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Nouvelles Lettres
Clefs de correspondance

 

LETTRE CCCLXVI. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. 20 octobre 1698.

 

Il est vrai, Monsieur, que j'ai manqué quelques ordinaires; mais je n'ai pu faire autrement, et j'ai toujours prié le P. Roslet de vous en faire mes excuses. J'ai reçu fort régulièrement votre lettre du 29, que vous aviez mise dans le paquet de M. le nonce.

Les examinateurs ont donc enfin donné leurs vœux : il faut espérer que les cardinaux en prépareront de bons pour le mois de

 

1 Remarques sur la Réponse, etc., art. IV et v, p. 217, 221 et suiv.

 

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novembre, et termineront glorieusement pour le saint Siège et utilement pour l'Eglise, cette longue et triste affaire. Comme la cabale ne manquera pas de redoubler ses efforts, vous devez aussi redoubler les vôtres, pour empêcher qu'ils ne gagnent les juges. Il faut s'attendre que le cardinal de Bouillon et les Jésuites continueront jusqu'au bout à vous traverser : nous ferons de ce côté-ci tout ce que nous pourrons.

On recevra bientôt à Rome une nouvelle lettre du nonce, qui fera bien voir les bonnes intentions du roi et la fermeté de son zèle pour la bonne doctrine. On ne peut plus douter que le nonce n'en soit mieux informé que le cardinal de Bouillon. Faut-il autre chose pour persuader que le roi ne le regarde plus comme son ministre que la nomination d'un ambassadeur? Soutenez toujours que ce qui viendra par ce canal sera plus sûr que tout ce qui sortira d'ailleurs. Il est vrai qu'on fait ce qu'on peut pour persuader que vous avez demandé du retardement, et que nous l'avons désiré; mais on ne peut empêcher de parler.

Vous recevrez par ce courrier la dernière Réponse de M. de Meaux : j'espère qu'elle fera un bon effet; mais je crains qu'elle ne retarde encore le jugement. Tâchez qu'elle ne le fasse pas, autant que vous le pourrez. Tout ce qu'on écrira présentement sur les faits ne fait rien au livre ; ainsi on ne doit point différer de prononcer. L'âge du Pape me fait toujours peur.

Je suis, Monsieur, à vous, comme vous savez, autant qu'on y peut être.

 

LETTRE CCCLXVII. L'ABBÉ BOSSUET  A  SON  ONCLE. Rome, ce 21 octobre 1698.

 

J'ai reçu par le courrier ordinaire, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Paris le 29 septembre; et par le courrier extraordinaire arrivé à M. le cardinal de Bouillon, votre lettre du 5 de ce mois. Ce courrier était parti de Fontainebleau le 8, et est arrivé à Rome le 18.

J'ai reçu par l'ordinaire tous les exemplaires de la traduction

 

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italienne, au nombre de cent quarante, avec les deux livres latins reliés pour le Pape et le cardinal Spada. Ils leur sont inutiles, puisqu'ils les ont déjà : je trouverai à les placer ailleurs.

Les cardinaux étudient à force : le sacriste donne le reste de son vœu très-lentement. Le cardinal de Bouillon vient rarement à Rome : mais tous les soirs ou de deux jours l'un, malgré le prétendu péril de l'air, il envoie ses confidents y coucher, très-sûrement pour l'affaire de M. de Cambray. On arrive à la nuit, et on va au rendez-vous. J'espère être instruit dans peu des pas qu'on fait : il est toujours très-certain, à ce que M. Poussin m'a dit, que ce n'est pas pour les affaires du roi. Il faut compter que la rage le possède.

Le général de la Minerve et le P. Cambolas, qui précédemment ne pouvaient s'imaginer que le cardinal de Bouillon osât soutenir le parti jusqu'au bout, ont été fort détrompés par une conversation qu'ils ont eue avec cette Eminence, il y a quatre ou cinq jours : il s'y est montré tout à découvert. Cela me fait croire de plus en plus qu'il n'y a rien à en espérer, que le meilleur pour ce cardinal et pour nous, serait qu'il ne votât pas. J'attends ce que vous me manderez à ce sujet des résolutions du roi : depuis six semaines je m'en suis expliqué bien nettement avec vous et avec M. de Paris.

Voici le temps des cabales. Le parti ne s'oublie pas ; les Jésuites vont criant qu'on ne peut condamner l'amour pur de M. de Cambray, sans condamner au feu tous les mystiques : ces discours ne laissent pas de faire quelque impression. Je sais, à n'en pouvoir douter, que presque aucun des cardinaux n'hésite à condamner, non-seulement le livre de M. de Cambray, mais encore la plupart des propositions sur l'indifférence du salut, les épreuves, les vertus, etc. Quelques-uns cependant ont encore quelques doutes sur les propositions de l'amour pur, tant on a pris plaisir à embrouiller cette question, et tant dans le vrai la cabale est forte, tant on est ignorant. Toute mon application présentement est de leur faire voir l'illusion manifeste du cinquième état, son inutilité, le but de M. de Cambray en l'établissant, son idée sur l'oraison passive, manifestement contraire à tous les bons mystiques, qu'il

 

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fait à présent consister dans l'amour pur, dans la charité parfaite, dont néanmoins il veut qu'on fasse un mystère aux fidèles; et tout cela après avoir déclaré, en signant les articles d'Issy, que l'oraison passive, mise au rang des oraisons extraordinaires et des dons de même espèce que le don de prophétie, n'appartient en rien à la perfection du chrétien : ce qui montre clairement l'intention de l'auteur et ses contradictions, et qu'il ne cherche qu'à en imposer.

J'ai eu ce matin sur cette matière une conférence très-longue avec les cardinaux Noris et Casanate séparément. Ce dernier, à qui j'ai expliqué le tout à fond, est entièrement revenu des petites peines qu'il avait : il me l'a avoué, et je ne doute pas qu'il ne soit d'avis de condamner le cinquième état comme illusoire, erroné et favorisant l'oraison des quiétistes. Pour ce qui est du cardinal Noris, il m'a aussi parlé très-nettement. Il n'a pas laissé de me dire, et ils se l'imaginent ici, que M. de Cambray a été ici beaucoup mieux défendu qu'il ne se défend lui-même, et qu'il a pareillement été attaqué avec beaucoup de force. Je vois bien qu'il pense avoir poussé plus loin qu'aucun autre l'examen de toutes les difficultés proposées, et trouvé la solution des objections des partisans de M. de Cambray, mieux que vous-même n'avez fait. A ce sujet il lui est échappé quelque chose avec moi dont je me mets peu en peine, pourvu qu'on condamne tout ce qu'il faut : ils croient qu'il est de leur honneur de trouver quelque chose qu'on n'ait pas dit.

Au reste on n'a point encore formé de plan : le plus vraisemblable est qu'on veut faire une Bulle, dans laquelle on pense qu'on pourra épargner le nom de M. de Cambray, en condamnant néanmoins expressément les propositions tirées de son livre, qui paraîtront censurables. Pour cela on se fonde sur la manière dont on a agi au concile de Trente, en condamnant les erreurs des luthériens et des calvinistes, sans jamais les désigner par leur nom. On prétend bien pourtant faire précéder un décret du saint Office, dont il ne sera pas fait mention dans la Bulle, par lequel on condamnera le livre de M. de Cambray, et apparemment la doctrine qui y est contenue : sou livre et lui y seront nommés.

 

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Vous voyez quelle finesse. J'espère que cette vue tombera quand on aura représenté un peu fortement que cela ne peut servir que de prétexte à M. de Cambray, quelque peu de jour qu'il y trouve, pour dire que sa doctrine n'est pas condamnée. Depuis longtemps je suis persuadé que les disputes à l'occasion du sens de Jansénius, les feront aller bride en main sur ce qui pourra regarder la condamnation du sens de l'auteur ; mais nous ne demandons pas autre chose que la condamnation des propositions, in sensu obvio et naturali. En ceci les jansénistes ne serviront pas si chaudement : je les vois venir. Je tâcherai d'y trouver un remède, en leur démontrant le tort irréparable qu'ils se feroient dans l'esprit des évêques, de qui ils doivent tout attendre. Il est bon que vous en parliez à M. de Paris et à ceux qui ont ici quelque correspondance, par exemple au frère de M. de Toureil, qui écrira à Rome indubitablement. Ces Messieurs sont bien à ménager à Rome, où ils ont assurément un grand crédit, et où ils font enrager les Jésuites : nous leur parlons, M. Phelippeaux et moi, comme il faut.

On a encore dessein, dans le commencement de la Bulle, de faire une instruction sur cette matière, pour servir de préservatif contre les erreurs des quiétistes. Cela serait fort bon, si elle était bien faite ; mais je crains avec raison, et des gens sages craignent également, que cela ne tire trop en longueur ; que ce ne soit de plus un prétexte aux Jésuites et aux amis de M. de Cambray, pour faire mettre certaines paroles qui donnent la facilité d'excuser ce prélat; car chacun voudra y insérer quelque chose de sa façon. D'ailleurs je ne vois pas ici une personne assez habile pour composer cette instruction comme il le faudrait. Ainsi jusqu'à cette heure nous sommes d'avis d'insinuer qu'on se contente de condamner les propositions nettement, promettant et se réservant de donner dans la suite une instruction convenable. Alors elle serait très-sûrement faite avec moins de brigue, supposé qu'on la fît : car une fois M. de Cambray mis comme hors de jeu, ses amis ne prendraient peut-être pas tant de part à ce qui se ferait. Ce qui suffirait à présent, ce serait d'approuver les XXXIV Articles d'Issy, si cela était faisable : voyez ce que vous jugerez à propos de dire au nonce à ce sujet. Si le roi continue à

 

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demander par le nonce qu'on n'épargne pas M. de Cambray, ni son nom ; s'il fait dire qu'une douceur mal entendue pourrait causer un grand mal, et serait indigne du saint Siège, cela fera faire ici de grandes réflexions. De notre côté, nous tâcherons de fortifier le Pape et nos amis. Il ne faut rien oublier contre une cabale plus formidable et plus insolente encore que par le passé. Certainement le cardinal de Bouillon se cache moins que jamais : le Pape dit qu'il voit bien dans toutes les conversations qu'il a avec lui, que c'est un porco ferito, un sanglier blessé.

M. Poussin agit aussi bien qu'on puisse, et le cardinal de Bouillon en est très-fâché ; mais M. Poussin va toujours son chemin ; il nous sert à contredire le cardinal de Bouillon, et à faire connaître les intentions de la Cour. Vous pouvez lui rendre justice dans l'occasion. Il dit qu'il voit le précipice où se jette le cardinal de Bouillon, qu'il l'en a averti il y a plus de six mois, mais que tout est inutile. A l'heure qu'il est nous usons, lui et moi, d'un innocent artifice pour nous assurer du cardinal Ottoboni.

Le troisième sujet à qui le Pape avait conféré le doyenné de Lille, pour ne le donner ni à celui que le roi avait recommandé, ni à celui pour lequel le cardinal de Bouillon avait en particulier sollicité très-fortement, s'est trouvé être un fripon. Le Pape et le cardinal Panciatici ont été trompés par deux attestations accordées à cet homme, l'une par M. de Cambray, l'autre par M. de Tournai : je ne sais ce qui en arrivera.

Je suis persuadé que le cardinal de Bouillon sera frustré dans ses espérances, et qu'il a de faux amis dans la Congrégation du saint Office. Le nouvel ambassadeur en a ici de pareils, qui ne cherchent qu'à le décrier : le premier est le cardinal de Bouillon.

Je viens dans le moment de recevoir la Réponse à M. de Chartres : je l'ai lue en courant : elle me paraît assez insolente ; c'est un homme qui dit impudemment tout ce qu'il veut. Votre Réponse est attendue ici comme l'était la Relation.

Envoyez-moi, si vous le jugez à propos, un modèle d'instruction qu'on pourrait mettre dans la Bulle, qui soit net et précis : nous pourrions le faire servir dans l'occasion.

 

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Qui voulez-vous désigner par celui auquel vous ne vous fiez plus, et qui m'avait donné de si belles paroles (a) ?

Les notes que M. de Paris a mises à la marge de la Réponse de M. de Cambray sont très-faibles. Pour s'excuser d'avoir approuvé l'intérêt propre, il dit qu'il entendait par ce mot la joie sensible, le contentement sensible même du salut, qu'on peut sacrifier. Nous sommes convenus en secret, le P. Roslet et moi, de n'en faire aucun usage.

La Quœstiuncula sur les actes condamnés par la charité est très-bonne et très-précise : elle fait bien voir l'illusion du cinquième état.

Je me porte bien, Dieu merci. M. Chasot me fait un sensible plaisir de m'assurer que votre santé est aussi bonne que jamais, malgré le travail.

J'enverrai à Florence par le premier courrier, les livres que M. l'abbé Régnier désire qu'on y fasse passer. Sa traduction est ici très-estimée : beaucoup de gens ne peuvent croire que ce soit un François qui l'ait faite. J'en ai donné à tous les cardinaux, et j'en distribue dans toute l'Italie. Il serait bon que M. Anisson en envoyât un grand nombre à Venise et à Gênes.

 

LETTRE CCCLXVIII.  BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Fontainebleau, ce 26 octobre 1698.

 

Votre lettre à M. le nonce a tout expliqué, mon cher Seigneur : il écrira de manière qu'on aura tout sujet d'en être content. Il prend tout du bon côté ; et un ministre du Pape, de cette humeur et de cet esprit, aide beaucoup aux affaires.

J'aurai bien de la joie de voir l'écrit (b), et je vous rends grâces de l'ordre que vous avez donné de me l'envoyer. Nous avons

 

(a) Bossuet a écrit ici de sa main Zeccadoro, dont il a déjà été plusieurs fois question dans cette correspondance. (Les premiers édit.) — (b) c'était une censure du livre de M. de Cambrav, signée de soixante docteurs de Sorbonne, et dont il sera beaucoup parlé dans les lettres suivante?

 

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désabuse M. le nonce du bruit répandu sur Salamanque (a). Si vous êtes content du commencement de ma Réponse, ce dont je suis ravi, j'espère que la fin vous satisfera encore davantage. Vous savez mon respect, mon cher Seigneur.

 

LETTRE CCCLXIX. BOSSUET A M. PIROT. A Fontainebleau, 26 octobre 1698.

 

 

L'affaire tourne très-bien : une lettre de M. l'archevêque à M. le nonce a tout expliqué; j'espère même que Rome ne sera pas mécontente. M. de Paris m'écrit qu'il vous envoie ordre de me faire tenir ici copie de la signature des docteurs : passé mardi, il faudra me l'adresser à Meaux. La réponse à M. de Cambray fait ici un grand effet, et plus encore que la Relation. Dieu soit loué ! Vous savez, Monsieur, ce que je vous suis.

 

LETTRE CCCLXX. BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Fontainebleau, 27 octobre 1698.

 

Quoique je ne doute pas, mon cher Seigneur, que vous ne soyez bien averti de tout, je crois être obligé à toutes fins de vous rendre compte de ce qui se passe sous mes yeux. M. le nonce nous a lu ce matin, à M. le cardinal d'Estrées et à moi, sa dépêche pour M. le cardinal Spada. Il lui envoie votre lettre, et tourne parfaitement bien ce qui s'est passé : il ne se peut rien ajouter à la manière dont il fait valoir les raisons de votre lettre. Voire zèle pour la bonne cause et votre respect particulier pour le Pape et le saint Siège, sont expliqués par des expressions très-vives et très-naturelles. Il se sert parfaitement bien de cette occasion pour montrer la nécessité de finir cette affaire au plus tôt, et en presse

 

(a) Les partisans de H. de Cambray voulaient faire croire que cette célèbre école approuvait sa doctrine.

 

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la conclusion au nom du roi avec la dernière force et la plus douce insinuation. Ainsi il y a sujet de croire que tout ceci aura un très-heureux succès.

Il ne me reste qu'à vous assurer, mon cher Seigneur, de mes très-humbles respects.

Je me rendrai à Meaux pour la Toussaint, et j'y recevrai vos ordres, si vous en avez à me donner.

 

LETTRE CCCLXXI. BOSSUET A  SON NEVEU (a). A Fontainebleau, ce 27 octobre 1698.

 

M. de Paris m'a envoyé la lettre que vous lui écriviez le 29 septembre, et j'ai reçu en ce lieu celle du 7.

En y arrivant, M. le nonce me parla de la signature de soixante docteurs de la Faculté (b), dont plusieurs sont religieux. On voulait mal tourner cette affaire; mais M. de Paris lui en a écrit, et lui rend si bonne raison de ce qui s'est fait qu'il ne s'y peut rien ajouter. J'étais alors dans mon diocèse, et je n'ai rien su de cette souscription.

Les raisons de M. de Paris sont qu'elle était nécessaire à Rome, pour fermer la bouche à ceux qui vantent l'approbation des docteurs de Paris ou des autres universités; qu'elle y était attendue et demandée par plusieurs cardinaux, et qu'elle serait mise en mains qui sauraient en faire l'usage qui sera le plus convenable.

Ce qu'il y aurait à craindre serait que cela ne donnât à M. de Cambray des prétextes pour éloigner, ou donner des ombrages à la Cour de Rome. M. le nonce envoie à M. le cardinal Spada la lettre que lui a écrite M. de Paris sur ce sujet-là : elle est très-belle, et M. le nonce y a joint tout ce qu'il fallait pour prévenir les tours artificieux que M. de Cambray pourrait donner à la signature.

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Il s'agit là de la censure portée le 16 octobre, contre plusieurs propositions du livre de M. de Cambray. C'est e docteur Pirot qui dressa cette pièce. On la trouvera bientôt.

 

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Je n'ai point encore vu les qualifications, et je ne puis vous en parler.

Tout ce que vous aurez à prendre garde avec le P. Roslet, c'est aux prétextes pour allonger, et aux ombrages qu'on pourrait prendre. Le sujet en serait léger, puisque ce n'est qu'un avis de particuliers. M. de Cambray pourrait aussi faire faire des signatures à ses amis; mais je doute qu'il réussît à un nombre considérable ; au lieu que si l'on avait voulu, deux cents docteurs auraient signé.

On ne donne point ici dans la défense de voter au cardinal de Bouillon : ce serait un titre pour réclamer, et il n'y faut point penser.

On attend M. de Monaco, et vous serez recommandé de bonne part.

Je m'en vais faire un tour pour la Toussaint, et je serai ici lundi.

Ma réponse à M. de Cambray (a) fait ici et à Paris un prodigieux effet contre lui ; et tout le monde voit que ce n'est qu'artifice, illusion et tromperie de sa part. Je répondrai peut-être aux trois Lettres. M. de Chartres répond.

Il ne faut point être en peine du roi, ni du nonce. Quand il y aura quelque chose à dire en particulier, il faut le marquer, mais en général. On fait bien, et on dit et on écrit ce qu'il faut. Je n'ai pas continué les qualifications, occupé ailleurs, et aussi parce que Quietismus redivivus y supplée (b). Le tout est de voir et instruire les cardinaux et leurs théologiens. On attend d'eux quelque chose qui fasse honneur à l'Eglise romaine, et qui coupe la racine d'un si grand mal. Remarquez bien Admonitio prœvia, et la conclusion de Quietismus.

(a) Les Remarques sur la Réponse de M. de Cambray à la Relation sur le quiétisme. — (b) On se rappelle que l'abbé Bossuet avait engagé son oncle de faire pour l'usage  ou l'utilité de tel ou tel des cardinaux, un vote ou discours qualifiant les propositions erronées de M. de Cambray. Bossuet n'acheva passe travail, pour les raisons qu'on vient de voir.

 

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LETTRE CCCLXXII. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A L'ABBÉ BOSSUET. Ce 27 octobre 1698.

 

Quoique je sois en visite, je ne veux pas manquer, Monsieur, de répondre à votre lettre du 7 ; mais ce ne sera qu'en peu de mots. Il n'y a plus qu'à attendre en patience le mois de novembre, où l'on promet tant de finir, et à continuer de vous opposer aux efforts de la cabale.

J'envoyai par le dernier courrier au P. Roslet un acte qui la déconcertera bien ; c'est la signature que vous avez proposée l'un et l'autre de soixante docteurs contre le livre : il vous l'aura sans doute communiquée sur-le-champ. Prenez, s'il vous plaît, de bonnes mesures ensemble pour empêcher la cabale d'y donner un mauvais tour, en faisant croire aux cardinaux que c'est une censure en forme, injurieuse au saint Siège. Ce n'est qu'un simple avis, qui non-seulement n'a pas été donné en pleine Faculté, mais que les docteurs ont signé sans s'être assemblés ; ainsi ce n'est qu'une consultation. On en a voulu faire du bruit en ce pays; mais il est bientôt tombé. Je me remets pour le reste au P. Roslet, il vous fera voir ce que je lui en mande. Nous aurions eu encore autant de signatures, si nous avions voulu : les docteurs se sont empressés de signer pour marquer leur indignation de l'imposture qu'on avait répandue, qu'ils étaient favorables au livre. Je ne puis à cause de mes fonctions vous en dire davantage ; croyez-moi, je vous conjure, à vous, Monsieur, avec tous les sentiments que vous méritez.

 

ANIMADVERSIO. Plurium doctorum è Facultate theologiae Parisiensis in diversas propositiones, excerptas è libro cui titulus : Explication des Maximes des Saints, etc.

 

Oblatae fùerunt subsignatis, è sacra Facultate Parisiensi doctoribus theologis, propositiones nonnullœ, extractae ex libro cui tiulus est: Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure,

 

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par Messire François de Salignac Fénelon, etc.; quaesitumque est ab illis quid sentirent de hisce propositionibus ac de libro ipso. Hi verô ista respondent atque censent.

 

PRIMA PROPOSITIO.

 

On peut aimer Dieu d'un amour qui est une charité pure et sans aucun mélange du motif de l'intérêt propre ni la crainte des châtiments, ni le désir des récompenses n'ont plus de part à cet amour. On n'aime plus Dieu ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu'on doit trouver en l'aimant. (Maximes des Saints, pag. 10.)

Haec et alia verba similia, quibus auctor describit quintum amorem Dei, si intelligantur de actu aut habitu amoris seu charitatis purae, eô praesertim fallunt et inducunt in errorem, quôd novam ac diversam constituera videantur amoris hujus speciem, ab eà quae quarto loco designata est, et dicta amor charitatis et verus amor justificans. Intellecta autem, ut videntur intelligenda, de statu quodam eorum justorum qui perfectissimè ac purissimè amant Deum, falsa sunt, erronea, doctrinae Molinosi affinia, aliéna à doctrinâ concilii Tridentini declarantis benè operantibus usque in finem, adeôque et perfectis, proponendam esse vitam aeternam tanquàm mercedem (1).

 

II PROPOS.

 

L'âme fidèle peut aimer Dieu avec un tel désintéressement, que cette vue de Dieu béatifiant n'augmente en rien l'amour qu'elle a pour lui sans penser à soi; et qu'elle l'aimerait tout autant, s'il ne devait jamais être sa béatitude. (P. 28.)

Haec propositio, quae animae fidelis perfectionem in eo constituit, ut amor quo Deum diligit nullatenùs augeatur intuitu seu consideratione Dei ut beatificantis, falsa est, piarum aurium offensiva, temeraria ; vim tollit motivi seu incentivi ad inflamman-dum Dei amorem efflcacissimi : et excludit è numéro perfectorum, Mosem, Psalmistam ac Apostolum, qui, quod de Mose ac de Psalmistâ observât concilium Tridentinum (2), remune rationis,

 

(1) Sess. VI, c. XVI. — 2 Sess. VI, c. XI ; Hebr., I, 27; Psal. CXVIII, 102 ; I Tim., VI, 8.

 

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retributionis et coronae intuitu egerunt, et sese ad currendum in stadio adeôque ad amandurn cohortati sunt.

 

III PROPOS.

 

L'âme résignée... soumet et subordonne ses désirs intéressés à la volonté de Dieu, qu'elle préfère à son intérêt.... L’âme indifférente.... n'a plus de désirs volontaires et délibérés à soumettre.... Elle n'a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce. (P. 49, 80.)

 

Haec propositio, quatenùs à statu perfecto, seu sanctae, ut auctor loquitur, indifferentiee, excludit desideria voluntaria ac deliberata proprii boni, etiam ea quae voluntati Dei subjecta et subordinata sint, falsa est, erronea et vicina damnatis erroribus Molinosi

 

IV PROPOS.

 

En cet état on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts ; mais on le veut d'une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu'il veut, et qu'il veut que nous voulions pour lui. (Pag. 52, S3.)

Le pur amour.... fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l'unique principe et l'unique motif de tous les actes délibérés et méritoires.  (P. 272.)

Hae propositiones, quae motiva omnia, alia ab unico motivo amoris puri, et ipsum desiderium salutis, ut est propria salus ac merces aeterna, à statu perfecto excludunt, et solam in eo admittunt voluntatem et unicum motivum, ut glorificetur Deus et voluntas ejus impleatur ; falsae sunt, erroneœ, adversee concilio Tri-dentino, et injuriosae in eos sanctos, qui, eodem teste concilio (2), sese ad currendum in stadio cohortando, cum hoc ut imprimis glorificetur Deus, mercedem quoque intuentur aeternam.

 

V PROPOS.

 

il ne faut supposer ces épreuves extrêmes que dans un très-petit

 

1 Molin. prop. 12. — 2 Sess. VI, cap. XI.

 

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nombre d'âmes très-pures et très-mortifiées, en qui la chair est depuis longtemps entièrement soumise à l'esprit. (P. 76.)

Hœc propositio, quatenùs aliquos sic verè supponit in quibus caro à longo tempore omninô subdita sit spiritui, falsa est, temeraria, adversa et injuria Apostolo, qui et testatur de seipso videre se legem in membris suis repugnantem legi mentis suae, et de omnibus generaliter pronuntiat quôd caro concupiscit adversùs spiritum; quinquagesimœ quintœ è damnatis propositionibus consona, et ex quâ periculum est, ne quis idem colligat quod ex illâ inferebant beguardi et beguinœ, de homine statum perfectionis assecuto sic asserentes (1) : Tune sensualitas ita est perfectè spiritui et rationi subjecta, quod homo potest liberè concedere corpori quidquid placet.

Caeterùm déclarant doctores infrà scripti se hàc generali lege, quâ homo quisque post apostolum Paulum fateri se tenetur carnalem, venumdatum sub peccato, nolle comprehendere beatam Virginem Mariant Dei Genitricem, propter honorem Domini.

 

VI PROPOS.

 

Il est constant que tous les sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d'ordinaire sur la béatitude éternelle, sont conditionnels :.. mais ce sacrifice ne peut être absolu dans l'état ordinaire. Il n'y a que le cas des dernières épreuves, où ce sacrifice devient en quelque manière absolu. Alors une âme peut être invinciblement persuadée d'une persuasion réfléchie, et qui n'est pas le fond intime de la conscience, qu'elle est justement réprouvée de Dieu.... Il n'est pas question de lui dire le dogme précis de la foi sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, et sur la croyance où nous devons être qu'il veut sauver chacun de nous en particulier.... C'est alors que l’âme est divisée d'avec elle-même. Elle expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité.... Un directeur peut alors laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu. (P. 87 et suiv.)

Doctrina his verbis, et toto propè articulo decimo contenta,

 

1 S. Anton., in III part. Hist. tit., II, cap. III.

 

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falsa est, et ut verba sonant, sanae doctrinae ac catholico dogmati adversa, impia et perniciosa in praxi. Eô reducitur, ut anima quœ prse nimiâ perturbatione sibi ipsi invincibiliter et involuntariè persuadet persuasione reflexâ reprobatam se esse à Deo et juste condemnatam, huicce reprobationi, justa} condemnationi et aeternse beatitudinis jacturœ, simpliciter, absolutè, simulque libéré, et data à directore venià, acquiesçât seu consentiat. Hoc autem nihil aliud est quàm ex involuntariâ impressione desperationis in voluntariam desperationem labi, et deliberato consentire odio Dei, et aliis diris ac tetris malis, quae reprobationis ac justœ condemnationis nominibus, quibus auctor utitur, continentur.

Est vero haec doctrina eô perniciosior in praxi, quôd gravissimo malo, hoc est tentationi ac probationi extremae, remedium non tantùm consulat ipso malo gravius ac periculosius, sed et excludat utilissimum ac propè unicum. Vetat auctor, seu saltem inutile esse pronuntiat, sic tentatœ ac probatae animse proponi dogma de voluntate Dei quâ vult omnes homines salvos fieri, et de fiduciâ quâ unusquisque nostrum tenetur id persuasum habere, voluntatis Dei esse ut salvetur : quod contra docent theologi tum maxime exercendos esse actus fidei ac spei, cùm gravis est tentatio in fidem et spem. Hoc prsestabat Propheta, qui animi perturbationem, dum dicebatur illi per singulos dies : Ubi est Deus tuus? hâc responsione frangebat atque vincebat : Quare tristis es, anima mea, et quare conturbas me? Spera in Deo, quoniam adhuc confitebor illi (1). A quâ regulâ dum aberravit, damnatus est Molinosus, qui sic scripserat, prop. XXXVII : « In occasione tentationum etiam furiosarum, non debet anima elicere actus explicitos virtutum oppositarum, sed débet in supradicto amore et resignatione permanere. »

Specialem animadversionem et notam adhuc merentur ea verba, quibus Christi exemplum et voces (2) adducuntur ad exhibendum et astruendum statum animae in extremis probationibus poste, invincibiliter persuasœ persuasione reflexâ reprobatam se esse à Deo, et cui inest proptereà impressio involuntariâ desperationis ; quod quidem pias ac religiosas aures offendit.

 

1 Psal. XLI, II, 12. — 2 Deus meus, Deus meus, etc., Matth., XXVII, 46.

 

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VII PROPOS.

 

Chaque âme pour être pleinement fidèle à Dieu, ne peut rien faire de solide ni de méritoire que de suivre sans cesse la grâce, sans avoir besoin de la prévenir. Il est vrai qu'on doit se préparer à recevoir la grâce, et l'attirer en soi ; mais on ne doit le faire que par la coopération à la grâce même. La fidèle coopération à la grâce du moment présent, est la plus efficace préparation pour recevoir et pour attirer la grâce du moment qui doit suivre... Tout ce qu'on pourrait ajouter à cette coopération, bien prise dans toute son étendue, ne serait qu'un zèle indiscret et précipité, qu'un effort empressé et inquiet d'une âme intéressée pour elle-même, qu'une excitation à contre-temps, qui troublerait, qui affaiblirait, qui retarderait l'opération de la grâce.... Cette action inquiète et empressée est ce que les bons mystiques ont nommé activité, etc. (P. 97 et suiv.)

 

Haec verba, et alia plura articuli undecimi, eô tendere videntur ut negent animas, quae perfectionis statum adeptae sunt, disponere se et excitare ad ulteriorem gratiam, per desideria, orationes et alios motus et conatus proprios à gratià praeparatos et adjutos. Hoc autem sensu intellecta favent mentium otiosarum inertiae, et continent doctrinam falsam, periculosam, erroneam, alienam à doctrinâ sancti Augustini, imô concilii Tridentini (1), docentis hominem se praeparare et disponere, ut ad justificationem ipsam, assentiendo Deo excitanti et vocanti, sic ad perseverantiam et augmentum gratiae, videndo ne cadat, et cum timoré ac tremore salutem suani operando in laboribus, in vigiliis, etc.

 

VIII PROPOS.

 

La partie inférieure (en Jésus-Christ) ne communiquait pas à la partie supérieure son trouble involontaire. (P. 122.)

Haec propositio, quae admittit in Christo perturbationem involuntariam partis inferioris, falsa est, blasphéma, verbo Dei contraria, adversa sanctis Patribus, et jam olim rejecta tanquam abominabilis à concilio sexto generali, quod actione XIII recepit

 

1 Nec adjuvari potest, nisi qui etiam aliquid sponte conatur. S. Aug., lib. II de Pecc. merit., c. V; Conc. Trid., sess. VI, can. 22, et cap. XIII.

 

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ut cum verà fuie convenienteni, apostolicisque ac sanctorum atque probabilium Patrum doctrinis parem, Epistolam synodicam Sophronii Hierosolymitani, actione XI lectam, in quâ hœc nota inuritur propositioni eidem.

 

IX PROPOS.

 

Les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et réfléchie de Jésus-Christ en deux temps différents.... Premièrement, dans la ferveur naissante de leur contemplation.... Secondement, une âme perd de vue Jésus-Christ dans les dernières épreuves.... Hors ces deux cas, l’âme la plus élevée peut dans factuelle contemplation être occupée de Jésus-Christ, rendu présent par la foi. (P. 194 et suiv.)

Haec verba, quatenùs perfectionem, seu viam ad illam ita describunt, ut significent animam duobus diversis temporibus non posse Christum sibi praesentem exhibere per fidem ; falsa sunt, erronea, contumeliosa in Christum, summè noxia animabus quae tendunt ad perfectionem; et eô magis damnanda, quôd hanc actualem fidem in Christum duobus hisce temporibus excludant, quibus est maxime necessaria.

 

X PROPOS.

 

Cet abandon n'est que l'abnégation ou renoncement de soi-même que Jésus-Christ nous demande dans l'Evangile, etc. (P. 72.)

La mort spirituelle dont tant de saints mystiques ont parlé après l'Apôtre, qui dit aux fidèles : Vous êtes morts, n'est que l'entière purification ou désintéressement de l'amour. (P. 228)

L’âme transformée est l'homme spirituel,  dont parle saint Paul, etc. (P. 258.)

 

Hae, et aliae quae in libro reperiuntur propositiones, in alienum sensum detorquent Christi et Apostoli verba ; et ea loca ad paucas animas perperam coarctant, quorum alia ad justos, alia ad christianos omnes, et textus ipse sacer, et traditio Patrum extendunt.

 

XI PROPOS.

 

Alors on exerce toutes les vertus distinctes, sans penser qu'elles

 

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sont vertus : on ne pense en chaque moment qu'à faire ce que Dieu veut, et l'amour jaloux fait tout ensemble qu'on ne veut plus être vertueux, et qu'on ne l'est jamais tant que quand on n'est plus attaché à l'être. (P. 225.)

Les âmes transformées peuvent utilement, et elles doivent même, dans la discipline présente, confesser les fautes vénielles qu'elles aperçoivent. En se confessant elles doivent détester leurs fautes, se condamner et désirer la rémission de leurs péchés, non comme leur propre purification et délivrance, mais comme une chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire. (P. 241.)

Cùm virtus essentialiter bona sit, et œternœ Dei rectitudini ac justitiœ conformis, peccatum autem inordinationem essentialem, et oppositam eidem Dei rectitudini ac justitiœ œternae deformita-tem contineat : hoc odisse et excludere debemus, non tantùm quia Dei voluntate vetitum est, sed etiam quia suà nos inordinatione ac deformitate maculât, déformât, reddit et ab ordine alienos ; illam autem amare et sectari, non tantùm quia id volitum est et prœceptum à Deo, sed etiam quia bonos et perfectos nos efficit sicut Pater noster cœlestis perfectus est. Quare hœ duœ propositiones, quatenùs asserunt animas perfectas nec virtutem amare quia virtus est, nec peccatorum remissionem desiderare tanquàm propriam purificationem et liberationem, sunt falsœ et erroneœ, rénovant damnatam doctrinam Molinosi (1), et plané re-cedunt à communibus et certissimis placitis theologorum, qui eum sancto Thoma (2) docent animam quidem, ubi ad perfectum charitatis statum pervenit, principaliter intendere ut Deo inhœreat et fruatur, sic tamen ut non negligat curam recedendi à peccato et in bono profleiendi.

 

XII PROPOS.

 

Quoique cette doctrine du pur amour fût la pure et simple perfection de l'Evangile, marquée dans toute la tradition, les anciens pasteurs ne proposaient d'ordinaire au commun des justes que les pratiques de l'amour intéressé. (P. 261.)

Il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour, que quand Dieu par l'onction intérieure commence à ouvrir le

 

1 Prop. XII. — 2 S. Th., I II, q. 24, art. 9. in corp. et ad 3.

 

 

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cœur à cette parole, qui est si dure aux ames encore attachées à elles-mêmes, et si capable ou de les scandaliser, ou de les jeter dans le trouble. (P. 35.)

Hœc propositio falsa est, temeraria, traditioni et antiquis Pastoribus seu sanctis Patribus injuria et ad versa, erronea, et periculosa prœsertim in duobus. Primo, quod puram et simplicem perfectionem, in Evangelio et ab universa traditione propositam, constituât in statu quodam, qui fidelium ac justorum vulgo celari debeat ne scandalizentur aut turbentur ; cùm è contra perfectionem, etsi pauci assequantur, omnibus tamen proponendam exemplo suo Christus et apostoli demonstraverint : deindè quod, mutato licèt nomine, occultam quamdam et arcanam traditionem admittat, iis solùm familiarem qui sunt in statu perfectissimo.

Propositionibus quidem istis plures aliœ potuissent adjungi ex eodem libro depromptœ, seu quœ in idem incidunt, seu quœ suspectam aliundè doctrinam involvunt, et pariter impingunt in quietismum : ubi et argui potuisset silentium quo liber, in texendâ spuriorum mysticorum serie, gnosticos nominatim recensens, beguardos et illuminatos in Andalusià sœculo proximè elapso grassatos, Molinosum non appellat, nec alios œtatis nostrœ, ab Ecclesià quantumvis damnatos.

His tamen omissis, duo hic tantùm addenda censent doctores infrà scripti : primum, errata propè omnia quœ hic arguuntur, non semel haberi in libro, sed ubique sparsa esse ; ipsum insuper ut plurimùm, variis hinc indè ambagibus intricatum, sœpè pugnare secum ipso, et tôt eum aliquando subtiliores prœcisiones ingeminare ad explicandum quod proponit, ut id à legentibus minime percipiatur, sed totam mentis aciem fugiat inter legendum, et evanescat ; eum deniquè nonnunquàm eo verborum anfractu obvolutum esse, ut vix deprehendi valeat quô ducat, et quid verum inter et falsum discriminis instituât.

Deindè spectasse se et expendisse librum unum ut se habet, et excerptas propositiones prout sonant, ac in sensu obvio et naturali, qui è lectione contextùs, sive eorum quœ antecedebant et

 

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sequebantur, visus est iis genuinus loci sensus, et a legentibus statim arripiendus.

Datum in Sorbonà, decimo septimo kalendas novembris, anno Domini millesimo sexcentesimo nonagesimo octavo.

Subscripserunt : Guischard, Becanus. — Saussoy. — Gobillon. — De Lameth. — Boucher. — Petitpied. — Germain, Carm. — Chanu. — Frassen, Min. — Robine, Aug. — Le Feuvre, Ex-Synd. — Roy-nette. — Jollain, Synd. — Blampignon. — Le Gros, Aug. — Régnier, Min. — Roussel, Aug. — Malet, Carm. — Hydeux. — De Lescolle. — Chaussemer, Prœd. — Rabouin. — Durieux. — Alexandre, Prœd. — Le Bas. — Caignart, Min. — Valtrin, Aug. — Varet. — Le Breton. — Lambert, Carm. — Garson, Ex-Synd. — Anquetil. — Herlau. — Jollain. — De Rosset. — De Lamet. — Chenu. — Des Hayettes. — Vivant, Prom. — Secousse. — Tournely. — De la Coste. — Brunet, Carm. — Vivant. — Favart. — Le Moyne. — Grange, Aug.— Davolé.— Duval, Min. — Vuitasse. — Le De-mieux, Carm. — Petitpied. — De la Pierre. — Maillard. — Pert, P. Aug. — Le Tonnelier, Victor. — Gueston, Victor. — De Combes. — Brillon.— Danes. —Pirot, Cancell. — Auber. — Courcier. — De la Geneste. — Bornât. — Navarre. — De Bourges. — Soulet. — Dreuille. — Lattaignant. — Aubin. — Le Fée. — Pillaut. — Cottin. — Dupin. — Langlois. — Pinsonat. — De la Roche. — Chauvin. — Paris. — Mabille. — Menassier. — Deslondes. — L'Herminier. — Boudet.—Thureau. —Langevin. — De la Court. — Franquerue. — Petit. — Veron. — Tarboicher. — De Francine. — Nau. — Santeuil. — Valon.—Poignant. — Gayot. — Clarentin. — Compain. — De la Chastegneraye. — De Breton. — Héron. — Germain. — Tullou. — Thiret. — Joan. Boileau. — Leullier. — Masson. — Boivin. — Borrey. — Besancourt. — Grivel. — Lambert. — Binet. — De Bordeaux. — De Voulges. — D'Asfeld. — D'Estrées. — Rigal. — Chappellas. — Esnault. — De Fourcy. — De la Chastre. — Le Sueur. — G. Brunet. — Nolet. — Triboulart. — Le Gendre. — Ruffin. — Le Beau. —Milanges. — D'Argenson. — De Bragelogue. —Trencart. —Montmignon. — Cordelier. —Corneille. — Gerin. — Carré. — Urbain. — Baudin. — Renault. — Potier. — Lebert. — Du Breuil. — Menedrieux. — Bossy. — Bonnet. — Du Ruel. — Rocheblanche. — Gillet. — Le Blond. — Porhé. — Pille. — Pierre. — Pecquot. — Le Roux. — De Caylus. —  Mariau. — Desmoulins. — Hennequin. — J. Leullier. — Fagon. — Dufour. — Pastel. — Jans. — Menard.— Fontaines. — Morel. — Le Tort. — Jacquot. — De Amicis. — Prioux. — Perrin. — Mansel. — Pajot. —

 

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Drujeon. — Glatigny. — Gerbais. — Roulland. — Neveu. — Dubois. — Le Comte. — De Gouè. — Carnet. — Bourgain. —

Caumartin. — Majainville. — DeTargny. — Bonnet. — Coullin.— Le Paige. — De Baylle. — Tontart. — De la Mare. — L'Aisne. — Pocquelin. — Francelles. — Angheart. — Lambert. — Molin. — Bordier. — Fleury. — G. de la Mare. — Cambefort. — Jac. Boileau. — Lucas de Muyn. —De Massac. — d'Amoresan. — Courtin.

— Kelly. — Choart. — Brunet de Beaugerais. — Habert. — Tuai.

— Begon. — Morand. — Desprez. — Le Franc. — De Beauveau.

— De Matha. — De Risaucourt. — Gaucher. — Guillerox. — Puilon. — Canault. — Ravechet. — Fourquemin. — F. A. d'Herouval.— L. d'Herouval. — Phelipeaux. —De la Roche Jaquelin. —Laborie.

— De Benoist. — B. Gaitte. — Fr. Cottin. — Dalpe. — Du Crevy.

— Le Fevre. — Fraier. — Cornuau. — Duprè. — D'Armaillé. — LePescheur.— Hurel. — Thebete. — Michel. — Duvivier. — Le Rouge (a).

 

LETTRE CCCLXXIII. L'ABBÉ BOSSUET  A  SON  ONCLE. Rome, ce 28 octobre 1698.

 

Je n'ai point reçu de vos nouvelles par le courrier, parce que vos lettres du 5 de ce mois sont venues par un courrier extraordinaire de M. le cardinal de Bouillon, comme vous l'avez vu par les lettres de l'ordinaire passé.

Voici bientôt le temps que les congrégations de Messieurs les cardinaux recommenceront entre eux et en présence de Sa Sainteté. Le 6 du mois prochain les congrégations du jeudi recommenceront devant Sa Sainteté; et je ne doute pas que le Pape, outre la congrégation du mercredi, ne fasse tenir dans la semaine une congrégation extraordinaire, afin que Messieurs les cardinaux puissent agiter les matières entre eux, et convenir de la manière dont ils s'y prendront pour réduire les propositions. Ils

 

(a) Cette censure n'avait d'abord été signée que de soixante docteurs; mais comme les partisans de M. de Cambray, pour empêcher l'effet qu'elle pou voit produire, débitèrent à Rome que ces docteurs particuliers avaient été surpris ou gagnés par les adhérents de M. de Meaux, afin de confondre toutes ces suppositions calomnieuses, on se détermina à prendre les signatures de tous les docteurs qui se trouvaient à Paris, qui les avaient déjà offertes, et qui les donnèrent avec empressement, (Les premiers édit.)

 

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ne sauraient mieux faire que de les réduire aux principaux chefs, de délibérer sur un chef dans chaque congrégation, et de donner ensuite par écrit leur jugement sur la doctrine de ce chapitre. Après avoir examiné ainsi chaque chef principal, apparemment on chargera quelqu'un de réduire les propositions à celles qu'on jugera essentielles et suffisantes, et qu'on voudra mettre dans la Bulle. Je vois que l'intention de M. le cardinal Casanate est qu'on procède ainsi. M. le cardinal de Bouillon fera bien ce qu'il pourra pour embrouiller; mais j'espère que ce sera inutilement, et qu'à la fin on se résoudra à faire bien.

Le sacriste n'a pas encore donné son vœu sur toutes les propositions. M. le cardinal de Bouillon a voulu qu'il vît tous les autres vœux, pour les réfuter apparemment. Nous savons sûrement que le sacriste les a eus tous par le canal de M. le cardinal de Bouillon, et c'était en partie ce que portaient ici les gens que M. le cardinal de Bouillon envoyait les soirs à Borne. Il a entrepris de soutenir ses premiers engagements : il n'en demeurera pas là; mais j'espère que tous les efforts de la cabale seront inutiles.

J'ai eu, comme je vous l'ai mandé, une longue conversation avec M. le cardinal Casanate sur nos affaires; et comme ce cardinal veut servir efficacement, il convint avec moi, persuadé plus que jamais qu'il y va du service de la religion et de l'Eglise, de prendre une occasion naturelle qu'il avait d'aller au Pape, pour lui parler ensuite de ce qui regarde M. de Cambray. Il exécuta ce dessein deux jours après notre entrevue, et parla très-fortement à Sa Sainteté. Je l'ai su de plusieurs endroits dignes de foi. M. le cardinal Casanate m'a assuré des bonnes intentions du Pape, et je vois que cette conversation lui a donné un nouveau courage, comme de son côté le Pape est encore mieux disposé depuis qu'il a entendu le cardinal Casanate. Je sors de chez lui, et je le vois plus résolu que jamais à faire quelque chose de bon. Je crois qu'il est de la prudence de les laisser commencer à qualifier quelques propositions essentielles ; après quoi, quand ils se seront engagés, on tâchera petit à petit de les conduire au point que l'on désire, et d'obtenir une condamnation complète, sans ménagement; ce qui est seul digne du saint Siège, et à quoi il

 

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faut que le roi et le nonce nous aident par les voies qu'ils croiront convenables.

J'eus avec le cardinal Panciatici une conférence très-longue, il y a quatre jours. Je connais son caractère, et je tâchai de ne rien oublier pour lui faire connaître la vérité. Il serait trop long de vous rendre compte du détail de notre entretien : il sufit de vous dire que ce cardinal me parla comme je pouvais le souhaiter. Il me déclara franchement qu'il ne saurait souffrir ni la doctrine de M. de Cambray, ni la manière avec laquelle il avait écrit et défendu son livre. Il m'avoua la partialité de M. le cardinal de Bouillon, qui ne se contentait pas d'applaudir aux qualificateurs favorables à M. de Cambray, mais qui voulait encore forcer les autres cardinaux à les approuver. Il m'en a parlé comme d'une chose scandaleuse. Il connaît la disposition du roi et des évêques, et m'a témoigné vouloir particulièrement en cette occasion manifester son inclination pour le roi et pour la France. Ces sentiments m'ont fait beaucoup de plaisir, mais ne m'ont pas surpris; car des gens sûrs m'avaient averti que la division des examinateurs lui faisait de la peine, et cela est vrai. Au reste il est persuadé que ce n'est pas par là qu'on doit juger de la contestation, et il demeure d'accord que cette division est le seul embarras de cette affaire; c'est pourquoi il est résolu de bien faire voir au Pape comment on a abusé de sa facilité, et de quelle conséquence sont de pareilles injustices. M. Giori lui a encore parlé depuis moi, parce que j'étais bien aise de connaître par d'autres ses véritables sentiments; et M. Giori m'a confirmé dans le jugement que j'en avais porté.

Pour le cardinal Nerli, je ne puis vous dire avec quelle franchise il m'a parlé, et combien il s'est expliqué nettement. Je l'ai mis sur l'article de l'amour pur et le cinquième état. Il en pense tout ce qu’il faut, nous avons approfondi la matière. Il m'a montré des extraits qu'il a faits, par lesquels j'ai bien vu l'attention qu'il a à cette affaire. Il lisait actuellement les dernières lettres de M. de Cambray à M. de Chartres, et y trouvait de grands arguments contre ce qu'il dit dans son livre des Maximes, et de grandes contradictions. Sa fureur à soutenir son amour naturel l'étonné,

 

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et l'affermit dans ce qu'il en croit. Comme ce cardinal passe pour un honnête homme et sincère, je commence à y faire quelque fond, d'autant plus que je sais d'ailleurs qu'il s'en explique dans les mêmes ternies, et qu'il y a trois mois qu'il me parloit bien différemment.

J'ai vu le cardinal Noris un moment : il m'a dit que les dernières lettres à M. de Chartres étaient bien hardies, et faisaient bien connaître l'auteur. Ce qu'il dit de Moïse et de saint Paul, cités par le concile de Trente, l'a fort choqué.

On dit que le Pape a chargé trois cardinaux de faire chacun un modèle de bulle, et que ces trois cardinaux sont Noris, Albane et Ferrari : mais il n'y a rien de sur là-dessus, et je ne doute pas que chacun ne travaille de son côté.

L'archevêque de Chieti déclare à bien des gens que s'il avait à refaire son vœu, il le ferait contraire à M. de Cambray, dont il reconnaît à présent les erreurs. Tout cela ne sert plus de rien, et il faudrait qu'il fit connaître plus hautement et d'une manière plus authentique ses sentiments, s'ils sont véritables. Mais je crains que ce ne soit par politique qu'il s'explique à présent ainsi, dans la vue de regagner l'estime de la France. Le P. Pera a eu audience du Pape hier : il est tombé sur M. de Cambray, et le Pape lui a dit qu'il voulait qu'on ne perdit pas de temps, et finir dans le mois de novembre. Le Pape a ajouté que le livre était plus pernicieux encore pour les catholiques que pour les hérétiques ; c'est ce que rapporte le P. Pera.

M. Poussin continue à faire des merveilles. Il a eu avec le cardinal Spada une conversation sur cette affaire, dont il m'a rendu compte. Je vous prie de le faire un peu valoir dans l'occasion, surtout auprès de MM. de Torci et de Pomponne, et de M. No-blet son prédécesseur dans le même emploi auprès du cardinal de Janson.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me doute qu'il faut que vous vous armiez de patience à l'égard de M. de Paris : mais il le faut, et néanmoins ne pas perdre d'occasion de le faire connaître à Madame de Maintenon et au roi. M. de Paris m'écrit comme ayant peur que je ne me fie à M. le cardinal de Bouillon :

 

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mes lettres le pourront désabuser là-dessus, s'il veut bien y faire réflexion.

Nous avons été depuis huit jours, Monseigneur Giori et moi, deux fois à Frescati, dîner chez M. le cardinal de Bouillon, qui nous a reçus à merveille : nous sommes allés et revenus ensemble le même jour. Nous ne nous fions ni plus ni moins à M. le cardinal de Bouillon, ni M. le cardinal de Bouillon à nous, comme vous le pouvez croire. Heureusement pour nous, le Pape connaît M. le cardinal de Bouillon, et le méprise.

M. le cardinal de Bouillon croit n'avoir pas de plus cruels ennemis que Monseigneur Giori et moi. Il espère néanmoins pouvoir par ses finesses parvenir à nous tromper : jusqu'ici il n'y a pas réussi. L'arrivée de l'ambassadeur fera mourir de déplaisir M. le cardinal de Bouillon.

La fureur des moines, des Jésuites et de la cabale, tombe sur vous à Rome comme à Paris.

Envoyez-nous un modèle de bulle, et les propositions réduites sous chaque chef aux points principaux et clairement mauvais.

 

LETTRE CCCLXXI V. BOSSUET  A   SON  NEVEU   (a). A Meaux, 2 novembre 1698.

 

J'ai reçu ici, en y arrivant vendredi pour la Toussaint, votre lettre du 14 octobre. Je retourne demain à Fontainebleau, dont je ne partirai qu'avec le roi. Je repasserai par ici, et ne tarderai pas d'aller à Paris.

Il me tarde que j'aie nouvelle de l'arrivée de ma réponse. Si le courrier a tenu parole, vous avez dû l'avoir il y a quinze jours. Je puis vous assurer qu'elle fait ici un prodigieux effet pour la bonne cause, et contre M. de Cambray. M. l'abbé Régnier achève sa version à la campagne. Je lui ai envoyé copie de l'article de votre lettre qui le regarde ; cela lui donnera courage. Je

 

(a) Revue et complétée dans l'original.

 

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lui ai mandé que quand la décision précéderait sa version, elle n'en serait que plus utile et plus recherchée.

Vous mettez la chose au vrai point de la question, quand vous la faites consister dans le pur amour du cinquième degré, au-dessus du pur amour de l'Ecole. Je me suis fort attaché à suivre cette idée dès le Summa, dans la Préface, dans le second des cinq Ecrits, et surtout dans la dernière Réponse, sur la fin il n'y a qu'à joindre à cela le sacrifice absolu et ses dépendances.

Vous aurez reçu la manière de censure signée de beaucoup de docteurs. Le P. Roslet a ordre de vous la communiquer pour la rendre publique si vous le jugez à propos : pour moi, je n'y fais nulle difficulté. J'étais dans mon diocèse, quand on l'a dressée et signée. M. de Paris me l'a envoyée : elle est très-bien, et donnée pour ce qu'elle est; c'est-à-dire, pour l'avis de beaucoup de particuliers seulement, sans autorité du corps. Elle rembarrera les cambrésistes, qui se vantent d'avoir l'Ecole pour eux, et fera voir l'uniformité de nos sentiments. Tout est dans l'esprit de la Déclaration, du Summa, des In tuto, etc. Néanmoins voyez sur les lieux avec le P. Roslet, ce que porte la disposition des esprits. J'ai vu une lettre de ce Père, qui nous rend bonne raison de l'état des choses. Faites-lui bien des honnêtetés de ma part.

Je vous indique une bulle de Jean XXII contre les erreurs d'un nommé Ekard, dominicain de Cologne, où sont condamnées vingt-huit propositions, dont plusieurs ressentent beaucoup l'esprit du quiétisme d'aujourd'hui, principalement la septième, la huitième et la neuvième : mais ce qu'il y a principalement, c'est les deux sortes de qualifications, l'une sur les erreurs précises, et l'autre sur les ambiguïtés ; qui peuvent donner des vues étant insinuées. L'histoire et la bulle en est rapportée dans Rainaldus, tom. XV, an. 1329, n. 70, 71, 72 (a). Cet Ekard était pourtant un grand spirituel, très-loué par Taulère, etc., comme le marque Rainaldus, ibid., n. 73.

Il y a quatre cents ans qu'on voit commencer des raffinements de dévotion sur l'union avec Dieu et sur la conformité à sa

 

1 Rem. sur la Rép. à la Relat., conclus., § III ; vol. XX, p. 309.

(a) Fleury a donné un exilait de cette bulle, Hist. ecclés., liv. XCIII, n. 59.

 

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volonté, qui ont préparé la voie aux quiétistes modernes. C'est pourquoi il serait très-important d'insinuer une admonition générale contre l'abus qu'on fait des pieux auteurs. Vous trouverez un modèle d'une semblable prononciation parmi mes mémoires précédents. Il faut tâcher de donner ces vues.

Il n'est pas que les deux lettres de M. de Cambray à M. de Chartres, en réponse à la Lettre pastorale, ne tombent à Rome entre vos mains. Dans la première, vous trouverez qu'il reconnaît un double sens dans son livre, l'un et l'autre soutenable, qu'à Rome même on s'est partagé là-dessus, que l'équivoque règne dans tout l'ouvrage. Je ne crois pas que jamais auteur ait fait un pareil vœu. Lisez depuis la page cinquante-cinquième jusqu'à la soixante-dixième. S'il y a deux sens soutenables selon lui, il faut qu'il y en ait un troisième, qui sera le mauvais et l'inexcusable, qui est le vrai, obvius, d'où il avoue qu'on ne sort que par des explications ambiguës.

Il faut voir aussi à la page soixante-huitième, comment il répond à la protestation qu'il avait faite de n'avoir jamais eu d'autre pensée, après avoir avoué qu'il n'avait point parlé selon la sienne. Si on n'ouvre les yeux à de semblables artifices, on veut perdre l'Eglise. Trouvez le moyen d'avoir cette lettre, qui doit être fort répandue à Rome. Faites voir ces endroits, qui sont plus forts et plus étranges que je ne vous l'ai dit.

J'ai envoyé la lettre pour M. Madot à M. le grand-duc. Pour M. de Salviati, je vous en enverrai une par le premier ordinaire, et serai ravi de servir ce gentilhomme qui a un frère ecclésiastique que j'estime fort, et qui vous a communiqué de ses lettres qui sont d'un homme habile et bien instruit.

M. le maréchal de Villeroy a pensé mourir d'un étranglement de boyaux. On lui a fait une terrible opération. On le croit hors de danger. Nous perdrions beaucoup en notre particulier, et la France encore plus.

Le départ de demain ne me donne pas le loisir de faire réponse au P. Campioni, ni à M. Phelippeaux.

 

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LETTRE CCCLXXV. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS A L'ABBÉ BOSSUET. 3 novembre 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 14, Monsieur : j'ai bien de la joie d'y voir que vous avez reçu le commencement de mes notes sur la réplique de M. de Cambray; vous aurez eu le reste par les courriers suivants. Je compte que vous en ferez l'usage qu'il faudra pour le bien de l'affaire : la réplique étant devenue si secrète, il n'est plus nécessaire que les réponses paraissent.

Nous n'avons plus qu'à souhaiter que les cardinaux travaillent diligemment, et qu'ils recommencent leurs congrégations après les fêtes, comme ils l'ont promis. Le procédé du sacriste est ridicule de toutes manières. Défendez-vous bien des coups fourrés de la cabale : elle va redoubler ses efforts et ses artifices. On tâchera de vous surprendre, si l'on peut, et de découvrir toutes vos démarches : ainsi vous devez assurément, Monsieur, vous fier à peu de gens, et tout concerter avec nos amis. Le P. Roslet se loue fort de vous : je suis bien aise que vous soyez content de lui. Il connait très-bien la Cour de Rome, et il a un grand zèle pour la bonne cause : vous pouvez sûrement prendre confiance en lui.

La nouvelle que le Pape venait de recevoir à votre dernière audience, devait lui donner du chagrin : vous fîtes très-bien de ne lui pas parler, dans cette disposition, longtemps de notre affaire.

Le compliment du P. Alfaro méritait une sévère correction : il doit avoir nui à la cause qu'il défend avec tant de chaleur.

On écrira toujours fortement de ce pays : c'est tout ce que nous pouvons faire, et prier Dieu qu'il bénisse vos soins et qu'il défende la vérité. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, et croyez que je suis à vous, Monsieur, très-sincèrement.

 

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LETTRE CCCLXXVI. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE  (a). Rome, ce 4 novembre 1698.

 

J'ai reçu par notre courrier extraordinaire, qui est arrivé ici vendredi matin, dernier du mois d'octobre, votre Réponse à M. de Cambray. Il est arrivé deux jours plus tard qu'il n'aurait fait, par des raisons qu'il m'a dites, et dont il m'a apporté de bonnes preuves : enfin il est arrivé. Il ne me paraît pas tout à fait content de ce qu'on lui a donné, protestant y avoir dépensé de son argent, et parce qu'il a été obligé depuis Fontainebleau jusqu'à Turin de prendre un troisième cheval, et parce qu'on ne lui a pas tenu compte du change de l'argent et du rabais des mon-noies. Je lui ai dit que j'examinerais le tout exactement, et qu'on ne lui ferait pas d'injustice; cela à loisir. Il sera content, à ce qu'il dit, de tout ce que je voudrai. Il serait bon de m'envoyer un mémoire exact de ce qu'on lui a donné.

Les fêtes ont empêché que je n'aie pu faire relier aussi vite que je l'aurais désiré le livre pour Sa Sainteté. J'ai pourtant si bien fait que je l'ai eu ce matin, quoique jour de fête, relié en maroquin avec les armes, et un pour le cardinal Spada. Je comptais de le mettre après dîner aux pieds de Sa Sainteté, mais elle s'est avisée de sortir, et cela a rompu toutes les mesures que j'avais prises sur cela pour aujourd'hui. J'aurais été bien aise de vous en pouvoir rendre compte par ma lettre, mais cela est remis à demain. J'ai déjà fait prévenir Sa Sainteté sur cela par Monseigneur Giori et par le cardinal Spada, à qui j'ai envoyé à midi son livre avec une lettre instructive. Tous les cardinaux du saint Office l'ont eu aujourd'hui, hors M. le cardinal de Bouillon à qui je le veux porter moi-même demain, et qui n'était pas

 

(a) Revue et complétée sur l'original. On trouvera, vers la fin de la lettre, une demande d'argent ui n'est dans aucune édition. L'abbé Bossuet avait un bénéfice.

 

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visible aujourd'hui : il se pourra faire même que Sa Sainteté l'aura devant lui. Cette Eminence ne sait pas encore qu'il n'est arrivé, ni rien du courrier. La manière ordinaire de M. le cardinal de Bouillon étant de prévenir sous main le Pape contre ce que je lui donne, je ne suis pas fâché que le Pape l'ait reçu avant que le cardinal en sache rien, le plus tard qu'il est possible.

La pièce est admirable, et telle que vos amis la pouvaient désirer. Si elle était en italien, les partisans de M. de Cambray seraient couverts de confusion, quelque effrontés qu'ils soient. Le français ne leur fera pas plaisir. Je doute que par le premier courrier nous puissions avoir nouvelle de l'effet qu'elle fera à Paris et à la Cour. Je voudrais bien que M. le nonce l'eût vue avant le lundi 20 du passé, qui est le jour d'où seront datées les lettres que nous recevrons par le premier courrier; mais nous ne pouvons pas tarder : la pièce parle par elle-même. Je vous avoue que quelque bonne opinion que j'eusse delà hardiesse à mentir de M. de Cambray, je n'aurais jamais cru que les paroles qu'il dit que vous avez dictées à Madame Guyon, des erreurs qu'elle ria-voit jamais eues, etc., fussent inventées d'un bout à l'autre. C'est là le seul prétexte de sa relation, et cela étant faux, en vérité il n'a point d'autre parti à prendre que de se cacher. Vous n'avez rien oublié dans ce dernier écrit, et tout ce qu'on peut souhaiter y est.

L'assemblée du saint Office de demain s'est tenue cette après-dînée, à cause d'une chapelle de demain qui l'empêche. On croyait avec fondement qu'on y parlerait de l'affaire de question. M. le cardinal Casanate me l'avait dit il y a huit jours, et ce matin encore : mais la sortie du Pape cette après-dînée, venue tout à coup, a obligé les cardinaux du palais d'accompagner Sa Sainteté ; et la moitié des cardinaux manquant à cette congrégation, il n'en a pas été question. M. le cardinal de Bouillon n'a pas voulu y aller. Il n'y a eu que cinq cardinaux qui y aient assisté, qui sont Carpegna, Casanate, Marescotti, Noris et Ferrari. Ils n'ont pas laissé de parler un peu entre eux de notre affaire, mais ce n'a pas été tout de bon. Pour moi, je m'imagine que le Pape souhaite peut-être qu'on en parle devant lui jeudi. Si le hasard me fait trouver

 

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Sa Sainteté demain de bonne heure, j'ai une bonne audience à avoir de lui, s'il plaît à Dieu.

J'ai reçu votre lettre du 13; celle du 17 de mon père m'a été rendue par l'extraordinaire ; vous étiez occupé ce jour-là à Meaux à recevoir Madame de Lorraine. M. le cardinal de Bouillon paraît un peu démonté et consterné. Je doute que ses manèges lui réussissent; il commence sans doute à douter du succès pour son ami. Je vois, je n'ose pas dire certainement, mais plus que vraisemblablement, l'amour pur prêt à être condamné d'erroné : tout au moins c'est là-dessus que je presse, n'étant pas en peine des autres points. L'état sera assurément condamné. Sur les actes, on ne dira rien qui puisse favoriser M. de Cambray. Il faut qu'on décide que dans la pratique les deux motifs ne sont pas séparables : sans cela je ne serai pas content tout à fait ; avec cela nous aurons tout, et l'illusion est abattue. On n'oublie rien pour éclaircir les difficultés. Les cardinaux Carpegna et Nerli se confirment tous les jours plus que jamais.

M. le cardinal de Bouillon revint hier de Frescati, et y doit retourner jeudi après l'assemblée du saint Office devant le Pape. Les cardinaux haussent les épaules sur le sujet du cardinal de Bouillon ; beaucoup disent qu'ils n'osent parler : à la fin on saura tout; on n'en sait déjà que trop. Je suis bien fâché que du côté de la Cour on ne puisse pas empêcher le cardinal de Bouillon de voter. Le P. Roslet a eu ce matin une assez longue audience du Pape : je ne sais pas encore ce qui s'y est passé; il en rendra apparemment compte à M. de Paris.

Les cardinaux étudient en vérité fortement. Tout le salut de l'affaire a été de ne les avoir pas pressés pendant le mois d'octobre, l'épée dans les reins.

La traduction de M. l'abbé Régnier est ici applaudie et admirée par les connaisseurs : vous l'en pouvez assurer. On a ses livres à Florence.

Je crois que vous trouverez bon que dans huit ou quinze jours, je tire deux mille francs sur vous. Il y a deux mois que je me passe d'argent, espérant que le change diminuerait; mais il n'y a plus moyen de vivre sans argent. Je prends sur moi, je l'ose

 

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dire, plus que je ne puis. J'avoue que quelque remise d'argent un peu considérable, me serait très-nécessaire à la fin de cette année, dans lequel temps à peu près j'ai lieu d'espérer de n'être pas éloigné de mon départ. Cette année que j'ai passée ici, sur quoi je ne pouvais compter, est cause que je suis obligé, dans l'impossibilité, de vous incommoder peut-être en m'adressant à vous; mais enfin il m'est impossible ici de subsister sans argent, même d'en trouver par moi-même. Je vous supplie de vous mettre un moment en ma place, et vous me trouverez très-embarrassé. Je me confie en vos bontés. J'avoue que j'ai autant de honte de demander à mon père qu'à vous.

Je me porte bien, Dieu merci, et espère aller jusqu'au bout. Le Pape se porte mieux que moi.

M. l'abbé Régnier se ferait un grand honneur en achevant son ouvrage, c'est-à-dire en traduisant cette nouvelle pièce.

Le sacriste ne presse pas; il n'a pas encore tout donné (a). Les cardinaux qui voient ce qu'il a donné, ne doutent pas que ce qu'ont fait les autres ne lui ait été communiqué : c'est une mauvaise réfutation. On ne doute pas de l'intelligence avec M. le cardinal de Bouillon ; elle est certaine.

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