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DIM. - EPIPHANIE

PROPRE DU TEMPS

 

La saison liturgique à laquelle préside l'Esprit de sanctification s'est ouverte dans la splendeur d'une lumière toute nouvelle pour l'Eglise et pour l'âme chrétienne. Sous le bandeau protecteur de la foi, l'œil débile de notre intelligence a pénétré les profondeurs de Dieu (1) ; au sein des éternelles relations qui constituent la Trinité sainte, il a su distinguer les rapports sublimes qui rattachent l'homme, sorti du néant, à chacune des augustes personnes. L'homme a connu au saint banquet la Sagesse éternelle ; le mystère du monde s'est dénoué pour lui dans l'ineffable secret de l'amour et des noces divines. Source de vie, organe de la louange, lieu de rencontre merveilleux des deux amours de Dieu pour l'homme et de l'homme pour Dieu, le Cœur sacré du Sauveur est apparu pour redire à son tour et parfaire dans son unité ces féconds enseignements. L'ordre surnaturel dans sa plénitude rayonne maintenant de tout son éclat sur le monde.

Tels sont les débuts du divin Paraclet. L'Emmanuel lui-même, dans les années de son radieux passage, avait moins profondément illuminé la

 

1. I Cor, II,  10.

 

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terre. Et pourtant l'Emmanuel était la lumière (1) ; et l'Esprit, loin de promulguer des dogmes nouveaux, ne fait ici que rappeler au monde (2) les enseignements de celui qui reste à jamais le vrai Maître et docteur de son Eglise (3). Comment donc la lumière est-elle devenue soudain plus brillante au lendemain du départ de notre Emmanuel ? Comment l'Esprit, qui ne devait pas parler de lui-même (4), élargit-il ainsi dès sa venue les horizons célestes ? Entendons le mystère.

Sans parler de lui-même, l'Esprit enseigne divinement (5). C'est du Verbe qu'il reçoit ce qu'il dit à la terre (6) ; il l'écoute, et il parle des mêmes choses à son tour (7), mais d'une manière qui n'appartient qu'à lui.

Le Verbe éternel est la parole unique dont les multiples échos remplissent dès le commencement l'univers, l'enseignement divin que le jour transmet au jour et que la nuit raconte à la nuit (8); mais trop souvent cette voix puissante de la Sagesse (9), qui se joue au fond des abîmes comme dans les cieux (10), retentit incomprise. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres n'en sont point dissipées (11) : témoin l'ombre toujours croissante de ces jours de l'attente que l'Eglise, au temps de l'Avent, remettait sous nos yeux, et ce long égarement où l'homme déchu, faussant sa raison même, tournait contre Dieu la lumière de son Verbe (12). Bientôt nous le vîmes ce Verbe divin, après avoir ainsi marqué vainement de son empreinte resplendissante la série des siècles (13), converser sur terre

 

1. JOHAN. VIII, 12. - 2. Ibid. XIV, 26. — 3. Ibid. XIII, 13; MATTH. XXIII, 8-10; XXVIII, 19-20. — 4. JOHAN. XVI, 13. — 5. Ibid. — 6. Ibid. 14. — 7. Ibid. 13. — 8. Psalm. XVIII, 3. — 9. Sap. XVIII, 15. — 10. Eccli. XXIV, 8. — II. JOHAN. 1, 5. —  12.  Rom. I, 18-23. — 13.  Heb. I, 2 ; XI, 3.

 

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avec les hommes comme l'un d'entre eux (1), et traduire en son entier sous des mots humains (2) le céleste message de lumière et de vérité qu'il apportait au monde. L'oreille de chair des fils d'Adam a entendu, leurs yeux ont vu, leurs mains ont touché la parole de vie (3), le Verbe fait chair (4). Et néanmoins ceux-là même qui l'ont approché de plus près, les ministres prédestinés de la parole (5), ses messagers et ses témoins pour les nations (6), n'ont alors rien pénétré de la lumière du royaume de Dieu qui brillait si directement sur eux (7); pour ces futurs semeurs du Verbe dans les âmes (8), l'Emmanuel était toujours le Dieu caché (9), le Verbe incompris (10). Aussi s'en plaignait-il amoureusement dans les touchants adieux du soir de la Cène (11) ! Mais sa plainte était moins encore un reproche aux siens, qu'une prière instante à son Père (12), sollicitant l'envoi de l'Esprit créateur (13) qui pouvait seul transformer leur faiblesse native, et remplir, comme le chante l'Eglise (14), les entrailles mêmes des croyants de la chaleur du Verbe.

Car c'est là le secret victorieux, l'incomparable mode d'enseignement de l'Esprit d'amour. Si universel et si éclatant que se fût manifesté dans tous les âges le rayonnement du Verbe sur les intelligences (15), si intimes et si familières qu'eussent été avec ceux qu'il appelait ses amis les conférences de l'Emmanuel (16), la vérité toutefois, dans l'un et l'autre cas, ne rayonnait que du dehors, l'enseignement  demeurait extérieur ;  comme le soleil

 

1.  BARUCH, III, 38. — 2. JOHAN. XV, 15. — 3. I JOHAN. I, 1. —  4. JOHAN. I, 14. — 5. LUC. I, 2. — 6. Act. I, 8. — 7. LUC. VIII, 10. — 8. Ibid. 11.— 9. Isai. XIV, 15.— 10. LUC. XVIII, 34. — 11. JOHAN. XIV, 9, — 12. Ibid. 16.— 13. Psalm. CIII, 3o. — 14. Hymn. Pentecost. ad Matut. — 15. JOHAN. I, 9.

— 16. Ibid. XV, 15.

 

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dans la nature, le reflet de la lumière éternelle frappait les surfaces, sans pénétrer au fond des âmes. Comme un torrent impétueux (1), l’Esprit-Saint au contraire fait irruption dans l'homme même, et entraîne avec lui au plus intime de cet être de néant la vérité substantielle et vivante. Ainsi l'avait annoncé l'Homme-Dieu : « Ces choses que je vous ai dites en demeurant avec vous (2), proclamait le Sauveur, le Paraclet les  dira mieux encore ; car il sera non plus seulement avec vous, mais en vous (3). Cette vérité que vous ne pouvez porter maintenant tout entière, il vous conduira dans sa plénitude (4). » C'est qu'en effet son rôle à lui est moins encore de parler que d'agir, d'exposer la doctrine que de la réaliser, par la sanctification, dans l'Eglise et dans l'âme. « L'Esprit tient dans les saints une école merveilleuse, dit saint Cyrille d'Alexandrie : sans s'arrêter aux discours, il produit la science par une démonstration effective, en passant à la créature ce qui est de Dieu, et nous rendant participants de la nature divine (6). » Non seulement donc il purifie les sens, et dégage l'œil intérieur de ses souillures ; mais encore, par la vertu de cette action sanctificatrice qui lui est propre, il établit au centre même de la créature divinisée (7) ce royaume de Dieu dont le Sauveur racontait (8) aux pêcheurs de Galilée les grandeurs incomprises. Désormais plus d'incertitude, d'ignorance charnelle ou de grossières méprises; plus d'autre obscurité que celle de la foi, qui ne voit pas encore, mais sait (9) et possède (10) par l'Esprit les dons de Dieu. Avec

 

1. Psalm. XIV, 5. — 2. JOHAN. XIV, 25. — 3. Ibid. 17. — 4. Ibid. XVI, 12-13 juxta grœc. — 5. In JOHAN. Lib. X et XI, passim.— 6. II PETR. 1, 4.— 7. LUC. XVII, 21.— 8. JOHAN. I, 18. — 9. I Cor. II, 12. — 10. II PETR. I, 4.

 

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l'Apôtre, l'homme renouvelé comprend maintenant la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur des enseignements de l'Emmanuel (1). Car c'est le Christ lui-même qui, par le Paraclet, habite dans nos cœurs et les remplit de la plénitude de Dieu  (2).

Comme en effet, dit encore saint Cyrille en d'admirables développements dont nous ne donnons ici qu'une brève analyse, comme le parfum sorti d'une fleur ne dit autre chose que la fleur même dont il procède aux sens pénétrés de son odeur très suave : de même l'Esprit, lorsqu'il nous conduit ainsi dans la plénitude de la vérité, ne fait autre chose que répandre en nous le mystère du Christ. C'est l'économie de la divine Incarnation, dans sa puissance et ses profondeurs cachées, que le travail silencieux du Paraclet découvre à notre intelligence en l'appliquant à nos âmes. La vérité dont il est l'Esprit (3) n'est autre en effet que le Christ lui-même (4), et c'est le Christ et sa vertu qui habitent par lui dans les saints. Si le Verbe ne doit plus se montrer à nos yeux de chair dans son humanité ravie au monde (5), c'est pour se manifester au regard intellectuel du cœur comme il convient à un Dieu. Quand donc le Christ annonce (6), quand ses Apôtres répètent après lui (7) qu'il doit nous enseigner toutes choses par l'Esprit-Saint, gardez-vous de penser qu'il nous renvoie à un autre Maître que lui-même : il resplendit, selon sa promesse (8), dans les âmes pures, se révélant à elles d'une manière ineffable, et les dirigeant comme chef par son Esprit dans toutes

 

1. Eph. III, 16-19. — 2. Ibid. — 3. JOHAN. XIV, 17. — 4. Ibid. 6. — 5. II Cor. V, 16. — 6. JOHAN. XIV, 20. — 7. Eph. I, 17; III, 10. — 8. JOHAN. XIV, 21.

 

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leurs voies. Car la sanctification dont l'Esprit est l'auteur, qu'est-elle autre chose que la transformation de la créature à l'image de celui qui a dit : Soyez saints, parce que je suis saint (1) ? Or l'image de Dieu, unique et toute belle, l'empreinte sacrée d'après laquelle l'Esprit divin, comme un sceau d'une fidélité merveilleuse, marque l'humanité et frappe nos âmes à l'effigie de la face du Père (2), c'est son Fils éternel. Avec nous et pour nous le Verbe s'est sanctifié lui-même (3) dans sa nature humaine, oignant de l'Esprit le temple de son corps (4) ; avec l'Esprit et par lui, il nous transforme de clartés en clartés sur le type de cette humanité sainte (5), renaissant et croissant en chacun de nous (6) par l'incorporation des mystères de sa vie déifiante (7). Chrétiens qu'avait attristés naguère l'annonce du prochain départ de l'Emmanuel (8), comprenez maintenant que l'Homme-Dieu, remonté dans les cieux, n'a point pourtant abandonné la terre. Jésus-Christ est aujourd'hui, comme il était hier, comme il sera dans les siècles (9). Unique objet des complaisances du Père (10), seul digne instrument de la gloire souveraine, il ramène de même à sa propre unité le plan divin pour la sanctification des élus. Loin donc que la glorieuse Pentecôte ait eu pour résultat de consacrer par l'avènement du Paraclet l'éloignement du divin exemplaire et du guide de nos âmes, l'Esprit au contraire n'est descendu que pour serrer les liens du Chef et des membres, pour nous identifier dans la foi et l'amour avec celui qui  est le seul Saint, comme il

 

1. Levit. XIX, 2. — 2. Psalm. IV, 7. — 3. JOHAN. XVII, 19. — 4. Ibid. 11, 21. — 5. II Cor. III, 18. — 6. Gal. IV, 19.— 7.  Cyrill. At. in JOHAN. Lib. I, IX, X, XI; De Trinit. Dialog. IV, V ; et alibi, passim. — 8. JOHAN. XVI, 6. — 9. Heb. XIII, 8.  — 10. MATTH. XVII, 5.

 

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est le seul Seigneur et le seul Très-Haut avec le Père et l'Esprit dans les siècles sans fin (1) !

Le Cycle de la sainte Liturgie n'a été jusqu'ici, dans ses phases variées, qu'une série d'ascensions (2) vers ces sommets de la justice parfaite, où se consomme dans I'union la sainteté de l'Eglise. Humble fille de la terre, le Fils de Dieu dès les jours éternels (3) avait convoité sa beauté (4) : non qu'aucun des hommes pécheurs qui étaient appelés à former les membres de cette Epouse du Verbe divin, pût de lui-même apporter à l'Eglise une beauté digne du Roi ; mais celui dont elle était gratuitement recherchée, le Soleil de justice (5), avait projeté d'orner son front de sa propre splendeur. Par avance le regard divin découvrait en elle cette perfection sublime de la ressemblance du Père céleste (6) qui devait former, en même temps que l'essentielle beauté du Verbe lui-même (7), la sainteté de la race élue que son miséricordieux amour appelait à lui des montagnes désolées de la gentilité (8). Ainsi devait se trouver pleinement vérifiée la parole de l'Apôtre, que l’Epoux est l’image et la gloire de Dieu, comme l'Epouse la gloire de l'Epoux (9), et que tous deux sont inséparables dans l'ineffable harmonie du plan divin (10).

Un temps devait donc venir où la race des nations, la stérile (11) méprisée de la synagogue, la noire habitante des antres sauvages desséchée par le soleil d'Ethiopie (12), déposerait ses instincts farouches ; un jour, transformée par la grâce, elle apparaîtrait comme la vraie fille du Père et l'Epouse

 

1. Hymn. angelic. — 2. Psalm. LXXXIII, 6. — 3. Jerem. XXXI, s. — 4. Psalm. XLIV, 12. — 5. Malach. IV, 2. — 6. MATTH. V, 48. — 7. Sap. VII, 26. — 8. Cant. IV, 8. — 9. I Cor. XI, 7. — 10. Ibid. 11. — 11. I Reg. II, 5. — 12. Cant. I, 4, 5 ; IV, 8 ; Sophon. III, 10.

 

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de son Fils. Mais un tel résultat, attaché pour une part, ainsi qu'il convenait, au libre consentement de l'Epouse, ne pouvait être acquis sans labeurs Au temps de l'Avent, dans l'angoisse de l'attente et les luttes de la vie purgative, le Verbe a dégagé l'humanité de ses souillures et des ruines amoncelées qui gênaient son essor. Bientôt, ouvrant à ses pieds délivrés des entraves les sentiers de la VIE ILLUMINATIVE, il s'est fait son modèle (1), sa lumière (2), et son guide (3) vers l'idéal divin qu'elle devait reproduire. Le Christ a repris devant son Eglise la voie royale (4) de ses mystères ; l'entraînant à l'odeur de ses parfums (5) de Bethléhem au Jourdain, de la montagne de la Quarantaine au roc sanglant du Calvaire et au glorieux tombeau, il a si profondément imprimé en elle dans ce trajet mystérieux chacun des traits divins de son humanité sainte, qu'elle apparaît véritablement aujourd'hui comme la nouvelle Eve, prise de l’Epoux et faite de sa substance (6). A la grande joie du Seigneur Dieu, du Père souverain, l'Adam nouveau n'est plus seul : il a trouvé l’aide semblable à lui-même que la terre ni les cieux n'avaient pu lui montrer (7). Plus étroitement que l'ancien Adam à celle qu'il proclamait la chair de sa chair, le Verbe s'attachera divinement à cette Epouse glorieuse, sans tache ni ride, et toute belle de sa propre sainteté (8). Aussi bien, dépouillée d'elle-même et de sa vie propre, elle ne saurait plus vivre désormais que de l'Epoux (9). Vienne à s'élever le souffle du Paraclet sanctificateur, et ils ne seront plus qu'un même esprit (10), un seul corps (11).  La  fuite de

 

1. Exod. XXV, 40.— 2. JOHAN. VIII, 12.— 3. Ibid.— 4. Num. XXI, 22. — 5. Cant. I, 3. — 6. Gen. II, 23. — 7. Ibid. 18-20. — 8. Eph. V, 25-27. — 9. I Cor. XI, 8-9. — 10. Ibid. VI, 17. — 11. Eph. I, 23.

 

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l'Homme-Dieu dans l'Ascension triomphante (1) n'a point été l'abandon de l'Eglise ; pressé de consommer le mystère si longuement préparé de l'union divine, il regagnait sur l'aile des vents (2) l'impénétrable sanctuaire où procède du Père et du Fils l'Esprit d'amour, pour l'envoyer aux siens directement de sa source éternelle (3).

L'Esprit est descendu, et les annales de la sainte Eglise ont commencé de se dérouler  pour  le monde ; car alors seulement, grâce à l'union permanente et intime dont l'Esprit est l'auteur, elle a pu  commencer  à recevoir de son Chef divin le mouvement et la vie. Cette union féconde ne saurait faire défaut un seul instant à l'incomparable Epouse du Fils de Dieu, puisque, séparée de l'Epoux, elle cesserait d'être, en perdant le principe et la raison même de son existence. Il suit delà que la vie vjnitive est essentielle à l'Eglise, comme aussi cette vie supérieure n'appartient qu'à elle seule, étant le privilège et le secret de l'Epouse. C'est donc seulement en participation de l'Eglise, et comme membre  de cette unique (4) Epouse du Verbe, que le chrétien peut s'élever, dans le secret de Dieu (5), jusqu'à ces hauteurs de la divine charité où le Christ Jésus domine tellement les puissances de l'homme mortel, qu'elles puisent en lui seul, dès ici-bas, leur mouvement et leur vie (6). Par contre, il n'est personne d'entre les baptisés que le titre même de son incorporation à l'Eglise du Christ ne puisse conduire à quelque degré de cette vie plus intime; elle n'est celle du petit nombre que par le fait, chez tant de chrétiens, d'une correspondance trop intermittente ou trop faible à la grâce.

 

1. Cant. VIII, 14. — 2. Psalm. CIII, 3. — 3. JOHAN. XVI, 7. — 4. Cant. VI, 8  — 5. Col. III, 3. — 6. Gal. II, 20.

 

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Nous ne parlons point ici, en effet, de ces faveurs d'exception qui font l'objet spécial de la théologie mystique : états merveilleux, plus du ciel que de la terre, où l'aigle divin ne se bornant plus à exercer ses petits au vol des montagnes (1), et comme impatient des lenteurs de l'exil, saisit tout d'un coup l'âme éperdue et passive en ses serres puissantes, et l'entraîne par des voies inconnues jusqu'au trône de Dieu. Là, penchée déjà sur les flots de la mer de lumière où se baignent les élus (2), elle jouit par avance des concerts de la patrie (3) ; ou mieux encore, toute à son Dieu qui la veut pour lui seul, elle entend de sa bouche des paroles mystérieuses, d'ineffables secrets, et ne revient à elle qu'enivrée d'amour et pénétrée de ces divines confidences que l'homme ne saurait dire en la langue infirme et décolorée de la terre du péché (4). L'histoire de l'Eglise, dans sa partie la plus noble et la plus relevée qui raconte la vie des serviteurs de Dieu, est pleine de ces incidents sublimes par lesquels le Seigneur tient à manifester l'indépendance et la puissance de son amour. Toutefois Dieu n'a promis à personne ces communications merveilleuses ; moins rares que ne le pense un inonde superficiel ou distrait, elles demeurent néanmoins en dehors ou au-dessus du développement normal et ordinaire de la vie chrétienne.

Il n'en est pas de même de ce couronnement nécessaire de toute perfection qui constitue l'essence de la vie unitive, et n'est autre que le règne effectif de la divine charité dans l'âme baptisée. Rappelons-nous comment, en présence des multitudes

 

1. Deut. XXXII, 11. — 2. Apoc. IV, 6. — 3. Ibid. XV, i — 4. II Cor. XII, 4.

 

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accourues pour entendre sa voix (1), le Seigneur Jésus proclamait du haut de la montagne la vocation surnaturelle de tous à la perfection (2) et à la sainteté (3) : ne déclarait-il pas suffisamment, par là même, ouverte à tous la voie conduisant à ce terme de l'union divine, ainsi comprise? car c'est l'union divine ainsi comprise qui, seule, produit la sainteté parfaite. Peu importent donc le sexe et l'âge ou la diversité des conditions, quand il s'agit d'une âme vraiment soucieuse de développer en elle le germe divin (4) et fidèle à la grâce. Il n'en est point qui ne puisse, ainsi disposée, parvenir des degrés inférieurs, où dominent l'espérance et la crainte, jusqu'à l'assimilation dans l'amour avec Celui dont la foi tend à faire dès ce monde l'unique objet de nos aspirations et de nos pensées. Si la foi seule enseigne à cette âme les ineffables rapports établis par la grâce entre elle et son Dieu, ces rapports, pour n'être pas sentis et goûtés comme dans les communications mystérieuses dont nous parlions tout à l'heure, n'en sont pas moins réels et peuvent être au fond plus intimes encore. Le degré plus ou moins élevé de l'union divine ne dépend point, en effet, des manifestations diverses et toujours incomplètes qu'en peuvent amener ici-bas les célestes prévenances ; il résulte de l'unification plus ou moins parfaite et constante de l'âme avec le vouloir divin, parla possession croissante de la justice et l'exercice des vertus chrétiennes. Aussi le Seigneur refuse-t-il quelquefois les dons mystiques à ses plus aimés, à ses plus fidèles ; et il est telle âme généreuse qui, sans  avoir  jamais

 

1. MATTH. IV,  25. — 2. Ibid. V, 48.  — 3. Rom. I, 7. — 4. Heb. III, 14.

 

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abandonné les sentiers ordinaires, se trouvera plus rapprochée du cœur de l'Homme-Dieu, dans le plein jour de la gloire, que plusieurs qui auront paru durant leur vie les privilégiés de son amour.

Mais les âmes que la vertu de Dieu garde ainsi dans l'amour éprouvé qui fera leur gloire au jour de la révélation de l'Epoux (1), ont besoin d'adhérer d'autant plus à l'Eglise, que la lumière immédiate du Sauveur et ses consolations leur font défaut davantage. Qu'elles prennent courage, en se disant que si leur voie peut demeurer ainsi plus laborieuse, elle est aussi plus assurée. Seule, en effet, la sainte Eglise a la promesse de ne point s'égarer sur ces sommets bordés de précipices, où l'ennemi du Verbe a dressé de tout temps ses plus perfides embûches. Combien d'âmes sa jalousie monstrueuse n'a-t-clle pas entraînées misérablement par l'aspect, trompeur à l'origine, d'un amour plus épuré, d'une vertu plus relevée ! Malheur à qui, dans la pensée de dépasser ses compagnons de route, s'engage en des sentiers détournés et s'aperçoit qu'il perd de vue l'Eglise : le mirage qui le séduit, le faux éclat qui l'attire, n'est point la lumière de l'Epoux, mais la lueur de Satan (2). Qu'il reprenne vite le chemin battu, qu'il revienne à sa Mère ; qu'il apprenne de la séraphique Thérèse, que la qualité de fille de l'Eglise est le premier titre de l'épouse aux faveurs de l'Epoux, comme le sujet de la dernière action de grâces qui devra s'échapper, au sortir de cette vie, de ses lèvres mourantes (3).

Elles sont poignantes les angoisses de la Mère commune qui voit ses fils les plus généreux, séduits

 

1 I PETR. I, 5-7. — 2. II Cor. XI, 13-15. — 3. RIBÉRA, L. III, c. 15.

 

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comme Eve par la ruse du serpent, fausser ainsi leurs sens intérieurs et déchoir de la simplicité de Jésus-Christ (1). Mais, d'autre part, quelle n'est pas aussi sa douleur, en contemplant la multitude toujours plus grande de ces hommes qui dédaignent complètement l'appel  divin,  et tous  ces tièdes, ces endormis et ces faux humbles qui, sans rompre absolument avec le Seigneur, prétendent répondre suffisamment aux divines avances par l'équivoque et vulgaire fidélité de l'esclave ou du mercenaire ! La tendresse de la Mère et l'ardeur de l'Epouse, ces deux amours les plus profonds et les plus vifs que Dieu ait allumés sur terre, conspirent à la fois pour embraser son cœur d'un zèle immense, d'un désir aussi vaste que ce monde,  qu'elle voudrait conquérir tout entier aux splendeurs fécondes de l'union divine. Elle se consume contre elle-même de l'ardente jalousie  qui  dévorait  saint Paul (2). Car tous ces chrétiens insouciants de leur vocation sublime, ces fils qu'elle n'arrive point à soulever de terre,  sont pourtant devenus ses  propres membres au baptême ; et elle souffre ineffablement pour son Dieu de l'absence ou des imperfections de l'amour en ces membres appesantis, qui n'en forment pas moins, pour leur part, ce corps qu'elle avait fiancé sans réserve à l'unique Epoux comme une vierge très pure.

Eglise, quel modèle n'êtes-vous pas pour vos fils ! Femme forte, dont la lampe ne s'éteint point dans la nuit de ce monde (3), la foi seule vous unit à l'Epoux. Comme nous, vous aimez sans voir (4). Depuis dix jours déjà l'Emmanuel avait disparu dans  la nuée (5),  quand le souffle de sa bouche

 

1. II Cor. XI, 3. — 2. Ibid. 1. — 3. Prov. XXXI, 10-31. — 4. I PETR. 1, 8. — 5. Act. 1, 9.

 

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divine, envoyant l'Esprit sur terre, anima l'Epouse qu'il s'était formée (1), et fit de cet Esprit d'amour qui procède de lui l'âme même de cette chair de sa chair (2). L'Amour même devenait votre vie, ô Eglise ; et cependant il se dérobait à vos regards, celui vers qui vous étiez irrésistiblement attirée. Au lieu du Bien-Aimé, des hommes mortels, chargés par lui de recevoir l'Epouse à sa naissance, vous remettaient en son nom le Testament de son alliance, la dot du sang qui vous avait rachetée (3) et tous les gages sans prix de l'union divine. Ces messagers de l'Epoux, ces témoins qui l'avaient vu sans pénétrer ses grandeurs, sans rien comprendre à ses projets célestes, avec quel humble dévouement, avec quelle fidélité émue, maintenant éclairés eux-mêmes et embrasés du même Esprit d'amour, ils vous transmettent les ineffables confidences du Christ-Dieu et vous redisent les charmes vainqueurs du plus beau des enfants des hommes (4)! Vous n'avez rien perdu de leurs paroles, ô Eglise ; le retour périodique des pompes sacrées, ramenant chaque année les mystères du Sauveur, montre jusqu'à quel point vous avez fait des souvenirs de l'Epoux le cycle de votre propre vie. Mais, par la grâce de l'Esprit, tout n'est point simplement souvenir dans la vie de l'Eglise ici-bas ; son titre d'Epouse n'est pas un vain mot ; l'inépuisable fertilité de cette terre qui n'est qu'au Seigneur (5), prouve amplement que, pour s'être dérobé sur les collines éternelles, le Soleil de justice n'en darde pas moins directement sous la nuée ses rayons fécondants (6).

 

1. Gen. II, 7. — 2. Ibid. 23. — 3. Eph. V, 25 ; I PETR. I, 18-19. — 4. Psalm. XLII. 3. — 5. Psalm. XXIII, 1. — 6. Psalm. LXXV, 5.

 

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C'est ce fait permanent de l'union du Christ et de son Eglise, cette existence féconde de l'Epouse à travers les siècles, que représente dans la sainte Liturgie la longue phase du Temps après la Pentecôte. On ne doit pas s'étonner que cette seconde partie de l'Année liturgique égale ou dépasse même souvent en durée la première, ayant ainsi pour objet la vie réelle de l'Eglise, et ce règne de l'amour qui devrait absorber la vie entière de tout chrétien dans les années de son pèlerinage (1). C'est maintenant que l'Homme-Dieu atteint véritablement le but de son labeur divin, par l'adhésion dans l'Esprit-Saint des membres à leur Chef (2) ; la Sagesse éternelle, en possession de l'humanité, produit pour Dieu des fruits sans nombre (3) ; la semence du Verbe, jetée à pleines mains, appelle cent pour un dans la terre de nos coeurs (4). La prière, la souffrance et l'action, se disputant les âmes, vont y montrer la puissance de l'amour. Car rien n'est plus loin de la vraie dilection que la fausse quiétude, ce prétendu repos habituel en Dieu qui engourdit les facultés sous le prétexte fallacieux de ne permettre à l'âme qu'amour pur ; pareil système immobilise l'Esprit-Saint, et tendrait logiquement à ne voir plus bientôt qu'imperfection ou distraction fâcheuse dans l'exercice dès vertus les plus nécessaires. L'amour parfait, entrant dans une âme, s'empare, il est vrai, de toutes ses puissances; mais, loin de les détruire ou de les confondre, il décuple à son profit leurs énergies spéciales. Rangeant sous l'empire de la divine charité le champ de leur action multiple, il grandit lui-même de chacun de ces actes qu'il inspire. Forme

 

1. MATTH. XXII, 36-40. — 2. I Cor. VI, 15-17. — 3. Eccli. XXIV, 26. — 4. LUC. VIIII, 8.

 

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et vie des vertus, ferment divin de croissance, il développe l'être surnaturel dans ses diverses parties simultanément, sans confusion, sans division, selon ces proportions harmonieuses qui consomment enfin l'homme parfait sur la mesure du Christ lui-même (1).

Tel est l'enseignement que nous donnera désormais la sainte Eglise. Mais les leçons de la Mère commune, dans cette dernière partie de l'année, ne seront pas moins précieuses pour révéler à ses fils comment cette vie d'union, qui est la sienne, ramène à l'unité les travaux de l'Epouse. Réjouissons-nous d'avoir pris la sainte Liturgie pour guide dans les sentiers qui mènent à Dieu ; car, nous allons le voir, c'est la religion même, dont la Liturgie est l'expression splendide et authentique, qui donne leur vrai caractère à la consommation comme aux divers degrés de l'union divine et de la vie chrétienne.

Si jamais, en effet, le mouvement et la vie ne se firent remarquer davantage que sous l'empire de la charité dans le septénaire des vertus, jamais non plus l'union qu'opère l'Esprit de Dieu entre le Christ et ses membres fidèles ne saurait s'affirmer plus sûrement dans une âme, que par le retour incessant de cette activité de l'amour au point final qui fut l'unique but des actes du Sauveur : la gloire de Dieu, l'exaltation de la Trinité sainte en toutes choses et en tous (2). Or, c'est la religion qui a pour objet la poursuite de cette gloire souveraine ; la religion devait être dès lors et fut en effet, comme elle l'est encore aujourd'hui dans les cieux, la vie même du Pontife éternel ; elle doit donc être aussi le trait caractéristique de

 

1. Eph. IV, 13-15. — 2. I Cor. XV, 28.

 

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l'union véritable, la vie des âmes identifiées au Seigneur Christ : car, nous dit l'Apôtre, celui qui adhère au Seigneur est un même esprit avec lui (1).

Aussi l'Eglise, sachant bien que la fidélité de l'Epouse était à ce prix, a-t-elle fait de la religion le fonds même de son existence. Les magnificences de sa Liturgie, soutenues de l'intégrité de sa foi, la distingueront toujours des sectes perdues. Le temple est sa demeure ; elle n'en sort que pour ramener sans cesse des fidèles plus nombreux au Christ Pontife. C'est là qu'elle veut ses fils aux jours des joies communes, qu'elle les engendre à l'Epoux, qu'elle les bénit et les enseigne; c'est autour de l'édifice sacré qu'elle les rassemble encore dans le repos suprême, comme elle les convoquait durant leur vie dans ses murs.

Parmi les âmes dont le Seigneur a remis entre ses mains les destinées célestes, il en est qui, touchées des accents de sa voix appelant son Dieu dans la nuit et disant son amour à tous les échos des vallées de l'exil (2), prétendent s'attacher de plus près à leur Mère dans la poursuite du Bien-Aimé (3) ; on les voit renoncer comme elle à toute autre pensée que celle de l'union divine et de la vie parfaite. Mais, n'est-ce pas encore sous la bannière de la sainte Religion qu'elle enrôle ces filles de la vraie Jérusalem et les entraine vers l'objet de leur commun amour ? Appesantis sous la matière, les fils des hommes voient sans comprendre (4) passer dans les rues de leurs villes (5) ces enfants de Dieu dont les aspirations supérieures offusquent leurs sens. Mais c'est en vain que les gardiens de la cité terrestre (6) dépouillent sans cesse,

 

1. I Cor. VI, 17. — 2.Cant. III, I ; V, 8-16. — 3. lbid. 17. — 4. I Cor. II, 14. — 5. Cant. III 2-4. — 6. lbid. IV, 7.

 

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frappent et repoussent sans fin la phalange sacrée; car c'est l'Eglise elle-même, l'Eglise que nulle force humaine ne saurait arrêter, et qui se manifeste ici par ces religieux ou ces religieuses dans toute la délicatesse et l'essence même de son titre d'Epouse. Epouse, elle ne l'est en effet que par l'union qui la fait avec le Christ un seul corps (1) ; le corps du Christ, ce corps qu'il n'a reçu (2), qu'il n'accroît sans cesse que pour en faire dans le Sacrifice hommage à son Père, elle ne l'est sans réserve, ici-bas, qu'en ceux de ses membres dont tous les mouvements et la vie sont absorbés, par le fait de leur consécration sublime, dans la religion et l'oblation du Pontife éternel.

La vie parfaite, il est vrai, n'est point celle de tous ; mais tous les chrétiens n'en ont pas moins à justifier, pour entrer au ciel, de ce degré d'union divine indispensable qui doit les  faire en toute vérité membres du  Christ. Or, si infime qu'on la suppose, l'adhésion  nécessaire du dernier des prédestinés au Chef des élus ne change pas pour cela de nature : quelle que soit la distance séparant certaines âmes dans la voie qui conduit au Seigneur, le but que  poursuit  la Sagesse  dans ses appels  aux fils des hommes reste toujours, à des degrés si divers, l'assimilation plus ou moins complète de tous à cet Homme-Dieu, Victime et Pontife, dont l'oblation consomme la gloire du Très-Haut. Cette union de conformité effective avec le Verbe incarné est le nœud du salut, la racine même de la prédestination, d'après saint Paul (3) ; et l'Apôtre nous apprend qu'elle est, pour les catéchumènes, le fruit du premier et du plus nécessaire des  Sacrements.  Entés dans le baptême sur le

 

1. Gen. II, 24. — 2. Heb. X, 5-14. — 3. Rom. VIII, 29-3o.

 

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Christ immolé (1), l'onction du chrême qu'ils reçoivent au sortir de la fontaine sactee révèle en eux, d'autre part, ce royal sacerdoce que l'enthousiasme inspiré du Prince des Apôtres saluait à son tour, sans distinction d'états, dans la nation des nouveau-nés du Christ (2).

es considérations formant la base de l'enseignement moral contenu dans leurs Epîtres, quoi d'étonnant que pour Pierre et pour Paul, que pour l'Eglise conduite par eux aux sources pures de la doctrine, la science de la vie chrétienne se résume comme naturellement dans la recherche de la gloire souveraine (3), dans la religion et le Sacrifice du Chef étendus à ses membres ? Quel peut être en effet le but de l'empreinte qui marque ainsi le fidèle, à son entrée dans la vie, du sceau du Pontife suprême : sinon de transformer en aliment de l'holocauste éternel tous ses triomphes sur le péché, tous les dévouements, tous les actes vertueux qui rempliront sa vie sur terre ? Au sein des eaux fécondes où le chrétien prend naissance, lui aussi peut dire justement la parole du Christ Pontife offrant, dès sa première entrée dans le monde, au Père infini ce corps qu'il n'avait reçu que pour l'immoler à sa gloire (4). Car le chrétien,lui aussi, saint Paul le déclare, ne devra considérer le sien désormais que comme l’hostie vivante du culte parfait qu'il doit au Seigneur (5) ; et s'il entre dès lors en participation du sacerdoce de l'Homme-Dieu, saint Pierre nous montre, de son côté, que c'est uniquement pour faire de ses œuvres bonnes autant d'hosties spirituelles offertes à Dieu par Jésus-Christ (6).

 

1. Rom. VI, 5. — 2. I PETR. II, 2-9. — 3. I.Cor, X, 31.— 4. Heb. X, 5. — 5. Rom. XII, 1. — 6.  I PETR. II, 5.

 

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Que sommes-nous encore pour ces deux pères de la foi des nations, pour ces incomparables témoins du Verbe qui fondèrent dans leur sang l'Eglise mère et maîtresse, sinon les pierres vivantes (1) du temple bâti par l'Esprit sur la pierre angulaire (2), temples complets nous-mêmes (3), assimilés que nous devions être en toutes choses (4) au Chef divin qui fut dans son humanité le sanctuaire de l'adorable Trinité (5) ? N'est-ce pas assez dire que l'adoration, la prière, la louange, le Sacrifice surtout, doivent remplir nos pensées, dominer tous nos actes ? Car un temple doit être ce que l'indique son nom (6) ; si la religion ne présidait à ce qui se passe dans son enceinte, la Majesté qui l'habite aurait le droit de s'en trouver offensée.

Or c'est l'arrivée de l'Esprit Saint qui fait de nous les sanctuaires delà divinité (7) ; c'est le règne du Paraclet qui nous impose l'obligation sublime de glorifier et de porter Dieu dans nos corps (8). Si quelqu'un m'aime, avait dit le Sauveur, mon Père l'aimera, c'est-à-dire lui donnera cet Esprit qui est son amour (9) ; et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (10). La promesse était formelle; au jour de la Pentecôte, elle s'est accomplie. L'Esprit, partant du trône (11), a rempli du flot divin (12) qui s'échappe avec lui du cœur de l'Homme-Dieu (13) le baptistère où l'Eglise, dans la personne des trois mille néophytes (14), attendait sa naissance. Comme jadis au Jourdain (15), les trois divines  personnes se sont de concert  abaissées

 

1. I PETR. II, 4-5. —2. Eph. II, 20-21. — 3. Ibid. 22. — 4. Heb. II, 17. — 5. JOHAN. II, 21. — 6. S. P. Bened. Reg. cap. LII. — 7. I Cor. III, 16. — 8. Ibid. VI, 20 — 9. I JOHAN. IV, 12-13. — 10. JOHAN. XIV, 23. — 11. Resp. fer. II Pentec. — 12. Psalm. LXIV, 10. — 13. JOHAN XIX, 34; III, 5 ; VII, 37-39. — 14. Act. II, 41. — 15. MATTH. III, 16-17.

 

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vers l'onde mystérieuse; et tandis que l'eau sainte coulait sur les membres des premières conquêtes de l'Esprit du Christ, dans toutes ces âmes, naguère aveugles et pauvres, c'était, nous dit la sainte Liturgie (1), comme un débordement de la Divinité les inondant de lumière et d'amour. Non seulement la Trinité se révélait au monde : par la formule toute-puissante du saint baptême, elle prenait possession des hommes régénérés, faisant de chacun comme de tous réunis, dit saint Augustin, son temple véritable (2).

Il était donc bien juste que la fête de la Trinité suivit d'aussi près la glorieuse Pentecôte : ne convenait-il pas que l'Eglise, s'éveillant à la vie dans la pleine conscience de cette habitation merveilleuse, se prosternât tout d'abord pour reconnaître et adorer le Dieu trois fois saint qui la remplissait de sa Majesté ? L'harmonie du Cycle allait d'ailleurs continuer de se montrer, ici comme toujours, pleine de lumière et riche d'enseignements.

La manifestation des trois augustes personnes, la reconnaissance des hommages qui sont dus à leur Unité par toute créature, précédait en effet la rencontre de l'Homme-Dieu et de l'Eglise au Sacrement d'amour, et donnait à I'union son vrai caractère. La fête de l'Eucharistie, ainsi placée, devait révéler à l'Epouse que la glorification du Dieu unique en trois personnes était le fruit attendu des noces divines. Les fils de l'Eglise, les conviés de la Sagesse, élevés si haut sans, mérite de leur part, comprendraient mieux désormais pourquoi le Christ n'avait point voulu se donner à ses fidèles autrement que dans l'action même du Sacrifice, qui consomme la gloire de la Trinité souveraine.

 

1. Resp. fer. v Pentec. — 2. Aug. Epist.  187, aliàs 57.

 

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C'est par l'assimilation de l'Epoux et de l'Epouse, c'est dans la sainteté du Fils de l'homme devenue celle de son Eglise que l'alliance devait s'accomplir. Père, s'écriait l'Homme-Dieu, sanctifiez ceux que vous m’avez donnés dans la vérité qui est votre Verbe ; car c'est pour eux que je me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité (1). Or cette sanctification mystérieuse du Saint de Dieu (2), du Verbe divin, qui communique aux siens la sainteté véritable, n'est autre, d'après les Pères (3), que la consécration du Sacrifice par lequel le Christ Jésus, Pontife suprême et Chef du monde, rend à Dieu, pour la création, l'hommage parfait qu'il était en droit d'en attendre. Dans le langage humain, comme dans celui des Ecritures inspirées (4), justice et sainteté se confondent ; si donc la suprême sainteté ne fait qu'une même chose avec la souveraine justice, l'acte saint et sanctifiant (5) par essence n'est-il pas en toute vérité ce Sacrifice du Fils de l'homme qui proclame avec tant d'éloquence, qui restaure si pleinement, qui satisfait jusqu'à l'infini le droit de dieu, ce droit éternel d'où découlent tous les autres et qui fonde toute justice ?

Le Sacrifice, consommant ainsi toute sainteté dans le Chef (6) et les membres (7), devait seul aussi par là même consommer l'union du Christ et de son Eglise. Ne soyons point surpris, dès lors, qu'il domine de son imposante et simple unité la période consacrée à représenter, à célébrer, à parfaire toujours plus cette union divine. C'est en vain qu'on espérerait trouver d'une manière suivie,

 

1. JOHAN. XVII, 17, 19. — 2. Psalm. XV, 10; Marc, I,  24. — 3. Cyril. At., in JOHAN. Lib. XI, c. 10. — 4. Act. III, 14. — 5. Rom. III, 26. — 6. Heb. II, 10. — 7.  Ibid. X, 14.

 

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dans la série des Dimanches après la Pentecôte, cette gradation voulue et si dramatique, cette marche progressive qui frappait l'attention dans les périodes précédentes du cycle liturgique. l'Eglise alors cherchait l'Epoux ; elle se rapprochait de lui chaque jour par l'incorporation successive de ses mystères, jusqu'à ce qu'enfin, toute transformée en lui, rien ne s'opposât plus véritablement à l'union désirée. L'Homme-Dieu, il est vrai, se dérobait à cette heure même et paraissait l'abandonner dans la nuit de l'épreuve ; mais au même temps il envoyait sur terre l'Esprit-Saint, et celui-ci révélait à l'Eglise le sens de la parole prononcée par l'Epoux au Cantique : D'ici que paraisse le jour et que les ombres se retirent, j'irai au mont de la myrrhe, à la colline de l’encens (1).

L'Eglise a compris le sacré rendez-vous. Elle s'est fixée sur la montagne du Sacrifice, mêlant la myrrhe de ses souffrances et l'encens de ses adorations à l'hommage du Pontife suprême. Là elle complète le Christ ineffablement (2), et reçoit chaque jour une fécondité nouvelle. Ayant donc trouvé celui que cherchait son âme, elle l'a saisi pour jamais (3) et ne quittera plus le lieu de la rencontre fortunée. Un jour, elle doit fuir avec lui (4) jusqu'aux montagnes où les fleurs du ciel mêlent leurs parfums à celui de l'holocauste éternel ; mais dès maintenant l'amour triomphe. Car, si éloignées que puissent être encore les splendeurs de la patrie, de ces sommets de la terre d'exil où l'Homme-Dieu continue en elle son immolation réparatrice, l'Eglise peut dire en toute vérité, reprenant les expressions de  l'Epoux  lui-même :

 

1. Cant, IV, 6. — 2. Eph. I, 23. — 3. Cant. III, 4. — 4. Ibid VIII, 14.

 

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Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui, d'ici que paraisse le jour et que les ombres se retirent  (1).

Après ces considérations qui nous ont paru indispensables pour faire ressortir l'importance de cette saison liturgique, et préciser le caractère qu'elle doit revêtir aux yeux des enfants de l'Eglise, nous reprenons où nous l'avions laissé notre exposé du Propre du Temps. L'œuvre de sanctification qu'opère le divin Esprit dans les âmes et son travail incessant dans l'Eglise auraient pu nous offrir, durant cette période, un vaste champ de commentaires pour chacun des jours de la semaine ; l'expression et la raison liturgiques n'eussent point manqué d'ailleurs à ces réflexions fructueuses, qu'on eût tirées des Epîtres et des Evangiles propres restés longtemps en usage, pour un grand nombre de fériés, dans cette partie de l'année elle-même. Mais il eût fallu, pour cela, dépasser de beaucoup les bornes qui s'imposent à nous dans cet ouvrage. Il convient donc de nous en tenir à l'explication de la liturgie dominicale, suivant, en cela même, la coutume présente de l'Eglise latine; depuis le XVI° siècle en effet, elle observe comme une règle générale de reprendre simplement pendant l'année la Messe du Dimanche, dans les fériés non occupées par quelque fête. Les fidèles pourront revenir de même, durant la semaine, sur les lectures de chaque Dimanche ; et cette considération nous permettra de développer davantage, quand l'occasion s'en présentera, nos commentaires sur les diverses parties de la liturgie dominicale.

 

1. Cant. II, 16-17.

 

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Nous plaçons ici le premier Répons de l'Office du Temps après la Pentecôte, comme la meilleure introduction que nous puissions souhaiter aux enseignements de cette saison liturgique.

 

RÉPONS.

 

 

R/. PRAEPARATE CORDA vestra Domino, et servite illi soli: * Et liberabit vos de manibus inimicorum vestrorum.

 

V/. Convertimini ad eum in toto corde vestro, et auferte deos alienos de medio vestri. * Et liberabit vos.

 

 

R/. PREPAREZ VOS COEURS pour le Seigneur, et servez-le lui seul : * Et il vous délivrera des mains de vos ennemis.

 

V/. Convertissez-vous à lui de tout votre cœur, et ôtez du milieu de vous les dieux étrangers. * Et il vous délivrera.

 

 

 

 

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