AGNÈS

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
TEMPS DE NOËL II
I° VÊPRES EPIPHANIE
EPIPHANIE
DIMANCHE Oct. ÉPIPHANIE
II° J. Oct. EPIPHANIE
III° J. Oct. EPIPHANIE
IV° J. Oct. EPIPHANIE
V° J. Oct. EPIPHANIE
VI° J. Oct. EPIPHANIE
VII° J. Oct. EPIPHANIE
OCTAVE EPIPHANIE
II° DIMANCHE EPIPHANIE
HILAIRE
FELIX
PAUL ermite
MAUR
MARCEL
ANTOINE
CHAIRE S. PIERRE
CANUT
FABIEN - SÉBASTIEN
AGNÈS
VINCENT
RAYMOND
ILDEFONSE
TIMOTHÉE
Conv. PAUL
POLYCARPE
PAULE
JEAN CHRYSOSTOME
JULIEN
AGNÈS IId
CHARLEMAGNE
FRANÇOIS DE SALES
MARTINE
BATHILDE
PIERRE NOLASQUE
TITE
IGNACE
PURIFICATION
III° DIMANCHE EPIPHANIE
IV° DIMANCHE L'EPIPHANIE
SEPTUAGESIME
SEXAGÉSIME
QUINQUAGESIME

XXI JANVIER. SAINTE AGNÈS, VIERGE ET MARTYRE.

 

Nous n'avons pas épuisé encore la splendide constellation de Martyrs qui se rencontre en ces jours sur le Cycle. Hier, Sébastien ; demain, Vincent, qui porte la victoire jusque dans son nom. Entre ces deux fortes palmes apparaît aujourd'hui, tressée de lis et de roses, la gracieuse couronne d'Agnès. C'est à une enfant de treize ans que l'Emmanuel a donné ce mâle courage du martyre, qui l'a fait marcher dans l'arène d'un pas aussi ferme que le vaillant chef de la cohorte prétorienne et que l'intrépide Diacre de Sarragosse. S'ils sont les soldats du Christ, elle en est la chaste amante. Tels sont les triomphes du Fils de Marie. A peine s'est-il manifesté au monde, que tous les nobles cœurs volent vers lui, selon la parole qu'il a dite: « Où sera le corps, les aigles se rassembleront. » (MATTH. XXIV, 28.)

Fruit admirable de la virginité de sa Mère, qui a mis en honneur la fécondité de l'âme, bien au-dessus de la fécondité des corps, et ouvert une voie ineffable par laquelle les âmes choisies s'élancent rapidement jusqu'au divin Soleil, dont leur regard épuré contemple, sans nuage, les rayons; car il a dit aussi: « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. » (MATTH. V, 8.)

 

378

 

Gloire immortelle de l'Eglise catholique, qui, seule, possède en son sein le don de la virginité, principe de tous les dévouements, parce que la virginité procède uniquement de l'amour! Honneur sublime pour Rome chrétienne d'avoir produit Agnès, cet ange de la terre, devant laquelle pâlissent ces anciennes Vestales, dont la virginité comblée de faveurs et de richesses ne fut jamais éprouvée par le fer ni le feu !

Quelle gloire est comparable à celle de cette enfant de treize ans, dont le nom retentira jusqu'à la fin des siècles dans le Canon sacré du Sacrifice universel ! La trace de ses pas innocents, après tant de siècles, est empreinte encore dans la ville sainte. Ici, sur l'ancien Cirque Agonal, un temple somptueux s'élève avec sa riche coupole, et donne entrée sous ces voûtes jadis souillées par la prostitution, maintenant tout embaumées des parfums de la virginité d'Agnès. Plus loin, sur la voie Nomentane, hors des remparts de Rome, une élégante Basilique, bâtie par Constantin, garde, sous un autel revêtu de pierres précieuses, le chaste corps de la vierge. Sous terre, autour de la Basilique, commencent et s'étendent de vastes cryptes, au centre desquelles Agnès reposa jusqu'au jour de la paix, et où dormirent, comme sa garde d'honneur, des milliers de Martyrs.

Nous ne devons pas taire non plus le plus gracieux hommage que rend, chaque année, la sainte Eglise Romaine à notre illustre Vierge, au jour de sa fête. Deux agneaux sont placés sur l'autel de la Basilique Nomentane, rappelant à la fois la mansuétude du divin Agneau et la douceur d'Agnès. Après qu'ils ont été bénis par l'Abbé des Chanoines réguliers qui desservent cette église,

 

379

 

ils sont conduits ensuite dans un monastère de vierges consacrées au Seigneur, qui les élèvent avec soin ; et leur laine sert à tisser les Pallium que le Pontife suprême doit envoyer, comme signe essentiel de leur juridiction, à tous les Patriarches et Métropolitains du monde catholique. Ainsi le simple ornement de laine que ces Prélats doivent porter sur leurs épaules comme symbole de la brebis du bon Pasteur, et que le Pontife Romain prend sur le tombeau même de saint Pierre pour le leur adresser, va porter jusqu'aux extrémités de l'Eglise, dans une union sublime, le double sentiment de la vigueur du Prince des Apôtres et de la douceur virginale d'Agnès.

Nous donnerons maintenant les admirables pages que saint Ambroise, dans son livre des Vierges, a consacrées à la louange de sainte Agnès. L'Eglise en lit la plus grande partie dans l'Office d'aujourd'hui ; et la vierge du Christ ne pouvait désirer un plus aimable panégyriste que le grand évêque de Milan, le plus éloquent des Pères sur la virginité, et le plus persuasif; car l'histoire nous apprend que, dans les villes où il prêchait, les mères renfermaient leurs filles, dans la crainte que les attrayantes paroles du prélat n'allumassent en elles un si ardent amour du Christ, qu'on les vît renoncer à tout hymen terrestre.

« Ayant à écrire un livre de la Virginité, dit le grand évêque, je m'estime heureux de l'ouvrir par l'éloge de la vierge dont la solennité nous réunit. C'est aujourd'hui la fête d'une Vierge : recherchons la pureté. C'est aujourd'hui la fête d'une Martyre : immolons des victimes. C'est aujourd'hui la fête de sainte Agnès : que les hommes soient dans l'admiration, que les enfants

 

38o

 

ne perdent pas courage, que les épouses considèrent avec étonnement, que les vierges imitent. Mais comment pourrons-nous parler dignement de celle dont le nom même renferme l'éloge ? Son zèle a été au-dessus de son âge, sa vertu au-dessus de la nature; en sorte que son nom ne semble pas un nom humain, mais plutôt un oracle qui présageait son martyre. » Le saint Docteur fait ici allusion au mot agneau, dont on peut dériver le nom d'Agnès. Il le considère ensuite comme formé du mot grec agnos, qui signifie pur, et continue ainsi son discours :

« Le nom de cette vierge est aussi un titre de pureté : j'ai donc à la célébrer et comme Martyre et comme Vierge. C'est une louange abondante que celle que l'on n'a pas besoin de chercher, et qui existe déjà par elle-même. Que le rhéteur se retire, que l'éloquence se taise ; un seul mot, son nom seul, loue Agnès. Que les vieillards, que les jeunes gens, que les enfants la chantent. Tous les hommes célèbrent cette Martyre; car ils ne peuvent dire son nom sans la louer.

« On rapporte qu'elle avait treize ans quand elle souffrit le martyre. Cruauté détestable du tyran, qui n'épargne pas un âge si tendre ; mais, plus encore, merveilleuse puissance de la foi, qui trouve des témoins de cet âge ! Y avait-il place en un si petit corps pour les blessures? A peine le glaive trouvait-il sur cette enfant un lieu où frapper; et cependant Agnès avait en elle de quoi vaincre le glaive.

« A cet âge, la jeune fille tremble au regard irrité de sa mère; une piqûre d'aiguille lui arrache des larmes, comme ferait une blessure. Intrépide entre les mains sanglantes des bourreaux,

 

381

 

Agnès se tient immobile sous le fracas des lourdes chaînes qui l'écrasent ; ignorante encore de la mort, mais prête à mourir, elle présente tout son corps à la pointe du glaive d'un soldat furieux. La traîne-t-on, malgré elle, aux autels : elle tend les bras au Christ, à travers les feux du sacrifice ; et sa main forme, jusque sur les flammes sacrilèges, ce signe qui est le trophée du Seigneur victorieux. Son cou, ses deux mains, elle les passe dans les fers qu'on lui présente ; mais on n'en trouve pas qui puissent serrer des membres si petits.

« Nouveau genre de martyre ! La Vierge n'a pas encore l'âge du supplice, et déjà elle est mûre pour la victoire ; elle n'est pas mûre pour le combat, et déjà elle est capable de la couronne ; elle avait contre elle le préjugé de son âge, et déjà elle est maîtresse en fait de vertu. L'épouse ne marche pas vers le lit nuptial avec autant de vitesse que cette Vierge qui s'avance, pleine de joie, d'un pas dégagé, vers le lieu de son supplice ; parée, non d'une chevelure artificieusement disposée, mais du Christ; couronnée, non de fleurs, mais de pureté.

« Tous étaient en larmes ; elle seule ne pleure pas ; on s'étonne qu'elle prodigue si facilement une vie qu'elle n'a pas encore goûtée; qu'elle la sacrifie , comme si elle l'eût épuisée. Tous admirent qu'elle soit déjà le témoin de la divinité, à un âge où elle ne pourrait encore disposer d'elle-même. Sa parole n'aurait pas valeur dans la cause d'un mortel : on la croit aujourd'hui dans le témoignage qu'elle rend à Dieu. En effet, une force qui est au-dessus de la nature ne saurait venir que de l'auteur delà nature. Quelles terreurs n'employa pas le juge pour

 

382

 

l'intimider ! que de caresses pour la gagner ! Combien d'hommes la demandèrent pour épouse ! Elle s'écrie : La fiancée fait injure à l'époux, si elle se fait attendre. Celui-là m'aura seul, qui, le premier, m'a choisie. Que tardes-tu, bourreau ? Périsse ce corps que peuvent aimer des yeux que je n'agrée pas.

« Elle se présente, elle prie, elle courbe la tête. Vous eussiez vu trembler le bourreau, comme si lui-même eût été condamné. Sa main était agitée, son visage était pâle sur le danger d'un a autre, pendant que la jeune fille voyait, sans crainte, son propre péril. Voici donc, dans  une seule victime, un double martyre : l'un de chasteté, l'autre de religion. Agnès demeura vierge, et elle obtint le martyre. »

 

L'Eglise Romaine chante aujourd'hui ces mélodieux Répons, dans lesquels Agnès exprime avec tant de charmes son naïf amour, et le bonheur qu'elle éprouve d'être fiancée au Christ. Ils sont formés de paroles tirées des anciens Actes de la martyre, longtemps attribués à saint Ambroise.

 

R/. Mon Epoux a orné de pierres précieuses et mon cou et ma main ; il a mis à mes oreilles des perles inestimables. * Et il m'a toute parée de pierres fines et éclatantes, V/. Il a imprimé sa marque sur mon visage, afin que je n'admette pas d'autre amant que lui. * Et il m'a toute parée.

 

R/. J'aime le Christ, je serai l'épouse de Celui dont la Mère est vierge, de Celui que son Père a engendré spirituellement de Celui qui déjà fait retentir à mes oreilles ses harmonieux accords : * Si je l'aime, je suis chaste; si je le touche, je suis pure ; si je le possède, je suis vierge, V/. Il m'a donné un anneau pour gage de sa foi, et m'a parée d'un riche collier. * Si je l'aime.

 

R/. J'ai aspiré le miel et le lait sur ses lèvres : * Et son sang colore mes joues, V/. Il m'a montré des trésors incomparables, dont il m'a promis la possession. * Et son sang.

 

R/. Déjà, par l'aliment céleste, sa chair est unie à la mienne, et son sang colore mes joues : * C'est lui dont la Mère est vierge, lui que son Père a engendré spirituellement, V/. Je suis unie à Celui que servent les Anges, à Celui dont le soleil et la lune admirent la beauté. * C'est lui dont la Mère.

 

Saint Ambroise a voulu chanter lui-même, dans cette Hymne gracieuse et délicate, le martyre de notre incomparable Vierge :

 

HYMNE.

 

C'est la fête d'Agnès, l'heureuse vierge, le jour où, sacrée par son sang, elle rendit au ciel son âme faite pour le ciel.

 

Elle fut mûre pour le martyre avant de l'être pour les noces, dans un temps où la foi chancelait au cœur même des hommes, où le vieillard lassé cédait au tyran.

 

Ses parents, dans la crainte de la perdre, la gardaient plus sévèrement encore que ne la retenait la bienséance du sexe ; elle force les portes de sa retraite: sa foi ne saurait demeurer captive.

 

On croirait voir s'avancer une épouse, tant son visage est radieux; elle apporte à l'Epoux de nouvelles richesses ; le prix de sa dot est dans son sang.

 

On veut la contraindre à allumer la torche aux autels d'un dieu sacrilège; elle répond : « Ce ne sont pas là les flambeaux que portent les vierges du Christ.

 

« Votre feu éteint la foi, votre flamme détruit la lumière; frappez, frappez ici : mon sang versé éteindra vos brasiers. »

 

Pour recevoir le coup, comme elle dispose sa parure ! Soigneuse de la pudeur, elle se drape dans ses vêtements , afin qu'aucun œil ne la contemple immodeste.

 

Cette pudeur la suit dans la mort ; sa main voilait son visage, elle tombe à genoux sur Ta terre, et sa chute encore est empreinte de modestie.

 

Gloire à vous, Seigneur, gloire au Fils unique, avec le Saint-Esprit , dans les siècles éternels. Amen.

 

 

Notre admirable Prudence, qui visita Rome dans les premières années du ve siècle, témoin de la piété romaine envers la glorieuse épouse du Christ, lui a consacré l'un de ses plus gracieux poèmes. Nous donnons ici ce beau chant qui, malgré sa longueur, forme l'Hymne de la fête au Bréviaire Mozarabe.

 

HYMNE.

 

La ville de Romulus possède le tombeau d'Agnès, jeune fille héroïque, illustre martyre; de sa demeure située en face des remparts, la vierge veille au salut des fils de Quirinus. Elle daigne même étendre sa protection sur l'étranger qui vient, d'un cœur pur et fidèle, prier dans son sanctuaire.

 

Une double couronne ceint le front de la Martyre : la virginité conservée inviolable; le trépas glorieux qu'elle affronta sans crainte.

 

La jeune fille abordait à peine à l'âge nubile, et dès ses plus tendres années, l'amour du Christ enflammait son cœur; intrépide, elle résista aux ordres impies qui voulaient la contraindre à servir les idoles, à déserter la foi sainte.

 

On tenta son courage par plus d'un artifice ; le juge essaya de la séduire par de caressantes paroles, le bourreau de l'émouvoir par l'appareil des tourments ; la vierge au cœur invincible se tenait inébranlable; elle offrait son corps aux plus cruelles tortures, et la mort ne l'étonnait pas.

 

« Tu braves les supplices, lui dit le tyran farouche ; tu es capable de surmonter la souffrance ; la vie n'est pour toi qu'une choie se méprisable ; mais à une vierge consacrée la pudeur est chère.

 

« Je puis ordonner de traîner celle-ci dans un lupanar destiné au public, si elle refuse encore d'incliner sa tête devant l'autel, et d'implorer le pardon de Minerve qui est vierge aussi, et que cette vierge insolente persiste à mépriser. Elle verra alors toute la jeunesse se précipiter vers cet asile de honte, pour y chercher la proie nouvelle offerte à ses passions. »

 

« — Le Christ, répond Agnès, n'oublie pas à ce point ceux qui sont à lui ; il ne sacrifie point le trésor de leur pureté. Loin de nous abandonner, il assiste ceux qui sont pudiques, et ne souffre pas que leur intégrité soit souillée. Libre à toi de rougir ton glaive de mon sang; mais tu ne saurais profaner mon corps par la luxure. »

 

Ainsi parle Agnès. Le juge ordonne qu'on la dépouille, et que la vierge soit ainsi conduite dans le repaire secret du cirque. La foule détourne ses regards à cet aspect; un sentiment de pudeur qu'elle ne connaissait pas semble la maîtriser tout à coup.

 

Un seul homme a osé arrêter son œil audacieux et profane sur la vierge sacrée. Mais soudain un Ange prompt comme la foudre l'a frappé de son glaive étincelant. Le coupable a perdu la lumière de ses yeux; il roule sur la poussière et s'agite convulsivement. Ses compagnons l'enlèvent demi-mort, et déjà prononcent sur lui l'adieu suprême.

 

La vierge s'avançait triomphante, adressant à Dieu le Père et au Christ un cantique sacré. Délivrée du péril , elle rendait grâces au pouvoir céleste qui pour elle avait fait du lupanar un lieu chaste, et conservé sans atteinte l'honneur de la virginité.

 

Il en est même qui racontent qu'elle adressa ses supplications au Christ, pour qu'il daignât rendre la lumière au coupable humilié jusqu'à terre, et que le jeune homme recouvra le souffle de sa poitrine et l'usage de ses yeux.

 

Agnès a conquis un premier degré dans la céleste cour; une nouvelle victoire va lui en assurer un second. Le tyran sanguinaire s'enflamme de fureur à la nouvelle qu'il reçoit. Je serai donc vaincu ! dit-il avec émotion. Soldat, tire ton glaive, et accomplis les ordres de l'autorité souveraine. »

 

La vierge aperçoit cet homme farouche qui tient le glaive pour l'immoler; dans les transports de sa joie, elle s'écrie : « Que j'aime ce guerrier qui vient fondre sur moi avec fureur ! Combien je le préfère à ce jeune homme plein de mollesse, exhalant autour de lui l'odeur des parfums , pour tendre un piège mortel à ma fidélité !

 

« Voici l'amant auquel j'aspire; au-devant de lui je m'élance; je n'arrête plus l'ardeur de mes désirs. Qu'il plonge tout entier son fer dans mon sein ; que je sente avec transport ce glaive pénétrer ma poitrine : alors, épouse du Christ , mon âme, franchissant la région des ténèbres, va s'élever au plus haut des cieux.

 

« Roi éternel, daigne ouvrir les portes de ton céleste palais si longtemps fermées aux habitants de la terre. O Christ, appelle à toi cette âme qui n'aspire qu'à te rejoindre; elle est vierge ; et on l'immole à la gloire de ton Père. »

 

Elle dit, et, inclinant la tête, elle adore humblement le Christ, offrant ainsi avec ardeur son cou au glaive qu i se lève au-dessus d'elle. Le bras du bourreau accomplit à l'instant l'espoir de la vierge; d'un seul coup il abat la tête innocente d'Agnès : trépas rapide, qui à peine laisse place à la souffrance.

 

L'âme brillante et affranchie s'élance libre à travers les airs ; un groupe d'Anges l'accompagne sur le sentier lumineux.

 

Dans son vol elle voit au-dessous d'elle le globe de la terre et les ténèbres qui l'environnent ; mais elle dédaigne cette région inférieure que le soleil visite dans son cours, tout ce que le monde entraîne et confond dans sa marche, tout ce qui vit au sein du noir tourbillon,tout ce que la vaine mobilité du temps emporte avec elle.

 

Maintenant elle domine de son regard les rois, les tyrans, les empires, les dignités publiques ; les honneurs et les pompes qui enflent d'orgueil les mortels insensés ; l'argent et l'or si puissants, dont ils ont tous une soif ardente, et qu'ils recherchent par toutes sortes de crimes ; les palais construits avec splendeur, la vanité des parures brillantes ; la colère, les craintes, les désirs, les dangers de toutes parts ; les joies si rapides, les chagrins si longs à s'épuiser ; les torches de l'envie qui souillent de leur noire fumée l'espérance des hommes et leurs succès ; enfin, le plus affreux de tous les maux, le nuage honteux de l'idolâtrie planant sur le monde.

 

Dans son attitude triomphante, Agnès foule et domine tous ces vains objets; de son pied elle écrase la tête du cruel dragon qui infecte de son venin les habitants de la terre, et les entraîne avec lui aux enfers. Maintenant, dompté sous le pied de la jeune vierge, il abaisse honteusement sa crête enflammée ; vaincu, il n'ose plus relever la tête.

 

En même temps, le Dieu du ciel ceint de deux couronnes le front de la chaste martyre : l'une porte en traits de lumière le nombre mystérieux de soixante ; sur l'autre, le centenaire exprime les mérites qu'Agnès a conquis.

 

Heureuse vierge, illustration nouvelle, noble habitante de la cité céleste, daigne incliner vers nos misères ta tête ceinte du double diadème. A toi seule le Dieu suprême donna la puissance de rendre chaste un jour le lieu même du crime.

 

Un regard de ta bonté dirigé vers moi me rendra pur, en inondant mon cœur de sa lumière ; tout ce que ton œil daigne fixer, comme autrefois tout ce que ton noble pied toucha, participe aussitôt à la pureté qui en toi réside.

 

Le concert ne serait fias complet à la louange d'Agnès, si nous n'entendions pas notre mélodieux Adam de Saint-Victor chanter en son honneur une de ses plus belles Séquences.

 

SEQUENCE.

 

Animons-nous à la lutte, en célébrant la Passion d'une vierge glorieuse.

 

En touchant la fleur sacrée, respirons les parfums de suavité qu'elle exhale.

 

Belle, prudente et d'illustre race, déjà Agnès à deux premiers lustres avait ajouté trois ans.

 

Aimée du fils du Préfet, la vierge à ses désirs résiste avec courage.

 

Merveilleuse force de la foi! Merveilleuse virginité ! Merveilleuse intégrité d'un cœur virginal !

 

Ainsi le Fils de Dieu, par un conseil admirable, se montre plus admirable dans un instrument fragile.

 

L'amant languit sur sa couche de souffrance ; la cause de cette langueur est connue du Préfet, qui s'empresse d'y chercher remède.

 

Il offre beaucoup, promet plus encore de choses périssables, périssable qu'il est; mais tout cela est vil aux yeux de la vierge.

 

Le Préfet la fait exposer nue dans un lieu infâme ; mais le Christ la revêt du voile de sa chevelure et d'un vêtement céleste.

 

Un messager d'en haut veille à ses côtés ; l'antre du crime devient un séjour de lumière; la terreur s'empare des débauchés.

 

L'aveugle amant s'irrite ; il s'élance, et tombe étouffé par l'esprit malin.

 

Le père pleure, tout pleure : Rome a pleuré aux funérailles du jeune mort.

 

Agnès le rend à la vie : la foule frémit confusément, et cependant on prépare pour la vierge un bûcher.

 

Mais les flammes brûlent les impies; elles tourmentent les bourreaux furieux, et rendent hommage au grand Dieu.

 

Agnès , au Seigneur rendant grâces, présente son cou au licteur; tranquille sur sa pureté, elle ne craint pas de mourir sur l'heure.

 

Debout à la droite de l'Agneau du salut, tu es glorieuse, Agnès ! tu viens consoler tes parents ; tu les invites aux réjouissances.

 

Qu'ils cessent de pleurer ta mort, maintenant que tu es unie à l'Epoux céleste.

 

Apparaissant sous la forme d'un agneau, il leur révèle sa gloire, et les honneurs de ta virginité.

 

Ne permets pas que jamais nous soyons séparés de cet Agneau salutaire, à qui tu t'es consacrée tout entière, et par la puissance duquel tu guéris la noble Constantia.

 

Vase élu, vase d'honneur, fleur d'incorruptible parfum, bien-aimée des chœurs des Anges, tu donnes au monde un exemple de noblesse et de pudeur.

 

Toi, ornée de la palme triomphale, couronnée des fleurs de la virginité : nous, indignes d'une récompense spéciale, fais-nous du moins inscrire sur les fastes communs des saints. Amen.

 

Qu'il est doux et fort, ô Agnès, l'amour de Jésus . votre Epoux! Comme il s'empare des cœurs innocents, pour les transformer en cœurs intrépides ! Que vous importaient le monde et ses joies, le supplice et ses tortures ? Qu'aviez-vous à craindre de l'affreuse épreuve à laquelle la féroce

 

395

 

dérision du persécuteur voulut vous soumettre ? Sous ces voûtes impures, l'Ange du Seigneur attendait le téméraire. Vous l'ignoriez, et cependant votre cœur ne tremblait pas, car l'amour de Jésus le remplissait tout entier. Le lupanar, le bûcher, le glaive n'étaient rien pour vous ; votre amour vous disait assez que nulle violence humaine ne vous ravirait le cœur de l'Epoux divin ; vous aviez sa parole, et vous saviez qu'il est fidèle.

O enfant si pure au milieu de la contagion de Rome, si libre au milieu d'un peuple esclave, combien le caractère de notre Emmanuel paraît en vous ! Il est Agneau, et vous êtes simple comme lui ; il est le Lion de la tribu de Juda, et, comme lui, vous êtes invincible. Quelle est donc cette nouvelle race descendue du ciel qui vient peupler la terre ? Oh ! qu'elle vivra de longs siècles, cette famille chrétienne issue des Martyrs, qui compte parmi ses ancêtres des héros si magnanimes ! des vierges, des enfants, à côté des pontifes et des guerriers, tous remplis d'un feu céleste, et n'aspirant qu'à sortir de ce monde, après y avoir jeté la semence des vertus. Ainsi sont rapprochés de nous les exemples du Christ par la noble chaîne de ses Martyrs. Par nature, ils étaient fragiles comme nous ; ils avaient à triompher des mœurs païennes qui avaient corrompu le sang de l'humanité ; et cependant ils étaient forts et purs.

Jetez les yeux sur nous, ô Agnès, et secourez-nous. L'amour du Christ languit dans nos cœurs. Vos combats nous émeuvent ; nous versons quelques larmes au récit de votre héroïsme ; mais nous sommes faibles contre le monde et les sens. Amollis par la recherche continuelle de nos aises, par une folle dépense de ce que nous appelons

 

396

 

sensibilité, nous n'avons plus de courage en face des devoirs. N'est-il pas vrai de dire que la sainteté n'est plus comprise ? Elle étonne, elle scandalise ; nous la jugeons imprudente et exagérée. Et cependant, ô Vierge du Christ, vous êtes là devant nous, avec vos renoncements, avec vos ardeurs célestes, avec votre soif de la souffrance qui mène à Jésus. Priez pour nous, indignes ; élevez-nous au sentiment d'un amour généreux, agissant, d'un amour qui connaisse la jalousie à l'encontre de ce qui n'est pas Dieu. Epurez cette religion tiède et contente d'elle-même, qui est venue prendre la place de la piété des anciens jours. Il est quelques âmes fortes qui vous suivent ; mais il en est peu ; accroissez-en le nombre par vos prières, afin que l'Agneau, dans les deux, ait une suite nombreuse, entre les lis et les roses de ce séjour du bonheur.

Vous nous apparaissez, ô Vierge innocente, dans ces jours où nous nous pressons autour du berceau de l'Enfant divin. Qui pourrait dire les caresses que vous lui prodiguez, et celles dont il vous comble ? Laissez toutefois approcher les pécheurs près de cet Agneau qui vient les racheter, et recommandez-les vous-même, au nom de votre tendresse, à ce Jésus que vous avez toujours aimé. Conduisez-nous à Marie, la tendre et pure brebis qui nous a donné ce Sauveur. Vous qui réfléchissez en vous le doux éclat de sa virginité, obtenez-nous d'elle un de ces regards qui purifient les cœurs.

Suppliez, ô Agnès, pour la sainte Eglise qui est aussi l'Epouse de Jésus. C'est elle qui vous a enfantée à son amour; c'est d'elle que nous aussi tenons la vie et la lumière. Obtenez qu'elle soit de plus en plus féconde en vierges fidèles. Protégez

 

397

 

Rome, où votre tombe est si glorieuse, où vos palmes sont si éclatantes. Bénissez les Prélats de l'Eglise : obtenez pour eux la douceur de l'agneau, la fermeté du rocher, le zèle du bon Pasteur pour la brebis égarée. Enfin, ô Epouse de l'Emmanuel, soyez le secours de tous ceux qui vous invoquent ; et que votre amour pour les hommes s'allume de plus en plus à celui qui brûle au Cœur de Jésus.

 

Précédente Accueil Remonter Suivante