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QUASIMODO
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LE TEMPS   PASCAL

CHAPITRE PREMIER HISTORIQUE DU TEMPS PASCAL.

 

On donne le nom de Temps pascal à cette période de semaines qui s'étend du dimanche de Pâques an samedi après la Pentecôte. Cette portion de l’Année liturgique en est la plus sacrée, celle vers laquelle converge le Cycle tout entier. On le concevra aisément, si l'on considère la grandeur de la fête de Pâques, que l'antiquité chrétienne a décorée du nom de Fête des fêtes, de Solennité des solennités, en la manière, nous dit saint Grégoire Pape, dans son Homélie sur ce grand jour, que le sanctuaire le plus auguste était appelé le Saint des saints, et que l'on donne le nom de Cantique des cantiques au sublime épithalame du Fils de Dieu s'unissant à la sainte Eglise. C'est, en effet, au jour de Pâques que la mission du Verbe incarné obtient l'effet vers lequel elle n'a fait que tendre jusqu'ici ; c'est au jour de Pâques que le genre humain est relevé de sa chute, et rentre en possession de tout ce qu'il avait perdu parle péché d'Adam.

Noël nous avait donné un Homme-Dieu ; il y a trois jours, nous avons   recueilli  son sang d'un prix  infini pour notre rançon. Mais au jour de Pâques, ce n'est plus une victime immolée et vaincue par la mort que nous avons sous les veux ; c'est un vainqueur qui anéantit la mort, fille du péché, et proclame la vie, la vie immortelle qu'il nous a conquise.  Ce n'est plus l'humilité des langes, ce ne sont plus les douleurs de l'agonie et de la croix ; c'est la gloire, d'abord pour lui, ensuite pour nous. Au jour de Pâques, Dieu recouvre en l'Homme-Dieu ressuscité son œuvre première ; le passage de la mort n'a pas laissé plus de trace que celui du péché dont l'Agneau divin avait daigné prendre la ressemblance; et ce n'est pas lui seulement qui revient à la vie immortelle ; c'est la race humaine tout entière. «  La mort était entrée par un homme, nous dit l'Apôtre ; par un homme aussi commence la résurrection des morts ; et de même que tous sont morts   en   Adam, ainsi tous   recouvrent   la   vie dans le Christ (1). »

L'anniversaire de ce sublime événement est donc chaque année le grand jour, le jour d'allégresse, le jour par excellence ; c'est à lui qu'aspire l'année tout entière ; c'est sur lui qu'elle est fondée. Mais comme ce jour est saint entre tous, puisqu'il nous ouvre les portes de la vie céleste, dans laquelle nous entrerons ressuscites comme le Christ, l'Eglise n'a pas voulu qu'il vînt luire sur nous avant que nous eussions purifié nos corps par le jeune et réparé nos âmes par la componction. C'est dans ce but qu'elle a institué la pénitence quadragésimale, et qu'elle nous a même avertis, dès la Septuagésime, que le temps était venu d'aspirer aux joies pures de la Pâque, et de nous disposer

 

1. I Cor. XV, 21, 22.

 

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aux sentiments que son approche doit inspirer. Voici que nous avons achevé cette carrière de préparation, et le Soleil de la Résurrection se lève sur nous.

Mais il ne suffisait pas de fêter le jour solennel qui a vu le Christ-Lumière échapper aux ombres du tombeau ; un autre anniversaire réclamait aussi notre culte de reconnaissance. Le Verbe incarné est ressuscité le premier jour de la semaine, le jour où, Verbe incréé du Père, il avait commencé, quatre mille ans auparavant, l'œuvre de la création, en appelant la lumière du sein du chaos et en la séparant des ténèbres, inaugurant ainsi le premier des jours. Dans la Pâque. notre divin ressuscité consacre donc une seconde fois le dimanche ; et désormais le samedi va cesser d'être le jour sacré. Notre résurrection en Jésus-Christ accomplie au dimanche met le comble a la gloire de ce premier des jours: le précepte divin du sabbat va succomber avec toute la loi mosaïque; et les saints apôtres vont intimer désormais à tout fidèle de célébrer comme jour sacré le premier jour de la semaine, en lequel la gloire de la première création s'unit à celle de la divine régénération.

La résurrection de l'Homme-Dieu devant donc s'accomplir, et s'étant, en effet, accomplie un dimanche, sa commémoration annuelle ne pouvait avoir lieu un autre jour de la semaine. De là résultait la nécessité de séparer la Pâque des chrétiens de celle des Juifs qui. fixée irrévocablement au quatorze de la lune de mars, anniversaire de la sortie d'Egypte, tombait successivement à chacun des jours de la semaine. Cette Pâque n'était qu'une figure : la nôtre est la réalité devant laquelle l'ombre s'efface. Il fallut donc que l'Eglise brisât ce dernier lien   avec la  synagogue, et proclamât son

 

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émancipation, en plaçant la plus solennelle de ses fêtes à un jour qui ne se rencontrât jamais avec celui auquel les Juifs célébraient leur Pâque désormais stérile d'espérances. Les Apôtres déterminèrent que dorénavant la Pâque pour les chrétiens ne serait plus au quatorze de la lune de mars, ce jour fût-il même un dimanche, mais que nous la célébrerions dans tout l'univers le dimanche qui suivrait le jour où le calendrier périme de la synagogue continuait à la placer.

Néanmoins, en considération du grand nombre de Juifs qui avaient reçu le baptême et qui formèrent d'abord le noyau de l'Eglise chrétienne, afin de ménager leur susceptibilité, il fut résolu que l'on n'appliquerait qu'avec prudence et successivement la loi relative au jour de la nouvelle Pâque. Au reste, Jérusalem ne devait pas tarder à succomber sous les coups des Romains, selon la prédiction du Sauveur; et la nouvelle ville qui s'élèverait sur ses ruines et qui recevrait la colonie chrétienne, aurait aussi son Eglise, mais une Eglise entièrement dégagée de l'élément judaïque, que la justice de Dieu avait si clairement repoussé en ces lieux mêmes. La plupart des Apôtres, dans leurs prédications lointaines et dans la fondation des Eglises qu'ils établirent en tant de régions, au-delà même des limites de l'empire romain, n'eurent pas à lutter contre les habitudes juives ; leurs principales recrues se composèrent de gentils. Saint Pierre qui, dans le concile de Jérusalem, avait proclamé la destruction du joug mosaïque, leva dans Rome l'étendard de l'affranchissement; et l'Eglise, qui devenait par lui Mère et Maîtresse de toutes les autres, ne connut jamais d'autre Pâque que celle qui réunit inviolablement au dimanche le souvenir du premier jour du monde, et la

 

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mémoire de la glorieuse résurrection du Fils de Dieu et de nous tous qui sommes ses membres.

Une seule province de l'Eglise, l'Asie-Mineure, refusa longtemps de s'unira cet imposant concert. Saint Jean, qui rit un long séjour à Ephèse, où il termina même sa vie. avait cru pouvoir ne pas exiger des nombreux chrétiens que les synagogues avaient fournis à l'Eglise dansées contrées, le renoncement à la coutume judaïque dans la célébration de la Pâque; et les fidèles sortis de la gentilité qui vinrent accroître la population de ces florissantes chrétientés, arrivèrent a se passionner jusqu'à l'excès pour une coutume qui se rattachait aux origines des Eglises de l'Asie-Mineure. Avec le cours des années cependant, cette anomalie produisait un scandale ; on y sentait comme une odeur de judaïsme, et l'unité du culte chrétien souffrait d'une divergence qui empêchait les fidèles d'être unanimes dans les joies de la Pâque et dans les saintes tristesses qui la précèdent.

Le pape saint Victor, qui gouverna l'Eglise dès l'an 185, porta sa sollicitude sur un tel abus, et pensa que le moment était venu de faire triompher l'unité extérieure sur un point aussi essentiel et aussi central dans le culte chrétien. Déjà, sous le pape saint Anicet, vers l'an 15o, le Siège apostolique avait tenté, par des négociations amicales, d'amener les Eglises de l'Asie-Mineure à la pratique universelle; rien n'avait pu triompher d'un préjugé qui se fondait sur une tradition réputée sacrée dans ces régions. Saint Victor crut pouvoir réussir mieux que ses prédécesseurs ; et afin d'influencer les Asiatiques par le témoignage unanime de toutes les Eglises, il donna l'ordre de réunir des conciles dans les divers pays où l'Evangile avait pénétré, et d'y examiner la question de la Pâque. L'accord fut

 

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parfait en tous lieux ; et l'historien Eusèbe, qui écrivait un siècle et demi après, atteste que, de son temps, on gardait encore la mémoire des décisions qu'avaient rendues, dans cette affaire, outre le concile de Rome, ceux des Gaules, de l’Achaïe, du l'ont, de la Palestine et de l'Osrhoène en Mésopotamie. Le concile d'Ephèse, présidé par Polycrate, évêque de cette ville, résista seul aux vues du Pontife et aux exemples de l'Eglise entière.

Victor, jugeant que cette opposition ne pouvait être tolérée plus longtemps, publia une sentence qui séparait de la communion du Saint-Siège les Eglises réfractaires de l'Asie-Mineure. Cette peine sévère, qui ne venait qu'après de longues instances de la part de Rome pour amener a fléchir les préjugés asiatiques, excita la commisération de plusieurs évoques. Saint Irenée, qui occupait alors le siège de Lyon, intervint auprès du Pape en faveur de ces Eglises qui n'avaient péché, selon lui, que par défaut de lumières; et il obtint la révocation d'une mesure dont la rigueur semblait disproportionnée à la faute. Cette indulgence produisit son effet : au siècle suivant, saint Anatolius, évêque de Laodicée. dans son livre de la Pâque écrit en 276. atteste que les Eglises de l'Asie-Mineure s'étaient rangées déjà depuis quelque temps à la pratique romaine.

Par une coïncidence bizarre, vers la même époque, les Eglises de Syrie, de Cilicie et de Mésopotamie donnèrent le scandale d'une nouvelle séparation sur la célébration de la Pâque. On les vit abandonner la coutume chrétienne et apostolique, pour reprendre en ce point le rite judaïque du quatorze de la lune de mars. Ce schisme élans la liturgie affligea l'Eglise : et l'un des premiers soins du concile de Nicée fut de promulguer l'obligation

 

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universelle de célébrer la Pâque au dimanche. Le décret fut rendu à l'unanimité ; et les Pères du concile ordonnèrent que, toute controverse étant mise de côté, les frères de l'Orient solenniseraient la Pâque au même jour que les Romains, les Alexandrins, et tous les autres fidèles (1). » La question paraissait si grave, comme intéressant l'essence même de la liturgie chrétienne, que saint Athanase, résumant les raisons qui avaient amené la convocation du concile de Nicée. assigne comme motifs de sa tenue la condamnation de l'hérésie arienne et l'unité à rétablir dans la solennité de la Pâque (2).

Le concile de Nicée régla aussi que l'évêque d'Alexandrie serait chargé de faire faire les calculs astronomiques qui aidaient chaque année à déterminer le jour précis de la Pâque. et qu'il enverrait au Pape le résultat des recherches qu'auraient opérées les savants de cette ville, qui passaient pour les plus assurés dans leurs supputations. Le Pontife romain adresserait ensuite a toutes les Eglises des lettres d'intimation pour la célébration Uniforme de la grande fête du christianisme. Ainsi, l'unité de l'Eglise paraissait par l'unité de la sainte Liturgie; et la Chaire apostolique, fondement de la première, était en même temps le moyen de la seconde. Au reste, déjà avant le concile de Nicée. le Pontife romain était dans l'usage d'adresser a toutes les Eglises, chaque année, une encyclique pascale portant l'intimation du jour auquel la solennité de la Résurrection devait être célébrée. C'est ce que nous apprenons de la lettre synodale des Pères du nombreux concile d'Arles, en 314, adressée au pape saint Silvestre. « En premier lieu,

 

1.  Spicilegium Solesmense, t. IV, p. 541.

2.  Epist. ad Afros episcopos.

 

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disent les Pères, nous demandons que l'observation de la Pâque du Seigneur soit uniforme pour le temps et pour le jour, dans le monde entier, et que vous adressiez à tous les lettres à ce sujet, selon la coutume (1). »

Néanmoins, cet usage ne persévéra pas longtemps après le concile de Nicée. L'imperfection des moyens astronomiques entraîna une perturbation dans la manière de supputer le jour de la Pâque. Cette grande fête, il est vrai, resta pour toujours fixe au dimanche; aucune Eglise ne se permit plus de la célébrer le même jour que les Juifs; mais, faute de s'entendre sur le moment précis de l'équinoxe du printemps, il advint que le jour propre de la solennité varia, à certaines années, selon les lieux. On s'écarta peu à peu de la règle que le concile de Nicée avait donnée de considérer le 21 mars comme le jour de l'équinoxe. Le calendrier appelait une réforme que personne n'était en état d'opérer ; les Cycles se multipliaient en contradiction les uns avec les autres, en sorte que Rome et Alexandrie n'arrivaient pas toujours à s'entendre. La Pâque fut donc, de temps en temps, célébrée sans cet accord complet que le concile de Nicée avait voulu procurer; mais on était de bonne foi de part et d'autre.

L'Occident se rangea autour de Rome, qui finit par triompher de quelques oppositions qui s'étaient élevées dans l'Ecosse et dans l'Irlande, dont les Eglises avaient été égarées par des Cycles fautifs. Enfin la science se trouva assez avancée au XVI° siècle, pour permettre au pape Grégoire XIII d'entreprendre et de consommer la réforme du calendrier.  Il s'agissait de rétablir l'équinoxe au

 

1. Concil. Galliae. t. I.

 

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21 mars, selon la disposition du concile de Nicée. Par une bulle du 24 février 1581, le Pontife opéra cette mesure, en retranchant dix jours de l'année suivante, du 4 au 15 octobre; il restaurait ainsi l'œuvre de Jules César, qui, en son temps, avait aussi porté ses soins éclairés sur les supputations astronomiques. Mais la Pâque était l'idée fondamentale et le but de la réforme opérée par Grégoire XIII. Les souvenirs du concile de Nicée et ses règlements planaient toujours sur cette question capitale de l'année liturgique ; et le Pontife romain donnait ainsi, encore une fois, l'intimation de la Pâque à l'univers, non plus pour une année, mais pour de longs siècles. Les nations hérétiques sentirent malgré elles la puissance divine de l'Eglise dans cette opération solennelle qui intéressait du même coup la vie religieuse et la vie civile ; elles protestèrent contre le calendrier. comme elles avaient protesté contre la règle de la foi. L'Angleterre et les Etats luthériens de l'Allemagne préférèrent garder longtemps encore le calendrier fautif que la science repoussait, plutôt que d'accepter de la main d'un pape une réforme que le monde reconnaissait indispensable. Aujourd'hui la Russie est la seule des nations européennes qui persiste, par antipathie pour la Rome de saint Pierre, à rester en retard de dix à douze jours sur le monde civilisé.

Tous ces détails, que nous sommes forcé d'abréger extrêmement, montrent assez l'importance que l'on doit attacher à la date de la fête de Pâques; et le Ciel a plus d'une fois manifesté par des prodiges qu'il n'était pas indifférent à cette date sacrée. A l'époque où la confusion des Cycles et l'imperfection des moyens astronomiques amenèrent tant d'incertitudes sur le véritable siège de l'équinoxe

 

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du printemps, des faits miraculeux suppléèrent plus d’une fois aux indications que ni la science ni l'autorité ne pouvaient plus fournir avec certitude. Paschasinus, évêque de Lilybée en Sicile, dans une lettre adressée à saint Léon le Grand, en 444, atteste que, sous le pontificat de saint Zozime, Honorius étant consul pour la onzième fois et Constantius pour la seconde, une intervention céleste vint révéler le vrai jour de la Pâquc à une population simple et religieuse. Au sein de montagnes inaccessibles et d'épaisses forêts, il y avait dans un coin écarté de la Sicile un village nommé Meltine. Son église était des plus pauvres, mais Dieu la regardait dans sa bonté ; car chaque année, durant la nuit pascale, au moment où le prêtre se dirigeait vers le baptistère pour en bénir l'eau, la fontaine sacrée se trouvait miraculeusement remplie, sans qu'il existât aucuns canaux, ni aucune source voisine pour l'alimenter. L'administration du baptême étant terminée, l'eau disparaissait d'elle-même, et laissait le bassin à sec. Or il arriva, en l'année qui vient d'être indiquée, que durant la nuit de Pâques, pour laquelle le peuple, trompé par une fausse supputation, s'était rassemblé, la lecture des prophéties étant achevée, quand le prêtre se rendit, avec son troupeau, au baptistère, la fontaine apparut sans eau. Les catéchumènes attendirent vainement la présence de l'élément par lequel la régénération devait leur être conférée, et ils se retirèrent au lever du jour. Le 22 avril suivant dix des calendes de mai , la fontaine se trouva remplie jusqu'aux bords, attestant que ce jour était la véritable Pâque pour cette année (1).

 

1. Leonis opp. Epist. m.

 

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Cassiodore, écrivant, au nom du roi Athalaric, à un personnage nommé Sévère, raconte un autre prodige qui avait lieu annuellement, dans un but semblable, la nuit de Pâques, en Lucanie, près de la petite île de Leucothée, dans un lieu appelé Marcilianum. Il y avait là une large fontaine, dont les eaux étaient d'une si admirable pureté, qu'elles imitaient la transparence de l'air. On l'avait choisie pour l'administration du baptême dans la nuit de Pâques. A peine le prêtre avait-il commencé les solennelles prières de la bénédiction sous la voûte naturelle qui couvrait cette fontaine, que l'eau, paraissant prendre part aux transports de la joie pascale, croissait dans le bassin; en sorte que si elle s'élevait auparavant jusqu'à la cinquième marche, on la voyait monter jusqu'à la septième, comme pour aller au-devant des merveilles de grâce don telle allait être l'instrument: Dieu montrant parla que la nature même insensible peut s'associer, quand il le permet, aux saintes joies du plus grand des jours de chaque année (1).

Saint Grégoire de Tours parle d'une fontaine qui existait de son temps dans une église de l'Andalousie, en un lieu nommé Osen, et dont le phénomène miraculeux servait pareillement à discerner le véritable jour de la Pâque. Tous les ans, l'évêque se rendait avec son peuple à cette église le Jeudi saint. Le lit de la fontaine était en forme de croix et orné de mosaïques. On constatait qu'elle était entièrement à sec; et, après diverses prières, tout le monde sortait de l'église, et l'évêque en scellait la porte de son sceau. Le Samedi saint, le pontife revenait escorté de son peuple; on ouvrait

 

1. Cassiodore. Variarum, lib. VII, epist. XXXIII.

 

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les portes, après avoir vérifié l'intégrité du sceau. Etant entre, on apercevait la fontaine remplie d'eau jusqu'au-dessus de la surface du sol. sans toutefois qu'elle répandît. L'évêque prononçait les exorcismes sur cette eau miraculeuse, et y versait le chrême. On baptisait ensuite les catéchumènes; et lorsque le sacrement avait été conféré à tous, l'eau disparaissait immédiatement, sans que Ton sût ce qu'elle devenait (1). Les chrétientés de l'Orient étaient aussi témoins de semblables prodiges. Jean Mosch parle, au VII° siècle, d'une fontaine baptismale en Lycie que l'eau remplissait chaque année, la veille de Pâques ; mais elle demeurait les cinquante jours entiers, et tarissait tout d'un coup, après la fête de la Pentecôte (2).

Dans l'Historique du Temps de la Passion, nous avons rappelé les lois des empereurs chrétiens qui interdisaient les procédures civiles et criminelles dans tout le cours de la quinzaine de Pâques, c'est-à-dire depuis le dimanche des Rameaux jusqu'à l'octave de la Résurrection. Saint Augustin, dans un sermon qu'il prononça le jour de cette octave, exhorte les fidèles à étendre à tout le reste de l'année cette suspension des procès, des querelles et des inimitiés, que la loi civile avait voulu arrêter du moins pendant ces quinze jours.

La sainte Eglise impose à tous ses enfants l'obligation de recevoir la divine Eucharistie à la fête de Pâques; et ce devoir est fondé sur l'intention du Sauveur qui, s'il n'a pas fixé lui-même l'époque de l'année a laquelle les chrétiens s'approcheraient de cet auguste sacrement, a laissé à son Eglise le soin et l'autorité de la déterminer. Aux premiers siècles la communion était fréquente,  et même

 

1. De Gloria Martyrum, lib. I, cap. XXIV.

2. Pratum spirituale, cap. CCXV,

 

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journalière, selon les lieux. Plus tard, les fidèles se refroidirent à l'égard de ce divin mystère; et nuis voyons, pour les Gaules, par un canon du concile d'Agde, en 5o6, que beaucoup de chrétiens avaient perdu sur ce point leur ferveur première. Il y est déclaré que les laïques qui ne communieront pas à Noël, à Pâques et à la Pentecôte, ne seront plus comptés pour catholiques (1). Cette disposition du concile d'Agde passa en loi presque générale dans l'Eglise d'Occident. On la retrouve entre autres dans les règlements d'Egbert, archevêque d'York, et dans le troisième concile de Tours. En divers lieux cependant, on voit la communion prescrite pour les dimanches du Carême, et pour les trois derniers jours de la Semaine sainte, sans préjudice de la fête de Pâques. Ce fut au commencement du XIII° siècle, au IV° concile général de Latran, en 1215, que l'Eglise, témoin de la tiédeur qui envahissait toujours plus la société, détermina avec regret que les chrétiens ne seraient strictement obligés qu'à une seule communion par an, et que cette communion aurait lieu à Pâques. Afin de faire sentir aux fidèles que cette condescendance est la dernière limite qui puisse être accordée a leur négligence, le saint concile déclare que celui qui osera enfreindre cette loi pourra être interdit de l'entrée de l'église pendant sa vie, et privé de la sépulture chrétienne après sa mort, comme s'il avait renoncé lui-même au lien extérieur de l'unité catholique (2) . Ces dispositions d'un concile

 

1. Concil. Agath., canon XVIII.

2. Plus tard, le pape Eugène IV, dans la constitution Fide digna, donnée en l'année 1440. déclara que cette communion annuelle pouvait avoir lieu depuis le dimanche des Rameaux jusqu'au dimanche de Quasimodo inclusivement.

 

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œcuménique montrent assez l'importance du devoir qu'elles sont destinées à sanctionner; en même temps elles nous font apprécier douloureusement le triste état d'une nation catholique au sein de laquelle des millions de chrétiens bravent chaque année les menaces de l'Eglise leur mère, en refusant de se soumettre à un devoir dont l'accomplissement serait la vie de leurs âmes, en même temps qu'il est la profession essentielle de leur foi. Et quand il faut ensuite retrancher du nombre de ceux qui ne sont pas sourds à la voix de l'Eglise et viennent s'asseoir au festin pascal, ceux pour lesquels la pénitence quadragésimale a été comme si elle n'existait pas, on se livrerait à la crainte et à l'inquiétude sur le sort de ce peuple, si quelques indices consolants ne venaient de temps en temps relever les espérances, et promettre à l'avenir des générations plus chrétiennes que la nôtre.

La période des cinquante jours qui séparent la fête de Pâques de celle de la Pentecôte a constamment été l'objet d'un respect tout spécial dans l'Eglise. La première semaine, consacrée plus spécialement aux mystères de la Résurrection, devait être célébrée avec une pompe spéciale ; mais le reste de la cinquantaine n'a pas laissé d'avoir aussi ses honneurs. Outre l'allégresse qui plane sur toute cette partie de l'année, et dont l’Alléluia est l'expression, la tradition chrétienne assigne deux usages particuliers au temps pascal qui servent a le différencier du reste de l'année. Le premier consiste dans la défense de jeûner durant les quarante jours ; c'est l'extension du précepte antique qui prohibe le jeûne au dimanche ; toute cette joyeuse période devant être considérée comme un seul et unique dimanche.  Les Règles religieuses

 

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les plus austères de l'Orient et de l'Occident acceptèrent cette pratique, qui parait remonter au temps des Apôtres. L'autre observance spéciale, et qui s'est conservée littéralement dans les Eglises de l'Orient, consiste à ne pas fléchir les genoux dans les offices divins de Pâques à la Pentecôte. Nos usages occidentaux ont modifié cette pratique, qui a régné chez nous durant des siècles. L'Eglise latine a admis depuis longtemps la génuflexion à la messe dans le temps pascal ; et les seuls vestiges qu'elle ait conservés de l'ancienne discipline à ce sujet sont devenus presque imperceptibles aux fidèles qui ne sont pas familiarisés avec les rubriques intimes du service divin.

Le Temps pascal est donc tout entier comme un seul jour de fête ; c'est ce qu'attestait Tertullien dès le III° siècle, lorsque, reprochant à certains chrétiens sensuels le regret qu'ils éprouvaient d'avoir renoncé par leur baptême à tant de l'êtes qui décoraient l'année païenne, il leur disait : « Si vous aimez, les fêtes, vous en trouvez chez nous : non pas des fêtes d'un jour, mais de plusieurs. Chez les païens, la fête est une fois célébrée pour l'année ; pour vous maintenant, autant de huitième jour, autant de fêtes. Additionnez toutes les solennités des gentils, vous n'arriverez pas à notre cinquantaine de la Pentecôte (1). » Saint Ambroise, écrivant pour les fidèles sur le même sujet, fait cette remarque : Si les Juifs, non contents de leur sabbat hebdomadaire, célèbrent un autre sabbat qui dure toute une année, combien plus devons-nous faire pour honorer la résurrection du Seigneur ! Aussi nous ont-ils appris à célébrer les cinquante jours de la Pentecôte comme partie  intégrante de  la

 

1. De Idolatria, cap. XIV.

 

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Pâque. Ce sont sept semaines entières ; et la fête de la Pentecôte en commence une huitième. Durant ces cinquante jours, l'Eglise s'interdit le jeûne, comme au dimanche où le Seigneur est ressuscité ; et tous ces jours sont comme un seul et même dimanche (1). »

 

1. In Lucam, lib. VIII, cap. XXV.

 

 

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