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LETTRES ÉCRITES A BOSSUET (a).

 

LETTRE PREMIÈRE. M. L'ABBÉ FLEURY A BOSSUET. A Paris, ce jeudi 28 septembre 1684.

 

J'étais à Villeneuve quand je reçus votre lettre, qui fut mardi sur les huit heures du soir. Je n'arrivai ici hier qu'environ à la même heure, parce que n'étant pas maître de ma voiture, je ne pus partir aussitôt que j'aurais désiré. J'eus encore le temps d'envoyer chez le médecin, qui me manda que l'abbé de Vares était très-mal, et qu'il devait recevoir ce matin, le Viatique. Il l'avait déjà reçu quand je suis arrivé chez lui, qui était sur les huit heures et demie. On m'a dit qu'il m'avait demandé, et il a témoigné être bien aise de me voir. Je lui ai trouvé la poitrine fort engagée, grande difficulté de parler et même d'ouïr, mais la connaissance entière et les sentiments très-chrétiens. Je lui ai dit quelques paroles de saint Paul, sachant qu'il le méditait continuellement, et quelques versets des Psaumes, surtout In domum

 

(a) Il nous reste à publier un petit nombre de lettres. Ces lettres ont été écrites, non par Bossuet, mais à Bossuet par des hommes d'un mérite éminent. Dans la composition de ses ouvrages, abordant tous les domaines de la science, le grand écrivain consultait ses amis tantôt sur un texte de l'Ecriture ou de la patrologie, tantôt sur un point de dogme ou de droit canon, tantôt sur une question de morale ou de critique historique; toujours sur la brèche pour défendre la vérité, il se faisait pour ainsi dire signaler par ses aides de camp les manœuvres de l'erreur qui menaçait la Cité sainte. Eh bien, les avis que lui transmettaient les sentinelles d'Israël, comme aussi les solutions que lui donnaient les savants : voilà les communications, les rapports, les lettres que nous allons donner au lecteur. On conçoit combien ces documents nous offrent d'intéressants détails sur la vie intime du grand homme, combien de lumières précieuses sur ses compositions littéraires.

Nous suivrons, dans la publication de ces lettres, l'ordre des matières plutôt que celui des temps.

 

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Domini ibimus : sur quoi il a témoigné une grande consolation de penser à la sainte Cité et à la bonne compagnie que l'on y trouvera. J'ai continué à lui dire quelques paroles de l'Ecriture de temps en temps, et j'ai vu comme il les goûtait par ce qu'il ajou-toit de lui-même. Il a voulu reposer; et j'ai été aux Filles de Saint-Thomas, où j'ai dit la messe pour un malade à l'extrémité. Le médecin était venu, qui n'en attendait plus rien, et jugeait toutefois qu'il irait jusqu'au soir. Cependant j'avais envoyé quérir M. Bouret, notaire, parce qu'il voulait faire son testament. Peu de temps après, voyant qu'il s'affaiblissait, j'ai proposé d'envoyer quérir l'extrême-onction. Les notaires sont venus, et il a eu encore assez de liberté d'esprit pour leur expliquer lui-même ses intentions. Comme ils achevaient d'écrire, M. de Cornouaille est venu avec les saintes huiles, et a trouvé le malade si bas qu'il a commencé par les onctions. Il a toutefois eu encore le temps de dire les prières, puis tout de suite celles des agonisants, pendant lesquelles il a expiré, un peu avant midi. Il a philosophé jusqu'à la fin, demandant pourquoi la maladie s'appelait un mal, et pourquoi tant de gens s'assemblaient autour de lui, paraissant alarmés de son état. Jusqu'à la fin il a témoigné une grande confiance en Dieu, quoique mêlée de quelque légère crainte qui passait vite.

M. Pessole et M. Clément ont envoyé quérir aussitôt, d'un côté M. l'abbé de Saint-Luc, et de l'autre M. de la Chapelle. Cependant je m'en suis allé dîner chez M. l'abbé Renaudot, pour ne pas m'éloigner en cas qu'on eût besoin de moi. M. l'abbé de Saint-Luc y est venu, qui nous a conté ce qui s'était passé, et comme M. delà Chapelle s'était chargé des clefs, suivant l'ordre qu'il avait de M. de Louvois : ainsi n'ayant plus rien à faire à la bibliothèque, je n'ai pas cru devoir y retourner. J'espère aller demain à l'enterrement, et m'en retourner samedi à Villeneuve, où M. le contrôleur général doit être encore huit jours. Après cela j'espère vous aller trouver, si vous ne m'ordonnez le contraire.

M. l'abbé Renaudot se réveille vivement en cette occasion, et remue toutes les machines dont il se peut aviser. Vous le verrez par cette lettre de M. le Prince. Je l'ai assuré qu'elle était fort

 

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inutile, et que vous étiez autant bien disposé à son égard qu'il le pouvait souhaiter. Toutefois puisqu'elle est écrite, il a fallu vous l'envoyer. M. l'abbé de Saint-Luc lui a offert très-honnêtement ses bons offices auprès de M. l'archevêque de Reims, et lui en doit écrire dès aujourd'hui. Pour moi, Monseigneur, si on me faisait l'honneur de m'en demander mon avis, vous savez ce que je vous en ai dit plusieurs fois, et que pour le bien de la chose, sans aucun égard des personnes, je n'en vois point qui convienne mieux à cet emploi que lui. Au reste la gazette ne l'occupe pas autant que je pensois. Il ne laisse pas d'étudier beaucoup d'ailleurs : ce qu'il écrit en fait foi ; et le commerce qu'il a avec tous les savants dedans et dehors le royaume, ferait honneur à ceux qui le choisiraient. Je ne manquerai pas d'en dire ma pensée à M. le contrôleur général.

M. l'abbé de Vares a l'avantage d'être regretté de tout le monde. M. l'abbé Galois m'en parla avec de grands sentiments d'estime, la dernière fois que je le vis; et prévoyant ce malheur, il le regrettait par avance. Le pauvre M. Clément, quoiqu'il eût eu les petits chagrins que vous savez, ne laisse pas de le regretter, craignant de trouver pis. Il est tout étourdi de ces changements, et mérite que l'on prenne soin de le conserver. Le pauvre M. Pessole me fait grande compassion, et je ne sais ce qu'il deviendra ni ce qu'on pourra faire pour lui. Mais il est inutile, Monseigneur, de vous représenter tout cela : vous le voyez comme moi ; et personne ne pénètre mieux que vous toutes les conséquences de cette mort. Pour moi, je voudrais bien en tirer des conséquences qui me fussent utiles ; et il me semble que cet exemple venant tout à coup sur celui de M. d'Amboile, devrait bien m'apprendre à mépriser la vie et tout ce que l'on y appelle établissement, pour ne songer à en faire que dans le ciel. Vous m'y aiderez, Monseigneur, par vos bonnes instructions et vos bons exemples, et encore plus par vos prières, que je vous demande avec votre sainte bénédiction.

 

FLEURY.

 

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LETTRE II.  M. L'ABBÉ DE SAINT-LUC A BOSSUET. A Paris, ce 28 septembre 1684.

 

Vous aurez appris, Monseigneur, par les lettres de Pessole et de M. Fleury la triste nouvelle de la mort de notre pauvre ami M. de Vares. Vous n'en aurez pas été surpris : car vous me marquiez dans votre dernière lettre que vous n'en espériez plus rien ; et j'ai vu que vous en étiez vivement touché. En vérité, Monseigneur, je ne saurais me consoler de cette perte ; elle me paraît irréparable pour tous ses amis. Il est rare d'en trouver de ce mérite, et d'une société si douce et si agréable. On n'a pas assurément d'affliction plus sensible en cette vie, et rien ne doit plus servir à nous en détacher. Je Pavais été voir avant-hier, et j'y menai M. Duchêne qui le jugea en grand péril. Je lui en dis quelque chose dans la conversation : il me parut qu'il m'entendait assez. En effet il s'est disposé à ce dernier moment comme un homme bien pénétré des vérités de la religion, qu'il méditait toujours pendant sa maladie, et a eu le bonheur de mourir entre les bras de M. Fleury. Je suis arrivé un moment trop tard : j'ai trouvé le pauvre Pessole fort désolé, et incertain de ce qu'il devait faire des clefs dont il était chargé. M. de la Chapelle averti par Clément, est venu aussitôt, et a dit que M. de Louvois lui avait donné ordre en partant de se rendre à la bibliothèque dès qu'il saurait la mort, de mettre son cachet à toutes les serrures, et de prendre les clefs. Je lui ai conseillé de les remettre avec le registre, et de donner avis de tout à M. de Reims. Je ne doute pas que vous n'ayez la bonté de lui recommander fortement ce pauvre garçon, qui perd tout son appui : son affection et sa fidélité méritent qu'on fasse quelque chose pour lui, outre qu'il est assez intelligent et fort exact.

L'abbé Renaudot espère aussi que vous écrirez en sa faveur. M. de Fleury et moi sommes convenus que l'on ne pouvait

 

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trouver un meilleur sujet et plus capable de cet emploi, par son érudition et le commerce qu'il a avec tous les gens de lettres. La Gazette ne l'occupe pas assez pour l'empêcher de s'y donner tout entier : d'ailleurs il a du bien, et ne cherchera pas à faire son profit aux dépens du service. Vous connaissez la disposition où est M. de Reims à son égard ; et je crois qu'il vous sera aisé de faire encore celui-là, qui en sera très-reconnaissant. Je suis, avec un attachement inviolable, absolument à vous.

 

L'abbé de Saint-Luc.

 

LETTRE III. M. L'ABBÉ  FLEURY   A  BOSSUET. A Paris, ce 15 octobre 1684.

 

Eh bien, Monseigneur, il a plu à Dieu de frapper encore ce terrible coup, et de nous ôter M. Cordemoy. Il me semble que je ne vois plus que des morts; et à peine sais-je si je suis en vie moi-même : du moins sais-je bien que si j'ai tant soit peu de raison, je ne dois pas me promettre un moment de vie. Quatre amis de cette force perdus en deux mois ! Mais il n'est point question de lamenter ; il faut songer aux vivants, et avoir soin de la pauvre famille de notre ami. Il m'a passé par l'esprit que peut-être ne serait-il pas impossible de conserver la charge ou la pension pour le fils, qui est à Lyon, et de l'engager à continuer l'Histoire (a). Je crois qu'en un an ou deux, laborieux comme il est, avec un fort bon esprit, il aurait bien autant d'avance que le père pouvait en avoir, vu la jeunesse, la fraîcheur et la mémoire, et qu'il n'aurait aucun autre soin. Un de ses jeunes frères l'y pourrait aider; et je crois que ces deux jeunes hommes se donnant tout entiers à cet ouvrage, ils y réussiraient plutôt que quelqu'un des

 

(a) L'Histoire de France : M. de Cordemoy avait écrit celle des deux premières races, qui a été publiée après sa mort, en deux volumes in-folio. Louis XIV, comme le désiraient les amis du défunt, chargea son fds de continuer cette Histoire. Il avança beaucoup celle de la troisième race ; mais son travail n'a pas été donné au public.

 

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savants que nous connaissons, ou plutôt je n'en connais point que je pusse indiquer pour cet ouvrage. Je crois bien que cela sera difficile à obtenir; mais quand on n'obtiendrait qu'une partie de la pension, ce leur serait toujours un grand secours. Peut-être cette affaire mériterait bien que vous fissiez un tour à Fontainebleau; car elle aura besoin d'être puissamment sollicitée : et vous savez mieux que moi que si ces sortes de grâces ne s'obtiennent sur-le-champ et par la compassion d'une mort récente, il n'y a rien à faire ensuite. Je sais bien, Monseigneur, que je ne hasarde rien de vous dire toutes mes pensées. Il m'importe seulement de savoir votre résolution, afin que si vous demeurez à Meaux, je me rende incessamment auprès de vous. Cependant je vous demande, avec un profond respect, vos prières et votre sainte bénédiction.

 

LETTRE IV. M.  OBRECHT  A  BOSSUET (a).  A Strasbourg, ce 1er mai 1686.

 

Je réponds un peu tard à celle que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire, du 26 de mars, parce qu'elle m'a été rendue dans un temps que j'étais surchargé d'affaires plus qu'à l'ordinaire, et qu'ayant changé de maison, je n'ai pas pu sitôt transporter ma bibliothèque, qui est encore actuellement dans la dernière confusion. Cependant je m'étais déterminé d'abord de satisfaire Votre Grandeur sur ce qu'elle désire de savoir touchant la diversité des éditions de la Confession d'Augsbourg.

C'est une matière qui a été bien battue et rebattue en Allemagne, et on en a fait des livres tout entiers, tant pour accuser cette diversité que pour la défendre. Celui qui l'a traitée avec le plus d'étendue est Laurentius Forerus, dans plusieurs traités qu'il a publiés en l'an 1628, 1629, 1630. Mais comme il a vu que ses

 

(a) Ulric Obrecht, savant distingué, né à Strasbourg le 23 juillet 1646, avait été élevé dans la religion protestante. Il fit abjuration entre les mains de Bossuet en 1684, et mourut le 6 août 1701. Il était préteur royal au sénat de Strasbourg.

 

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raisons n'avaient pas tout le poids qu'elles devaient, à cause qu'étant parties de la plume d'un jésuite, les luthériens eurent moyen de les faire attribuer à la passion et à la haine mortelle qu'il y a entre eux et cet ordre, il les reproduisit quelques années après revêtues d'un nom illustre, dans le Speculum veritatis Bradenburgicœ, du marquis Christian-Guillaume, imprimé en l'an 1633 : suivant en cela les traces de Pistorius, qui avait traité la même matière sous le nom de Jacques, marquis de Baden, dans les motifs de sa conversion publiés en 1591. M. le cardinal de liesse la fit aussi éplucher par Thomas Henrici,dans un ouvrage intitulé : Anatomia Augustanœ Confessionis. Et tout nouvellement M. l'évêque de Neustadt a fait ramasser dans un traité qui a pour titre : Augustana et Anti-Augustana Confessio, tout ce qui a été dit autrefois à ce sujet : et M. l'électeur de Saxe a fait répondre par un professeur de Leipsick appelé Valentinus Alberti. L'un et l'autre de ces deux ouvrages est écrit en allemand, aussi bien que la plupart de ceux qui les ont précédés.

A ce que je me souviens, on reproche aux luthériens principalement les changements qui paraissent dans l'édition qui a été faite de la Confession d'Augsbourg à Wirtemberg, en l'an 1540, et la diversité qu'il y a entre cette édition et toutes celles qui lui sont antérieures, depuis celle de l'an 1530. En outre on leur objecte que de plusieurs exemplaires allemands, même des plus authentiques, comme sont ceux qui sont dans la bibliothèque de l'empereur et dans les archives de l'empire à Mayence, il n'y en a pas deux qui se ressemblent, non plus que l'édition allemande de l'an 1580 et celle de 1628, dont ils font le plus de cas, et que les exemplaires latins en diffèrent encore davantage. Le nombre des passages où l'on leur montre cette discrépance est presque infini, de plus grande et de moindre importance.

Les luthériens, dans leurs réponses, commencent par rejeter entièrement l'édition de Wirtemberg de l'an 1540. Ils disent qu'elle est un effet de la faiblesse de Mélanchthon, qui s'est voulu accorder par là avec les Suisses; qu'elle n'a jamais été reçue parmi eux; qu'au contraire l'auteur en a été repris sévèrement au nom de l'électeur de Saxe par son chancelier nommé Pontanus, et qu'il

 

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a été obligé de l'abandonner entièrement aux colloques de Worms et de Ratisbonne.

Quant aux autres éditions, ils disent qu'il y en a qui ont été corrompues par les imprimeurs; et qu'ils ne reconnaissent que celles qui ont été données par autorité publique, comme sont celles de l'an 1626, in Pupillu A. C, et celle de 1580, in Formula Concordiœ. Ils avouent que le texte latin n'est pas tout à fait conforme à l'allemand quant aux paroles, mais qu'il retient pourtant le même sens : que la Confession a été traduite de l'allemand en latin, et l’Apologie du latin en allemand : que dans l'une et dans l'autre il faut examiner la traduction sur l'original, et non pas combattre l'original par la traduction : que dans les exemplaires qui se trouvent dans les bibliothèques et dans les archives il y a des variétés, mais qui la plupart n'importent rien et n'altèrent pas le sens : que s'il y a des changements, des additions, des omissions, c'est pour donner non pas une doctrine nouvelle, mais plus nette et plus claire.

A ces faits ils ajoutent les réflexions suivantes : Que dans l'Eglise chrétienne il a toujours été permis de changer les Symboles et les Confessions de foi : que cela a été remarqué même dans le Symbole des apôtres, dans celui de saint Athanase, et principalement dans celui de Constantinople, où l'Eglise latine a cru avoir la liberté d'ajouter le Filioque, qui n'était pas dans le grec : que l'Eglise romaine leur peut d'autant moins reprocher leurs additions et changements, qu'elle-même s'est servie d'une grande liberté à changer par exemple l'édition Vulgate, selon l'aveu de Clément VIII dans sa préface, le Canon de la messe, et la Profession de foi, où ils soutiennent que la foi du concile de Trente est altérée par des additions, comme par exemple de jurer l'obéissance au Pape; et par des changements, comme doit être celui de l'article de l'invocation des saints, que la Profession veut faire passer pour nécessaire, quoique le concile ne l'ait proposée que comme utile : que la doctrine du concile de Constance a été changée par celui de Latran, touchant l'autorité des Papes sur les conciles : qu'il ne sert de rien de dire que leur Confession a été changée dans les diverses éditions, attendu qu'ils ont toujours publié

 

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hautement qu'ils se tiendraient inséparablement à l'exemplaire qu'ils ont présenté à Charles V, et qu'ils n'ont jamais refusé de laisser juger leur doctrine selon cet exemplaire-là, sans se prévaloir d'aucun des changements qu'on leur oppose.

J'espère que M. le Correur aura fait son devoir : il y a déjà du temps que je l'en ai averti. Il demeure dans la rue Montmartre, vis-à-vis de la Jussienne, chez M. le commissaire Fleury.

J'ai reçu les excellents ouvrages que Votre Grandeur m'a envoyés par le coche, et j'ai rendu les exemplaires où ils étaient destinés. En mon particulier je lui en ai une obligation infinie; et ne souhaite rien au monde si passionnément, que d'avoir l'occasion de témoigner réellement avec combien de vénération et de respect, je suis, etc. Obrecht.

 

LETTRE V. M.   OBRECHT A  BOSSUET. De Strasbourg, ce 20 juin 1687.

 

Je réponds un peu tard à la lettre que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire du 6 du mois passé, parce qu'elle m'a été rendue lorsque j'étais occupé à instruire quelques procès de conséquence que la ville de Strasbourg a au conseil souverain d'Alsace, et qui doivent encore être jugés avant les vacances. J'espérais en outre de trouver ici les deux derniers tomes de M. Varillas, où il doit avoir mis les deux pièces sur lesquelles Votre Grandeur me demande quelque éclaircissement. Mais comme nos libraires ne les ont pas encore apportés, je n'en pourrai donner que des conjectures.

Je présume donc que ce seront les mêmes que celles que feu M. l'électeur palatin Charles-Louis a déjà fait publier autrefois, pour couvrir ou autoriser en quelque façon le concubinage dans lequel il vivait avec la Dame de Deyenfeld. C'est dans un livre qu'il fit écrire en allemand par un de ses conseillers, et qu'il envoya lui-même à la plupart des Cours, comme aussi aux savants d Allemagne. Il m'en adressa aussi un exemplaire, avec un paquet

 

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pour feu M. le Prince : mais il me défendit fortement demander d'où m'était venu ledit paquet. Cet ouvrage a pour titre : Considérations ou Réflexions consciencieuses sur le mariage, en tant qu'il est fondé dans le droit divin et en celui de nature; avec un éclaircissement des questions agitées jusqu'à présent touchant l'adultère, la séparation et particulièrement la polygamie. Il a été publié en l'an 1679, sous le nom emprunté de Daphnœus Arcuarius, sous lequel est caché celui de Laurentius Baeger, parce qu'Arcus signifie en allemand Bognu.

Dans la quatrième partie, chapitre I, l'auteur ayant proposé la question, si dans le temps de la nouvelle Alliance il y a eu des docteurs qui aient permis la polygamie ; et après avoir fait dire au cardinal Bellarmin qu'il s'étonnait de ce que les luthériens reprochaient au pape Grégoire III d'avoir permis à un mari, dont la femme était malade, de prendre une seconde femme, puisque Luther avait été dans le même sentiment : il fait semblant de vouloir embrasser la défense de Luther, et de le vouloir purger de cette doctrine; mais insensiblement il tourne la phrase, et le charge de preuves si convaincantes, qu'il n'en laisse aucun doute au lecteur ; et conclut à la fin du chapitre que Luther a effectivement enseigné ce qu'on lui impose, et fait voir que c'est à tort qu'on le veut excuser, en disant que ce n'a été que vers le commencement de sa Réforme, comme s'il avait changé de sentiment dans ses derniers écrits.

Entre autres, il produit aussi en allemand et en latin l'Avis doctrinal sur le dessein du Landgrave, aussi bien que le contrat de mariage : l'un et l'autre est autorisé des mêmes notaires que Votre Grandeur me marque. Mais quant à l'avis allemand, que je tiens pour l'original, il n'est signé que de Luther, de Mélanchthon et de Bucer ; et je crois que les autres théologiens n'ont signé le latin que quelque temps après. L'allemand est indubitablement du style de Mélanchthon ; mais le latin me paraît être sorti de la plume de Melander. Arcuarius assure que ces pièces ont été tirées des archives d'un prince d'Allemagne, qu'il ne les publie que parce qu'il est pleinement convaincu de leur autorité. Il ajoute en outre l'instruction que le Landgrave a donnée à Bucer

 

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pour négocier cette affaire auprès de Luther et de Mélanchthon, et pour obtenir d'eux un avis favorable.

Votre Grandeur ne me marque pas si M. de Varillas a aussi donné cet acte, qui est assurément la pièce principale, et qui fait voir les ressorts que le Landgrave a remués pour arracher de ces Messieurs une décision telle qu'il la souhaitait. Elle n'est qu'en allemand : mais si Votre Grandeur la désire, je la ferai traduire et la lui enverrai au plus tôt.

Du reste il ne faut pas s'étonner si les historiens de ce temps-là ne parlent pas avec plus de détail de ce mariage : car en conséquence de l'avis on avait pris de si belles précautions pour le cacher, que personne n'en a jamais rien su qu'à demi. Il est vrai qu'on l'a reproché à Luther aussi bien qu'au Landgrave même, dans des écrits publics : mais l'un et l'autre dans leurs réponses se sont tirés d'affaire en habiles rhétoriciens : de sorte que quand on a lu ce qu'ils en disent, on est aussi savant qu'auparavant ; c'est-à-dire qu'en ne rien avouant, ils ne nient néanmoins rien.

«Vous me reprochez, écrit le Landgrave contre Henri le Jeune, duc de Brunswich, apud Hortlederum, de causis belli Germanici, anno 1540, qu'il a éclaté de moi comme si j'avais pris une seconde femme, la première étant encore vivante : sur quoi je vous déclare que si vous, ou qui que ce soit, dit que j'aie contracté encore un mariage non chrétien, ou que j'aie fait quelque chose qui ne convienne pas à un prince chrétien, il me l'impose par pure calomnie. Car quoique envers Dieu je me reconnaisse pour un pauvre pécheur, je vis pourtant en ma foi et en ma conscience devant lui d'une telle manière, que mes confesseurs ne me tiennent pas pour un homme non chrétien, et que je ne donne scandale à personne, et suis avec la princesse ma femme en bonne intelligence, amitié et concorde, » etc.

« On reproche au Landgrave, écrit Luther, (tom. VII, Jenens. German., fol. 425) que c'est un polygame. Je n'en ferai pas beaucoup de paroles ici. Le Landgrave est assez fort, et a des gens assez savants pour se défendre. Quant à moi, je commis une seule princesse ou Landgravine de Hesse, qui est et doit être nommée la femme et la mère en Hesse ; et il n'y en a point d'autre qui

 

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puisse porter ou engendrer de jeunes landgraves, que la princesse qui est fille de George duc de Saxe. » Car effectivement il était assez pourvu par le contrat de mariage que la nouvelle épouse n'aurait pas la qualité de landgravine, et que ses enfans ne seraient point landgraves. L'instruction donnée à Bucer est admirable sur ce sujet.

Quant à l'élévation de l'Eucharistie, je ne crois pas qu'on puisse trouver la moindre chose dans les liturgies des églises protestantes d'Allemagne, qui en fait de cérémonies sont tout à fait stériles, outre que l'on sait que l'élévation a été abrogée par Luther même, en l'an 1543; et cela en faveur du même landgrave, pour lequel il avait passé le dogme de la polygamie. J'en ai fait copier l'extrait ci-joint de l'histoire de Peucerus, gendre de Mélanchthon, qui a été témoin oculaire des choses qu'il écrit.

Je lis l’Oraison funèbre (a) que Votre Grandeur m'a fait la grâce de m'envoyer par la voie de M. de Chamilly : je vois déjà qu'elle est entièrement proportionnée à la grandeur de son sujet et à la réputation de son auteur. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE VI. M. OBRECHT  A  BOSSUET. A Strasbourg, ce 14 juillet 1687.

 

Ce mot n'est que pour accompagner l'instruction que Votre Grandeur m'a bien voulu demander. C'est une pièce bien plate, et qui pourrait suffire toute seule pour dépeindre exactement le génie du landgrave. Je l'ai fait traduire mot pour mot afin que si Votre Grandeur a peut-être le dessein d'en donner une traduction française, elle puisse entrer d'autant plus facilement dans le vrai sens de l'auteur. Je me suis souvenu depuis ma dernière lettre, que la Consultation de Luther est aussi dans ses ouvrages, tome VII de l'édition allemande d'Altenbourg, signée de lui seul,

(a) L'Oraison funèbre de Louis de Bourbon, prince de Condé.

 

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mais tellement tronquée qu'il est impossible d'y rien comprendre : et à la regarder au dehors, on dirait qu'il a été d'un sentiment contraire : mais en la considérant attentivement, on voit d'abord les endroits où elle a été falsifiée. Je suis avec un très-profond respect, etc.

 

LETTRE VII. M. OBRECHT A BOSSUET. A Strasbourg, ce 10 mai 1692.

 

Je viens de recevoir la lettre que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'adresser par la voie de M. le marquis de Chantilly, du 22 du mois passé. J'ai d'abord loué Dieu et remercié M. le landgrave de Hesse dans mon cœur, d'avoir inspiré à Votre Grandeur le dessein de combattre en particulier le luthéranisme ; et j'en prévois effectivement trop bien les fruits pour ne pas tout quitter, afin d'y contribuer de tout ce que je pourrai avoir acquis de connaissance en cette matière.

M. de Seckendorff a rendu son travail désagréable, même à ceux de son parti, pour avoir suivi pied à pied l'histoire du P. Maimbourg. Ainsi il est facile de deviner le sort qu'aurait quiconque le voudrait imiter.

Il m'a toujours paru que pour tirer de l'histoire du luthéranisme l'avantage que nous devons chercher en l'attaquant, et qui ne peut tendre qu'à détromper ceux qui y sont engagés présentement, il faudrait se retrancher à examiner le but que les luthériens eux-mêmes veulent que les auteurs et les premiers protecteurs de leur Réforme se soient proposé, et de le confronter avec l'état présent de leur église, qui en doit être le fruit. Ils prétendent, et c'est là, si ma mémoire ne me trompe, l'unique dessein du grand ouvrage de M. de Seckendorff, que les uns et les autres n'ont agi que par un pur motif de piété et dans la vue de rétablir la pureté primitive du christianisme, en corrigeant les erreurs et en retranchant les abus qu'ils attribuent à l'Eglise romaine.

 

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Je n'ai jamais trouvé à propos de contester avec eux là-dessus : mais lorsqu'ils me le disent, je leur allègue les sociniens, les anabaptistes, les puritains, etc. ; et je leur fais insensiblement avouer que l'on peut se tromper en se proposant une pureté imaginaire, c'est-à-dire en voulant réformer ce qui n'a pas besoin ou qui ne souffre point de réforme. Et en venant ensuite à l'état présent de leur église, je leur demande : Avez-vous une doctrine plus pure que n'est celle de l'Eglise romaine sur les articles sur lesquels vous avez fait schisme? Etes-vous parvenus à ce culte purement spirituel et détaché de toutes les traditions et inventions humaines ? Votre discipline est-elle entièrement conforme à celle de l'Eglise primitive? Avez-vous trouvé le secret de changer en or ou en quelque matière moins sujette à la fragilité, les vases de terre dans lesquels l'Apôtre dit que portent le trésor de la connaissance de Dieu ceux qui sont constitués pour éclairer les autres ? etc. Cette méthode peut mener à épuiser tout ce qu'il y a d'essentiel dans la controverse, et a néanmoins cela de commode, qu'en la suivant on se peut donner une carrière aussi longue ou aussi courte que l'on veut.

Si Votre Grandeur me fait la grâce de m'indiquer le plan qu'elle se sera formé, je pourrai peut-être lui fournir des mémoires, que le public ne recevra pas avec moins d'avidité que ceux qui ont été produits par M. de Seckendorff. Mais comme ils sont la plupart en allemand, je supplie Votre Grandeur de me mander si elle a des personnes à la main qui entendent assez ladite langue pour les traduire, ou si elle désire que je les fasse traduire ici : auquel cas je prierai le révérend Père d'Aubanton, recteur du collège des Jésuites en cette ville, d'y employer quelques-uns de ses régens ; et si Votre Grandeur lui en écrivait aussi un mot, cela servirait à avancer la besogne.

L'ouvrage de Hortlederus n'est qu'un recueil d'actes publics; aussi en allemand. Ainsi il faudra se réduire au même secours à l'égard des pièces dont Votre Grandeur aura besoin. Les annales d'Abrahamus Scultetus ne peuvent servir que par quelques extraits de lettres, qu'il y a insérées et qui n'ont pas été publiées ailleurs : je les chercherai chez nos libraires, aussi bien que

 

500

 

Viam pacis Dionysii Capucini. Un livre dont Votre Grandeur pourra difficilement se passer, est Vita Melanchthonis, per Carrier arium. Je ne doute pas que Votre Grandeur ne l'ait lu : mais pour le pouvoir employer utilement à l'exécution de son dessein, il a besoin de quelques éclaircissements, que j'écrirai à la marge d'un exemplaire que je me donnerai l'honneur de lui adresser par la première commodité ; n'ayant rien tant à cœur que de témoigner avec combien de respect je suis, etc.

 

LETTRE VIII. M. OBRECHT A BOSSUET. A Strasbourg, ce 10 juin 1692.

 

J'ai été bien aise d'apprendre par celle que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire, qu'elle a approuvé mon projet, et que le sieur Rehm lui a remis la vie de Mélanchthon, que je lui avais confiée. J'avais cru en trouver un exemplaire chez nos libraires pour y ajouter mes remarques : mais cela m'ayant manqué, j'ai pris le parti d'adresser à Votre Grandeur celui dont je me suis servi autrefois, et auquel j'ai fait écrire alors celles qui y paraissent, et qui sont la plupart tirées des mémoires de Caspar Cruciger, intime ami de Mélanchthon. J'ai mis depuis au coche de Paris, qui doit arriver à Meaux dimanche prochain, l'ouvrage de Hutterus contre Hospinien, contenant l'histoire de la Formule de concorde, sous ce titre : Concordia concors ; comme aussi Supplementum Historiœ ecclesiasticœ, tiré des lettres de mes aïeux, et publié par le sieur Fecht mon beau-lrère, qui est présentement le premier professeur en théologie à Rostock, et surintendant, comme ils les appellent, du duché de Meckelbourg ; et enfin l’Apologie de la Faculté de théologie à Wirtemberg contre l'histoire écrite par Peucerus, gendre de Mélanchthon, qu'il me semble avoir vue chez Votre Grandeur : cependant si elle ne l'avait point, je pourrais la lui fournir. Les Annales Abrahami Sculteti ne se trouvent point ici : mais j'espère de les avoir

 

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de Bâle, où j'ai écrit pour cet effet. Quant à Hottingerus, qui a écrit plusieurs volumes sur l'histoire de l'Eglise, je supplie Votre Grandeur de me mander lequel de ses ouvrages elle désire.

Du reste j'ai commencé à donner de l'occupation au P. d'Au-banton, en lui remettant l'original de l'écrit de Bucer, signé de sa main et des principaux ministres d'ici, que M. Seckendorff rapporte en son dernier volume, page 539, qui pourra servir d'exemple que l'on ne doit pas trop se fier à ses extraits. Car en venant aux chefs de la doctrine, après avoir remarqué la distinction, inter capita necessaria et non necessaria, il poursuit : Singulatim porro dissent de justificatione, fide et bonis operibus ; insinuant par là sans doute que Bucer a tenu ces chefs pro necessariis : mais il ne dit pas que tout le raisonnement de Bucer ne tend qu'à montrer qu'après les éclaircissements que l'on s'était donnés de part et d'autre, il ne restait plus de contestation déjà alors entre les parties sur ces articles, établissant de son côté tout haut la nécessité des bonnes œuvres.

Quant au dessein de Votre Grandeur, je ne doute pas qu'elle n'ait remarqué que pour prouver que l'on enseignait et croyait dans l'Eglise catholique ce qu'il y a de bon dans la Réforme, les Rituels ou Agendes des Eglises particulières d'Allemagne, dont on se servait en ce temps-là, sont d'un grand secours. J'en ai vu quelques-uns à Paris dans la bibliothèque de feu M. l'abbé Dufort, qui ont passé depuis, à ce qu'on m'a dit, en celle de M. l'archevêque de Reims. Le livre de Flaccus Illyricus, qu'il a intitulé : Catalogus testium veritatis, peut encore être utile au même but : et quant à la prétendue divinité de l'esprit de Luther, on ne manquera pas de bons mémoires pour la rabattre. Je m'y emploierai de mon mieux, étant avec un très-profond respect, etc.

 

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LETTRE IX. DOM CLAUDE DEVERT A BOSSUET (a). Au prieuré de Saint-Pierre d'Abbeville, ce 20 juillet 1686.

 

J'ai reçu ici la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'é-crire de Germigny : mais n'ayant point avec moi les paroles du manuscrit de Corbie, je vous prie de vouloir bien attendre jusqu'à ce que je retourne au lieu où est la copie que j'en ai faite, pour vous l'envoyer aussitôt. Je ne pense pas qu'on retrouve celui de Saint-Denis, l'ayant fait chercher exprès depuis six mois : mais vous pouvez compter que c'est la même chose que celui de Corbie, l'ayant vu et lu moi-même ; et je suis d'autant plus croyable sur cela, que je n'ai recherché tous ces manuscrits que dans la vue d'y trouver de quoi confirmer l'opinion de ceux qui croient la consécration de l'espèce du vin par le mélange de celle du pain : sur quoi, si vous vouliez bien que je visse ce que vous répondez à cela, peut-être trouveriez-vous en moi plus que dans un protestant même, des difficultés qui vous obligeraient de satisfaire à tout.

J'ai envoyé depuis huit jours à M. de Cerbelle un endroit d'un Pontifical que j'ai trouvé à Senlis, que je ne doute point qu'il ne vous ait fait tenir. Il est visible par ces paroles que quoique les enfants ne communiassent que sous l'espèce du vin, on croyait néanmoins qu'ils recevaient le corps et le sang, puisqu'on leur disait : Corpus cum sanguine Domini nostri Jesu Christi custodiat, etc., mettant même le corps in recto, et le sang seulement in obliquo.

Je crois qu'il faut lire dans le concile de Tolède in armario, et non in imaginario ordine, ainsi que je l'ai lu en plusieurs endroits. Et en effet ce fut à peu près en ce temps-là qu'on cessa de

 

(a) Claude Levert fut trésorier de l'abbaye de Cluny. Il se fit connaître, dans les Lettres, principalement par l’Explication littérale et historique des cérémonies de l'Eglise, 4 vol. in-8°.

 

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réserver dans les armoires, au moins en quelques endroits, les hosties pour les malades, et qu'on les exposa sur l'autel dans des tabernacles suspendus, au-dessous néanmoins de la croix qui était toujours plus élevée, comme nous le voyons encore dans quelques cathédrales : sub crucis titulo. Je suis avec respect, etc. Devert.

 

LETTRE X. DOM CLAUDE DEVERT ABOSSUET. Abbeville, ce 16 août 1686.

 

Voilà la copie du manuscrit de Corbie, c'est-à-dire la rubrique du vendredi saint. Celui de Saint-Denis, qui est égaré, porte précisément les mêmes termes. Je crois qu'on vous aura fait voir ce que j'ai extrait d'un Pontifical romain, touchant la communion des enfants. Je suis avec un profond respect, etc.

« Composito corpore Domini in corporali super altare et incensato, dicet dominus abbas : Confiteor, et incipiet cantare : Oremus : Prœceptis salutaribus moniti, et Pater noster, et Libéra nos, quœsumus, Domine. Fractio fiet; et post fractionem dicet secundo : Per omnia sœcula sœculorum : Conventus respondebit, Amen. Pax Domini, et Agnus Dei, et Hœc sacrosancta commixtio, non dicentur ; sed frustum fractionis sinet cadere infra calicem, nihil dicendo. Domine Jesu Christe, Corpus Domini, Quod ore sumpsimus, dicentur; sed sanguis non nominabitur. Placeat tibi non dicetur. Omnibus communicatis, capiet quisque de vino per fistulam, et post bibet, calicibus ante majus altare paratis. De corpore Domini nihil debebit remanere. Omnibus communicatis, et domino abbate devestito, sonabuntur Vesperi, et dicentur. »

Cette autorité est précise pour marquer qu'on ne croyait pas dans Corbie, il y a huit cents ans, non plus qu'à Saint-Remi en France, que le vin le vendredi saint devînt le sang de Notre-Seigneur par le mélange du pain, puisqu'il est dit expressément que sanguis non nominabitur, et ensuite que ce qu'ils prenaient par un

 

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chalumeau était du vin. On peut observer ici en passant, qu'ils faisaient ce vendredi-là la même cérémonie que s'ils eussent communié sous l'espèce du vin, puisqu'ils prenaient ce vin avec le chalumeau et dans des calices préparés sur l'autel, quoiqu'ils crussent pourtant que ce n'était que du vin. La même cérémonie se pratiquait aussi à Cluny au commencement de ce siècle encore ; c'est-à-dire on prenait du vin dans des calices ce jour-là, et avec le chalumeau, quoique les Missels de notre Ordre nous marquent précisément que ce n'était que du vin : et par là on répond au raisonnement de ceux qui concluent que l'on croyait que c'était le sang de Notre-Seigneur, parce qu'extérieurement on donnait les mêmes marques de respect que si effectivement ce l'eût été. On voit encore par là que le vin que l'on donne encore aujourd'hui à l'ordination, et aux grands jours en quelques églises, après la communion, n'est point, comme on le croit, une ablution ni pour aider à avaler les espèces, mais une suite de l'ancienne communion sous l'espèce du vin; c'est-à-dire qu'on a continué la même cérémonie, quoique ce ne fût plus que du vin.

Votre Grandeur pourrait en passant dire un mot de la communion du vendredi saint, qui était commune à tout le monde, et non au prêtre seulement comme elle l'est aujourd'hui. Elle ne trouvera pas un ancien Cérémonial ni Missel qui n'en fasse mention : Omnes communicant; c'est toujours ainsi qu'ils s'expriment. J'ai une dissertation toute prête là-dessus : mais quand Votre Grandeur en aura dit un mot, ce sera encore une autorité pour moi. Cela se fait encore en plusieurs monastères de l'ordre de Cluny, et on rétablit cette communion partout.

 

LETTRE XI. DOM CLAUDE DEVERT A BOSSUET. Au prieuré de Saint-Pierre d'Abbeville, ce 26 septembre 1686.

 

Votre lettre du 22 juillet ne fait que de m'être rendue ; ce que j'impute à la fausse adresse. J'eus pu en ce temps-là me donner l'honneur de vous aller joindre ou à Meaux ou à Paris : présentement

 

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quelques commissions importantes de M. le cardinal de Bouillon me retiennent en ce pays-ci. Cela n'empêche point, si vous le souhaitez et s'il est encore temps, que je ne vous envoie ce que je pense, et ce que je sais de la consécration par le mélange : et comme cette question me paraît de la dernière conséquence, si vous le désirez, j'en ferai une manière de dissertation, où je tâcherai de faire tout entrer, et à laquelle, si vous voulez bien vous donner la peine de répondre, comme je sais que vous le ferez aisément, vous aurez satisfait à tout, et détruit par conséquent tout le livre du ministre, qui ne roule que là-dessus.

Je crois que vous aurez reçu une seconde fois l'extrait du manuscrit de Corbie, que j'ai adressé, il y a près de deux mois, à votre hôtel à Paris. A l'égard de celui de Senlis, il me paraît au contraire qu'il est à souhaiter qu'il soit moins ancien; les protestants, ce me semble, ne doutant pas que les enfants n'aient autrefois communié sous la seule espèce du vin, mais disant, comme le ministre la Roque, qu'on n'en saurait donner de preuves depuis le douzième siècle. Voici ce que j'ai lu autrefois dans un ordinaire manuscrit de l'église de Soissons, qu'ils appellent le Mandatum; vous verrez, si cela vous accommode encore : Communicato episcopo, communicet infantes baptizatos de sanguine sacrato, dicens : Sanguis Domini nostri Jesu Christi custodiat te in vitam œternam, amen. Ce manuscrit est de la fin du douzième siècle, au du commencement du treizième, qui est le temps de la vie de Philippe-Auguste et d'Isabelle sa femme, qui y sont nommés dans la prière Christus vincet, aussi bien que l'évêque Nivelo, qui vivait aussi en ce temps-là.

Autrefois, dans l'église d'Amiens, en communiant les enfants nouvellement baptisés, le samedi saint, sous la seule espèce du vin, on leur disait : Corpus et sanguis, etc., ce qui appuie le manuscrit de Senlis.

Je suis impatient de voir votre ouvrage, qui sera d'une grande utilité. Il y a des gens que je sais que vous estimez beaucoup, et qui ne sont pas éloignés du sentiment de la consécration, par le mélange : ils méritent bien votre application pour les détromper. Le ministre la Roque est visiblement de mauvaise foi en

 

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plusieurs endroits. Il ne sait ce qu'il dit quand il interprète les paroles d'Innocent I de la communion comme du sacrifice : car on a toujours communié à Rome le vendredi saint, et l'Ordre romain y est précis. Je crois comme lui que l’ absque sanguine Domini ne se rapporte pas à communicent, mais à oblatas servandas.....absque sanguine Domini. Je suis, Monseigneur, avec tout le respect possible.

 

LETTRE XII. DOM CLAUDE DEVERT A BOSSUET. A Paris, ce 28 juin 1687.

 

On m'a dit que Votre Grandeur travaillait actuellement à répondre au ministre la Roque sur la communion sous les deux espèces; et comme il m'a paru que je vous avais fait plaisir de vous envoyer un endroit du Cérémonial de Corbie sur la communion du vendredi saint, je suis bien aise aussi de vous dire que je lus l'année passée, mot pour mot, la même chose dans celui de l'abbaye de Saint-Denis, qui me parut de sept ou huit cents ans. J'ai été cette année pour le revoir ; mais je ne l'ai plus trouvé, quoique je l'aie fait chercher, et il faut que quelqu'un l'ait enlevé. J'en fis même un extrait, qui est tout pareil à celui de l'abbaye de Corbie, et où il paraît visiblement que quoique les moines fissent ce jour-là à l'égard du vin, les mêmes cérémonies qu'ils faisaient les autres jours à l'égard du sang de Notre-Seigneur, néanmoins ils croyaient, comme il est précisément marqué dans ce Cérémonial, que ce n'était que du vin, même après le mélange avec l'espèce du pain.

Je suis avec tout le respect possible, etc.

 

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LETTRE XIII. DOM MABILLON A BOSSUET. A Paris, ce 29 octobre 1686.

 

J'ai examiné suivant vos ordres nos anciens Cérémoniaux romains, touchant la messe des présanctifiés pour le vendredi saint. Je l'ai trouvée partout depuis le dixième siècle; mais je n'ai rien trouvé ni pour ni contre avant ce temps-là. Il n'y a qu'un Ordre romain tiré d'un manuscrit de Saint-Gai, qui porte expressément la communion le vendredi saint ; et ce manuscrit me paraît être au moins de huit cents ans : et on ne peut douter de l'antiquité de cet Ordre, d'autant qu'il est cité en propres termes par Amalaire, au chapitre XV du livre premier des Offices ecclésiastiques, dès le commencement du chapitre. Pour ce qui est de l'addition ou interprétation de l'archidiacre, qui porte que, in eâ statione, ubi Apostolicus salutat crucem, nemo communicat, cela s'entend à mon avis du peuple, et non pas du Pape lorsqu'il officiait ce jour-là; encore bien que dans cet Ordre romain de Saint-Gai, il soit porté expressément que lors même que le Pape officie, communicant omnes. Voilà, Monseigneur, ce que j'ai pu trouver là-dessus : si je trouve quelque chose davantage dans la suite, je ne manquerai pas de vous en donner avis. Je n'aurais pas tant différé à m'acquitter de ce devoir, si je n'avais su que Votre Grandeur était ces jours passés à Fontainebleau. Maintenant que vous êtes de retour, permettez-moi, s'il vous plaît, Monseigneur, de vous remercier de toutes les bontés que nous avons reçues de vous pendant notre séjour à Germigny; et de vous assurer qu'on ne peut être avec plus de reconnaissance et de respect que je suis, etc.

 

Fr. J. MABILLON, moine Bénédictin.

 

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LETTRE XIV. L'ABBÉ RENAUDOT A BOSSUET. A Paris, ce 10 juillet 1687.

 

Je viens, Monseigneur, de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 8 de ce mois. Comme la discussion plus ample des faits dont vous voulez être éclairci pourrait aller à quelques jours, et qu'il faut même que je la fasse hors de chez moi, parce que je n'ai pas tous les livres dont j'ai besoin pour cela, je commencerai à vous rendre un compte sommaire de ce que j'en sais.

Les Grecs célèbrent la liturgie parfaite de jeudi saint, comme e témoigne Siméon de Thessalonique dans sa réponse LVII : Cùm et in magno jejunio, Sabbato et Dominicâ, perfectam Missam celebramus, et in aliis etiam jejuniis quœ violare nef as, veluti Vigiliâ Christi Natalium, Luminum, et magnâ Feriâ quintâ ita peragimus, nec in illis jejunium solvimus, quod perfecto sacrificio utamur. Ce passage est cité par Allatius dans sa Dissertation de la liturgie des présanctifiés, pages 1575 et 1376, au bout du livre De perpetuo consensu. Je suis trompé si cette discipline n'est marquée aussi dans le Typicon que je consulterai. Il semble que Balsamon et Zonare, aussi bien que les autres canonistes grecs, n'aient pas excepté le jeudi saint. Mais comme Siméon est postérieur, et que l'usage présent appuie son témoignage, il n'y a point de difficulté.

Les autres Orientaux célèbrent ce même jour la liturgie entière, quoique la plupart des Eglises aient la liturgie des présanctiflés.

Pour le samedi saint, vous savez, Monseigneur, que la messe qui se dit depuis quelques siècles parmi nous, se disait autrefois la nuit, et l'oraison le marque formellement. Les Grecs et les Orientaux en ont toujours usé de même; et quoique le samedi fût un jour de liturgie parfaite, même en carême, on ne célébrait néanmoins la liturgie à peu près qu'à la même heure. Ainsi on sauvait en même temps deux points de discipline ; celui du

 

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jeûne, et celui de célébrer la liturgie le samedi. Les Orientaux non Grecs appellent ce samedi le grand Samedi, et le jeudi la la cinquième Férié des Mystères, non-seulement à cause de l'institution, mais aussi à cause de la célébration solennelle de l'Eucharistie, qui se faisait en ce même jour.

Il est vrai, Monseigneur, comme vous le remarquez très-bien, que les Grecs ont brodé souvent plus que de raison les rites : mais les autres Levantins n'ont pas moins fait. Ainsi il est fort difficile de faire une critique exacte des rites grecs par cette comparaison. Sur celui qui est en question, nous trouvons que les Orientaux ont la messe des présanctifiés, et qu'ils en fondent l'usage sur le canon XLIX de Laodicée, qu'ils ont dans leurs Collections. Le mot de Panis qui est employé, est ordinairement interprété Courban ; c'est-à-dire l'Eucharistie, ou le corps et le sang de Jésus-Christ. Les Melchites seuls, qui ont les canons in Trullo dans leurs Collections, appuient aussi cette coutume sur le canon lu. Mais je n.'ai point trouvé jusqu'à présent ni un office particulier pour la messe des présanctifiés, ni aucun détail de cette discipline parmi les jacobites cophtes ou syriens, ni parmi les nestoriens. Ces derniers, dont la discipline ecclésiastique à l'égard des rites est la plus simple de toutes, ne m'ont pas encore fourni de preuves authentiques, d'où on puisse juger si cette cérémonie était également en usage parmi eux. Je n'ai point sur cela de meilleures preuves que des faits écartés et des arguments négatifs. Peut-être manquons-nous de livres : car j'ai découvert bien des choses que j'avais ignorées longtemps faute d'avoir connu un auteur, ou faute de l'avoir eu. Madame la chancelière Seguier a dû être en purgatoire, pour avoir refusé toute «a vie la communication d'un théologien nestorien, que j'ai trouvé autre part et où j'ai appris mille choses nouvelles. Ainsi, Monseigneur, je vous demande un peu de temps pour ce fait particulier, afin de reprendre mes idées, et tâcher de découvrir ce que je n'ai pu sur cela savoir certainement.

J’oubliais à vous dire sur le jeûne du samedi saint, que la coutume presque générale des Orientaux est de ne point manger depuis le soir du jeudi saint jusqu'au jour de Pâques. Cela se pratique

 

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encore par la plupart des Levantins. Ainsi on disait la liturgie comme on voulait, et on le fait encore, plus tôt ou plus tard, parce qu'on se fait un scrupule de manger tout ce jour-là.

Il y a peu de gens versés dans les écrits des théologiens grecs des temps postérieurs, qui fassent cas du Pontifical de M. Habert. Cette partie d'érudition lui manquait, quoique très-nécessaire pour traiter sa matière. On a trouvé à redire qu'il n'ait pas mieux désigné les manuscrits. J'ai ouï dire à des savants qu'il s'en était rapporté à d'autres, et que les copistes ou lui-même s'étaient acquittés fort négligemment de leur devoir. Vous êtes plus capable que personne de juger du reste.

J'espère dans huit ou dix jours vous écrire sur tout ceci un peu moins confusément : je ne serais pas si longtemps sans le désordre ordinaire de ma vie, qui renverse bien mes études. J'étais aujourd'hui politique ; demain je pourrai être théologien ; après-demain correcteur d'imprimerie. Ainsi je suis quelquefois huit jours à faire ce qu'un autre ferait en un. M. Pirot tient M. Simon; mais votre présence nous est nécessaire pour cela et pour bien d'autres choses, surtout pour ce qui me regarde. Je vous assure, Monseigneur, que je souhaiterais bien souvent retrouver ce bien que j'avais autrefois. Vous savez qu'en ce temps-là je me suis voué à vous, et que je ne puis avoir une plus grande joie que de faire tout ce que vous voudrez bien m'ordonner. Tout ce que je pourrais jamais faire ne remplira jamais mes devoirs, j'espère que la bénédiction que vous donnerez à mes études, et que je vous demande, me les rendra utiles. Si lorsqu'il s'agit de vous obéir elles ne m'étaient pas trop agréables, je serais assuré d'y trouver du mérite.

Les affaires d'Ecosse vont très-mal : le parlement est prorogé, parce qu'il n'a pas voulu consentir à un acte pour décharger les catholiques du serment du test. Le pauvre milord chancelier a eu des peines incroyables, et sans aucun succès. Il était parti pour venir à Londres, et j'espère, Monseigneur, vous en mander bientôt des nouvelles. Je suis, avec tout le respect possible, etc.

 

RENAUDOT.

 

P. S. Le passage que les protestants citent ordinairement pour

 

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attribuer à l'exemple de Rabbi Akiba le premier usage de la prière pour les morts, se trouve dans la Gémara du Talmud, au traité Calla. Voici les termes dont l'histoire y est rapportée. « Un jour Rabbi Akiba se promenant rencontra un homme chargé de bois, et le fardeau était si pesant, qu'il excédait la charge d'un âne ou d'un cheval. Rabbi Akiba lui demanda s'il était un homme ou un spectre : l'autre répondit qu'il était un homme mort depuis quelque temps, et qu'il était obligé de porter tous les jours une pareille charge de bois en purgatoire, où il était brûlé à cause des péchés qu'il avait commis en ce monde. Rabbi Akiba lui demanda s'il n'avait point laissé d'enfants, le nom de sa femme, de ses enfans, et le lieu de leur demeure. Après que le spectre eut répondu à toutes ces questions, Rabbi Akiba alla chercher le fils du défunt, lui apprit la prière qui commence par le mot Kadisch, c'est-à-dire saint, et qui se trouve dans les Rituels des Juifs, lui promettant que son père serait délivré du purgatoire s'il la réci-toit tous les jours. Le fils ayant appris l'oraison commença à la réciter tous les jours. Au bout de quelque temps, le défunt apparut en songe à Rabbi Akiba, le remercia, et lui dit que par ce moyen il avait été délivré du purgatoire, et qu'il était dans le jardin d'Eden», c'est-à-dire dans le paradis terrestre, où les Juifs supposent que vont les âmes de leurs bienheureux.

Ce n'est pas sur cette seule tradition que les Juifs ont l'usage de la prière pour les morts : elle est constamment en usage, de temps immémorial, dans toutes les synagogues. Dans le Rituel espagnol, qui est le plus généralement reçu, et qui tient à leur égard le même rang que le Rituel romain parmi nous, il y a une longue prière qui se doit dire lorsqu'on porte un mort en terre. Elle contient entre autres choses ces paroles : « Ayez pitié de lui, Seigneur Dieu vivant, maître du monde, avec lequel est la source de la vie : que toujours il marche du côté de la vie, et que son âme repose in fasciculo vitœ ; c'est-à-dire parmi le nombre des élus à la vie éternelle. Que Dieu miséricordieux, selon l'étendue de sa miséricorde, lui pardonne ses iniquités ; que ses bonnes œuvres soient devant ses yeux, et que devant lui il soit mis au nombre des fidèles ; qu'il marche en sa présence dans

 

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les terres de vie » : et ensuite ils répètent l'oraison ci-dessus.

« Que les portes des cieux vous soient ouvertes : puissiez-vous voir la ville de paix et les tabernacles de sûreté : que les anges de paix viennent au-devant de vous avec joie ; que le grand prêtre vous reçoive et vous conduise : que votre âme aille dans la caverne double d'Abraham, et de là sur les chérubins, et de là au jardin d'Eden : que l'ange Michel vous ouvre les portes du sanctuaire ; qu'il offre votre âme comme une oblation à Dieu : que l'ange rédempteur vous accompagne jusqu'aux portes des lieux agréables, où sont les Israélites », etc.

Toutes les autres prières qui se trouvent dans l'office des sépultures, que les Juifs appellent Seder Abelut, ou Ordre du deuil, sont remplies de semblables expressions. Ces prières sont la plupart fort anciennes, et peut-être ne le sont-elles pas moins que la tradition de Rabbi Akiba.

Il est aussi parlé du purgatoire dans le traité talmudique des Bénédictions ; chapitre III. « L'âme, disent ces rabbins, ne va pas dans le ciel aussitôt qu'elle est séparée du corps ; mais elle demeure errante dans ce monde durant douze mois, au bout desquels elle retourne dans le sépulcre. Elle souffre cependant beaucoup de tourments dans le purgatoire : enfin au bout de douze mois elle entre dans le ciel, où elle jouit du repos. »

Le purgatoire des Juifs n'est pas notre purgatoire : car ils croient que presque tous les Israélites y vont ; qu'ils n'y sont que durant un an ; et qu'ensuite les âmes et même, selon l'opinion de quelques-uns, les corps se rendent par des canaux souterrains dans la terre d'Israël, d'où ils vont après dans le paradis d'Eden. Tous les Israélites, disait le rabbi Eliezer, et dont la sentence est insérée dans le Talmud, ont part au monde à venir ; c'est-à-dire à la béatitude. Ils n'en excluent que les excommuniés et des gens qui meurent chargés de crimes. Et comme tous ceux qui meurent dans la communion judaïque sont sauvés, aussi presque tous passent par le purgatoire. Ils ont une tradition d'une peine qui arrive après la mort, lorsqu'un ange vient au tombeau, et qu'avec une chaîne de fer toute rouge il frappe trois fois le mort. Ils prient aussi pour être délivrés de cette peine.

 

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Rabbi Akiba vivait sous Hadrien, et il fut un des sectateurs du faux messie Bar-Cocba, ou Bar-Cokiba : il fut exécuté à mort après la prise de la ville de Bitter. Il est aisé de voir s'il y a aucun fondement à dire que la prière pour les morts est fondée sur l'histoire de Rabbi Akiba, puisque les Juifs marquent seulement qu'il leur apprit une certaine prière efficace pour la délivrance des âmes, et qu'ils ne disent pas qu'il fut auteur de la coutume de prier pour les morts, qui est considérée parmi eux comme établie par toute l'antiquité de leur tradition.

 

LETTRE XV. L'ABBÉ RENAUDOT A BOSSUET. A Paris, ce 13 octobre 1687.

 

Comme je sais, Monseigneur, que vous travaillez actuellement sur l'ouvrage (a) que nous attendons avec impatience, et que ce que vous m'avez marqué dans votre lettre y a quelque rapport, j'ai cru ne devoir pas différer à vous donner sur ce sujet les éclaircissements nécessaires, en attendant que j'aie fait une plus exacte recherche de ce que je ne sais pas : car je n'ai pas parmi mes livres cette Confession de foi que vous me marquez ; et quoique je la connaisse, je pourrais néanmoins me tromper si je vous en parlais affirmativement avant que de l'avoir trouvée. J'irai pour cela à la bibliothèque du roi, remuer tout ce qu'il y a de semblables livres, parce qu'il y a trop longtemps que je les ai maniés pour m'en fier à ma mémoire. Voici cependant, Monseigneur, ce que j'ai à vous dire de certain sur l'original, dont la vôtre doit être la traduction.

Cette Confession de foi, imprimée à Cambridge en latin en 1656, doit être la même que celle qui fut imprimée en anglais dès l'an 1652. Celle-ci reçut sa dernière forme en 1647, dans l'assemblée générale des Ecossais rebelles, à Edimbourg, et fut autorisée par un acte du 27 août (6 septembre) de la même année,

 

(a) L'Histoire des Variations, dont la première édition parut en 1688.

 

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pour servir d'acte d'uniformité en matière de religion pour les trois royaumes, en conséquence de la ligue solennelle ou Convenant, qui avait été arrêtée dès le mois de décembre 1643. Les théologiens de l'assemblée de Westminster, qui commença en 1644, avaient dressé des articles de religion, tous conformes à la créance des calvinistes presbytériens. Les commissaires d'Ecosse, tous presbytériens, travaillèrent ensuite avec eux, et en réglèrent la plus grande partie.

Cet ouvrage, qui fut d'abord proposé en diverses manières, toutes plus ridicules les unes que les autres, ne fut réglé et réduit à la forme qui est dans les éditions anglaises d'Edimbourg et de Londres, qu'en 1647. Il contient une Confession de foi en trente-trois chapitres : le premier, de la sainte Ecriture ; le trente-troisième, du dernier jugement, le grand Catéchisme, et le petit Catéchisme qui fut fait le dernier ; ensuite le Directoire pour le service public de Dieu, selon qu'il devait être pratiqué dans les trois royaumes.

Ce Directoire fut ordonné par acte du Parlement rebelle, le 13 (3) janvier 1614; mais il ne fut mis en lumière que longtemps après. Par cet acte, le Livre des communes prières, le Rituel de l'ordination et tous autres ayant rapport à l'épiscopat furent abolis; et tous les actes d'Edward VI, d'Elisabeth, de Jacques et de Charles Ier, pour établir l'uniformité de la religion et du service, furent cassés. Cet acte, le Convenant, et par conséquent la Confession de foi, les Catéchismes grand et petit, et le Directoire furent depuis cassés par le grand acte de la quatorzième année de Charles II, 1662; par lequel tous les Anglais sont obligés à renoncer à tous ces actes précédents des rebelles, nommément au Convenant, et à tout ce qui fut fait en conséquence contre les actes d'uniformité, particulièrement contre ceux d'Elisabeth.

Le roi régnant n'a pas dérogé à ces actes par un autre acte solennel, qui porte avec soi le consentement de toute la nation assemblée en Parlement. Mais ayant accordé par une proclamation et par des déclarations particulières, qui sont des actes du second ordre, émanés du pouvoir et prérogative royale de dispenser des lois, ces actes de 1662 et ceux d'Elisabeth subsistent

 

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encore (a), et ont une entière autorité à l'égard de l'Eglise anglicane établie par les lois.

Ainsi, Monseigneur, la Confession, etc., imprimés depuis 1645 jusqu'en 1660, à Cambridge et ailleurs, ne peuvent être considérés que comme des actes des rebelles, formés sur le même bureau où on dressa la sentence de mort contre Charles Ier, et les sentences par lesquelles l'épiscopat et toute la forme de la religion anglicane fut entièrement renversée. Cela soit dit par rapport à l'Etat.

Par rapport à l'Eglise, vous avez très-bien jugé que cette confession et les catéchismes sont purement calvinistes, et n'ont aucun rapport à la véritable croyance de l'Eglise anglicane. Aussi l'université d'Oxford, quoique quelques-uns de ses membres fussent engagés dans le parti des parlementaires, se contenta de céder à la violence en se taisant sur ces articles : mais elle ne les adopta jamais avec les formalités solennelles, comme fit celle de Cambridge, qui était toute remplie de presbytériens qui firent la traduction que vous avez.

Voici les Confessions de foi les plus solennelles, qui ont été faites en Angleterre par l'autorité légitime des rois et du parlement.

La première est celle d'Edward VI, faite en 1552, et publiée en 1553, sous ce titre : Articuli de quibus in synodo Londinensi, anno Domini 1552, ad tollendam opinionum dissensionem, et consensum verœ religionis firmandum, inter episcopos et alios eruditos viros convenerat, regiâ auctoritale in lucem editi. Excusum Londini apud Reginaldum Wolfium, Regiœ Majestatis in latinis typographum, an. Dom. 1553. Il y en a une édition anglaise de la même année, chez Jean Day. Ils contiennent quarante-deux articles.

La deuxième est de 1562 : Articuli de quibus convenit inter archiepiscopos et episcopos utriusque provinciœ et clerum universum in synodo Londini, anno 1562, secundùm computationem Ecclesiœ Anglicanœ, ad tollendam opinionum dissensionem

 

(a) Que le lecteur ne cherche pas à régulariser la phrase ; il y manque quelque mot.

 

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et consensum in vera religione firmandum, editi uuctoritate Se-renissimœ Reginœ. Londini, apud Joannem Day, 1571. Ils furent imprimés en 1562, et ne furent confirmés que cette année-là, suivant ces paroles qui sont à la fin : Hic Liber antedictorum articulorum jam denuô approbatus est per assensum et consensum Serenissimœ Reginœ Elisabethœ Dominai nostrœ, Dei gratta Angliœ, Franciœ et Hiberniœ Reginœ, Defensoris Fidei; et retinendus, et per totum regnum Angliœ exequendus. Qui articuli et lecti sunt, et denuô confirmali subscriptione D. archiepiscopi et episcoporum superioris domtcs, ettotius cleri inferioris domûs, in convocatione, anno Domini 1571. Il y a en tout quarante articles, en y comprenant ce dernier. Ces articles, ou confession de foi, appelés communément les articles de 1562, sont la règle certaine de la créance de l'Eglise anglicane conformiste. On n'y a fait aucune innovation que par la confession de foi des parlementaires, qui est celle que vous avez. Car le roi Jacques à son avènement à la couronne, confirma ces articles d'Elisabeth, et Charles Ier de même : ce qu'ils y ajoutèrent fut quelques points concernant la discipline ecclésiastique et la hiérarchie, qui n'ont pas de rapport à mon sujet.

Le roi Charles II à son rétablissement, établit, par l'acte solennel dont il a été parlé ci-dessus, qu'on ferait une déclaration formelle avec serment de renoncer au Convenant, et à la doctrine de ceux qui disent qu'on peut prendre les armes contre son roi ; qu'on se conformerait à la liturgie et au Rituel de la consécration des prêtres et évêques : et ces articles sont devenus articles de foi pour les Angtois, comme celui du test (a), par lequel on renonce à la doctrine de la transsubstantiation, qui fut établie huit ou dix ans après ; car je ne me souviens pas précisément de l'année. Depuis ce temps-là, il n'y a eu aucune innovation.

Il est à remarquer qu'il y a une grande différence entre les articles d'Edward et d'Elisabeth, en plusieurs articles. Le docteur

(a) Test signifie épreuve; et le serment qu'il impose à tous ceux qui doivent exercer en Angleterre quelque office public est ainsi appelé, parce qu'il sert à manifester leurs sentiments sur la religion. Le Parlement établit ce serment eu 1673, sous Charles II, pour s'opposer plus efficacement aux vues pacifiques de ce prince en faveur des catholiques.

 

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Heylin, protestant très-modeste, les a fait imprimer è regione, dans son Histoire de la Réformation, avec des chiffres qui étaient faits pour renvoyer à des notes qu'il avait promises, et qui furent supprimées, parce qu'apparemment il ne jugea pas à propos de les publier. Je transcrirai ici l'article XXVIII d'Elisabeth, avec la différence de celui d'Edward VI.

Cœna Domini non est tantùm signum mutuœ benevolentiœ christianorum inter sese, verùm potiùs est sacramentum nostrœ per mortem Christi redemptionis. Edward, idem.

Atque adeo, rite, digne et cum fide sumentibus, panis quem frangimus est communicatio corporis Christi; similiter poculum benedictionis est communicatio sanguinis Christi. Edward, idem.

Panis et vini transsubstantiatio in Eucharistia:, ex sacris Litteris probari non potest; sed apertis Scripturœ verbis adversatur, sacramenti naturam evertit, et multarum superstitionum dedit occasionem. Ces paroles sont ajoutées, et ne sont point dans l'article d'Edward, où suivent ces paroles supprimées entièrement dans Elisabeth :

Cum naturœ humanœ veritas requirat ut unius ejusdem hominis corpus in multis locis simul esse non possit, sed in uno aliquo et definito loco esse oporteat: id circà Christi corpus in multis et diversis locis eodem tempore prœsens esse non potest. Et quoniam, ut tradunt sacrœ Litterœ, Christus in cœlum fuit sublatus, et ibi usque ad finem sœculi est permansurus, non débet quisquam fidelium carnis ejus et sanguinis realem et corporalem, ut loquumtur, prœsentiam in Eucharistia vel credere vel profiteri.

Elisabeth poursuit par ces paroles, qui ne se trouvent point dans Edward:

Corpus Christi datus accipitur et manducatur in Cœnâ, tantum cœlesti et spiritali ralione. Medium autem quo corpus Christi accipitur et manducatur in Cœnâ, fides est.

Sacramentum Eucharistiœ ex institutione Christi non servabatur; circumferebatur, elevabatur, nec adorabatur. Cet article est dans tous les deux.

Impù et fide vivâ destituti, licet carnaliter et visibiliter, ut Augustinus loquitur, corporis et sanguinis Christi sacramentum

 

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dentibus premant, nullo tamen modo Christi participes efficiuntur ; sed potiùs tantœ rei sacramentum seu symbolum ad judicium sibi manducant et bibunt. Cet article manque entièrement à ceux d'Edward VI.

Cela vous fera voir, Monseigneur, quelle est l'effronterie ou l'ignorance de Burnet, qui dans son Histoire rapporte les paroles latines que vous avez lues, et que vous trouverez conformes dans le sens à cet article supprimé par celui d'Elisabeth, sans marquer que c'était le sens de celui d'Edward : d'où l'on peut juger de la vérité de la conséquence qu'il en tire, qui est toute contraire à celle que tire Heylin dans sa Préface de la Vie de William Laud, archevêque de Cantorbéry.

Burnet dit : «Cela fait voir que la doctrine de l'Eglise, souscrite par toute la convocation ou assemblée du clergé, était alors contraire à la doctrine de la présence réelle ou corporelle dans le sacrement. » En quoi il commet une insigne falsification, en donnant, à entendre que réelle est la même chose que corporelle. Or Heylin établit et prouve que l'Eglise anglicane n'exclut que la présence corporelle, et tient la présence réelle. Il cite Ridley, qui dit que dans le sacrement de l'autel est le corps et le sang naturel de Jésus-Christ. Alexandre Nowel, prolocuteur de la convocation de 1562, où la transsubstantiation fut déclarée contraire à l'Ecriture, qui dans son Catéchisme dit : Question : Cœlestis pars et ab omni sensu externo longé disjuncta, quœnam est? Réponse : Corpus et sanguis Christi; quœ fidelibus in Cœnâ Dominicâ prœbentur, ab illis accipiuntur, comeduntur et bibuntur, cœlesti tantùm et spiritudli modo, verè tamen atque re ipsâ. Il en cite encore d'autres, et surtout ce passage d'Andrews, évêque de Winchester, qui écrivant contre Bellarmin, dit : Prœsentiam credimus non minus quàm vos veram; deindè de prœsentiœ modo nihil temerè definimus. Je vous ai extrait l'article de l'Eucharistie : si vous avez besoin de ceux de la justification, je vous les enverrai ; ils sont aussi purement calvinistes. Voilà pour ce qui regarde la Confession de foi.

Pour Molinos, je crois, Monseigneur, que vous avez vu le décret par lequel ses propositions sont censurées au nombre de

 

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soixante-huit, qui est imprimé. Il y a outre cela le procès entier, qui tient plus d'une main de papier, que j'ai lu : mais on ne me l'a pas envoyé, et je n'ai osé prier mes amis de ce pays-là de me faire une si longue copie. Mais j'ai un extrait de tout ce long procès, fait de main de maître, avec diverses lettres : tout à votre commandement. Il faut quelques jours pour copier tout cela. J'ai aussi le procès en extrait de ses deux disciples, dont les erreurs étaient encore plus grandes. J'attendrai vos ordres sur tout cela.

Il est vrai qu'on fait des affaires à M. le cardinal de Grenoble sur sa Lettre pastorale, que le Pape fait examiner. Toutes ces affaires ont fort chagriné le saint Père, qui de colère a été un mois au lit; car il se porte à merveille.

Molinos était un des plus grands scélérats qu'on puisse s'imaginer. Il est vrai qu'il dirigeait M. Favoriti, et qu'il l'a assisté à la mort. Il n'y a ordures exécrables qu'il n'ait commises pendant vingt-deux ans, sans se confesser. Par le procès, il paraît qu'il a avoué toutes ces choses. On y marque celles qu'il a niées. J'aurai l'honneur de vous en mander plus de nouvelles dans quelques jours. Il est temps de finir cette lettre qui n'est que trop longue, en vous assurant toujours, Monseigneur, de la continuation de mes très-humbles respects.

Je remercie M. l'abbé Fleury de son souvenir, et le salue avec votre permission.

 

LETTRE XVI. M. LE FEUVRE, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. Ce 13 mai 1687.

 

Il y a trois semaines que je n'ai point la liberté de mon appartement ni de mes livres ; c'est ce qui m'a empêché jusqu'ici de répondre à Votre Grandeur sur ce qu'elle a voulu savoir de moi, touchant une conclusion que l'on dit avoir été faite par notre Faculté sur le mariage de Henri VIII. Je vous dirai, Monseigneur,

 

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ce que j'en peux savoir, vous avouant que je n'ai sur ce sujet que des conjectures, les registres de ce temps ne se trouvant plus dans nos archives.

Il est vrai que Burnet rapporte cette conclusion toute entière dans son premier livre en anglais, page 62 de son Recueil : mais la difficulté est de savoir si elle a été véritablement faite par notre Faculté, telle que Burnet nous la rapporte, ou si elle est supposée.

Sur quoi mon sentiment est qu'il est certain que notre Faculté a été consultée sur ce sujet, et qu'elle a répondu à la consultation qu'on lui avait faite. Cela paraît par les lettres originales du premier président Liset, qui était chargé de ménager la Faculté sur cette affaire. Ces lettres sont dans la bibliothèque du roi, et elles marquent que la Faculté a donné en ce temps son avis. Et Me Charles du Moulin, dans ses notes sur le conseil 602 de Decius, imprimées à Francfort l'an 1587, en parle de cette manière : Hanc quœstionem in magno fervore vidi in Sorbonâ, anno 1530; et tandem mense jnnio steterunt quadraginta duo Sorbonici pro affirmative, quôd Papa potest, quinque vero remittendum Ecclesiœ papali : sed quinquaginta très majorem partem facientes tenuerunt pro negalivâ : de quâ parùm curandum; quia corrupti angelotis (a) anglicis ità censuerunt, ut vidi per attestationes, jussu Francisci Gattiarum régis, factasper defunctos Dufresnet et Poliot, Parlamenti Parisiensis prœsides, quibus Beda Decanus Sorbonœ, et Lisetus, tune ejusdem Parlamenti prœses primus, multùm gravabantur. Voilà ce qui me fait croire qu'il y a eu un avis de notre Faculté sur ce sujet. Mais je crois aussi que l'avis que rapporte Burnet n'est pas celui que la Faculté a donné.

Premièrement le style de cette conclusion, telle qu'elle est rapportée par Burnet, n'est point conforme à celui dont la Faculté se servait en ce siècle. Cela paraît par la confrontation que l'on en peut faire avec les autres monuments de notre compagnie, que nous avons du même temps, comme les deux censures contre Erasme faites en 1526 et 1527, les articles proposés à François Ier en 1542, et la censure contre du Moulin en 1552. Aussi je me

(a) Angelot, pièce d'or ou d'argent, portant la figure d'un ange.

 

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souviens que cette pièce faisant de la peine à un de mes amis, il demanda à M. Burnet, lorsqu'il vint à Paris, s'il avait vu l'original : il lui avoua franchement qu'il ne l'avait jamais vu, mais seulement une copie dans un livre anglais imprimé sous Henri VIII.

En second lieu, la pièce que rapporte ledit sieur Burnet dit que l'avis de la Faculté a été donné, unanimi consensu ad pluralitatem vocum: ce qui ne convient pas avec ce qu'en dit du Moulin, qui rapporte que le sentiment pour Henri VIII ne l'emporta que de six suffrages.

Troisièmement, les lettres du président Liset disent que l'avis que la Faculté donna ne plut pas au roi : d'où on doit conclure qu'il était autre que celui que l'on nous rapporte, puisque celui que l'on nous rapporte satisfaisant entièrement les prétentions de Henri VIII, il devait nécessairement plaire à François Ier, qui voulait pour lors faire plaisir à ce roi. Ce que dit M. Liset s'accorde assez avec l'état des temps où l'on dit que cet avis a été donné. Tout le monde sait que François Ier était irrité pour lors contre la Faculté, qu'il lui fit l'affront de vouloir que les ouvrages d'Erasme fussent examinés par toutes les compagnies de l'Université, conjointement avec celle de théologie, à qui il déclara ne pouvoir se fier; qu'il avait fait emprisonner, et ensuite exiler le syndic et plusieurs autres docteurs. Une compagnie tout récemment maltraitée n'est guère en état de satisfaire, sur un point difficile, aux désirs d'un prince dont elle ressent si vivement l'indignation. Enfin si la Faculté avait répondu à Henri VIII de la manière que Burnet nous le rapporte, il n'aurait pas été nécessaire qu'Elisabeth eût consulté la Faculté de droit canon de Paris, pour savoir si le mariage de son père était légitime, la réponse de la Faculté de théologie prévalant elle seule à tout ce que les autres Facultés du même lieu pouvaient décider. Or nous avons dans la bibliothèque de M. Colbert, la réponse en original de cette Faculté sur cette consultation.

Quant à ce que du Moulin rapporte de la nôtre, je m'étonne qu'il parle de visu, manquant en deux faits dans son rapport : premièrement dans la date de la réponse de la Faculté, qu'il dit avoir été faite au mois de juin; et selon la pièce que produit

 

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Burnet, elle n'a été faite qu'au mois de juillet : secondement, en faisant entrer dans cette affaire Beda, qui était pour lors exilé.

Voilà, Monseigneur, ce que je sais présentement sur ce sujet : sitôt que je serai plus à moi, et que j'aurai la liberté entière de mon appartement, que les maçons ont jusqu'ici occupé, j'approfondirai plus la chose, et ne manquerai pas d'envoyer à Votre Grandeur ce que j'aurai trouvé. Je suis avec tout le respect possible, etc.

 

LE FEUVRE, professeur en théologie.

 

LETTRE XVII. M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 7 juin 1687.

 

J'ai fait copier la lettre circulaire de M. le cardinal le Camus sitôt que je l'ai pu avoir, et je vous l'envoie comme vous me l'avez ordonné. J'y aurais joint la copie de l'acte qui est venu de Rome au sujet des quiétistes, si je l'avais pu : mais la personne de qui je le voulais emprunter, l'avait donné à M. l'archevêque, qui n'est pas présentement en état qu'on lui parle de cela. Je ne sais que M. l'official qui lui parle, quoiqu'il se porte mieux, dont la médecine qu'on lui a fait prendre aujourd'hui est une marque.

J'ai fort pensé, depuis que nous avons parlé de la consultation que cite Burnet, à éclaircir ce fait. Il est vrai que Fra-Paolo, dans son premier livre de l'Histoire du concile, dit que Henri VIII voulut consulter sur son affaire les universités de l'Europe ; et que la plus grande partie des théologiens de Paris favorisa son dessein, en prononçant que la dispense qu'il avait obtenue de Rome pour épouser Catherine, veuve de son frère, était nulle, mais qu'on veut que son avis était plus fondé sur les dons du roi d'Angleterre que sur la raison. M. de Thou, dans son livre premier, page 23, met à peu près la même chose en ces termes : Rex, qui jam antè annum, Catharinâ repudiatà, Bolenam duxerat, exquisitis priùs diversorum theologorum sententiis imprimisque

 

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Parisiensium, qui, uti rumor erat, pretio corrupti, con-silio et divortio subscripserant. Cet historien ne dit pas que la Faculté fut consultée; au lieu que le premier, parlant de la plus grande partie, semble avoir lu du Moulin, ou du moins écrit sur ses Mémoires. C'est lui qui parle le plus distinctement de la consultation. J'ai eu peine à trouver l'endroit : j'ai pour cela parcouru toutes ses œuvres, et je ne l'ai point vu dans celles qui portent son nom, qui sont en trois tomes.

Enfin j'ai vu ce qu'il a fait sur les conseils de Decius, grand jurisconsulte milanais du siècle dernier, qui n'est pas imprimé sous son nom; mais qu'on sait assez être de lui. Ce sont des notes sur l'ouvrage de cet Italien, imprimées en marge, dont l'auteur n'est point nommé au titre, mais seulement marqué par la qualité d'un grand jurisconsulte, célèbre en Allemagne et en France. Il se fait lui-même assez connaître de temps en temps dans ses observations, en citant ses ouvrages. Il parle de la question du mariage de Henri VIII, sur le conseil 602 de Decius, à l'occasion de ce qu'en dit Decius lui-même, qui avait été consulté par ce roi, et qui y répond dans ce conseil, posant pour principe que le pape Jules II avait pu donner la dispense, et que le cas de faire épouser une même personne à deux frères, l'un d'eux l'épousant après la mort de l'autre, n'excède pas le pouvoir du Pape ; mais dans l'application trouvant nullité dans la bulle, qu'il prétend subreptice pour deux raisons : la première et la principale, fondée sur ce qu'elle est accordée pour le bien de la paix ; comme s'il y avait eu guerre qui dût cesser par cette alliance, quoique tout fût en paix pour lors, et qu'il n'y eût nul trouble à craindre, ainsi que le cas l'exposait : l'autre, qu'on n'eût pas marqué au saint Siège dans la supplique de la dispense qu'on avait demandée pour le mariage de Henri VIII avec Catherine, veuve de son frère Artus, qu'il était seulement dans sa douzième ou treizième année, ainsi encore incapable de contracter, n'ayant pas l'âge de puberté; ce qui pouvait rendre la grâce plus difficile, et dont par conséquent la réticence donnait atteinte à la bulle. C'est le biais que prend cet auteur pour satisfaire en même temps, dit celui qui a fait les notes, à son Pape, c'est son terme, à qui il faisait

 

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profession de devoir bien de la reconnaissance, et au roi : Ut eâdem fide Papœ suo et regi satisfaceret.

Je souhaiterais que vous lussiez vous-même Decius dans ce conseil 602, vous y auriez du plaisir; et je suis sur que vous voudriez voir encore le troisième, où il renvoie, quand il dit que s'il se trouvait en cette question, sur le pouvoir du Pape pour la dispense du mariage, partage entre les théologiens et les docteurs de droit canon, il faudrait s'attacher aux derniers, et quitter les autres : ce qu'il avait déjà avancé au sujet de l'usure, demeurant d'accord que dans l'interprétation de l'Ecriture sur les actions de Jésus-Christ, les théologiens doivent être suivis préférablement aux canonistes ; mais qu'il en est tout au contraire sur la morale et sur la pratique, comme sur le baptême, sur le mariage, sur le vœu, sur la simonie, sur l'usure, etc., et que dans ces matières il se faut peu mettre en peine de ce que tiennent les théologiens contre les décrétistes. C'est en cet endroit que du Moulin dit dans une note, au conseil 602, que Decius dans sa prétention de maintenir le droit canon, a raison de n'avoir aucun égard à la théologie, parce que, dit-il, on pourrait craindre, en consultant la parole de Dieu, de renverser le droit canon : Et meritò ne verbo Dei inspecto evertatur.

Mais pour me renfermer en ce que cet auteur, qui, comme vous voyez, ménage peu le droit canon, et cite son Traité contre les petites dates qui le fait assez découvrir, dit de l'affaire d'Angleterre, il fait combattre d'abord les théologiens entre eux, pour décider si le Pape peut donner la dispense dont il était question ; et rapporte sur cela Richard et Scot qui le nient, saint Thomas qui tient l'affirmative, et Paludanus qui ne sait à quoi s'en tenir. Il dit ensuite, qu'il a vu en 1530 cette question agitée avec beaucoup de chaleur en Sorbonne ; que quarante-deux docteurs avaient cru que la dispense avait pu être accordée à Henri, et que son mariage était bon : cinq avaient renvoyé la chose à examiner à l'Eglise qu'il appelle l'Eglise papale, ne cherchant pas à marquer un grand respect pour Rome ; et cinquante-trois avaient dit que la dispense était nulle, et que le mariage n'était pas valable ; qu'on ne devait avoir aucun égard pour ce dernier sentiment,

 

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quoiqu'il l'emportât, parce que ceux qui y étaient entrés avaient été gagnés par des angelots d'Angleterre, comme il l'avait reconnu dans des informations faites par ordre de François Ier, par deux présidents du parlement, Dufresnet et Poliot, et qui avaient fort déplu au premier président, qui était pour lors M. Liset, et à Bède, doyen de la Faculté (il devait dire syndic). Voici les mots latins de du Moulin : Hanc quœstionem in magno fervore vidi in Sorbonâ, anno 1530; et tandem mense junio steterunt quadra-ginta duo Sorbonici pro affirmative, quôd Papa potest; quinque verà remittcndum Ecclesiœ papali; sed quinquaginta très, majorem partem facientes, tenuerunt pro negativâ : de quâ parùm curandum; quia corrupti angelotis anglicis ità censuerunt, ut vidi per attestationes, jussu Francisci Franciœ régis, factas per defunctos Dufresnet et Poliot Parlamenlt Parisiensis prœsides, quibus Beda decanus Sorbonœ, et Lisetus tune ejusdem parlamenli prœses primus multùm gravabantur. De affirmative quo-que, quœ erat una sententia Sorbonœ, parùm curandum ; quia fundatur in eo quod censent nihil de toto Veteri Testamento remanere de jure divino prœter Decalogum, etc.

Il cite ensuite Tostat, qu'il prétend avoir cru que l'empêchement au premier degré n'est plus que de droit humain ; mais il ne prend pas son sens. Vous savez l'éloignement qu'il avait des théologiens catholiques, et surtout de la Faculté de Paris, dont il se plaint si fort à la fin de la glose qu'il a faite sur l'édit de Charles VI en 1406, au sujet des annates, qu'il a mis à la fin de ce qu'il a écrit contre les petites dates, en commentant l'édit de Henri II de 1550. Il accuse les théologiens de l'avoir persécuté, et de lui avoir attiré une si grande haine, qu'il avait été obligé de se retirer en Allemagne.

Ce qu'il dit de la consultation qui y fut faite sur le mariage de Henri avec Catherine, ne peut pas beaucoup servir à justifier ce prince. Il nomme les parties dans sa glose, et il y parle ouvertement de la chose ; au lieu que Decius prend des noms supposés, quoiqu'il dise que c'est une question proposée par des princes et venue d'Angleterre, désignant Henri par le nom d'Olimbardus, et Catherine par celui de Barbara.

 

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Quand les choses se seraient passées comme il les raconte, cela ne ferait pas en faveur de Henri : ce serait une confusion pour les docteurs de Paris, mais qui ne déchargerait pas ce prince; au contraire leur lâcheté ne ferait que le charger. Aussi du Moulin ne regarde-t-il pas cet avis, qui favorisait la passion du roi, comme le vrai sentiment de la Faculté ; il dit au contraire que ce vrai sentiment était contre, et que ce ne fut que par corruption que la pluralité alla à déclarer la dispense nulle. Il n'est point marqué dans du Moulin que la chose se fit dans une assemblée : mais il semble qu'il le suppose, quand il dit que les cinquante-trois faisaient la plus grande partie, et que cela avait été examiné avec grande contention : quœstionem in magno fervore.

Burnet n'apporte la prétendue conclusion de la Faculté que pour faire voir que ce roi avait été de bonne foi, et n'avait rien fait qu'après avoir pris conseil. Le témoignage de ce jurisconsulte est bien éloigné de cela. Je n'ai pas vu l'acte que rapporte Burnet dans son troisième volume, qui n'est pas encore public en France : je l'ai seulement vu cité dans le premier. Mais sur ce que vous m'avez fait l'honneur de me dire qu'il est daté des Mathurins en 1331, je puis assurer qu'il est très-suspect, et qu'il n'y a guère de caractère de fausseté plus sûr que celui-là. Je ne le prends pas simplement pour l'année, qui ne convient pas à celle que du Moulin marque un an auparavant : je joins l'année et le lieu de la scène ; cela ne peut se rapporter.

Je vois dans nos censures, dont nous avons un livre en vélin jusqu'à 1523, que depuis la censure de Luther, qui fut faite en Sorbonne le 15 avril 1521, et que je vois la première de toutes datée de ce lieu, il n'y en a eu qu'une faite aux Mathurins deux mois après, le 19 juin 1521, sur six propositions présentées par l'évêque de Séez à examiner. La même année, au 1er décembre, celle qui fut portée contre le sentiment de Faber sur les trois Madeleines, est en Sorbonne ; et toutes les autres contre Melanchthon et autres, données les années suivantes, sont du même lieu. Ainsi on peut assurer que la censure de Luther est le commencement des assemblées en Sorbonne : depuis quoi nous ne

 

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voyons qu'une censure faite deux mois après aux Mathurins ; mais que toute la suite est en Sorbonne, et que plus de huit ans avant la date de la consultation citée par Burnet, les assemblées s'étaient établies en Sorbonne, où elles se sont depuis toujours tenues : ce qui fait connaître la supposition de celle de 1530 ou 15315 qu'on date des Mathurins.

On vous avait parlé de la censure d'Erasme : je vous dis, quand vous m'en parlâtes, qu'assurément elle était depuis celle de Luther, et qu'elle avait été faite en Sorbonne. Il n'y a qu'à voir l'acte dans Erasme même, au tome de son Apologie, qui est le plus gros de ses ouvrages, d'où on l'a restitué dans nos registres : ceux de ce temps-là nous ayant été enlevés du temps que Bède fut relégué au Mont Saint-Michel, où il mourut. Vous trouverez que la Faculté a fait deux censures de cet auteur : l'une, de ses colloques, dont elle a tiré beaucoup de propositions qu'elle qualifie d'erronées, de scandaleuses et d'impies ; elle est du 16 mai 1526 : l'autre, qui est la grande, partagée en trente-deux chefs ou titres de propositions, tirées de ses paraphrases sur le Nouveau Testament et de ses autres livres, datée du 17 décembre 1527, qui avait été proposée dès la fin de juillet en 1526. Ces deux censures et toutes les assemblées nécessaires pour les porter, ont été faites en Sorbonne : In collegio Sorbonœ, porte la première ; et la seconde : Apud collegium Sorbonœ.

Je ne dis rien du style, qu'on m'a dit être fort différent de celui dont la Faculté se servait en ces occasions, ni de la forme qui paraît avoir été observée pour la conduite de l'affaire et qui y est déduite, qui paraît aussi, à ceux qui l'ont lu, peu convenable aux usages de la Faculté. Je ne l'ai pas lu, et je n'en puis juger par moi-même.

Le père Lami (a) me fit l'honneur de me venir voir avant-hier. Il n'entre pas fort dans votre avis sur le latin de son ouvrage, qui m'a paru bon. Il dit qu'il vous a exposé qu'il avait deux livres à y joindre, de l'immortalité de l’âme et de la possibilité de l'Incarnation, qui doivent être pour tout le monde. Il m'a cependant dit qu'il ferait ce qu'on voudrait ; et je crois qu'il mettra

 

(a) Dom François Lami, bénédictin.

 

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son français en latin. Je le trouve un fort honnête homme, d'une grande sincérité, fort sage, d'un entier désintéressement, également humble et éclairé.

Ce n'est pas là tout à fait le caractère du critique (a) de l'Ecriture, qui a eu l'honnêteté de donner une lettre au public adressée à moi, et que je n'ai jamais vue : elle est, à ce qu'on m'a dit, sur l'inspiration des auteurs sacrés. Bien des gens l'ont lue, la République des Lettres en parle ; mais je n'en ai rien vu ; et le mois de la République où il en est parlé, n'est pas encore venu jusqu'à moi. Je ne crois pas que l'auteur prétende à l'avenir avoir aucun commerce d'approbation avec moi, en en usant ainsi. Il dit qu'il n'a pas mis mon nom : mais il a mis tant de lettres initiales du nom et de l'emploi, que tous ceux qui en ont vu le titre m'ont deviné. Je me mets fort peu en peine de cela, et je n'ai pas fait de grandes diligences pour le voir ; mais il me paraît assez extraordinaire qu'on tienne cette conduite.

Je ne vous donnais pas les autres années les sujets des conférences de Paris : mais comme j'achève ma lettre celles de cette année se présentent à moi ; et parce qu'elles sont sur une nouvelle matière, M. l'archevêque ayant souhaité qu'après les sacrements qu'on a expliqués on prît l'Evangile, je les mets en mon paquet. Je vous supplie seulement que personne ne les voie si tôt : elles n'ont été encore vues que par l'auteur et par l'imprimeur. M. l'archevêque et M. l'official n'en ont rien vu, et ils se sont fiés de tout à celui qui en était chargé. M. l'official les devait demain porter aux Calendes ; mais cela est différé à cause de la maladie. Je ne vous les envoie que par respect : j'en ai pour vous plus que personne, et je suis, avec le plus de dévouement et de fidélité, etc.

PlROT.

(a) Richard Simon.

 

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LETTRE XVIII. DOM BERNARD DE MONTFAUCON A BOSSUET.

 

J'envoie à Votre Grandeur quelques passages qui prouvent l'authenticité des livres qu'on nomme Deutérocanoniques. Parmi ceux-là, il y en a deux qui me paraissent convaincants : l'un est d'Origène, qui dit clairement que ces livres aussi bien que les autres sont la parole de Dieu, verbum Dei : il les met au nombre des livres divins, divinorum voluminum ; et dans la suite il fait entendre que l'Eglise les regardait comme Ecriture sainte, aussi bien que les Evangiles. Il spécifie au même endroit les livres de Tobie, Judith et la Sagesse. Les témoignages de saint Athanase me paraissent encore plus forts : non-seulement il les cite, mais il s'en sert fort souvent pour établir des dogmes de foi, et en particulier du livre de la Sagesse. Ce qu'il y a de plus remarquable est qu'il s'en sert contre les hérétiques, et que pas un n'en a jamais récusé l'autorité : ce qui fait voir qu'on les regardait partout comme des livres divins, dont on pouvait se servir en matière de foi. On pourrait grossir le petit recueil que j'envoie à Votre Grandeur ; mais cela demande du temps. Je n'ai pris que ce que j'ai trouvé sur mes mémoires : si je trouve quelque autre chose en chemin faisant, je ne manquerai pas d'en donner avis à Votre Grandeur. Je suis avec un profond respect, etc.

 

Fr. BERNARD DE MONTFAUCON, M. B.

 

LETTRE XIX. L'ABBÉ DE LANGERON, A BOSSUET. Le samedi saint, 1688.

 

J'ai lu, Monseigneur, toutes les notes sur l'Apocalypse, et je vous avoue que j'ai été frappé comme un homme qui verrait

 

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naître tout d'un coup une grande lumière dans un lieu fort obscur. J'ai examiné le Commentaire le texte à la main : le gros du dessein est merveilleux, et je mettrais ma main au feu que saint Jean n'a pu en avoir d'autre. Le détail surprend encore plus; et la facilité avec laquelle on dénoue les endroits qui paraissaient les plus impénétrables, comme le nom de la bête, les 666 trouvés dans Dioclès Augustus, la bête qui est la huitième, qui n'est plus, qui était des sept, les deux bêtes et le reste : il faudrait citer le livre entier. Je trouve, Monseigneur, dans le récit et les notes un style un peu trop magnifique : ces deux genres demandent une grande simplicité, et vous êtes plein de fentes par où le sublime échappe de tous côtés. La principale difficulté est sur Paul de Samosate : l'abbé de Fénelon vous a envoyé son docte Commentaire (a). Vous donnez permission à tous les philosophes, Monseigneur,

 

(a) Donnons quelques passages de ce commentaire :

I. « Le cinquième ange sonna de la trompette ; et je vis une étoile qui tombait du ciel sur la terre; et la clef du puits de l'abîme lui fut donnée. »

Voici de nouvelles calamités annoncées par la trompette : ce n'est plus le peuple juif, mais l'empire idolâtre et persécuteur qui est menacé. Voyez verset 20 de ce chapitre. On ne doit s'attendre de trouver ici aucune calamité de l'Eglise ; au contraire elle est consolée par les plaies de ses persécuteurs. Ces plaies sont sensibles, éclatantes, et elles regardent les biens temporels. Il ne s'agit pas de peines invisibles et spirituelles.

Paul de Samosate ne peut être l'étoile, puisque sa chute ne fait aucune désolation dans l'empire. Il n'a pas même mérité une si grande place dans les visions de saint Jean. Il n'est point le premier qui a nié la divinité de Jésus-Christ; Cérinthe l'avait fait avec beaucoup plus d'éclat. La secte de Paul ne fut jamais nombreuse. La chaire d'Antioche, qu'il occupa, ne paraît avoir donné aucune autorité à ses erreurs. Les ariens qui ont été les seuls considérables ennemis de la divinité de Jésus-Christ, n'ont point été les disciples de Paul. Ses disciples, qui disaient dans un hymne qu'il était descendu du ciel, ne lui don-noient parla qu'une louange assez vulgaire, surtout dans la poésie. Il n'y a aucun rapport entre descendre du ciel et en tomber. Un homme qui descend du ciel est un homme que le ciel donne pour le bonheur de la terre : une étoile qui en tombe représente un accident funeste.

Cette étoile qui tombe est donc la vengeance qui vient d'en haut. Dans les prophètes, les astres obscurcis ou éteints sont une affreuse désolation. L'Evangile représente à la chute de Jérusalem les étoiles qui tombent, etc. Saint Jean lui-même peint les maux de l'empire par la chute des étoiles, chapitre vi, verset 13. Cette vengeance, qui vient d'en haut, ouvre l'abîme pour en faire sortir les maux : c'est là que Dieu tient en réserve les trésors de colère, et le Ciel les en tire pour frapper la terre.

II. « Et elle ouvrit le puits de l'abîme; et il s'éleva du puits une fumée, comme la fumée d'une grande fournaise ; et le ciel et l'air furent obscurcis par la fumée du puits. »

Voici quelque chose de bien pins étendu que l'événement de Paul de Samosate.

 

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de raisonner sur vos ouvrages ; je m'en vais donc raisonner aussi, et à perte de vue.

Après avoir lu exactement et plusieurs fois votre explication et celle de l'abbé de Fénelon, j'ai trouvé qu'en général et à facilité égale de faire quadrer le texte aux deux sens, celui des barbares occidentaux était préférable à celui de Paul de Samosate, parce qu'il entre immédiatement dans le plan du livre, qui est de représenter l'Empire persécutant l'Eglise et punie, Paul de Samosate n'entre point dans ce dessein. L'empire ne s'en sert point pour affliger l'Eglise : il n'est point contre cet empire un instrument de la vengeance divine : il sort manifestement du système général ; et c'est par là que je me suis répondu à une raison que je vous ai entendu dire à l'abbé de Fénelon, et qui me frappait.

 

Il s'agit de la terre entière qui est en feu par la chute d'un astre. C'est sans doute l'empire embrasé. La fumée marque la guerre : le ciel et l'air obscurcis montrent un temps d'aveuglement, de tristesse mortelle et de confusion générale. C'est un tourbillon infernal, d'où les calamités vont sortir.

III. « De la fumée du puits sortirent sur la terre des sauterelles ; et il leur fut donné une puissance comme celle qu'ont les scorpions de la terre. »

Les biens viennent toujours d'en haut, et les maux de l'enfer. C'est le prince des ténèbres, l'ancien ennemi du genre humain, qui préside à toutes les calamités. L'enfer animait les peuples barbares qui commencèrent à inonder l'Empire sous Valérien. Outre l'idolâtrie, qui faisait régner sur eux le démon, ils étaient possédés d'une cruauté infernale. Ils sortent comme de l'abîme; car les terres septentrionales, où Dieu les avait tenus en réserve pour frapper Rome, étaient inconnues. Cette origine était obscure et affreuse, surtout à des peuples méridionaux, à qui saint Jean parle. Les barbares sont représentés par des sauterelles. Comme ces insectes, ils étaient innombrables, sautant de terre en terre, errants et vagabonds de pays en pays, ravageant tout par leurs incursions : semblables à des scorpions, ils sont pleins de venin; ils n'inondent la terre que pour faire du mal.

IV. « Et il leur fut commandé de ne blesser point l'herbe de la terre, ni tout ce qui est vert, ni tous les arbres; mais seulement les hommes qui n'ont point le signe de Dieu sur leurs fronts. »

Ces insectes ne sont pas comme les insectes ordinaires : ils ravageront par l'ordre de Dieu, non les fruits de la campagne, mais les peuples des villes qu'ils démoliront. Ne voyons-nous pas que les Goths et les autres barbares épargnèrent les chrétiens, pendant que les païens furent l'objet de leur fureur? C'est proprement l'empire qu'ils attaquent. Quoique cette circonstance ne soit arrivée que dans la suite, saint Jean la montre par avance, pour marquer le caractère de ces peuples.

Ici je ne reconnais point les hérétiques : car on ne saurait dire d'eux qu'épargnant les autres hommes, ils ont été cruels contre les païens. Voilà une calamité qui tombe directement sur l'empire idolâtre. Ces barbares n'attaquent pas comme les sauterelles communes les fruits de la terre : au contraire ils n'attaquent que les hommes, pour se mettre en leur place ; car ils ne demandaient que des terres à cultiver sous un ciel plus doux que le leur.

 

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Saint Jean, disiez-vous, aurait manqué au but de la prophétie, qui est de préparer l'Eglise contre les maux qui devaient la tenter, s'il n'eût pas parlé des hérésies, qui devaient être la plus dangereuse des tentations. La réponse est facile : saint Jean ne prédit qu'un ordre de maux, savoir : ceux que l'empire romain devait faire ressentir à l'Eglise ; donc il ne devait point parler de Paul de Samosate, qui est hors de cet ordre. D'ailleurs saint Paul avait averti l'Eglise de la nécessité des hérésies. Nam et oportet hœreses esse : il avait découvert les desseins de Dieu, quand il les permet, qui sont de manifester ceux qui ont une vertu éprouvée : Ut qui probati sunt manifesti fiant; un second avis n'était point nécessaire.

L'étoile tombée du ciel me paraissait heureusement expliquée par la chute d'un grand docteur d'un des premiers sièges : la convenance des hymnes (a) rapportés par Eusèbe me frappoit. Mais j'ai trouvé que comme dans le chapitre vi, verset 13, vous expliquez la chute de toutes les étoiles, des calamités en général qui vont fondre sur l'empire : rien n'est plus naturel lorsque saint Jean vient dans le détail, que de représenter une calamité particulière par la chute d'une seule étoile. Ainsi entendant par cette étoile tombante les Goths qui rompent les digues de l'empire, vous êtes autorisé par le style même de l'Apocalypse, qui peint les plaies de l'empire sous la figure des astres qui tombent en terre.

Ce qui m'a fait tenir le plus longtemps pour Paul de Samosate, c'est le puits de l'abîme ouvert, la fumée qui s'élève, les sauterelles qui sortent de cette fumée : je trouvais qu'il était plus naturel d'entendre par là les hérétiques envoyés par la puissance infernale, qu'une armée d'ennemis qui n'attaquent que la vie présente ; surtout l'Ecriture ne faisant jamais sortir les Babyloniens, ni les Assyriens, ni les autres du puits de l'abîme, c'est-à-dire de l'enfer. Sur cela je ne répète point les raisons de l'abbé de Fénelon : premièrement que le démon sous la figure d'exterminateur est à la tête des barbares, et qu'ainsi il ne faut pas

(a) Les hymnes que les disciples de Paul de Samosate avaient faits en son honneur.

 

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s'étonner qu'ils sortent de son royaume : secondement, que ces peuples n'avaient aucuns pays ni connus, ni fixes, et qu'ils paraissaient tout d'un coup comme si la terre les eût enfantés.

Je vous marque seulement une réflexion que j'ai faite en lisant le chapitre XX : le caractère du démon, à la tête des hérétiques, n'est pas celui de l'ange exterminateur, mais de l'esprit de séduction ; ou du moins le second lui est bien plus naturel. D'où vient que saint Jean, qui dans le chapitre XX lui donne le nom de Satan et le peint comme séducteur, ne le représente pas avec les mêmes traits dans le chapitre IX, mais avec tous ceux d'un destructeur, sinon parce que dans ce chapitre IX il ne trompe point les hommes, mais qu'il commence par l'inondation des barbares la ruine de l'Empire romain.

Enfin, Monseigneur, pour vous prendre par quelque chose de plus fort encore, je vous donnerai quatre millions, si vous ôtez Paul de Samosate : voyez de combien je surpasse votre libéralité, qui ne va jamais qu'à cent mille écus. Je profiterai de l'avis sur le temps de Germigny, et je pourrai bien y arriver le même jour que vous, Monseigneur. Je souhaite de n'y point trouver Paul de Samosate, mais plutôt les Goths, les Alains, les Francs, les Hérules, etc. Je suis, Monseigneur, avec un profond respect, etc.

 

L'abbé DE LANGERON.

 

LETTRE XX. M. DES MAHIS, CHANOINE D'ORLÉANS,  A BOSSUET (a). A Orléans, ce 5 mai 1688.

 

Je me donne l'honneur de vous envoyer les passages qui m'ont persuadé que plusieurs des anciens ont expliqué de la désolation de Rome ce que l'Apocalypse dit de Babylone. Saint Jérôme

 

(a) Marin Grostête, seigneur des Mahis, vit le jour à Paris le 22 décembre 1649. Elevé dans la religion protestante, il fut nommé ministre de Bionne, où les calvinistes d'Orléans tenaient leurs assemblées religieuses. Humble de cœur et droit d'esprit, il reconnut sous la lumière de la grâce les erreurs delà Réforme, et fit abjuration entre les mains de M. de Coislin, évêque d’Orléans, le 27 mai 1681.

 

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n'étais pas tout seul de ce sentiment, puisqu'il dit, sur le chapitre XLVII d'Isaïe : Quidam non ipsam Babylonem, sed Romanam urbem interpretantur, quœ in Apocalypsi Joannis et in Epistolâ Pétri Babylon specialiter appellatur ; et cuncta quœ nunc ad Babylonem dicuntur, illius ruinœ convenire testantur. Il marque, dans son Epître à Algasie, pourquoi Notre-Seigneur a jugé à propos d'envelopper sous l'obscurité des visions ce qu'il a voulu faire prédire de la ruine de Rome : « Si les Apôtres, dit-il, en avoient parlé clairement, ils auraient pu donner lieu à la persécution contre l'Eglise naissante. » Justa causa persecutionis in orientem tunc Ecclesiam consurgere videbatur (a). Il est évident que cette même raison a dû obliger les Pères qui voyoient ce sens dans l’Apocalypse, de ne le mettre pas dans leurs écrits, et même d'en entretenir peu les peuples, que leurs discours imprudens sur ces matières, selon le rapport de Lucien dans son Philopatrios, faisaient regarder comme des ennemis de l'empire romain.

Quand la proximité du temps de l'accomplissement fit regarder la publication de ce sens comme une chose utile, ceux qui, nonobstant le silence affecté de la tradition sur ce sujet, reconnurent cette vérité par la lecture même de la parole de Dieu, la proposèrent avec une grande assurance. Saint Jérôme dans son Epître à Marcelle, en fait un fondement de son exhortation pour laisser Rome, et venir dans la terre sainte. Il y a peu de lien de douter que ce ne fût aussi là une des raisons de Mélanie, quand elle obligeait ses parens de renoncer à tous leurs biens, et qu’elle leur disait : Filii, plusquàm quadringentis ab hinc annis scriptum est : Ultima hora est : quid ergo lubenter ac volentes immoramini in vanitate vitœ? ne fortè veniant dies Antichristi, et non possitis fieri compotes vestris opibus.

Je n'ai pas présentement, Monseigneur, les ouvrages dont j’ai tiré les extraits que j'ai l'honneur de vous envoyer ; mais je crois

 

Après avoir reçu les ordres sacrés, il évangélisa le Poitou comme missionnaire avec l'ordre du roi; de rares connaissances, une grande éloquence, la foi vive et le zèle apostolique lui obtinrent d'heureux succès. M. de Coislin le pourvoit d'un canonicat, pour l'attacher à son diocèse. Le digne prêtre ne jouit pas longtemps de ce bénéfice; il mourut le 16 octobre 1691, à l’âge de 45 ans.

(a) Tom. IV, p. 209.

 

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les avoir copiés avec exactitude. Vous verrez dans les auteurs mêmes s'ils peuvent servir, comme je Pavais pensé, à prouver que ce n'est point un sens inconnu à l'antiquité, que celui qui applique à la ruine de Rome par les barbares ce que dit Y Apocalypse touchant la chute de Babylone. Ce me sera une très- grande joie, Monseigneur, de me déterminer tout à fait sur cette matière par le parti que vous choisirez. Je bénis Dieu de ce qu'il vous a mis au cœur de la traiter : c'est là un grand secours pour les nouveaux catholiques ; et ils en profiteront d'autant plus qu'il leur viendra dans un temps où leur nouveau prophète a eu la hardiesse de fixer positivement un commencement éclatant de l'accomplissement de ses imaginations sur ce sujet, et où par conséquent leur fausseté prouvée par une expérience sensible, disposera plusieurs esprits à goûter une explication solide des oracles de l’ Apocalypse.

Je n'ai pu trouver, Monseigneur, le premier ouvrage de M. Jurieu, qui est son livre contre le sieur Dhuisseau de Saumur, sur le livre intitulé : La réunion du christianisme. Voici le traité de la Puissance de l'Eglise, qu'il a fait contre Louis du Moulin son oncle, médecin à Londres et célèbre indépendant, dont la folie était l'entreprise de ruiner la puissance de l'excommunication.

Je vous prie très-humblement, Monseigneur, de m'accorder le secours de votre bénédiction pour un voyage dans le diocèse de Luçon, où je vais dans deux jours ; et d'être persuadé de mes vœux ardents pour votre conservation comme une grâce très-précieuse à l'Eglise, et de ma plus profonde vénération pour votre personne. C'est avec ces sentiments que je serai toute ma vie etc.

 

DES MAHIS.

 

LETTRE XXI. M. DES MAHIS A BOSSUET. A Paris, ce 27 juillet 1691.

 

Je n'ai pu faire un examen aussi exact que je l'eusse voulu des passages dans lesquels les sociniens défigurent la morale : j'en

 

 

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ai seulement marqué quelques-uns de Socin, de Wolzogenius et de Crellius, sur la compatibilité des actes les plus mauvais avec le salut quand ils n'ont pas encore formé une habitude, sur la guerre, sur le serment et contre la magistrature. Socin et Wolzogenius trouvent cette magistrature incompatible avec le salut, parce qu'on y a attaché l'obligation de condamner les criminels à la mort. On pourrait, Monseigneur, si vous le souhaitez, consulter sur ces matières les autres sociniens, qui ne sont pas dans la Bibliothèque des Frères polonais, comme Brenius, Ostorodus, Smalcius, Volkelius. J'aurais feuilleté les trois volumes de Hoornbeek contre les sociniens, si je les eusse eus, afin de choisir quelques-unes des déclarations les plus fortes de ces hérétiques contre les vérités de la morale. Le Summa controversiarum du même auteur pourrait aussi fournir divers exemples des entreprises qui ont été faites par d'autres novateurs de ces derniers temps contre la morale, dans les petites listes des propositions controversées, qui sont à la fin de chacune de ses dissertations contre les hérétiques. On pourrait là trouver de nouveaux exemples du peu de sûreté de la morale entre ceux qui ont abandonné la voie de l'autorité. C'est là, ce me semble, une des vérités qu'il est le plus à propos de faire sentir, parce que le discours ordinaire de ceux qui penchent vers la tolérance est qu'il suffit de s'attacher à la sanctification, et que les devoirs de la morale chrétienne sont clairs dans la sainte Ecriture et non controversés.

Si M. de la Bruyère n'a pas encore rendu l'Avis aux réfugiés (a), ayez la bonté, Monseigneur, de le faire revenir : divers nouveaux catholiques l'ont demandé. Je vous prie aussi très-humblement de penser à l'affaire de M. de Lanbouinière, afin que ce gentilhomme passe de sa galère dans quelque communauté, où il y ait plus lieu d'espérer quelque effet des efforts que Madame des Coulandres sa sœur, qui est si bien convertie, ferait pour sa conversion. Le temps de mon retour n'est pas encore bien déterminé. Je suis avec le plus profond respect, etc.

 

(a) Ecrit attribué à Bayle, et qui lui attira de la part du ministre Jurieu une violente persécution, parce que l'auteur, au jugement de ce fanatique, faisait paraître trop de modération dans son ouvrage.

 

 

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LETTRE XXII. LE MINISTRE DE LA MAISON DU ROI A BOSSUET (a). A Marly, 14 juin 1688.

 

J'ai lu au roi la lettre que vous avez écrite à Sa Majesté. Elle a bien voulu consentir à ce que l'exécution du jugement qui interviendra contre les coupables de la dernière assemblée faite à Nanteuil soit sursise ; et j'écris à M. Menars de m'en informer, afin d'expédier les lettres de commutation de la peine de mort en telle autre qu'il plaira à Sa Majesté.

 

LETTRE XXIII. L'ABBÉ DE FÉNELON A BOSSUET. A Versailles, ce 3 mars 1692.

 

J'ai lu, Monseigneur, votre Mémoire sur les ouvrages de

 

(a) L'abbé Ledieu dit dans ses Mémoires, avec tous les auteurs de bonne foi, que Bossuet n'usa d'aucune violence envers les protestants, et qu'il n'y eut de garnisaires ni dans la ville ni dans le diocèse de Meaux. « Le vigilant évêque, poursuit-il, connaissoit tous les nouveaux catholiques; on les lui amenait de temps en temps, ou pour être instruits ou pour recevoir la confirmation. Les protestants rebelles ne lui étaient pas moins connus. Il les faisait venir aussi très-souvent à Meaux même et dans les autres lieux de son diocèse quand il y était en visite, et jamais aucun ne s'est plaint de ses rigueurs, son esprit y était bien opposé, et il donna au contraire un rare exemple de douceur et de modération en suivant les traces des saints Pères. »

Voici cet exemple, choisi entre mille autres. « Il se fit un jour, continue l'abbé Ledieu, une grosse assemblée de sept à huit cents hommes ou femmes religionnaires, au milieu de la paroisse de Nanteuil, près de Meaux. Quelques-uns des plus rebelles arrêtés, leur procès instruit, il y eut la peine de mort prononcée contre trois ou quatre. M. de Meaux fit surseoir l'exécution par son autorité et par ses sollicitations à la Cour. Il obtint enfin leur grâce. Il y avait des femmes coupables aussi bien que des hommes. Il fit modérer les peines des uns et des autres, qui furent presque toutes réduites à une amende honorable devant l'Eglise et au bannissement. En d'autres rencontres, il employa tout son crédit pour tirer de la mort des malheureux, et entre autres un pauvre berger de Montyon, qui avait tué un homme sans malice. Il y aurait plusieurs exemples semblables à rapporter. »

On comprendra maintenant la lettre écrite à Bossuet par le ministre de la maison du roi; elle se rapporte à l'assemblée de Nanteuil et au jugement qui la suivit. Cette lettre se trouve dans la Biblioth. univ., mss. Mélanges, Clérambault, 556.

 

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M. Dupin (a) et je n'oserais vous dire tout le plaisir qu'il m'a fait : il y a seulement un petit endroit où MM. de Court, de Langeron, de Fleury et moi nous trouvons tous que vous allez un peu au-delà des paroles de l'auteur, dans la censure que vous en faites. Puisque vous serez ici environ huit jours après Pâques, il faut attendre à examiner cet endroit avec vous. Cependant je n'enverrai point le Mémoire à M. Pirot : pour M. Racine, je lui montrerai votre lettre dès que je le verrai. J'ai été ravi de voir la vigueur mesurée du vieux docteur et du vieux évêque. Je m'imaginais vous voir en calotte à oreilles, tenant M. Dupin comme un aigle tient dans ses serres un faible épervier.

 

LETTRE XXIV. L'ABBÉ DE FÉNELON A BOSSUET. A Versailles, ce 23 mars 1692.

 

M. Racine est venu me parler de M. Dupin, qui se plaint, Monseigneur, de ressentir votre indignation sans l'avoir méritée. Vous l'avez traité en pleine Sorbonne, dit-il, comme un socinien : vous l'avez dénoncé à M. l'archevêque de Paris et à M. le chancelier. Pour M. l'archevêque, il assure que ce prélat lui a témoigné une bonté paternelle. M. Racine, qui est son très-proche parent, n'a point voulu néanmoins entrer dans ses intérêts, supposant qu'il n'était pas à soutenir, puisque vous le condamniez. M. Racine se borne à désirer de lui faire connaître son tort, et de travailler à le ramener dans le bon chemin, quand vous aurez eu la charité de lui expliquer les égarements de son parent.

Il me paraît, Monseigneur, que M. Racine dans toute cette affaire, est aussi touché qu'il le doit être du respect qui vous est dû, et des motifs de zèle pour la religion qui vous animent. Je lui

 

(a) Ce mémoire se trouve vol. XX, p. 514 et suiv.

 

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ai conseillé de disposer son parent à écouter de bons conseils, et à ne craindre point de réparer ses fautes. Il m'a promis d'y travailler, et de tâcher de l'empêcher d'aller chez M. l'archevêque de Paris, qui lui avait promis quatre docteurs pour examiner son livre, et pour l'approuver par son autorité, s'il n'a point de venin. Quand vous viendrez ici après Pâques, M. Racine vous suppliera de nous expliquer tout ce que vous connaissez de répréhensible dans les ouvrages de M. Dupin, après quoi il fera ses efforts pour lui faire réparer le passé, et pour lui faire prendre d'autres maximes par rapport à l'avenir. Je crois, Monseigneur, que vous serez content, si M. Dupin répond aux bons desseins de M. Racine, puisque vous ne prenez d'autre intérêt que celui de la religion dans cette affaire.

 

LETTRE XXV. L'ABBÉ DE FÉNELON A BOSSUET. A Versailles, ce 25 avril 1692.

 

Vous ne vous trompez point, Monseigneur, quand vous croyez m'avoir mandé d'envoyer votre Mémoire à M. Pirot. Mais je vous avais ensuite représenté qu'un endroit me paraissait avoir besoin d'un peu de révision. Vous me répondîtes que vous l'examineriez avec le petit concile de Versailles. Je comptais donc qu'il fallait garder le Mémoire jusqu'à votre retour : on me disait qu'il était si prochain, que je ne faisais aucun scrupule de l'attendre. Je ne comprenais pas même sur votre lettre que la chose fût si pressée ; mais puisqu'elle l'est, je l'envoie sans plus grand retardement à M. Pirot. Je voudrais que les chemins vous fussent aussi libres qu'au Mémoire : mais je vois bien que l'évêque et l'abbesse (a) se sont bloqués l'un l'autre : il me tarde d'apprendre qu'un bon arrêt ait levé le blocus. Je ne veux point que vous perdiez ce blé :

 

(a) L'abbesse de Jouarre, qui défendit en justice l'exemption de son abbaye Elle livrait aux évêques de Meaux dix-huit ou vingt muids de blé, en échange, prétendait-elle de cette exemption. Après la perte du procès, elle refusa la livraison du blé.

 

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l'honneur du cardinal romain y est trop intéressé : et je ne consens point qu'il soit déclaré simoniaque. Quand vous reviendrez, vous nous raconterez les merveilles du printemps de Germigny. Le nôtre commence à être beau ; si vous ne voulez pas le croire, Monseigneur, venez le voir.

 

LETTRE XXVI. L'ABBÉ DE FÉNELON A BOSSUET (a). A Versailles, ce 4 mai 1692.

 

Il m'est impossible, Monseigneur, de vous expliquer ce que nous avions remarqué dans un endroit de votre Mémoire. Je l'ai envoyé à M. Pirot; et vous savez qu'il faut avoir les termes devant les yeux pour pouvoir entrer dans cette discussion : je crois même que de telles choses ne se font bien que de vive voix. Après tout l'endroit n'est pas essentiel ; et vous avez tant de choses inexcusables à reprocher à M. Dupin, qu'il ne peut manquer d'être confondu : Dieu veuille qu'il soit aussi corrigé. Si vous étiez venu ici avant le départ de la Cour, on aurait pu raisonner avec M. Racine, et engager par lui M. Dupin à venir ici pour recevoir vos leçons : mais Madame de Jouarre vous tient en prison. Quand même vous viendriez maintenant, ce serait trop tard; car M. Racine n'y sera plus.

Je ne vous parle ni de Germigny, ni du printemps, ni des doux zéphirs. Les vents les plus furieux qui sortirent du sac donné par Eole à Ulysse, semblent déchaînés pour ramener l'hiver et pour troubler l'Océan. Il faut espérer que ce mauvais temps sera fini avant que le prince d'Orange puisse être prêt. On dit qu'il y a en Angleterre beaucoup de gens qui seront ravis de se défaire de lui. Pour vous, Monseigneur, nous courons risque de n'avoir pas si tôt l'honneur de vous voir, car le pauvre Versailles ne vous sera plus rien en l'absence du roi : ce sera une raison ajoutée à tant d'autres pour souhaiter son prompt retour. M. l'abbé de

 

(a) On peut voir les pièces de cette affaire vol. V, p. 495 et suiv.

 

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Maulevrier assure que M. l'abbé Bossuet se porte bien, et travaille à ses affaires ; n'en soyez pas en peine.

 

LETTRE XXVII. L'ABBÉ  DE FÉNELON, A   BOSSUET. A Versailles, ce 16 décembre 1694.

 

J'ai reçu, Monseigneur, la réponse de Madame de Soubise (a) : elle me mande qu'elle me fera une réponse précise après que Madame sa fille aura vu ma lettre. J'ai oublié de vous dire qu'elle voulait fort deux ans au lieu d'un ; et je ne doute pas qu'elle ne le demande plus que jamais, si elle vous donne une sûreté par écrit. C'est à vous, Monseigneur, à examiner si vous pourriez user de cette condescendance, ayant cette sûreté par écrit. Réponse précise, s'il vous plaît, là-dessus.

Il me paraît qu'elle voudrait fort, avant que de conclure sur les fèves (b), savoir quelle sera la fin de votre visite commencée à Jouarre. Elle craint que vous n'ayez d'autres choses à demander, qui tirent à conséquence contre Madame l'abbesse : elle me presse de vous demander instamment que vous vous déclariez là-dessus, afin qu'elle sache à quoi s'en tenir pour le tout, et qu'on ne soit point à recommencer sur d'autres articles, après avoir passé celui des fèves. Examinez donc, s'il vous plaît, Monseigneur, si vous pouvez vous expliquer sur toutes les choses que vous croyez avoir à régler pour faire la clôture de votre visite, et pour être content de la discipline entière de la maison.

 

(a) Cette lettre regarde l'établissement du scrutin dans l'abbaye de Jouarre, pour toutes les délibérations capitulaires, et principalement pour les réceptions des Filles. Madame de Soubise craignant que cette voie secrète ne diminuât l'autorité de Madame l'abbesse de Jouarre sa fille, chercha tous les moyens de l’empêcher, et employa tous les amis de M l'évêque de Meaux pour tirer cette affaire en longueur, en la mettant en négociation. Voilà pourquoi M. l'abbé de Fénelon en entendit parler. Mais cela n'empêcha aucunement le dessein de M. l'évêque de Meaux, et le scrutin fut établi à Jouarre sans aucune opposition, l'année 1695, au mois de janvier, à la réception de Madame de Soubise, sœur de Madame l'abbesse. (Note de l’abbé Ledieu).— (b) Dont les religieuses devaient se servir pour donner leurs suffrages.

 

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Cet article demande, aussi bien que l'autre, une réponse prompte et décisive : en tout cela je ne veux que vous témoigner mon zèle et mon respect, etc.

 

LETTRE XXVIII. M. GERBAIS, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET (a). A Paris, ce 18 mars 1691.

 

Je vous cherchai deux fois la semaine dernière à Paris ; mais sans avoir le bonheur de vous rencontrer : c'était, Monseigneur, pour pouvoir vous entretenir au sujet de M. Dupin notre confrère, qui est désolé d'avoir eu le malheur de vous déplaire en ce qu'il a écrit du sentiment, ou plutôt des manières de parler de certains Pères des premiers siècles, sur la matière du péché originel. Il prétendait, Monseigneur, en faisant la critique de ces Pères, avoir suffisamment mis à couvert le dogme, ayant dit que c'était cependant le sentiment et la doctrine commune de l'Eglise, que les enfants naissaient coupables. Mais si vous jugez que cela ne suffise pas, et qu'on puisse faire un mauvais usage de ses critiques nonobstant cette précaution, il se soumet à réparer et à réformer ce qui pourrait être pris contre ses intentions, et à donner des éclaircissements dont vous serez vous-même l'arbitre.

Il m'a prié, Monseigneur, de vous faire connaître sa disposition ; et je le fais d'autant plus volontiers, que je suis persuadé qu'il est bon de calmer cette petite tempête, pour ne pas donner occasion à nos frères errants de dire que les habiles gens parmi les catholiques ne sont pas d'accord sur le péché originel. D'ailleurs M. Dupin, qui consacre sa vie au travail, et qui peut être utile à l'Eglise, mérite bien d'être un peu ménagé ; et ce serait dommage de le flétrir ou de le barrer dans sa course, en montrant surtout tant de docilité. J'espère, Monseigneur, que vous y

 

(a) Jean Gerbais, docteur de Sorbonne, professeur d'éloquence au collège royal et principal du collège de Reims, a publié plusieurs ouvrages sur les matières ecclésiastiques. Un de ces ouvrages intitulé : De causis majoribus, fut condamné à Rome en 1680. Ce docteur mourut en 1699, à l'âge de soixante-dix ans.

 

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aurez quelque égard ; et que si le zèle que vous avez pour la vérité est grand, votre charité ne sera pas moindre. Si vous ne rejetez pas tout à fait la proposition que je vous fais, nous aurons l'honneur, M. Dupin et moi, de vous voir au premier voyage que vous ferez à Paris, pour prendre les mesures que vous jugerez les plus convenables, et recevoir vos ordres, que j'exécuterai en ce qui sera de moi, avec une fidélité parfaite, comme je suis avec un respect très-parfait, etc.

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