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Clefs de correspondance

 

LETTRE CCCLIII. BOSSUET A  SON NEVEU (a). A Paris, ce 5 octobre 1698.

 

Pour réponse à la lettre du 16, j'ai impatience d'apprendre ce que la réponse à la Relation aura fait dans l'esprit. Ce qu'elle doit faire naturellement, c'est de faire connaître un dangereux esprit , qui peut tout entreprendre et tout défendre : ce qui compose le génie le plus propre à faire un hérésiarque. Dieu nous en préserve ! Un homme sans mesure, sans égards.

Je ne me fie plus à celui qui nous a donné de si belles paroles. La Réponse à la Relation a fait l'effet que M. le cardinal de Bouillon a jugé. Le parti a repris cœur, et fait les derniers efforts. J'espère que ma réponse achèvera et fera sentir le caractère. Elle sera achevée d'imprimer dans cette semaine. On la met en même temps en italien. J'enverrai l'une et l'autre par exprès.

Je vais à Meaux. A Faremoutiers le 19, et de là le lendemain à Fontainebleau.

On dit ici que le cardinal d'Aguirre ne va pas trop bien, non plus qu'Albane et le cardinal Nerli. Je vous ai envoyé pour le dernier Quœstiuncula, qui répond à son argument de actibus imperatis. Vous trouverez un errata, qui indique les fautes qu'il faut corriger à la main.

Je suis bien aise que vous ayez vu M. le bailli de Noailles. Il

 

(a) Revue sur l'original.

 

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est certain que M. de Monaco viendra à la Cour avant Rome, et y sera au retour de Fontainebleau.

Je serai attentif à l'affaire du P. Charonnier.

Nous ne sommes pas d'avis ici de rien faire insinuer sur la mention qu'on pourra faire du clergé de France dans le décret, de peur qu'on ne nous dise des choses quœ invidiœ forent. Il faut être fort délicat là-dessus par rapport au saint Office. Jansénius est le modèle, et si après la bulle on prohibait les livres particuliers , comme je vous l'ai autrefois mandé, comme on fit alors cela serait bien. M. de Cambray a fait trois lettres contre ma réponse à quatre, et deux contre M. de Chartres , que je viens de recevoir.

Je n'ai pas le loisir de faire réponse à M. Phelippeaux. M. l'archevêque de Séville a déjà fait écrire la même chose par M. le cardinal d'Estrées.

 

LETTRE CCCLIV. LE CARDINAL D'ESTRÉES A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, 6 octobre 1698.

 

Je vous dois, Monsieur, beaucoup de grâces de la part que vous prenez à ce qui me touche, et de celle que vous voulez bien me donner de ce qui se passe à Rome sur l'affaire dont vous êtes chargé. Le discours que vous avez fait à Sa Sainteté m'a paru, non-seulement judicieux, mais, ce me semble, nécessaire dans la conjoncture. Il a été vu ici et approuvé : on me l'avait communiqué ; et ceux qui l'ont exigé de vous, vous ont obligé en le demandant. Ce que j'ai fait sur votre sujet n'est point un mérite à votre égard ; c'est un simple témoignage que j'ai rendu à la vérité , et que d'ordinaire en ordinaire toutes mes lettres me confirmaient. J'avoue que je l'ai fait, irrité contre les impostures qui, grâces à Dieu, ont été pleinement connues.

Un homme de votre talent et neveu de M. de Meaux doit être persuadé que, non-seulement je ferai justice à ce qu'il mérite,

 

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mais que je serai toujours avec passion, Monsieur, votre très-affectionné serviteur.

 

Le cardinal d'ESTRÉES.

 

LETTRE CCCLV. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. Ce 6 octobre 1698.

 

Le retour du roi de Compiègne et son départ pour Fontainebleau m'ont tellement accablé d'affaires, que je n'ai pu, Monsieur, vous écrire les deux derniers ordinaires : je vous en fais mes excuses, et vous prie de croire que j'en suis très-fâché.

Je vois par votre lettre du 16 que nous en avons jusqu'au mois de novembre, les cardinaux ayant pris celui-ci pour leur villégiature : je n'en suis point surpris, et n'en serai point fâché, si Dieu nous conserve le Pape, et si dans ce temps-là nous avons une bonne qualification. Il est certain que ce nouveau retardement est une nouvelle raison pour la faire ; car il serait bien honteux qu'après avoir tenu en suspens si longtemps toute l'Eglise, il parût qu'on n'ose prononcer sur la doctrine, et qu'on ne fît qu'une simple prohibition. Représentez-le bien, s'il vous plaît, aux cardinaux et au Pape même, quand vous aurez audience.

Les cambrésiens répandent partout que vous avez prié Sa Sainteté de différer le jugement : M. de Cambray le dira encore plus haut ; mais il faut leur laisser dire et écrire ce qu'ils voudront, et aller son chemin. Il est bon pour cela d'attendre en patience le mois de novembre, de vous tenir clos et couvert jusque-là, de ne guère parler à ceux dont vous n'êtes pas entièrement sûr, et surtout de vous défier du cardinal de Bouillon. Il est certain qu'il fera rage, tant qu'il pourra, le reste de ce mois : voici le coup de partie. L'amitié, aussi bien que le dépit de l'ambassadeur, lui fera tout faire pour sauver son ami ; ainsi ne vous ouvrez à lui que le moins que vous pourrez.

Vous avez bien fait de rendre compte de l'affaire à M. de Monaco. On l'attend à Fontainebleau : je l'entretiendrai à fond sur

 

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cette affaire ; mais j'espère, quoiqu'on soit résolu de le faire partir le plus tôt qu'on pourra, qu'il la trouvera finie.

Ne vous fiez pas non plus à ce M. Zeccadoro (a) : les gens qui changent si facilement ne sont pas sûrs. Je me recommande à l'honneur de vos bonnes grâces, et suis toujours à vous, Monsieur, comme vous savez.

Je dirai ce qu'il faudra sur le retardement dont on vous accuse.

 

LETTRE CCCLVI. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 7 octobre 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Compiègne le li septembre. J'attends non-seulement par votre courrier qui viendra apparemment bientôt, mais encore par l'ordinaire prochain, la réponse précise du roi sur le Mémoire signé de moi, que M. le cardinal de Bouillon a envoyé à Sa Majesté ; et je ne doute point qu'il ne soit approuvé là-bas comme il l'a été ici. Je sais que M. le cardinal de Bouillon a voulu donner à entendre que mon dessein était de retarder le jugement de celte affaire, non-seulement par ordre des évêques, mais encore pour avoir un prétexte de rester à Rome, d'attendre un conclave et l'année sainte. Cela est pitoyable ; mais je n'en puis douter : c'est M. Poussin son secrétaire qui me l'a dit, pour me montrer la malignité de cette Eminence. Je ne veux pas seulement me défendre là-dessus, ni me justifier; car les actions parlent, et j'ose dire que sans moi le rapport des qualificateurs n'aurait peut-être pas été fini de six mois. A présent que l'on voit la santé du Pape affermie, et qu'on craint qu'on ne frappe fort, on voudrait pouvoir éviter le coup qu'on redoute, en précipitant. On appréhende

(a) L'abbé Bossuet écrivait à son oncle, sous la date du 16 septembre : « M. de Zeccadoro, comme vous savez, était un de vos admirateurs; mais depuis un an qu'il a vu M. la cardinal de Bouillon , il est devenu le plus zélé partisan de M. de Cambray et son plus grand panégyriste. » Voir la lettre CCCXLVI. — (b), Revue sur l'original depuis ces mots du troisième alinéa : Le cardinal Nerli s'est expliqué, jusqu'à ceux-ci du neuvième : Je veux faire ce plaisir à M. de Paris. Le commencement et la fin de la lettre manquent dans l'autographe.

 

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encore les approches de l'ambassadeur, quelque semblant qu'on fasse de ne pas s'en inquiéter. Il serait bien à souhaiter qu'il fût ici à l'heure qu'il est ; et quoique les vœux se forment présentement, et que les résolutions seront prises vraisemblablement avant le mois de décembre, son arrivée ne pourrait que beaucoup servir à la finale conclusion. Je suis assuré que sa présence fortifierait nos vieillards, qui ne laissent pas d'avoir peur, et de ne croire qu'à ce qu'ils voient. Le bon cardinal Casanate m'a dit ce matin : Mais que n'envoie-t-il toujours son majordome? Que n'arrête-t-il un palais? J'ai pris la liberté de l'assurer là-dessus que j'étais persuadé qu'il logerait plutôt en chambre garnie que de ne pas venir. M. le cardinal de Bouillon fait bien valoir l'assurance qu'il a, dit-il, de rester chargé des affaires du roi, et que l'ambassadeur aura ordre de suivre ses avis en tout : ce serait pis que protecteur, si cela était ainsi. Je comprends bien qu'il n'en aura peut-être que le nom : mais il le fait bien valoir; et avant qu'on ait ici démenti le fond, ces propos ont leur effet.

Les cardinaux ne perdent pas un moment de temps : ils se plaignent de n'avoir pas encore tous les vœux des qualificateurs. Le P. Gabrieli n'a donné que jusqu'à la vingt-septième proposition : le sacriste n'a encore rien donné. Les vœux des cinq qualificateurs contraires au livre sont très-courts, très-nets : les autres sont d'une longueur affectée et farcis d'autorités des mystiques. Les cardinaux bien intentionnés ont eu si peur de la cabale, qu'ils se sont opposés à tout ce qu'on pouvait proposer qui était capable d'allonger, et de mettre l'affaire en compromis. Ils n'ont point voulu malgré la division nommer d'autres théologiens, ni recourir aux consulteurs, pas même pour réduire les vœux, craignant encore quelque coup de la cabale. Ils ont mieux aimé avoir plus de peine et le faire chacun en particulier, afin d'être sûrs de ceux qu'ils emploieraient à ce travail. Tout considéré, c'est le meilleur parti, et c'est une preuve qu'ils veulent bien faire : car ils sentent parfaitement que s'ils faisaient quelque chose de faible, tout le déshonneur retomberait sur eux ; et qu'au contraire s'ils se conduisent sagement, ils en auront toute la gloire. Il y a quatre mois que je travaille à les piquer d'honneur, autant qu'il

 

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m'est possible. Ils connaissent mieux que moi la cabale qui agit pour M. de Cambray, et sont très-fâchés de l'adjonction des trois examinateurs, qui a causé tout le mal et mis l'Eglise en péril.

L'espérance que j'ai de la réussite de cette affaire à l'honneur de la vérité et à la satisfaction du roi et des évêques, est fondée premièrement sur la bonté de la cause ; et en particulier à l'égard de chaque cardinal, sur ce que j'ai une liaison secrète et sûre avec ceux qu'ils consultent et qui feront leurs vœux. Je suis en grande relation avec le théologien du cardinal Marescotti, avec ceux des cardinaux Carpegna, Panciatici et Ottoboni. Reste le cardinal Spada, qui, je pense, suivra les cardinaux Casanate, Noris, et le nonce. Le cardinal Nerli s'est expliqué, comme vous savez ; et quelque inclination qu'il ait pour l'archevêque de Chieti, il sait trop ce qu'il m'a dit, il estime et aime trop le roi pour le vouloir choquer. Le cardinal Albane est un politique, qui s'est engagé aussi fortement qu'on le puisse avec moi, et tous les jours encore avec le P. Roslet, Reste le cardinal Ferrari, que M. le cardinal de Bouillon a cru gagner; mais je crois qu'il se trompera. Son confident M. Zeccadoro y fait son possible; mais j'espère que ce sera en vain. Il faudrait qu'il renonçât à la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas, sans compter que c'est celui qui s'applique assurément un des plus, qui me tient toujours des heures entières à me faire des difficultés auxquelles je tâche de répondre, et cela n'est pas difficile ; de plus qui m'a assuré plus d'une fois qu'il n'y avait aucune difficulté que vous n'eussiez prévenue. Reste le cardinal d'Aguirre, qui se traîne à tout et qui veut juger; pour le cardinal de Bouillon, vous savez ce qui en est.

Ce que j'ai pu pénétrer du dessein des cardinaux est de réduire les propositions suivant les chefs principaux, et de ne prendre que les propositions les plus essentielles et les plus marquantes pour les qualifier, condamnant les autres en général. Pour moi, j'aurais une idée de laquelle je vous ai déjà écrit, si je ne me trompe, et sur laquelle je travaille actuellement, qui est (pour me conformer au dessein que je sais que les cardinaux ont) de ne mettre dans une proposition, s'il est possible, ou dans deux sur

 

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chaque matière, le mauvais du système de M. de Cambray sur chaque chef, ne rapportant que ses propres paroles, et en faisant comme une suite, mais ne m'assujettissant point à rapporter ce qui précède et ce qui suit (a) ; ce qui, selon moi, le sens étant bien établi, ne doit pas excuser l'auteur, et ce qui néanmoins étant exprimé dans la proposition paraît en affaiblir la censure. Cette manière établirait, ce me semble, le sens de l'auteur et rendrait la doctrine évidemment mauvaise. Je ne sais pas si ce dessein est praticable, mais au pis ce sera de choisir sur chaque matière les propositions les plus contestées plus précises, et les mettre Tune après l'autre et à chacune sa censure. J'attends la suite de la censure qualifiée, dont vous m'avez annoncé le commencement, dont vous me promettiez la suite, mais dont vous ne me parlez plus. Si vous pouviez m'envoyer quelque chose de court dans la vue de rassembler dans une ou deux propositions sur chaque chef la doctrine du livre de M. de Cambray par ses propres paroles avec la censure, on s'en servirait ici utilement, et on pourrait en demeurer là, et cela suffirait assurément. Il serait alors à propos de se servir d'un courrier extraordinaire et toujours envoyer quand cela devrait arriver trop tard. On ne se presse jamais trop en ce pays-ci.

Votre réponse à M. de Cambray est ici nécessaire, pour faire connaître le caractère de l'homme. On voit par les trois dernières Lettres, et par sa Réponse à votre Relation, qu'il prend l'air de chef de parti, et qu'il se veut faire craindre. Vous savez ce que vous disait là-dessus à Paris M. le cardinal de Bouillon, qu'il ne fallait pas le pousser à bout. On tient ici les mêmes discours au Pape, en les adoucissant et lui faisant voir qu'il ne faut pas faire un dogme de foi d'une chose si disputée, et sur laquelle M. de Cambray ne se rendra jamais. Sa cabale est plus forte que jamais, les Jésuites plus insolents, et surtout le P. Charonnier, contre les évêques, et contre Madame de Maintenon, et par conséquent contre le roi.

Je ne m'oublie pas pour faire comprendre ici qu'il faut frapper

(a) L'abbé Bossuet comprenait ce mot : « Donnez-moi deux lignes d'un homme : je me charge de le faire pendre. »

 

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fort. Quand cela viendra de la part du nonce et du roi, cela fera un effet merveilleux.

Vous aurez vu l'argument que veut tirer M. de Cambray du thème que vous avez donné à Monseigneur. On tâche de le faire ici bien valoir, surtout M. le cardinal de Bouillon ; mais cela est pitoyable. Il faut pourtant que vous disiez un mot là-dessus, cela regarde les faits. Il me semble qu'il n'a jamais dit plus nettement que dans cette troisième lettre, qu'il faut exclure le motif de la béatitude pour faire des actes de charité parfaite, etc.

J'envoie à M. de Paris la Défense de Sfondrate par le P. Gabrieli. Je sais qu'on en envoie un exemplaire aujourd'hui à M. de Beims. Je veux faire ce plaisir à M. de Paris, pour lui faire voir qu'on le compte pour quelque chose : je le prie de vous la communiquer. Cette Défense n'est fondée que sur l'autorité d'auteurs inconnus, comme la défense qu'on emploie pour M. de Cambray n'est appuyée que sur des mystiques ignorants.

Le Pape se porte à merveille. Il dit l'autre jour à deux cardinaux qu'il fallait décider les points de doctrine par l'autorité des Ecritures et des Pères, et non par celle de quelques mystiques. On m'a assuré qu'un défenseur de M. de Cambray l'étant venu trouver, il lui avait dit qu'il fallait prouver par un texte exprès de l'Ecriture l'opinion de M. de Cambray ; ce qui embarrassa fort cet habile homme. Il paraît qu'il s'est souvenu de ce que je pris la liberté de lui dire là-dessus dans ma dernière audience, et ce qu'on lui a depuis répété.

M. le cardinal de Bouillon est à Frescati depuis trois jours.

L'inquisition générale d'Espagne a condamné le Mémorial présenté au roi d'Espagne (a) sur les affaires de Flandre, par les Jésuites au nom de leur général. On m'a assuré que la Congrégation des cardinaux du saint Office avait fait remercier l'inquisiteur général. Cela fait enrager les Jésuites, qui se rendent tous les jours plus odieux et plus méprisables. Que fera-t-on à la Cour du P. Valois ?

M. Poussin ne pense plus à l'agence. Il a bien de la reconnaissance

(a) Contre les théologiens de Louvain.

 

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de votre bonne, volonté. Il paraît très-ferme sur l'affaire de M. de Cambray.

J'ai à vous prier de vouloir bien écrire à M. le grand-duc en faveur d'un gentilhomme (a) qui est ici, afin qu'il lui donne de l'emploi dans ses troupes. Je ne vous demande cette recommandation, qu'après que vous aurez appris de ceux qui sont marqués dans ce mémoire que je vous envoie, que vous recommandez un homme de mérite et qui sait son métier. Du reste je puis vous assurer que c'est un fort honnête homme, qui a beaucoup d'esprit, et qui me fait ici tous les jours mille plaisirs. Il sera recommandé de ce côté-ci fortement à M. le grand-duc; mais il est persuadé que le témoignage que vous rendrez de lui sur les informations que vous aurez prises, sera d'un grand poids, et lui fera faire sa condition meilleure. Ce pauvre gentilhomme est dans le même cas que M. de Plunaux. Vous ne sauriez me faire un plus grand plaisir que de le servir; c'est un fort bon sujet. J'écris en sa faveur à M. le cardinal de Janson. Je vous prie de vous concerter là-dessus avec lui, si vous vous rencontrez. Commencez, s'il vous plaît, par vous informer, et n'écrivez point que je ne vous mande qu'il est temps ; ce que je crois pouvoir faire par le premier ordinaire.

L'évêque de Soissons est fort ami de M. le cardinal de Bouillon : il entre peut-être dans la cabale. Je me doutais de ce que vous me mandez sur M. de Paris (b).

 

LETTRE CCCLVII. LE CARDINAL DE BOUILLON A L'ABBÉ BOSSUET. A Frescati, ce 7 octobre 1698.

 

Je vous supplie, Monsieur, de m'envoyer un catalogue de tous les ouvrages de M. Votre oncle et de MM. les archevêque de Paris et évêque de Chartres, contre le livre de M. l'archevêque de Cambray, afin que je voie si je les ai tous, et que s'il m'en manque quelques-uns, je puisse avoir recours à vous pour les avoir et les

 

(a) Nommé Madot. — (b) Qu'il ne voyait pas sans jalousie la gloire de Bossuet.

 

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relire tous durant que je serai ici, où je prétends employer principalement mon temps à l'examen de cette affaire. Je vous prie de me croire tout à vous.

Le card. de BOUILLON.

 

LETTRE CCCLVIII. BOSSUET A  SON  NEVEU (a). A Germigny, ce 12 octobre 1698.

 

Le courrier arrivé la nuit d'entre le 10 et le 11, ne nous apporte aucune lettre de vous : cela est déjà arrivé une fois, et nous mit en peine. S'il n'y a rien, il faudrait mander qu'il n'y a rien; autrement on ne sait que penser. Peut-être aurez-vous écrit à M. de Paris, car pour M. de Reims il prend peu de soin de m'instruire.

N'hésitez pas à conclure toujours, comme vous avez fait, à une prompte décision, sans précipiter. Outre mes trois Lettres contre ma Réponse à quatre, il y en a deux en réponse à M. de Chartres, dont je lui ai donné avis. Il a promis de répondre, et s'il veut il pourra tirer de grands avantages.

Ma réponse n'est pas achevée à l'impression ; elle partira par un exprès. On travaille à la version en même temps. Vous ne nous avez rien mandé de l'évêché de Brescia, donné à M. le nonce, de quarante à cinquante mille livres de rentes.

 

LETTRE CCCLIX.  BOSSUET  A   SON .NEVEU  (b). A Germigny, ce 13 octobre 1698.

 

Je viens de recevoir votre lettre du 23, et j'y réponds précipitamment, à cause qu'il faut envoyer cette réponse à Paris.

J'ai reçu la première de M. de Cambray contre ma Réponse à ses quatre. Vous aurez vu par ma précédente que j'en ai trois de

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Revue sur l'original.

 

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cette sorte. J'en ai encore deux contre M. de Chartres, auxquelles ce prélat répondra.

Votre audience m'a fait beaucoup de plaisir, et j'en rendrai grâces à Dieu de tout mon cœur.

On ne perd pas un moment de temps pour vous faire passer ma réponse. Il est vrai que je n'ai pas suivi le vœu (a). On va au plus pressé. On le peut conclure du Redivivus; et il faut bien prendre garde à tous mes mémoires, quoiqu'ils soient imparfaits, à cause des vues.

Il n'y a pas un mot de vrai sur ce qu'on dit de la censure de la Sorbonne. Il y aurait longtemps qu'on l'aurait produit.

Pour ce qui est de M. l'évêque de Belley, le Camus, c'est un auteur si confus et dont la théologie est si peu précise, qu'il n'y a point à s'inquiéter de ce qu'il dit.

Je ne répète point ce que j'ai mandé par mes précédentes de mon voyage à Fontainebleau, pour le 29 revenir faire la Toussaint, et le lendemain y retourner, pour ne plus quitter la Cour que tout ne soit fait.

 

LETTRE CCCLX. M. DE NOA1LLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. 13 octobre 1698.

 

Je ne sais, Monsieur, si on m'a retenu quelques jours votre lettre du 23 ; mais je ne la reçus qu'hier au soir, et je devais l'avoir avant-hier. J'y vois avec bien de la joie que vous avez reçu l'information contre le P. La Combe, et qu'elle fait un très-bon effet. Il n'est pas possible que tant de misères ne fassent une forte impression sur les juges.

Je suis bien aise de l'audience favorable que vous avez eue du Pape : vous y avez très-bien parlé, et Sa Sainteté vous a répondu bien favorablement : j'espère beaucoup des bonnes dispositions

(a) On a vu dans les lettres précédentes que M. de Meaux s'était chargé de faire ce qu'on appelait un votum, pour servir de modèle à quelqu'un des consulteurs.

 

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qu'elle vous a fait paraître. La hauteur de la lettre de M. de Cambray ne les fera pas changer; et ce que le roi chargea, à son retour de Compiègne, M. le nonce de mander de sa part, les fortifiera assurément.

Le pauvre cardinal Nerli est à plaindre d'avoir perdu un œil : il y en aura bien quelque autre écloppé de cette affaire.

Comment empêcher le cardinal de Bouillon de voter? Cela n'est pas possible : il faut qu'il renonce lui-même à son droit, ou le laisser faire. C'est beaucoup d'avoir gagné le cardinal Carpegna, et que les cardinaux Ottoboni et Nerli aillent toujours bien. Mais il ne faut pas juger aisément de ce qu'ils pensent; ce sont gens fort cachés (a) : on a toujours cru le cardinal Ottoboni du parti contraire. Nous verrons au mois de novembre ce qui en sera. J'espère que M. de Monaco trouvera l'affaire faite : je le souhaite fort, et je suis toujours, Monsieur, tout à vous.

 

LETTRE CCCLXI. M. LE TELLIER, ARCHEVÊQUE DE REIMS, A L'ABBÉ BOSSUET. A Fontainebleau, 13 octobre 1698.

 

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 23 du mois passé. Ce que je vous ai mandé par la mienne datée de Reims du premier du même mois, sur le religieux de distinction dont M. votre oncle a parlé dans sa Relation, est très-véritable. Le P. Dez et le P. Gaillard me dirent la semaine passée à Paris, que le P. de la Chaise leur avait raconté ce fait tout comme je vous l'ai mandé. La réponse de M. votre oncle à celle de M. de Cambray sur cette Relation va paraître.

 

(a) De l'adresse, de la circonspection, de la défiance : voilà le seul avis de M. de Noailles dans toute l'affaire du quiétisme.

 

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EPISTOLA CCCLXII.  CAMPIONUS AD EPISCOPUM MELDENSEM. Romae, 14 octobris 1698.

 

Opus illustrissimœ vestrae Dominationis de Statibus orationis italicè redditum, in manus amplissimi clarissimique nepotis tradidi, seu veriùs restitui. Clamât enim res pro Domino, omnibus-que sœculis pro vestrâ illustrissimâ Dominatione clamabit opus illud aureum; quia semper, etiamsi in fronte non gereret nomen auctoris, proderet pro auctore virum orbis miraculum, emporium theologicae disciplina veritatumque revelatarum encyclopediam, scilicet illustrissimam vestram Dominationem. Restitui, ut inquiebam, sed et cui multùm ornamenti, multùm energiœ detraxi : nec enim pura defluit aqua, si deferatur canali cœnosâ. Verumtamen quasi suum redoleret auctorem, opus excepit inclytus vir, in hoc, ut et in cœteris, generosam patrui benignitatem œmulatus; qui sciret, ubi res bonâ flde possidetur, non qualis fuit ab initio acquisita, sed qualem habet, cùm reddere cogitur posses-sor, reddendam. Ita est, Prœsul amplissime : opus decoloratum reddidi; et non me puduit, et vos non offendi. Quid enim me pudeat aliéna reddere? quid vos offendat vestra recipere, sed in eo statu quo reddi possunt, non recipi non possunt? Reddidi tamen hucusque solam Instructionem : in transferendis Actis quietismi, annexis Instructioni, nunc allaboro. Equidem optarem imposasse ultimam manum : quô enim magis librum tracto, magis necessarium censeo nostrœ Italiae ; sed alia complura, mihi gravia pro meâ tenuitate negotia, praesertim pro nonnullis Romanis Congregationibus, calamum retardant, imô et quandoquè per dies abstrahunt. Nihilominus jàm ad finem vergo, et crediderim quàm citô complendum, omninô sanè antequàm feratur de Instructione judicium, juxta nostrum stylum, ab examinatoribus deputandis per reverendissimum sacri Palatii apostolici magistrum.

Quandô autem illustrissimâ vestra Dominatio censeat imprimi posse, in eam sententiam eunt complures ut addatur altéra Prœfatio

 

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traductoris ad lectorem, quà instruatur de auctore, auctoris dignitate, zelo, doctrinà librisque impressis. Utut enim vestrœ illustrissimœ Dominationis celebre sit etiam in Italià nomen apud viros insigniores, forte tamen in remotioribus regionibus, ad quas opus erit transmittendum extinguendo quietismo, adhùc vulgus ignorât pretium auctoris, et etiam per manus vulgi tractandus erit liber. Proptereà si erit imprimendus de ordine vestrœ Dominationis, patiatur ne videar adulari referens prœclara quœ gessit et gerit, non sibi offerri, sed clarissimo nepoti, quem ut perfectam patrui imaginera suspicio.

Jàm sanè exceperit vestra illustrissimâ Dominatio meam Dissertationem de necessitate amoris, utiquè non consonam mori Galliarum. Istic enim optant plerique momentosas hasce controversias agitari stylo potiùs, ut aiunt, positivo quàm scholastico, nec aliam ego metho;lum ambirem. At in Italià delectantur plures scholasticis illationibus ; et plane decebat opinioni neganti necessitatem amoris detrahi scholasticos, quos pleno ore buccinabant, et etiam nunc buccinant. Contra quorum sensa ego scripserim libellum, propediem sanctœ Inquisitionis tribunali proptereà deferendum. Et illud perbellè accidit, quod necdùm natum ut suffocarent, corruperunt arte operarium impressoris ; cujus fraude contigit, ut ante melibri exemplar habuerint, exaratisque ad quinque folia animadversionibus institerint apud sacri Palatii apostolici magistrum, ne permitteret evulgari. His incassùm tentatis, alii, qui nec in limine Dissertationem salutarunt, minantur nunc acriorem sancti Officii censuram » cujus ego judicium prœvertam, et opusculum litabo flammis, si luce illud indignum dixerit illustrissimâ vestra Dominatio, qui et pro dignitate, et pro doctrinà, fuit mihi semper eritque legitimus judex.

Hoc unum scio, me temperasse calamum, ne quid excideret quod ansam prœberet obtrectandi; nunquàm vel acriori verbo castigavi opinionem oppositam; nunquàm memini amoris Dei super omnia. Fateor, si quid valent rationes adductœ, valere pro hoc amore super omnia et efficaci. Efficaciter et super omnia debet intendi inhabitantia Spiritûs sancti, vel explicitè ut talis, vel confuse sub vocabulo justificationis : efficaciter et super omnia

 

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debet desiderari : efflcaciter et prae omnibus debet eligi : efficaciter et prae omnibus amore justificationis odio habenda sunt peccata : efflcaciter et super omnia proponenda est nova vita in Christo. Elicitis bis actibus, sine quibus justificatio nullatenùs posset sperari, nondùm peccator justificabitur ordinariè loquendo, nisi in vi illorum omnium efficaciter ponat quae Christus ponenda praecepit ut actu justiflcemur, nempè confessionem sacramentalem cum suis omnibus partibus essentialibus. An haec vera sint, sanasint, orthodoxa sint, judicet illustrissimus Prœsul, cujus œquè judicio ac definitioni me subjicio, utpotè illustrissimae et reverendissimœ vestrae Dominationis humillimus, obsequentissimus et addictissimus famulus Franciscus Maria Campionus, apostolicus in Urbe cleri examinator.

 

LETTRE CCCLXIII. L'ABBÉ  BOSSUET  A   SON  ONCLE. Rome, ce 14 octobre 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 21, de Compiègne. Je vois avec beaucoup de satisfaction qu'on approuve l'exposé du Mémoire que j'avais remis à M. le cardinal de Bouillon : je n'ai garde d'en rien témoigner ici. Vous croyez bien que j'ai été aussi fort aise qu'on ait agréé ma conduite, et la manière dont j'ai parlé à Sa Sainteté, qui est conforme à l'écrit que j'ai envoyé. Quoique le roi ne vous ait rien dit de l'écrit, il est certain qu'il l'avait reçu quand vous lui avez parlé; car M. le cardinal de Bouillon le lui a sûrement envoyé. Au reste je n'ai de ma vie parlé de prolonger; au contraire j'ai toujours dit que si l'on pouvait finir bien par une bonne décision, formée en vingt-quatre heures, on ne pouvait trop se hâter de la donner: mais la chose était visiblement impossible, et la précipitation avec laquelle on désirait conduire l'affaire avait pour but d'empêcher un jugement décisif. M. le cardinal Spada me le dit encore avant-hier, et me confirma qu'il avait assuré M. le cardinal de Bouillon que je n'avais jamais demandé de délai, mais bien une prompte

 

 

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et bonne décision, faite sans précipiter. Il me dit en même temps qu'il croyait l'avoir écrit àM. le nonce, mais qu'à tout hasard il le lui marquerait aujourd'hui. Je ne sais si M. de Paris a bien entendu tout ce que je lui ai écrit là-dessus : j'ai tâché de m'expliquer très-nettement partout. M. le cardinal de Bouillon et les Jésuites sont désespérés que l'affaire soit au terme où elle est, et que le Pape se porte si bien.

Une personne, qui sait ici ce qui se passe de plus secret, m'a dit qu'elle croyait savoir de bonne part que le Pape avait fait assurer depuis peu le roi que l'affaire se terminerait à son contentement; mais qu'il fallait un peu de temps pour faire le tout comme il faut, et pour qu'il ne parût pas de précipitation : vous saurez mieux que moi ce qui en est. Cela se rapporte assez à la manière dont on prend la chose, et à la disposition du Pape qui est aussi bonne que jamais.

J'ai reçu par le dernier courrier vingt-cinq exemplaires de la traduction italienne de votre Relation, un exemplaire relié pour le Pape, un pour le cardinal Spada et les deux autres pour le grand-duc et pour le comte Magalotti. J'attends le premier ordinaire pour en envoyer à Florence à ceux que M. l'abbé Régnier me désigne. J'adresserai celui du grand-duc à M. l'abbé de Gondi, à qui j'écrirai en même temps; et je me servirai de cette occasion pour l'engager à faire renouveler les instances de son maître auprès de cette Cour, où il a beaucoup de crédit et où il a fort bien fait jusqu'à présent.

Tous les cardinaux et les prélats du saint Office ont déjà la traduction de votre livre. On la trouve très-bien faite, d'un pur toscan et digne de son auteur. On a peine à s'imaginer qu'un François puisse posséder une langue étrangère avec toutes ses délicatesses, dans une aussi grande perfection que M. l'abbé Régnier fait l'italien. Son Anacréon est ici connu et estimé de tout le monde, et cette dernière traduction ne lui fera pas moins d'honneur. On ne saurait nous en trop envoyer : il faut en remplir toute l'Italie. M. l'abbé Régnier ne voudra-t-il pas encore traduire la Réponse à laquelle vous travaillez ? Je portai dimanche à Sa Sainteté l'exemplaire pour elle : mais

 

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par malheur pour moi, le Pape venait dans le moment d'apprendre que l'empereur voulait, à quelque prix que ce fût, conclure sa paix avec le Turc , même sans la Pologne et les Vénitiens. Cette nouvelle l'avait mis de très-mauvaise humeur. Je m'en aperçus d'abord : je n'eus garde de demeurer longtemps, et d'entrer dans le fond de l'affaire. Je me contentai de lui présenter, le livre, que je lui dis avoir été traduit par M. l'abbé Régnier exprès pour lui. Je le louai et le remerciai de l'application qu'il témoignait dans notre affaire. Je me plaignis de M. le sacriste, qui n'avait pas encore donné son vœu, et qui par là paraissait vouloir retarder, tous les autres vœux étant entre les mains des cardinaux. Sa Sainteté m'assura qu'elle y mettrait ordre : M. le cardinal Spada m'a promis la même chose. Ce prélat mériterait quelque mortification de la part de la France : mais M. le cardinal de Bouillon le traite mieux qu'aucun ; et il est public qu'il ne peut souffrir ceux qui sont contraires à M. de Cambray.

Je sais depuis trois jours que le P. Damascène a eu par la scala sécréta plus de huit ou dix conférences avec M. le cardinal de Bouillon depuis un mois. Il en est de même d'Alfaro et du sacriste. La cabale de la part de ceux qui approchent le plus la personne du Pape , est grande et se remue beaucoup pour M. de Cambray : elle fera tout son possible pour adoucir les coups.

On médite un projet dont j'ai été averti depuis quelques jours. Ce prélat dont je vous ai parlé dans mes dernières lettres (a) confident de M. le cardinal de Bouillon, et qui nous a abandonnés il y a un an si vilainement, est chargé de l'exécution. Il veut y faire entrer le cardinal Ferrari, et depuis quinze jours il a de grandes conférences avec lui. Je n'ai pu encore rien découvrir du particulier de ce projet, et je n'ai pas été sans inquiétude à cet égard. Pour tâcher de pénétrer, s'il était possible, dans le mystère, j'allai il y a trois jours chez le cardinal Ferrari, à qui je ne témoignai rien de mes défiances, et je me contentai de lui parler fortement contre les tempéraments. Il m'assura qu'il ne pensait en son particulier qu'à une bonne décision, et qui fît honneur au saint Siège. Ma plus grande crainte à son sujet, c'est que l'amitié

 

(a) M. Zeccadoro.

 

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et l'estime qu'il a pour le P. Damascène n'influent dans le parti qu'il prendra. Vous savez que c'est ce que j'ai toujours appréhendé. J'ai pris la liberté de lui témoigner ma crainte là-dessus , et il n'a rien oublié pour me rassurer ; cependant je ne m'y fie point. Tous nos amis ne laissent pas de me répondre de lui ; mais, encore un coup, je vois fort bien qu'il n'y a que lui qui soit capable de nous faire du mal auprès du Pape.

M. le cardinal Noris me paraît plus ferme que jamais. J'eus vendredi une conversation avec lui, dans laquelle nous touchâmes toutes les difficultés sur l'espérance et la charité, que je démontre très-aisément ne favoriser en rien le système de M. de Cambray, de quelque opinion qu'on soit sur les actes propres de ces vertus ; et puis quand je viens à la pratique, c'est là où je puis montrer, et sans réplique , le faux de toutes ces vaines spéculations. L'argument qu'on ne saurait trop inculquer, et qui est invincible, c'est la différence du cinquième état et du quatrième. L’imperium charitatis n'est et ne peut être autre chose que la subordination du motif delà béatitude à la gloire de Dieu, ce qui est établi dès le quatrième état. Toutes les autres solutions de M. de Cambray tombent par terre aussi aisément. Ses grands arguments sur la liberté de Dieu n'ont que de la fumée. Le securiùs hœc dixit de saint Augustin l'accable. Prétendre que rapporter la béatitude à la gloire de Dieu n'est pas vouloir la béatitude, ni la désirer de quelque manière que ce soit, pas même subordinatè, c'est assurément une belle chimère. Enfin toutes les défaites de ce prélat, quand on les réduit à une idée exacte, ne présentent que de misérables sophismes.

Il faut avouer que le cardinal Ferrari est celui qui sait mieux sa théologie, et qu'il a bien pénétré la matière. Je ne puis croire par là qu'il soit favorable à la nouveauté ; mais néanmoins je l'appréhende, s'il se met quelque chose de travers dans la tête.

J'attends votre écrit De actibus imperatis : il sera très-utile et viendra à propos. Je compte chaque ordinaire recevoir la fin de votre vœu (a), et les propositions dont vous ne m'avez envoyé

 

(a) Ici, discours que l'on prononce avant d'émettre son suffrage, son vote. Bossuet avait fait un discours de ce genre, qui pût servir à l'usage de quelqu'un des consulteurs.

 

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qu'une partie il y a six semaines. Quand j'aurai cet écrit, nous nous en servirons pour faire quelque chose de court et de substantiel. M. le cardinal Casanate est toujours le même.

Après la Toussaint on commencera les congrégations des cardinaux ; c'est l'intention de Sa Sainteté. Je ne négligerai rien pour qu'on ne perde point de temps.

Les cardinaux travaillent et font travailler. Les Jésuites et M. le cardinal de Bouillon ne s'oublient pas ; cela est comme de notoriété publique.

Il sera très-à propos que le roi parle à M. le nonce, quand votre Réponse paraîtra, et qu'il y donne l'approbation convenable. Il faut aussi que le roi et M. le nonce continuent d'agir plus vivement que jamais, et qu'on marque bien qu'il ne doit pas être question d'épargner M. de Cambray.

Je suis attentif à tout, je me défie de tout, et me sers de tout : en un mot, je fais tout pour le mieux, et de mon mieux.

Je vous prie de m'adresser ici les lettres pour M. le grand-duc en faveur de M. Madot (a).

Je vous envoie deux lettres du P. Campioni. Il m'a remis pour vous un livre imprimé, dont il vous parle apparemment dans sa lettre, qui prouve la nécessité aliqualis sive imperfecti amoris Dei dans le sacrement de pénitence, qu'il traite scolastiquement : l'ouvrage est dans les bons principes. J'attends une occasion pour vous l'envoyer. Ne laissez pas de lui faire réponse comme si vous l'aviez reçu, en marquant que vous n'avez pas encore eu la facilité de le lire. Il m'a mis entre les mains la traduction italienne, qu'il a achevée, de votre ouvrage Sur les états d'oraison. Il faut voir de quel usage cette traduction peut être ici, et où l'on pourra trouver un imprimeur. Cela est très-difficile à Rome. Nous tâcherons malgré la controverse présente, d'avoir la permission du maître du sacré Palais. Pour la dépense, je ne sais si nous trouverons ici quelque imprimeur qui veuille la faire. Informez-

 

(a) Gentilhomme que Bossuet devait recommander auprès du grand-duc. Voir lettre CCCLVI, p. 36 de ce vol.

 

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vous un peu d'Anisson s'il pourrait y entrer, en ayant part au profit.

Vous connaissez dom Estiennot par ses lettres à M. de Reims : c'est un patelin auquel il ne se faut point fier. Il est moine, et tous les moines ne nous aiment guère : ceux qui servent ici sincèrement et efficacement sont les ennemis des Jésuites.

Nous avons ici depuis quinze jours M. de Tanqueux. Il tomba malade avant-hier en dînant chez moi : il a eu deux forts accès de fièvre ; il n'y a aucun danger. Si vous aviez la bonté de faire savoir de ses nouvelles à Madame sa mère (a), de qui il attend de l'argent, vous lui feriez un grand plaisir. Je le secourrai ici de tout ce dont il aura besoin.

Je me porte bien, Dieu merci, et soupire après la fin de cette malheureuse affaire. La santé du Pape va à merveille : il est haï mortellement de M. le cardinal de Bouillon et des Jésuites. Au reste il est bon que vous sachiez que le Pape a dit que dans toutes ses audiences M. le cardinal de Bouillon lui parlait comme un sanglier blessé. Ce cardinal hait autant le roi que le Pape.

M. de Reims m'a envoyé ce qu'il a fait signer aux Jésuites, qui cette fois n'ont pas sujet de se plaindre de lui. Ces Pères sont bien hardis.

 

LETTRE CCCLXIV. BOSSUET  A  SON NEVEU. A Meaux, 18 octobre 1698.

 

Je viens de recevoir votre lettre du 30. Le courrier que nous dépêchons exprès pour porter ma réponse à celle de M. de Cambray sur la Relation, doit être parti ce matin. J'avais fait le Mémoire ci-joint (b) pour l'accompagner : le passage de Madame la duchesse de Lorraine m'a fait perdre le temps de l'envoyer.

Je serai lundi à Fontainebleau, où je ferai bon usage de vos lettres, et surtout de la dernière.

 

(a) Madame de Tanqueux eut de nombreux rapports avec Bossuet. C'est elle qui établit les Filles de la Charité à la Ferté-sous-Jouarre. Bossuet lui écrivit plusieurs lettres, qu'on a vues précédemment. — (b) On trouvera ce mémoire après la lettre CCCLXV.

 

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Faites voir mon Mémoire latin à tous les cardinaux, auxquels vous croirez devoir le montrer.

Il n'y a qu'à dire que nos écrits ne font rien au jugement du livre accusé, et que nous les publions uniquement pour l'instruction du peuple (a).

J'ai su ce qui s'était passé sur la lettre de Malaval (b), par vous ou par M. Phelippeaux.

Nous n'avons rien à dire sur Sfondrate ; et si l'on fait quelque réponse de notre part (c), il sera bon qu'elle ne paroisse qu'après la conclusion de l'autre affaire.

Je suis bien aise que le rapport des examinateurs soit achevé. Il n'y a maintenant qu'à ouvrir les oreilles, et qu'à bien instruire les cardinaux et les théologiens.

J'enverrai la traduction italienne de mes Remarques par un courrier extraordinaire.

Je dois aujourd'hui aller à Faremoutiers pour la bénédiction de Madame l'abbesse et la prise d'habit d'une de ses nièces.

 

LETTRE CCCLXV. M. LE TELLIER, ARCHEVÊQUE DE REIMS, A L'ABBÉ BOSSUET. A Paris, octobre 1698.

 

M. l'évêque d'Arras a fait depuis peu un mandement excellent à l'occasion d'une tragédie, qu'il me mande que les Jésuites ont fait représenter dans leur collège d'Arras au commencement du mois passé. Je suis assuré que vous trouverez cette pièce parfaite

 

(a) Ceci est relatif à l'avis que l'abbé Bossuet lui avait donné, que les partisans de M. de Cambray prétendaient qu'on lui accordât un délai pour répondre, si ses adversaires produisaient quelque nouvel écrit contre lui. — (b) On a vu dans les lettres précédentes de l'abbé Bossuet, qu'on avait déféré en 1697 à Rome une lettre de Malaval, remplie des erreurs du quiétisme, et qu'ayant été condamnée par les examinateurs, au nombre desquels Granelli et le Mire se trouvaient, le cardinal de Bouillon empêcha la censure sous prétexte que ces examinateurs ne savaient pas assez le français pour porter un jugement de cette lettre. (Les édit.) — (c) Le P. Gabrieli, procureur général des Feuillants, l'un des examinateurs du livre de M. de Cambray, avait fait imprimer un ouvrage pour justifier le Nodus Prœdestinationis du cardinal Sfondrate. Voir la lettre CCCLII.

 

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en son qenre. En voilà deux exemplaires; je vous prie d'en donner un de ma part à M. Estiennot.

Je vous adresse aussi une autre pièce pleine d'impertinences et de fatuités, dont l'auteur ne s'est pas nommé ; mais quand vous l'aurez lue, vous serez persuadé qu'elle est d'un jésuite. Si à Rome on avait bien voulu prononcer sur le livre du feu cardinal Sfondrate, ces inepties, qui ne me fâchent point du tout, ne scandaliseraient pas l'Eglise.

Quand l'affaire de M. de Cambray sera finie, nous prendrons le parti que nous croirons convenable, pour empêcher le progrès du mal que le livre de Sfondrate et le silence de la Cour de Rome sur cette matière font dans tout le royaume; à moins qu'il ne plaise au Pape de prononcer sur cet ouvrage, comme nous en avons très-humblement supplié Sa Sainteté, il y a près de deux ans, et qu'elle nous a promis par le Bref dont elle nous a honorés.

Je vous prie de montrer cette ridicule pièce à M. le cardinal Casanate. Je suis assuré que Son Eminence en rira d'abord, et qu'elle conviendra ensuite qu'il est temps que le Pape parle. L'auteur de cet ouvrage me fait plus d'honneur que je n'en mérite, en m'attaquant tout seul dans cette occasion. Je voudrais avoir fait la lettre dont est question (a) : elle est de la main de Monsieur votre oncle. Je l'ai dit ici dans le temps, premièrement au roi, et puis à qui l'a voulu entendre : je ne sais si je vous l'ai mandé.

 

MANDATUM Ad abbatem Bossuetum, ab episcopo Meldensi.

 

Rebus ad supremum sanctae apostolicae Sedis judicium egregiè comparatis, de hoc postremo opusculo meo (b) ad abbatem Bossuetum hœc perferenda volo.

Primùm ut qualecumque hoc opusculum meum ad apostolici Praesulis pedes data opportunitate quamprimùm deferat, non

 

(a) La lettre des cinq évêques contre le livre du cardinal Sfondrate. — (b) Cui titulus : Remarques sur la Réponse de M. l'archevêque de Cambray à la relation sur le quiétisme. Vide tom. XX, p. 171.

 

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quasi huic causse necessarium, quippe quœ uno exiguoque libello de Sanctorum decretis continetur, sed humillimi obsequii mei ac summae reverentiae gratià.

Quôd autem hunc libelluni ad asserendam verissimam Relationem sive Narrationem meam ediderim, has imprimis causas fuisse memoret.

Quôd propulsandae necessariô fuerint de Guyoniâ à me plus aequo toleratà, confletis etiam actis falsissimis, illatae calumniae (1).

Quôd item propulsanda fuerit gravis aequè ac iniqua accusatio de revelatà à me Domini Gameracensis confessione (2), quem ne quidem unquam confitentem audivi, aut aliquid ejus habui quod confessionem attineat.

Quôd aliae item fallacissimae querimoniae ex ejus scriptis confutandae fuerint (3).

Ita quippe constare Dominum Cameracensem, qui me assidue persecutorem appellet, usum esse me tanquàm amico fidelissimo, ac suprà modum omnem indulgentissimo, quandiù spes fuit ejus abstrahendi à Guyoniœ falsae prophetidis libris et erroribus.

De summâ rei : demonstrandum fuit versionem latinam libri de Sanctorum decretis à Domino Cameracensi pessimam, et ab archetypo gallico alienissimam fuisse editam (4) ; et ab ipso interpolatum librum, super quo judicari se postulaverit ; nempe lati-num illum, quem Pontifici optimo maxiino, Dominis cardinalibus eminentissimis et examinatoribus à Sede apostolicà deputatis, tradidit.

Frustra autem obtendi dulcissimum ac sanctissimum puri amoris nomen; cùm purum amorem eum, quem Dominus Caméracensis quarto loco posuit, cum universà Scholâ agnoscamus, et modis omnibus propugnemus (5) : proscribendum tantùm putemus quinti gradùs falsô appellatum amorem purum, quem in Ecclesiam primus et solus Dominus Cameracensis invexit.

Neque nobis fraudi esse débet quôd sanctorum, ante motam eliquatamque quaestionem securè loquentium, dicta ad falsos

 

1 Remarques sur la Réponse de M. l'archevêque de Cambray d la Relation sur le quiétisme, art. II, III; tom. XX, p. 189 et suiv. — 2 Ibid., art. I, § 3; p. 179. Conclus., p. 295 et suiv. — 3 Ibid., art. VIII, § 1, etc., § 8, p. 248 et suiv. — (4) Ibid., art. X, § 1, p. 277. — (5) Ibid., conclus., § 3, p. 309 et suiv.

 

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alienosque sensus detorqueat ; ut, quod nunc vel maxime, dato ad meam de Quietismo Relationem responso, praestat, Guyoniam amicissimam tueatur (1).

Haec et alia tôt libris Domini Cameracensis toto terrarum orbe dispersis, opponi à nobis oportebat sub magisterio apostolicae Sedis, ne plebs christiana, tôt delusa praestigiis ac verborum pigmentis, ad Molinosum ejusque sectatricem Guyoniam, et ad salutis aeternae infandum sacrificium incauta deduceretur.

Rogamus autem Patrem luminum, ut cathedrae Pétri dignam infundat tantâ auctoritate ac majestate, tantàque orbis christiani expectatione sententiam ; quâ hujus mali labes latentissimè serpens ita radicitùs recidatur, ut nullo unquàm praetextu, nullo quaesito colore reviviscat.

Haec abbas Bossuetus ad amplissimos et eminentissimos cardinales ; haec ad ipsum optimum sanctissimumque Pontificem, seu voce, seu scripto pro data occasione perferat, animi demissione quanta potest esse maximà; meque in apostolicae Sedis potestate futurum, proque ejus decretis nullum non certamen subiturum spondeat, et pro Domino meo D. Innocentio XII assidue supplicantem apostolicà benedictione impertiri curet.

 

+ Jac. Benignus, episcopus Meldensis.

 

Scripsi Meldis, die S. Lucae sacra, anno 1698.

 

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