MARDI OCTAVE

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SAINT SACREMENT
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DIMANCHE OCTAVE
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MARDI OCTAVE
MERCREDI OCTAVE
JEUDI OCTAVE
VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE MARDI DANS L'OCTAVE DU SAINT-SACREMENT.

 

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.

Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture.

 

La Sagesse poursuit l'accomplissement du plan divin qu'elle a conçu avant tous les âges. Ses noces avec la nature humaine au sein de la Vierge-Mère ont manifesté son amour; et Jésus, ce fils de l'homme qui n'eut jamais d'autre personnalité que le Verbe lui-même, immolé sur la Croix dans un Sacrifice renouvelé chaque jour, présente au Père une gloire infinie.

Mais l'auguste victime, descendue sur terre à la voix du Prêtre, ne remonte point vers les cieux dans les tourbillons de la flamme sacrée qui consumait autrefois l'holocauste. Immobile et passive comme les éléments dont sa substance a pris la place en cette conversion merveilleuse qui fait le Sacrifice, elle demeure à l'autel sous leur propre apparence, pain et vin pour les yeux et tous les sens, Sacrement auguste, signe sensible d'un festin mystérieux.

« Sacrement des sacrements (1), ô très saint, soulevant

 

1. Dion. De eccl. hier, c III. I.

 

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levant les voiles qui t'entourent de leurs significations mystérieuses, montre-toi de loin dans ta splendeur et remplis nos âmes de ta directe et très pure lumière (1). » Ainsi s'écrie dans son incomparable langage le révélateur des divines hiérarchies, l'Aigle d'Athènes aussi la gloire de notre terre des Gaules, lorsqu'après avoir exposé les cérémonies saintes du Sacrifice, prêtant ses ailes au souffle de l'Esprit divin, il s'élance, dans les délices d'une contemplation sublime, jusqu'à la rayonnante beauté des archétypes ou principes des rites sacrés qu'il vient de décrire. Suivons du regard le vol puissant du Platon chrétien consacrant dans la foi les formules du génie antique, et soumettant avec Paul au Christ les hauteurs de la science (2).

Le Prêtre vient d'accomplir les redoutables Mystères; il les produit aux veux sous le voile des espèces. Ce pain cache tout à l'heure et ne formant qu'un tout, il le découvre, il le divise en plusieurs parts ; il donne à tous du même calice : il multiplie symboliquement et distribue l’UNITÉ, consommant ainsi le Sacrifice. Car l'unité simple et cachée du Verbe, épousant l'humanité entière, s'est avancée des profondeurs de Dieu jusqu'au monde visible et multiple des sens ; et s'adaptant au nombre sans changer de nature, unissant notre bassesse à ses grandeurs, notre vie et sa vie, sa substance et nos membres, elle veut ne faire de tous qu'un seul tout avec elle (3) : de même le Sacrement divin, un, simple, indivisible en son essence, se multiplie amoureusement sous le symbole extérieur des espèces, afin que, se repliant

 

1. Dion. Ibid. 3, § II. — 2. II Cor. X, 5. — 3. Dion. Ibid. § XII, XIII.

 

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sur son principe et rentrant du multiple en sa propre unité, il y ramène ceux qui sont venus à lui dans la sainteté (1).

Aussi le nom qui lui convient davantage est-il excellemment Eucharistie, Action de grâces, comme renfermant l'objet de toute louange et tous les dons célestes arrivés jusqu'à nous. Merveilleux sommaire des opérations déifiantes, il soutient notre vie, et restaure la ressemblance divine en nos âmes sur l'archétype souverain de l'éternelle beauté ; il nous conduit par de sublimes ascensions dans une voie surhumaine ; par lui sont réparées les ruines de la faute première ; par lui prend fin notre indigence : prenant tout en nous, se donnant tout entier, il nous fait participants de Dieu même et de tous ses biens (2).

De là vient, dit encore saint Denys, que « ce qui est commun aux autres, sacrements est attribué a spécialement à celui-ci, étant aussi appelé COMMUNION et Synaxe : bien que chacun d'eux ait également pour but de ramener au centre divin nos vies divisées ; bien que tous, réduisant sous l'influence de la simplicité déifique la multiplicité des affections diverses et contraires, mettent l'homme par eux-mêmes en communion intime avec l'Unité souveraine. Mais à ces autres signes sacrés et sanctificateurs il faut, pour la consommation de leur œuvre commune, le complément de la perfection substantielle et divine que donne le premier. Il n'est guère en effet de fonction sacrée où la divine Eucharistie, comme couronnement de toute consécration, ne vienne serrer les liens de l'initié avec I'Un suprême et parfaire cette union divine dans le don des

 

1. Dion. Ibid. § III. — 2. Ibid. § VII.

 

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Mystères augustes qui la consomment. Si donc les autres sacrements, ne donnant point ce qu'ils n'ont pas, demeurent comme incomplets, sans pouvoir établir entre nous et l'Unité d'union substantielle ; si leur but est de préparer celui qui les reçoit aux Mystères divins, comme à la fin sommaire où ils tendent : c'est à bon droit que l'accord des Pontifes a nommé celui-ci d'un nom tiré de la nature des choses, en l'appelant COMMUNION (1). »

 

« O Sacrement d'amour! ô signe de l'unité! ô lien de charité ! » reprend à son tour saint Augustin (2). Mais cette force unitive de l'Eucharistie, magnifiquement célébrée par l'Aréopagite dans le rapprochement qu'elle opère entre Dieu et sa créature, l'évêque d'Hippone se complaît à la voir édifiant dans la paix le corps mystique du Seigneur, et le préparant pour l'éternel Sacrifice et la communion universelle et parfaite des cieux. C'est l'idée-mère qui lui inspire sur le divin Sacrement ces élans sublimes, dont plus d'une fois déjà le lecteur a pu apprécier la beauté; car parmi les autres Pères et saints Docteurs, si riches eux-mêmes en profondeur et en amour sur le divin objet qui nous occupe, nous aimons à le citer de préférence à la suite de l'Eglise, dont il reflète tellement fa pensée dans cette Octave, qu'elle l'a choisi jusqu'aujourd'hui pour son unique interprète dans les belles Homélies de l'Office nocturne.

Ne craignons donc point de suivre l'évêque d'Hippone sur ces sommets de la théologie

 

1. DION. De eccl. hier. c. III, I. — 2. In JOHAN. Tract, XXVI, 13.

 

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eucharistique, où L'Eglise le donne pour guide à ses tils. La lumière de la foi, reçue au saint baptême, suffit à disposer le simple fidèle à l'intelligence de ces enseignements sublimes qui ne sont au fond que la sève régulière de la vraie vie chrétienne. Ce n'est point dans rassemblée choisie de quelques âmes d'élite, ni au sein de quelqu'une des plus illustres Eglises, que s'exprime en ses homélies le Docteur de la grâce : c'est dans une ville relativement obscure de la côte Africaine, à des matelots, aux bateliers d'Hippone, aux femmes du peupleet aux enfants pressés autour de sa chaire, qu'il adresse ces grandes leçons comme l'enseignement commun des petits et des forts.

A sa voix, écho de la tradition tout entière, la très sainte Eucharistie nous apparaissait, il y a huit jours, comme le centre et le lien de la grande communion catholique en cette terre de l'exil. Au matin même de la fête, complétant sa pensée dans le passage auquel l'Eglise emprunte l'explication officielle de l'Evangile du jour, il embrasse, non plus seulement la terre, mais le ciel même, le corps complet de la sainte Eglise, dans la signification des paroles du Sauveur annonçant l'institution du Mystère d'amour.

Je suis le pain vivant descendu du ciel, avait dit le Sauveur ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde (1) : car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage (2). Cette nourriture, ce breuvage qu'il promet aux hommes, explique saint Augustin, c'est sans doute et directement sa vraie chair et le sang de ses veines ; c'est l'hostie même

 

1. IOHAN VI, 51, 52 — 2. Ibid. 56.

 

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immolée sur la Croix. Mais par suite, établie sur sa propre et réelle substance, immolée avec lui comme une seule hostie dans un même Sacrifice, « c'est la sainte Eglise en tous ses membres, prédestinés, appelés, justitiés, glorifiés ou encore voyageurs ». Au ciel seulement se déclarera dans sa plénitude et sa stabilité le grand mystère eucharistique, cet ineffable rassasiement des âmes qui consistera dans l'union permanente et parfaite de tous en tous et en Dieu même par Jésus-Christ. « Comme en effet, poursuit saint Augustin, ce que les hommes désirent dans le manger et le boire est d'apaiser leur faim et d'éteindre leur soif, ce résultat n'est vraiment atteint que par la nourriture et le breuvage qui rendent ceux qui les prennent immortels et incorruptibles, à savoir la société même des Saints, où la paix régnera dans une pleine et parfaite unité (1). » Festin seul digne des cieux ! banquet sublime, où chaque élu, participant du corps entier, lui donne à son tour accroissement et plénitude !

C'est là cette Pâque de l'éternité qu'annonçait le Seigneur, lorsqu'au soir de sa vie (2). mettant fin à la Pâque des figures par la réalité voilée encore du Sacrement, il conviait les siens pour un festin nouveau dans la patrie sans figures et sans ombres. Je ne mangerai plus de cette Pâque, jusqu'à sa consommation dans le royaume de Dieu (3). disait-il aux dépositaires de l'alliance ; je ne goûterai plus de ce fruit de la vigne, jusqu'à ce jour où je le boirai avec vous, vin nouveau, dans le royaume de mon Père (4). Jour sans fin ; jour de pleine lumière, chanté par David : où, dégagée

 

1. In JOHAN. Tract XXVI, 15, 17. — 2. Hymn. Laud. — 3. LUC. XXII, 16. — 4. MATTH. XXVI, 29.

 

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des voiles, enivrée la première d'amour à son divin banquet, la Sagesse, enserrant pour jamais dans un seul embrassement le Chef et les membres, abreuvera l'homme du torrent de ses divines voluptés et de la vie qu'elle puise au sein du Père (1) ! Mais déjà le Christ notre Chef a pénétré les nues; inondée de délices, appuyée sur son Bien-Aimé, l'Eglise monte incessamment du désert (2) ; le nombre se complète chaque jour de ses membres nos frères admis au festin sacré des cieux. A bon droit le Christ s'écrie : C'est là maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair (3) ; ils lui adhèrent comme l'épouse à l'époux, n'étant plus qu'un même corps. L'Eucharistie a produit cette adaptation merveilleuse, qui ne se révèle qu'au grand jour de la gloire ; mais c'est ici-bas, sous l'ombre de la foi, qu'elle transforme ainsi les prédestinés dans le Christ lui-même.

Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (4). Demeurer dans le Christ et l'avoir en soi, c'est là donc vraiment, dit saint Augustin, manger cette nourriture et boire ce breuvage (5) ; c'est, dans le Sacrement, le signe de la grâce (6) » C'est la vraie condition du festin eucharistique, festin mutuel, où l'homme ne peut manger comme il faut le pain de vie, sans être lui-même d'abord et devenir toujours plus le pain du Christ, cet unique pain dont parle l'Apôtre (7), pétri par l'Eglise aux saints Mystères dans le levain (8) de la chair sacrée du Verbe, et donnant au corps mystique du Seigneur accroissement et force dans l'unité (9). Je suis le froment de

 

1. Psalm. XXXV, 8-10. — 2. Cant. VIII 5. — 3. Gen. II, 23. — 4. JOHAN. VI, 57. — 5. In JOHAN. Tract, XXVI, 18.— 6. Ibid. Tract, XXVII, 1. — 7. I Cor. X, 17 — 8. Chrys. Hom. 46 in JOHAN. — 9. Aug. Serm. 57, 137.

 

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Dieu », disait saint Ignace d'Antioche aux Romains : « puissé-je être moulu par la dent des bêtes, afin d'offrir au Christ un pain immaculé (1) ! »

Reprenant au VIII° siècle la pensée de l'illustre martyr du premier âge, le moine saint Béatus et son disciple Hétérius la développaient, dans leur réponse aux Nestoriens d'Espagne (2) : « Nos persécuteurs, en effet, séparent en nous la paille du bon grain dans le van des tribulations; ils dégagent de la lie le jus de la grappe sous le pressoir de leurs tourments. A genoux prions pour ceux qui font de nous la nourriture de Dieu. Comme le vin sortant du pressoir est reçu dans la coupe, ainsi vous, fidèles, après vos labeurs. Vous êtes avec nous ce que nous sommes. Nous sommes avec vous dans le calice du Seigneur, calice unique, parce qu'une est la Passion du Christ et sa mort. Vous êtes le pain du Seigneur ; comme ie pain consacré qui est son corps passe en nos membres, ainsi passons-nous dans les siens par l'unité qu'il produit en nous. L'hérétique, lui., ne sait que séparer, couper, briser et disjoindre. Il sépare du Verbe la chair; il divise, il éloigne, il met à part Dieu et l'homme, la tête et le corps. Il ne sait pas, le malheureux, que Dieu est la tête du Christ (3) et lui de son Eglise (4) ; il ignore que Dieu et l'homme est un seul Christ, chef de l'Eglise formant son corps. Les hérétiques ne sont point la nourriture du Seigneur; ce n'est point d'eux que le Seigneur a dit : Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre (5), cette œuvre qui consiste à former un

 

1. Ad Rom. IV. — 2. Ad Elipand. Lib. I, 72. — 3. I Cor. XI, 3. — 4. Eph. V, 23. — 5. JOHAN. IV, 34.

 

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seul pain des grains dispersés, à faire de la multitude une seule âme dans l'unité des vertus. Si les âmes unies par la foi n'étaient pas cette nourriture de Dieu dont il parle, il ne dirait pas de leurs moissons blanchissantes que les disciples ne voient point encore : J’ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas (1). »

Oh ! quelle faim est la sienne ! quel besoin pressant, quelle ardeur dévorante le pousse vers ce banquet de la Cène où, puissant convive, se donnant lui-même en pâture, il voudrait absorber l'humanité entière ! « Comme le feu dévore le bois dans la fournaise, il mange vraiment et s'assimile, à cette table sacrée, le corps entier de la sainte Eglise, le faisant sien, prenant ainsi force et croissance (2). » Ainsi parle Guillaume de Paris, au commencement du XIII° siècle. « En effet, expliquent de concert Léon le Grand et Augustin, la participation du corps et du sang du Seigneur ne fait autre chose que nous changer en lui (3), en sorte que, réduits en son corps, devenus ses membres, nous soyons ce que nous recevons (4), ut in id quod sumimus transeamus, ut simus quod accipimus. »

La Sagesse éternelle se faisant chair avait en vue tous les enfants des hommes. Si l'unité qui préside aux œuvres divines lui faisait une loi de ne s'unir qu'à un seul dans une même hypostase ou personne, cette même loi d'unité, secondant son amour, avait donc fait de cet Homme-Dieu la tête d'un corps immense, où chaque élu devait s'adjoindre au Christ en union substantielle. Telle est l'économie du grand mystère de l'Incarnation,

 

1. Jonas, IV. 32. — 2. Guil. Alv. De Sacrum. Euch. c. IV. — 3 Léo. Serm. 14 de Pass. — 4. Aug. Serm. 57 de Scripturis.

 

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que cet ineffable mystère nous est représenté par les saints Docteurs comme en suspens et incomplet, jusqu'à ce que, par l'Eucharistie, la tête enfin s'adjoignît les membres et ne demeurât plus comme tronquée, séparée du corps qu'elle devait animer et régir.

« Et c'est pour cela, dit du Seigneur Paschase Radbert (1), qu'il se réjouit grandement à la Cène, rendant grâces à Dieu son Père d'avoir enfin comblé ses longues aspirations. Il aspirait, avant de souffrir (2), à manger la vraie Pâque, pour qu'au moment de se livrer comme prix du rachat, déjà tous en lui nous fussions un même corps. Ainsi fallait-il que nous fussions avec lui crucifiés, ensevelis, ressuscites (3). »

Si intime est dans l'Eucharistie le rapprochement du Chef et des membres, que, s'appuyant des paroles de l'Homme-Dieu qui le compare à son union avec le Père (4) saint Hilaire contre les Ariens, saint Cyrille d'Alexandrie contre Nestorius, s'en font un argument pour défendre d'une part la consubsrantialité du Verbe (5) et de l'autre l'union réelle, physique, et non seulement d'influence ou d'amour, qui lie le Verbe et la nature humaine dans l'Incarnation (6). Une par nature avec le Père, une dans le Christ avec la chair, la Sagesse éternelle nous fait par cette chair un dans le Père avec elle-même.

Déjà cependant par avance l'Esprit-Saint, lien éternel, a rassemblé les élus ; hôte divin des fils de Dieu, l'Esprit sanctificateur, indivisible, rallie lui-même les fils d'Adam dans l'unité de sa propre substance. « Comme la vertu de la chair du

 

1. Ep. ad Frudeg — 2. LUC. XXII, 15. — 3. Rom. VI. — 4. JOHAN. XVII, 21. — 5. Hil. de Trinit. Lib. VIII. — 6. Cyr. AL in JOHAN. Lib. X.

 

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Christ fait des nations un seul corps (1), dit saint Cyrille (2), ainsi l'Esprit fait-il un seul des esprits divers, sans que pour cela soient confondus les esprits ou les corps: Un seul corps, un seul esprit, disait l'Apôtre, un seul Dieu Père de tous, au-dessus de tous et en nous tous (3). » Mais dans le merveilleux rapprochement des créatures accompli à la gloire du Père souverain par l'Esprit du Père et du Fils, c'est à celui-ci comme Verbe incarné, comme Sagesse éternelle ineffablement éprise des enfants des hommes (4), qu'aboutit cet immense travail d'union dont les noces divines avec l'humanité sont le terme glorieux.

Et c'est ainsi qu'au terme nous-mêmes de cette carrière d'amour trop rapidement parcourue en la suave compagnie de la divine Sagesse, et près de passer, dans les deux jours qui vont suivre, à des considérations moins exclusivement dogmatiques sur l'auguste Mystère, nous retrouvons la pensée qui fut notre point de départ au jour de la fête. Dieu est amour, disions-nous ; mais l'amour appelle l'union, et l'union veut des semblables (5). Or, cette assimilation, qui, de l'homme à Dieu, ne pouvait s'accomplir que par l'appel de l'homme en participation de la nature divine (6), est l'œuvre spéciale de l'Esprit-Saint par la grâce, le résultat de son habitation personnelle (7) dans l'âme sanctifiée, dont, comme une huile très pure, il pénètre intimement tous les ressorts et la substance même. Ainsi fit-il dans le Christ, inondant l'être humain de sa plénitude au sein de la Vierge-Mère, au temps même où l'éternelle Sagesse s'unit à cette nature inférieure et créée,

 

1. Eph. III, 6. — 2 Cyr. AL. in JOHAN. Lib. X. — 3. Eph IV, 4, 6. — 4 Prov. VIII 31. — 5. Page 228. — 6. II PETR. I, 4. — 7. I Cor. III, 16.

 

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mais dès lors sainte et parfaite à jamais dans l'Esprit sanctificateur. Ainsi fait-il encore, préparant l'Eglise, la Cité sainte, au banquet des noces de l'Agneau, revêtant la très noble Epouse du Christ de sa parure éblouissante formée des vertus des saints (1) ; et lorsqu'il l'a façonnée dans l'unité par le baptême, affermie dans la sainteté par le second des sacrements, déifiée pour l'Epoux, disant alors avec elle le Venez (2) des Mystères qui doivent achever son œuvre et ne faire qu'un seul corps de l'Epouse et de l'Epoux. Ainsi les fils et membres de l'Epouse, identifiés au Christ, un seul corps avec lui, sont-ils rendus participants de ses noces divines avec la Sagesse éternelle.

Si donc nous avons été baptisés dans tunique Esprit, conclurons-nous avec l'Apôtre, c'était bien pour former l'unique corps où Juifs et Gentils, esclaves et libres, ne sont plus dans leur multiple diversité que les membres du Christ, abreuvés tous en cet unique Esprit d'un même breuvage (3), le Verbe divin passant en nous comme un lait très pur de la chair sacrée du Sauveur.

 

Comme des enfants nouveau-nés, aspirez à ce lait du Verbe (4), dit aux chrétiens le Prince des Apôtres interprété par Clément d'Alexandrie. Sang du Verbe, aliment facile des petits enfants (5) nés de l'Esprit (6), qu'il prépare à la nourriture solide de l'éternité, le Verbe sans voiles ! mets délicieux, doux comme la grâce, nourrissant comme la vie, immaculé comme la lumière ! Douce rosée tombée du sein du Père au sein virginal, le Verbe se donne à l'Eglise, elle aussi

 

1. Apoc. XIX, 7 — 2. Ibid. XXII, 17. — 3. I Cor. XII, 13. — 4. I Petr. II, 2.— 5. MATTH. XVIII, 3. — 6. JOHAN. III, 5.

 

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vierge et mère: pure comme une vierge, aimante comme une mère, appelant ses enfants elle les allaite décelait sacré qui est l'Enfant-Dieu ; elle n'a point d'autre lait que ce bel enfant de notre race, le corps du Christ abreuvant du Verbe ses tendres rejetons. Courons aux mamelles bénies qui donnent avec l'oubli des maux le Verbe de Dieu (1). Le sein de la mère est tout pour l'enfant, sa vie, sa joie, son univers. Avec quel empressement il se jette à son trésor, nous disait hier dans l'Office de la nuit saint Jean Chrysostome (2) ! avec quelle ardeur presse-t-il de ses lèvres la source des biens ! Le lait des mères n'est pourtant qu'un symbole de celui que j'exalte ; il passe avec les premiers mois du nouveau-né : le mien demeure en sa source féconde ; il forme l'homme parfait, il suffit à lui faire atteindre la plénitude de l'âge du Christ (3).

Et quels sont donc les parfaits ici-bas, les disciples bien-aimés de l'éternelle Sagesse, sinon les plus petits, cesparvuli qu'elle convoque à la suivre sur les hauteurs (4), les hommes redevenus enfants pour entrer dans le royaume des cieux (5) ? Sublime enfance, célébrée sans fin par les Pères en des traits d'admirable éloquence ! Entendons Zenon de Vérone invitant, au grand jour de la Pâque. les nouveaux baptisés à passer des bords de la fontaine sacrée au lieu du désir suprême, où les attend le saint lait (6), unique pour tous (7) devenus un même corps (8). Puis, quand les initiés sont en possession du Mystère ineffable, dans son enthousiasme d'évêque et de père, il chante ses nouveau-nés,

 

1. CLEM. AL. Poedag. I, 6. — 2. Hom. 60 ad Pop. Antioch. — 3. Eph. IV, 13. — 4. Prov. IX, 3-4. — 5. MATTH. XVIII, 3-4. — 6. Zen. Ver. Tract, XXXn. — 7. Tract, XLII. — 8. Tract, XXXIII.

 

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race céleste aux représentants accourus du berceau comme de l'âge mûr, de la vieillesse comme de l'adolescence, et subitement redevenus tous enfants d'un jour sur le tendre sein de la Mère commune : enfance féconde et fortunée, qui ne doit plus se perdre en ceux qui l'ont acquise, depuis que le doux et triomphant Agneau de la Pâque a infusé avec amour son lait bienheureux dans leurs lèvres vagissantes (1)!

Aussi nedevra-t-on pas s'étonner que le lait fût une des figures de l'Eucharistie les plus familières aux premiers chrétiens. Sainte Perpétue raconte que le Pasteur mit en sa bouche, à la veille du martyre, un lait délicieux ; et les détails de cette scène touchante font voir qu'il s'agit du Sacrement divin (2). Dans les peintures des catacombes, il n'est pas rare de rencontrer cet emblème entouré des grâces d'une poésie pleine d'amour. Mais, que le vase de lait s'y montre dans la main du Pasteur (3) ou à ses côtés (4), qu'il repose sur un monticule en forme d'autel, gardé respectueusement par les brebis elles-mêmes (5), ou que l'Agneau divin, Pasteur des pasteurs, le tienne suspendu près de lui à la houlette (6), la signification ne diffère en rien sous l'expression variée du symbole : elle se révèle en pleine lumière dans cette autre peinture (7), où, placé sur le dos même de l'Agneau portant la palme de son sanglant triomphe, incorporé avec lui, le vase mystérieux paraît entouré du nimbe, comme renfermant le Verbe divin, aliment des Anges (8), adapté par l'amour à notre faiblesse.

 

1. Tract, XLIII. — 2. RUIN. Act. sinc. pag. 87. — 3 Via Appia. De Rossi, I, tav. 16. — 4. Via Nomcntana. Bosio. 455. — 5. Via Appia. De Rossi, I, tav. 12. — 6. Via Ardeatina. Bosio, 249. — 7. Via Lavicana. Bosio, 363. — 8. Sap. XVI, 20.

 

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Car, explique admirablement saint Augustin, l'homme ne vit pas d'une nourriture, et l'ange d'une autre : la vérité, la Sagesse divine, est l'unique aliment des intelligences (1). Les Anges, les Vertus, les esprits des cieux s'en nourrissent; ils mangent et s'engraissent, sans diminuer jamais l'ineffable aliment (2). Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (3) : prends si tu peux, mange, c'est l'aliment. Mais tu vas me dire : Oui, sans doute, c'est l'aliment ; mais moi je suis un enfant, c'est du lait qu'il me faut, je ne puis autrement y atteindre. Puis donc que c'est du lait qu'il te faut, et que pourtant ce mets des cieux est le seul qui puisse te nourrir, il passera par la chair pour arriver jusqu'à tes lèvres (4). Car l'aliment ne devient lait qu'en passant par la chair. Ainsi fait la mère. Ce que mange la mère est cela même qu'absorbe l'enfant; mais l'enfant n'étant point assez fort pour se nourrir directement du pain lui-même, la mère incarne le pain qui par elle en douce liqueur passe à son fils (5). Il ne reçoit que ce qu'il eût pris à la table ; mais ce qui passe par la chair convient à l'enfant (6). Le Verbe donc s'est fait chair, et il a habité parmi nous (7) ; l’homme a mangé le pain des Anges (8). La Sagesse éternelle est venue jusqu'à nous, comme un lait bienfaisant, par la chair et le sang du Seigneur (9). » Oh ! combien donc l'Epouse a raison de s'écrier à l'Epoux: Meilleures que le vin sont vos mamelles (10) ! puisque par elles, dit à son tour saint Irénée, nous absorbons le pain d'immortalité, le Verbe de Dieu (11).

 

1. Enarr. in Psalm. CXXXIV. — 2. In Psalm. XXXIII. — 3. JOHAN. I, 1. — 4. In Psalm. CXIX. — 5. In Psalm. XXXIII. — 6. In Psalm. XXX. — 7. JOHAN. I, 14. — 8. Psalm. LXXVII, 25. — 9. In Psalm. XXX, CXXXIV; Confess. VII, 18.— 10. Cant I, 1. — 11. Iren. IV 38.

 

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La Sagesse a tenu ses divins projets d'amour. Elle est parvenue de son point de départ au but d'arrivée, à travers mille obstacles ; elle a atteint d'une extrémité à l'autre avec une force qui n'a d'égale que son incomparable douceur (1).

 

1. Sap. VIII, 1.

 

L'Antiphonaire du célèbre monastère de Ben-chor, en Irlande, publié par Muratori, et dont la date ne descend pas au-dessous du vne siècle, nous fournit cette Hymne pleine de noblesse et d'une exquise suavité.

 

HYMNE. Quando communicarent Sacerdotes.

 

Venez, justes; prenez le corps du Christ, buvez le sang précieux de la rédemption.

 

Nous qu'a sauvés le Christ par son corps et son sang, nourris de Dieu rendons-lui gloire.

 

Le Christ, auteur du salut, garda le monde à Dieu son Père par sa croix et son sang.

 

Immolé pour tous, le Seigneur fut lui-même le prêtre et l'hostie.

 

La loi ordonnait d'immoler des victimes : elle figurait les Mystères divins.

 

Celui qui donne la lumière, le Sauveur de tous, accorde aux saints un don merveilleux.

 

Que tous s'approchent dans la foi d'une âme pure, qu'ils reçoivent le gage éternel du salut.

 

Gardien des saints et leur guide, le Seigneur donne aux croyants la vie sans fin.

 

Il donne à qui a faim le pain du ciel, il offre à qui a soif de la fontaine vivante.

 

Alpha et Omega est le Christ Seigneur : venu déjà, il doit revenir juger les hommes.

 

 

A la suite d'un appel si touchant dans son antique simplicité, nos lecteurs nous sauront gré de remettre sous leurs yeux la lyrique Antienne que l'Eglise des Gaules faisait retentir au moment de la Communion, dans la Solennité des solennités, pour convoquer ses fils à la participation de l'immortel Mystère. L'usage s'en est conservé dans l'Eglise de Milan jusqu'à nos jours.

 

APPEL DU PEUPLE A LA COMMUNION.

 

Venez ; approchez-vous de l'immortel Mystère: venez goûter la libation sacrée.

 

Avançons avec crainte, avec foi ; les mains pures, venons nous unir à celui qui est le prix de notre pénitence : l'Agneau offert en sacrifice à Dieu son Père.

 

Adorons-le, glorifions-le; et, avec les Anges, chantons Alleluia.

 

 

Au jour de la glorieuse Nativité du Seigneur, d'autres chants conduisaient nos pères au saint banquet ; l'Antienne exécutée à ce moment fortuné comparait leur sort à celui de la Vierge-Mère, qui, durant neuf mois, avait porté en elle le même Jésus que leur poitrine allait contenir. L’ange dont il y est question est l'Esprit-Saint lui-même, l’envoyé divin des deux autres personnes de l'adorable Trinité pour la sanctification des élus ; la sainteté ici demandée pour le corps et le sang du Seigneur, montre à nouveau l'ampleur du mystère eucharistique embrassant à la fois Jésus et l'Eglise : si le chef est saint, les membres aussi doivent l'être, et ils ne le seront pas sans le secours du divin Esprit. Un texte paraissant plus moderne traduit ainsi, en effet, la même pensée: « Envoyez votre Saint-Esprit, ô Seigneur, et daignez, en les sanctifiant, purifier nos cœurs et nos corps pour la réception de votre corps et de votre sang. Emitte Spiritum Sanction tuum, Domine, et dignare sanctificando mundare corda et corpora nostra ad percipiendum corpus et sanguinem tuum.

 

ANTIENNE EN LA FÊTE DE NOËL. Ad Corpus Domini sumendum.

 

Envoyez votre Ange, Seigneur, et daignez sanctifier votre corps et votre sang. La traction du Sacrement est notre œuvre, Seigneur : à votre bonté de bénir, pour que soient pures les mains qui le touchent. O l'heureux sein qui mérita de porter le Christ ! O pierre sans prix, perle qu'illumine de ses feux la lumière du monde! Pieds fortunés, qui furent dignes de soutenir le Christ, éternel, très-haut Roi, à qui les anges et les archanges offrent leurs dons ! Alleluia.

 

 

 

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