CHAPITRE III

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QUASIMODO
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CHAPITRE  III. PRATIQUE  DU TEMPS  PASCAL.

 

La pratique de ce saint temps se résume dans la joie spirituelle qu'il doit produire chez les âmes ressuscitées avec Jésus-Christ, joie qui est un avant-goût du bonheur éternel. et que le chrétien doit désormais maintenir en lui, cherchant toujours plus ardemment la Vie qui est dans notre divin Chef, et fuyant avec une énergie constante la mort, fille du péché. Durant la période qui a précédé, il nous a fallu nous affliger, pleurer nos fautes, nous livrer à l'expiation, suivre Jésus jusqu'au Calvaire ; la sainte Eglise nous impose maintenant de nous réjouir. Elle-même a banni toutes ses tristesses, elle ne gémit plus comme la colombe ; elle chante comme l'Epouse qui a retrouvé l'Epoux.

Afin de rendre ce sentiment de joie pascale plus universel, elle s'est accommodée a la faiblesse de ses enfants. Après leur avoir rappelé la nécessité de l'expiation, elle a concentré toute la vigueur de la pénitence chrétienne dans les quarante jours qui viennent de s'écouler; et tout à coup, rendant la liberté a nos corps en même temps qu'aux sentiments de nos âmes, elle nous a fait aborder à une région où il n'y a plus qu'allégresse, lumière et vie, où tout est joie, calme, douceur et espérance d'immortalité. C'est ainsi qu'elle a su produire dans les âmes même les moins élevées un sentiment analogue à celui qu'éprouvent les plus parfaites : en sorte que dans le concert qui s'élève de la terre à la louange de notre adorable triomphateur, il n'y 

 

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ait pas de dissonance, et que tous, fervents et tièdes, unissent leurs voix dans un transport universel.

Le plus profond liturgiste du XII° siècle, Rupert, Abbé de Deutz, exprime ainsi cet heureux stratagème de la sainte Eglise : « Il est, dit-il, des hommes charnels qui ne savent pas ouvrir leurs yeux pour contempler les biens spirituels, si ce n'est à l'occasion de quelque incident corporel qui leur donne l'impulsion. L'Eglise a dû chercher, pour les émouvoir, un moyen proportionné à leur faiblesse. Dans ce but, elle a disposé le jeûne quadragésimal, qui est la dîme de l'année offerte à Dieu, en sorte que celte sainte carrière ne doive se terminer qu'a la solennité de Pâques, et qu'ensuite viennent cinquante jours consécutifs, durant lesquels il ne se rencontre pas un seul jeune. Il advient de là que les hommes mortifient leurs corps, étant soutenus par l'espérance que la fête de Pâques viendra les délivrer de ce joug de pénitence; ils préviennent par leurs désirs l'arrivée de la solennité; chacun des jours du Carême est pour eux comme la station du voyageur; ils les comptent soigneusement, dans la pensée que le nombre en décroît progressivement; et c'est ainsi que cette auguste fête désirée de tous devient chère a tous, comme l'est la lumière à ceux qui cheminent dans l'obscurité, la source jaillissante à ceux qui ont soif, et la tente dressée par le Seigneur lui-même au voyageur fatigué (1).  »

Heureux temps que celui où, dans toute l'armée des chrétiens, comme parle saint Bernard, nul ne s'abstenait du devoir, où justes et pécheurs marchaient d'un même pas dans la carrière des observances chrétiennes ! Aujourd'hui la Pâque ne

 

1. De divinis Officiis, lib. IV, cap. XXVII.

 

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produit plus la même sensation dans notre société. Sans aucun doute, la cause en est dans la mollesse et la fausse conscience, qui portent un si grand nombre de personnes a se conduire a l'égard de la loi du Carême, comme si elle n'existait pas pour eux. De la vient que tant de fidèles voient arriver la Pâque comme une grande fête, il est vrai, mais sont à peine remués par cette impression de joie vive que L'Eglise porte empreinte dans toute son attitude en ces jours. Bien moins encore sont-ils dans la disposition de conserver et d'entretenir, pendant une période de cinquante jours, cette allégresse qu'ils ont partagée en si faible mesure, au jour tant désiré par les vrais chrétiens. Ils n'ont pas jeûné, ils n'ont pas gardé l'abstinence durant la sainte Quarantaine : la condescendance de l'Eglise envers leur faiblesse n'a pas même suffi; il leur a fallu d'autres dispenses; heureux quand ils ne se sont pas exemptés d'eux-mêmes et sans remords de ces derniers restes du devoir chrétien ! Quelle sensation peut produire en eux le retour de l’Alléluia? Leurs âmes n'ont pas été épurées par la pénitence: et elles seraient assez agiles pour suivre le Christ ressuscité, dont la vie est désormais plus du ciel que de la terre !

Mais n'allons pas contre les intentions de la sainte Eglise, en nous attristant par ces pensées décourageantes ; prions plutôt le divin Ressuscité, afin que, dans sa toute-puissante bonté, il éclaire ces anus des splendeurs de sa victoire sur le monde et la chair, et qu'il les élève jusqu'à lui. Rien ne doit nous distraire de notre bonheur en ces jours. Le Roi de gloire lui-même nous dit : « Est-ce que les enfants de l'Epoux peuvent s'attrister pendant que l'Epoux est avec eux ? » MATTH. IX, 15.) Jésus est avec nous pour quarante jours encore; il ne souffrira

 

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plus, il ne mourra plus : que nos sentiments soient donc en rapport avec son état de gloire et de félicité qui doit durer toujours. Il nous quittera, il est vrai, pour mon ter a la droite de son Père; mais de là il nous enverra le divin Consolateur qui demeurera avec nous, afin que nous ne soyons pas orphelins. (Johan. XIV) Que ces douces et enivrantes paroles soient donc notre nourriture et notre breuvage en ces jours : « Les enfants de l'Epoux ne doivent pas s'attrister pendant que l'Epoux est avec eux. » Elles sont la clef de toute la sainte Liturgie dans celte saison; ne les perdons pas de vue un seul instant, et nous éprouverons que si la componction et la pénitence du Carême nous ont été salutaires, la joie pascale ne nous le sera pas moins. Jésus en croix et Jésus ressuscite, c'est toujours le même Jésus; mais en ce moment il nous veut autour de lui. avec sa sainte Mère, avec ses disciples, avec Madeleine, tous éblouis et ravis de sa gloire, oubliant tous, dans ces heures trop rapides, les angoisses de la douloureuse Passion.

Mais cette carrière toute de délices aura un terme ; la radieuse manifestation qui nous met hors de nous-mêmes s'effacera; et il ne nous restera que le souvenir de la gloire ineffable et de la touchante familiarité de notre Rédempteur. Que ferons-nous alors en ce monde où Celui qui en était la vie et la lumière ne sera plus visible? Chrétien, tu aspireras à une nouvelle Pâque. Chaque année te rendra ce bonheur que tu as su comprendre; et de Pâque en Pâque tu arriveras à la Pâque éternelle qui dure autant que Dieu même, et dont les rayons arrivent jusqu'à toi comme un prélude aux joies qu'elle te réserve. Mais ce n'est pas tout : écoule la sainte Eglise; elle a prévu le désenchantement auquel tu pourrais être tenté de

 

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succomber; entends ce qu'elle demande pour toi au Seigneur : « Faites, nous vous en supplions. lui dit-elle, que vos serviteurs expriment constamment dans leur vie le mystère de résurrection qu'ils ont reçu par la foi (1). » Le mystère de la Pâque ne doit pas cesser d'être visible sur la terre: Jésus ressuscité monte au Ciel; mais il laisse en nous l'empreinte de sa résurrection, et nous la devons conserver jusqu'à ce qu'il revienne.

Et comment, en effet, celle divine empreinte ne demeurerait-elle pas en nous, lorsque nous savons que tous les mystères de notre auguste Chef nous sont communs avec lui ? Depuis sa venue dans la chair, il n'a pas fait un pas sans nous. S'il est né en Bethléhem, nous naissions avec lui; s'il a été crucifié à Jérusalem, notre vieil homme, selon la doctrine de saint Paul, a été attaché à la croix avec lui. S'il a été enseveli dans le tombeau, nous avons été ensevelis avec lui : d'où il suit que lorsqu'il ressuscite d'entre les morts, nous aussi nous devons marcher dans une vie nouvelle. (Rom. VI, 6-8.)

Or « Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts, ajoute le même Apôtre, ne meurt plus; la mort n'a plus d'empire sur lui ; mort une seule fois, il est mort pour le péché; mais maintenant il vit. et il vit à Dieu. » (Ibid. 9, 10.) Nous sommes ses propres membres : son sort doit donc être le nôtre. Mourir de nouveau par le péché, ce serait renoncer à lui, nous séparer de lui, rendre inutiles pour nous cette mon et cette résurrection que nous avons partagées avec lui. Veillons donc à nous maintenir dans cette vie qui n'est pas de nous, mais qui cependant nous appartient en propre ; car celui

 

1. Collecte du Mardi de Pâques.

 

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qui l'a conquise sur la mort nous l'a donnée avec tout ce qui est à lui. Pécheurs qui avez retrouve la vie de la grâce dans la solennité pascale, ne mourez donc plus; faites les œuvres d'une vie ressuscitée. Justes que le mystère pascal a ranimés, montrez une vie plus abondante dans vos sentiments et dans vos œuvres. C'est ainsi que vous marcherez tous dans la vie nouvelle que nous recommande l'Apôtre.

Nous ne développerons pas ici les merveilles du mystère de la Résurrection de Jésus-Christ ; elles ressortiront d'elles-mêmes de notre humble commentaire sur la sainte Liturgie, et mettront dans une plus grande évidence encore le devoir d'imitation impose au fidèle à l'égard de son divin Chef, en même temps qu'elles nous aideront a comprendre la magnificence et l'étendue de l'oeuvre capitale de l'Homme-Dieu. C'est ici, dans le Temps pascal, avec ses trois grandes manifestations de l'amour et du pouvoir divins. Résurrection, Ascension, descente de l'Esprit-Saint, c'est ici le point culminant de la Rédemption. Dans l'ordre des temps, tout a servi à préparer ce denoûment, depuis la promesse faite à nos premiers parents après leur faute par le Seigneur irrite et miséricordieux; et dans l'ordre de la sainte Liturgie, depuis les semaines d'attente et de soupirs de l'Avent; nous voici au terme, et Dieu y apparaît avec une puissance et une sagesse qui dépassent infiniment tout ce que nous pouvions prévoir. Les Esprits célestes eux-mêmes en sont confondus d'admiration et d'étonnement ; c'est ce que la sainte Eglise exprime dans un des cantiques du Temps pascal : « Les Anges, dit-elle, sont émus de terreur en voyant la révolution qui s'opère dans l'état de la nature humaine.  La chair a péché, et

 

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c'est la chair qui la purifie; un Dieu vient régner, et en lui la chair est unie à la divinité (1).  »

Le Temps pascal appartient encore à la Vie illuminative; il en est la partie la plus élevée; car il ne manifeste pas seulement, comme les temps qui l'ont précédé, les abaissements et les souffrances de l'Homme-Dieu. Il nous le montre dans toute sa gloire; il nous le fait voir exprimant en son humanité le dernier degré de la transformation de la créature en Dieu. La venue de l'Esprit-Saint vient ajouter encore ses splendeurs à cette illumination ; elle révèle a l'âme les relations qui doivent l'unir à la troisième des divines Personnes. Ainsi se déclarent la voie et le progrès de l'âme fidèle, qui, étant devenue l'objet de l'adoption du Père céleste. est initiée a cette heureuse vocation par les leçons et les exemples du Verbe incarné, et consommée par la visite et l'habitation de l'Esprit-Saint. De là résulte tout l'ensemble des exercices qui la conduisent à l'imitation de son divin modèle, et la préparent pour l’union à laquelle elle est conviée par celui qui « a donné à tous ceux qui l'ont reçu de devenir enfants de Dieu, par une naissance qui n'est ni du sang, ni de la chair, mais de Dieu lui-même. » (JOHAN.  I, 12, 13.)

 

1. Hymne des Matines de l'Ascension.

 

 

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