II - CHAPITRE XXIV

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II - PRÉFACE
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II - CHAPITRE XXIII
II - CHAPITRE XXIV
II - APPENDICE
II - ADDITION

CHAPITRE XXIV : DE LA LITURGIE AU XIX° SIÈCLE. — EN FRANCE, RÉTABLISSEMENT DU CULTE CATHOLIQUE. PROJET D'UNE LITURGIE NATIONALE. ACTES DU LÉGAT CAPRARA. SACRE DE NAPOLEON. PIE VII DANS LES ÉGLISES DE PARIS. SITUATION GÉNÉRALE DE LA LITURGIE SOUS L'EMPIRE. — CARACTERE DES ŒUVRES LITURGIQUES SOUS LA RESTAURATION ET DEPUIS. DESTRUCTION PRESQUE TOTALE DE LA LITURGIE ROMAINE. MOUVEMENT INVERSE ET FAVORABLE AUX USAGES ROMAINS. NOUVELLE MODIFICATION DU PARISIEN EN l822. EFFORTS DIVERS DANS LE MÊME SENS. DIFFICULTÉS DE LA SITUATION, ET SON REMÈDE. — EN ALLEMAGNE, SCANDALES DES ANTI-LITURGISTES.    ORDONNANCE  DE   L'ÉVÊQUE  DE   ROTTENBOURG. AFFAIRE    DE    COLOGNE. —   EN    ANGLETERRE, TENDANCES FAVORABLES AUX FORMES CATHOLIQUES, ET AU BRÉVIAIRE ROMAIN EN PARTICULIER. — EN RUSSIE, INFLUENCE DÉSASTREUSE DE LA LITURGIE GRECQUE. — A ROME, TRAVAUX DES PAPES SUR LA LITURGIE ROMAINE. — BIBLIOTHEQUE DES  AUTEURS  LITURGISTES  DU   XIX°   SIÈCLE.

 

NOTES  DU CHAPITRE XXIV

NOTE A

NOTE B

NOTE C

 

 

 

Le XVIII° siècle, en finissant, voyait s'éteindre la cruelle persécution dont l'Église de France avait eu à supporter les rigueurs pendant dix années. Dès l'année 1799, des oratoires publics, des églises même se rouvraient de toutes parts. Les prêtresse montraient avec plus de sécurité, les autels dépouillés revoyaient comme une ombre des anciennes pompes. On osait enfin exposer au jour ces quelques vases sacrés, ces ornements, ces reliquaires, derniers et rares débris de l'opulence catholique, soustraits

 

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à la cupidité des persécuteurs, par le mâle courage de quelque chrétien qui jouait sa tête. Rien n'était sublime comme ces premières apparitions des symboles de la foi de nos pères, comme ces messes célébrées au sein de nos grandes villes, dans ces églises dévastées, violées, mais toujours chastes, et tressaillant de revoir encore le doux sacrifice de l'Agneau, après les orgies des fêtes de la Raison et les paroles de la théophilanthropie.

Dans Paris même, il advint que, tandis que les restes de l'Église constitutionnelle s'agitaient encore dans la métropole de Notre-Dame, l'étroite, mais à jamais vénérable église des Carmes de la rue de Vaugirard s'ouvrait à la piété des fidèles catholiques. Le sang des pontifes, des prêtres et des religieux martyrs, épanché si abondamment dans son enceinte et ses alentours, l'avait marquée pour le rendez-vous sublime des pasteurs décimés par l'échafaud et les misères de l'exil. A Lyon, dès 1801, la procession de la Fête-Dieu traversait les rues, aux acclamations des peuples enivrés de joie. « Quelle est, écrivait à ce sujet, dans le Mercure de France,celui qui s'apprêtait à raconter le Génie du Christianisme, quelle est cette puissance extraordinaire qui promène ces cent mille chrétiens sur ces ruines? Par quel prodige la croix reparaît-elle en triomphe dans cette même cité où naguère une dérision horrible la traînait dans la fange ou le sang? D'où renaît cette solennité proscrite? Quel chant de miséricorde a remplacé si soudainement le bruit du canon et les cris des chrétiens foudroyés ? Sont-ce les pères, les mères, les frères, les sœurs, les enfants de ces victimes qui prient pour les ennemis de la foi, et que vous voyez à genoux de toutes parts aux fenêtres de ces maisons délabrées, et sur les monceaux de pierres où le sang des martyrs fume encore? Ces collines chargées de monastères, non moins religieux parce qu'ils sont déserts; ces deux fleuves où la cendre des

 

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confesseurs de Jésus-Christ a si souvent été jetée : tous ces lieux consacrés par les premiers pas du christianisme dans les Gaules; cette grotte de saint Pothin, ces catacombes d'Irénée, n'ont point vu de plus grand miracle que celui qui s'opère aujourd'hui. »

C'est que l'amour des pompes sacrées est profondément enraciné au cœur des Français, et que l'alliance de la foi et de la poésie, qui constitue le fond de la Liturgie catholique, a pour eux un si grand charme, qu'il n'est ni souffrances ni intérêts politiques qu'ils n'oublieraient dans les moments où de si nobles et si profondes émotions traversent leurs âmes. Combien donc avaient été coupables ou imprudents ceux qui avaient eu le triste courage, durant un siècle entier, de travailler par tous les moyens à dépopulariser les chants religieux, à ruiner les pieuses traditions qui sont la vie des peuples croyants! C'était, certes, un triste contraste que celui qui s'était offert mille fois dans le cours de la persécution, lorsqu'au fond de quelque antre ignoré, à la faveur des ombres de la nuit et du mystère, les fidèles, réunis à travers mille périls, entouraient l'autel rustique, et qu'alors le prêtre, confesseur et peut-être martyr dans quelques heures, plaçait sur cet autel non le missel des âges de foi, mais ce moderne missel rédigé par les mains impures d'un sectaire, et promulgué avec le concours des parlements, aux beaux temps de la Régence ou de madame de Pompadour, alors qu'on travaillait de toutes mains à préparer l'affreuse catastrophe qui avait enfin éclaté. Et n'était-ce pas aussi un pitoyable spectacle que celui qui s'était offert dans la rade de Roche-fort, en 1798, lorsque les neuf cents prêtres, confesseurs de la foi, réunis dans la même fidélité et dans les mêmes souffrances, ne pouvaient s'unir dans une même psalmodie, parce que le petit nombre des bréviaires qu'on avait pu introduire dans ces prisons flottantes représentaient, pour   ainsi dire, autant de diocèses différents qu'ils formaient

 

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d'exemplaires (1). Certes, si la persécution qui faillit dévorer l'Église de France, eût été avancée d'un siècle, on eût du moins entendu s'élever  du fond  des cachots  la prière uniforme  des confesseurs,  la  prière romaine que l'univers catholique tout entier fait monter vers le ciel sept fois le jour. Il est vrai que le sang des martyrs suppléait à tout. L'Église de France puisa dans ce bain glorieux une nouvelle naissance. Mais il fallut que tout entière elle fût offerte en holocauste : la charité pastorale, fécondée par l'obéissance au pontife romain, immola ceux que le glaive avait épargnés. Le concordat de 1801 fut conclu et bientôt ratifié par Pie VII. La bulle pour la nouvelle circonscription des diocèses fut donnée à Rome : la nouvelle Église de France devait donc tout au Siège apostolique. Les antiques préjugés ne pouvaient tout au plus que se débattre en expirant.

Le concordat de 1801 avait une grande portée liturgique. Il garantissait l'exercice du culte catholique; aussi fut-il accepté comme un immense bienfait, par une nation qui avait tressailli de joie au retour de ses prêtres. Rien ne   pourrait   dépeindre   l'enthousiasme   des   Parisiens, lorsqu'enfin, le 18 avril 1802, le concordat fut promulgué, au milieu d'une cérémonie religieuse et civique. C'était le jour même de Pâques ; en sorte que les fidèles avaient à solenniser en même temps le passage du Seigneur quand les Israélites sortirent de l'Egypte, la résurrection triomphante du Christ, et la restauration miraculeuse de cette religion que, neuf ans auparavant, un  décret sacrilège

 

(1) Nous devons ce détail, qu'il était du reste bien facile de pressentir, au vénérable abbé Ménochet, chanoine de Saint-Julien du Mans, et vicaire général, décédé en 1834. Il était du petit nombre de ces glorieux confesseurs que la mort épargna, afin qu'ils pussent rendre témoignage des scènes sublimes de Rochefort. La mémoire de ce saint prêtre est précieuse à Solesmes : nous ne saurions jamais oublier qu'il eut la bonté de venir présider à l'installation de ce monastère en 1833, alors qu'une pareille démarche était un acte de courage.

 

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avait déclarée abolie, comme si le sang pouvait autre chose que fertiliser le champ de l'Église. Le bourdon de Notre-Dame, muet depuis douze ans, ébranlait encore la cité; et, comme enivrés du bruit de cet airain sacré dont la seule destination semblait être désormais de donner le signal du carnage, les citoyens s'embrassaient dans les rues sans se connaître. Les consuls se rendirent en pompe à Notre-Dame, et l'on vit les étendards français se balancer encore une fois autour du sanctuaire. Jean-Baptiste Caprara, cardinal de la sainte Église romaine, légat apostolique, célébra pontificalement sous ces voûtes réconciliées qu'ébranlaient par moments le mouvement triomphal des tambours et des fanfares belliqueuses. La France retrouvait son antique amour pour la foi catholique, et le premier consul pouvait s'applaudir d'avoir deviné les instincts de la nation : heureux s'il eût su toujours y attacher sa fortune !

Un livre d'une haute portée, publié à cette époque, avait grandement servi à préparer les esprits à un retour si merveilleux. Toute la France s'était émue à l'apparition de l'épisode fameux d'un poème américain, et dans lequel l'auteur faisait valoir, avec un talent inouï, l'harmonie des cérémonies religieuses avec les grands aspects de la nature. L'ouvrage annoncé dans la préface de cet opuscule, le Génie du Christianisme parut enfin, au mois d'avril 1802, et ce livre, qui s'attachait à prouver que le christianisme est vrai parce qu'il est beau, avança plus la réconciliation des Français avec l'ancien culte, que cent réfutations de l’Emile ou du Dictionnaire philosophique. Sans doute, la poétique nouvelle révélée par Chateaubriand n'était pas à la portée de tous les lecteurs de ce livre; on peut même dire (surtout aujourd'hui que nous voilà pour jamais délivrés des grecs et des  romains) qu'elle laisse quelque peu à désirer ; mais la partie liturgique du Génie du Christianisme, c'est-à-dire la description des fêtes, des

 

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cérémonies, les riches peintures des cathédrales et des cloîtres du moyen âge, tout cela formait la partie populaire de l'ouvrage. Certes, si, quarante ans après, il est vrai de dire que notre littérature, nos arts et notre poésie sont la réfraction plus ou moins riche de l'éclat que jeta alors ce merveilleux météore; quel ne dut pas être l'empressement de la nation, fatiguée des courses desséchantes qu'elle avait été contrainte de faire dans les champs du matérialisme, lorsqu'une main bienfaisante vint ouvrir pour elle une source intarissable de poésie, là même où d'invincibles instincts lui révélaient qu'était toujours pour elle la véritable vie ? Et n'y avait-il pas aussi toute une réaction féconde dans cette promulgation solennelle du christianisme comme la religion éminemment poétique, un siècle et demi après Boileau, qui, digne écho des anti-liturgistes de son Port-Royal, ne voyait dans la foi du chrétien que des mystères terribles, et dans la poésie que des ornements égayés? C'était bien en leur qualité de littérateurs classiques, que les Foinard et les Grancolas avaient donné les belles théories que nous avons vues, faisant une chasse impitoyable à tous ces répons et antiennes surannés, composés dans un latin si différent de celui de Cicéron, et fourrant toute leur œuvre nouvelle de pastiches à la façon d'Horace, comme pour faire pardonner le cliquetis peu agréable de leurs centons, pillés dans la Bible à tort et à travers, d'après tout autre système que celui de l'harmonie. Le Génie du Christianisme, en posant comme fait la poétique du Christianisme considéré en lui-même (1), a donc exercé une action vaste, et ce sera un jour une longue histoire que celle des résultats sortis de ce livre,

 

(1) Les Martyrs vinrent plus tard, et fournirent, malgré quelques défauts, l'irrécusable preuve d'un fait que la postérité s'étonnera qu'on ait pu contester une minute. Elle aura peine à comprendre le XVIII° siècle, siècle prosaïque qui se mêla de tout refaire, parce qu'avant lui la poésie était partout.

 

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qui, entre beaucoup d'avantages, a celui d'être venu en son temps. L'œil d'aigle de Napoléon en vit dès l'abord toute la portée, et il chercha à s'attacher l'auteur; Pie VII témoigna sa satisfaction de la manière la plus éclatante; Dussault, de Fontanes, le grand philosophe de Bonald, s'unirent à l'abbé de Boulogne pour célébrer l'importance de cette victoire remportée sur les ennemis de la forme religieuse.

Mais au fort même de ce triomphe, comme il est de nécessité en ce monde que les tribulations accompagnent toujours fidèlement les succès de l'Eglise, des obstacles inattendus vinrent tempérer la joie du Pontife romain et de l'Église de France. Sans doute, le concordat avait été publié à Notre-Dame; mais quelques jours auparavant, le 8 avril 1802 (18 germinal an X), jour même où ce traité avait été porté au Corps législatif, et inauguré comme loi de la République, on avait décrété en même temps, sous le nom d’ Articles organiques, soixante-dix-sept articles dont le plus grand nombre avait été conçu et rédigé dans le but d'amortir l'influence du catholicisme, et d'arrêter le développement de ses institutions renaissantes. Il n'est point de notre sujet de développer ici toute la série des dispositions de ce décret tyrannique, contre lequel le Siège apostolique ne tarda pas à faire entendre les plus explicites réclamations. Nous nous bornerons à relever quelques-unes des dispositions du titre III, intitulé : Du Culte.

La première avait une portée immense, malgré sa brièveté, et elle était ainsi conçue : Il n'y aura qu'une Liturgie et un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France. Laissant de côté le catéchisme, bornons-nous à ce qui tient à la Liturgie. On conçoit aisément que, par suite de la nouvelle circonscription des diocèses, l'Église de France devait se trouver dans une déplorable confusion sous le rapport de la Liturgie. Le

 

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nombre des diocèses ayant été réduit de plus de moitié, 1 et par conséquent les nouveaux évêchés se trouvant formés, en tout ou en partie, du territoire de trois ou quatre et quelquefois jusqu'à sept des anciens diocèses, il arrivait, par suite des changements survenus au dix-huitième siècle, que la Liturgie de l'église cathédrale, loin de réunir les autres églises du diocèse dans l'unité de ses formes, se voyait disputer le terrain par cinq ou six autres Liturgies rivales. Certes, un si étrange spectacle était inouï dans l'Eglise; jamais en aucun temps, en aucun pays, la communion des prières publiques n'avait présenté l'aspect d'une si étrange anarchie; bien plus, pour qu'elle fût devenue possible par suite d'un remaniement des diocèses, il avait fallu qu'il existât déjà, dans un seul pays qui ne compte pas trois cents lieues d'étendue, plus de diverses formes d'office divin qu'il n'en existe dans le monde entier, sans oublier même les églises d'Orient.

Les conciliabules de 1797 et de 1801 avaient senti l'inconvénient de cette situation; car, bien que l'Église constitutionnelle comptât un évêché par département, la division de la France en départements avait déjà grandement bouleversé la circonscription des diocèses. Mais les évêques réunis, comme ils le disent fort bien, trouvaient surtout dans le projet d'une Liturgie uniforme pour la France (idée qui leur appartient en propre), un moyen efficace de perpétuer leur secte, si elle fût née viable, en rattachant cette organisation liturgique au système de nivellement et de centralisation sur lequel avait été fondée la république (1). On conçoit parfaitement cette idée dans une Église schismatique repoussée par toutes les autres églises, et qui ne peut avoir de vie qu'en se nationalisant; mais quel machiavélisme impie

 

(1) Voyez ci-dessus, page 558.

 

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que celui de ces législateurs qui, dans le moment où la France venait de rentrer dans l'unité catholique, décrétaient que le moment était venu de travailler sérieusement à élever pour jamais un mur de séparation entre l'Église de France et toutes les autres ? Telle n'avait pas été la politique de Charlemagne, ni celle de saint Grégoire VII, ni celle d'Alphonse VI de Castille,   ces  grands  civilisateurs qui voyaient le salut et la gloire des États européens dans l'unité générale de la chrétienté, et qui brisaient  de si grand cœur   tout   retranchement    derrière lequel la religion universelle eût tendu à devenir chose nationale.  Et cependant nous  avons entendu des  gens honorables, mais d'une insigne imprudence, former encore ce souhait d'une Liturgie nationale ; ne pas sentir  quelle honte c'eût été pour la France, de se retrouver, après mille ans, dans l'état où elle était lorsqu'elle préludait à ses destinées de nation très chrétienne,   ayant perdu et l'antiquité vénérable de la Liturgie gallicane, et l'autorité souveraine de la Liturgie romaine, sans autre compensation que des traditions qui eussent daté du XIX°, ou du XVIII° siècle.

Dieu ne permit pas que cette œuvre anticatholique reçût son accomplissement. Une commission fut nommée : pour la rédaction des nouveaux livres de l'Église de France ; mais le résultat de ses travaux ne fut même pas  rendu public. On sait seulement que plusieurs des membres cherchèrent à faire prévaloir, l'un la Liturgie parisienne, l'autre celle de tel ou tel diocèse, un autre enfin un amalgame formé de toutes ensemble. Personne n'osa proposer de revenir à l'ancien rite gallican, seul projet pourtant qui eût été sensé, le principe étant admis ; mais projet impraticable, puisque les monuments de ce rite ont péri pour la plupart. Il en fut donc de ce projet de Liturgie nationale, comme de la réédification du temple de Jérusalem au  ive siècle; ou  si  l'on   veut remonter

 

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plus haut, comme de la tour de Babel; et le grand homme qui parlait de son prédécesseur Charlemagne, fut atteint et convaincu de n'avoir pu s'élever à la hauteur des vues de cet illustre fondateur de la société européenne. Au reste, qu'on y regarde bien, on verra que toutes les fautes de Napoléon étaient là. Il n'est tombé de si haut que pour avoir voulu faire de l'Église et du Pape une chose française. Est-ce Terreur de son esprit? est-ce le crime de son cœur ? Dieu seul le sait bien.

Le reste des Articles organiques du titre III est employé à détailler maintes servitudes auxquelles l'Église sera soumise en France. Nous citerons le XLVe article, si tyrannique, que les protestants eux-mêmes ont plusieurs fois réclamé contre : Aucune cérémonie religieuse n'aura lieu hors des édifices consacrés au culte catholique, dans les villes où il y a des temples destinés à différents cultes. Ainsi avait-on cherché à atténuer la victoire du catholicisme, en prolongeant le règne de cette intolérance qui n'était plus sanglante, il est vrai, comme celle de la Convention, mais qui allait chercher ses traditions dans les annales des parlements et dans les fastes antiliturgistes de Joseph II et de Léopold.

Pendant ce temps, d'importantes opérations liturgiques , s'exécutaient à Paris, par le ministère du légat Caprara, qu'une délégation apostolique avait investi de tous les droits nécessaires pour agir avec plénitude d'autorité dans les circonstances solennelles où se trouvait l'Église de France. La réduction des fêtes aux seules solennités de Noël, de l'Ascension et de la Toussaint; la translation au dimanche de la solennité des fêtes de l'Epiphanie, du Saint Sacrement, de saint Pierre et de saint Paul, des saints patrons du diocèse et de la paroisse; l'institution d'une commémoration de tous les saints Apôtres au jour de la fête de saint Pierre et de saint Paul, et de tous les saints Martyrs, au jour de saint Etienne; enfin, la fixation de la fête de la

 

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Dédicace de l'Église au dimanche qui suit l'octave de la Toussaint; ce furent là de grands événements dans Tordre liturgique, et nous aurons ailleurs l'occasion d'en peser toute la valeur. L'induit du légat, exprimant sur ce sujet les volontés apostoliques, parut le 9 avril 1802, et fut interprété par le légat lui-même, dans un décret rendu à la sollicitation du vicaire général de l'archevêque de Malines, sous la date du 21 juin 1804. Nous donnerons ces diverses pièces en leur lieu.

Les dures nécessités qui contraignaient le Siège apostolique à sacrifier un si grand nombre de fêtes célèbres dans l'Église, au risque de contrister la piété des fidèles catholiques, ne permirent pas d'assigner un jour spécial à la fête longtemps projetée du Rétablissement de la religion catholique en France, non plus qu'à celle de saint Napoléon, dont l'institution devenait indispensable, du moment que le général Bonaparte échangeait les faisceaux du consulat avec le sceptre impérial. On pensa donc à joindre la célébration de ces deux fêtes nouvelles avec la solennité même de l'Assomption de la sainte Vierge, patronne de la France. Le 15 août était aussi le jour de la naissance de l'Empereur; il eût donc été difficile de trouver un jour plus convenable pour cette triple solennité nationale. Le légat rendit sur cette matière un décret solennel qui commence par ces mots : Eximium Catholicœ Religionis, mais dont nous n'avons pu nous procurer la teneur; et, le 21 mai 1806, il adressa à tous les évêques de l'Empire une instruction détaillée sur la manière de célébrer la fonction du 15 août.

Cette curieuse instruction, que nous reproduisons dans les notes du présent chapitre (1), était divisée en trois parties. Dans la première, il était enjoint aux évêques d'annoncer par mandement ou autrement, le premier dimanche

 

(1) Vid. Note A.

 

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d'août de chaque année, la fête de saint Napoléon, martyr, laquelle est en même temps la fête du Rétablissement de la Religion catholique, comme devant être célébrée concurremment avec la solennité de l'Assomption de la sainte Vierge. Ils devaient semblablement annoncer la procession de l'action de grâces qu'on aurait à célébrer, conformément au rite usité dans l'Église : Juxta receptum Ecclesiae ritum ; et enfin publier une indulgence plénière attachée à la bénédiction papale que Sa Sainteté leur accordait de pouvoir donner ledit jour de l'Assomption, après la messe pontificale.

La seconde partie de l'instruction renfermait la légende de saint Napoléon, destinée à être lue, en neuvième leçon, aux matines de l'Assomption. On s'était sans doute donné beaucoup de peine pour la conduire à une si raisonnable longueur; mais, quoi qu'il en soit, l'office du saint martyr avait été complété au moyen des oraisons de la messe Lœtabitur, au Missel romain. Le rite à observer pour la bénédiction papale était détaillé dans la troisième partie de l'instruction.

Le sacre de Napoléon avait été aussi un grand acte liturgique : mais, en cette qualité même, il exprimait d'une manière bien significative toute la distance qui séparait le nouveau Charlemagne de l'ancien. On pouvait, certes, comprendre que la Liturgie est l'expression de la religion dans un pays, quand on vit le pontife romain, accouru, par le plus généreux dévouement, pour prêter son ministère à un si grand acte, attendre, en habits pontificaux, sur son trône, à Notre-Dame, pendant une heure entière, aux yeux de toute la France, l'arrivée du nouvel empereur; quand on vit Napoléon prendre lui-même la couronne, au lieu de la recevoir du pontife, et couronner ensuite de ses mains profanes le front d'une princesse sur lequel, il est vrai, le diadème ne put tenir ; quand on vit enfin l'évêque du dehors, sacré de l'huile

 

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sainte, s'abstenir de participer aux mystères sacrés, terrible présage de l'arrêt qui devait, cinq ans plus tard, le retrancher de la communion catholique. Ce ne fut qu'en faisant violence aux règles les plus précises de la Liturgie (dérogation d'ailleurs légitimée par la plénitude d'autorité qui résidait dans le pontife), que l'antique rite du sacre put être accompli à l'égard de Napoléon : nous verrons encore ailleurs que la royauté de nos jours, absolue ou constitutionnelle, n'est plus taillée à la mesure des anciens jours. Les peuples, au contraire, ne demandent qu'à se nourrir des plus pures émotions de la Liturgie.

Rien ne pourrait rendre l'enthousiasme des fidèles de Paris et des provinces, durant les quatre mois que Pie VII passa dans la capitale de l'Empire. Il n'y avait cependant rien d'officiel ni de cérémonieux dans cette affluence qui inondait les églises où le Saint-Père venait célébrer la messe. Les fidèles se pressaient par milliers autour de la table sainte, dans l'espoir de recevoir l'hostie du salut des mains mêmes du vicaire de Jésus-Christ, et c'était un spectacle ineffable que celui qu'offrait cette multitude, chantant d'une seule voix le Credo entonné par le curé, environnant comme d'une atmosphère de foi le pieux pontife qui, dans un recueillement profond, célébrait le sacrifice éternel, et rendait grâce de trouver encore tant de religion au cœur des Français. Saint-Sulpice fut la première église de Paris honorée de la visite du pontife, le quatrième dimanche de l'Avent. Notre-Dame le posséda le jour même de Noël; mais il n'y célébra qu'une messe basse, parce qu'on n'aurait pu réunir les conditions liturgiques d'une fonction papale. Le jour des Saints-Innocents, il favorisa Saint-Eustache de sa présence apostolique, et le 3o décembre, Saint-Roch reçut le même honneur. Saint-Etienne-du-Mont accueillit le pontife, le 12 janvier 18o5, et Sainte-Marguerite, le 10 février. Il visita Saint-Germain-

 

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l'Auxerrois le 17 février ; Saint-Merry, le 24 ; Saint-Germain-des-Prés, le 3o mars, et Saint-Louis en l'île, le 10 du même mois. Nous ne parlons ici que des églises où Pie VII célébra la messe et donna la communion aux fidèles, et nous nous sommes complu dans cette énumération, afin que la mémoire de ces faits si honorables à ces églises ne périsse pas tout à fait (1). Il y aurait un beau livre à faire sur le séjour de Pie VII en France, à cette époque ; mais rien peut-être ne serait plus touchant à raconter que les visites que le pontife faisait à ces églises qui portaient encore les traces de la dévastation qu'elles avaient soufferte, et dans lesquelles il célébrait la messe avec le recueillement angélique si admirablement empreint sur sa noble et touchante figure. Les Parisiens, dont il était Pidole, disaient sur lui ce beau mot, qu'il priait en pape. Entre autres spectacles liturgiques qui frappèrent leurs regards, il en est deux qui firent une plus profonde impression. L'un fut la tenue d'un consistoire public, le 1er février 18o5, dans lequel les cardinaux de Belloy et Cambacérès reçurent le chapeau de cardinal; après quoi, Pie VII présida un consistoire secret dans lequel furent préconisés dix archevêques ou évêques. Les murs de l'archevêché, qui depuis ont croulé sous les coups d'une fureur sacrilège, furent témoins de cette scène imposante qui, depuis bien des siècles, s'était rarement accomplie hors de l'enceinte de Rome.

Le lendemain, jour delà Purification, une autre pompe émut les catholiques de respect et d'enthousiasme : elle se déploya en l'église de Saint-Sulpice. Le pape y consacra les nouveaux évêques de Poitiers et de La Rochelle, et l'on vit en ce moment la grâce du caractère épiscopal découler de la même source que la mission canonique.

 

(1) On peut voir sur cela les journaux du temps, mais surtout le précieux recueil intitulé : Annales philosophiques et littéraires, rédigé alors par l'abbé de Boulogne, qui fut depuis évêque de Troyes.

 

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Tels étaient les riches et féconds moyens que la divine Providence avait choisis pour rattacher les Français au centre de l'unité catholique, à la veille des malheurs inouïs qui se préparaient à fondre sur l'Eglise romaine, au grand péril de l'unité et de la foi. Pie VII partit enfin de Paris le 4 avril, et son voyage à travers la France fut un triomphe continuel. Il s'arrêta le dimanche des Rameaux à Troyes, bénit les palmes et célébra une messe basse dans la cathédrale. L'ancienne cathédrale de Chalon-sur-Saône eut la gloire de le posséder, les trois derniers jours de la Semaine sainte, et le vit, le jour de Pâques, célébrer le saint Sacrifice dans son enceinte. Le pontife ne put encore dire qu'une messe basse par la même raison qui avait privé Notre-Dame de Paris de l'honneur de servir de théâtre sacré à une solennité papale.

Mais le moment le plus triomphal du voyage du pontife fut peut-être celui de son séjour à Lyon, en cette ville si justement appelée la Rome de la France. Pie VII y entra le 16 avril. Le lendemain, il célébra la messe dans la vieille primatiale, qui a vu deux conciles œcuméniques et la réunion de l'Église grecque et de l'Église latine. L'affluence était extrême, et la vaste basilique ne pouvait contenir la multitude condensée des fidèles lyonnais. On vit une foule de personnes qui n'avaient pu pénétrer dans son enceinte qu'après la sortie du pontife, se précipiter avec enthousiasme et baiser le siège où il s'était reposé, le prie-Dieu où il avait fait ses prières, le tapis sur lequel il avait posé ses pieds. Le 18 avril, Pie VII revint célébrer la messe dans la primatiale, et ce ne fut qu'après avoir donné la communion à douze cents fidèles, ce qui dura trois heures, que ses bras apostoliques se reposèrent. Le même jour, dans l'après-midi, il les étendit encore, en présence de la cité tout entière, réunie sur l'immense place Bellecour, et ce fut pour bénir, avec une pompe magnifique, les drapeaux de la garde lyonnaise.

 

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Toutefois, ce spectacle fut moins sublime encore que celui qui s'était offert la veille, lorsque le successeur de saint Pierre, assis sur une barque, parcourait les alentours de la ville enivrée de joie. Le peuple fidèle couvrait, à flots pressés, les deux rives; le pontife, comme Jésus-Christ lui-même, bénissait la foule du sein de la nacelle, et le Rhône, fier d'un si noble fardeau, semblait atteindre à la gloire du Tibre. Mais n'affaiblissons point, par des récits incomplets et sans couleur, le charme et la grandeur de cette sublime apparition de la majesté apostolique qui se révéla soudain aux Français. Bientôt Pie VII rentre dans Rome pour quatre années encore : voyons ce que devenaient en France les traditions du culte divin, subitement ravivées par un événement si merveilleux.

On était en 1806; le projet d'une Liturgie nationale était encore dans toutes les bouches; mais la Commission préposée à cette oeuvre ne produisait rien. Le fameux projet avorta donc, et il n'en resta plus de mémoire que dans les articles organiques. D'autre part, cependant, Napoléon étant empereur, et empereur sacré par le pape, il devenait nécessaire qu'il eût une chapelle impériale, et aussi que cette chapelle célébrât l'office divin suivant les règles d'une Liturgie quelconque. L'ancienne cour, comme on l'a vu ailleurs, observait l'usage romain, depuis Henri III; Napoléon, si jaloux de faire revivre en toutes choses l'étiquette de Versailles, y dérogea sur ce point. Il abolit la Liturgie romaine, et décréta que les livres parisiens seraient les seuls dont on ferait usage en sa présence. Grand honneur assurément pour Vigier et Mésenguy, mais preuve nouvelle de l'antipathie que le grand homme, si clairvoyant, avait conçue pour tout ce qui pouvait gêner ses rêves d'Église nationale.

Dans toute la durée de l'empire, nous n'avons découvert aucune nouvelle composition liturgique à l'usage d'un diocèse particulier. Il y eut sans doute des utopies

 

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comme au siècle précédent; mais le temps n'était pas propice à en faire parade. Cette époque ne produisit même pas une nouvelle édition parisienne des livres de Vintimille. Nous ne connaissons guère que le diocèse de Lyon qui ait alors réimprimé les livres de son Montazet. La guerre absorbait tout, et d'ailleurs le moment était peu favorable pour songer à faire du neuf sur la Liturgie, quand la catholicité de la France était elle-même en péril, et que le pontife triomphateur de 18o5, traversait la France sous les chaînes de sa glorieuse confession.

Le Fort armé qui avait refusé le rôle de Charlemagne, tomba avant le temps, et les églises respirèrent ; toutefois, la liberté du catholicisme ne fut pas restaurée avant l'an- , cienne dynastie. Il n'est point de notre sujet de raconter ce que l'Eglise souffrit durant quinze années, ni ce qu'elle a pâti depuis ; nous n'avons qu'à raconter le' sort de la Liturgie. D'abord, Louis XVIII rétablit, dès son arrivée, l'usage de la Liturgie romaine dans les chapelles royales : la simple raison d'étiquette l'eût demandée, et nous ne nous arrêterons point à chercher dans cet acte une valeur ou une signification qu'il ne saurait avoir.

Mais, avant d'entrer dans quelques détails sur cette époque, nous rappellerons ici deux grands faits qui la dépeignent assez bien, du moins sous le point de vue qui nous occupe. Le premier est le sacre de Charles X, à Reims. En cette circonstance, la Liturgie fut encore l'expression de la société. On ne se servit point du Pontifical romain dans la cérémonie, comme on avait fait au sacre de Napoléon, mais bien du cérémonial usité de temps immémorial dans l'Église de Reims, et dont les formules remontent probablement à l'époque delà seconde race de nos rois. Or ce fut ce vénérable monument, dont la teneur fut discutée en conseil des ministres, et dont les formules furent trouvées incompatibles avec nos mœurs constitutionnelles et gallicanes.  On le vit donc bientôt

 

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sortir des presses de l'imprimerie royale, portant, en dix endroits, la trace des plus violentes mutilations. Nous donnerons ailleurs le détail de cette opération libérale; mais tout d'abord une réflexion se présente à notre esprit, et nous ne pouvons nous empêcher de la produire; c'est que si la cérémonie du couronnement d'un roi est devenue, de nos temps, si difficile à concilier avec la forme qu'on lui donna lors de son institution, il eût été mieux, ce semble, de s'abstenir de la renouveler. Il avait été également convenu, en conseil des ministres, que le roi ne toucherait pas les écrouelles; tant on cherchait à décliner toute la portée d'un acte qu'on croyait pourtant devoir offrir en spectacle à l'Europe ! Il advint néanmoins qu'à Reims même, cette détermination fut changée. S'il était de notre sujet d'entrer ici dans les détails, nous dirions des choses étranges. Quoi qu'il en soit, le pieux roi toucha les écrouelles; car sa foi était digne d'un siècle meilleur, et si la couronne posée sur son front, après tant de discussions politico-liturgiques, n'y put tenir longtemps, il a été du moins au pouvoir de Dieu de la remplacer par une autre plus solide et plus inattaquable.

Une autre pompe de la même époque qui montra le grand besoin qu'on avait alors de fortifier, même dans les choses de pur extérieur, les traditions liturgiques de tous les temps, fut la translation des reliques de saint Vincent de Paul. Sans doute, cette cérémonie dans son objet dut être et fut, en effet, un sujet de consolation pour l'Église, et de triomphe pour les fidèles; mais, si le procès-verbal détaillé de la fonction] parvient à la postérité, et que la postérité veuille juger de cette translation d'après les règles observées dans toutes les autres, elle en conclura que nos mœurs, à cette époque, étaient grandement déchues de cette solennité qui se trouve à l'aise dans les formes liturgiques. Le XVII° et le XVIII° siècle lui-même, eussent mieux fait, et tout dégénérés qu'ils étaient, ils eussent jeté des

 

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chapes et des tuniques sur les épaules de ces six cents clercs qu'on vit circuler en rangs mille fois brisés, couverts de surplis étriqués et plissés, avec l'accompagnement d'un bonnet pointu; ils eussent revêtu pontificalement ces dix-sept archevêques et évêques qu'on vit marcher à la suite des chanoines, en simple rochet, mozette et croix pectorale, au rang des dignités du chapitre de Notre-Dame; mais surtout ils n'eussent pas laissé à des ouvriers affublés d'aubes, le soin exclusif de porter la châsse du saint. On eût préparé pour cela des diacres couverts des plus riches dalmatiques, des prêtres ornés de chasubles somptueuses, enfin les évêques, mitre en tête, auraient à leur tour partagé le fardeau, suivant l'ancien terme des récits de translation, succollantibus episcopis. Ainsi s'accomplissaient autrefois les fonctions liturgiques; ainsi les reverrons-nous encore, dans l'avenir, étonner les peuples par la majesté et la pompe qui caractérisent en tout l'Église catholique. Elle doit tenir à cœur de mériter les reproches de ses ennemis les rationalistes, qui croient la déshonorer en l'appelant la Religion de la forme, comme si le premier de ses dogmes n'était pas de croire en Dieu créateur des choses visibles aussi bien que des invisibles, et dont le Fils unique S'EST FAIT CHAIR et a habité parmi nous.

L'époque de la Restauration, à la différence de celle de l'empire, fut remarquable par le grand nombre d'opérations liturgiques qui la signalèrent. De nombreux bréviaires, missels et rituels, furent réimprimés, corrigés,  refondus, créés même de nouveau. On ne peut nier que des travaux dans ce genre ne fussent assez à propos à cette époque de paix et de prospérité universelle. C'était le moment de venir enfin au secours des diocèses fatigués de l'anarchie liturgique et de la bigarrure que présentait la plus grande partie d'entre eux. Que s'il faut maintenant faire connaître ce que nous pensons de cette nouvelle crise, nous dirons, avec tous les égards dus à des contemporains,

 

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qu'elle nous semble n'avoir fait autre chose qu'accroître la confusion déjà existante ; tout en nous réservant d'ajouter qu'au milieu de cette confusion même, les indices d'un retour prochain à de meilleures théories se manifestent de toutes parts.

Comment, en effet, au XIX° siècle, eût-il été possible de réussir dans une forme liturgique, quand il est évident pour tout le monde que la science liturgique a totalement cessé parmi nous? S'il en est autrement, qu'on nous cite les ouvrages publiés en ce siècle qui attestent le contraire; qu'on rende raison de tant de règles violées, de tant de traditions anéanties, de tant de nouveautés inouïes mises à l'ordre du jour. Certes, les voies de fait commises, sous le prétexte de restaurations et d'embellissements, contre les monuments de l'architecture catholique, donnent assez l'idée des ruines d'un autre genre que l'on a su accumuler. Jusqu'en 1790, les débris du passé empreints dans les institutions, les corps ecclésiastiques, conservateurs de leur nature; la Liturgie romaine célébrée encore dans un grand nombre de monastères   et autres lieux exempts; l'éducation d'alors plus empreinte de formes extérieures que celle d'aujourd'hui, tout cela contribuait à amortir la chute des anciennes mœurs liturgiques. De nos jours, au contraire, où l'Eglise avait perdu la plus grande partie de ses moyens extérieurs; où le loisir manquait pour lire les saints Pères ; où le droit canonique n'était plus enseigné que par lambeaux dans des cours rapides de théologie morale ; qui songeait à sauver les traditions liturgiques déjà si amoindries, et faussées, comme on l'a vu, sur tant de points ?

De là sont venus (et nous éviterons constamment de nommer des personnes vivantes), de là sont venus, disons-nous, ces changements de bréviaire qui se sont répétés jusqu'à deux et trois fois en vingt ans pour un même diocèse ; de là ces usages vénérables maintenus par une

 

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administration, supprimés par celle qui la suivit, rétablis avec modification par une troisième; de là ces cérémonies transportées sans discernement d'un diocèse dans l'autre, sans nul souci de la dignité respective des églises, qui s'oppose à de pareils emprunts; de là ces réimpressions de bréviaires en contradiction avec le missel, de missels en contradiction avec le bréviaire ; de livres de chœur sans harmonie entre eux ; de là ces rubriques inouïes, ces fêtes sans antécédents, ces plans généraux de bréviaires qui ne ressemblent à rien de ce qu'on a vu, même au XVIII° siècle, et dans lesquels on a si largement appliqué le système de la diminution du service de Dieu ; de là l'interruption presque universelle de l'office canonial dans les cathédrales; et il en est où la bonne volonté ne suffirait pas, attendu que les livres de chœur ne sont encore ni rédigés, ni imprimés ; de là, en plusieurs endroits, la suppression de fait ou de droit, quelquefois l'une et l'autre, de cérémonies historiques et populaires, de rites et bénédictions inscrits pourtant au rituel diocésain ; de là, tant de milliers de tableaux et d'images des saints commandés et chèrement payés, sans qu'on prenne soin d'y faire représenter ces amis de Dieu et du peuple chrétien, avec les attributs, les couleurs et autres accessoires qui les caractérisent expressément. Nous ne pousserons pas plus loin, mais certainement nous ne disons rien ici que nous n'ayons entendu mille fois de la bouche des curés les plus vertueux et les plus éclairés ; nous dirons mieux, de la bouche même de plusieurs de nos premiers Pasteurs. Tous, il est vrai, attendaient de meilleurs temps, et nous avons bien aussi cette confiance.

Ajoutons encore un mot pour signaler tout Ie malaise de notre situation liturgique. Qui n'a entendu parler des vexations dont la France entière a été le théâtre depuis dix ans, quand le nouveau gouvernement exigea l'addition expresse du nom du roi  à la prière Domine,  salvum?

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N'avons-nous pas alors porté la peine d'une trop grande complaisance à l'égard des souverains ? Sans rappeler l'insertion irrégulière du nom du roi au Canon de la messe, entreprise qu'on peut regarder comme prescrite aujourd'hui, quelle n'eût pas été notre indépendance à l'égard des circulaires ministérielles, si nous eussions accepté dans son temps la sage constitution de Benoît XIV, du 23 mars 1753, qui défend aux supérieurs ecclésiastiques d'accéder aux volontés des princes qui leur enjoignent de faire célébrer des prières publiques ? Pourquoi, dans certains diocèses, en est-on venu jusqu'à prescrire à toutes les messes chantées des dimanches et fêtes, l'usage d'une oraison solennelle, pro Rege, laquelle oraison se retrouve encore comme une partie obligée des prières qui se font au salut du Saint-Sacrement, tandis qu'il est inouï dans ces mêmes diocèses que les rubriques prescrivent jamais une oraison pour le Pape ? Enfin, s'il arrivait, ce que nous ne souhaitons pas, que le gouvernement de notre pays vînt à tourner totalement à la démocratie, quelle messe chanterait-on dans certains diocèses, le XXIIe dimanche après la Pentecôte (1) ?

Il est vrai que ces entraves imposées à la liberté de l'Eglise ont été fabriquées dans d'autres temps, Notre tort, si nous en avons un, est simplement de n'avoir pas secoué assez tôt un joug que les XVII° et XVIII° siècles nous ont légué : il faut même reconnaître que toutes les fautes que nous avons pu faire en notre époque ont été comme nécessaires. Nos pères nous ont laissé, avec leurs préjugés, la succession de leurs oeuvres, et si la Liturgie est aujourd'hui une science à créer de nouveau; c'est qu'elle est tombée sous les coups de nos devanciers. Tout le mal de notre situation vient donc d'eux; le bien qui reste à raconter est de nous seuls.

 

(1) Voyez les Missels de Lyon, de Bourges, du Mans, de Poitiers, etc.

 

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Mais avant de tracer le tableau, si incomplet qu'il soit, de la régénération liturgique, nous manquerions à la fidélité de l'historien, si nous ne signalions pas ici les entreprises dirigées de nos jours, dans plusieurs diocèses, contre la Liturgie romaine. Les remarques que nous avons faites jusqu'ici portent sur les diocèses qui, à l'ouverture du siècle présent, se trouvaient déjà nantis d'un nouveau bréviaire ; car nous laissons toujours de côté la question de droit, et nous ne jugeons les innovations que d'après les principes généraux de la Liturgie. Il en est tout autrement de l'expulsion violente du Bréviaire et du Missel romains; attentat qui a eu lieu plusieurs fois depuis 1815, dans des diocèses où cette Liturgie avait survécu à tous nos désastres, à toutes nos erreurs. Nous ne craignons pas de nous faire ici le champion de la Liturgie romaine, et nous demanderons volontiers, comme les évêques de Saint-Malo et de Saint-Pol-de-Léon à l'archevêque de Tours, en 1780, quelle peut être l'utilité de rompre, de nos jours, un lien si sacré avec la Mère des Églises? Telle était aussi la manière de penser du plus saint prélat de notre temps, Charles-François d'Aviau du Bois de Sanzay, archevêque de Bordeaux, qui maintint avec tant de zèle dans son diocèse la Liturgie romaine, en même temps qu'il donnait, en 1826, comme en 1811, de si glorieux témoignages de son attachement aux prérogatives du Siège apostolique. Un bruit se répandit dans ces derniers temps, que l'Église de Bordeaux était menacée de voir les livres de saint Grégoire remplacés par ceux de Vigier et Mésenguy; mais cette nouvelle, sans doute, n'était qu'une fausse alarme.

Malheureusement, il n'en a pas été ainsi en tous lieux. Il n'est que trop certain que plusieurs autres diocèses ont franchi le pas. Il en est même où on est allé jusqu'à défendre l'usage des livres romains, et nous pourrions même citer un diocèse où l'évêque, pour ne pas fulminer

 

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cette défense, a eu à lutter contre ses conseillers. Il est vrai que depuis, dans ce même diocèse, de graves casuistes ont décidé que la récitation du Bréviaire romain n'était dès lors qu'un péché véniel! Et qu'on ne croie pas qu'il s'agisse ici de quelqu'un de ces diocèses où l'on est en possession d'une Liturgie vieille au moins de cinquante années; non, dans le Diocèse dont nous parlons, les livres romains sont encore à peu près les seuls qu'on trouve dans les sacristies et sur les pupitres du chœur.

Que dirons-nous de la Bretagne? Cette belle et catholique province, toute romaine encore jusqu'en 1770, a vu s'effacer par degrés cette couleur qui annonçait si expressivement sa qualité de pays d'Obédience ; mais du moins en 1790, et longtemps encore depuis, les diocèses de Nantes, de Rennes, de Vannes et de Saint-Brieuc, avaient conservé l'extérieur de la Liturgie romaine. Le clergé récitait ses heures suivant Jacob, Vigier et Mésenguy; mais le peuple était demeuré en possession de ses chants séculaires dans les églises paroissiales. Depuis, on a imprimé à grands frais d'autres livres ; les anciennes mélodies, l'ancien calendrier, ont disparu pour faire place, ici au parisien, là au poitevin ; mais si, dans quelques portions plus civilisées de la Bretagne, ces changements ont été accueillis avec quelque indifférence, il n'en a pas été de même dans les diocèses peuplés par cette race énergique et forte de croyances qu'on appelle du nom de bas Bretons. L'œuvre nouvelle jusqu'ici ne les tente pas, et quand ils y seront faits, on pourra dire que l'indifférence religieuse les aura gagnés aussi : car on ne s'imagine pas, sans doute, que ces braves gens deviendront capables d'apprendre par cœur les nouveaux chants, par cela seul qu'on les aura forcés d'oublier les anciens. Ils oublieront en même temps le chemin de l'église où rien ne les intéressera plus. Nous le disons avec franchise, la destruction de la Liturgie romaine en basse Bretagne,

 

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combinée avec la proscription de la langue jusqu'ici parlée dans cette contrée, amènera pour résultat de faire de ce peuple grossier le pire de tous. Si vous lui ôtez la langue de ses pères, si vous le lancez, tout sauvage qu'il est, dans nos mœurs corrompues, et que vous ne le reteniez pas enchaîné à son passé au moyen des pompes et des chants religieux, vous verrez, au bout de trente ans, ce que vous aurez gagné aux nouvelles théories.

En attendant, l'esprit- catholique de ces populations simples se débat contre les entraves qu'on lui impose. On rencontre sur les routes des familles entières qui, après avoir vu célébrer dans leur paroisse les funérailles d'une personne chère, avec des chants jusqu'alors inconnus pour elles, s'en vont à trois et quatre lieues faire chanter, dans quelque autre paroisse dont les livres romains n'ont pas encore été mis au pilon, une messe de Requiem ; ils veulent entendre encore une fois ces sublimes introït, offertoire et communion, qui sont demeurés si profondément empreints dans leur mémoire, comme l'expression à la fois tendre et sombre de leur douleur. Aux fêtes de la sainte Vierge, après avoir écouté patiemment chanter les psaumes sur des tons étrangers, quand vient le moment où devrait retentir l'hymne des marins, l’Ave maris Stella, merveilleux cantique sans lequel l'Église romaine ne saurait célébrer les solennités de la Mère de Dieu, et que le chantre vient à entonner ces hymnes nouvelles dont pas une syllabe jusqu'ici n'avait frappé l'oreille de ce peuple, vous verriez dans toute l'assistance le déplaisir peint sur les visages; vous entendriez les hommes et jusqu'aux enfants trépigner d'impatience, et bientôt, après l'office, se répandre en plaintes amères de ce qu'on ne veut plus chanter ce beau cantique qu'ils ont appris sur les genoux de leurs mères, et dont le matelot mêla si souvent les touchants accents au bruit des vents et des flots dans la tempête.

 

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Quand le curé, du haut de la chaire, faisant son prône, le dimanche, au lieu de cette belle liste de saints protecteurs qu'offrait chaque semaine le calendrier romain, donne en quatre paroles le bref détail des saints qu'on a bien voulu conserver; quand la monotone série des dimanches après la Pentecôte se déroule pendant cinq ou six mois, sans que les yeux de ces hommes simples voient se déployer les couleurs variées des confesseurs et des martyrs, sans qu'ils entendent chanter cette autre hymne, qu'ils aimaient tant et qu'ils savaient tous, l’Iste confessor, avec son air tantôt champêtre, tantôt triomphal ; alors ils se prennent à demander à leurs recteurs quel peut être l'avantage de tous ces changements dans la manière d'honorer Dieu; si les chrétiens du temps passé qui chantaient Ave maris Stella et Iste confessor, ne valaient pas bien ceux d'aujourd'hui; si les livres de notre Saint-Père le Pape ne seraient pas aussi bons que les nouveaux qu'on a apportés tout à coup; et souvent les recteurs sont dans un grand embarras pour leur faire saisir tout l'avantage que la religion devra retirer de ces innovations. Dans ces contrées, et nous parlons avec connaissance de cause, l'ancien clergé a tenu jusqu'à la fin pour le romain, et c'est parce que ses rangs s'éclaircissent de jour en jour, que les changements deviennent possibles : mais, nous le répétons, si la religion vient à perdre son empire sur les Bretons, elle ne le regagnera pas de sitôt, et on sentira alors qu'il était plus facile de retenir ces hommes dans l'Église, que de les y faire rentrer quand une fois ils en seront dehors.

Restait encore jusqu'en 1835, au fond de la Bretagne, un diocèse qui, garanti par son heureuse situation à l'extrémité de cette province, par l'intégrité des mœurs antiques de ses habitants, n'avait point pris part à la défection universelle. Quimper avait conservé le romain, comme Marseille le conserve avec sa foi  méridionale,

 

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comme Saint-Flour au sein de ses pauvres et stériles montagnes; lorsque tout à coupon apprit qu'un nouveau bréviaire allait prendre la place que le romain occupait dans cette église depuis le concile de Tours de 1583. Nous ne dirons que la vérité, si nous disons que cette mesure a profondément affligé les personnes les plus respectables dans le clergé; mais il nous faut ajouter, ce qui est tout à fait affligeant, que la propagande protestante a trouvé dans cette déplorable innovation des armes contre la foi des peuples et qu'elle s'est hâtée de s'en servir. «Vous changez donc aussi, a-t-elle dit; il vous est donc libre de prendre et de quitter les formules sacrées de l'Eglise de Rome ? Vos dogmes qui reposent sur la tradition, suivant votre dire, sont-ils à l'épreuve des variations, du moment que vous êtes si faciles à changer les prières qui les expriment? Vous avouez donc qu'il y a de l'imparfait, de la superfétation, des choses inadmissibles dans les livres de Rome, puisque, après les avoir eus en main pendant des siècles, vous les répudiez aujourd'hui? Comme il est certain que ces mêmes livres vous sont imposés par les bulles papales et que vous n'avez aucune autorisation de leur en substituer d'autres, le pape, contre la volonté duquel vous agissez directement, n'exerce donc, de votre aveu, qu'une suprématie purement humaine, à laquelle vous pouvez désobéir sans que votre conscience de catholiques vous fasse entendre ses reproches, etc., etc.? » Tels sont les discours que des protestants anglais et français ont tenus et tiennent encore aux fidèles du diocèse de Quimper, et il faut bien convenir que si leur argumentation n'est pas irréprochable en tout, il est des points aussi sur lesquels elle se montre irréfutable; outre qu'il est souverainement déplorable d'y avoir fourni un semblable prétexte. Au reste, la révolution liturgique n'est pas encore totalement consommée à Quimper. Le missel qui devait

 

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compléter le nouveau bréviaire n'est pas imprimé; les offices publics se célèbrent encore au romain : Dieu soit en aide au nouvel évêque de cette Église affligée, et lui donne de consoler les ruines du sanctuaire !

Nous croyons devoir, en achevant cette pénible partie de notre récit, ajouter quelques mots sur ce Breviarium Corisopitense, dont tout le monde sait, dans le diocèse de Quimper, que la publication fut extorquée au vénérable évêque qui gouvernait encore cette Église en 1840. Nous ne citerons que deux traits pris au hasard dans ce livre. On trouve, en tête de la partie du printemps, une notice des hymnographes qui ont été mis à contribution pour tout le bréviaire. Or, voici une de ces notices :

N. T. Le Tourneux (Nicolaus) presbyter Rothomagensis, Breviario Cluniacensi operam dedit, multosque libros de theologia et pietate vulgavit, quorum alii damnati sunt, alii caute legendi. Obiit Parisiis anno 1686.

C'est maintenant au compilateur du nouveau bréviaire de Quimper de nous expliquer les raisons de sa sympathie pour Nicolas Le Tourneux, et de nous dire aussi quelle idée il se forme du clergé de Quimper, pour s'en venir lui étaler d'une façon si crue les mérites de son étrange hymnographe. S'est-il proposé de donner à entendre que, pour remplacer saint Ambroise et saint Grégoire dans les nouveaux bréviaires, il n'est pas nécessaire qu'un poète latin soit catholique ? Jamais encore un si naïf aveu n'était échappé aux modernes liturgistes. Ceux du dix-huitième siècle avaient du moins cela de particulier qu'ils cachaient soigneusement l'origine impure de certaines pièces modernes.

Mais voici quelque chose qui a bien son prix. En la partie d'été, on trouve un office   sous ce titre : OFFICIUM PRO   ANNIVERSARIA COMMEMORATIONE ORDINATIONIS.  Semi-duplex. Ce titre est suivi d'une rubrique qui porte que cet office se récitera au premier jour non empêché, après

 

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la fête de la Sainte-Trinité, et qu'on y fera mémoire d'un simple occurrent. Ainsi, depuis l'origine de l'Église jusqu'aujourd'hui, les évêques, le Souverain Pontife lui-même, en l'anniversaire de leur consécration, s'étaient contentés de célébrer une messe en mémoire de cette solennité personnelle, ou encore d'ajouter simplement une seule oraison à la messe du jour, dans le cas où le degré de la fête occurrente n'en eût pas permis davantage; mais jamais ils n'auraient osé interrompre l'office public de l'Église pour y insérer la célébration particulière d'un fait personnel ; et voilà qu'à l'extrémité de la Bretagne, tous les prêtres sont appelés, bien plus, sont obligés à faire ce que n'ont jamais fait ni les évêques des plus grands sièges, ni le pape lui-même. Les voilà qui s'isolent de l'Église avec laquelle on prie, même dans l'office férial, pour se célébrer eux-mêmes tout vivants; à moins qu'on ne suppose, ce qui est tout aussi ridicule, que l'Église est censée faire avec eux la fête de leur ordination. Un saint du degré simple, et dans le nouveau calendrier on en a fait un grand nombre aux dépens des doubles du romain, un saint de ce degré, disons-nous, est désormais condamné à n'avoir qu'une commémoration dans cet étrange office, où le récitant se célèbre lui-même; comme aussi, si le lendemain est une fête double, le récitant fera commémoration de seipso aux secondes vêpres, dans les premières du saint; car enfin il faut pourtant convenir qu'on a encore assez de modestie pour ne se pas déclarer semi-double privilégié.

Nos optimistes conviendront-ils pourtant de l'esprit presbytérien qui anime plus ou moins ces faiseurs ? Et ces derniers où s'arrêteront-ils, si on les laisse faire ? Car ils ne se sont pas contentés de fabriquer ainsi un office pour l'ordination des prêtres du diocèse, ils ont osé l'adapter par des leçons particulières aux DIACRES et même aux SOUS-DIACRES ; rien n'a été oublié, si ce n'est l'EVEQUE. Pour lui, il devra se contenter de réciter l'office de l'Église, au

 

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jour de sa consécration, comme font au reste tous les autres évêques du monde : le privilège d'interrompre la Liturgie universelle pour le fait d'un individu qui n'est même pas assuré d'une place dans le ciel après avoir paru ainsi chaque année dans le calendrier, ce privilège n'a point été étendu aux EVEQUES. Certes, nous ne voudrions point d'autre preuve de cet esprit de presbytérianisme qui fermente sourdement, que l'indifférence avec laquelle une si incroyable nouveauté a été accueillie. Plusieurs causes déjà anciennes ont contribué à nourrir et à 1 fortifier cet esprit; mais, assurément, comme nous l'avons dit ailleurs, l'influence des rédacteurs des nouvelles Liturgies depuis cent cinquante ans, tous exclusivement choisis dans les rangs du second ordre, quand ils n'étaient pas laïques, a grandement servi à le fomenter dans le clergé. Toutefois, pour rendre possible un aussi monstrueux abus de l'office divin que l'est celui que nous signalons, il fallait plus que les prétentions presbytériennes ; il a fallu dans plusieurs l'extinction totale des plus simples notions de la Liturgie.

Mais la divine Providence fera sortir le bien de l'excès même du mal; et le retour à de meilleures traditions viendra par le dégoût et la lassitude qu'inspireront de plus en plus ces œuvres individuelles. Déjà, on ne peut le nier, un sentiment général du malaise de la situation liturgique règne dans les rangs du clergé. L'attention commence à se porter de ce côté, et il est difficile de croire que, longtemps encore, on consente à demeurer si redevable au XVIII° siècle. Les variations continuelles, le désaccord des livres liturgiques entre eux, le retour aux études traditionnelles, l'impuissance de fonder une science sur des données si incohérentes, la difficulté de satisfaire aux questions des fidèles : toutes ces choses préparent une crise. Déjà l'innovation n'est plus défendue qu'à travers de  maladroites et inévitables concessions. Si on excepte

 

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les personnes, en petit nombre, qui ont fabriqué de leurs mains les bréviaires de Quimper et autres lieux, il n'est pas un homme aujourd'hui parmi les amateurs du genre français en Liturgie, qui ne soit en voie de reculer sur plusieurs points; encore nos récents faiseurs sont-ils loin de s'entendre entre eux et d'offrir un centre de résistance. Rien ne se ressemble moins pour les principes généraux de rédaction, et pour l'exécution elle-même, que les bréviaires français du dix-neuvième siècle. Les auteurs de ces bréviaires daigneront donc nous pardonner, si nous éprouvons de la difficulté à goûter leurs œuvres, tant en général qu'en particulier. Au reste, nous ferons connaître en détail ces œuvres, et nous laisserons nos lecteurs libres de prononcer.

Outre ce malaise généralement senti, il est une autre cause du peu d'enthousiasme qu'inspire au clergé d'aujourd'hui l'avantage de ne plus réciter l'office dans un bréviaire universel, de ne plus célébrer la messe dans un missel qui soit pour tous les lieux. C'est le besoin universellement reconnu d'être en harmonie avec l'Église romaine, besoin qui augmente sans cesse, et devant lequel s'efface de jour en jour toute la résistance de nos soi-disant maximes. Après tout, il est assez naturel que l'on trouve meilleur de tenir la Liturgie de saint Grégoire et de ses successeurs, plutôt que d'un prêtre obscur et suspect du XVIII° siècle; tout le monde est capable de sentir que si la loi de la foi dérive de la loi de la prière, il faut pour cela que cette loi de la prière soit immuable, universelle, promulguée par une autorité infaillible. En un mot, quand bien même les tendances romaines dont l'Église de France se fait gloire aujourd'hui ne seraient pas le résultat naturel de la situation si particulière que lui a créée le Concordat de 1801, le simple bon sens suffirait à lui seul pour produire ces tendances.

 

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D'autre part, la piété française s'affranchit de plus en plus des formes froides et abstraites dont le dix-septième et le dix-huitième siècle l'avaient environnée. Elle est devenue, comme avant la Réforme, plus expansive, plus démonstrative. Elle croit davantage aux miracles, aux voies extraordinaires; elle n'exige plus autant que l'on gaze la vie des saints et qu'on couvre certains actes héroïques de leur vie comme d'un voile de pudeur. Le culte des reliques prend un nouvel accroissement, et c'est aux acclamations des fidèles que Rome, fouillant encore ses entrailles, en retire ces corps des saints martyrs qu'elle envoie de temps à autres remplir les trésors dévastés de nos églises. L'abord de cette cité sainte n'est plus défendu à nos évêques par de prétendues et dérisoires libertés, et le nombre des prêtres français qui la visitent chaque année en pèlerins est de plus en plus considérable. De là ce goût renaissant pour les pompes de la Liturgie, ces importations d'usages romains, cet affaiblissement des préjugés français contre les démonstrations religieuses des peuples méridionaux, qui sous ce rapport, ne sont, après tout, que ce qu'étaient nos pères dans les siècles de foi. Il fut un temps où un homme zélé pour les fonctions du service divin courait risque de s'entendre appliquer le sarcasme français : Il aime à jouer à la chapelle ; aujourd'hui, on semble commencer à comprendre que le zèle et la recherche dans l'accomplissement des actes liturgiques pourrait bien provenir de tout autre chose que de manie, de prétention, ou de faiblesse d'esprit. Mais produisons en détail quelques-uns des faits à l'aide desquels on est à même de constater la révolution liturgique qui s'opère.

Nous trouvons d'abord, dès 1822, l'éclatante rétractation de plusieurs des principes des antiliturgistes, par la nouvelle édition du Bréviaire et du Missel de Paris. Qu'on lise la lettre pastorale de l'archevêque  Hyacinthe-Louis

 

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de Quélen, en tête dudit bréviaire, on y trouvera la preuve de ce que nous avançons.

1° La fête du Sacré-Cœur de Jésus, que Christophe de Beaumont avait plutôt montrée à son diocèse qu'instituée véritablement, s'y trouve établie de précepte, et placée au rang des solennités.

2° La fête de saint Pierre et de saint Paul, si elle ne recouvre pas encore le rang que lui assigne l'Église universelle, est rehaussée d'un degré, et cela dans le but expressément déclaré de donner un témoignage de dévouement au Siège apostolique (1). Une prose nouvelle est substituée, dans le missel, à l'ancienne, dont l'unique intention semblait être d'égaler en toutes choses saint Paul à saint Pierre. La nouvelle qui a pour auteur un prêtre moins distingué encore par la pureté de son talent que par son obéissance filiale au Pontife romain (2), exprime avec élégance les prérogatives du Siège apostolique, et en particulier l'inerrance que la prière du Christ a obtenue à saint Pierre. Au calendrier, la fête de saint Léon le Grand a été élevée du degré semi-double au rang des doubles mineurs, et la fête de saint Pie V apparaît pour la première fois dans un bréviaire français.

Les deux grands moyens dont les antiliturgistes s'étaient servis pour déprimer le culte des saints, savoir la suppression de toutes leurs fêtes dans le Carême, et le privilège assuré au dimanche dans toute l'année contre ces mêmes fêtes ; ces deux stratagèmes de la secte sont jugés et désavoués: la Saint Joseph est replacée au 19 mars, et désormais le dimanche cédera, comme autrefois, UT OLIM, aux fêtes des apôtres et aux autres doubles majeurs.

 

(1)  Ut magis ac magis pateat quam arctis nexibus Ecclesiarum omnium Matri ac Magigrœ devinciamur. (Lettre pastorale pour la nouvelle édition du Bréviaire parisien, page VII.)

(2)  M. l'abbé de Salinis.

 

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Outre cette mesure toute favorable au culte des saints on remarquait dans le bréviaire de 1822 un zèle véritable pour cette partie de la religion catholique. Ainsi, la fête de la Toussaint y a été relevée d'un degré; plusieurs saints ont été l'objet d'une mesure semblable, et quelques-uns même ont obtenu l'entrée du calendrier qui leur avait été fermée jusqu'alors.

Les témoignages de la dévotion envers la sainte Vierge se montraient aussi plus fréquents dans certaines additions au propre de ses offices. On avait même, par un zèle qui n'était peut-être pas trop selon la science, inséré dans l'oraison de la fête de la Conception, l'énoncé précis de la pieuse et universelle croyance au privilège insigne dont la Conception de Marie a été honorée. Mieux eût valu, sans doute, rétablir l'octave de cette grande fête, ou rendre à la sainte Vierge le titre des fêtes du 2 février et du 25 mars. Dans tous les cas, c'est au Siège apostolique tout seul qu'appartenait de décider s'il était à propos de concéder à l'Église de Paris un privilège accordé jusqu'ici seulement à l'ordre de Saint-François et au royaume d'Espagne, et que l'Église de Rome n'a pas encore jugé à propos de se conférer à elle-même.

C'est ainsi que les maximes qui avaient présidé à la rédaction du Bréviaire de Paris, sous les archevêques de Harlay et de Vintimille, étaient reniées en 1822, par le successeur de ces deux prélats (1). Le parti janséniste s'en

 

(1) La Compagnie de Saint-Sulpice eut la principale part à cette réforme telle quelle du Bréviaire de Paris, et on aime à la voir signaler dans cette occasion le zèle de religion que son pieux instituteur avait déposé dans son sein. Fidèle à sa mission, elle avait résisté à l'archevêque de Harlay en 1680, et n'avait admis le trop fameux bréviaire qu'après avoir épuisé tous les moyens de résistance que la nature de sa constitution lui pouvait permettre. Plus tard, en 1736, le Bréviaire de l'archevêque Vintimille fut l'objet de ses répugnances, et elle ne dissimula pas l’éloignement qu'elle éprouvait pour une œuvre qui portait les traces trop visibles des doctrines et intentions de la secte. Elle mettait alors en pratique le précieux conseil de Fénelon, dans une de ses lettres à M. Leschassier : La solide piété pour le saint Sacrement et pour la sainte Vierge, qui s'affaiblissent et qui se dessèchent tous les jours par la critique des novateurs, doivent être le véritable héritage de votre maison. (19 novembre 1703.) Elle ne pouvait donc voir sans douleur, dans le nouveau bréviaire, la fête du Saint Sacrement abaissée à un degré inférieur à celui qu'elle occupait auparavant, et l'office dans lequel saint Thomas traite du mystère eucharistique avec une onction et une doctrine dignes des anges, supprimé, sauf les hymnes, et remplacé par un autre élaboré par des mains jansénistes. Elle ne pouvait considérer de sang-froid les perfides stratagèmes employés par Vigier et Mésenguy pour affaiblir et dessécher la piété envers Marie; entre autres, cette falsification honteuse de l’Ave maris Stella, à laquelle on porta remède, il est vrai, mais sans rendre à cette hymne incomparable la place qui lui convient aux fêtes de la sainte Vierge. Plus tard, les choses changèrent; Symon de Doncourt et Joubert s'apprivoisèrent au point de prêter leurs soins au perfectionnement de l'œuvre de Vigier et Mésenguy; ils trouvèrent que tout était bien au bréviaire pour le culte du saint Sacrement et de la sainte Vierge : nous avons vu comment, pour la plus grande gloire de saint Pierre, ils améliorèrent une oraison du sacramentaire de saint Grégoire, et comment leur mémoire obtint, comme il était juste, l'honneur de figurer avec éloges dans les Nouvelles Ecclésiastiques. Ces aberrations, dont l'histoire de plusieurs congrégations ne présente que trop de preuves, à l'époque où la secte antiliturgiste avait prévalu, ne seraient plus possibles aujourd'hui, et nous ne les rappelons que pour faire ressortir davantage la portée de cette réaction romaine que notre but est de constater dans le présent chapitre.

 

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émut, et, quoique l'œuvre de Vigier et Mésenguy demeurât encore malheureusement en son entier, à part ces corrections suggérées par un esprit bien différent, et qui s'y trouvaient implantées désormais comme une réclamation solennelle, on vit néanmoins paraître une brochure de l'abbé Tabaraud (1), dans laquelle ce Vétéran du Sacerdoce protestait avec violence contre la plupart des améliorations que nous venons de signaler. Un journal ecclésiastique du temps (2) présenta aussi ses réclamations, et la nouvelle prose de saint Pierre fut plusieurs fois rap-

 

(1)  Des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, précédés de quelques observations sur la nouvelle édition du Bréviaire de Paris, par un vétéran du Sacerdoce. Paris, 1823, in-8°.

(2)  Tablettes du Clergé. N° de juin 1822.

 

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pelée dans  les feuilles libérales, comme un   document irrécusable des progrès scandaleux de l’ultramontanisme au XIX° siècle.

Peu de temps avant sa mort, l'archevêque de Quélen prépara une édition du Rituel de Paris. Cette publication fut encore l'occasion d'une nouvelle manifestation de la tendance générale vers un retour aux anciennes formes liturgiques. Dans ce nouveau rituel, en effet, qui a paru depuis la mort du prélat, on a rétabli les prières pour l'administration des sacrements, dans la forme du Rituel romain, et fait disparaître les périodes plus ou moins sonores qui avaient été fabriquées au temps de l'archevêque de Juigné (1).

L'exemple donné par l'Église de Paris devait naturellement avoir dé l'influence au loin; mais avant de poursuivre ce récit, faisons une remarque importante sur la situation actuelle de la Liturgie en France. On se rappelle ce que nous avons dit au sujet de l'introduction du Bréviaire et du Missel de Vintimille dans plusieurs diocèses, aussitôt après leur apparition. Ces nouveaux livres y furent

 

(1) L’Ami de la Religion. 21 mars 1840. — Nous n'entendons, au reste, aucunement approuver plusieurs choses qui se remarquent dans ce rituel, et sur lesquelles nous aurons occasion de nous expliquer dans la suite de cet ouvrage. Nous disons la même chose du Bréviaire parisien de 1822 : certainement les tendances romaines que nous avons relevées, font de cette édition le monument précieux d'une réaction salutaire; mais il est dans l'ensemble de cette réforme beaucoup de choses qui nous paraissent répréhensibles, tant du côté du goût que sous le point de vue des convenances liturgiques. En attendant l'examen que nous aurons lieu d'en faire, nous félicitons du moins ici les auteurs de cette correction parisienne d'avoir, entre autres services rendus à la piété des fidèles, débarrassé les complies du temps de Noël de cette antienne désolante, au moyen de laquelle Vigier et Mésenguy cherchèrent à arrêter l'élan des cœurs chrétiens vers l'amour du divin Enfant, à l'heure même où le fidèle, prêt à se livrer au sommeil, a plus besoin de nourrir sa confiance. Depuis 1822, l'église de Paris ne chante plus à l'office du soir ces terribles paroles : In judicium in hunc mundum veni; ut qui non vident videant, et qui vident cœci fiant.

 

1822

 

reçus avec enthousiasme, et tout d'abord on travailla à les réimprimer avec le propre du diocèse. Dès Tannée 1745, l'archevêque Vintimille donna une nouvelle édition de son bréviaire, dans laquelle il fit plusieurs changements qui, sans être très notables, exigèrent le remaniement d'une centaine de pages et plus. Il eût été incommode aux diocèses qui, les premiers, avaient adopté le nouveau parisien, de se soumettre à cette réforme qui, en droit, ne les obligeait à rien. Ce fut donc déjà le principe d'une divergence, non seulement avec l'Église de Paris dont on avait voulu se rapprocher, en adoptant son bréviaire, mais aussi avec les autres diocèses qui se vouèrent au parisien postérieurement à 1745. Ces derniers, à leur tour, s'ils s'étaient rangés sous la Liturgie de Vigier et de Mésenguy antérieurement à 1778, se trouvèrent bientôt en' désaccord, sur des points assez légers, il est vrai, avec l'Église de Paris, qui, en cette année, sous Christophe de Beaumont, fit encore quelques améliorations à sa Liturgie. Enfin, les diocèses qui adoptèrent le parisien, de 1778 à 1790, et de 1801 à 1822, sont par là même en contradiction plus ou moins notable avec les Églises qui suivent la première édition de 1736, et avec celles qui se servent des livres de 1745, mais bien davantage encore avec l'Église de Paris depuis la correction de 1822. Cette dernière correction a été si considérable, qu'on formerait, en réunissant les diverses additions et changements, un volume fort raisonnable. C'est le parisien de cette dernière réforme qu'ont choisi les diocèses qui, postérieurement à 1822, ont jugé à propos de renoncer à leurs anciens usages, pour venir s'enrôler bénévolement sous les lois de Vigier et Mésenguy. Nous pourrions même citer un diocèse (1) qui, dans ces vingt dernières années, a adopté de si bon cœur le parisien de 1822, qu'il ne s'est pas fait grâce même du calendrier,

 

(1) Angers.

 

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jusque-là que, sans bulle ni bref, il a pris la fête de B. Marie de l'Incarnation. Douze ans après, on s'est aperçu de la grave irrégularité avec laquelle on s'était arrogé ainsi, sans aucune formalité, le droit de canoniser cette bienheureuse servante de Dieu, et dès lors, il est juste de le dire, on a cessé de marquer son office dans l’Ordo du diocèse, la laissant ainsi sans utilité dans le bréviaire. Tel est donc, dans les diocèses mêmes qui suivent le parisien, l'état dans lequel se trouve l'œuvre de ij36; encore faut-il tenir compte des changements, modifications, améliorations dont ce bréviaire a été l'objet de la part des correcteurs particuliers des diocèses où il s'est établi depuis cette époque On peut donc dire, et nous le montrerons en détail dans cet ouvrage, que le Bréviaire de Vintimille a plus subi de changements et de remaniements en un siècle, que le Bréviaire romain lui-même depuis saint Pie V : car les additions d'offices faites à ce bréviaire ne constituent pas de véritables changements; et nous ne comptons pas non plus ces additions entre les variations du Bréviaire parisien. Mais reprenons notre récit.

L'exemple donné par l'église de Paris, en 1822, étendit son influence au dehors. La fête du Sacré-Cœur de Jésus s'établit enfin dans les diocèses qui jusqu'alors avaient tardé à fournir ce témoignage de leur éloignement pour les tendances jansénistes. On a même vu dans ces dernières années plusieurs églises, Rennes et Nantes, par exemple, reprendre l'office du saint Rosaire; ce que l'archevêque de Quélen lui-même n'avait pas fait. Certains diocèses, Versailles, Nantes, etc., ont établi une fête collective en l'honneur de tous les saints papes. Il serait mieux sans doute de les fêter en particulier avec l'Église romaine; mais c'est déjà une démarche significative que de consacrer d'une manière quelconque la mémoire de ces saints pontifes qu'on expulsait du calendrier, en si grand nombre, au XVIII° siècle.

 

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Déjà, dans plusieurs diocèses, les évêques ont manifesté hautement le désir de rétablir les usages romains, autant que les difficultés matérielles pourraient le permettre. Nous avons entendu de nos oreilles, nous avons lu de nos yeux cette assurance ferme et positive. En attendant, plusieurs évêques ont donné ordre d'emprunter à la Liturgie romaine toutes les parties qui manquent dans les livres diocésains. Au Puy, l'illustre évêque, depuis cardinal de Bonald, après avoir exprimé le regret de ne pouvoir changer le bréviaire et le missel que lexvnr5 siècle imposa à ce diocèse, a donné en 183o un excellent cérémonial puisé en grande partie aux sources romaines les plus pures et les plus autorisées, et remarquable par la précision, la clarté et l'abondance des règles qu'il renferme.

Nous devons sans doute compter parmi les indices les plus significatifs d'un retour vers les usages romains, le Monitum placé à la fin du Missel de Lyon de 1825, page CXCIV. Dans les réimpressions du Missel de l'archevêque Montazet, on était déjà parvenu à la page 33o, lorsqu'il vint en idée à l'administrateur apostolique de l'église de Lyon, qu'il serait plus conforme à l'ancien usage lyonnais, à l'usage romain et même à celui de tous les lieux (1), de rétablir, en tête des évangiles de la messe, la préface In illo tempore, et en tête des épîtres, les mots Fratres, ou Carissimi, ou In diebus illis, ou Hœc dicit Dominus, que les jansénistes avaient fait disparaître comme l'impur alliage de la parole de l'Eglise avec la parole de la Bible. En conséquence, il fut ordonné qu'à partir de ladite page 33o, on imprimerait désormais le mot d'introduction convenable et usité autrefois, en tête des épîtres et des évangiles,

 

(1) Sed tunc D. D. de Pins, administrator apostolicus, antiquae Lugdunensis Liturgias protector et defensor, superveniens, hanc recentem Liturgiam cum nostro antiquo usu, cum Romano, et alio quoeumque ubique diffuso, in ea re conciliavit, etc. (Missale Lugdunense. 1825. Ad calcem. pag. CXCIV.)

 

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et une rubrique fut créée au moyen de laquelle les prêtres pourraient, tant bien que mal, intercaler ce mot dans les endroits où il manquerait. On ne jugea pas à propos de réimprimer les 33o pages, pour ne pas rendre inutiles le temps, la dépense et le travail (1). Certes, de pareilles humiliations, subies devant tout un public, sont un bien rigoureux châtiment de la prétention de se donner un nouveau missel. Espérons qu'une autre édition du Missel lyonnais avancera plus encore l'oeuvre du rétablissement des traditions antiques dans l'auguste primatiale des Gaules, et que ce livre se verra purgé un jour des innombrables nouveautés qui l'encombrent et l'ont réduit à n'être, pour ainsi dire, qu'un livre du XVIII° siècle.

Mais il est un fait plus éclatant encore et qui vient de s'accomplir sous nos yeux. N'avons-nous pas vu l'archevêque de Quélen (et son exemple a été suivi par un nombre déjà considérable de ses collègues dans l'épiscopat), n'avons-nous pas vu ce prélat demander au Saint-Siège la permission d'ajouter à la préface de Beata, dans la fête de la Conception de la sainte Vierge, le mot immaculata, et aux litanies de Lorette, ceux-ci : Regina sine labe concepta? Dix-huit ans auparavant, le même prélat avait cru pouvoir de son autorité, insérer la doctrine expresse de l'Immaculée Conception dans l'oraison de cette fête; il avait donné une préface nouvelle tout entière dans son missel, pour la messe du Sacré-Cœur ; il avait inséré dans son bréviaire, non une simple invocation, mais des litanies entières, improuvées par le Saint-Siège, savoir celles du saint Nom de Jésus; et voilà qu'en 183o, sa piété l'engage à se poser en instances auprès du pontife romain, pour obtenir la liberté de disposer de deux ou trois mots

 

(1) Sed in posteriori harum 33o paginarum, tempus, impensa et opera periissent. (Ibid., page CXCV.)

 

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dans la Liturgie, lui dont les prédécesseurs ont pu remanier et renouveler presque en totalité l'œuvre de saint Grégoire, la Liturgie de l'Église universelle. C'est là, il faut en convenir, une des meilleures preuves du retour à l'antique dépendance que professait l'Église de France à l'égard de Rome, dans les choses de la Liturgie; de même qu'il faut voir une nouvelle abjuration du fameux principe de l'inviolabilité du dimanche, dans la demande faite à Rome par le même prélat, de pouvoir célébrer la solennité de la fête de la Conception au second dimanche de l'Avent. Rome même, dans ses rubriques actuelles, ne va , pas si loin ; et cette fête, toute grande qu'elle est, le cède toujours au second dimanche de l'Avent, quand elle vient à tomber en ce jour, bien que les derniers dimanches de l'Avent soient seulement privilégiés de seconde classe.

On peut assigner encore comme une des causes de la résurrection des traditions romaines de la Liturgie en ( France, les légitimes exigences de la piété des peuples qui, ne pouvant participer aux indulgences attachées à certaines fêtes, offices et prières, qu'autant que l'on s'y conforme aux calendrier, bréviaire, missel et rituel romains, finiront par obtenir qu'il soit fait sur ces articles les concessions nécessaires. Or chacun sait que, dans les nouveaux bréviaires français, le petit office de la sainte Vierge, celui du saint Sacrement, celui des Morts, diffèrent sur une immense quantité de points avec les mêmes offices dans le Bréviaire romain; que la prière Regina cœli, qu'on croit réciter au temps pascal en place de l’ Angélus, a été gratifiée d'un nouveau verset tout différent de celui qui est indiqué dans les bulles des papes; qu'un nombre considérable de fêtes a été transféré à des jours souvent éloignés de ceux auxquels Rome les célèbre ; que les jours où la Liturgie romaine fait un office double, étant souvent occupés par un simple, ou même laissés à la férié, dans les nouveaux livres, et réciproquement, il en

 

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résulte l'impossibilité absolue de faire cadrer les modernes calendriers et les ordo dressés d'après eux, avec les règles statuées par les souverains pontifes, dans les concessions d'autel privilégié; etc., etc. Il serait inutile de presser cette énumération qui nous mènerait trop loin, mais outre qu'il est indubitable, en droit, que le Siège apostolique, accordant des indulgences pour l'usage de telle ou telle,formule liturgique, n'a et ne peut avoir en vue que la teneur de cette formule telle qu'elle est dans les livres romains et approuvés ; des décisions récentes ont montré, en fait, quelle était expressément l'intention des souverains Pontifes.

Mais un grand et solennel exemple est celui que vient de donner Monseigneur Pierre-Louis Parisis, évêque de Langres, en rétablissant purement et simplement la Liturgie romaine dans son diocèse; mesure courageuse que l'histoire enregistrera, et que le prélat motive dans une lettre pastorale à son clergé, d'une façon trop remarquable pour que nous puissions résister au désir de rapporter ici ses propres paroles.

« Vous n'ignorez pas, nos très chers frères, dit le prélat, de quelles divergences liturgiques la célébration des offices divins est l'objet dans ce diocèse; souvent, vous avez gémi de cette contradiction et opposition de rites entre des paroisses voisines les unes des autres; d'où il résulte que les fidèles, à force de voir ces variations de chants et de cérémonies dans chaque église, sont pour ainsi dire réduits à se demander si c'est à un même culte que sont consacrés des temples où l'on célèbre les cérémonies de la Religion avec des solennités si diverses.

« Le zèle des curés, loin de remédier à cette perte de l'unité extérieure, la complique chaque jour par de nouveaux abus; chacun d'eux se trouvant livré à son caprice, dès l'instant qu'il entre en fonctions, et manquant

 

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d'une règle générale, tant pour   sa propre conduite au chœur, que pour celle de ses clercs. Vous comte prenez facilement, nos très chers frères, le  détriment que souffre de tout ceci la sainte  Église, l'épouse  de Jésus-Christ, celle  qui  ne doit avoir  ni   taches, ni rides (1), et particulièrement à cette époque agitée de tant de tempêtes par l'effet des doctrines impies, et suret tout affligée et déshonorée par la maladie de l'indifférence religieuse. Comme, en effet, parmi les notes de la véritable Eglise, et même avant toutes autres, la note d'Unité doit briller et la faire distinguer des sectes dissidentes, les peuples qui ne jugent de l'essence même des choses que par les apparences, témoins de ces contrariétés, en sont  à se demander si  elle  est véritablement une par toute la terre, cette Eglise catholique qui paraît si contraire à elle-même  dans  les limites d'un seul diocèse; en sorte que, par suite de l'état auquel le service divin se trouve réduit chez nous, Jésus-Christ est divisé, d'après l'idée des profanes, et la lumière de son Église obscurcie et couverte de nuages.

« Frappé depuis longtemps des inconvénients d'une situation aussi fâcheuse et sujette à tant de périls, après en avoir fait l'objet de nos réflexions le jour et la nuit, et imploré le secours du Père des lumières, nous cherchions en quelle manière il nous serait possible de réunir toutes les paroisses de notre diocèse dans cette unité de cérémonies et d'offices, si sainte, si désirée, si conforme à l'unité et à l'édification des fidèles. Enfin, après de longues incertitudes, toutes choses examinées et pesées avec le plus grand soin, il nous a semblé que nous devions en revenir à la Liturgie de l'Eglise romaine, notre mère, qui, étant le centre de l'unité et la très ferme colonne de la vérité, nous garantira et nous

 

(1) Eph., V,27.

 

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défendra, nous et notre peuple, contre le tourbillon des variations, et contre la tentation des changements. Nous avons dû nous arrêter à ce parti avec d'autant plus de fermeté, que tous les autres moyens que nous aurions pu prendre seraient devenus l'occasion d'un grand trouble dans les choses mêmes de la religion, pour le peuple qui nous a été confié par la divine volonté.

« Mais, afin d'éviter le mal qui pourrait s'ensuivre de l'usage même du remède que nous appliquons, et aussi afin que tous se soumettent peu à peu à la même règle, non par violence, mais spontanément (1), il est nécessaire de considérer que la plus grande partie de notre diocèse a été précédemment soumise au rite romain, tandis que les autres parties détachées de divers diocèses, sont demeurées étrangères aux susdits usages romains. Il faut aussi distinguer, entre l'office que chaque prêtre est tenu de réciter par l'obligation de son ordre, et l'office que nous appellerons liturgique, et qui doit être chanté et récité en présence du peuple.

« Ces distinctions faites, nous déclarons et ordonnons ce qui suit :

 

« 1° A partir du premier jour de l'année 1840, la Liturgie romaine sera la Liturgie propre du diocèse de Langres.

« 2° A partir du même jour, dans les paroisses qui appartenaient à l'ancien diocèse de Langres, l'office, le rite, le chant, les cérémonies, et tout ce qui tient au culte, auront lieu suivant les règles de la Liturgie rom aine.

« 3° Nous permettons aux paroisses qui n'ont pas encore quitté les rites des diocèses voisins, de se servir, pour un temps, de leurs livres; mais nous les obligeons

 

(1) II Petr., V, 2.

 

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à observer  tous les  détails énoncés  et prescrits dans  l’Ordo pour l'année 1840.

« 4° Les prêtres qui ont jusqu'ici récité le Bréviaire de Monseigneur d'Orcet, pourront satisfaire à l'obligation de l'office en continuant de le réciter; cependant, il serait mieux que tous usassent du Bréviaire romain, et nous les exhortons à le faire.

« Quoique, en publiant cette ordonnance, nous n'ayons en vue que le bien de notre sainte religion et la cessation d'un désordre public, nous n'ignorons pas cependant qu'il en pourrait résulter pour plusieurs quelque ennui, ou quelque inquiétude. Nous les prions de recourir à nous avec une confiance filiale, non pour obtenir une dispense, mais afin que nous puissions résoudre leurs difficultés, s'ils en ont, et aussi afin de leur faire mieux comprendre que si nous avons été amené à prendre ce parti, ce n'a point été par l'effet de quelque considération qui nous fût personnelle, mais que nous y avons été contraint par une nécessité urgente, et pour faire droit aux réclamations de notre conscience.

« Nous vous supplions donc tous, vous qui êtes nos coopérateurs dans le Seigneur, d'apporter à l'exécution de ce grand œuvre tout le zèle dont vous êtes capables, afin que, de même qu'entre nous il n'y a qu'un Seigneur, une foi, un baptême (1), il n'y ait aussi dans notre peuple qu'un seul langage (2).

« Donné à Langres, en la Fête de sainte Thérèse, le  15 octobre de l'an de notre Salut 1839 (3). »

Qui n'admirerait dans cette lettre vraiment pastorale le zèle de la maison de Dieu, tempéré par cette discrétion si recommandée par  l'Apôtre   (4), et dont saint Pie V, au

 

(1)  Ephes., IV, 5.

(2) Gen., XI, 1.

(3) Vid. la Note B.

(4) Rom., XII, 3.

 

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XVI° siècle, donna un si éclatant exemple, lors même qu'il promulguait plus haut le grand principe de l'unité liturgique. Tous les actes du même genre que notre siècle pourra voir s'accomplir dans l'Église de France, seront d'autant plus efficaces dans leurs résultats, qu'ils seront à la fois empreints de vigueur et de modération ; car, nous n'avons garde de penser qu'on puisse guérir la partie malade en la froissant durement et sans pitié.

Mais il faut en convenir, le retour aux traditions liturgiques des âges de foi se prépare et devient de jour en jour plus visible ; on peut même déjà prévoir qu'il demeurera comme un des caractères de l'époque actuelle. Le réveil de la science historique, qui nous a permis de jeter un regard désintéressé sur les mœurs et les usages des i siècles de foi; la justice rendue enfin aux monuments de l'art catholique du moyen âge ; toutes ces choses ont contribué aussi à la réaction,ou plutôt l'ont déjà fort avancée. C'est cette réaction historique et artistique qui nous restitue déjà nos traditions sur l'architecture sacrée, sur l'ameublement du sanctuaire, sur les types hiératiques de la statuaire et de la peinture catholiques ; or de là il n'y a plus qu'un pas à faire pour rentrer dans nos antiques cérémonies, dans nos chants séculaires, dans nos formules grégoriennes.

Plusieurs personnes ont observé avec raison que le progrès du catholicisme en France n'était pas évidemment constaté, par cela seul que nos artistes exploitaient le moyen âge, et s'employaient avec zèle à la restauration intelligente des sanctuaires matériels de notre foi. La question n'est pas là. Il est vrai qu'on devrait savoir quelque gré à des hommes distingués, de retirer l'appui de leurs talents aux arts sensualistes et païens, pour l'offrir aux autels du Dieu que nous servons; mais déjà il ne s'agit plus de contester la portée de cette révolution favorable à l'art

 

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catholique, en la considérant simplement dans ses rapports avec le monde profane ; désormais elle est un fait, et un fait à jamais accompli dans l'intérieur de l'Église elle-même. Non seulement le clergé souffre volontiers que les églises qu'il dessert soient restaurées d'après les mystiques théories de l'art de nos aïeux, que des conseils, une direction lui soient donnés du dehors pour accomplir les devoirs que lui impose sa charge de gardien des traditions de l'esthétique sacrée; mais nos archevêques et évêques rendent des ordonnances, publient des lettres pastorales, établissent des cours spéciaux dans leurs séminaires, pour ranimer de toutes parts et par tous les moyens possibles la connaissance et l'amour de ces anciennes règles de la forme catholique dont l'oubli, depuis deux siècles, avait entraîné chez nous la destruction d'un si grand nombre de monuments de la foi de nos pères, et formé entre eux et nous, sous le rapport des usages extérieurs du culte, comme un abîme qui allait se creusant de plus en plus.

Oui, nous le répétons avec confiance, dans nos églises restaurées d'après les conditions de leur inspiration première, ou construites de nouveau suivant les règles statuées aux siècles de foi, mystiquement éclairées par des verrières sur lesquelles étincelleront les gestes et les symboles des saints protecteurs, assorties d'un ameublement plein d'harmonie avec l'ensemble, il faudra bien que nos costumes sacrés participent à cette régénération, et perdent enfin les formes déplaisantes et grotesques que le XIX° siècle, enchérissant encore sur les coupes étriquées et rabougries du XVIII°, a trouvé moyen de faire prévaloir. Nous verrons infailliblement disparaître, par degrés, ces chasubles qu'un inflexible bougran a rendues, dans leur partie antérieure, semblables à des étuis de violon, pour nous servir de l'expression trop vraie de l'illustre artiste anglais, Welby Pugin; ces chapes non moins étranges qui, garanties contre toute prétention aux

 

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effets de draperies par les enduits gommés qui leur servent de charpente, s'arrondissent en cône autour du clerc condamné à habiter momentanément dans leur enceinte ; ces surplis, aux épaules desquels on a suspendu deux plaques de batiste décorées du nom d'ailes, en dépit de leur terminaison horizontale à l'endroit où elles s'évasent le plus ; ce qui leur ôte toute ombre de ressemblance avec l'objet qu'elles prétendent imiter. Ce serait ici le lieu de réclamer encore contre le bonnet pointu qui a remplacé la barrette de nos pères ; mais sa suppression récente dans plusieurs diocèses vient par avance confirmer nos prévisions. Le zèle des prélats pour la dignité du service divin l'a déjà fait disparaître dans les diocèses de Marseille, du Puy, d'Orléans, de Séez, etc. L'Église de Paris elle-même a récemment repris la barrette par l'ordre de son premier pasteur; et il est permis de prévoir que d'ici peu d'années le bonnet pointu n'existera plus que dans l'histoire des costumes nationaux de la France, où il excitera peut-être un jour le sourire de nos neveux, en la manière que nous nous sentons égayés nous-mêmes, lorsque quelque .description ou quelque dessin nous met sous les yeux la bizarre chaussure qui fit fureur il y a cinq siècles, sous le nom de souliers à la poulaine.

Mais la révolution liturgique ne s'arrêtera pas aux costumes. Une autre nécessité la précipitera plus rapidement encore. Quand on aura rétabli nos édifices sacrés dans leurs convenances architectoniques, rendu nos costumes à la dignité et à la gravité qu'ils n'auraient jamais dû perdre, on n'aura rien fait encore, si le chant qui est l'âme d'une église catholique n'est aussi restitué à ses traditions antiques. Franchement, des mélodies, si on peut sérieusement leur donner ce nom, des mélodies fabriquées en plein XVIII° siècle, fût-ce par l'abbé Lebeuf, ne sauraient plus retentir dans un chœur auquel sera rendue la sainte et légendaire obscurité de ces vitraux

 

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qu'on défonçait avec tant de zèle pour inaugurer, au grand jour, les livres de Vigier et Mésenguy. De l'archéologie qui s'exerce sur les pierres et sur la coupe des vêtements sacrés, il faudra, bon gré, mal gré, en venir à celle qui recueille les mélodies séculaires, les airs historiques, les motifs antiques de ce chant romain, dans lequel saint Grégoire a initié les nations modernes aux secrets de la musique des Grecs.

Mais sur ce point encore nous n'en sommes plus déjà aux conjectures et aux prévisions : la révolution n'y est pas moins sensible que sur tous les autres. Quand nous n'en aurions d'autre preuve que la publication de ces nouveaux Livres chorals, donnés par Choron et autres musiciens récents, dans le but avoué de dégrossir la note de l'abbé Lebeuf, moins d'un siècle après l'inauguration de ses lourds graduel et antiphonaire, ceci suffirait déjà pour constater l'extrême lassitude du public. Ces Livres chorals, en effet, se débitent et sont même déjà en usage, non simplement en quelques paroisses, mais jusque dans des cathédrales. Nous nous garderons bien, assurément, de témoigner la plus légère admiration pour ce remaniement d'un fonds déjà jugé; nous dirons même que dans ces nouveaux livres on a altéré souvent le caractère du chant ecclésiastique, surtout dans les traits ; aussi ne relevons-nous cette particularité que comme un fait à l'appui de nos prévisions.

Déjà même on ne se borne plus à remanier l'œuvre de l'abbé Lebeuf; on a commencé à substituer dans de nouvelles éditions des livres liturgiques, plusieurs mélodies romaines à celles que renfermaient les éditions précédentes. C'est ainsi que le Missel de Paris, donné par l'archevêque de Quélen, en 183o, présente, à l'office du Samedi saint le chant de l’Exultet conforme à celui du Missel romain, en place du chant, beaucoup moins mélodieux, qu'on remarquait dans tous les Missels  de   Paris,

 

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antérieurs même à l'édition de Vintimille. C'est ainsi qu'au Mans, tout en laissant encore subsister dans l'antiphonaire, l'office des Morts composé en 1750 par Lebeuf, on a déjà rétabli, pour l'absoute, le Libera de l’antiphonaire romain. Nous ne citons ces faits que comme échantillons de ce qui s'est déjà opéré et de ce qui se prépare; mais en voici un autre dans lequel la progression que nous croyons pouvoir prédire se montre plus visible encore.

Tout le monde sait que le gouvernement a établi, il y a quelques années, sous le nom de Comités historiques, plusieurs commissions dans lesquelles ont pris place les hommes les plus versés dans nos origines nationales et dans la science archéologique. L'un de ces comités a reçu le département des arts et monuments. Or, tandis que la commission préposée à la recherche des chartes et des chroniques est conduite à désirer le rétablissement des anciennes appellations dominicales tirées des introït du Missel romain et qui sont la clef de l'histoire, le comité des arts et monuments arrive par un autre chemin à la même conclusion. Le désir de voir restituer l'antique musique religieuse dans les églises de Paris, comme un complément de leur restauration, l'a porté à émettre le vœu du rétablissement du graduel et de l’antiphonaire de saint Grégoire, au préjudice de ceux de l'abbé Lebeuf (1). Des démarches officielles ont été faites à ce sujet auprès de monseigneur l'archevêque de Paris, qui les accueillies avec bienveillance; mais on sent que les conclusions définitives d'une semblable motion sont de nature à se faire longtemps attendre. L'esprit de l'homme peut prévoir les révolutions, les indiquer, en assigner la durée; le temps seul, aidé des circonstances, les  réalise.   Pour faire droit

 

(1)  Bulletin du Comité historique  des arts et monuments.   Onzième numéro, pages 288-292.

 

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aux comités historiques, ou si l'on veut aux réclamations de plus en plus nombreuses qui s'élèvent et s'élèveront à l'avenir de la part de toutes les personnes ecclésiastiques et séculières, en faveur d'un retour aux mélodies grégoriennes, il ne faudra rien moins que revoir les actes du grand procès que le XVIII° siècle intenta à la Liturgie romaine, casser l'arrêt déjà centenaire qui fut porté contre elle, détrôner l'œuvre favorite du XVIII° siècle, et pour cela enlever de redoutables obstacles d'autant plus embarrassants qu'ils sont plus matériels. Nous avons néanmoins la confiance que tôt ou tard cette grande justice se fera; mais le Comité des arts et monuments a eu raison de compter sur d'extrêmes difficultés liturgiques contre lesquelles les laïques seuls viendraient inévitablement se heurter (1).

En attendant, les vrais amis de la science des rites sacrés se réjouiront en lisant ces belles paroles, dans lesquelles monseigneur l'archevêque de Paris, dans sa lettre pastorale sur les Études ecclésiastiques, énonce en particulier la nécessité de raviver une science, dont trop longtemps on sembla, parmi nous, avoir anéanti jusqu'au nom. Quelle si magnifique notion en pourrait-on donner qui ne soit renfermée dans cette imposante définition fournie par le prélat?

« La Liturgie, dit-il, contient des symboles, merveilleux abrégés de notre croyance, double objet de foi et d'amour, qui, à l'aide d'un chant à la fois pieux et harmonieux, se gravent dans la mémoire et dans le cœur. Leur antiquité, si bien démontrée, leur universalité, les rendent d'irrécusables témoins de l'apostolicité et de la catholicité de notre foi.

« La Liturgie renferme des prières qui supposent ou expriment en détail chacun de nos dogmes, de nos

 

(1) Bulletin du Comité historique des arts et monuments. Onzième numéro, page 291.

 

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mystères, de nos sacrements. Elles n'ont pas, comme les symboles, l'unité d'expression ; mais la variété même de leurs formes, jointe à l'unité de doctrine, fournissent une nouvelle démonstration de l'immutabilité de l'enseignement catholique. Elles justifient cet axiome : La loi de la prière est la loi de la croyance.

« La Liturgie se compose de rites, nouvelle expression du dogme et de la morale. Ils forment, avec les symboles et les prières, le culte extérieur : culte nécessaire à un être qui, bien que créé à l'image de Dieu, est soumis à l'empire des sens. Sans eux périrait infailliblement le culte intérieur. Nos sentiments ne sont excités et ne persévèrent, qu'autant qu'ils sont soutenus par des actes et des images sensibles. Dieu lui-même, source essentielle et éternelle d'intelligence et d'amour, est compris (c'est saint Paul qui nous l'assure) à l'aide des choses visibles : Invisibilia ipsius,per ea quœfacta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque ejus virtus et divinitas. La Liturgie nous donne donc la science pratique de la partie la plus élevée de la morale chrétienne; c'est par elle que nous accomplissons nos devoirs envers Dieu. Nos devoirs envers nos semblables a et envers nous-mêmes, qui n'y sont pas directement retracés, y sont rappelés toutes les fois que nous demandons la grâce d'y être fidèles, ou que, gémissant de les  avoir violés, nous implorons une miséricorde infinie : double lumière qui fait briller la loi du Seigneur aux yeux de notre âme. Posséder cet ineffable trésor de sentiments pieux, qui nous font descendre dans les profondeurs de notre misère, pour nous élever ensuite jusqu'à la miséricorde infinie qui doit la guérir, est bien préférable, sans doute, à la science la plus étendue de notre Liturgie ; mais cependant, combien cette science elle-même est propre à éclairer et à ranimer notre foi !

 

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« Nous ne parlerons point ici de l'influence exercée sur les arts par la Liturgie catholique, des sublimes inspirations qu'elle a prêtées à la musique, à la peinture, à la poésie, ni des immortels monuments que lui doivent la sculpture et l'architecture. L'histoire de chacun de ces arts, considérés dans leurs seuls rapports avec nos rites, fournirait une ample matière à la plus vaste érudition.  »

Saluons donc avec effusion l'aurore des jours meilleurs qui sont promis à l'Église de France, et ne doutons pas que, dans un temps plus ou moins rapproché, la Liturgie de saint Grégoire, de Charlemagne, de saint Grégoire VII, de saint Pie V, la Liturgie de nos conciles du XVI° siècle, et de nos Assemblées du Clergé de 16o5 et de 1612, en un mot la Liturgie des âges de foi ne triomphe encore dans nos églises.

Mais d'ici là de grands obstacles restent encore à vaincre, de ces obstacles qui céderont d'autant moins aisément qu'ils sont d'une nature plus matérielle. Si, d'un côté, une révolution favorable aux anciens chants, aux anciennes prières se prépare; d'un autre côté, nos églises ont été pourvues et à grands frais de missels, de graduels, d'antiphonaires, de processionnaux, qu'on ne pourra remplacer qu'avec une dépense considérable. La question du bréviaire en lui-même est peu grave sous ce rapport; l'impression de ce livre étant moins dispendieuse et son écoulement toujours facile; mais le bréviaire ne peut être réformé sans le missel, et l'un et l'autre appellent, comme complément indispensable, la publication des livres du Chœur. Il est vrai, d'autre part, que l'énorme dépense qu'entraîne toujours après elle chaque nouvelle édition des livres liturgiques, serait grandement allégée, si un nombre considérable de diocèses s'unissaient pour opérer ces éditions à frais communs, et c'est ce qui arriverait infailliblement, du moment que nous aurions le bonheur de voir renaître l'unité liturgique.

 

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Maintenant, cette unité elle-même quelle forme revêtirait-elle? Nous avons déjà maintes fois protesté que notre but n'était point d'approfondir présentement la question du Droit de la Liturgie; mais nous ne pouvons pas moins faire que d'énoncer ici tout franchement que les églises qui sont tenues strictement à garder la Liturgie romaine proprement dite, la doivent retenir, et que celles mêmes qui, contrairement aux principes sur cette matière, s'en seraient écartées, y doivent retourner; rien n'est plus évident, et par ce moyen déjà l'unité serait garantie dans une portion notable de l'Église de France.

Quant aux diocèses qu'une possession légitime, ou une prescription conforme au droit, aurait investis du privilège de conserver leurs anciens usages, et ces diocèses sont nombreux, rien ne les contraindrait d'adopter exclusivement les livres romains. Sans doute, après s'être préalablement débarrassés de l'amas de nouveautés dont le XVIII° siècle avait encombré la Liturgie, ils devraient rentrer dans la forme romaine de l’antiphonaire, du responsorial, du sacramentaire et du lectionnaire de saint Grégoire, puisque la Liturgie de l'Occident (sauf le droit de Milan et des Mozarabes) doit être et a toujours été romaine. Ces Églises devraient donc reprendre les prières qu'elles avaient reçues au temps de Charlemagne, qu'elles gardaient encore avant la réforme de saint Pie V, qu'elles conservèrent depuis cette réforme , qui régnait seule encore chez elles jusqu'à la fin du XVII° siècle : car, c'est là la forme, hors de laquelle il n'a plus été possible pour elles de garder dans les prières publiques, ni la tradition, ni l'unité, et partant, ni l'autorité.

Mais ce fonds inviolable des prières de la Chrétienté une fois rétabli, avec les chants sublimes qui l'accompagnent, et tous les mystères qui y sont renfermés, rien n'empêcherait, ou plutôt il serait tout à fait convenable que ces Églises rentrassent en même temps en possession de cette

 

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partie nationale de la Liturgie qui a ses racines dans l'ancien rite gallican, et que les siècles du moyen âge ont ornée de tant de fleurs, complétée par de si suaves mélodies. En un mot, c'est la Liturgie romaine-française que nous aimerions à voir ressusciter dans celles de nos Églises qui prétendent à des privilèges spéciaux. C'est alors que toutes nos traditions nationales se relèveraient, que la foi qui ne vieillit pas se retrouverait à l'aise dans ces antiques confessions, que la piété à la sainte Vierge et aux saints protecteurs se raviverait de toutes parts, que le langage de la chaire et des livres pieux s'empreindrait de couleurs moins ternes, que l'antique Catholicité, avec ses moeurs et ses usages, nous serait enfin révélée.

Oh! qui nous donnera de voir cette ère de régénération où les catholiques de France se verront ainsi ramenés vers ce passé de la foi, de la prière et de l'amour ! Quand seront levés les obstacles qui retardent le jour où nos prélats devront s'unir pour promouvoir ce grand oeuvre ! Mais avec quel zèle, avec quelle intelligence, avec quelle piété à la fois érudite et scrupuleuse, une pareille oeuvre devrait-elle être élaborée ! Quelle sage lenteur, quelle discrétion, quel goût des choses de la prière, quel désintéressement de tout système, de toute vue personnelle, devraient présider à une si magnifique restauration ! L'attention, l'inviolable fidélité, le soin religieux, l'invincible patience qu'emploie de nos jours l'artiste que son amour, bien plus que le salaire, enchaîne à la restauration d'un monument qui périrait sans son secours, et qui va revivre grâce à son dévouement, ne suffisent pas pour rendre l'idée des qualités qu'on devrait exiger de ceux qui prendraient la sainte et glorieuse mission de restituer à tant d'églises les anciennes traditions de la prière. Il leur faudrait s'y préparer de longue main, se rendre familiers les monuments de la Liturgie, tant manuscrits qu'imprimés, non seulement ceux de la France, mais encore ceux des diverses  églises

 

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de l'Europe, de l'Allemagne et de l'Angleterre surtout, qui firent tant d'emprunts à nos livres et les enrichirent encore par des suppléments où respire la plus ineffable poésie. Enfin, ce merveilleux ensemble pourrait se compléter par quelques emprunts faits avec goût et modération aux derniers monuments de la Liturgie française; afin que certains traits heureux, quoique rares, empruntés à l'œuvre moderne, dans la partie que n'a point souillée la main des sectaires, ne périssent pas tout à fait, et aussi afin que les deux derniers siècles, auxquels il ne serait pas juste de sacrifier toute la tradition, ne fussent pas non plus déshérités totalement de l'honneur d'avoir apporté leur tribut au monument éternel et toujours croissant de la prière ecclésiastique.

Ainsi régénérée, la Liturgie de nos Églises serait les délices du clergé et la joie du peuple fidèle. La question d'un léger surcroît dans la somme des offices divins n'en

est pas une pour les hommes de prières, et tout prêtre, tout ministre de l'autel doit être homme de prières. Le grand malheur des temps actuels, c'est qu'on ne prie pas assez; le réveil de la piété liturgique serait donc un signal de salut pour nos Églises, le gage d'une victoire prochaine sur les vices et les erreurs. Et quelle précieuse récompense de ce pieux labeur, dont la fatigue est d'ailleurs si fort exagérée par l'imagination de ceux qui ignorent les choses de  la Liturgie, que ce retour si consolant à l'unité de la prière, à la communion romaine, à l'antique forme des âges de foi ! Encore est-il vrai de dire que l'office divin, dans nos anciens livres français, s'il est plus considérable que dans  les  bréviaires actuels,  est cependant plus abrégé qu'au Bréviaire  romain proprement dit.  L'usage, entre autres, d'accomplir matines, au  temps pascal,  par un seul nocturne, n'est  point une innovation  des Foi-

nard  et des Grancolas ; il appartient aux Églises  de France depuis bien des siècles ; mais nous rougirions de

 

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pousser plus loin cette justification de la prière ecclésiastique.

Enfin, pour donner à ce grand œuvre de la régénération liturgique de la France, la solidité et la durée qui lui conviennent, et pour assurer cette immutabilité qui garantirait désormais, avec l'unité, l'autorité et la parfaite orthodoxie de cette Liturgie romaine-française, et la sauverait à l'avenir des atteintes de la nouveauté et de l'arbitraire, il serait nécessaire que la sanction inviolable du Siège apostolique intervînt pour sceller et consommer toutes choses. Il faudrait aussi que les décrets de la sacrée Congrégation des Rites fussent désormais publiés et l observés dans tout ce qui ne serait pas contraire à la forme des livres français ; et que les nouvelles fêtes établies par le Siège apostolique obtinssent au moins l'honneur d'une mémoire au calendrier, dans le bréviaire d'une Église qui, si elle tenait à rester française dans des usages d'une importance secondaire, voudrait avant tout se montrer romaine, autant que ses sœurs de l'Occident.

Tel est le vœu que nous formons pour l'Église de France, en terminant la partie de notre récit qui regarde cette belle province de la Catholicité. Nous serons heureux si on veut bien reconnaître dans ce que nous venons de dire un témoignage de cette modération et de cette prudence qui doivent toujours accompagner l'application des théories les plus légitimes et les plus absolues.

Considérons maintenant l'état de la Liturgie dans les différentes parties du monde chrétien, au XIX° siècle.

L'unité romaine a régné sans partage, durant les quarante premières années de ce siècle, dans l'Italie, où les semences implantées par Ricci, sans être détruites, peut-être, n'ont plus rien produit à la surface; dans l'Espagne et le Portugal, auxquels il faut joindre les nombreuses églises fondées autrefois dans les deux Indes par ces royaumes; dans la Belgique, la Suisse, et on pourrait

 

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même ajouter l'Allemagne, s'il n'y avait de changements liturgiques que ceux dont les livres du chœur et de l'autel portent la trace. Mais ce dernier pays est aujourd'hui le théâtre des plus graves événements dans les choses du culte divin, nous devons les signaler au lecteur; nous traiterons ensuite de la Liturgie en Angleterre, et dans les pays soumis à la Russie.

On se rappelle ce que nous avons raconté, au chapitre : précédent sur les tentatives antiliturgistes de Joseph II, si bien secondées par cette portion du clergé dont Jérôme de Collorédo, archevêque de Salzbourg, se montra l'organe dans la fameuse Instruction pastorale de 1782. Depuis lors, la plaie s'est étendue, et les sophismes impies du fébronianisme ayant miné la notion de l'Église, l'hermésianisme s'est présenté pour en finir avec le christianisme lui-même. Malheureusement, l'un et l'autre ont été favorablement accueillis par une portion notable du clergé catholique de l'Allemagne, dans la Prusse, la Bohême, le Wurtemberg, le duché de Bade, et jusque dans la Bavière et l'Autriche. Bientôt, les exigences du culte extérieur sont devenues de plus en plus à charge à ces hommes légers de croyance, qu'on voit tous les jours s'associer complaisamment aux projets des gouvernements, dans le but d'étouffer jusqu'aux dernières étincelles de la foi qui, par le plus étonnant prodige, survit encore dans le cœur des peuples, à la secrète apostasie des pasteurs.

Mais, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, l'esprit antiliturgiste a pris en Allemagne d'autres allures qu'en , France, et il s'est bien gardé de perdre son temps à falsifier des bréviaires. Au siècle dernier, le pouvoir séculier, par l'autorité de Joseph II, avait pris l'initiative en procédant par voie d'ordonnances et d'édits; maintenant, c'est le clergé qui se met à l'œuvre, et ses opérations ne sont ni moins habiles, ni moins efficaces.

Une comparaison entre nos jansénistes de France et les

 

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fébroniens et les hermésiens d'Allemagne, quant à la manière d'entendre la réforme liturgique, nous aidera à constater le chemin que ces derniers ont déjà fait vers le protestantisme.

Les nôtres, pour flatter la lâcheté et l'indévotion des clercs, osèrent composer des traités spéciaux où ils présentaient comme un appât la diminution de la somme des prières ecclésiastiques; les antiliturgistes allemands ont franchi le pas, et la récitation des Heures canoniales est désormais regardée, par une portion considérable du clergé d'outre-Rhin, comme une pratique tombée en désuétude, et son obligation comme de nulle valeur pour la conscience.

Nos jansénistes ont déclamé en cent manières contre la, piété extérieure, contre le luxe des cérémonies qui, disaient-ils, ne servent qu'à soumettre la religion aux sens; les antiliturgistes allemands en sont venus à supprimer la plupart des cérémonies, et déjà bon nombre d'entre eux, s'affranchissent du devoir de revêtir les habits sacerdotaux pour monter à l'autel, et célèbrent la messe avec les vêtements plus ou moins profanes dont ils se trouvent pour le moment revêtus.

Nos jansénistes, par tous les mouvements qu'ils se sont donnés pour répandre les traductions en langue vulgaire de la Bible, du missel et des formules liturgiques, trahissaient leurs penchants calvinistes; aujourd'hui, les églises catholiques d'Allemagne retentissent de cantiques en langue vulgaire qui, la plupart du temps, n'offrent pas même la traduction des prières ou des chants d'Église.

Nos jansénistes mirent la main sur les livres liturgiques et trouvèrent moyen d'y faire pénétrer la quintessence de leurs idées, et, quand ils ne le purent faire aisément, ils surent du moins faire disparaître de ces livres, sous divers prétextes, ce qui leur était le plus odieux. Il est vrai qu'un reste de pudeur, ou, si l'on aime mieux, de prudence, les

 

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obligea de conserver le cadre primitif et de laisser subsister les principales parties des anciennes formes, surtout en ce qui concerne l'administration des sacrements. Le clergé allemand de nos jours a aussi ses faiseurs, et la presse est inondée de leurs utopies liturgiques pour la réforme des cérémonies de la messe, des sacrements, des sépultures, des bénédictions. En tête de cette cohorte d'antiliturgistes, il est juste de compter le fameux Wassemberg, vicaire capitulaire de Constance, qui a été refusé par Grégoire XVI pour l'évêché de cette ville, mais qui, en revanche, a donné d'énergiques preuves de son attachement à la doctrine du second de nos Quatre Articles de 1682, par la publication d'une trop fameuse Histoire des Conciles de Constance et de Baie. Après lui, mais dignes de lui faire escorte, apparaissent Winter, Busch, Selmar, Grosbock, Brand, Schwarzel, Hirscher, etc., dont les œuvres sont jugées avec une grande modération par le docte et pieux F. X. Schmid, dans sa Liturgique, lorsqu'il se contente de dire que, d'une part, ils ont été trop loin, et que de l'autre ils ont complètement méconnu l'esprit du culte (1).

Nos antiliturgistes français s'étaient appliqués à rendre plus rare la célébration de la messe, produisant pour motif la grande pureté qu'on doit apporter à l'autel. Ceux d'Allemagne entrent dans le même système; mais les raisons ascétiques qui n'étaient qu'un prétexte dans les adeptes avancés de l'école de Port-Royal n'y sont pour rien ; c'est tout simplement pour fuir un assujettissement inutile, que ces prêtres, dégénérés s'abstiennent de la célébration des saints Mystères, hors les jours de dimanches et de fêtes; encore les voit-on disserter dans des écrits et des conférences, en présence du public, sur la quantité de nourriture qu'un prêtre catholique peut se  permettre

 

(1) Liturgik der christkatholisclien Religion. Éditionde 1840, tome I, page 82.

 

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avant de monter à l'autel. Sans doute, ces choses font horreur : mais pour être ignorées de quelques-uns de nos lecteurs, elles n'en sont pas moins patentes sous le soleil.

Mais allons jusqu'au bout : durant la persécution française, quand les lois eurent cessé de prêter aux dispositions canoniques l'appui de la force matérielle, on vit un grand nombre de prêtres abjurer leur saint état et contracter des mariages sacrilèges : dans quels rangs se recrutèrent ces apostats ? Tout le monde sait que ceux dont la défection fit le plus grand scandale, étaient précisément des hommes liés au parti janséniste, membres des congrégations qui avaient le plus sacrifié aux nouveautés antiliturgistes, fauteurs et même auteurs de ces nouveautés. Or, voici que dans cette partie du clergé allemand dont nous venons de signaler les tendances, de nombreuses voix s'élèvent pour demander l'abolition du célibat ecclésiastique ; et d'où vient cela ? C'est qu'il n'y a point de dégradation dans laquelle ne puisse et ne doive tomber le prêtre isolé, par des doctrines perverses, de ce centre apostolique d'où viennent la lumière et la vie, sevré du devoir et de l'usage de la prière de chaque jour et de chaque heure, séparé de cet autel dont la sainte familiarité est le premier motif de la continence sacerdotale. Assurément, il ne faut pas être bien profond, ni bien clairvoyant, pour avoir compris que le mariage des prêtres est la cause unique pour laquelle la célébration journalière de la messe n'a pu s'établir dans l'Église d'Orient.

Afin de mettre dans tout son jour la situation de l’Eglise d'Allemagne, quant à la Liturgie, il est bon de produire quelques extraits d'un document récent et authentique; c'est la fameuse ordonnance qu'a publiée, il y a environ deux ans, l'évêque de Rottembourg ; on la trouve en entier au Catholique de Spire (1). Nous allons en faire connaître les principales dispositions.

 

(1) 1839. Mai et mois suivants.

 

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M. Jean-Baptiste de Keller, évêque de Rottembourg, n'assume point, il est vrai, la responsabilité de tous les excès que nous venons de signaler; sa marche est administrative, et partant aussi prudente et aussi réservée qu'il est possible ; mais on n'y reconnaît que mieux l'existence du dangereux système à l'aide duquel les antiliturgistes d'Allemagne ont résolu de protestantiser le catholicisme. M. de Keller a enchéri sur Ricci dans la même proportion que ce dernier sur nos antiliturgistes français.

Dans cette trop fameuse ordonnance, le prélat semble préoccupé, comme les novateurs de France et d'Italie, de la réforme du bréviaire. Sans oser proposer non plus la suppression des Heures canoniales, il établit des dispositions propres à détruire totalement l'ancienne Liturgie. Les psaumes des vêpres devront se chanter en allemand ; encore cette psalmodie pourra-t-elle être remplacée par tout autre exercice religieux, au jugement du curé. On découvre encore la prédilection de l'évêque pour la langue vulgaire, dans l'article où il annonce une revision du rituel; il déclare l'intention d'y introduire des formules en langue allemande, conformément au besoin des temps.

Pour réformer les tendances papistes vers la communion et la dévotion au saint Sacrement, le prélat décrète qu'on ' n'administrera plus l'eucharistie hors la messe ; que toutes les autres églises demeureront fermées durant la messe de paroisse; que la première communion ne se fera point avant l'âge de quatorze ans ; qu'on ne célébrera plus de messe aux jours ouvrables, dans les autres églises, après celle qui se dira à la paroisse. Pour abolir, autant que possible, l'usage de la fréquente communion, les curés n'administreront point le sacrement de pénitence individuellement; mais ils partageront leurs paroissiens en catégories qu'ils admettront successivement à des époques déterminées.

 

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On n'exposera le saint Sacrement que six jours l'année, hors l'octave de la Fête-Dieu; encore cette exposition ne pourra-t-elle avoir lieu que l'après-midi.

Sur les fêtes, le prélat décrète les dispositions suivantes : la messe de Minuit est abolie ; on ne pourra commencer à célébrer la messe, le jour de Noël, avant cinq heures du matin. Aux jours de fêtes supprimées, on ne tolérera aucun service divin dans les églises; les curés ne pourront même pas transporter à ces jours des dévotions particulières qui seraient capables de fournir au peuple le prétexte de se dispenser de ses travaux. On ne pourra ni annoncer ces fêtes, ni les sonner, ni allumer un plus grand nombre de cierges aux messes basses que l'évêque veut bien encore tolérer. En revanche, la fête du roi est déclarée fête de l'Eglise.

Les processions ne sont pas plus ménagées par le prélat. Celles de saint Marc et des Rogations devront sortir à cinq heures du matin et être rentrées à huit, soi-disant pour éviter la dissipation, mais en réalité pour les rendre inaccessibles au grand nombre des fidèles; encore M. de Keller a-t-il bien soin d'ajouter qu'on pourra commuer ces processions en une prière faite dans l'intérieur de l'église, avec l'agrément de l'évêque. La procession de la Fête-Dieu est maintenue aux conditions suivantes : On évitera la pompe ; on ne fera entendre que des chants en langue allemande, et il devra y avoir une prédication à chaque station. La procession du jour de l'octave ne sortira pas de l'église.

Les bénédictions, cette partie si essentielle du catholicisme, sont réduites à sept, parmi lesquelles on veut bien conserver celle de l'eau. Les autres, bien qu'elles soient dans le rituel, sont abolies. Il est recommandé aux pasteurs de veiller à ce que le peuple n'attribue pas, aux bénédictions même conservées, une vertu qu'elles n'ont pas.

Les saintes images sont poursuivies avec une  rigueur

 

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pareille. La coutume populaire de les habiller est supprimée, comme un scandale : le clergé devra combattre de toutes ses forces le préjugé qui attribuerait une vertu spéciale à quelques-unes d'entre elles. On n'exposera plus les saintes reliques désormais, ni on ne les portera en procession: mais on les tiendra renfermées. On fera disparaître des églises les ex-voto, et on ne souffrira pas qu'on en replace de nouveaux. Les représentations de la crèche et du tombeau, qui sont en usage en Allemagne, à Noël et dans la Semaine sainte, sont abolies, ainsi que celle du mystère de l'Ascension, non moins chère au peuple.

On ne distinguera plus dans les cimetières la place des enfants morts sans baptême, ou des juifs et autres non baptises, de celle des chrétiens. Les chants des funérailles seront en langue vulgaire, et au décès de chaque catholique, les parents ne pourront obtenir que trois messes au plus, et un anniversaire. Les enfants morts avant la première communion n'auront point droit à ces prières. Oh a vu plus haut que la première communion était différée jusqu'à l'âge de quatorze ans.

Les confréries excitent aussi la sollicitude du prélat. Toutes sont supprimées, à l'exception d'une seule par paroisse, et pour empêcher les fidèles d'en fréquenter plusieurs, la fête patronale de toutes est fixée au même jour.

Les curés devront s'opposer de toutes leurs forces au concours des pèlerinages; il n'y aura pas de messes dans les chapelles qui sont le but de ces pieux voyages, hors celle du chapelain qui s'y trouverait par hasard attaché. Il y aura défense d'y entendre les confessions, dans la crainte que les fidèles n'y veuillent communier, et la chapelle devra être fermée continuellement, hors le temps de la messe. S'il se trouve d'autres chapelles sur les paroisses, on les détruira, et les fondations qui y sont attachées seront transportées dans les églises paroissiales.

 

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Telles sont les principales dispositions de l'ordonnance de l'évêque de Rottembourg, qui entend bien ne procéder dans tout ceci que d'après les principes les plus sains du christianisme le mieux compris et le plus dégagé des superfétations romaines. Il va sans dire que la morale prêchée à propos de ces innovations, est la plus rigoriste et la plus sèche, ainsi qu'il arrive toujours chez ceux qui ont à se faire pardonner leur relâchement sur les choses de la foi et de la piété. Néanmoins, il ne suffit pas, pour rendre religieuse et morale une population catholique, de supprimer les fêtes et les dévotions, sous prétexte qu'on interdira en même temps les danses aux jours de dimanches ; les yeux et l'imagination des peuples demanderont d'autres spectacles, et l'oisiveté engendrera bientôt tous les désordres.

Mais nous sommes loin d'avoir épuisé tous les faits qui nous peuvent faire connaître la situation liturgique de l'Allemagne. Tandis qu'une partie du clergé catholique travaille à détruire l'antique foi, avec ses manifestations les plus essentielles, le protestantisme semble s'ébranler et rendre hommage aux théories catholiques sur la forme  religieuse. Déjà, rendant hommage aux avantages de l'unité de communion, les réformés d'Allemagne ont tenté et réalisé, dès l'année 1817, dans la Prusse et le duché de Nassau, une réunion pompeuse du luthéranisme et du calvinisme ; le complément de cette grande mesure devait être une modification liturgique dans un sens toujours moins éloigné des usages catholiques. Le même roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, qui avait préparé la dramatique réunion des luthériens et des calvinistes, s'est donc chargé de pourvoir désormais l'Église réformée d'une Liturgie qui soit à la hauteur de ses destinées futures. Il est vrai de dire que Sa Majesté, loin de pouvoir faire agréer son œuvre par l'universalité de ce qu'elle appelle l'Eglise évangélico-protestante, n'a pas été sans éprouver

 

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quelques résistances partielles dans son propre royaume; mais toujours est-il que cette Liturgie a pour caractère particulier de se rapprocher en plusieurs points des formes catholiques. Non seulement le prince a pris des mesures pour replacer des images dans les temples protestants, mais dans le service divin de la Cène, on trouve déjà une grande partie de notre Messe des Catéchumènes, la Préface, le Sanctus, le Memento des vivants, etc.

Ce sont là, sans doute, des faits bien éloquents en faveur de l'importance de l'élément liturgique ; l'aveu qui échappe au royal liturgiste dans la préface de son missel de 1822, ne l'est pas moins. Il en vient jusqu'à faire valoir les avantages de l'uniformité dans le service divin, en la manière qu'avaient osé le faire nos évêques constitutionnels, dans leur conciliabule de 1797 (1). «L'Église évangélique,dit Sa Majesté, doit assurer la stabilité de la société chrétienne, par sa doctrine et sa discipline. Bien que tels ou tels usages religieux ne constituent pas l'essence du culte divin, il faut cependant que l'uniformité dans le culte produise une sorte de conviction générale, et même une tranquille sérénité de conscience, appuyée sur cette douce et consolante pensée que nous adressons Dieu les mêmes louanges, les mêmes actions de grâces les mêmes demandes, les mêmes vœux et les mêmes prières que nos ancêtres dans la foi lui ont adressés depuis plusieurs siècles (2). » Certes il faut que l'unité liturgique soit d'une nécessité bien évidente, pour que les schismatiques et les hérétiques eux-mêmes le proclament si haut, en dépit de leur état d’opposition à  l’égard de la Mère Église. Nous avons constaté ailleurs le même fait chez les Grecs Melchites (3) ; qui osera

 

(1) Ci-dessus, page 561.

(2) Histoire générale de l’Église, par le Baron Henrion. Tome XIII. page 413.

(3) Tome I, page 223.

 

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donc désormais parmi nous contester un principe auquel toute société religieuse semble se recommander, pour vivre et se perpétuer ?

Au milieu de ces phénomènes vraiment remarquables, la littérature protestante de l'Allemagne se montre gravement préoccupée de la science liturgique. Sans parler d'Augusti, auquel nous consacrons ci-après une notice, la matière des rites sacrés est exploitée avec plus ou moins d'érudition par Marheinike, Hildebrand, Schmid,Rechen-berg, Rheinwald, Schone, Bohmer, etc., etc. Plût à Dieu que nous pussions compter en France un nombre pareil d'hommes sérieux, se livrant à ces belles études qui furent si florissantes chez nous avant l'innovation antiliturgiste! Mais ce qui est plus admirable encore, c'est que l'Allemagne protestante ne renferme pas seulement des hommes auxquels la science liturgique est familière, sous le côté de l'archéologie ou de l'esthétique; elle en possède aussi qui proclament la magnificence et l'onction de nos formules papistes, qui s'en vont recueillant avec amour nos vieilles hymnes, nos proses et nos antiennes séculaires, les publiant avec des commentaires dont, la plupart du temps, l'esprit et la forme sont entièrement catholiques ; bien différents assurément de nous autres Français, qui nous montrons si indifférents à toutes ces richesses de la piété de nos pères, engoués que nous sommes des pastiches de notre Santeul. Nous avons d'utiles leçons à prendre dans la lecture des précieux volumes publiés par Rambach, Daniel, et autres luthériens dont les travaux sont indiqués ci-après.

Mais si l'Allemagne protestante semble sous l'empire d'une réaction en faveur, de la forme religieuse, il ne faut pas croire pourtant que tous les catholiques partagent les désastreuses théories que M. Keller (1) et une partie

 

(1) En ce moment même, les journaux nous apprennent que  M.  de Keller vient de prendre, à l'égard du gouvernement de Wurtemberg, une attitude plus épiscopale. Il a adressé des réclamations sur l'oppression que souffre l'Église dans ce pays. Puisse enfin ce prélat reculer dans la ligne malheureuse qu'il a adoptée, et comprendre que le catholicisme cesse d'exister, quand sa forme et sa liberté lui sont enlevées, et que toutes les atteintes dirigées contre cette forme et cette liberté, ont leur contre-coup sur la foi elle-même, sur la morale et sur la hiérarchie!

 

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notable du clergé cherchent à faire prévaloir. Grâce à Dieu, la plus belle et la plus solennelle protestation est. placée en face même de ces honteuses apostasies. Nulle contrée catholique aujourd'hui ne saurait montrer des hommes plus érudits et en même temps plus intelligents, que l'Allemagne elle-même. Nommer Mœhler, Klee, Gœrres, Windischman, etc. ; et spécialement pour la Liturgie, Binterim, F. X. Schmid, etc., c'est prédire le mouvement d'ascension que ne peuvent manquer de subir les doctrines catholiques dans le pays qui produit de tels hommes. Au.reste, nous ne tarderons pas à dérouler sous les yeux du lecteur la liste magnifique, quoique incomplète, des liturgistes allemands de ce siècle.

Disons maintenant un mot du triomphe de l'Eglise catholique dans la cause de Clément-Auguste Droste de Vischering, archevêque de Cologne. Quel cœur catholique n'est ému de reconnaissance et d'admiration pour ce nouvel Athanase, dont le courage indomptable sauve à jamais la foi et la discipline dans l'Église dAllemagne, contraint les puissances du siècle à reculer dans leurs perfides manœuvres, rend le sentiment de leur devoir à des prélats et à des prêtres dont la conscience pactisait avec la trahison, inonde le cœur des fidèles de cette joie et de cette espérance que le sentiment seul du catholicisme peut faire ressentir? Or la source de cette victoire éclatante, dont les conséquences ne sauraient être comprimées, est la fidélité de Clément-Auguste aux principes de la Liturgie; comme aussi  l'espérance des ennemis  de l'Église était dans le

 

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renversement de ces mêmes principes. Si donc les traîtreuses théories du congrès de Vienne sont refoulées, si la marche du système qui tendait à produire l'unité germanique au moyen du protestantisme est aujourd'hui en voie de rétrograder, c'est parce que Clément-Auguste, fidèle à la voix du Siège apostolique, ne veut pas qu'une formule de quelques lignes dans le Rituel romain, soit prononcée sur des époux indignes du nom de catholiques, tandis que le roi de Prusse voulait, au contraire, que cette formule sacrée fût prostituée jusqu'à servir d'égide à l'apostasie.

Donc, la doctrine, les mœurs, l'Église, tout s'est réfugié, concentré pour l'Allemagne, dans cette question liturgique; c'est de là que l'hermésianisme est terrassé, parce que le glorieux confesseur dont il a éprouvé les indomptables poursuites est désormais proclamé le sauveur de la foi; c'est de là que le fébronianisme est confondu, parce que la soumission au pontife romain ne saurait être prêchée plus éloquemment que par la captivité d'un archevêque, si docile au Siège apostolique; c'est de là que le plus tonnant de tous les anathèmes éclate contre les mariages mixtes, dont la désastreuse multiplication allait à éteindre sous peu d'années la vraie foi dans de vastes provinces, et qui deviennent désormais odieux à tous ceux qui ont gardé dans leur cœur un reste de ce sentiment de nationalité catholique qui ne s'éteint que lentement dans le cœur des enfants de l'Église; c'est de là enfin que sortira l'affranchissement religieux, non seulement de la Prusse et des provinces rhénanes, mais en général des diverses autres régions de l'Allemagne dans lesquelles les mariages mixtes allaient ruinant la foi de jour en jour, par l'indifférence et trop souvent la complicité des pasteurs. Que maintenant donc les peuples catholiques environnent de leur amour ces livres de la Liturgie qui renferment ainsi le salut de la foi, et qu'on ne peut mépriser sans

 

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mettre en péril le dépôt tout entier de la révélation de Jésus-Christ. Dieu donne toujours en leur temps ces sortes de manifestations, et il se plaît souvent à confondre l'irréflexion des hommes de peu de foi, en montrant que, dans l'Eglise, ce qui paraît moindre importe néanmoins tellement à l'ensemble, que cet ensemble périt du moment qu'une main profane touche à ces parties qu'un œil superficiel a jugées secondaires. Ainsi, Martin Luther aura enlevé l'Allemagne au vrai christianisme, en prêchant contre les Indulgences ; Clément-Auguste la rattache à l'Église véritable, en maintenant, au prix de sa liberté et de son sang, s'il le faut, la sainte franchise du rituel aux mains de ses prêtres. Tels sont les événements qui se pressent en notre siècle ; passons maintenant en Angleterre : un spectacle non moins merveilleux nous y attend.

Tout le monde aujourd'hui est forcé de convenir que l'oracle du sublime Joseph de Maistre, sur la Grande-Bretagne, est au moment de s'accomplir. Le règne de Dieu et de son Église approche pour l'Ile des Saints. Or, nous l'affirmons tout d'abord, la cause principale de ce retour à l'antique foi, de cette dissolution du protestantisme anglican, tandis que le presbytérianisme, le méthodisme tiennent encore, n'est pour ainsi dire que le développement de l'élément liturgique que la plus heureuse inconséquence avait conservé au sein de l’Église-établie. Son calendrier, où figurent encore les saints, ses livres d'offices presque toujours traduits littéralement sur ceux de l'Église romaine, ses habits sacerdotaux, ses ornements pontificaux retenus dans leur forme catholique, ses cathédrales et autres édifices religieux conservés, restaurés, entretenus avec un soin pour  ainsi dire filial, etc. (1);

 

(1) C'est ici le lieu de rappeler, avec Joseph de Maistre, les vers de Dryden, sur le caractère de l'Église anglicane : «  Elle n'est pas l'épouse i légitime, mais c'est la maîtresse d'un Roi; et quoique fille évidente de Calvin, elle n'a point la mine effrontée de ses sœurs. Levant la tête d'un air majestueux, elle prononce assez distinctement les noms de Pères, de Conciles, de Chefs de l'Église: sa main porte la crosse avec aisance; elle parle sérieusement de sa noblesse; et sous le masque d'une mitre isolée et rebelle, elle a su conserver on ne sait quel reste de grâce antique, vénérable débris d'une dignité qui n'est plus.» (Dryden. The hind and the Panther.)

 

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toutes ces choses n'étaient pas de simples anomalies; il fallait y voir les indices d'une réaction future. Quand on pense que longtemps avant la fin du XVII° siècle, deux anglicans, Dugdale et Dodsworth, publiaient le Monasticon Anglicanum, préludant ainsi, longtemps à l'avance, aux travaux que les catholiques eux-mêmes entreprendraient pour mettre en lumière les grandeurs et les bienfaits du monasticisme; quand on se rappelle la faveur avec laquelle cette publication fut accueillie en Angleterre, et le zèle avec lequel tous les ordres de la société, même les acquéreurs des biens monastiques, s'offrirent à subvenir aux frais des nombreuses gravures qui enrichissent l'ouvrage, sans autre but que de conserver le souvenir des antiques merveilles de l'architecture papiste; il est facile de comprendre que du moment où de mesquins et cruels préjugés viendront à disparaître, cette nation devra se précipiter avidement dans la vérité antique et grandiose du catholicisme.

C'est déjà ce qui arrive aujourd'hui ; d'abord, les conversions individuelles ont augmenté dans une proportion toujours croissante, au point d'arracher un cri d'alarme à l'anglicanisme; mais bientôt la brèche s'est agrandie; la profonde et large blessure faite à l'Église de Henri VIII et d'Elisabeth, a apparu plus désespérée encore qu'on ne l'aurait cru; et qui la guérirait, cette blessure, maintenant que la défection est déclarée dans le camp même de ces docteurs d'Oxford, auxquels semblait être dévolue la défense de l’Église-établie? Déjà le papisme triomphant les décime chaque jour, et ceux qui ne se rendent pas

 

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extérieurement à lui préparent, sans le vouloir, un retour plus universel encore, en publiant ces fameux Traités sur le temps présent qui, sous le prétexte d'arrêter le mouvement catholique par des concessions modérées, ne font autre chose que l'accélérer. Or, c'est principalement sur les choses de la Liturgie que les disciples du docteur Pusey conviennent qu'il est utile d'abonder dans le sens des usages catholiques; le culte anglican, si pompeux déjà comparé à celui des calvinistes, leur semble encore trop nu et trop froid. Ils ont vu dans la tradition des Pères de l'Eglise, dont l'autorité est déjà réelle pour eux, ils y ont vu que plusieurs des cérémonies papistes remontent au berceau du christianisme; ils songent à les rétablir. Un vague besoin de la présence réelle les travaille; en attendant, il leur faut des images saintes, et les reliques ne tarderont pas à devenir l'objet de leur dévotion. Bien plus, ils en sont venus jusqu'à comprendre la nécessité de la prière canoniale ; ils parlent de rétablir la récitation de l'office divin; plusieurs même l'ont déjà ostensiblement reprise, et voici les étonnantes paroles qui leur échappent sur et Bréviaire romain, si odieux pourtant aux hérétiques et si imprudemment repoussé par plusieurs catholiques : c'est un des Traités pour le temps présent que nous allons citer (1).

« Le service de prières du bréviaire est d'une telle excellence et d'une telle beauté, que si les controversistes romains étaient assez avisés pour le présenter aux protestants comme le livre de prières de leur Église, ils produiraient infailliblement sur l'esprit de tout dissident non prévenu un préjugé en leur faveur... Nous essayerons donc d'arracher cette arme aux mains de nos adversaires; nous la leur avons abandonnée

 

(1) Tome III, paragraphe 73. Du Bréviaire romain considéré comme renfermant l'essence du culte de prière de l'Église catholique. Cette dissertation n'a pas moins de 207 pages.

 

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autrefois, comme bien d'autres trésors qui nous appartiennent aussi bien qu'à eux, et nous n'avons garde de penser que, nos droits étant ce qu'ils sont, on puisse nous reprocher d'emprunter chez nos adversaires ce que nous n'avons perdu que par mégarde. »

L'auteur de la dissertation que nous venons de citer, après plusieurs aveux dans lesquels la plus noble franchise se montre souvent en lutte avec un reste de morgue protestante, trace une courte histoire du Bréviaire romain, dans laquelle il dit expressément que, quant aux parties principales, ce bréviaire est aussi ancien que le christianisme lui-même. Parlant de la réforme liturgique de saint Grégoire VII, au XI° siècle, il dit : «  Grégoire VII n'a fait que restaurer et adapter plus parfaitement aux églises le service de prières du bréviaire, en sorte que, dans sa forme actuelle, tant pour la distribution des heures que dans sa substance, il n'est autre chose que la continuation d'un système de prière qui date des temps apostoliques. »

Le docteur anglican traite ensuite du fond et de la forme du bréviaire, et les détails qu'il donne font voir qu'il n'a pas craint d'approfondir la matière, et que c'est avec une entière connaissance de cause qu'il relève le mérite du livre des prières papistes. Il commence par une analyse du service hebdomadaire Psalterium per hebdomadam (1). Il passe ensuite au détail de l'office du dimanche, et donne en entier, pour exemple, l'office du IVe dimanche après la Pentecôte (2). De là, descendant à l'office férial, il produit celui du lundi de la première semaine de l'Avent (3). Le service de prières d'un jour de fête est représenté par l'office de la Transfiguration (4). Il n'est pas jusqu'à l'office

 

(1) Pages 17-25.

(2) Pages 26-86.

(3) Pages 87-96.

(4) Pages 97-116.

 

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d'un saint qui ne soit analysé en détail par l'auteur, et, à  l'appui de son exposé, il donne l'office de saint Laurent (1). Enfin, et ce n'est pas la partie la moins curieuse de cette dissertation, l'auteur, dans une sixième section, après avoir exprimé le vœu de voir l'Eglise anglicane adopter, pour célébrer la mémoire de ses saints, la forme du Bréviaire romain, rédige à l'avance l'office de Thomas Ken, évêque de Bath, mort en 1710, et place sa fête au 21 mars. Nous renvoyons cette pièce curieuse dans les notes du présent chapitre (2). Certes, on devra avouer, après cela, que le mouvement qui pousse l'Angleterre vers le catholicisme est surtout un mouvement liturgique. Terminons par un dernier passage de la même dissertation.

« Avant la Réforme, dit encore l'auteur, l'Église observait chaque jour les sept heures du service de la prière, et quelque négligemment, si l'on veut, que ce service fût pratiqué par plusieurs, on ne saurait manquer de reconnaître qu'il a exercé une grande influence sur les esprits, et que sa cessation a laissé des traces encore visibles aujourd'hui. En effet, partout où ce service de prières a été établi, un grand nombre de personnes remplies d'un esprit catholique, n'ont pas seulement écrit sur la prière, mais beaucoup aussi l'ont pratiquée dans leur vie. Au contraire, depuis que cette forme de prières est effacée de la mémoire du peuple, les livres sur la prière sont devenus chez nous une chose rare, et le peu que l'on en rencontrerait encore est dû à des personnes qui ont vivement senti l'obligation où nous sommes de nous donner davantage à la prière. De plus, il est très certain que toute religion, quelque forme qu'elle ait d'ailleurs, si elle n'est pas appuyée sur la dévotion extérieure

 

(1)  Pages 117-134.

(2) Vid. la Note C.

 

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et sur la prière réglée et commune, doit être nécessairement mauvaise dans son essence (1). » Encore " une fois, le royaume de Dieu approche pour une nation au sein de laquelle se répandent de pareilles doctrines, et nous ne pouvons que souhaiter à tous nos frères de France une entière compréhension de ces dernières paroles de notre anglican.

Si le progrès des tendances liturgiques accélère la marche de l'Angleterre vers la vérité et l'unité catholiques, il est d'autres contrées où la compression de ces mêmes tendances amène les résultats contraires. D'immenses provinces, soumises à la domination de l'autocrate Nicolas, voient s'éteindre le flambeau de la foi, dans les jours mêmes où nous écrivons ces lignes, et les changements dans la Liturgie sont le moyen par lequel cette catastrophe est opérée : tant il est vrai, comme nous l'avons dit ailleurs, que la Liturgie est un glaive à deux tranchants qui, dans les mains de l'Eglise, sauve les peuples, et qui, aux mains de l'hérésie, les immole sans retour.

Nous avons caractérisé, au chapitre IX, ces Liturgies orientales, vénérables sans doute par leur antiquité, mais qui n'en ont pas moins été un obstacle invincible à toute réunion durable de l'Église grecque avec l'Église latine,. depuis la première consommation du schisme. Nous avons fait voir aussi de quelle triste immobilité ces mêmes Liturgies ont été frappées, impuissantes qu'elles sont, depuis huit siècles, à tout développement; tandis que la Liturgie romaine n'a cessé, à chaque époque, de produire de nouvelles formes, sans altérer le fond antique par lequel elle tient à l'origine même du christianisme. Il est aisé de conclure de ces faits incontestables, que toute réunion des deux Églises, pour être durable, devrait avoir pour auxiliaire une modification dans la Liturgie orientale, qui la

 

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mît plus ou moins en rapport avec les développements des formes catholiques dans l'Occident. La fraternité devrait donc être scellée par certaines dérogations à des usages, antiques, il est vrai, mais sacrifiés au plus noble but; puisqu'il s'agirait d'aspirer, dans une plus grande plénitude, cette vie dont l'Église romaine est la source, et dont on suppose que le désir sincère aura motivé la renonciation au schisme.

C'est là précisément ce qui avait eu lieu dans la métropole grecque de Kiew, qui comprenait l'ancienne Ruthénie à peu près entière, c'est-à-dire près des deux tiers du territoire et la moitié ou peu s'en faut de la population delà Pologne. Cette métropole et ses églises suffragantes étaient rentrées dans le sein de l'unité catholique en 15o,5. Dans l'acte dressé à Brzerc pour décréter ce retour heureux, le métropolite Michel Rahoza et les autres évêques ruthènes stipulèrent le maintien du rite grec, tel qu'il était au moment de l'Union de Florence. Beaucoup d'abus s'étaient introduits depuis lors; les métropolites furent contraints d'user des plus grands ménagements, quand ils cherchèrent à les réprimer. La moindre imprudence aurait compromis l'Union mal affermie, en blessant les susceptibilités du peuple, jaloux à l'excès de son rite et de ses traditions. Mais vers la fin du XVII° siècle, le contact avec les Latins, qui coudoyaient partout les Grecs en Ruthénie, et la nécessité de tracer une ligne de démarcation parmi ceux-ci entre les uniates et les schismatiques, détermina un mouvement de réforme liturgique, qui eut pour objet de changer sur bien des points les usages du rite grec pour les rapprocher du rite latin. Cette révolution fut consommée par un concile célèbre tenu à Zamosc, en 1720, sous la présidence d'un délégué apostolique et dans lequel le métropolite Léon Kiszha et ses suffragants prirent des décisions très importantes touchant les rites des Sacrements et du saint  Sacrifice de la Messe.

 

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Elles furent confirmées par le Saint-Siège, et leur autorité fut si grande, elles furent jugées si conformes aux besoins des Eglises grecques-unies, qu'elles furent unanimement embrassées par le clergé de la Hongrie, de l'Esclavonie, de la Dalmatie, de la Croatie, etc. (1).

Quoique la lettre de la Liturgie byzantine fût exactement conservée dans les missels slaves à l'usage des diverses Églises du rite grec-uni dont nous venons de parler, ces missels, outre l'article de la procession du Saint-Esprit, la prière pour le pape, l'addition de certaines fêtes ou commémorations de saints, renfermaient plusieurs rubriques dans lesquelles il était pourvu à la forme des cérémonies d'une manière différente de ce qui s'observait chez les schismatiques. Ces missels étaient donc la forteresse de la foi et de l'unité. Ceux qu'on trouvait dans les Églises catholiques soumises à la Russie avant l'horrible persécution qui vient de fondre sur elles, sont le missel de 1659, donné parle métropolitain Cyprien Zochowski, dédié au prince Charles-Stanislas Radziwil ; celui de 1727, publié par le métropolitain Kirszka; celui de 1790, imprimé par ordre, du métropolitain Szeptycki; enfin, le plus récent, promulgué, il y a peu d'années, par le métropolitain Josaphat Bulhack (2).

On peut rapporter les diverses modifications de la -

 

(1)  Nous devons observer ici que des modifications du même, genre ont été faites, depuis des siècles, dans les rites des Grecs-unis de l'Italie, de la Corse, de la Sicile, des îles de l'Archipel, etc., par l'autorité des Pontifes romains. C'est un préjugé janséniste de croire qu'il y ait au monde une seule Église unie au Saint-Siège qui soit indépendante de Rome dans les choses de la Liturgie. On peut consulter sur ce sujet le Bullaire romain, et les Décrets de la Congrégation de la Propagande; on y verra jusqu'à ces derniers temps l'exercice du pouvoir papal sur les rites des Églises orientales.

(2)  Nous empruntons ces détails à la lettre des cinquante-quatre prêtres catholiques de Lithuanie, qui ont réclamé pour la foi et l'unité catholique auprès de l'évêque Siemazko. (Annales de Philosophie chrétienne, Xe année, IIIe série, tome I.

 

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Liturgie grecque dans le sens romain à deux classes ; la première, moins considérable, dans le rituel, se compose de certaines additions aux cérémonies des sacrements, par exemple, l'onction des mains dans la collation de l'ordre de prêtrise, etc. ; la seconde, dans le missel, a pour objet les démonstrations de piété et d'adoration envers le divin sacrement de l'Eucharistie. Sous ce dernier rapport, l'Église orientale, au sein de laquelle l'erreur des sacramentaires n'a point étendu ses ravages, est restée beaucoup en retard de l'Église latine qui s'est vue obligée de multiplier les témoignages liturgiques de sa foi et de son amour pour le sacrement de l'autel, en proportion des attaques de l'hérésie. Mais on sentira facilement que ces développements de culte, si légitimes en eux-mêmes, en supposant même que les Églises d'Orient puissent encore surseoir à leur adoption, sont devenus absolument nécessaires dans les Églises de l'Occident, qui a été si violemment ravagée par les adversaires de la présence réelle. Ces derniers ne prendraient-ils pas scandale de ce que, parmi les enfants de l'Église romaine, les uns ne fléchissent pas même le genou devant l'Hostie sainte, tandis que les autres n'ont point assez de marques d'adoration à lui prodiguer? Et les fidèles du rite grec uni ne seraient-ils pas blessés dans leurs plus chères affections religieuses, s'il ne leur était pas permis de pratiquer, à l'égal des catholiques du rite latin, auxquels ils sont mêlés, ces actes religieux qui ne sont, après tout, que la manifestation d'une même foi?

Il est donc résulté de là que, sitôt après la réunion de 1594, l'usage d'exposer le saint Sacrement les jours de fêtes et de dimanches s'est introduit, à la grande satisfaction des catholiques, dans la Lithuanie et les autres provinces du rite uni ; les génuflexions, les adorations profondes à la sainte Eucharistie sont devenues des pratiques communes et dès lors réglées par des rubriques spéciales.

 

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Mais comme la piété catholique ne se contente pas d'adorer le Verbe incarné, dans le divin Sacrement, mais qu'elle aspire encore à s'en nourrir comme de l'aliment de vie, les entraves que la Liturgie orientale met à la communion fréquente ont dû pareillement céder devant l'empressement légitime des fidèles. Dans le rite grec, il ne doit y avoir pour la célébration de la messe qu'un seul autel, lequel doit être retranché derrière ce rempart qu'on nomme iconostase, espèce de portique décoré d'images saintes, qui laisse à peine l'œil pénétrer furtivement jusqu'à l'autel, et qui se ferme totalement aux instants solennels du saint Sacrifice. Ces usages sévères se sont trouvés modifiés comme d'eux-mêmes. L'autel du fond est demeuré, il est vrai, retranché derrière l’iconostase, en plusieurs lieux ; mais, dans beaucoup d'églises, l'iconostase, a été sacrifiée, et, dans presque tous les autres, des autels extérieurs ont été construits en divers endroits de l'édifice, à la manière latine. Ces autels servent aux messes privées qui sont, pour les catholiques, l'aliment de la piété, l'occasion facile d'approcher fréquemment des saints Mystères et de resserrer le lien de l'unité. Enfin, ces autels multipliés, afin que la victime sans cesse renaissante se multiplie comme la manne du ciel, qui en était la figure, ces autels que la foule des fidèles environne dans une sainte familiarité, ces autels qui voient célébrer un sacrifice journalier, demandent un clergé digne de les desservir, un clergé voué à la chasteté ; et voilà pourquoi, en attendant une heureuse révolution qui astreindrait le clergé séculier au célibat, les Grecs-unis des contrées dont nous parlons professent une si grande vénération pour les moines basiliens, que leur profession de chasteté, qui rehausse encore en eux le zèle de la foi, rend aptes à la célébration journalière du grand Sacrifice.

Il est donc évident, d'après ces faits, que la Liturgie grecque, chez un peuple uni à l'Église romaine, tend

 

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naturellement vers des développements destinés à faire pénétrer en elle les formes du christianisme occidental, et capables dans un temps donné, d'altérer plus ou moins, par l'effet même d'un tel progrès, sa physionomie primitive. Et nous n'avons garde d'en disconvenir; mais dans un pays dont le souverain s'est fait chef de la religion, en sorte que les formes du culte sont désormais fixées par la loi de l'Etat, on conçoit que la politique voie avec inquiétude et jalousie un mouvement imprimé à ces mêmes formes par des sujets dissidents. Un tel progrès devient un attentat contre la Liturgie légale et immobile, au moyen de laquelle l'autocratie espère comprimer tout mouvement religieux, comme attentatoire à sa souveraineté spirituelle. Ce fut le motif qui arrêta promptement les velléités que Pierre Ier sembla manifester quelques instants de replacer son empire sous la communion romaine. Plus tard, Catherine II, après le partage de la Pologne (cette affreuse calamité que tout vrai catholique ne saurait trop déplorer), devenue maîtresse de la Lithuanie, de la Volhinie, de la Podolie et de l'Ukraine, employa toutes sortes de violences contre les Grecs-unis de ses nouveaux États, et l'on n'en compta pas moins de huit millions réunis violemment à l'Église schismatique, et privés désormais de tout moyen de suivre les rites qui étaient l'expression et la défense de leur foi.

Le feu de la persécution se ralentit un peu sous Paul Ier, sans qu'il fût permis néanmoins aux catholiques du rite grec-uni, arrachés violemment à leurs croyances et à leurs pratiques, de retourner à l'ancien culte. Alexandre Ier régna ensuite, et s'il ne persécuta pas les Grecs-unis, il ne fit rien non plus en leur faveur; si ce n'est, peut-être, d'autoriser le rétablissement du titre de la métropole grecque-unie; encore procéda-t-il en cette mesure sans le concours du Saint-Siège. Des bouleversements inouïs, des suppressions, réductions et unions de sièges

 

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épiscopaux, des nominations d'évêques faites par l'autorité laïque et même schismatique, avaient jeté une grande confusion dans toutes les provinces russes habitées par les Grecs-unis : la mission légitime avait cessé, et, partant, la vie des églises éprouvait une suspension désolante. Enfin, en 1817, il fut possible au Siège apostolique de remédier, au moins en quelque degré, à de si grands maux. Josaphat Bulhack, élève de la Propagande, ayant été désigné par l'empereur pour métropolitain de toute l’Église grecque-unie, Pie VII lui conféra l'institution canonique, avec des pouvoirs extraordinaires, pour réparer tout ce qui s'était fait d'irrégulier pendant la période d'anarchie spirituelle qui venait de s'écouler. Bulhack fut autorisé à donner lui-même l'institution canonique à tous les évêques de son rite qui ne l'avaient pas reçue, et, par ses soins, les églises qui étaient restées dans l'union avec le Saint-Siège recouvrèrent une ombre de liberté, et accueillirent quelques lueurs d'espérance; car l'esprit du bienheureux martyr Josaphat s'était reposé sur le pieux et fidèle métropolitain.

Mais les catholiques ne tardèrent pas à perdre toute illusion sur le sort qui les attendait. En 1825, Nicolas Ier monta sur le trône impérial de toutes les Russies, et avec lui la plus abominable tyrannie. Ce prince résolut d'en finir avec l'Église catholique dans ses États; mais sa rage s'attaqua principalement aux faibles restes des Grecs-unis. Méprisant profondément l'espèce humaine, il ne compta pour rien la résistance du peuple et même celle des popes ; le knout et la Sibérie devaient en faire bonne justice. Mais l'épiscopat pouvait offrir une résistance plus éclatante; il importait donc de l'anéantir, ou, du moins, de le dégrader. Nicolas a d'abord, en 1825, supprimé l'évêché de Luck, à la mort du titulaire. Un nouvel ukase, en 1832, enchérissant encore, est venu décider que désormais les sujets russes  du rite Grec-uni  ne formeront plus  que

 

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deux diocèses, celui de Lithuanie et celui de la Russie Blanche; par cette mesure sacrilège, l'épiscopat se trouvant réduit à deux membres, ou quatre au plus, en comptant les vicaires-évêques des deux prélats, il devenait facile d'étouffer la foi catholique, en employant la violence et la corruption contre des hommes faibles et isolés.

Le résultat de cet impie machiavélisme ne s'est pas fait attendre longtemps. Le pieux Josaphat Bulhack a été enlevé trop tôt pour le malheur de son Église, et il a emporté dans sa tombe la liberté et la foi. Les sièges de Luck, de Minsk, de Polotzk, se trouvaient déjà vacants, et à l'exception de Philippe-Félicien Szumborski, évêque de Chelm, au royaume de Pologne, il n'y avait plus en exercice dans toute la Russie que trois évêques du rite grec-uni. Ces prélats étaient Joseph Siemasko, qui s'intitule, de par l'Empereur, évêque de Lithuanie; Basile Luzynski, dit évêque d'Orsza, établi par Nicolas gérant du diocèse de la Russie Blanche ; et Antoine Zubko, institué, également par l'autocrate, vicaire du diocèse de Lithuanie, avec le titre d'évêque de Breszca. Ces trois malheureux prélats, que l'histoire flétrira de la même honte qui s'attache au nom du disciple perfide, et que l'indignation du Pontife romain a déjà marqués d'un stigmate ineffaçable, ont livré au schisme et à l'hérésie les âmes de leurs peuples, et par eux la lumière du salut s'est éteinte sur de vastes contrées où leur devoir était de la conserver et de l'accroître. Ils ont adressé au tyran, sous la date du 12 février 1839, une supplique, en les termes les plus humbles, tendant à obtenir la faveur d'être acceptés par Sa Majesté, eux-mêmes, leur clergé et leur troupeau,dans la communion de l'Église apostolique-orthodoxe-catholique-grecque (1), et cette horrible prévarication a consommé la perte de trois millions et demi de catholiques, dans la Lithuanie et la Russie Blanche.

 

(1) Annales de Philosophie chrétienne. Ibid., page 234.

 

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Au reste, ces pasteurs mercenaires ont voulu en imposer à la conscience publique, quand ils ont osé affirmer qu'ils formaient, à eux trois, tout l'épiscopat grec-uni de la Russie. Outre l'évêque de Chelm que nous avons nommé ci-dessus, prélat fortement attaché à la catholicité, deux autres évêques ont refusé de souscrire l'acte de schisme; l'un est le prélat Zarski, évêque in partibus, et l'autre le prélat Joszyf, membre l'un et l'autre du collège grec-uni de Saint-Pétersbourg. En outre, les trois évêques apostats ont joint à leur supplique les signatures de mille trois cent cinq Ecclésiastiques, qu'ils assurent composer la totalité du clergé grec-uni; et, d'autre part, on sait qu'en 1834, cinquante-quatre prêtres lithuaniens protestèrent contre les tentatives de Siemasko pour établir le schisme. Il est vrai de dire que, depuis, la violence a produit de bien tristes effets sur la plupart de ces popes, tous engagés dans les liens du mariage et réduits à choisir entre leur devoir et l'exil en Sibérie.

Maintenant, il importe de faire connaître le double moyen employé par l'autocrate pour accomplir son œuvre et pour en assurer la durée. Il a tout consommé par la suppression de l'ordre des Basiliens, le seul qui existât chez les Grecs-unis, et par l'adoption forcée de nouveaux livres liturgiques.

Habile dans la tactique des gouvernements européens, quand ils veulent asservir l'Église, Nicolas a suivi fidèlement tous les degrés qu'ils gardent dans l'exécution de ce plan sacrilège. Ainsi, pour anéantir les Basiliens, il a commencé par les soumettre aux ordinaires; en second lieu, il les a entravés dans l'admission des novices; la troisième mesure a été la confiscation des biens; enfin, la quatrième, qui a tout terminé, a été, en 1832, la suppression définitive de l'ordre lui-même. Du moins, la voix d'un évêque s'est élevée contre cette machiavélique et atroce persécution ; le pieux prélat Szezyt, suffragant de

 

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l'archevêché de Mohilow, du rite latin, a osé faire entendre des réclamations contre la suppression des Basi-liens, et contre celle d'un grand nombre d'autres monastères du rite latin qui ont été abolis, jusqu'au nombre de deux cent vingt et un, dans la seule métropole de Mohilow. Ce courage apostolique n'a pas tardé non plus à recevoir sa récompense. Le prélat s'est vu arracher violemment à son troupeau et reléguer jusqu'aux extrémités de l'empire. Les instances de la noblesse ont pu seules obtenir qu'il ait enfin été rendu à l'exercice de sa charge pastorale (1).

Pendant qu'on travaillait à ruiner l'ordre des Basiliens, ces prêtres célibataires dont l'influence était si grande sur les Grecs-unis, et qui leur garantissaient le bienfait de la célébration journalière du sacrifice chrétien, les presses impériales de Moscou enfantaient, en 183i, un missel destiné à remplacer dans les Églises grecques-unies celui du vénérable Josaphat Bulhack et de ses prédécesseurs. Ce missel totalement conforme à celui des schismatiques ne différait guère de l'ancien que par ses omissions. On y supprimait l'article de la procession du Saint-Esprit, la mention du pape, et aussi les diverses rubriques tendantes

 

(1) Nous devons mentionner ici un autre prélat du rite latin, que sa conduite pleine de courage désigne à l'admiration et à la reconnaissance de tous les catholiques. En 1833, le gouvernement de Varsovie ayant publié un édit qui enjoignait à l'évêque de Podlachie, Mgr Gutkowski, de faire disparaître des bibliothèques ecclésiastiques de son diocèse un livre qui traite de la Concorde et de la Discorde des Grecs et des Latins, le prélat a refusé de se soumettre à cette injonction, par laquelle on lui demandait de trahir les intérêts d'une religion dont il est le défenseur naturel. Il n'a pas montré moins de vigueur en s'opposant de toutes ses forces à ('exécution du décret impérial qui ordonne que les enfants issus des mariages entre les Grecs et les Latins seront, sans distinction, élevés dans la religion grecque. Depuis près de dix ans, ce généreux confesseur de la foi et de la liberté de l'Église est chassé de sa ville épiscopale, et contraint d'errer à travers son diocèse, sans demeure fixe et en butte à toutes les persécutions.

 

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à manifester par des rites spéciaux la foi dans le mystère de la présence réelle. Faire accepter ce missel aux Églises grecques-unies, c'était donc les replonger dans le schisme, en même temps que déclarer la Liturgie impuissante à tout développement, quelque légitime qu'il soit. Nous avons signalé ailleurs ce caractère judaïque de la Liturgie dans les Églises d'Orient.

Dès lors, le gouvernement russe a senti que tout était gagné pour son système s'il parvenait à introduire ce nouveau missel dans les Églises grecques-unies ; cet attentat devenait facile depuis la suppression des Basiliens, la mort, ou la défection des évêques de ce rite. Nous apprenons par une lettre du ministre de l'intérieur à l'empereur Nicolas, en date du 3o avril 1837 (1), que, dès cette époque, la plus grande partie des Églises grecques-unies, tant des villes que des campagnes, était déjà pourvue du nouveau missel. On avait enlevé les anciens par violence, et dans la crainte que les usages extérieurs empruntés à l'Église latine ne demeurassent comme une protestation contre la suppression des missels catholiques, l'autocrate avait pris des mesures matérielles pour anéantir toutes les tendances vers les habitudes de piété du catholicisme. Ainsi, dans l'espace de trois ans (de 1834 à 1837), on avait rétabli la barrière des iconostases dans trois cent dix-sept églises de l'Éparchie lithuanienne; afin que désormais l'autel cessât d'être aussi accessible à la religion des peuples. Les autels latéraux, qui, dans les églises mêmes dont les iconostases avaient été conservées, étaient en dehors de cette barrière et si favorables à la célébration des messes privées, avaient été démolis; on avait conservé seulement ceux de ces autels dont l'emplacement et la construction se trouvaient liés inévitablement à la disposition architecturale de  l'église. Plusieurs églises en effet, surtout dans

 

(1) Annales de Philosophie chrétienne. Ibidem, pages 240, 242,

 

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les derniers temps, avaient été bâties d'après un système de plus en plus rapproché de celui des Latins, dans lequel le nombre et le placement des autels est d'une si grande importance. Au reste, si le gouvernement russe consentait à ne pas démolir ces autels, c'était en défendant qu'on y célébrât désormais le saint Sacrifice (1).

Mais ce que nous disons ici ne montre point encore assez la rage dont les schismatiques russes sont animés contre les formes liturgiques des Latins. On conçoit que la majesté de l'autocrate se sente instinctivement blessée des honneurs rendus à l'Homme-Dieu, dont les Grecs-unis dressaient le trône quand ils exposaient le saint Sacrement, auquel ils prodiguaient les marques extérieures d'adoration; après tout, c'est une véritable cour, avec toutes ses assiduités et tous ses honneurs, que le catholicisme tend à former autour du tabernacle eucharistique. Mais croirait-on que le tyran en est venu jusqu'à se montrer jaloux de la sonnette que les Grecs-unis avaient empruntée des Latins, pour marquer les principaux instants du sacrifice et réveiller l'attention des fidèles ! Le ministre de l'Intérieur se glorifie auprès de son maître d'avoir fait disparaître cet usage papiste de toutes les églises de Lithuanie (2).

Enfin, tel est l'éloignement que le schisme grec a toujours eu pour les développements de la forme dans l'art, éloignement qui lui a inspiré ses déplorables théories sur la laideur du Christ et de la Vierge Marie, et aussi la raideur et l'immobilité de ses types, qu'on le voit aujourd'hui poursuivre avec la dernière rigueur le roi des instruments de musique, le grand moyen de l'harmonie sacrée, l'orgue. Les Grecs-unis avaient reçu des Latins ce puissant mobile de la prière et des sentiments religieux; avec l'orgue, ils se

 

(1)  Annales de Philosophie chrétienne. Ibidem.

(2)  Ibidem.

 

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sentaient réellement fils de la chrétienté romaine, membres de la civilisation  occidentale. Les ordres les  plus -sévères ont été donnés pour la destruction de cet instrument.  Dans le christianisme bâtard de la Russie, la clef des mystères est perdue; on prétend réduire à la seule voix humaine toute l'harmonie qui devra retentir autour de l'autel; comme si la vraie religion n'avait pas reçu la mission de donner une voix à toute la nature et de forcer les éléments à s'unir à l'homme dans un même concert. C'est ce que fait dans nos  églises ce puissant prince de l'harmonie, qui a reçu la magnifique et biblique appellation d'orgue, organum. Qu'importent les succès merveilleux du collège des chantres de la cour à Saint-Pétersbourg,  et des  écoles de  chant établies officiellement à Polock et à Zyrowice? Ce luxe ne  sert  qu'à mettre à découvert la pauvreté d'une Liturgie qui repousse, par système, les moyens grandioses d'accroître les effets de l'harmonie, et de marier la voix du peuple à celle des prêtres dans un concert immense. Une religion de cour, sensualiste et confortable,  craint les mélodies fortes  et sévères qui élèvent l'homme au-dessus du présent; il lui faut une harmonie qui soit toute de la terre, dans laquelle l'élément religieux ne fasse que raviver, par un contraste piquant, les sensations amolissantes du théâtre et des profanes mélodies. On sait de reste combien est dur, monotone et désagréable,  l'accent  du prêtre dans la Liturgie grecque ; combien il est loin de la suave magnificence de notre Préface, imitée pourtant des anciens Grecs : l'orgue venait donc à propos pour relever l'inspiration et ranimer la prière languissante : l'autocrate ne l'entend pas ainsi, et il est, au reste, assez piquant de le voir dans son zèle anti-liturgiste s'accorder pour la destruction de l'orgue avec le régicide évêque Grégoire, que nous avons vu, au concile de 1801, proposer de remplacer cet instrument par le tam-tam chinois.

 

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Au reste, le gouvernement se charge de pourvoir avec  largesse aux frais de l'éducation des nouveaux musiciens, et telle est sa munificence quand il s'agit de procurer l'exécution de ses plans antiliturgiques, que le ministre de l'intérieur, dans le rapport déjà cité, fait voir en détail à son maître que le défaut d'argent est la seule cause du retard qui a été mis en quelques lieux à l'exécution des ordres impériaux, tant pour le rétablissement des iconostases, que pour la substitution des missels et ornements grecs purs aux missels et ornements papistes qu'on a été contraint de laisser subsister encore pour quelque temps. ; L'autocrate poursuivait donc avec ardeur son système de destruction du catholicisme, au moyen de ces changements dans la forme, si significatifs et si efficaces, en même temps qu'il travaillait à amener les trois évêques Siemaszko, Luzynski et Zubko, à déclarer leur apostasie. Ce dernier fait étant accompli, Nicolas a fait donner des ordres par le saint Synode, portant qu'on ne devra pas procéder avec trop de rigueur contre quelques usages religieux conservés encore par les nouveaux schismatiques ; mais qu'on devra, au contraire, user de tolérance, et maintenir, autant que possible, les mêmes pasteurs dans les églises, du moment qu'ils auront consenti à renoncer à l'unité romaine. Le nouveau missel de Moscou, l'interdiction des messes privées, le rétablissement des iconostases, la suppression des honneurs rendus au saint Sacrement, etc., tous ces moyens joints à un système d'éducation schismatique, suffisent en effet pour consommer sans trop de violence la séparation qui a été le but de tant de crimes et de parjures.

Maintenant, la divine Providence permettra-t-elle que cette œuvre abominable demeure accomplie sans retour, et que le schisme grec, avec toutes ses conséquences abrutissantes, étende à jamais son joug sur ces malheureuses provinces? C'est le secret de Dieu ; mais nous, sachons du

 

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moins accepter les leçons qui résultent de ces événements contemporains, dont notre préoccupation ne saisirait peut-être pas toute la portée.

D'abord, il est une fois de plus démontré par les faits qu'il ne saurait jamais y avoir d'attentat contre la foi ou l'unité catholiques, dont le contre-coup ne se fasse sentir sur la Liturgie; parce qu'il n'est pas non plus un seul des intérêts de cette foi et de cette unité, qui ne trouve dans la , Liturgie sa représentation expresse. Cette vérité est banale à force d'avoir été répétée dans ce livre : ce sera la dernière fois. Concluons : donc, il est essentiel d'examiner les intentions et les doctrines de ceux qui proposent des changements dans la Liturgie, et se tenir en garde contre eux, fussent-ils couverts de peaux de brebis, et n'eussent-ils dans la bouche que les beaux mots de perfectionnement et de retour à l'antiquité.

En second lieu, il résulte de ce récit que la politique des Pontifes romains, qui a toujours tendu à réunir les églises dans une même Liturgie, vient de recevoir sous nos yeux une nouvelle et éclatante justification. Si, au temps de Catherine II, huit millions de catholiques, et sous Nicolas Ier, trois millions ont été détachés du vrai christianisme, c'est uniquement parce que ces catholiques manquaient de l'appui que leur eût naturellement offert la communauté absolue de rites, de chants et de prières, avec les autres membres de l'Église romaine. Et cela est si vrai, que ni Catherine II, ni l'empereur Nicolas, n'ont songé à réunir au schisme grec des millions de Polonais dont la foi latine les inquiétait, mais qu'ils sentaient retranchés derrière l'inviolable boulevard de la Liturgie romaine. Or toute Liturgie qui n'est pas romaine devient infailliblement nationale, dans l'acception plus ou moins étendue de ce terme, et, partant, elle tombe sous le pouvoir et l'administration du prince ou de ses agents. En France, ce seront les parlements, ou toute autre forme

 

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judiciaire ou législative qui leur a succédé; en Russie, c'est l'autocrate avec ses ministres. Un pouvoir tyrannique, impie, hérétique, aura donc la haute main sur la foi des peuples et sur les mœurs chrétiennes qui dérivent de cette foi. Il est aisé de comprendre jusqu'où vont les conséquences de la forme nationale dans le culte ; nous en avons signalé un grand nombre dans cet ouvrage, et quant aux provinces qu'un sévère jugement de Dieu a soumises à l'empereur de Russie, tout le monde conviendra sans peine que la Liturgie romaine eût garanti, avec la foi des peuples qui les habitent, cette dignité de la nature humaine qui ne souffre pas la servitude de la pensée et des affections religieuses. Si donc l'autocrate a voulu, par ses mesures sacrilèges et antiliturgiques, river à jamais les fers de ces populations malheureuses, c'est qu'il savait que les tendances romaines qui se révélaient au milieu de la Liturgie grecque telles qu'elles la pratiquaient, leur faisaient pressentir le bienfait d'une civilisation catholique, et les amèneraient peu à peu à se fondre dans les moeurs plus dignes et plus libres des nations de la langue latine. La Pologne doit savoir maintenant que la seule nationalité qui lui reste, celle qu'on ne saurait lui ôter malgré elle, est dans le catholicisme; mais à la vue du sort malheureux de sa triste sœur la Lithuanie, qu'elle comprenne aussi que le catholicisme, chez elle, n'a de défense que dans la Liturgie. Qu'elle presse donc contre son cœur et qu'elle défende comme sa dernière, mais ferme espérance, ce Bréviaire et ce Missel romains par lesquels elle sera toujours Latine, et non Russe. Qu'elle se sente fière aussi de ce que, par la Liturgie, le monde catholique rend hommage chaque année à la grandeur des héros de sainteté qu'elle a produits; son Stanislas de Cracovie, son Casimir, son Hyacinthe, son Hedwige, et aussi son admirable Jean de Kenty, dans la fête duquel nous disons par toute la terre, suivant l'ordre du Siège apostolique :

 

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O qui roganti nemini

Opent negasti, patrium

Regnum tuere; postulant

Cives Poloni et exteri.

 

Terminons maintenant cette revue de l'Église universelle, sous le rapport liturgique, en nous arrêtant à Rome même, où il nous reste à constater plusieurs faits remarquables en ce XIX° siècle. Nous verrons d'abord que les Pontifes romains de nos jours n'ont pas été moins jaloux que leurs prédécesseurs, de laisser dans la Liturgie des marques de leur piété.

Pie VII, de sainte mémoire, plaça au bréviaire, sous le rite double mineur, saint François Carracciolo, l'un des cinq bienheureux qu'il avait canonisés. Il éleva au même degré la fête de saint Clément, pape, qui jusqu'alors n'avait été que semi-double. Enfin, pour ranimer dans toute l'Église la dévotion à Marie Compatissante, il institua une seconde fête des Sept Douleurs de la Sainte Vierge, qui se célèbre le troisième dimanche de septembre.

Léon XII accomplit une grande et honorable justice envers un des plus saints et des plus courageux prélats du moyen âge, en établissant au bréviaire le nom et la fête de saint Pierre Damien, du degré double-mineur, avec le titre de confesseur pontife et docteur de l'Eglise. Ce fut la seule œuvre de ce genre qu'il exécuta dans son trop court pontificat.

Son successeur Pie VIII, qui ne fit que passer sur la Chaire de Saint-Pierre, exerça d'une manière non moins solennelle sa prérogative d'arbitre de la Liturgie, en rendant un décret pour attribuer désormais à saint Bernard le titre et les honneurs de docteur de l’Église. Il y avait longtemps, il est vrai, que l'Église gallicane avait accordé cette faveur à l'auteur des livres de Consideratione ; mais l'Église romaine,  ou plutôt l'Esprit qui la dirige, n'a

 

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rendu cet oracle qu'en 1829, et toutes les églises du rite latin s'y sont conformées.

Enfin, le grand Pontife Grégoire XVI, qui conduit avec tant de gloire le vaisseau de l'Eglise, a récemment fait usage de son autorité liturgique, pour établir, du degré double-mineur, la fête du saint évêque Alphonse-Marie de Liguori, l'un des cinq bienheureux dont il a célébré la canonisation, en 1839.

A ce dernier décret s'arrêtent les développements actuels de la Liturgie romaine; mais ses triomphes n'ont de bornes que l'univers. Car c'est elle qui accompagne l'apôtre qui s'en va planter la foi dans les régions infidèles ou hérétiques. Les jeunes Églises de l'Amérique du Nord, celles qui s'élèvent de toutes parts dans la Grande-Bretagne et disputent pied à pied le terrain à l'anglicanisme, ne connaissent d'autre prière que la prière de Rome; le sauvage de la Louisiane, l'Indien, le Chinois, le néophyte du Tonquin, l'insulaire de l'Océanie, sont les enfants d'une même Liturgie, et cette Liturgie est romaine ; l'Algérie même, colonie française, n'emploie pas d'autres livres pour les offices divins que les livres de saint Grégoire, et tous ces prêtres français que Rome voit partir chaque année pour les quatre vents du ciel, et qui vont féconder de leurs sueurs et de leur sang la parole divine qu'ils annoncent à toute créature, avant de partir pour le lieu de leur mission, commencent par renoncer à ces modernes bréviaires et missels qu'ils avaient conservés jusqu'alors, et s'avancent vers les peuples qu'ils doivent évangéliser, les mains chargées de ces livres romains auxquels est aujourd'hui attachée la fécondité de l'apostolat, comme au temps des Boniface, des Anschaire et des Adalbert.

C'est sans doute encore un triomphe pour la Liturgie romaine que, seule de nos jours, au sein de la France, non seulement elle demeure la Liturgie des anciens ordres religieux qui  renaissent de leurs cendres, mais que ces

 

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nouvelles familles qui se sont formées, l'une sous le nom de Société des sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, l'autre sous celui de Congrégation des Maristes, et qui ont déjà opéré des fruits de salut chez les infidèles et mérité les bénédictions du Pontife romain, se soient fait une loi inviolable d'être romaines dans la Liturgie. Les nombreux instituts et monastères de vierges qui fleurissent de toutes parts autour de nous, comme autant de plantations célestes, font aussi monter vers le ciel, sept fois le jour et au milieu de la nuit, la prière romaine. Enfin, nous avons raconté ailleurs comment les pieuses confréries qui contribuent à maintenir, dans un si grand nombre de paroisses de France, la piété et les mœurs chrétiennes, célèbrent leurs fêtes, non d'après le calendrier appauvri et stérile des nouveaux bréviaires, mais bien d'après le calendrier romain, si riche de traditions, si fécond en grâces apostoliques.

Aussi, nous semble-t-il de plus en plus évident que la Liturgie romaine est appelée à régner de nouveau en France tôt ou tard : et ce sentiment n'est pas seulement le nôtre; il est partagé par un grand nombre d'excellents esprits. Nous avons même souvent entendu répéter à des personnes assez peu suspectes que si Rome consentait à réformer son bréviaire, l'opposition gallicane ne saurait tenir contre l'influence de cette mesure. A vrai dire, il nous semble qu'il y a bien un peu d'outrecuidance dans cette manière de voir une si grave question. Sans doute, il est dans les choses possibles que Rome entreprenne, dans ce siècle, une réforme de son bréviaire; ce serait la quatrième depuis saint Grégoire; mais qu'on le comprenne bien, cette réforme n'aurait point pour objet de produire un nouveau Bréviaire romain. Celui de saint Pie V est le même que celui qui fut revu au XIII° siècle par les Frères Mineurs, le même que celui de saint Grégoire VII, le même que celui de saint Grégoire Ier. Le bréviaire qui sortirait de la réforme du XIX° siècle ne serait point autre

 

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non plus, quant au fond, que celui des siècles précédents; les théories françaises du XVII° siècle sont venues trop tard pour entamer l'œuvre séculaire et traditionnelle des Pontifes romains. Mais ce n'est pas là précisément ce qui préoccupe plusieurs personnes dont nous avons souvent recueilli les aveux pleins de naïveté; leur grande espérance, au cas d'une revision du bréviaire, serait de voir la somme des prières ecclésiastiques diminuée, à Rome, dans la proportion des bréviaires français.

Quoi qu'il en soit de cette attente, nous devons être assurés à l'avance que si le Siège apostolique entreprend, en ce siècle, une réforme du bréviaire (prévision qui n'a rien d'improbable, puisqu'il s'est déjà écoulé près de trois siècles depuis la réforme de saint Pie V, et que les deux précédentes n'ont pas été séparées par un aussi long intervalle), nous devons être assurés, disons-nous, que cette réforme satisferait à tous les besoins de la Liturgie. Elle serait entreprise avec une souveraine autorité, dirigée par cet Esprit qui conduit les Pontifes romains dans les choses de la foi et de la discipline générale dont la Liturgie est l'expression. Elle ne serait point le fait d'une coterie hétérodoxe, ni le produit d'une école littéraire, ni le résultat d'une révolution pyrrhonienne dans la critique sacrée, ni l'œuvre d'un vain amour-propre national. La majestueuse confession des dogmes, la victoire contre les hérésies, la liberté ecclésiastique, la vigueur de la discipline, la dévotion à la sainte Vierge et aux saints, l'onction de la prière, la sainte et inviolable tradition, avec ce progrès légitime qui se fait dans la lumière et l'amour sous l'autorité, y puiseraient leur sublime manifestation; en un mot, cette nouvelle réforme, comme toutes celles qui l'ont précédée, serait un pas magnifique de l'Église et de la société vers la conquête d'un plus grand éclat de vérité et d'une plus grande force et douceur d'amour; car le sentier de  l'Église  est semblable à  la lumière qui

 

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va toujours croissant, jusqu'à ce qu'elle enfante le jour parfait (1).

Il est temps de clore cette histoire générale de la Liturgie, et ce volume, par la bibliothèque des auteurs liturgistes qui ont fleuri ou fleurissent en ce XIX° siècle.

(1802). Nous ouvrons notre liste par l'ouvrage suivant, composition anonyme et plus que médiocre; mais les ouvrages français publiés en ce siècle sur les matières liturgiques sont en si petit nombre, que nous ne nous permettrions pas d'omettre un seul de ceux qui sont venus à notre connaissance. Il est intitulé : Manuel catholique pour l'intelligence de l'office divin. Paris,  1802, in-12.

(1803). Dufaud, ancien doctrinaire, digne successeur des Foinard et des Grancolas, enfanta, dans les premières années de ce siècle, une nouvelle utopie liturgique dont la réalisation n'exigeait rien moins que la destruction de tous les systèmes de prière ecclésiastique suivis depuis dix-huit siècles. Dufaud jugea à propos de faire imprimer son projet, à l'usage de la commission liturgique dont nous avons parlé ci-dessus. Il lui donna ce titre : Essai d'un nouveau calendrier liturgique, ou classification nouvelle et raisonnée des fêtes pour tout le cours de l’année chrétienne. Paris, 1803, in-8°.

(1804). Louis-Vincent Cassitto, dominicain, a publié l'ouvrage suivant : Liturgia domenicana spiegata in tutte le sueparti. 1804. Naples, 2 vol. in-12.

(1805). Léonard Adami, avocat romain, a rendu un grand service à la science de la Liturgie et des antiquités ecclésiastiques, par les précieuses annotations dont il a enrichi le Diario sacro du jésuite Joseph Mariano Partenio, dont le vrai nom est Mazzolari. Ces annotations, qui font tout le mérite scientifique de cet ouvrage, ne se

 

(1) Prov. IV, 18.

 

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trouvent que  dans la seule  édition de  1805. Rome, 7 vol. in-12.

(1805). Alphonse Muzzarelli, ancien jésuite, théologien de la sacrée Pénitencerie, si connu par ses nombreux et savants opuscules, a donné une dissertation intéressante sur le culte du Sacré-Cœur de Jésus. Nous avons encore de lui : Observationes super annotationibus S. fidei pro-motoris super extensione festi atque approbatione officii et misses propriœ in honorera S. Cordis Deiparœ V. M. (1806). Walraff, docteur allemand, a publié le précieux recueil intitulé : Corolla hymnorum sacrorum publicœ devotioni inservientium. Veteres electi sed mendis quibus iteratis in editionibus scatebant detersi, strophis adaucti. Novi adsumpti, récentes primum inserti. Cologne, 1806, in-8°.

(1810). Menne, ecclésiastique allemand, est auteur de , l'ouvrage suivant : Die Liturgie der Kirche systemat. abgehandelt.— La Liturgie de l'Église systématiquement traitée. Augsbourg, 1810, 3 vol. in-8°.

(1816). Le chevalier Artaud, qui, plus tard, a donné au public l'histoire de Pie VII, ouvrage curieux quoique fort incomplet, publia en cette année un livre intitulé : Voyage dans les catacombes de Rome. Paris, in-8°. Nous mentionnons ce livre superficiel et rempli d'inconvenances de plus d'une sorte, par cette seule raison que nous nous sommes jusqu'ici imposé la tâche de produire la succession des auteurs qui ont traité des monuments de Rome souterraine, dont la description et l'appréciation importent si fort à la science liturgique.

(1810). J.-B. Louis-Georges Seroux d’Agincourt, ce généreux archéologue qui s'en vint à Rome pour y passer six mois et y demeura cinquante ans, a élevé un monument à la science liturgique, aussi bien qu'à la science archéologique en général, dans le grand ouvrage auquel il sacrifia toute sa fortune.  Tout le monde sait qu'il est intitulé :

 

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Histoire de l’Art par les monuments, depuis sa décadence au V° siècle, jusqu'à son renouvellement au XV° siècle, 3 vol. in-f° avec 325 planches. Paris, 1810-1823. Les monuments liturgiques sont innombrables dans cette collection, et pour ce qui est des antiquités de Rome souterraine, d'Agincourt a l'honneur d'avoir le premier senti toute la valeur des peintures des catacombes, et fixé le point de départ de l'iconographie chrétienne, en assignant aux 11e et 111e siècles la décoration de plusieurs des fresques de divers cimetières.

(1811). Alexandre-Etienne Choron, musicien célèbre, publia en cette année une brochure intitulée : Considérations sur la nécessité de rétablir le chant de L’Église de Rome dans toutes les églises de l'Empire français. Paris, 1811, in-8°. L'auteur justifie sa préférence pour le chant grégorien, par la supériorité de ce chant sur tous les autres qui n'en sont que des imitations généralement défectueuses; par l'origine même de ce chant qui se trouve être le seul débris, si défiguré qu'il soit, de la musique des Grecs et des Romains; enfin, par l'utilité dont le rétablissement de ce chant peut être pour l'art musical, les compositeurs du XVI° siècle ayant tous, sans exception, choisi les morceaux grégoriens pour thème de leurs compositions. La place nous manque pour faire connaître et pour apprécier les propres travaux de Choron sur le chant ecclésiastique; mais l'occasion se présentera d'y revenir.

( 1816). Augustin Albergotti, évêque d'Arezzo, a donné un livre assez médiocre sous ce titre : La divina Salmodia secondo Vantica e nuova disciplina della Chiesa. Sienne, 1816, in-12.

(1816).  Antoine-Joseph Binterim, mineur observantin, curé de Bilk au diocèse de Cologne, et courageux confesseur de la liberté de l'Église, dans la cause de son glorieux archevêque Clément-Auguste, publia, en 1816, l'ouvrage suivant :  Commentatio historico-critica de libris baptizatorum,

 

 

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conjugatorum et defunctorum antiquis et novis, de eorum fatis ac hodierno usu. Dusseldorf, in-8°. Mais son principal travail sur la science liturgique est l'ouvrage suivant : Die vorzüglichsten Denkwurdigkeiten der christ-catholischen Kirche, aus den ersten, mittlern und letzen Zeiten. — Les principaux monuments de L’Église chrétienne-catholique, des premiers siècles, du moyen âge et des temps modernes. Mayence, 1825-1833, 7 volumes en 16 tomes in-8°. Binterim,dans cet ouvrage où l'on retrouve l'érudition dont il a fait preuve dans ses innombrables écrits, mais aussi peut-être ce défaut de critique qu'on lui a quelquefois reproché, s'est proposé de refaire en grand l'excellent ouvrage de Pellicia, dont nous avons parlé ci-dessus, et que tout le monde connaît sous ce titre : De christianœ Ecclesiœ, primae, medice et novissimœ œtatis politia.

(1817). L'abbé Poussou de la Rozière fit imprimer en cette année un Mémoire sur la Liturgie, que cet auteur défend avec vivacité dans une lettre insérée dans l'Ami de la Religion (1). Cette utopie est assez semblable à celle de Dufaud, et vient accroître le nombre des tristes manifestations de l'esprit d'anarchie en matière liturgique.

(1817). Ziegler, bénédictin, évêque de Lintz, est connu par l'ouvrage qu'il a donné sous ce titre : Die der heiligen Firmung der katholischen Kirche. — La solennité de la sainte Confirmation dans l'Église catholique. Vienne, 1817, in-4°.

(1817). Jean-Christian-Guillaume Augusti, illustre docteur protestant, a rendu un service signalé à la science . liturgique, en publiant le grand et bel ouvrage intitulé : Denkwürdigkeiten aus der christlichen Archäologie. — Mémoires d'Archéologie chrétienne. Leipsik, 1817-1823. 6 vol. in-8°.

 

(1) Tom. X, page 3o2 et suivantes.

 

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(1817). Auguste-Jacques Rambach, docteur luthérien, a pareillement mérité de la Liturgie, en publiant la compilation qui porte ce titre : Anthologie christlicher Gesange aus allen Jahrhunderten der Kirche. Anthologie de chants chrétiens de tous les siècles de l'Église. Leipsik, 1817, in-8°. Ce volume renferme les principales hymnes grecques et latines recueillies religieusement par Rambach. Il a été suivi de plusieurs autres qui contiennent les cantiques protestants de l'Allemagne, depuis Luther.

(1818). Le docteur Bjorn, Danois, s'est occupé de travaux sur l'hymnographie, et a publié comme Rambach une collection d'hymnes à laquelle il a donné ce titre : Hymni veterum poetarum christianorum Ecclesiœ latinœ selecti. Copenhague, 1818, in-8°.

(1819). Fr. Brenner, chanoine de la cathédrale de Bam-berg, a fait paraître l'ouvrage suivant, dans lequel il professe les sentiments de l'école rationaliste à laquelle il appartient : Geschichte über die Administration der hl. Sakramente. — Histoire de l'administration des SS. Sacrements. La première partie, qui renferme le Baptême, la Confirmation et l'Eucharistie, a paru à Bamberg, 1819-1824. 3 vol. in-8°.

(1819). Frédéric Münter, évêque de Seeland en Danemark, nous appartient pour son savant opuscule publié à Copenhague, en 1819 ( 36 pag. in-4°), et intitulé : Symbola veteris Ecclesiœ, artis operibus expressa. L'auteur y traite de vingt-quatre des principaux symboles du christianisme. Il s'est exercé de nouveau sur le même sujet, avec plus d'étendue, sous ce titre : Sinnbilder und Kunstvorstellungen der alten christen. — Images symboliques et représentations figurées des anciens chrétiens. Altona, 1825, parties I et II, in-4°.

(1820). J. Michel Sailer, le saint et savant évêque de Ratisbonne, compte parmi ses nombreux ouvrages plusieurs compositions sur les matières de la Liturgie. Nous

 

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citerons, entre autres, Geist und Kraft der kathol. Liturgie. — Esprit et vertu de la Liturgie catholique. Munich, 1820, in-12. Nous devons mentionner aussi l'ouvrage suivant : Gedanken von der Abanderung des Breviers.Réflexions sur le changement de bréviaire, avec les remarques de F. X. Christman. Ulm, 1792, in-8°.

(1822). Fr. Grundmayr, docteur catholique, a donné, entre autres écrits liturgiques, Liturg. Lexicon der römischkathol. Kirchen Gebrauche. — Lexique liturgique des usages de l'Église catholique romaine. Augsbourg, 1822, grand -in-8°.

(1824). Le docteur Jean Labus, savant milanais, est connu dans la science de l'archéologie catholique, par un grand nombre de dissertations, imprimées les unes à part, les autres dans des recueils périodiques ou académiques. Les Fasti della Chiesa, ou Vies des Saints pour tous les jours de l'année, qui ont paru à Milan, 12 vol. in-8°, 1824 et années suivantes, sont remplis de notes fournies par Labus, et presque toutes d'un grand intérêt pour les amateurs des origines liturgiques.

(1824). Louis Gardellini, assesseur de la Congrégation des Rites et sous-promoteur de la Foi, a dirigé l'impression des Décrets authentiques de la Congrégation des Rites. Cette collection si importante a paru à Rome en 7 vol. in-4° (1824-1826). L'impression du huitième n'est pas achevée. L'auteur, que la science liturgique a perdu depuis, avait commencé dans le septième volume à fortifier son texte de notes excellentes; ce plan paraît avoir été adopté par son successeur, dans les cent trente premières pages du huitième volume, qui ont déjà été livrées à l'empressement du public.

(1825). Fornici, ecclésiastique romain, a donné, pour l'usage du séminaire romain, l'ouvrage suivant qui est tout à fait élémentaire : Institutiones liturgicœ ad usum seminarii romani. Rome, 1825, 3 vol. in-12.

 

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(1826). J. A. Gall, évêque d'Augsbourg, est auteur du livre intitulé : Andachtsübungen, Gebrauche u. Ceremonien der Kirchen. — Pratiques, usages et cérémonies de l'Église. Augsbourg, 1826, in-8°.

(1829). F. R. J. Antony, docteur allemand, a publié l'ouvrage intitulé : Archaolog-liturgisches Lehrbuch des gregorianischcn Kirchengesangs. — Institutions archéologico-liturgiques sur le chant ecclésiastique grégorien. Munster, 1829, in-4°. — Nous citerons à ce propos le livre du docteur Hoffmann de Falersleben, professeur à l'Université de Breslau, quoique nous n'ayons pu encore nous le procurer. En voici le titre : Geschichte des katholischen Kirchenliedes in Deutschland. — Histoire du chant religieux catholique en Allemagne.

(1829). André Müller,  chanoine de Wurtzbourg, est connu par Lexicon des Kirchenrechts und der  romisch . kathol.  Liturgie. —  Dictionnaire de  droit ecclésiastique et de Liturgie catholique-romaine.  Wurtzbourg, 1829-1832. 5 vol. in-8°.

(1829). Theobald Lienhart, supérieur du séminaire de Strasbourg, est connu dans le monde liturgique par l'ouvrage suivant : De antiquis Liturgiis et de disciplina arcani. Strasbourg, 1829, in-8.

(1829). J.-B. Salgues, ancien doctrinaire, fameux par plusieurs ouvrages dont l'esprit et le ton contrastent grandement avec les habitudes de son premier état, appartient à notre bibliothèque par le livre intitulé : De la littérature des offices divins. Paris, 1829, in-8. L'auteur y professe la plus expansive admiration pour les nouvelles hymnes et proses, et aussi le plus grotesque dédain pour les œuvres de la poésie catholique. Sous ce point de vue, l'ouvrage est monumental.

(183o). Toussaint-Joseph Romsée, autrefois professeur de Liturgie au séminaire de Liège, a donné divers traités de Liturgie pratique, assez médiocres, qui ont été réunis

 

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ensemble dans l'édition complète de ses œuvres, donnée à Malines, 1839, 5 tomes in-12.

(183o). Ambroise Guillois, curé de Notre-Dame du Pré, au Mans, a fait paraître, vers cette année, un petit ouvrage intitulé : Le Sacrifice de l'Autel, ou explication des cérémonies de la messe solennelle. Le Mans, 2 vol. in-18.

(183o). Un ecclésiastique de Rouen, qui a gardé l'anonyme, prit, en cette même année, la défense des nouveaux bréviaires de France, à l'occasion de la controverse soulevée par le Mémorial catholique. Son ouvrage est intitulé : Dissertation sur la légitimité des bréviaires de France, et du Bréviaire de Rouen en particulier. Rouen, in-8.

(1832). J.-L. Locherer, docteur allemand, a donné l'ouvrage qui suit : Lehrbuch der christkirchlichen Archäologie. — Institutions d'archéologie chrétienne et ecclésiastique. Francfort, 1832, in-8.

(1832). J. Dobrowsky est auteur d'un ouvrage intitulé: Ueber den Ursprung der romisch-slavischen Liturgie.— Sur l’origine de la Liturgie romaine-slave. Prague. 1832, in-8.

(1832). William Palmer, professeur au collège de Worcester, s'est occupé de la science liturgique sous le point de vue anglican : Origines Liturgicœ, or Antiquities of the Englisch Ritual, and a dissertation on primitive Liturgies. — Origines Liturgicœ, ou Antiquités du rituel anglais, et dissertation sur la Liturgie primitive.

(1833). Jean England, évêque de Charlestown, a fait paraître le livre intitulé : Explanation of the Ceremonies of the holy Weeck.Explication des cérémonies de la  Semaine sainte. Rome, in-12.

(1833). Joseph Settele, professeur au collège de la Sapience, à Rome, et profond archéologue, a donné cette année un  savant  opuscule sur les  Stations  de Rome

 

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intitulé : Notizie compendiose délie sagre Stazioni e Chiese Stazionali di Roma. Rome, 1833, in-12. Nous lui devons en outre un excellent mémoire, sur  l’importance des monuments chrétiens des Catacombes, qui se trouve au second tome des Atti dell’Accademia Romana d'archeologia, et plusieurs autres dissertations sur des sujets analogues dans la même collection.

(1834). Joseph Marzohl, aumônier de l'hôpital du Saint-Esprit, à Lucerne, et Joseph Schneller, membre de la Société historique de la Suisse, publient en ce moment un ouvrage plein d'érudition, intitulé : Liturgia sacra, oder die Gebrauche und Alterthümer der katholischen Kirche, sammt ihrer hohen Bedeutung nachgewiesen aus den Schriften der frühesten Jahrhunderte, und aus andern beivahrten Urkunden und seltenen Kodizen.Liturgia sacra, ou les Usages et Antiquités de l'Église catholique, avec leur haute signification d'après les saintes Écritures, et les écrits des premiers siècles, et autres monuments authentiques et manuscrits rares. Lucerne, 1834-1841, in-8, 4 volumes ont déjà paru.

(1834). Un anonyme italien, qui prend le nom de Filadelfo, a publié un curieux ouvrage de Liturgie pratique, sous ce titre : Ritonomia ecclesiastica; la scienza dei sacri riti discussa canonicamente, e decisa moralmente. Lucques, 1834, 2 gros volumes in-18.

(1834). Jean Diclich, prêtre vénitien, est auteur d'un Dizionario sacro-liturgico, qui renferme plusieurs choses intéressantes. La troisième édition, la seule que nous connaissions, est de Venise, 1834. 4 vol. in-8.

(1834). Philbert, l'un des rédacteurs de la Biographie universelle, appartient à notre bibliothèque par un Manuel des Fêtes et Solennités, publié à Paris, 1834, in-16.

(1834). L'abbé Pascal, prêtre du diocèse de Mende, a fait paraître, en cette année, un livre intitulé : Entretiens

 

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sur la Liturgie ; nouvelle explication des prières et cérémonies du Saint Sacrifice, suivie de la lettre curieuse de Dom Cl. de Vert au ministre Jurieu, sur les paroles et les actions du prêtre à l'autel, et d'une Mosaïque sacrée ou Ordinaire de Messe composé de fragments de divers rites du monde catholique. Paris, in-12. L'auteur promet depuis longtemps, sous le titre de Rational liturgique, un ouvrage qui fera faire, sans doute, un grand pas à la science, et dont la publication est vivement désirée.

(1835). L'abbé Lecourtier, curé des Missions étrangères, puis Théologal de Notre-Dame de Paris, publia, en 1835, un Manuel de la Messe, ou Explication des prières et des cérémonies du Saint Sacrifice. Paris, in-18. Il a donné, Tannée suivante, deux volumes in-18, sous ce titre : Explication des Messes de l'Eucologe de Paris. 2 vol. in-18.

(1835). Antoine-Adalbert Hnogek, professeur au séminaire de Leimeritz, en Bohême, s'est fait connaître par son livre intitulé : Christkatholische Liturgie.— Liturgie chrétienne-catholique. Prague, 1835-1837.L'ouvrageaura trois volumes, dont deux seulement ont paru.

(1835). Staudenmaier,docteur catholique, a fait paraître à Mayence l'ouvrage suivant : Geist des Christenthumes dargestellt in den hl. Zeiten, in den hl. Handenlungen, und in der hl. Kunst. — L'Esprit du christianisme exposé dans les saints Temps, les saintes Cérémonies et l’Art saint. 1835, in-8.

(1835). Nickel, prêtre catholique, comme le précédent, a donné l'ouvrage suivant, imprimé pareillement à Mayence : Die heiligen Zeiten und Feste nach ihrer Geschichte und Feier. — Les saints Temps et les Fêtes d'après leur histoire et solennité. 1835, in-8. : (1835). François-Xavier Schmid, curé dans le diocèse de Passau, est auteur de l'excellent livre intitulé: Liturgik der  christkatholischen Religion.  Liturgique de la

 

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Religion  catholique. Passau, 1835,  in-8.  La troisième édition se publie maintenant par livraisons, dont la première est de 1840.  Il a publié, en outre : Grundrisz der Liturgik. — Plan de la Liturgique, Passau, 1836, in-8.

(1836). C. Chiral, curé de Neuville-l'Archevêque, au diocèse de Lyon, a donné : Esprit des cérémonies de l'Église. Lyon, 1836, in-12.

(1836). A. Welby Pugin, professeur d'antiquités ecclésiastiques au collège catholique de Sainte-Marie d'Oscott, a puissamment avancé la régénération de l'art catholique en Angleterre, par la publication de plusieurs recueils de monuments accompagnés de planches. Nous citerons le plus piquant et le plus populaire de tous. Il est intitulé : Contrasts, or a parallel belwen the noble édifices of the fourteenth and fitteenth centuries, and similar buildings of the present day; shewing the présent decay of taste. Contrastes, ou Parallèles des nobles édifices du XIV° et XV° siècles, et les bâtiments actuels du même genre, faisant voir la décadence du goût. Londres, 1836, in-4. Pugin traite en particulier des églises, autels, tombeaux, habits sacerdotaux, etc.

(1837). Le  vicomte  Walsh est auteur de l'ouvrage suivant: Tableau des fêtes chrétiennes. Paris, 1837, in-8.

(1837). Raoul Rochette, savant archéologue, connu par 1 d'importantes publications sur l'art antique, a abordé depuis avec succès la matière des antiquités de Rome souterraine. Plusieurs dissertations sur ce sujet insérées dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, ont annoncé un homme rempli d'érudition et de sagacité. Il est à regretter qu'une plus intime connaissance de l'antiquité chrétienne proprement dite lui ait manqué ; ce qui l'a entraîné dans quelques écarts. Ces inconvénients ont presque entièrement disparu dans l'excellent petit volume que l'auteur a donné, en 1837, sous ce titre : Tableau des Catacombes de Rome, in-12,

 

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Raoul Rochette avait publié, en 1834, un Discours sur l'origine, le développement et le caractère des types imitatifs qui constituent l’Art du christianisme. Paris, in-8. Cet opuscule remarquable, comme toutes les publications de l'auteur, pourrait être avantageusement modifié en la manière que l'ont été ses dissertations sur les antiquités des cryptes romaines.

(1838). En cette année a paru à Leipsik, sous le nom d'un écrivain allemand nommé Murait, l'ouvrage suivant : Briefe uber den Gottesdienst der morgenlandischen Kirche. — Lettre sur le Service divin de l'Église orientale. C'est une traduction de l'ouvrage russe d'André Nicolaiewitsch Murawieff.

(1839). L'abbé Charvoz a publié un petit volume sous ce titre : Précis d'Antiquités liturgiques, ou le Culte aux premiers siècles de l'Église. Lyon,  183g, in-12.

(1839). François de Schwinghannb est auteur d'un opuscule intitulé : Ueber Kirchensprache und Landessprache in der Liturgie. — Sur la langue de l'Église et la langue nationale dans la Liturgie. Lintz, in-12.

(1839). L'abbé Cousseau, chanoine de la cathédrale de Poitiers, s'est fait connaître dans la science liturgique par un Mémoire sur l'auteur du Te Deum, qu'il attribue à saint Hilaire. Nous avons parlé ailleurs de cet opuscule, qui est, au reste, d'une dimension fort restreinte. L'année suivante, l'auteur a donné un second Mémoire, mais plus sérieux sur l'ancienne Liturgie du diocèse de Poitiers, et sur les monuments qui nous en restent. In-8. Il est à regretter que ce travail vraiment remarquable porte trop souvent la trace des préjugés que l'oubli presque général de la véritable histoire de la Liturgie a rendus si communs de nos jours.

(1840). Joseph Kehrein, professeur au gymnase de Mayence, a publié, en cette année, le recueil suivant : Lateinische Anthologie aus den christlichen Dichtern des

 

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Mittelalters. — Anthologie latine des Poètes chrétiens du moyen âge. Francfort, 1840, in-8. Ce recueil est destiné  aux gymnases et lycées catholiques. Le premier volume, le seul qui soit venu à notre connaissance, renferme les hymnes des huit premiers siècles de l'Église. Le temps viendra sans doute aussi où dans nos petits séminaires de France on étudiera les bonnes vieilles hymnes catholiques.

(1840). Daniel Rock, prêtre catholique anglais, est auteur d'un ouvrage remarquable qui a paru à Londres sous ce titre : Hierurgia; or the holy Sacrifice of the Mass. Hierurgia, ou le saint Sacrifice de la Messe. 2 vol. in-8.

(1841). Nous rattachons à cette année les Conférences sur les cérémonies de la Semaine Sainte à Rome, par Monseigneur Nicolas Wiseman, évêque de Mellipotamos et vicaire apostolique en Angleterre. Le livre est en anglais, et a été publié en français par M. l'abbé de Valette, en 1841 (Paris, in-12). Cet opuscule fort remarquable à tous égards se recommande surtout par des aperçus pleins de goût et de largeur sur la valeur des formes liturgiques. Malgré sa faible dimension, il est digne de l'illustre et savant prélat auquel nous devons déjà, pour ne parler que de l'objet de nos études, une précieuse dissertation, publiée à Rome, il y a quelques années, sur la Chaire de saint Pierre, que l'on conserve dans la basilique vaticane, et dont nous parlerons ailleurs. Dans la préface de ses Conférences sur la Semaine Sainte, Monseigneur Wiseman mentionne deux ouvrages récents, publiés par deux de ses compatriotes sur le même sujet, le docteur England, évêque de Charlestown, aux Etats-Unis, dont nous avons annoncé le livre ci-dessus, et le docteur Baggs, vice-recteur du collège anglais, à Rome.

(1841). Henri Gossler, prêtre régulier, curé dans le diocèse de Paderborn, vient de publier un livre de prières, dans lequel se trouvent fondues presque toutes les paroles

 

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de la Liturgie romaine, avec le texte de l’ Imitation de Jésus-Christ. Cette œuvre tout allemande dans sa forme, annonce une connaissance profonde des choses de la prière dans son auteur. Elle porte ce titre : De Vita et Imitatione Christi Libri IV, redacti in seriem dominicalem et festivalem. Paderborn, 1841, énorme in-18.

(1841). Herman-Adalbert Daniel, docteur de l'Université de Halle, a grandement mérité de la science liturgique, et s'est acquis des droits à la reconnaissance des catholiques, par l'importante collection qu'il vient de publier sous ce titre : Thesaurus hymnologicus, sive hymnorum, canticorum, sequentiarum, circa annum MD. usitatarum collectio amplissima. Hall, 1841, in-8. Le premier volume, le seul qui ait encore paru, ne contient que les hymnes, Daniel les a enrichies de notes et de scholies remplies d'érudition, et remarquables aussi par le ton plein de décence avec lequel il parle de nos croyances, et spécialement du culte du saint Sacrement, de la Croix, de la sainte Vierge et des Saints. Tous ces cantiques papistes n'ont rien qui le scandalise ; il s'y délecte comme dans des œuvres de la vraie piété, de la piété chrétienne; il en admire la haute et suave poésie; en un mot, la publication du docteur Daniel est un événement pour le protestantisme allemand, et aussi une sévère critique de ces catholiques de France qui n'ont chargé les Santeul et les Coffin de leur composer des hymnes, que parce qu'ils pensaient que, jusqu'à ces deux latinistes, l'hymnographie n'avait rien produit que de barbare et d'indigne du culte divin.

(1841). Un autre protestant vient de publier un livre fort remarquable, et destiné aussi à constater le malaise que produit de plus en plus au sein de la Réforme l'absence des formes et des habitudes liturgiques. On trouvera à ce sujet les aveux les plus étonnants dans le livre intitulé : Des beaux-arts et de la langue des signes

 

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dans le culte des Églises réformées, par C.-A. Muller. Paris, 1841, in-8.

En terminant cette bibliothèque des auteurs liturgistes du XIX° siècle, nous devons mentionner les travaux qui ont été publiés, de notre temps, dans plusieurs recueils , périodiques et dans les Mémoires des sociétés savantes, sur divers objets de la science qui nous occupe. Ainsi, nous devons dire qu'il n'est pas un volume des Actes de l’Académie romaine d'Archéologie qui ne renferme plusieurs Mémoires précieux sur les antiquités du service divin. Des dissertations nombreuses sont publiées journellement à Rome et dans les autres villes de l'Italie sur des points d'archéologie sacrée, et ce serait rendre un immense service à la science que d'en former une collection dans le genre de celle que fit paraître le P. Calogéra, au XVIII° siècle. Malheureusement, il faut bien convenir que la France ne marche pas à la tête de ce mouvement, et pour bien apprécier l'état de la science liturgique en ce pays, il suffit sans doute de considérer la faiblesse et la mince importance de la plupart des ouvrages dont nous avons tâché de mettre sous les yeux du lecteur la liste, incomplète peut-être, mais pourtant assez fidèle.

Nos recueils périodiques ont été longtemps presque stériles sur les questions liturgiques ; cependant, nous avons été grandement aidé, comme on a pu le voir, par certains articles historiques de l’Ami de la Religion. Il ne nous appartient pas de juger ceux que nous insérâmes nous-même, en 183o, dans le Mémorial catholique, et qui furent reproduits en entier, à Lucques, dans le recueil si connu sous le nom de Pragmalogia catholica. L’Univers, dans ces dernières années, a ouvert ses colonnes à des discussions intéressantes sur diverses matières liturgiques, et on y a lu plusieurs lettres de M. l'abbé Pascal, et plusieurs articles de M. Didron, sur des questions d'une véritable importance.

 

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Si maintenant Ton considère les nombreux travaux qui s'exécutent en France, depuis quelques années, dans le but si  louable de  conserver  et d'expliquer les monuments religieux du moyen âge, on a lieu de penser que, de ce : côté, du moins, la bibliothèque liturgique du XIX° siècle est en mesure de prendre un  accroissement colossal. Il est fâcheux que la partie de ces études qui concerne la description  raisonnée et l'interprétation sérieuse des monuments religieux et des usages qui s'y rattachent se trouve traitée d'une manière aussi peu satisfaisante. Sans parler de la précipitation  et souvent aussi de l'absence complète de connaissances spéciales dans les auteurs, on sent aisément que ces matières vont mal aux mains des séculiers, mais surtout de ceux qui ne portent aux choses catholiques qu'un intérêt d'amateur. Il serait néanmoins injuste de ne pas distinguer, au milieu de ce déluge toujours croissant d'élucubrations archéologiques, certaines œuvres qui méritent les égards et la reconnaissance des catholiques. Nous avons  mentionné  ci-dessus Séroux d'Agincourt; nous nous ferons un devoir de rappeler ici le grand et bel ouvrage de Boisserée sur la cathédrale de Cologne, et plus tard les publications de M. de Caumont, qui a la gloire d'avoir accéléré puissamment le mouvement conservateur dont nous sommes témoins.  Nous dirons aussi que M. du Sommerard marche à grands frais et avec zèle sur les traces de d'Agincourt. Enfin, le clergé s'ébranle et se  prépare à ressaisir une  science qui lui appartient en propre. M. l'abbé Bourassé vient de donner aux  séminaires un  utile Manuel d'archéologie,  et les RR. PP. Arthur Martin et Charles Cahier, de la Compagnie de Jésus, publient en ce moment les vitraux de la cathédrale de Bourges, avec une fidélité de dessin et une magnificence typographique qui ne sont égalées que par la lucidité et la profondeur du commentaire liturgique et archéologique qui encadre l'œuvre tout entière.

 

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Nous voici enfin parvenu au terme de la difficile carrière que nous nous étions tracée : notre Introduction historique à l'étude de la Science Liturgique est maintenant sous les yeux du lecteur. Nous ne placerons pas de conclusions à la fin de ce chapitre, comme nous l'avons pratiqué jusqu'ici ; les corollaires d'un tel récit se tirent assez d'eux-mêmes.

Il ne nous reste donc plus qu'à offrir nos actions de grâces au Dieu tout-puissant dont la miséricorde nous a soutenu dans cette première partie d'un labeur si rude et si difficile : après quoi, nous le supplierons de nous remplir de son Esprit, afin que nous puissions devenir capable d'expliquer à nos frères en Jésus-Christ et en la sainte Église, les ineffables merveilles de la Liturgie sacrée.

 

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NOTES  DU CHAPITRE XXIV

 

NOTE A

 

Nos Joannes-Baptisfa, tituli sancti Honuphrii, S. R. E. Presbyter cardinalis Caprara, archiepiscopus Mediolanensis, SS. DD. nostri Pii Papas VII, et Sanctae Sedis apostolicae ad Francorum Imperatorem, Italias Regem, a latere Legatus.

 

Instructio de S. Napoleonis festo, de processione, ac gratiarum actione, et de papali benedictione.

 

§  I

 

Revendissimi antistites, dominica I. Augusti, cujuslibet anni, per encyclicas litteras, vel alio convenienti modo, ipsis beneviso;

1°Ad formam nostri Decreti, cui initium : Eximium Catholicae Religionis, publice nuntient festum S. Napoleonis, martyris, quod idem Restitutionis catholicae religionis festum est, in solemnitate Assumptionis B. M. V. occurrens.

2° Similiter indicent processionem, seu supplicationem, et gratiarum actionem, juxta receptum Ecclesiae ritum, de more habendas.

3° Publicent item plenariam indulgentiam, de apostolicae Sedis specialissima gratia, tum papali benedictioni, post pontificalem missam, ut infra, largiendae, addictam, tum Christi fidelibus processioni et gratiarum actioni, devote interessentibus, juxta memorati Decreti formam, benigne concessam.

 

§ II

 

1° Elogium, seu Lectio S. Napoleonis erit sequens.

« Sub immani, et omnium teterrima Diocletiani et Maximiani persecutione, per universum Romanum imperium saevissime factitatum est, ut Christi fideles, suppliciorum vi perterriti vel devicti, a fide recederent, aut cunctis ubique peremptis, christianum nomen deficeret. At dum impia persequentium immanitas propria feritate confringebatur, et immites carnifices, improbo labore, laxabantur, milites Christi Coelitus roborati, ita congrediebantur impavidi, et consistebant invicti, ut praeconcepta insectantium spes ipsos fefellerit, et profusus martyrum sanguis semen fuerit christianorum. Inter fidei confessores, quam merito recensentur, qui atrox pro Christo certamen Alexandriae in Aegypto, mira fortitudine,  tunc  sustinuerunt. Horum  quidam, ipso  in agone,

 

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gloriose occubuerunt; alii jam crudeliter divexati, in nervo jacebant, pedibus ad quatuor usque foramina sic divaricatis, ut supini esse cogerentur; nonnulli vulneribus referti, et multipliciter excogitata tormentorum genera corporibus suis circumferentes, humi projecti decumbebant; et quidam denique semineces conjiciebantur in carcerem. Ex his, quibus carcer pro stadio fuit, martyrologia, et veteres scriptores commendant Neopolim, seu Neopolum, qui, ex more proferendi nomina, medio aevo, in Italia invalescente, et ex recepto loquendi usu, Napoleo dictus fuit, atque italice Napoleone communiter nuncupatur. Napoleo igitur genere vel munere illustris, sed Alexandrias, sub extrema Diocletiani et Maximiani persecutione, ob firmam in confessione constantiam, et constantem in passione firmitatem, illustrior, dire excruciatus, semivivus in carcerem tandem detrusus, ibi vulnerum acerbitate peremptus, et exanguis, pro Christo, in pace quievit. »

2° Consequenter, orationes S. Napoleonis addendae in missa Assumptionis B. M. V., sub unica conclusione : Per Dominum nostrum, etc, erunt DE MARTYRE NON PONTIFICE, et ad conformitatem servandam, assumantur ex missa Laetabitur, cujus prima est.

 

ORATIO.

 

« Praesta, quaesumus, omnipotens Deus, ut, intercedente S. Napoleone martyre tuo, et a cunctis adversitatibus liberemur in corpore, et a pravis cogitationibus mundemur in mente. Per Dominum, etc. »

 

§ III

 

Papalis benedictio sequenti forma, et modo detur.

1° Expleta pontificali missa, praesul cum mitra, caeterisque sacris paramentis de more indutus, circumstantibus ministris, in episcopali cathedra sedeat.

2° Interim perdiaconum, vel alium ministrum superpelliceo indutum praefati nostri Decreti articulus, quo de specialissima apostolica auctoritate conceditur facultas papalem benedictionem impertiendi, alta voce primum latine legatur, et subinde vulgari lingua, ad populi intelligentiam, recitetur.

3° Publicetur similiter concessio plenariae indulgentiae, sequenti formula :

« Attentis facultatibus a Sanctissimo in Christo Patre, et Domino nostro, Domino Pio, divina Providentia, papa septimo, per apostolicum decretum Eminentissimi Domini cardinalis archiepiscopi Mediolanensis, a latere Legati, datis Reverendissimo Domino N. Dei et Apostolicae Sedis gratia hujus sanctae N. Ecclesias antistiti; eadem Dominatio sua, Summi Pontificis nomine, dat et concedit omnibus hic praesentibus, vere paenitentibus, et confessis, ac sacra communione refectis, indulgentiam plenariam in forma Ecclesiae consueta : rogate igitur Deum, pro felici statu

 

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sanctissimi Domini nostri Papae, Dominationis  suae reverendissimae, et sanctae Matris Ecclesiae. »

4° Postmodum praesul surgat, et, deposita mitra, veluti canendo, alta voce dicat :

« Precibus et meritis beatae Mariae semper virginis, beati Michaelis, archangeli, beati Joannis Baptistae, et sanctorum apostolorum Petri et Pauli, et omnium sanctorum.

« Misereatur vestri omnipotens Deus, et dimissis omnibus peccatis vestris, perducat vos Jesus Christus ad vitam aeternam.

« Indulgentiam, absolutionem et remissionem omnium peccatorum vestrorum, spatium verae et fructuosae paenitentiae, cor semper paenitens, et emendationem vitae, perseverantiam in bonis operibus tribuat vobis omnipotens et misericors Dominus. »

R/. Amen.

 

5° Hic praesul propius accedat populum versus, illico pulsentur campanae, organa, atque alia, si quae sint instrumenta, et cum sacra majori qua fieri poterit pompa ita benedicat :

« Et benedictio Dei omnipotentis, Pa+tris et Fi+lii, et Spiritus+Sancti, descendat super vos et maneat semper. »

R/. Amen.

 

Quo vero tam institutae festivitatis, et quotannis indicendarum precum, quam apostolicarum gratiarum memoria ubique perenniter servetur, reverendissimi antistites, tum decretum : Eximium Catholicae religionis, tum instructionem hanc in publicis respectivae Curioe actis de more referri praecipient, prout nos, ut ita referantur, enixe commendamus.

Datum Parisiis, ex aedibus nostrae residentiae hac die 21 maii 1806.

 

J.-B., Cardin. Legat.

Vincentius Ducci.

A Secretis in Ecclesiasticis.

 

NOTE B

 

PETRUS LUDOVICUS PARISIS,

 

MISERATIONE DIVINA ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICE GRATIA, EPISCOPUS LINGONENSIS, UNIVERSO CLERO  DIOCESIS NOSTRE SALUTEM ET BENEDICTIONEM IN DOMINO.

 

Non vos latet, Fratres dilectissimi, quot et quantis usuum contrarietatibus laboret, in hac nostra dioecesi, officii divini celebratio : saepe saepius unusquisque vestrum ingemuit de illa rituum, inter vicinas paroecias, varietate et etiam oppositione, quae eo usque devenit ut fideles pro diversis Ecclesiis mutari cantus ceremoniasque videntes, aliquando dubitare

 

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propemodum possint utrum eidem cultui consecrentur templa tam diverso religionis apparatu  frequentata.

Huic unitatis externae perturbationi nedum medeatur zelus pastorum parochialium, novos quotidie superadjicit abusus, cum ad regimen sui gregis unusquisque propriae voluntati permissus ascendat, regulaque generali indigeat, tum ad sui ipsius, tum ad choro assistentium moderamen. Porro facillime intelligetis, dilecti Fratres, quantum inde detrimentum patiatur sanctissima et venerabilis Ecclesia, sponsa Christi, quam decet non habere maculam aut rugam, praesertim in hac nostra aetate tot impiarum cogitationum procellis agitata et super omnia, indifferentiae circa religionem morbo afflicta et constuprata. Dum enim inter alias verae Ecclesiae notas, sua ante omnia Unitas effulgere, et a sectis dissidentibus illam discriminare debeat, populi, qui de interioribus rebus a solis apparentiis judicium adducunt, tot diversitatum in ritibus testes, a se invicem postulant utrum vere sit una eademque super omnem terram illa Ecclesia catholica quae etiam intra limites unius dioeceseos tam sibi contraria videtur : ita ut, propter nostrum in servitio divino statum, Christus in opinione gentium dividatur et religionis suae radius infuscetur et obnubiletur.

Tantae perniciei totque periculorum conscii jamdudum diu noctuque cogitantes, Patremque luminum instantissime efflagitantes quaerebamus quonam modo, omnes nostrae dioeceseos parochias, in illa tam sancta, tam desiderata, tam fidelium utilitati et aedificationi adaptata ritus officiique unitate complecti possemus : et post longos cogitationum circuitus, omnibus studiosissime examinatis et omnimodo pensatis, Nobis visum est redeundum esse ad Liturgiam Matris Ecclesiae Romanae, quae, cum ipsa centrum sit unitatis firmissimaque veritatis columna, Nos cum nostra gente, contra varietatum fluctus, mutationumque tentationes muniet et tutabitur. Huic vero sententiae tanto magis adhaerere debuimus, quanto nulla alia media potuissemus adhibere quin eveniret magna perturbatio reipublicae christianae intra gregem Nobis a divina voluntate permissum,

Ne autem ex remedio fiat aliud malum, et ut sensim omnes eidem regimini non coacte sed spontanee se submittant, considerandum est majorem nostrae dioeceseos partem olim ritibus Romanis subjacuisse, alias vero partes ex diversis dioecesibus fractas Romanis usibus extraneas remansisse. Distinguendum est etiam inter officium publicum a quocumque sacerdote pro obligatioriis ordinis sui recitandum, et officium quod nuncupabimus liturgicum coram populo cantandumet celebrandum.

Quibus positis et distinctis, hoc declaramus et statuimus :

1° A prima die anni 1840, Liturgia Romana erit propria diceceseos Lingonensis.

2° Ab eadem die in parochiis quondam ad dicecesim Lingonensem pertinentibus, officium, ritus, cantus, ceremoniae et omnia quae ad cultum spectant, fient juxta regulas Liturgiae Romanae.

 

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3° Parochiis, quas ad aliarum dioeceseum circumjacentium ritus non-dum omnino reliquerunt, permittimus quidem ut, ad tempus, utantur suis propriis libris, sed volumus ut sequantur aliunde omnia quas describit et praecepit Ordo pro anno 1840.

4° Sacerdotes qui huc usque breviarium jussu RR. DD. d'Orcet editum recitarunt, poterunt quidem eadem recitatione sui officii praeceptum adimplere; hortamur tamen, et melius erit, ut omnes breviario Romano utantur.

Quanquam illud decretum nostrum ad bonum sanctae religionis nostrae et ad curationem mali publici sit emissum, non ignoramus tamen aliquid forte molestiae aut inquietudinis inde pluribus eventum iri. Quos rogamus ut ad Nos filiali cum fiducia recurrant, non ut dispensationem obtineant, sed ut difficultates, si quas sint, a Nobis explanentur, utque etiam melius intelligant Nos ad hanc viam adductos esse, non aliqua nostra inclinatione vocatos, sed urgente necessitate et conscientia reclamante compulsos et coactos.

Omnes vos igitur, Cooperatores et adjutores nostri in Domino, obsecramus ut huic tanto operi opem, quantum in Vobis est, afferatis, adeo ur sicut inter nos unus Dominus, una fides, unum baptisma, sit etiam populus unius labii.

Datum Lingonis, sub signo sigilloque nostris, necnon et secretarii nostri subsignatione, in festo sanctae Theresiae, die 15a octobris, anni rep. salut. 1839.

 

NOTE C

 

LEÇON IV.

 

Thomas Ken, d'ancienne et noble extraction, naquit à Berkhemstead, dans le Hertfordshire, l'an i63y, et fut élevé à Winton et à Oxford, au moyen de certains fonds laissés à perpétuité par Guillaume de Wikeham, de glorieuse mémoire, évêque de Winton. Ayant reçu les ordres sacrés, Ken commença à prêcher à l'église de Saint-Jean, aux environs de Winton, et quant aux fruits et bénédictions attachés à sa prédication, il l'emportait grandement sur tous les autres prédicateurs; de sorte que plusieurs anabaptistes rentrèrent dans le sein de l'Eglise et reçurent le baptême de sa main. Il dormait très peu, afin de trouver au milieu de sa vie active le temps pour l'étude et pour la prière; il se levait habituellement à une ou à deux heures après minuit, et même souvent encore plus tôt, et il conserva cette coutume jusqu'au moment de sa dernière maladie. Il devint chapelain de la princesse d'Orange, nièce du roi, et se rendit en Hollande, où il sut se concilier l'estime universelle par sa prudence et par son zèle religieux; mais il finit par s'attirer la disgrâce du prince, pour avoir auprès de lui intercédé pour un des courtisans qui avait séduit une jeune demoiselle de la cour; et c'est ainsi qu'il fut obligé de quitter le service royal.

 

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LEÇON   V.

 

Plus tard, se trouvant à Winton à sa maison de prébende, le roi y vint un jour avec sa cour, et ayant auprès de lui sa maîtresse; celle-ci ordonna à son intendant de faire disposer un appartement pour elle, à l'endroit même où demeurait Ken; mais l'évêque, craignant Dieu plus que la présence du roi, refusa énergiquement de céder son logement, et obligea la maîtresse du roi de chercher demeure ailleurs. Et en cette occasion, on put voir encore combien une sainte fermeté est avantageuse à ceux mêmes envers lesquels elle est employée. Car bientôt après, le Siège épiscopal de Bath en Weils étant devenu vacant, le roi, de son propre mouvement, le donna à Ken. Sa consécration eut lieu le jour de saint Paul, l'an 1684. Dans la dernière maladie du roi, Ken vint dans ses appartements et resta auprès du lit du malade, durant trois jours et trois nuits entières, profitant de toutes les occasions pour l'exciter à de pieuses et salutaires pensées. Dans un de ces moments, une des maîtresses étant entrée, l'évêque eut assez d'ascendant sur le roi pour la faire renvoyer, et il l'exhorta en outre de faire appeler la reine et de lui demander pardon de sa longue infidélité. Et bien que l'évêque n'obtînt pas du roi mourant tout ce qu'il eût désiré, du moins fit-il tout ce qu'il put pour l'y engager.

 

LEÇON VI.

 

Le frère du roi étant monté sur le trône, Ken se montra toujours fidèle dans l'exercice de ses devoirs, franc et loyal dans son langage. Plus tard, le roi s'étant permis des empiétements, l'évêque se souvint des droits de l'héritage du Christ, et refusa constamment d'abandonner au bon plaisir du roi la direction des affaires de l'Eglise. Pour le punir, le roi lui fit subir la prison à la Tour, avec six de ses confrères. Mais le roi ayant ensuite perdu son trône, Ken lui prouva sa fidélité, en refusant constamment de reconnaître la dynastie nouvelle, et il préféra sacrifier sa haute position dans l'Etat, plutôt que son attachement au roi. Chassé de son siège par l'autorité séculière, il mourut dans le lieu de sa retraite, en 1710. C'est ainsi qu'il sut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Il était aussi ferme et énergique à la défense de l'Évangile, que doux et agréable dans ses relations particulières, et il supportait les contrariétés avec gaieté et résignation. Il possédait surtout dans un haut degré l'amour du prochain. Un jour que la somme de quatre mille livres sterling lui avait été comptée, il en distribua la plus grande partie aux protestants, alors persécutés; et quand il fut destitue de son siège, tout ce qu'on tira de la vente de ce qu'il possédait ne s'éleva qu'à sept cents livres sterling. Quand les intérêts de l'État vinrent se heurter avec ceux de l'Église d'Ecosse, il disait qu'il avait grand espoir que Dieu aurait pitié de la branche anglaise de l'Église anglicane, si celle-ci avait elle-même pitié de sa sœur d'Ecosse.  Étant près de mourir, il confessa

 

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encore sa foi, disant qu'il mourait dans  cette foi  sainte, catholique et apostolique qui avait été reconnue de toute l’Église, avant la séparation de l’Orient d'avec l'Occident. C'est ainsi que Ken fut une lumière brillante et un reflet des siècles primitifs.

 

FIN DU SECOND  VOLUME.

 

 

 

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