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CHAPITRE VIII : DIGRESSION SUR L'HISTOIRE DES AUTRES LITURGIES D'OCCIDENT : AMBROSIENNE, AFRICAINE, GALLICANE, GOTHIQUE OU MOZARABE,  BRITANNIQUE ET MONASTIQUE.

 

 

NOTES DU CHAPITRE VIII

NOTE A

NOTE B

NOTE C

 

 

Les nécessités de l'histoire que nous écrivons nous obligent à suspendre notre récit pour placer ici quelques notions sur diverses Liturgies qui ont déjà été nommées plusieurs fois, et dont quelques-unes existent encore. Nous consacrerons le présent chapitre aux Liturgies de l'Occident, et le suivant à celles de l'Orient.

La plus ancienne Liturgie de l'Occident, après celle de Rome, est la Liturgie de Milan,connue sous le nom d'Ambrosienne. S'il fallait en croire Jean Visconti (1), saint Barnabe, que les Milanais, depuis plusieurs siècles, vénèrent comme leur apôtre, aurait disposé l'ordre de la messe; saint Miroclès, évêque de la même Église, aurait réglé la psalmodie, et enfin saint Ambroise aurait complété et perfectionné cet ensemble. Malheureusement les preuves manquent totalement à ces assertions, et il est bien plus simple de convenir que l'origine des formes du culte divin, dans l'Église de Milan, se confond avec l'origine même du christianisme. Si les circonstances avaient permis à d'autres églises d'aussi haute antiquité de garder leurs usages primitifs, on retrouverait chez elles la même incertitude. Toutefois, le nom d'Ambrosienne attribué de tout temps à la Liturgie de Milan, prouve très-certainement qu'un aussi grand docteur que saint

 

(1) De Ritibus Missae, Iib. II, cap. XII.

 

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Ambroise a dû, ainsi que tous les plus illustres évêques de l'antiquité, travailler à la correction de la Liturgie de son église. On peut donc lui attribuer un travail analogue à celui de saint Gélase et de saint Grégoire sur le Sacramentaire romain: mais c'est sans aucune espèce de preuve que Pamélius (1) attribue, d'une manière précise, à saint Ambroise, la composition du plus grand nombre des messes, oraisons, et préfaces du Missel ambrosien actuel. Lorsque le saint docteur monta sur le siège de Milan, ayant reçu dans l'espace de quelques jours le baptême et l'épiscopat, il trouva sans doute une Liturgie toute faite, et dut mettre son application à l'exécuter, avant de songer à y faire des changements et des améliorations (2). Dom Mabillon, au tome second du Musæum Italicum, énumère les allusions que présentent les divers écrits de saint Ambroise aux usages liturgiques de son temps, et s'en sert pour fixer jusqu'à un certain point la forme du service divin dans l'Église de Milan, au vie siècle (3). Il dit ailleurs que les fameux livres des Sacrements semblent être le fondement de la plupart des rites ambrosiens (4); mais ce savant homme n'a pas jugé à propos de discerner ceux de ces usages qui ont pour instituteur saint Ambroise, d'avec ceux qui lui sont antérieurs. Cette tâche eût été, en effet, bien difficile, pour ne pas dire impossible, à remplir : toutefois, on peut donner avec certitude à saint Ambroise, outre l'institution du chant alternatif dans l'Occident, un grand nombre d'hymnes qui furent accueillies avec enthousiasme par beaucoup d'églises; jusque-là qu'au rapport de Walafride Strabon (5), en certains lieux, on les chantait même à la messe ; de plus,

 

(1) Liturgia, tom. I, pag. 451.

(2) Lebrun, Explication de la Messe, tom. II, pag. 176.

(3)  Musœum Italicum, tom. I, pag. 101.

(4) De Liturgia Gallicana, lib. I, cap. 2, n° 7, pag. 8.

(5) De Rebus ecclesiasticis, cap. XXV.

 

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les messes des martyrs, dont le saint évêque découvrit les corps, savoir les saints Nazaire et Celse, Gervais et Protais, Vital et Agricole ; un certain nombre de préfaces, que Walafride Strabon nomme Tractatus, en l'endroit déjà cité ; les prières pour la Dédicace de l'église, pour la consécration des saintes Huiles, pour la bénédiction du Cierge pascal, qui toutes portent en tête le nom de saint Ambroise, dans les plus anciens Sacramentaires, etc. Quant aux prières de préparation à la Messe, Summe Sacerdos et Ad mensam dulcissimi, qui sont insérées dans les Missels et les Bréviaires, sous le nom de saint Ambroise, on ne voit rien qui puisse justifier cette assertion. Les Bénédictins, éditeurs de notre saint docteur, n'ont trouvé la première dans aucun manuscrit, et n'ont rencontré la seconde que dans un seul qui ne datait pas d'au-delà de sept cents ans.

Un fait digne de remarque dans la Liturgie ambrosienne, c'est la fréquente conformité avec la romaine. Non-seulement le Canon est presque entièrement semblable, mais un grand nombre d'introït, d'oraisons, d'épîtres, d'évangiles, sont identiquement les mêmes dans les Missels des deux Eglises. Le Bréviaire offre aussi plusieurs ressemblances du même genre. Il semble même que les livres romains aient été imités à Milan, avec une intention toute particulière ; car on trouve au Missel ambrosien la mémoire de sainte Anastasie, dans la seconde messe de Noël, mémoire qui ne convient qu'à la Station qu'on fait à Rome dans l'église de cette sainte, ainsi que nous le dirons ailleurs (1). On trouve en outre au Canon, l'addition de saint Grégoire : Diesque nostros in tua pace disponas. Faut-il attribuer cette conformité à

 

(1) On ne trouve plus cette mémoire dans le Missel du Cardinal Qaysruk, imprimé en 1800; mais outre les manuscrits, nous avons, en faveur de ce fait caractéristique, le Missel gothique, in-quarto,imprimé à Milan, en 15oo, et plusieurs de ceux qui l'ont suivi.

 

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une exigence du Siège apostolique, qui aurait voulu que l'Église de Milan, qui était de sa Primatie, comme toutes celles d'Italie, eût au moins dans ses usages quelque chose de commun avec l'Eglise de Rome, et principalement le Canon ? ou faut-il expliquer cette communauté de rites et de prières par des emprunts volontaires, et peut-être réciproques ? car l'Église romaine a, de tout temps, été dans l'usage d'adopter ce qui lui paraissait louable dans les autres, et l'on voit au Sacramentaire de saint Grégoire plusieurs prières qui portent en titre le nom de saint Ambroise. Il est probable que ces deux hypothèses renferment quelque chose de véritable. Comme nous devons donner en temps et lieu la description de la messe et de l'office du rite ambrosien, nous nous contenterons ici de faire l'histoire abrégée des vicissitudes par lesquelles ce rite a passé.

L'Église de Milan s'est montrée, dans tous les temps, fort jalouse de l'intégrité de ses usages. Charlemagne, ainsi que nous le raconterons bientôt, ayant conçu le dessein d'établir le rite romain dans toutes les Églises de l'Occident, voulut étendre jusqu'à l'Église même de Milan cette mesure vigoureuse. Il fut contraint de reculer dans son entreprise, tant était profonde la vénération qui s'attachait à l'œuvre réputée de saint Ambroise. L'oppo-. sition du clergé et du peuple fut même confirmée par un prodige, si nous en croyons Landulphe, historien de l'Église de Milan, qui écrivait en 1080, et qui a été copié par Beroldus et Durand de Mende. D'après ce récit, un évêque des Gaules, nommé Eugène, père spirituel de Charlemagne, aurait intercédé auprès de ce prince, à Rome même, pour la conservation du rite ambrosien, qu'il nommait le Mystère des Mystères. Les avis étant partagés, on indique un jeûne, des prières, pour obtenir de Dieu qu'il veuille décider sur la préférence qu'on doit donner à l'un des deux Sacramentaires,

 

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grégorien ou ambrosien. Les deux livres, liés et scellés, sont déposés sur l'autel de saint Pierre ; celui des deux qui s'ouvrira sans qu'on y touche, sera préféré. Les portes de l'église demeurent fermées durant trois jours ; après cet intervalle, on revient consulter le Seigneur : tout à coup, les portes de la basilique s'ouvrent d'elles-mêmes. On avance vers l'autel; les livres y sont encore immobiles et fermés. On gémit, on prie de nouveau. Soudain, les deux Sacramentaires s'ouvrent à la fois avec un grand bruit. Alors, ce cri se fait entendre dans l'assemblée : « Que l'Église universelle loue, conserve, garde dans leur intégrité le mystère grégorien et le mystère ambrosien ! »

Cette histoire si dramatique, rapportée d'après les auteurs que nous venons de citer, par D. Mabillon et par le P. Lebrun, est considérée comme suspecte par Muratori (1), qui ne conteste pas d'ailleurs les efforts inutilement faits par Charlemagne pour abolir le rite ambrosien. Il faut dire aussi que le docteur milanais n'apporte pas de preuves à l'appui de son sentiment.

Nicolas II qui, en 1060, avait fait des tentatives pour abolir en Espagne le rite gothique, fit aussi des efforts pour abolir le rite ambrosien. Il se servit à cet effet du zèle de saint Pierre Damien, homme énergique et capable de faire réussir cette entreprise, si le succès en eût été possible. Ce grand cardinal échoua dans sa légation, et bientôt Nicolas II fut remplacé sur la Chaire de Saint-Pierre par Alexandre II, Milanais, qui n'inquiéta point ses compatriotes dans la jouissance de leurs usages. Nous ne voyons pas que saint Grégoire VII, si zélé pour la propagation du rite romain, ait rien entrepris contre la Liturgie ambrosienne.

Cette Liturgie prit même vers ce temps une sorte d'extension,

 

(1) Antiquitates Italiae, tom. IV, pag. 834.

 

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qu'elle devait à la beauté incontestable de ses formules et à la vénération qu'inspirait son auteur présumé. D. Mabillon, dans le Musœum Italicum, a publié plusieurs lettres de Paul et Gebehard, prêtres de l'Église de Ratisbonne, par lesquelles, vers l'an 1024, ils s'adressent au prêtre Martin, trésorier de l'église de Saint-Ambroise à Milan, à l'effet d'obtenir de lui les livres de l'Office ambrosien, pour les répandre en Allemagne (1). Vers le milieu du XIVe siècle, on vit l'empereur Charles IV établir ce même Office de Milan dans l'église de Saint-Ambroise à Prague (2) ; et le Sacramentaire tripartite que l'abbé Gerbert a publié dans sa Liturgia Alemannica (3), et qu'il avait tiré de l'abbaye de Saint-Gall, se compose de l'ambrosien, du gélasien et du grégorien. Au reste, ce sont là les seuls indices que nous ayons d'une exportation quelconque des usages ambrosiens, hors de Milan. Reprenons l'histoire des attaques auxquelles ils ont été en butte, jusqu'à leur reconnaissance définitive par le Saint-Siège.

Muratori rapporte, dans l'ouvrage cité plus haut, que le cardinal Branda de Castiglione ayant été envoyé, en 1440, par Eugène IV, en Lombardie, en qualité de Légat, conçut le dessein d'abolir le rite ambrosien, jusque-là qu'il osa s'emparer d'un ancien Sacramentaire qu'on croyait venir de saint Ambroise lui-même, et que le jour de Noël il fit chanter la messe au rite romain, dans l'église même du saint docteur. Le peuple furieux courut aussitôt investir la demeure du légat, le menaçant de mettre le feu s'il ne rendait le Sacramentaire qu'il avait enlevé. Le cardinal, effrayé de cette sédition, jeta le livre par la fenêtre, et sortit de la ville dès le lendemain.

Vers la fin du même siècle, en   1497,  Alexandre VI

 

(1)  Musœum Italicum, tom. I, pag. 95-99.

(2)  Gerbertus, Vetus Liturgia Alemannica, tom. I, pag. 63.

(3)  Ibidem, tom. II.

 

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reconnut solennellement, et confirma dans une Bulle rapportée par Ughelli (1) le droit des ducs et du peuple de Milan, de célébrer, suivant le rite ambrosien, les messes, les cérémonies, le chant, les offices tant de jour que de nuit, sans y rien changer. Il est vrai que le Pape spécifie l'église et monastère de Saint-Ambroise, mais il n'exclut pas expressément les autres églises de la ville et du diocèse. Aussi on commença peu à peu à imprimer les livres d'usage du rite ambrosien, pour les nécessités de ces diverses églises, et lorsque saint Pie V, par les Bulles dont nous parlerons bientôt, déclara exemptes de l'obligation de recevoir les livres romains, les églises dont les Bréviaires remontaient au-delà de deux siècles, le rite ambrosien fut, par là même, indirectement,  mais sérieusement reconnu pour Milan et son territoire. Fondé dès lors sur l'évidence du droit, saint Charles Borromée, ayant appris que le gouverneur de Milan avait obtenu du Pape un bref qui l'autorisait à se faire dire la messe suivant le rite romain, dans toutes les églises où il lui plairait d'aller,  réclama avec force contre cette permission, dans une lettre adressée à un de ses amis, à Rome, et qui est conservée comme une relique dans l'église de Saint-Alexandre des Barnabites de Milan. Le P. Lebrun a donné [cette lettre : nous la plaçons à la fin du présent chapitre (2). Au reste, elle n'est pas la seule qu'ait écrite à Rome le pieux cardinal pour la défense de la Liturgie ambrosienne. On en garde encore plusieurs autres dans la bibliothèque du Vatican. Ce grand homme, pour expliquer son zèle en cette matière, avait coutume de dire que la Liturgie ambrosienne était moins   milanaise encore que romaine, ayant reçu tant de fois l'approbation expresse des souverains Pontifes (3).

 

(1)  Italia Sacra, Ecclesia Mediolanen, tom. IV, pag. 385.

(2)  Vid. la Note A.

(3) Sala Not. in Bonœ Rerum liturgic., lib. I, cap. X, pag.  185

 

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Tel a été de tout temps le zèle des Milanais pour la conservation de leur rite,  dont ils ont, au reste, assez fidèlement gardé l'intégrité, sauf l'addition qu'ils ont faite d'un grand nombre de fêtes de Saints. Mais on peut dire qu'ils poussent l'intolérance à l'égard des autres Liturgies,   la romaine y comprise, au-delà  de  ce qu'on  a j jamais pu reprocher de plus exclusif au Siége apostolique. Un exemple fera juger de la vérité de ce que nous disons. En 1837, nous étions à Rome, et nous venions de célébrer  les saints  mystères à la Confession de  Saint-Pierre; un chanoine de la cathédrale de Milan se présenta accompagné d'un clerc milanais. Ce dernier portait un missel ambrosien; il le posa sur l'autel sous lequel l'univers entier vénère la cendre du Prince des apôtres. Le chanoine milanais commença tout aussitôt la messe et l'acheva paisiblement, suivant ce rite étranger. Peu de mois après, nous étions nous-même à Milan : nous demandâmes à célébrer le saint sacrifice sur le corps de saint Ambroise. On nous montra un règlement solennel qui défend d'offrir les saints mystères sur cet autel, autrement qu'en la forme ambrosienne : le rite romain n'était pas excepté. Il nous fallut donc sacrifier notre pieux désir.

Au reste, l'inconvénient ordinaire des Liturgies particulières s'est fait sentir à Milan, comme en d'autres lieux. La puissance séculière a dû prétendre une surveillance sur des formés qui ne sont que nationales, et non communes à toutes les Églises. Naples, Florence, Venise, célèbrent la fête de saint Grégoire VII, malgré le déplaisir qu'en éprouvent et qu'en ont souvent manifesté leurs gouvernants; ces Églises jouissent de cette liberté, parce qu'elles sont astreintes au Bréviaire romain, publié par le Saint-Siège. L'Église de Milan n'a pas osé jusqu'ici rendre un culte au grand Pontife, que l'Europe éclairée proclame aujourd'hui l'héroïque vengeur de la dignité humaine et de la civilisation. Comme nos Églises de France, elle n'a

 

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pas suivi l'injonction du Pontife romain, qui ordonna, il y a un siècle, à toutes les Églises du rite latin, de solenniser la mémoire du glorieux Hildebrand. Ces Églises manquaient de cette force que l'unité et l'universalité des formes peuvent seules donner, et qu'elles maintiennent, au défaut même du courage.

Après l'Église de Milan, fille de l'Église romaine (1), et fondée dès l'âge apostolique, vient l'Église d'Afrique, qui . doit pareillement son origine au Siège de Rome, sous le règne d'Adrien (2). Cette Église, l'une des principales divisions du patriarcat d'Occident, comprenait la province dite Consularis, dont Carthage était la capitale, la Mauritanie et la Numidie. Son origine indique assez la conformité qui devait exister, au moins jusqu'à un certain degré, entre ses usages liturgiques et ceux de l'Église romaine.

Les fragments ou les allusions que nous rencontrons dans Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin, paraissent, les unes se rapporter assez bien aux formes de la Liturgie romaine, les autres s'en écarter plus ou moins. Il est vrai de dire que la Liturgie romaine, au temps de ces auteurs, devait être quelque peu différente de ce qu'elle nous apparaît dans l'œuvre de saint Gélase et de saint Grégoire. Quoi qu'il en soit, des auteurs très-graves maintiennent comme indubitable l'identité primordiale de la Liturgie africaine avec la romaine (3). On a dit, mais sans le prouver, que saint Augustin avait introduit en Afrique la Liturgie de Milan ; dans tous les cas, ce fait ne saurait démontrer qu'on ne suivait pas en Afrique la Liturgie romaine, antérieurement à saint Augustin : et d'ailleurs, il ne dépendait pas du seul évêque d'Hippone

 

(1)  S. Petri Damiani Opusc. V, tom. III, pag. 78.

(2)  Schelestrate, Antiquitas Ecclesiae illustrata, tom. II.

(3)  Bona, Rerum liturgicarum, lib. I, cap. vu, g III. Lebrun, Explication de la Messe, tom. II, pag. 157.

 

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de changer les usages de toutes les églises d'Afrique, si nombreuses et si attachées à leurs anciennes pratiques. Quoi qu'il en soit, nous pensons que la conformité de la Liturgie d'Afrique avec la romaine, n'empêchait pas la première d'avoir et de conserver certains usages particuliers, ainsi que nous en apercevons les traces dans les auteurs que nous avons cités, auxquels on peut encore ajouter Marius Mercator et saint Fulgence. En outre, quel était l'ordre du Sacramentaire publié par Voconius, vers 460, trente ans après la mort de saint Augustin? En quoi était-il conforme à celui de l'Église de Rome? En quoi s'en écartait-il? La question nous paraît insoluble. Disons toutefois qu'on ne trouve nulle part, dans l'antiquité, la trace d'une Liturgie africaine : la tradition ne nous parle que de celles de Rome, de Milan, des Gaules et de l'Espagne. Nous maintiendrons donc notre sentiment, jusqu'à ce que de nouvelles découvertes nous aient contraint à l'abandonner.

La Liturgie de l'Église des Gaules est trop différente de la romaine, pour qu'on puisse croire qu'elle en soit issue; on a au contraire tout lieu de la juger d'origine orientale. D'abord, en elle-même, elle présente beaucoup d'analogie avec les rites des églises d'Orient, et si l'on considère les pays d'où sont venus les premiers apôtres des Gaules, on s'expliquera aisément cette conformité. Saint Trophime, fondateur de l'église d'Arles, était disciple de saint Paul ; saint Crescent, pareillement disciple du même saint apôtre, prêcha dans les Gaules ; saint Pothin et saint Irénée, apôtres de Lyon, vinrent de l'Asie, aussi bien que saint Saturnin, apôtre de Toulouse; enfin, la lettre des églises de Vienne et de Lyon à celles d'Asie et de Phrygie, montre, avec tous ces faits, d'une manière incontestable, que les églises des Gaules sont filles de l'Orient: leur Liturgie devait donc l'être aussi. Sans doute, tous ces apôtres passèrent par Rome, centre de toute mission

 

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légitime: car telle est la tradition de toutes nos Églises; mais il n'était pas naturel qu'à cette époque de conquêtes, le Siège apostolique suscitât des entraves indiscrètes aux courageux prédicateurs que l'Orient dirigeait sur l'Occident, et leur imposât des usages différents de ceux qu'ils avaient puisés dans les régions d'où ils étaient partis pour évangéliser avec tant de zèle. Nous avons fait voir plus haut comment les tendances à l'unité liturgique, jusqu'alors suspendues par les circonstances, se développèrent, quand la paix eut été donnée aux églises.

La Liturgie gallicane est donc, avec l'ambrosienne, un des monuments les plus précieux du premier âge de l'Église: nous la ferons connaître dans ses détails mesure que l'occasion s'en présentera. Bientôt nous aurons à raconter sa destruction, par les efforts réunis du Siège apostolique et des princes carlovingiens. Nous suspendrons donc ici ce qui nous reste à dire sur cette importante Liturgie, dont notre illustre Mabillon, dans un ouvrage spécial (1), a détaillé toute la splendeur, en même temps qu'il a reproduit les débris mutilés des livres qui la contenaient. Si le temps et l'espace nous le permettaient, nous aimerions à faire le récit des pompes du rite gallican, telles qu'elles apparaissent dans les écrits de saint Sidoine Apollinaire et de saint Grégoire de Tours; mais nous ne résisterons pas au désir d'offrir au lecteur un tableau de l'Église de Paris au vie siècle, tracé par saint Venance Fortunat, dans un éloge de saint Germain et de son clergé. On y verra la gravité et la majesté de l'office divin, l'accord de la psalmodie, l'emploi des orgues, des flûtes, des trompettes, pour l'accompagnement des chants sacrés (2). Nous avons donné dans les chapitres précédents les noms des liturgistes auxquels l'Église gallicane

 

(1)  De Liturgia Gallicana libri III. 1685.

(2)   Vid. la Note B.

 

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était redevable de la beauté et de l'éloquence de ses formules sacrées.

L'Eglise d'Espagne présente maintenant à notre observation ses usages liturgiques. S'il nous fallait approfondir dans ces Institutions toutes les questions qui se rattachent aux origines du rite mozarabe, un volume entier ne suffirait pas pour exposer et résoudre les nombreuses difficultés dont cette matière est semée. Nous serons donc forcé de nous borner à consigner seulement ici quelques notions.

On agite en premier lieu la question de savoir quelle Liturgie fut exercée primitivement en Espagne, après l'établissement du christianisme en ce pays. Plusieurs auteurs, à la tête desquels nous inscrirons le docte Père Lebrun (1), soutiennent que les usages de l'Église romaine furent d'abord observés en Espagne, et ils s'appuient sur le fait de la fondation de cette église par les sept évêques envoyés par saint Pierre, et sur quelques canons des anciens conciles d'Espagne, qui montrent en vigueur plusieurs pratiques identiques à celles de Rome, telles que le jeûne du samedi, la coutume de ne lire qu'une seule épître à la messe, etc. Le savant père Pinius, dans l'excellente dissertation qu'il a placée en tête du sixième tome des Actes des Saints du mois de Juillet, et Florez,en son Spagna Sagrada, dans une dissertation sur le même objet(2), reconnaissent aussi l'origine romaine de la Liturgie primitivement gardée en Espagne (3). Ils sont énergiquement combattus par le jésuite Lesleus, dont nous avons déjà cité la curieuse préface au Missel mozarabe (4). Ce dernier

 

(1)  Explication de la Messe, tom. II, dissertat. V, art. 1.

(2)   Tractatus historico-chronologicus de Liturgia antiqua Hispanica, cap. 1.

(3)  Spagna Sagrada, tom. III, pag. 187 et suiv.

(4)  Missale mixtum secundum RegularoBeatiIsidori,dtctum Mozarabes, praefatione, notis et appendice ab Alexandro Lesleo S. J. Sacerdote ornatum. Romae, 1755.

 

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s'appuie sur les canons de divers conciles d'Espagne, aux ve et vie siècles, dans lesquels sont signalées plusieurs particularités de l'office divin, qui paraissent plutôt s'accorder avec l'office mozarabe qu'avec celui de l'Église de Rome. Cependant il semble qu'on peut dire, non sans quelque apparence de raison, que ces divers faits ne prouvent pas que les usages de l'Église romaine n'aient pas été primitivement ceux de l'Église d'Espagne; car on n'a jamais prétendu que la conformité des usages avec Rome, à cette époque, fût possible pour quelque Église que ce soit, avec la rigueur qu'on y peut mettre aujourd'hui. En outre, il reste bien peu de monuments à l'aide desquels on puisse constater l'état précis de la Liturgie de Rome, tant pour la messe que pour les offices divins, avant saint Gélase et saint Grégoire. On peut encore ajouter à cela que l'affinité des usages liturgiques, tant de Rome que de l'Espagne, ne saurait être plus énergiquement attestée que par l'envoi que fit, en 538, le pape Vigile à Profuturus, évêque de Brague, de l’ordinaire de la messe romaine. Assurément, jamais un pape n'a fait un pareil envoi au patriarche de Constantinople ou d'Alexandrie. Il fallait donc que les évêques d'Espagne eussent eu recours au Siège apostolique, comme à la source de leurs traditions liturgiques, et cette conjecture est d'autant plus certaine que nous voyons, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut, un concile d'Espagne, trente ans après, décréter que tous les prêtres auraient à célébrer les saints mystères dans la forme donnée par le Siège apostolique, à l'évêque Profuturus.

Maintenant, si l'on considère la Liturgie des Églises d'Espagne dans l'état où la fixèrent les travaux de saint Léandre, de saint Isidore et des autres liturgistes que nous avons mentionnés au chapitre précédent, on ne peut s'empêcher d'être frappé de sa totale dissemblance avec les coutumes de l'Église romaine. Le nom de gothique qu'elle retient

 

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déjà, atteste une origine entièrement différente. C'est ici encore l'occasion d'une nouvelle controverse entre le P. Lesleus et les PP. Lebrun et Pinius. Le premier, fidèle à son système, soutient que les particularités qui constituent le rite appelé gothique, ont été pratiquées de toute antiquité en Espagne : les autres, au contraire, ont établi solidement le fait d'une introduction des rites orientaux en Espagne, par les Goths, qui se rendirent maîtres de ce pays au commencement du Ve siècle, et y fondèrent un établissement si solide et si imposant. Ces barbares, comme nous l'apprenons de Philostorge (1), de Sozomène(2) et de Théodoret (3), dans leurs courses à travers l'Asie Mineure, avaient embrassé le christianisme. Leur fameux évêque Ulphilas, qui traduisit les saints Évangiles dans la langue des Goths, vint à Constantinople. Il y puisa malheureusement les erreurs de l'arianisme qui régnait alors dans cette capitale, par la protection de Valens; mais il dut y prendre en même temps une plus grande habitude de la Liturgie grecque, la seule que connaissaient les Goths, puisque leur conversion au christianisme s'était opérée en Orient. Nous voyons ensuite, par une lettre de saint Jean Chrysostome (4), qu'il avait pris un soin tout particulier de l'Église des Goths, et qu'il lui avait même donné un évêque, nommé Unilas; il est naturel de croire que cet évêque venu de Constantinople devait en pratiquer la Liturgie. Quand les Goths furent établis en Espagne, nous voyons des relations jusqu'alors inconnues s'établir entre l'Église de cette Péninsule et celle de Constantinople. Au VIe siècle, saint Martin de Brague traduisit du grec en latin, pour l'usage d'Espagne, les canons des conciles, et par là donna occasion à l'établissement de beaucoup de

 

(1) Lib. II, n° 5, edit. Vales., pag. 470.

(2) Hist. eccles., lib. VI, cap. XXXVII.

(3)  Lib. IV, cap. ultimo.

(4) Ad Olympiadem, Epist. XIV, tom. III, pag. 722. Edit. Gaume.

 

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pratiques liturgiques prescrites dans ces canons dressés la plupart dans des conciles d'Orient. Vers le même temps, Jean, qui fut depuis abbé de Biclar et évêque de Gironne, et qui était Goth de nation, s'en alla passer dix-sept ans à Constantinople où il se rendit fort savant. Saint Léandre avait aussi vécu plusieurs années à Constantinople : ce fut même dans cette ville qu'il se lia d'une amitié étroite avec Saint Grégoire le Grand, qui résidait alors en cette ville, en qualité d'Apocrisiaire du Siège apostolique, et avec Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui fut si familier avec saint Léandre, qu'il lui dédia un opuscule liturgique sur le baptême.

Or, les Goths étant les vainqueurs de l'Espagne, et ayant apporté avec eux des usages liturgiques spéciaux, la Liturgie pratiquée dans cette contrée avant la conquête ne pouvait longtemps subsister sans mélange, et tout portait même à croire qu'elle finirait par succomber. Il y eut, sans doute, des degrés dans cette transformation ; des réclamations durent s'élever, tant de la part des conciles que de la part du Siège apostolique : la lettre du pape Vigile à Profuturus se place naturellement à cette époque, ainsi que le concile de Brague de 563, que nous avons cité plus haut. Un grand événement décida du triomphe absolu de la Liturgie gothique sur l'ancienne : ce fut la conversion totale de la nation des Goths à l'orthodoxie, dans le troisième concile de Tolède, en 589. Saint Léandre, qui fut, pour ainsi dire, l'auteur de ce grand oeuvre, est en même temps le principal rédacteur de la Liturgie gothique qui, dès cette époque, devint l'unique Liturgie d'Espagne. Il est naturel de penser que la préférence donnée, dans son travail et dans celui des autres liturgistes qui vinrent après lui, aux formes orientales, jusqu'alors les seules suivies par les Goths, fut motivée sur la nécessité de les rallier plus sûrement au symbole de l'ancienne Eglise espagnole, en écartant tout ce qui aurait pu être objet de tentation pour

 

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une foi encore chancelante. Au reste, comme nous venons de le dire, la transformation des deux rites était déjà pour ainsi dire accomplie, avant même le concile de Tolède ; mais depuis cette grande époque, F Église espagnole, devenue église purement gothique, s'appliqua à réunir toutes les provinces dans la pratique des mêmes usages, et c'est à cette intention que fut porté, dans le quatrième concile de Tolède, en 633, le canon dont nous avons cité les dispositions formelles, ci-dessus, au chapitre VI.

Toutefois cette Liturgie gothique ne se composait pas uniquement d'un fonds de prières orientales : on y rencontre quelquefois, quoique en petit nombre, des oraisons, des répons, des fêtes d'une origine entièrement romaine, qui montrent la première source des rites sacrés en Espagne, On y trouve, en outre, beaucoup d'analogies avec la Liturgie gallicane, et ce dernier fait a donné matière à une controverse entre les savants qui ont traité de la Liturgie gothique. Les uns, comme les PP. Lesleus et Plinius, soutiennent, dans les ouvrages déjà cités, que la Liturgie gallicane est émanée de la gothique ; d'autres, parmi lesquels Dom Mabillon (1)et le P. Lebrun, prouvent contre eux que la Liturgie gallicane est antérieure à l'époque à laquelle a dû se former la gothique.

Nous avons montré, en effet, comment l'origine des principales Églises des Gaules est orientale : ce qui explique suffisamment l'existence d'une Liturgie, dans ces contrées, totalement différente de la romaine, et, par suite, analogue en quelque chose à la gothique, dont la source est la même. Nous avons donné les noms des principaux auteurs de la Liturgie gallicane, saint Hilaire, Musecus, saint Sidoine Apollinaire, etc., qui, certes, n'ont pas été chercher en Espagne les usages antiques qui furent corrigés et réformés, plutôt qu'institués, par eux. De plus, on ne s'expliquerait

 

(1) De Liturgia Gallicana, lib. I, cap. IV.

 

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pas cette influence si intime de l'Église d'Espagne sur celle des Gaules, influence qui ne serait justifiée par aucun monument historique, ni même rendue possible par aucun genre de primauté de l'une de ces Églises à l'égard de l'autre. Il est vrai que, dans le canon du quatrième concile de Tolède, il est statué qu'il n'y aura qu'un même ordre pour la prière et la psalmodie dans toute l'Espagne et la Gaule; mais tout le monde sait qu'il ne peut être ici question que de la Gaule narbonnaise, soumise alors aux mêmes lois que l'Espagne elle-même. Or, outre que le rite gallican était formulé longtemps avant ce concile, et qu'il était et est resté, en somme, différent sur beaucoup de points du rite gothique proprement dit, il serait absurde de supposer que la Gaule narbonnaise eût fait adopter tous ses usages aux autres provinces des Gaules. Tout au contraire, il faudra expliquer les incontestables rapports des deux rites, gallican et gothique, par l'intention fort raisonnable qu'eurent les compilateurs de ce dernier rite d'y retenir, ou d'y insérer quelque chose qui fût analogue aux usages de la Gaule narbonnaise, par le même motif qui leur avait fait garder plusieurs formules et fêtes romaines, et qui les avait portés à conserver pour fond principal les prières orientales de la Liturgie gothique.

Nous terminerons ce que nous avions à dire de la Liturgie gothique, appelée plus tard mozarabe (du nom sous lequel on désignait les chrétiens qui vivaient sous la domination des Maures), par les deux observations suivantes :

1° L'Église gothique d'Espagne parvint à établir dans son sein l'unité liturgique; elle dut cet avantage au zèle de ses évêques et à la protection de ses rois. Mais si elle put faire qu'une prière uniforme retentît dans tous ses temples, elle ne put garantir toujours l'entière pureté, l'orthodoxie de ces mêmes prières. La Liturgie romaine seule est vierge de toute erreur, comme l'Église qui la

 

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promulgue. Vers la fin du VIIIe siècle, Félix, évêque d'Urgel, et Elipand, archevêque de Tolède, troublèrent un moment l'Église en prêchant une hérésie qui aurait fait rétrograder le christianisme jusqu'aux dogmes impies d'Arius. Non contents de s'appuyer sur de fausses citations des Pères, ils alléguèrent l'autorité de la Liturgie d'Espagne, produisant plusieurs passages dans lesquels les termes d'adoptif et d'adoption étaient appliqués à Jésus-Christ, et ajoutant que ces oraisons avaient été récitées et par conséquent approuvées par saint Eugène, saint Ildefonse et saint Julien, évêques de Tolède. Il est possible aussi que Félix et Elipand eussent altéré par eux-mêmes les passages susdits. Quoi qu'il en soit, dans l'une et l'autre hypothèse, le danger des Liturgies nationales n'en était pas moins mis dans tout son jour. C'est ce que sentirent les évêques du concile tenu à Francfort en 794, qui, dans les paroles suivantes, montrèrent éloquemment qu'une seule Liturgie peut être citée comme vraiment et nécessairement pure et orthodoxe, savoir la Liturgie de l'Église romaine. « Mieux vaut, » disent-ils aux deux évêques prévaricateurs, « mieux vaut en croire le témoignage de Dieu le Père sur son propre Fils, que l'autorité de votre Ildefonse, qui vous a composé, pour la solennité des messes, des prières qui sont telles, que la sainte et universelle Église de Dieu les ignore, et que nous-mêmes ne pensons pas que vous puissiez être exaucés en les prononçant. Que si votre Ildefonse, dans ses oraisons, donne au Christ le nom d'adoptif, notre Grégoire, pontife du Siège de Rome et docteur illustre dans tout l'univers, l'appelle toujours, dans ses oraisons, Fils unique (1). » Les Pères du concile allèguent

 

(1) Melius est testimonio Dei Patris credere de suo Filio quam Ildefonsi vestri, qui tales vobis composuit preces in missarum solemniis, quales universalis et sancta Dei non habet Ecclesia,nec vos in illis exaudiri putamus. Etsi Ildefonsus vesterin orationibus suis Christum Adoptivum nominavit, noster vero Gregorius, Pontifex Romana; Sedis, et clarissimus toto orbe Doctor, in suis orationibus semper eum Unigenitum nominare non dubitavit. (Concil. Franco fordiense. Labb., tom. VII, pag. 1034.)

 

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ensuite plusieurs oraisons du Sacramentaire grégorien.

Peu après,  Alcuin composa un traité  en sept livres contre Félix, et il ne manqua pas d'y réfuter l'objection que ces sectaires tiraient des oraisons du Missel gothique. « Que vous ayez, dit-il à Félix, altéré ces témoignages, ou qu'ils soient réellement tels que vous les proférez, il n'y a pas lieu à s'en occuper beaucoup. C'est bien plutôt sur l'autorité de Rome que sur l'autorité de l'Espagne que nous souhaitons appuyer la vérité de notre foi. Ce n'est pas néanmoins que nous réprouvions l'autorité de l'Espagne, dans les choses sur lesquelles elle n'est pas en désaccord avec l'Église universelle. Mais l'Eglise  romaine,  qui  doit   être suivie par tous  les catholiques et tous les vrais croyants, professe dans la solennité des messes, comme dans tout ce qu'elle écrit, que c'est le Fils véritable de Dieu qui a daigné se faire homme pour notre salut et subir le tourment de la Croix (1). » Alcuin cite ensuite les oraisons de la messe de Noël, du mercredi de la Semaine sainte, etc. Cet événement porta les évêques d'Espagne à veiller sévèrement sur la pureté de la Liturgie gothique, et aujourd'hui ces

 

 (1) Sed sive mutata, sive ut ab eis sunt dicta haec eadem testimonia a te sint posita, non magnopere curandum est; nos enim Romana plus auctoritate quam Hispana, veritate adsertionis et fidei nostrae fulciri desideramus; licet necilla reprobemus, in his tamen quas catholice dicuntur.Unusquisque in hoc se refutatum scia, in quo ab universali dissentit Ecclesia. Romana igitur Ecclesia quas a catholicis et recte credentibus sequenda esse probatur, se per verum Filium Dei et in missarum solemniis, et in cœteris quoque omnibus scriptis suis, vel in epistolis fateri solet, eum qui pronostra salute homo fieri dignatus est, et crucis subire tormentum. (Alcuinus contra Felicem Urgelitanum, Iib. VII, Opp. tom. II, pag. 856.)

 

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livres ne gardent plus aucune trace des erreurs ou incorrections que l'on eut à leur reprocher au vine siècle. Toutefois, on voit que Rome s'en était émue ; car en 918, Ordogno, roi de Léon, et Sisenand, évêque de Compostelle, ayant envoyé un prêtre nommé Jean, vers le Siège apostolique, il s'éleva une discussion sur le Missel gothique, et il fallut le jugement d'un concile romain tenu devant le Pape, et dans lequel on examina soigneusement les prières de ce Missel, pour en certifier la pleine orthodoxie (1). Nous verrons bientôt la sollicitude du Siège apostolique s'alarmer encore des dangers de cette liturgie particulière d'une grande Église, et enfin en décréter l'abolition.

2° L'Église gothique d'Espagne qui fit, comme on vient de le voir, une si fâcheuse expérience des dangers qui menaceront toujours l'orthodoxie d'une Liturgie particulière, vit aussi s'élever dans son sein une fausse opinion que nous retrouverons ailleurs, et dont l'application serait destructive du caractère traditionnel do la Liturgie. Le concile de Brague tenu en 563, en son canon douzième, s'exprimait ainsi : « Il est ordonné que l'on ne chantera dans l'église aucune composition poétique : rien, hors les Psaumes et les Écritures de l'Ancien et du Nouveau Testament; ainsi que l'ordonnent les saints canons (2). » Les Pères du concile font sans doute allusion à une disposition du concile de Laodicée, en 3oo, qui ordonne de rejeter certains psaumes qui avaient été fabriqués et avaient cours dans le peuple (3). Mais la mesure sage et précise

 

(1) Baronius, Annal, ad ann. 918. Ambros. Morales, Chron. Hispan., Iib. XV, cap. XLVII.

(2) Item placuit ut extra Psalmos, vel canonicarum Scripturarum Novi et Veteris Testamenti, nihil poetice compositum in Ecclesia psallatur: sicut et sancti praecipiunt canones. (Concil. Bracar., Canon. XII. Labb., Tom. IV.

(3) De privatis et vulgaribus psalmis rejiciendis. (Conc. Laodic, Canon LIX. Labb., tom. I, pag. 1508.)

 

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du concile de Laodicée n'avait rien de commun avec la prohibition vague et générale du concile de Brague qui, au reste, n'arrêtera point les développements de la Liturgie gothique et qui fut énergiquement improuvée par la protestation du quatrième concile de Tolède, dont voici les paroles, au canon treizième qui est intitulé De non renuendo pronunciare Hymnos.

« Que l'on doive chanter des hymnes, nous avons pour cela l'exemple du Sauveur et des Apôtres ; car le Seigneur lui-même dit une hymne, comme saint Matthieu nous l'atteste : Et hymno dicto, exierunt in montent Oliveti;et l'apôtre Paul écrivant aux Ephésiens, leur dit: « Implemini Spiritu Sancto, loquentes vobismetipsis in psalmis et hymnis et canticis spiritualibus. Il existe, en outre, plusieurs hymnes composées par un art humain, pour célébrer la louange de Dieu et les triomphes des apôtres et des martyrs, comme sont celles que les bienheureux docteurs Hilaire et Ambroise ont mises au jour. Cependant quelques-uns réprouvent ces hymnes parce qu'elles ne font pas partie du canon des saintes Ecritures et ne viennent pas de tradition apostolique. Qu'ils rejettent donc aussi cette autre hymne composée par des hommes, que nous disons chaque jour, dans l'office public et privé, à la fin de tous les Psaumes : Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto, in secula seculorum. Amen. Et cette autre hymne que les Anges chantèrent à la naissance du Christ dans la chair : Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonœ voluntatis, les docteurs ecclésiastiques n'y ont-ils pas ajouté une suite ? Faut-il donc qu'on cesse de la chanter dans les églises, parce qu'on ne trouve point cette suite dans les Écritures saintes ? On compose donc des hymnes, comme on compose des messes, des prières ou oraisons, des recommandations, des impositions de mains ; et si on ne devait plus réciter aucune

 

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de  ces formules dans l'Église,  autant vaudrait faire a cesser les offices ecclésiastiques (1). »

Ce sage canon vengea les véritables principes en matière de Liturgie, et on ne voit pas que ce zèle indiscret pour les Écritures saintes, comme seule matière de la Liturgie, se soit permis, depuis lors, en Espagne, de nouvelles manifestations. Nous ne tarderons pas à le rencontrer en France.

Nous nous sommes appliqué dans les deux chapitres précédents à recueillir les noms et les travaux des Liturgistes de l'Église gothique d'Espagne : nous aurons occasion, dans la suite, de faire connaître en détail ses rites et ses offices.

Si nous passons maintenant aux Iles Britanniques pour y explorer la Liturgie qu'on y observait, avant l'établissement du rite romain, nous trouvons de grandes difficultés pour  donner quelque  chose de certain. Cette Liturgie devait être venue primitivement de Rome, puisque la foi fut plantée chez les Bretons par des missionnaires envoyés, au 11e siècle, par le pape saint Éleuthère, sur la demande d'un roi de cette île, nommé Lucius. Mais, à cette époque, la Liturgie  romaine  devait être encore à son enfance; et, transplantée dans une région si écartée, isolée promptement de sa source, elle avait dû subir plus d'une altération, ou au moins recevoir quelques développements analogues aux mœurs de la contrée. Il y a également des raisons de penser que la Liturgie gallicane aurait pu fournir aussi ses formes plus ou moins complètes aux Églises de ces îles. On sait que saint Patrice, saint Germain d'Auxerre, saint Loup de Troyes, qui ont eu tant d'influence sur les églises des Iles Britanniques, étaient Gaulois, ou du moins avaient été élevés dans les Gaules. La question qu'adressa saint Augustin à saint Grégoire, au sujet de la diversité des

 

(1)  Vid. la Note C.

 

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Liturgies, et la réponse du Pape qui lui permet d'unir - ensemble les rites romains et gallicans, semble montrer assez clairement que saint Augustin avait rencontré quelques vestiges de ces derniers dans l'île qu'il évangélisait, et qui, bien que retombée en grande partie dans l'idolâtrie, par suite de l'invasion saxonne, gardait cependant un faible débris de l'ancienne Église des Bretons. Quant à l'Irlande considérée à part, Mabillon pense que lorsque saint Bernard raconte, dans la vie de saint Malachie, que ce grand évêque changea les coutumes barbares des chrétiens de cette île pour les usages romains, il faut entendre que jusqu'alors on avait conservé un rite particulier dans cette île (1). Nous avons parlé ailleurs de l'Antiphonaire du monastère de Benchor, publié par Muratori, seul débris qui nous reste des formes liturgiques gardées anciennement en Irlande.

Il nous reste enfin à parler de la Liturgie monastique ou bénédictine. De même que la Règle de saint Benoît remplaça presque aussitôt les Règles monastiques qui l'avaient précédée en Occident, de même aussi la forme d'office qui y est établie succéda bientôt aux autres ordres de psalmodie gardés jusque-là dans les monastères. Nous détaillerons ailleurs les particularités de cette Liturgie ; mais nous devons expliquer tout d'abord les raisons de la dissemblance qui règne entre la forme de l'office monastique et celle des offices de Rome. On voit par le texte même de la Règle de saint Benoît, que ce saint patriarche s'est écarté à dessein des usages romains, comme lorsqu'il dit : « Chaque jour, on chantera à Laudes un cantique tiré « des Prophètes, savoir le même que chante l'Église romaine, sicut psallit Ecclesia Romana (2). » Amalaire Fortunat dit à ce sujet : « Nous ne devons pas croire que

 

(1)  De Liturgia Gallicana, lib. I, cap. 11. Gerbert, de Veteri Liturgia Alemannica, disquisit. II, cap. I.

(2) Reg. S. Benedicti, cap. XIII.

 

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cet illustre Père ait ainsi disposé toutes ces choses sans mystère ; mais, de même que l'office des clercs ne porte aucun préjudice à celui des moines, ainsi, réciproquement, l'office monastique confirme celui des clercs (1). » Walafride Strabon nous donne la raison de cette différence dans les offices : « C'est aussi, dit-il, un ordre d'offices louables que celui qu'a donné aux moines le Bienheureux Père Benoît, lorsqu'il a voulu  que ceux que leur profession sépare du reste des hommes, s'appliquassent aussi à payer, dans une plus forte proportion « que les autres, le tribut accoutumé du divin service (2). » Honorius d'Autun rendant compte, à son tour, du motif de cette divergence, ajoute encore la considération suivante : « Il faut savoir,  dit-il,  que c'est  avec une  souveraine sagesse que cet homme rempli de l'esprit de tous les justes a voulu que de même que la vie contemplative est distinguée de la vie active par l'habit, elle en fût aussi distinguée par l'office divin, rendant plus recommandable, par ce privilège, la religion de la discipline monastique   (3).  »  Aussi voyons-nous   que le Siège apostolique a, dans tous les temps, sanctionné la forme

 

(1)  Nequaquam itaque fatendum est hune talem patrem absque mysterio cuncta disposuisse: et sicut clericale officium monastico non praejudicat, ita reciproco actu monasticum clericale comprobat. (Amalarius, De Officiis divinis, cap. XLVIII. D. Mabillon, Vet. Analecta, tom. II, pag. 96.)

(2)  Est etiam ille ordo officiorum laudabilis quem beatus Pater Bene-dictus monachis constituit observandum, scilicet ut qui proposito a caeteris discernuntur, etiam continua; servitutis penso, aliquid amplius caeteris persolvere studeant. (Walafrid. Strabo, de Rebus ecclesiasticis, cap. XXV.)

(3)  Quaeritur cur sanctus Benedictus aliter monachis horas ordinaverit, quam mos Ecclesia; habuerit, vel cur praecipuus Apostolicorum Gregorius hoc sua auctoritate probaverit. Sed sciendum est hoc sapientissima dispositione provisum, utpote a viro pleno Spiritu omnium justorum, scilicet ut contemplativa sicut habitu, ita etiam officio ab activa discerneretur et monasticae disciplinas religio hoc privilegio commendaretur. (Honorius Augustodun. Gemma animae, lib. II, cap. LXV.)

 

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de l'Office bénédictin, comme un précieux reste de l'antiquité et un monument de la piété monastique qui doit paraître surtout dans la célébration incessante des offices divins.

D'un autre côté, l'Ordre bénédictin, pour montrer son attachement à l'Église romaine, s'est fait de bonne heure un  devoir  de compléter l'ensemble de   ses offices,  en adoptant, avec les fêtes du Calendrier romain, toutes les pièces du Responsorial grégorien qui se trouvaient compatibles avec la forme de l'office monastique ; et, quant à ce qui est du saint sacrifice de la messe, dans tous les temps et dans tous les lieux, il s'y est toujours servi des Sacramentaires  et Antiphonaires   romains.   Seulement, on voit par plusieurs anciens manuscrits des principaux monastères de l'Europe, que, jusqu'à une époque assez rapprochée, les   Sacramentaires  dont   se servaient   les moines,   quoique   formés   du   grégorien pour   la  plus grande partie, avaient retenu plusieurs choses du gélasien.

La   Liturgie   monastique  est   suivie   par  toutes les familles de moines qui gardent la règle de saint Benoît, et sous ce nom il faut entendre, non-seulement les moines noirs proprement dits, mais encore les camaldules, les cisterciens,  les  olivétains,   ceux  de  Vallombreuse,  les célestins  et même les chartreux,  quoique ces derniers aient retenu plusieurs coutumes qui leur sont propres.

Nous conclurons ce chapitre en faisant ressortir, suivant notre usage, les inductions qui se présentent à la suite des faits qui y sont énoncés.

En premier lieu, on voit qu'il y a eu dans l'Occident plusieurs Liturgies plus ou moins différentes de la Liturgie romaine, et qu'il y en a même encore quelques-unes, mais que ces Liturgies remontent à une haute antiquité ;

En second lieu, que ces Liturgies particulières ont toujours tendu à se fondre plus ou moins dans la romaine ;

 

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En troisième lieu, que leur qualité de Liturgies particulières les a souvent exposées au danger de l'altération et de la corruption ;

En quatrième lieu, que c'est une idée fausse et contradictoire, en matière de Liturgie, que de prétendre n'employer dans les offices divins que les seules paroles des saintes Écritures, à l'exclusion du langage de la tradition ;

En cinquième lieu, que dans toutes les églises, la Liturgie a toujours été considérée comme une chose capitale, à laquelle le clergé et le peuple prenaient le plus ardent intérêt; en sorte qu'on n'y pouvait toucher sans exciter des troubles considérables.

 

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NOTES DU CHAPITRE VIII

 

NOTE A

 

Extrait d'une lettre de Saint Chartes Borromée, à Monseigneur César Speciano, Protonotaire apostolique, à Rome. (Lebrun, Explication de la Messe, tom. II.)

 

M. R. S. Je dois avoir et je conserve tant de respect pour notre Saint-Père, qu'il peut être assuré que je prendrai toujours en bonne part tout ce qu'il aura ordonné; je me sens pourtant obligé de lui représenter combien serait opposé au service de Dieu ce que je vois qui]résulterait de la résolution qu'on a extorquée avec peu de sincérité, et par des vues peu conformes à la bonne volonté de Sa Sainteté. Je dis ceci à l'occasion du bref accordé, comme vous me le marquez, au gouverneur, pour faire dire la messe selon le rite romain dans toutes les églises où il ira. Si notre Saint-Père ne remédie à cette concession, je suis persuadé qu'elle produira beaucoup d'inconvénients que vous pouvez prévoir vous-même, à cause de l'usage qu'il pourra faire de la permission qu'il a obtenue après tant d'empressement.

Il y a dans cette ville un grand nombre d'églises de réguliers où l'on peut entendre la messe à l'usage de Rome. Sa Sainteté lui avait déjà permis de la faire dire dans sa chapelle, et je ne lui ai jamais refusé une semblable permission. Qu'est-ce qui l'a pu porter présentement à abuser de la bonté de Sa Sainteté pour obtenir une chose qu'il ne s'était jamais avisé de demander depuis tant d'années qu'il est gouverneur, non plus que ses prédécesseurs, ni le Roi, ni les souverains de cet État, ni même les légats qui ont passé par ici, ou qui y ont demeuré, autant que je puis le savoir? Je puis citer un exemple dont j'ai été témoin, c'est celui du cardinal Moroni qui, quoique légat avec une pleine autorité, étant venu au Dôme, entendit une messe basse suivant le rite ambrosien ; et le Visiteur apostolique n'y a jamais dit la messe, pour ne pas introduire dans cette église un usage différent de celui qui est si ancien.

Quand il a été nécessaire pour la commodité des prêtres étrangers, ou des religieux qui faisaient la quête, je leur ai facilement accordé de dire la messe suivant leur rite dans les lieux du diocèse où il n'y a ni église, ni chapelle du rite romain, et quoique je l'aie fait avec restriction, cela n'a pas laissé de causer quelquefois des murmures et du déplaisir au clergé. Lorsqu'une fois je permis de la dire dans l'église de Saint-Ambroise de Milan pour favoriser la dévotion d'un religieux, qui ne devait la dire que dans une chapelle obscure  et secrète, on en fit tant de

 

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bruit et il y eut tant de dépositions,  que je fus d'abord "obligé de la révoquer, en sorte qu'elle n'eut aucun effet.

Je laisse à juger ce que produirait cette permission accordée à un magistrat aussi considérable qu'est le gouverneur qui, sans aucun besoin, s'en servirait dans les principales églises de la ville où il a accoutumé d'aller accompagné d'un grand nombre de personnes, particulièrement les jours de fête et lorsqu'il y a musique...... Vous parlerez à notre Saint-Père conformément à cette lettre, afin qu'il remédie à cette concession......

 

De la Vallée de Gerça, le 12 novembre 1578.

 

NOTE B

 

Coetus honorifici decus et gradus ordinis ampli,

Quos colo corde, fide, religione patres :

Jamdudum obliti desueto carmine plectri,

Cogitis antiquam me renovare lyram.

En stupidis digitis stimulatis tangere chordas,

Cum mihi non solito currat in arte manus.

Scabrida nunc resonat mea lingua rubigine verba,

Exit et incompto raucus ab ore fragor.

Vix dabit in veteri ferrugine cotis acumen,

Aut fumo infecto splendet in aere color.

Sed quia dulcedo pulsans quasi malleus instar,

Et velut incude cura relisa terit.

Pectoris atque mei succenditis igne caminum

Unde ministratur cordis in arce vapor;

Obsequor hinc, quia me veluti fornace recocto,

Artis ad officium vester adegit amor.

Celsa Parisiaci cleri reverentia pollens,

Ecclesiae genium, gloria, munus, honor.

Carmine Davidico divina poemata pangens,

Cursibus assiduis dulce revolvit opus.

Inde sacerdotes, Leviticus hinc micat ordo,

Illos canities, hos stola pulchra tegit.

Illis pallor inest, rubor his in vultibus erret,

Et candent rutilis lilia mixta rosis.

Illi jam senio, sed et hi bene vestibus albent,

Ut placeat summo picta corona Deo.

In medio Germanus adest, antistes honore,

Qui regit hinc juvenes, subrigit inde senes.

Levitae præeunt ; sequitur gravis ordo ducatum ;

Hos gradiendo movet, hos moderando trahit.

Ipse tamen sensim incedit, velut alter Aaron;

Non de veste nitens, sed pietate placens.

 

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Non lapides, coccus cidarim, aurum, purpura, byssus,

Exornant humeros, sed micat alma fides.

Iste satis melior veteri quam lege sacerdos,

Hic quia vera colit, quod prius umbra fuit.

Magna futura putans, praesentia cuncta refellens,

Antea carne carens, quam caro fine ruens.

Sollicitus, quemquam ne devoret ira luporum,

Colligit ad caulas pastor opimus oves.

Assiduis monitis ad passua salsa vocatus,

Grex vocem agnocens, currit amore sequax.

Miles ad arma celer, signum mox tinnit in aures,

Erigit excusso membra sopore toro.

Advolat ante alios, mysteria sacra requirens,

Undique quisque suo templa petenda loco.

Flagranti studio populum domus irrigat omnem,

Certatimque monent, quis prior ire valet.

Pervigiles noctes ad prima crepuscula jungens,

Construit angelicos turba verenda choros.

Gressibus exertis in opus venerabile constans,

Vim factura polo, cantibus arma movet.

Stamina psalterii lyrico modulamine texens,

Versibus orditum carmen amore trahit.

Hinc puer exiguis attemperat organa cannis,

Inde senex largam ructat ab ore tubam.

Cymbalicas voces calamis miscentur acutis,

Disparibusque tropis fistula dulce sonat.

Tympana rauca senum puerilis tibia mulcet,

Atque hominum reparant verba canora lyram.

Leniter iste trahit modulus, rapit alacer ille,

Sexus et setatis sic variatur opus.

Triticeas fruges fervens terit area Christi,

Horrea quandoquidem construitura Dei.

Voce Creatoris reminiscens esse beatos,

Quos Dominus vigiles, dum redit ipse, videt.

In quorum meritis, animo, virtute, fideque,

Tegmine corporeo lumina quanta latent !

Pontificis monitis clerus, plebs psallit et infans,

Unde labore brevi fruge replendus erit.

Sub duce Germano felix exercitus hic est,

Moses, tende manus, et tua castra juva.

 

(Venantii Fortunati opera, lib. II, caput XIII. Edit. Luchi.)

 

NOTE C

 

De hymnis etiam canendis, et Salvatoris et Apostolorum habemus exemplum : nam et ipse Dominus hymnum dixisse perhibetur, Matthaso Evangelista

 

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testante :Et hymno dicto, exierunt in montent Oliveti. (Matth. XXVI.) Et Paulus Apostolus ad Ephesios scripsit, dicens : Implemini Spiritu, loquentes vos in psalmis, et hymnis, et canticis spiritualibus. (Ephes. v.) Et quia nonnulli hymni humano studio in laudem Dei, atque Apostolorum et Martyrum triumphos compositi esse noscuntur, sicut hi quos beatissimi Doctores Hilarius atque Ambrosius ediderunt, quos tamen quidam specialiter reprobant, pro eo quod de Scripturis sanctorum canonum, vel apostolica traditione non existunt; respuant ergo et illum hymnum ab hominibus compositum, quem quotidie publico privatoque Officio, in fine omnium psalmorum dicimus : Gloria et honor Patri, et Filio, et Spiritui sancto, in secula seculorum. Amen. Nam et ille hymnus, quem, nato in carne Christo, Angeli cecinerunt : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis; reliqua quae ibi sequuntur, ecclesiastici Doctores composuerunt. Ergo nec idem in Ecclesiis Scanendus est, quia in Scripturarum sanctarum libris non invenitur. Componuntur ergo hymni, sicut componuntur missas, sive preces vel orationes, sive commendationes, seu manus impositiones : ex quibus si nulla dicantur in Ecclesia, vacant Officia omnia ecclesiastica. (Concil. Toletanum IV, canon, XIII.)

 

 

 

 

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