctus
adinventione artificiosa imprimendi ac caracterizandi

absque calami ulla exaratione sic effigiatus et ad
eusebiam Dei industria est consummatus per Johannem Fust
civem moguntinum et Petrum Schofer de Gernszheim
anno Domini millesimo CCCCLVII in vigilia Assumptionis.

 

Le génie catholique inspira donc les débuts de l'art typographique et le consacra pour jamais au service de la Liturgie. Deux ans après, Fust et Schœffer réimprimaient ce même Psautier, toujours dans le format grand in-folio et sur vélin. On connaît encore dix exemplaires de cette édition de 1459 (2). Notre but n'est pas, en ce moment, de relever celles qui la suivirent; mais nous devons signaler les premières impressions liturgiques pour le service des principales Eglises. Ainsi, le

 

(1)  Van Praet, Catalogue des livres imprimés sur vélin, de la Bibliothèque du roi, tom. Ier. Histoire de l'Académie des Inscriptions, tom. XIV.

(2)  Van Praet, ibid.

 

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Bréviaire romain fut publié à Venise, en 1470, par tas presses de Pierre de Crémone et de Barthélémy de Blavis, et le Missel romain, à Rome, en 1475, chez Udalric Gallus. Le Bréviaire ambrosien parut à Milan en 1475 ; le Missel de Lyon, en 1487 ; le Bréviaire de Tolède, à Séville, en 1493; le Bréviaire de Mayence, à Mayence, en 1473; le Bréviaire de Salisbury, à Venise, en 1483, et son Missel, en 1492, à Rouen ; le Bréviaire de Paris, en 1479, à Paris, où l'on donna, l'année suivante, le Missel; le Missel mozarabe, en 15oo, à Tolède, et le Bréviaire, en 15o2, dans la même ville, par les soins du cardinal Ximénès, et les presses de Pierre Hagenbach (1).

Ces éditions, si importantes pour l'histoire de la Liturgie, sont en même temps des monuments précieux de l'art typographique, dont elles marquaient si honorablement les débuts, et l'on ne doit pas oublier non plus que le premier livre imprimé avec des caractères métalliques est la Somme liturgique du moyen âge, le Rationale divinorum Officiorum de Durand, publié à Mayence, en 1459, par Jean Fust et Pierre Gernzheim. Nous en avons parlé ailleurs (2).

A peine le signal avait-il été donné par la publication du Psautier de Mayence, que le désir de posséder un missel et un bréviaire imprimés se montra universel dans toutes les Eglises de l'Occident. En même temps, le mouvement auquel ce désir donna lieu venait puissamment en aide à la propagation et au perfectionnement de l'art typographique. Le caractère particulier des livres liturgiques est la gravité, l'élégance et la correction ; le XV° siècle ne se montra point trop au-dessous de sa

 

(1) Ce n'est point ici le lieu de s'étendre sur ces éditions; dans une autre partie de cet ouvrage, nous devons faire connaître plus amplement la bibliographie liturgique des diverses Eglises de l'Occident;

(2) Institutions liturgiques, tom. I, pag. 342.

 

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tâche, et l'on est frappé de l'aspect imposant que présentent les Bréviaires, Missels, et autres livres du service divin, qu'il produisit en si grand nombre. L'agencement du texte, l'emploi généralement habile du rouge et du noir, sans parler des vignettes dont nous traiterons ailleurs, placent ces éditions au rang des plus précieux incunables.

Quant à la propagation de l'imprimerie elle-même par l'influence de la Liturgie, elle est un des faits les plus : évidents, pour la seconde moitié du XV° siècle et pour le XVI° siècle lui-même. L'empressement à posséder des livres liturgiques à son usage, inspira à chaque église une ardeur qui la porta souvent à franchir tous les obstacles. De là, ces imprimeries fondées dans un nombre considérable de villes où l'on est tout étonné de rencontrer des presses. Les annales typographiques de ces localités s'ouvrent souvent, comme celles de Mayence, par un livre liturgique; plus d'une fois aussi, elles s'arrêtent à ce livre pour longtemps, quelquefois même pour toujours. Mais c'est une œuvre pleine d'intérêt que de rechercher et de rassembler ces premières traces de l'art typographique qui intéressent en même temps à un si haut degré l'histoire et la science de la Liturgie. Pour ne citer que la France, nous nous plaisons à signaler les villes suivantes : Chartres, qui imprima son Missel en 1482, et son Bréviaire en 1483 ; Chablis, le Bréviaire d'Auxerre, en cette dernière année; Orléans, son Bréviaire, en 1491 ; Troyes, son Bréviaire, en 1483; Limoges, son Bréviaire, en 1495, etc. Nous nous abstenons de citer les autres villes de province qui imprimèrent leur Liturgie locale au XVI° siècle ; mais pour donner une idée de la propagation de l'imprimerie par la Liturgie, nous sortirons de France, et pénétrant dans les contrées septentrionales, nous signalerons le Missel imprimé à Schleswik, en 1486, celui publié à Copenhague en 1510; et, ce qui est plus étonnant

 

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encore,  celui d'Hola,  en  Islande,  imprimé dans cette ville, jusque sous les glaces du pôle, en 1534.

Les monastères eux-mêmes, à cette époque primitive, se montrèrent empressés pour le nouvel et merveilleux art que l'Allemagne avait révélé à l'Europe. Tout le monde sait que l'imprimerie commença, pour l'Italie, dans l'abbaye de Subiaco, par l'édition du célèbre Lactance de 1465 ; mais les livres liturgiques occupèrent une place importante dans les œuvres que produisirent les presses monastiques. Il suffira de citer l'abbaye du Mont-Serrat, dans laquelle, en 1499, Jean Luschner imprimait . sur vélin le Bréviaire et le Missel bénédictins, et l'année suivante le Processionnal à l'usage de l'ordre ; l'abbaye d'Aisnay, à Lyon, où l'on imprima le Missel de ce monastère en 1531; l'abbaye de Tegernsée, en Allemagne, dont les presses produisirent le beau Bréviaire monastique, en deux volumes in-folio, en 1576.

Toutefois, si les livres liturgiques s'imprimaient au XV° et au XVI° siècle dans un grand nombre de localités qui devaient à elles seules l'honneur de posséder des presses, il faut reconnaître aussi que plusieurs centres s'établirent de bonne heure, auxquels on eut recours de toutes parts pour avoir ces livres exécutés avec la correction et la splendeur convenables. En Allemagne, Mayence imprimait pour les églises de Pologne ; Cracovie, son Missel, en 1487; Gnesnen, son Missel, en 1555, etc.; cependant, Nuremberg était plus recherché, pour les livres liturgiques ; ainsi, nous en voyons sortir le Bréviaire de Lubeck, en 1490; l’Obsequiale de Ratisbonne, en 1491; le Bréviaire de Minden, en 1493 ; le Bréviaire de Salzbourg, en 1497; le Missel d'Olmutz, en 1499; le Missel de Passaw, en 1514, etc.

L'Italie reçut des commandes de beaucoup de pays étrangers. Venise donna le Missel de Paris, en 1477; le Bréviaire de Bourges, en  1481; les Bréviaires de Cracovie

 

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et de Salisbury, en 1483 ; celui d'Olmütz, en 1484; celui d'Augsbourg, en  1485 ; celui d'York, en 1490 ;  le Missel de Salisbury, en 1494, etc.

Mais la France fut, sans contredit, le pays le plus en ' renom pour ses impressions liturgiques. Les presses de Paris publièrent, en 1482, le Missel de Chartres ; en 1489, le Missel de Châlons-sur-Marne ; en 1490, le Bréviaire de Limoges; en 1491, le Missel de Saintes; en 1492, celui de Rennes; en 1493, le Missel d'Autun ; en 1494, le Bréviaire de Salisbury, qui eut à Paris jusqu'à quarante-six autres éditions, dont la dernière est de 1557; la même année, le Missel du Mans, dont on connaît encore huit autres éditions parisiennes, jusqu'à celle de 1557; en 1495, le Missel de Cambrai ; en 1496, le Bréviaire de Beauvais; en 1497,1e Missel d'Utrecht et celui de Besançon; en 1498, le Missel de Poitiers; en 1499, les Bréviaire et Missel de Liège et le Bréviaire de Verdun; en 15oo, le Missel de Salisbury, dont on a donné trente-six éditions à Paris, jusqu'à celle de 1555 ; en 15o5, le Manuale de Reims; en 15o6, le Missel de Cologne; en 151o, le Bréviaire de Toul; en 1514, le Missel de Lunden, en Danemark; en 1511, le Diurnal de Rostchild; en 1520, le Bréviaire d'York; en 1 527, le Missel de Rouen, etc.

Rouen, qui confiait son Bréviaire de 1527 aux presses de Paris, était une des villes de France les plus célèbres pour ses impressions liturgiques. Ainsi, nous' en voyons sortir, en 1488, le Missel de Séez; en 1489, le Missel du Mans ; en 1492, celui de Salisbury, qui compte en outre seize autres éditions rouennaises, jusqu'à celle de 1555 ; en 1497, le Missel d'Évreux; en 1499, le Bréviaire de Coutances ; en 15o2, le Missel d'Hereford, et en 15o5, le Bréviaire de cette même Église; en 15o6, le Bréviaire de Noyon et celui de Beauvais ; en 1516, le Missel d'York; en 1556, le Bréviaire

 

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de Salisbury,  qui  a encore cinq  autres éditions rouennaises, etc.

Lyon, outre les livres de sa propre Liturgie, imprimait une partie de ceux de la France méridionale. Ainsi, nous connaissons les éditions lyonnaises du Bréviaire de Vienne, en 1498; du Manuale de Clermont, en 1518 ; du Bréviaire de Valence, en 1526; du Missel de Viviers, en 1527; de ceux de Narbonne, en 1528 ; de Marseille, en 153o, etc.

On sent que notre but,  ici, n'est pas de donner des 1 listes complètes, mais de   fournir  seulement quelques traits qui serviront à faire connaître l'immense étendue des travaux de la presse sur les livres liturgiques. Ainsi, nous n'entrerons pas pour le moment dans l'énumération des éditions de la Liturgie romaine, dont le nombre est colossal ; on en peut juger par celui des éditions de la Liturgie de Salisbury, qui, comme nous l'avons ailleurs raconté, était presque la seule suivie en Angleterre. Nous avons  relevé huit éditions du  Bréviaire de l'Église de Paris,  jusqu'en   1584,   et  vingt-cinq  du   Missel,   jusqu'en 1585. Ce serait peut-être ici le lieu de dire un mot des éditions du Bréviaire de Quignonès ; on en connaît au delà de trente, publiées   pendant les années de sa courte durée.

Mais, si la Liturgie favorisa d'une manière aussi remarquable les développements de l'art typographique, on est obligé de reconnaître aussi que cet art si important, mais bientôt devenu funeste, ne témoigna pas envers sa nourrice la reconnaissance et les égards qu'elle avait droit d'attendre. Ces presses à jamais célèbres auxquelles la société européenne est redevable du perfectionnement d'une invention qui était née, pour ainsi dire, à l’ombre du sanctuaire, dédaignèrent l’honneur de reproduire les livres du service divin. On connaît les affinités qui se déclarèrent de bonne  heure  entre l'esprit de la

 

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fatale réforme du XVI° siècle et le génie profane de ces grands imprimeurs dont la gloire industrielle et littéraire ne fera jamais oublier la honteuse apostasie. On a saisi dans ces derniers temps la trace des relations que Aide Manuce le Jeune entretenait d'Italie avec les partisans déclarés de la Réforme (1). Les Estiennes, après avoir vainement tenté de braver le sentiment catholique si énergique en France à cette époque, finirent par émigrer à Genève. Jean Judé, Etienne Dolet, Jean Morel, furent brûlés à Paris comme huguenots, par sentence du Parlement ; Henri Estienne II lui-même le fut en effigie (2).

On trouve cependant quelques livres liturgiques publiés chez ces grands imprimeurs qui se distinguèrent par leurs éditions d'auteurs profanes. Ainsi, Henri Estienne Ier publia le Manuale d'Autun en 15o3, le Missel d'Autun en 15o5, celui de Cambrai en 15o,7, le Diurnal de Fontevrault en 1515, et un autre Diurnal à l'usage de Paris, en 1518; mais cet illustre imprimeur était mort avant l'introduction du protestantisme en France. Parmi toutes les publications de sa famille, nous ne trouvons de liturgique qu'un Office de la sainte Vierge, secundum consuetudinem Romanae Ecclesiae, imprimé à Paris en 1543; encore cet Office est-il en grec, ce qui lui enlève tout caractère pratique.

Les Aides sont un peu plus abondants sur la Liturgie. On leur doit un Bréviaire romain, en 1564; trois autres en 1568; deux Missels romains en 1574; un Office de la Semaine sainte, en 1573 ; un Psautier, en 1593, et six éditions de l'Office de la sainte Vierge, de 1497 à 1587; les trois premières sont en grec.

Pour ce qui est des Juntes, cette maison sut allier les intérêts de la littérature et de  la science avec l'esprit

 

(1)  Macerie, Histoire de la Réforme en Italie.

(2)  La Caille, Histoire de l'Imprimerie et de la Librairie.

 

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catholique, et elle ne craignit point de mettre ses presses au service de la Liturgie; bien qu'il faille reconnaître cependant que la plupart des éditions, publiées à Venise pour des Eglises étrangères à l'Italie, le furent par d'autres imprimeurs que les Juntes. Nous ne détaillerons point en ce moment les éditions de ces derniers ; il suffira de dire qu'elles furent nombreuses et dignes d'eux. Nous les ferons connaître dans une autre partie de cet ouvrage, n'ayant voulu amener ici que les faits nécessaires à l'exposition des questions traitées dans le présent chapitre.

Mais à côté de ces puissants propagateurs de l'art typographique, travaillaient d'autres imprimeurs dont les presses étaient particulièrement vouées à la reproduction des livres liturgiques, et dont la réputation, sous ce rapport, était européenne. Nous ne pouvons nous dispenser de citer ceux de Paris : tels que Jean Dupré, Jean Hygman, Simon Vostre, Jean Petit, Thielman Kerver, Wofgang Hopyl, Yolande Bonhomme, veuve Kerver, etc. Simon Vostre et Thielman Kerver imprimèrent aussi un grand nombre d'Heures qui sont recherchées aujourd'hui ; mais, ainsi que nous l'avons dit, nous ne comptons pas ces Heures parmi les livres proprement liturgiques. Ces deux illustres imprimeurs eurent pour émules dans ce genre de publications, Philippe Pigouchet, Antoine Vérard, Germain Hardouin, Guillaume Eustace, Guillaume Godard, François Regnauld, etc., dont les noms sont aujourd'hui très connus des nombreux amateurs de ces Heures du XVI° siècle.

Après avoir traité des livres liturgiques sous le rapport des presses qui leur furent redevables d'une si haute célébrité, nous ajouterons maintenant que ces livres qui s'étaient constamment montrés les plus remarquables de tous par la forme, au temps des manuscrits, conservèrent encore ce rang, après l'invention de l'imprimerie. Sans doute, ils ont eu plus d'une fois des éditions

 

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médiocres, mais on n'en doit pas moins convenir que, pour ne parler d'abord que des XV° et XVI° siècles,  généralement, les missels, les bréviaires,  les pontificaux, ont brillé d'une splendeur qui rarement a été atteinte et surtout dépassée par d'autres livres. Le format in-folio que réclament pour ainsi dire de droit le missel, le pontifical, les livres de chœur, au point que  de  nos jours mêmes où l'imprimerie a tant de peine à monter jusqu'à l'in-quarto, la Liturgie est presque seule à s'élever plus haut ; ce format imposant devint propre aux livres du service divin. Souvent, à cette époque, le bréviaire lui-même y atteignit; plus d'une fois depuis, dans les deux derniers siècles, il y est arrivé encore. L'élégance du petit format, l'impression nette et délicate sont revendiquées aussi par les livres liturgiques. Les bréviaires, les diurnaux, spécialement au XVII° siècle,   en  ont fourni des modèles admirables qui n'ont pas été sans influence.

Mais il est trois caractères spéciaux qui furent propres aux impressions liturgiques, dès l'origine, et sur lesquels il importe de fixer l'attention du lecteur, d'autant plus que ces caractères doivent toujours s'y rencontrer à un certain degré, parce qu'ils sont comme le cachet de ces livres. Nous devrions en assigner encore un quatrième qui tient de plus près encore à l'ornementation, savoir: les vignettes et les gravures; mais nous en parlerons à part.

Le premier de ces caractères consiste dans la solidité de la matière sur laquelle doivent être imprimés les textes. Dans les siècles qui ne connurent que les manuscrits, les livres liturgiques furent généralement écrits sur parchemin; l'imprimerie leur conserva ce précieux avantage, au moins dans une certaine mesure. Il serait peut-être impossible de citer une seule édition de missel ou de bréviaire, sans parler des autres livres liturgiques, qui n'ait eu au XV° siècle et jusqu'à  la  moitié   du  XVI°,   un

 

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nombre plus ou moins considérable d'exemplaires sur vélin. Les recherches de M. Van Praet placent ce fait dans le plus haut degré d'évidence; cependant, ce savant bibliophile est loin d'avoir énuméré toutes les productions de la presse liturgique qui s'offrent à l'amateur avec ce caractère.

En avançant dans le XVI° siècle, on voit le vélin disparaître des exemplaires même les plus soignés; mais de nombreux missels imprimés à cette époque l'ont encore conservé pour le canon de la messe. C'était une manière d'honorer la partie la plus vénérable de ce livre, et d'assurer en même temps à ces pages sacrées une plus longue durée et une solidité plus grande. Au reste, si les livres liturgiques des XV° et XVI° siècles furent la plupart du temps confiés au papier, celui-ci s'y montre encore d'une force et d'une beauté particulières. L'extrême multiplication des exemplaires ne permet plus de s'en tenir toujours au vélin, mais on cherche à le remplacer par une matière choisie qui a défié les siècles.

Le second attribut des livres liturgiques consiste dans le choix de la lettre. Celle qui est employée dans l'impression des livres liturgiques, à cette première époque, est et demeure longtemps le gothique. Cependant, le romain parut en Italie, dès le début de l'art typographique. Dès l'année 1470, Ulric Gering et ses associés Martin Krantz et Michel Friburger l'inauguraient en France. Il fut refoulé, il est vrai, en 1482, par une réaction en faveur du gothique; mais les efforts de Josse Bade le soutinrent à Paris, bien que ce dernier imprimât au besoin le gothique. Simon de Colines, Robert Estienne et Michel de Vascosan consommèrent la victoire.

Mais la Liturgie s'en tint longtemps à ce caractère anguleux et tant soit peu barbare auquel elle s'était soumise durant près de quatre siècles. Il lui en coûtait de passer  brusquement à un caractère dont l'emploi allait

 

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enlever aux nouveaux livres l'air de famille qu'il convenait de leur laisser le plus longtemps possible, avec les manuscrits dont ils étaient émanés. La transition s'exécuta graduellement; on vit des missels et des bréviaires dont le titre était en romain et le corps du volume en gothique ; sur d'autres, le texte se présentait avec la lettre romaine, mais le gothique paraissait encore sur le titre, comme un dernier adieu au moyen âge. Toutefois, cette révolution se consomma avant la fin du XVI° siècle, et il est remarquable que le dernier livre imprimé en gothique à Paris ait été un livre liturgique, le Manuale Sacerdotum publié chez Kerver, en 1574. L'année suivante, les Juntes donnaient aussi à Venise une dernière édition du Bréviaire romain dans ce caractère.

Entrée définitivement en possession de la lettre romaine, la Liturgie lui apporta un nouveau lustre. Les bibliophiles savent qu'il n'est pas de plus beaux livres que certains missels et bréviaires sortis en grand nombre des presses de Rome, de Paris et d'Anvers. Cette dernière ville s'est rendue particulièrement célèbre dans les fastes de la Liturgie vers la fin du XVI° et dans le XVII° siècle, par les beaux missels, bréviaires et pontificaux produits par les ateliers de la maison Plantin.

Le format in-folio, devenu enfin propre au missel, donna lieu d'y développer la gravité et l'élégance du romain, qui s'y montrait avec plus de majesté encore dans la partie de ce livre destinée à recevoir les paroles sacramentelles du canon. Ce luxe des caractères devint propre à de nombreuses éditions du Bréviaire qui, après s'être montrées sous l'in-quarto, s'élevèrent quelquefois, comme nous l'avons dit, jusqu'à l'in-folio. Nous serions injuste envers la presse liturgique du XVI° siècle, si nous ne rappelions pas ici le magnifique Bréviaire romain, dit de Henri III, publié à Paris, en deux volumes de ce format,   chez Jamet Mettayer, en 1588; celui de Paul

 

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Manuce, à Rome, en 1568, et celui de Christophe Plantin, à Anvers, en 1575.

Après avoir signalé la solidité de la matière et la beauté de la lettre comme les deux premiers caractères des impressions liturgiques, il nous reste à indiquer le troisième, qui consiste dans l'emploi du vermillon sur le titre des livres du service divin, et généralement dans tout l'ensemble des règles de la Liturgie, qui, pour cette raison, ont reçu le nom de rubriques. Rien ne contribue davantage à isoler ces livres de tous les autres et à leur assigner une physionomie particulière, que cette diversité de couleurs qui frappe tout aussitôt la vue, et annonce une destination particulière et mystérieuse.

On sait que cet usage remonte à une très haute antiquité; Ovide parle déjà de l'emploi du minium sur le titre des livres, et les plus anciens monuments de la littérature classique nous en offrent la preuve. Le Virgile et le Térence de la Vaticane, et le Virgile de la Laurentienne, sont remarquables par leurs premières lignes en lettres rouges. La littérature sacrée en offre des exemples analogues sur les plus anciens manuscrits, tels que le Saint-Cyprien et le Saint-Augustin, autrefois de Saint-Germain-des-Prés, l'Evangéliaire dit de Notre-Dame-de-Paris, etc. Sur ces manuscrits, les trois premières lignes sont en rouge, comme sur les célèbres copies des poètes profanes que nous venons de rappeler; mais déjà, dans le VII° siècle, l'emploi du vermillon tend à se restreindre aux titres généraux et particuliers.

Dans les siècles suivants, la plus riche variété de couleurs remplace tout à coup l'uniformité du rouge sur les manuscrits liturgiques ; l'or brille souvent aux titres, aux légendes qui portent l'annonce des fêtes ou les règles du service divin, jusqu'à ce que ce luxe s'efface peu à peu, pour céder la place à la simple rubrique, durant les trois siècles environ qui précédèrent l'invention de

 

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l’imprimerie. Sans doute, l'art des enlumineurs, dont nous parlerons bientôt, s'exerça largement pendant cette période ; mais, outre qu'il avait souvent pour objet d'autres livres que ceux de la Liturgie, s'il fut appelé à en décorer un certain nombre, il faut reconnaître que la plupart de ceux qui nous sont restés de cette époque n'ont guère d'autres couleurs d'ornement que le vermillon.

L'imprimerie s'attacha donc à conserver aux livres liturgiques ce débris de l'ancienne splendeur, et il leur devint propre pour jamais, sous la nouvelle forme qu'ils allaient revêtir. Nous montrerons ailleurs les tentatives que l'on fit durant quelque temps pour allier sur le même livre liturgique l'art du typographe et celui de l'enlumineur ; mais elles ne prévalurent pas, et le rouge, que l'on trouve aussi employé sur un grand nombre de livres de la même époque, spécialement sur les textes du Droit, s'effaça peu à peu des imprimés profanes, pour demeurer le cachet particulier des seuls livres de la Liturgie.

Le XVII° siècle montre encore avec honneur ces impressions liturgiques. Les livres qu'il a produits sont généralement remarquables pour la dignité et la correction. Les éditions de Rome, de Paris, d'Anvers, continuent d'être belles et quelquefois splendides; mais le vélin y est rarement employé. Le papier lisse et fort, ordinairement mieux fabriqué, a aussi perdu cette épaisseur qui, sur les Missels des XV° et XVI° siècles, rappelait encore à l'œil et au toucher la fermeté du parchemin. Nous trouvons cependant encore, au commencement de ce siècle, en 1607, un Psalterium Romanum imprimé à Paris, grand in-folio, sur vélin, par suite de ce décret de l'Assemblée du clergé de 1606, dont nous avons parlé ailleurs (1). En 1604, on avait imprimé, sur vélin, à Coutances même, un Missel de l'Église de Coutances.

 

(1) Institutions liturgiques, tom. I, pag. 499.

 

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Mais une atteinte remarquable est portée en ce siècle à l'un des caractères que nous avons signalés dans les livres liturgiques, et la liaison intime qui existe entre ce caractère et le fond de la Liturgie elle-même se révèle à tous les yeux. En France, l'esprit de nouveauté se déclare, vers la fin du XVII° siècle, dans les choses du service divin. L'Eglise de Vienne se lance la première dans la voie des innovations liturgiques, qui restera ouverte pendant près de deux siècles. Un nouveau bréviaire est publié pour cette Église, en 1678; dans sa rédaction, on n'a eu aucun égard à tout le passé de la Liturgie. Ce bréviaire paraît avec le titre et les rubriques en noir, comme pour annoncer qu'on veut rompre avec les traditions même purement extérieures. Il est bientôt suivi du Bréviaire de Cluny, qui fournit matière à la même observation, ainsi que celui d'Orléans, en 1693, publié par Pierre de Coislin.

Les autres Églises, qui avaient réimprimé leurs anciens livres avec certaines modifications et corrections, dans le cours du même siècle, avaient toutes retenu le rouge; Paris même, dans sa réforme de 1680, n'osa, sous ce rapport, franchir la limite. On ne vit le noir remplacer la couleur séculaire des rubriques sur les livres de cette Liturgie que dans les éditions qui en furent données par le cardinal de Noailles, successeur de François de Harlay. A la même époque, le reste du monde chrétien continuait à maintenir l'antique rubrique, et nul ne songeait à la modifier, parce que le fond de la Liturgie demeurait en son intégrité.

Dans les pays étrangers à la France, les livres liturgiques conservèrent au XVIII° siècle l'extérieur qu'ils avaient gardé au XVII° sauf les variations que l'art typographique, considéré en lui-même, éprouva à cette époque, et qui sont d'ailleurs moins sensibles sur les livres du service divin que sur les autres. Mais en France, l'innovation

 

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qui s'étendit alors comme un incendie, entraîna, d'une manière fatale, la dégradation des livres liturgiques, qui ne firent plus que descendre sous le rapport esthétique, en même temps qu'ils s'altéraient de plus en plus quant au fond. En vain, Paris chercha à lutter contre cette décadence nécessaire ; il fallut subir la loi irrésistible. Comme pour signaler par la démonstration d'une force qu'on n'avait plus en soi et qui n'était plus que factice, les derniers jours de cette splendeur que la France avait montrée autrefois dans ses livres liturgiques, l'Antiphonaire parisien de 1736, dont les paroles étaient du P. Vigier et le plain-chant de l'abbé Le Beuf, parut à cinquante exemplaires in-folio, sur vélin. Le Graduel,dont le texte était de Mesenguy et la musique du même abbé Le Beuf, eut aussi, en 1738, les honneurs d'une publication du même nombre d'exemplaires, et pareillement sur vélin in-folio. Ce luxe ne fut imité nulle part; encore ces riches volumes étaient-ils complètement en noir, sans une seule ligne de rouge.

En revanche, le Missel que Charles de Vintimille donnait au diocèse de Paris paraissait, la même année, d'un grand format et d'une grosseur extraordinaire, mais avec les rubriques en rouge. La première édition du Bréviaire avait été donnée deux ans auparavant, in-douze, tout en noir, avec des caractères mesquins et grêles qui donnent l'air le plus vulgaire à ce livre dont l'influence devait être si funeste aux traditions liturgiques en France. On publia cependant, en 1736, mais postérieurement à la première, une édition en quatre volumes in-quarto, dont les rubriques étaient en rouge ; elle fut tirée à peu d'exemplaires, et demeura la dernière en ce genre.

L'exemple donné par l'Église de Paris fut imité par toutes celles qui la suivirent, soit en lui empruntant ses livres, soit en composant à leur tour de nouvelles Liturgies. L'emploi du rouge dans les livres du service divin

 

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se trouva donc anéanti dans la plus grande partie de la France, et en s'annonçant désormais comme des ouvrages d'esprit, selon la propre expression de Mesenguy, ces livres perdirent le caractère extérieur qui jusqu'alors servait à les distinguer de tous les autres. Quant au papier sur lequel on les imprima, il est encore remarquable par une certaine solidité, du moins dans quelques éditions; mais souvent aussi il est aisé de voir que l'on a songé à l'économie, afin d'alléger quelque peu l’énorme dépense dans laquelle tant de nouvelles productions entraînèrent un grand nombre de diocèses.

Le XIX° siècle ne paraît pas avoir donné une seule édition des livres liturgiques sur vélin. La spoliation de l'Eglise en tant de lieux ne permet plus d'espérer que nous reverrons de nos jours ce luxe qui sied si bien aux habitudes liturgiques. Du moins, les éditions de la Liturgie romaine publiées à l'étranger ont conservé presque toutes l'emploi du vermillon pour les rubriques ; Rome surtout s'y est montrée imperturbablement fidèle. Mais en France, tout a dégénéré au-dessous du XVIII° siècle. On a vu, en 1822, l'édition du Bréviaire de Paris, portant un titre sur lequel, on ne sait pourquoi, quelques lettres en rouge pâle se montraient encore, et annonçaient tristement un texte dont le caractère et la composition sont véritablement repoussants. D'autres bréviaires, que nous nous abstenons de signaler, ont paru sur papier de coton, et n'ont duré que quelques années entre les mains de ceux qui étaient appelés à s'en servir, comme si on eût voulu signifier l'a durée éphémère que ces Liturgies modernes étaient appelées à subir.

Cet abaissement se remarque même sur les éditions des livres romains publiées à diverses reprises, soit à Paris, soit à Lyon, depuis vingt-cinq ans environ. La plupart sont déshonorées par de grossières incorrections, et toutes  sont imprimées   sur un papier de mauvaise

 

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qualité. On commence depuis quelque temps à sentir ce grave inconvénient, et des éditions plus convenables se préparent. Mais nous serions injuste en ne mentionnant pas ici l'édition du Missel romain  publiée à  Rennes, en 1847, chez Vatar; nous y voyons l'indice d'un retour remarquable aux saines traditions. La première de toutes les éditions françaises données en ce siècle, elle a paru avec le rouge aux titres et aux rubriques, et son exécution générale est d'une noblesse et d'une élégance qui ne sont point surpassées dans les meilleures éditions de Malines. Cet exemple méritait d'être imité, et déjà, en plusieurs de nos imprimeries, on prépare la publication de Bréviaires et de Missels romains qui paraîtront aussi ornés de la couleur liturgique, et avec les accessoires qui constituent le caractère particulier des livres du service divin. Ainsi, le retour de nos Eglises à la prière romaine finira par restituer leur dignité aux livres de la Liturgie, comme l'altération des antiques formules avait entraîné la dégradation de ces livres eux-mêmes, en vertu de cette inviolable loi des affinités que nous avons rappelée plus haut.

En terminant ce chapitre sur les livres liturgiques considérés depuis l'invention de l'imprimerie, il nous reste ; à dire quelque chose des monuments de la calligraphie appliquée   à   ces   mêmes livres,  postérieurement à  la découverte de l'art typographique. Les regrets que nous avons exprimés en voyant disparaître de l'autel et  du choeur tant de chefs-d'œuvre d'art et de patience,  qui devaient céder la place aux produits, merveilleux assurément, d'un procédé qui tient pour le moins autant de la mécanique que de l'intelligence, ces regrets furent ressentis par tous ceux qui avaient à cœur le  culte des traditions.   En  beaucoup de lieux, les manuscrits  restèrent en possession des honneurs dont ils avaient joui jusqu'alors, et quand la réforme de la Liturgie, qui fut un des fruits du concile de Trente, dut être appliquée dans

 

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les diverses  Églises, les plus illustres firent refaire sur parchemin de nouvelles copies, par d'habiles calligraphies, quand la gravité des modifications qui avaient été introduites par saint Pie V ne permettait pas d'adapter les anciens exemplaires aux usages nouveaux (1). On peut même affirmer que l'emploi des manuscrits n'a jamais entièrement  cessé dans les  grandes   Églises,  principalement pour les livres du chœur.  On les retrouve dans les   cathédrales   et   les  monastères   insignes  des   pays étrangers, et en France, avant la persécution qui signala la fin du siècle dernier, rien n'était plus ordinaire que de voir étalés sur le pupitre ces énormes et splendides in-folio sur parchemin, qui rappelaient les jours anciens. Lors de l'innovation, au XVIII° siècle, plusieurs Églises, entre autres celle de Paris, firent transcrire sur vélin les nouvelles mélodies;   quelques débris  de ces livres se sont conservés jusqu'à nos jours.

Nous avons peu de noms propres à citer des calligraphies de cette dernière époque. Verena Infeld, abbesse de Beindt, qui mourut en 1520, exécuta un missel pour son monastère (2). Vers la fin du XV° siècle, Mathias Hartunge,moine de Saint-Étienne de Wurtzbourg, transcrivit un psautier, conservé dans la Bibliothèque de Nuremberg (3), et Catherine d'Eschenfeld, religieuse de Langendorf, un missel gardé dans la Bibliothèque de Gotha (4).

En France, on écrivait encore des livres liturgiques à la même époque. La corporation des écrivains, qui s'était maintenue à Paris, en face des imprimeurs, comme une protestation en faveur  de l'antique  calligraphie, reçut

 

(1)   Voir sur cette particularité le Décret du concile d'Aix, que nous avons cité ailleurs. Institutions liturgiques, tom. Ier, pag. 446.

(2)  Ziegelbauer. Tom. III.

(3)  Jansen., cité par le P. Cahier.

(4)  Ibid.

 

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néanmoins un échec sensible, en 1540. Jusqu'à cette année, elle avait été brevetée par l'Université ; ce corps refusa de renouveler le brevet. Le moyen âge s'éloignait de plus en plus, et chacun le reniait à sa manière. Ce fut cependant encore au XVI° siècle que fut écrit le riche Evangéliaire qui servait à la messe du couronnement de nos rois à Reims, et qui est gardé à la Bibliothèque de cette ville. Le calligraphe a voulu imiter l'onciale sur ce beau manuscrit; mais, plus d'une fois, l'habitude ou la distraction ont laissé échapper à sa plumé certains caractères romains, principalement pour les capitales.

On est étonné de voir, au XVII° siècle, la calligraphie sur vélin redevenir, pour un instant, l'objet d'une vogue très marquée. Il est vrai que cet art eut alors, en la personne de Nicolas Jarry, un représentant devant lequel, aujourd'hui même, les gens du goût le plus difficile sont obligés de s'incliner.  L'école dont  cet habile  écrivain était le chef tenta même, à cette époque, d'unir les formes de l'écriture manuelle avec les procédés de la typographie. Vers 1640, Pierre Moreau, écrivain juré à Paris, publia un grand nombre d'Heures et de livres de dévotion imprimés dans un caractère qui était celui de l'écriture appelée bâtarde. On rencontre encore de temps en temps  quelques-uns   de   ces  livres,   publiés   avec  privilège du Roi. Une telle liberté ne fut pas du goût des libraires et  imprimeurs de Paris.   Des   plaintes furent portées au Parlement, et un jugement intervint, portant défense   à  Moreau   de   vendre ses livres ;   ce qui fut exécuté (1).

C'était donc désormais avec la plume seulement que les calligraphies pouvaient essayer de faire concurrence aux imprimeurs. Nicolas Jarry, qui s'était illustré dès son début, en 1641, par la célèbre Guirlande de Julie,

 

(1) La Caille, Histoire de l'Imprimerie et de la Librairie, pag. 295.

 

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son chef-d'œuvre (1), se livra, dès cette même année, à la transcription des livres liturgiques. Il donna un Missale solemne, d'une grande beauté, in-folio de cent feuillets, qui fut vendu 601 francs, en 1813, et qui serait d'un bien plus haut prix aujourd'hui (2). En 1648, il écrivit pour Claude de Rebé, archevêque de Narbonne, un Officium B. Mariœ Virginis, in-16, qui se trouve maintenant à la Bibliothèque de Besançon.

Louis XIV, qui avait en toutes choses le sentiment de la grandeur, voulut que les livres liturgiques de sa chapelle de Versailles fussent le produit de l'art calligraphique. Il fît exécuter entre autres les livres du choeur, en grosses lettres et en grosses notes, avec une rare magnificence. Louis XV fit continuer ce grand œuvre, et nous citerons, en particulier, l'Épistolier, qui date de 1767, et qui est d'une exécution merveilleuse. La Bibliothèque nationale conserve encore une partie de ces livres, tous remarquables par une rare élégance. Les calligraphies y ont reproduit le caractère romain pour les textes mêmes; les rubriques sont en écriture bâtarde. Quant aux vignettes qui embellissent encore ces livres, nous en parlerons plus loin.

Deux autres calligraphes liturgiques se signalèrent vers la fin du XVII° siècle. Le premier est Dom Daniel d'Eaubonne, bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur, qui consacra trente années de sa vie à écrire un magnifique Graduel, pro solemnioribus totius anni festivitatibus, à l'usage de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen. Ce splendide monument, terminé en 1682, est présentement conservé à la  Bibliothèque   publique  de

 

(1) La Guirlande de Julie, in-folio de 3o feuillets, fut vendue 14,510 fr. en 1784, à la vente de la Bibliothèque du duc de La Vallière, et après avoir été en Angleterre, elle est rentrée depuis dans la famille de La Vallière.

(2) Catalogue de Scherer.

 

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Rouen. Le second est Jean-Baptiste Rousselet, que son habileté dans la calligraphie faisait considérer comme l'émule et le successeur de Nicolas Jarry. Il exécuta, en 1698, pour la Sainte-Chapelle de Paris, deux livres de chœur, in-folio, dont on vante la merveilleuse beauté, et qui furent offerts par Louis-Gaston Fleuriau, alors trésorier de cette église. Nous ignorons si ces précieux monuments ont été conservés, ou s'ils ont péri dans la tempête révolutionnaire.

Le XVIII° siècle,  comme  nous  l'avons dit,   produisit aussi ses manuscrits liturgiques pour le lutrin, à l'usage des grandes églises; on en cite peu, cependant, qui aient eu  un  grand mérite esthétique.   Dans  les  monastères, principalement, on exécuta un nombre considérable de livres de chœur, non plus au pinceau ni à la plume, mais ; au moyen  de cuivres découpés à jour, et formant, par leurs vides, les lettres et les notes de chant dont on avait besoin. Cette manière expéditive de procéder ne donnait pas des  résultats   bien  remarquables ;  tout y  était,  la plupart du temps, d'une uniformité  sèche et dure,   et purement matérielle. Néanmoins, comme il n'est pas un seul point sur lequel le génie de l'esthétique appliqué à la  Liturgie n'ait produit son chef-d'œuvre, nous avons à produire   un   monument  remarquable  qui   doit  son existence à ce procédé. C'est un in-folio sur parchemin, conservé  à la  Bibliothèque   de Mayence,  et   intitulé  : Officia Sanctorum per laminas œneas depicta. Ce beau livre est l'œuvre d'un chartreux, nommé Thomas Bavert, qui l'acheva le 26 septembre 1760. Non seulement l'écriture et la notation s'y distinguent par la plus étonnante délicatesse,  mais  l'artiste   est  parvenu, au moyen   des découpures aériennes de ses lames de laiton, à imiter la plus fine gravure dans les riches encadrements du titre de cet admirable volume, qui n'a pas moins de deux cent cinquante-deux pages.

 

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Pour citer au moins le nom d'un véritable calligraphe liturgique, au XVIII° siècle, nous signalerons François-Joseph Bonnardet, religieux du couvent des Augustins de Lyon, qui, de 1735 à 1739, exécuta les six immenses volumes, Graduel et Antiphonaire, que l'on conserve dans la Bibliothèque publique de cette ville.

Le XIX° siècle ne paraît pas, du moins en France, avoir produit rien qui mérite la peine d'être cité en  fait de calligraphie liturgique. Le sentiment de l'esthétique religieuse, appauvri de siècle en siècle, a fait si tristement défaut de nos jours,  et d'ailleurs  les  ressources matérielles de nos églises spoliées sont si faibles, que  l'on n'a pas trop le droit de s'en étonner, ni de s'en plaindre. Mais nous nous souviendrons toujours de l'impression que nous éprouvâmes, en 1842, lorsque, visitant le trésor de la Métropole de Reims, après qu'on eut étalé sous nos yeux les riches offrandes que fit le roi Charles X à cette c église, à l'occasion  de son   sacre, nous demandâmes à voir le livre  dont  l'Archevêque s'était servi dans cette royale fonction. Si les objets que nous avions considérés ne nous faisaient pas pressentir  quelque chose de bien merveilleux sous  le rapport du  goût, du  moins nous comptions sur un livre liturgique orné et exécuté avec cette somptuosité qui, à défaut d'intelligence, atteste du moins la bonne volonté. Notre simplicité fut déçue. On nous montra un mince in-folio couvert d'une reliure en maroquin  assez commune, et, l'ayant ouvert, nous le trouvâmes en simple papier, et, écrit à l'anglaise,  d'un bout à l’autre, sans même une seule lettre rouge,  et à plus forte  raison sans la moindre  ornementation. A la réflexion, nous comprîmes qu'il avait dû en être ainsi. A quoi bon faire transcrire, avec la dignité antique,  des formules sacrées et séculaires, il est vrai, mais déshonorées par la censure qu'il leur avait fallu subir de la part d'un conseil  laïque, et par les modifications auxquelles

 

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les avaient soumises les ordres souverains des ministres du Roi ? Il est vrai qu'il eût été plus naturel de confier aux presses de l'imprimerie royale (déjà chargées de répandre dans un moindre format cette Liturgie amendée) le léger in-folio qui devait servir dans la cérémonie elle-même, et rien, en vérité, n'obligeait d'aspirer aux honneurs du manuscrit, dans un siècle comme le nôtre, et dans une fête aussi dépourvue de l'esprit antique que le fut celle du 29 mai 1825. Que l'on nous permette du moins, en terminant ce chapitre, de relever cette nouvelle application du principe si souvent répété jusqu'ici, que dans tout ce qui tient à la Liturgie, comme dans tout le reste, la forme est pour l'ordinaire l'expression du fond.

 

 

 

 

 

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