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LETTRE CCXXVII. L'ARCHEVÊQUE DE REIMS A L'ABBÉ BOSSUET. De Versailles, lundi 24 février 1698.

 

J'ai reçu, Monsieur, vos lettres du 28 du mois passé, et du 4 de celui-ci. Je ne vous dis plus rien sur le fait du cardinal Noris : le procédé qu'il a jugé à propos d'avoir avec moi fait pitié ; tant pis pour lui (a).

 

(a) M. le Terrier, archevêque d'une grande Eglise et par son ancienneté à la tête du clergé de France, comme il nous l'a dit lui-même dans la lettre CCXIX, avait daigné envoyer son Ordonnance contre les Jésuites au cardinal Noris ; le cardinal Noris oublia de le complimenter sur ce chef d’œuvre : voilà le procédé qui explicitait la pitié de M. le Tellier.

 

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Vous savez présentement comment mon affaire contre les Jésuites a été terminée. On a imprimé en Hollande les pièces qui regardent cette affaire : vous en trouverez deux exemplaires dans ce paquet. La Requête n'est point correcte ; vous la pourrez corriger' sur le manuscrit que je vous en adressai le 13 du mois passé, dont vous m'avez accusé la réception par votre lettre du 4 de ce mois.

L'affaire du livre de M. de Cambray traîne trop pour la réputation de la Cour où vous êtes. Il faut, où qu'à la fin elle condamne le livre, ou que le livre la condamne. Dieu veuille qu'elle prenne enfin le bon parti : je le souhaite de tout mon cœur pour l'honneur du saint Siège. Je suis tout à vous.

 

EPISTOLA CCXXVIII. BOSSUETI AD CARDINALEM SPADAM.

 

Eminentissimo Domino meo D. cardinali Spadœ, Jacobus Benignus Bossuetus, episcopus Meldensis, salutem et obsequium.

 

Vellem equidem conticescere, Eminentissime Cardinalis, et Sedis apostolicae tacitus expectare judicium. Dùm enim Ecclesia Romana tàm gravi examine rem tantam expendit, quid est praestabilius quàm ut prœstolemur salutare Dei, et ut in silentio et in spe sit fortitudo nostra? Sed per manus hominum tôt currunt epistolœ, tôt responsa prodeunt, Instructiones pastorales tantâ arte sparguntur, ut meritô vereamur, si nihil opponimus, ne doctrinis variis et peregrinis plebs Christi abducatur à simplicitate Evangelii.

Neque enim hic de unius tantùm libri sorte agitur ; sed an prœvaleant spirituales argutiae; verique spirituales ab Ecclesia Romanâ approbati, dùm ad asserenda hœc inventa perperàm licet et inviti adducuntur, trahi videantur in erroris consortium.

Non ergô, Eminentissime Cardinalis, tanquàm ad contestandam instruendamque litem hœc scribimus; aut, quod absit,

 

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docendam suscipimus magistram Ecclesiarum, à quà doceri cupiraus. Rogamus autem ut hune librum, quem extorsit ipsa nécessitas, et benignus accipias, et ad sanctissimi Domini nostri pedes offerre velis. Redeunt enim ad nos libri nostri clariores atque firmiores, cùm vel tetigere apostolicum limen. Si verô ipse Paulus, arcanorum auditor et tertii cœli discipulus, venit Jerosolymam videre et contemplari Petrum, cum eoque conferre Evangelium quod prœdicabat in gentibus, ne forte in vacuum curreret aut cucurrisset : quantô magis nos humiles, sed cathedra? Pétri communione gloriantes, ad eam afferre omnia nostra debemus ; vel incitandi, si légitimé currimus ; vel emendandi, si vel minimum aberramus ?

Ego verô quidquid scribo, hâc mente me scribere volo, sanctoque Pontifici fausta omnia apprecor ; utque te rerum praeclarissimo administro diutissimè utatur oro, Eminentise tuae addictissimus. Vale, Eminentissime Cardinalis. Datum in palatio Versaliano, 24 feb. an. 1698.

 

LETTRE CCXXIX. L'ABBÉ BOSSUET A  SON ONCLE. Rome, 25 février 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles, le 3 de ce mois. Je vous dirai d'abord que j'ai fait représenter au Pape le scandale que causerait dans toute la chrétienté et parmi les hérétiques, les longueurs et le partage des théologiens dans une affaire aussi éclaircie par les évêques de France. Sa Sainteté a jugé à propos de faire tenir les conférences deux fois la semaine, ordonnant aux deux cardinaux de laisser leurs autres occupations pour celle-là. De plus le Pape a fait connaître assez clairement ses sentiments, pour que les examinateurs pensent à eux-mêmes. Je suis comme assuré à présent de l'archevêque de Chieti, qui est tout changé : j'espère un peu du général des Carmes. Le cardinal Casanate travaille à ramener le sacriste : je doute qu'il y réussisse; mais il le perdra dans l'esprit

 

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du Pape sans cela. Pour Gabrieli et Alfaro, c'est tout dire, ils sont vrais moines ; et si leur intérêt le demande, ils se rendront à tout ce que l'on voudra. Le Pape et cette Cour ont bien vu les faux pas qu'ils ont faits, et semblent vouloir se redresser.

J'ai agi et parlé très-modestement. Depuis huit jours j'ai été chez la plupart des cardinaux, et leur ai représenté à quel péril la réputation du saint Siège et de l'Eglise était exposée par le partage des examinateurs ; que c'était à eux à y remédier. Ils le sentent bien : et à la vérité si ce partage durait ce serait le plus grand scandale qui pût jamais arriver ; il serait pour les hérétiques et les ennemis de l'Eglise un sujet de dérision. On m'a paru touché de ces raisons ; et le cardinal Casanate, qui m'avait vu assez mélancolique à cause de tous ces procédés, m'a assuré que je me réjouirais bientôt, et que les choses prenaient un train plus prompt que je ne croyais. Je leur fais entendre que c'est actuellement plus leur affaire que de qui que ce soit. J'espère beaucoup depuis quelques jours : les conférences doublées abrègent déjà de la moitié. Je crains toujours néanmoins les coups fourrés et la rage du cardinal de Bouillon et des Jésuites, qui assurément ne diminue point. Monseigneur Giori continue ses offices et mérite reconnaissance : le général de la Minerve sert efficacement.

J'attends la Préface avec impatience : l'écrit latin ferait à cette heure un bon effet; ce qui est en français n'en produit pas un pareil, à beaucoup près. M. de Cambray a envoyé ici son Instruction pastorale traduite en latin.

Je mande à M. de Paris que comme il pourra arriver que vous soyez obligé de rester quelque temps dans votre diocèse, je crois que le bien de l'affaire exige qu'il soit instruit exactement; que désormais je lui écrirai comme à vous, avec la même liberté, et que je lui enverrai même un chiffre. Je m'expliquerai comme il faut, je ne lui dirai rien d’inutile. Je suppose que vous l'aurez informé du vrai état des choses, et lui aurez fait connaître les esprits, tant de ceux qui nous font du bien que de ceux qui nous font du mal.

Je vous ai mandé, à ce qu'il me semble, qu'après avoir gardé

 

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le silence jusqu'à la fin de novembre sur le procédé des Jésuites à l'égard des évêques et de M. de Cambray, j'ai cru être obligé de déclarer qu'on savait ce qu'ils faisaient. Il a fallu nécessairement prouver qu'ils sont parties, afin qu'on les tînt pour suspects. Ils insinuaient tout ce qu'ils voulaient, et faisaient un mal infini, sous le prétexte qu'ils étaient indifférents, ou qu'ils s'intéressaient à un saint persécuté et opprimé injustement par votre crédit.

Je vous dirai franchement que je vous ai écrit par un vrai hasard, aussi bien qu'à M. Chasot, touchant la fabuleuse histoire de cet assassinat. Je n'aurais jamais cru qu'on osât mander à qui que ce soit cette fausseté, encore moins au roi, ou qu'on osât lui en parler. Dans cette pensée je ne jugeai pas à propos, en me justifiant à ce sujet, de donner seulement l'idée que cela pût être. Ce fut M. le cardinal de Bouillon lui - même qui me détermina enfin à le faire aussi légèrement que je l'ai fait. Après m'avoir entretenu de cette affaire, et m'avoir assuré qu'il était convaincu de la fausseté du fait, ce qu'il me répéta cent fois, il me conseilla de ne faire aucun cas de ce bruit qui tomberait de lui-même, de n'en point écrire en France, et de ne pas chercher à me justifier, même vis-à-vis de vous, pour ne vous pas inquiéter. Il m'ajouta que si on m'en écrivoit, je pourrais mander alors que je n'en avais rien dit, vu la fausseté manifeste, et que je ne me serais jamais imaginé qu'on pût mander pareille chose. Je lui répondis que j'en userais de la sorte ; mais ce conseil me parut un peu suspect, je me doutai de la fourberie : je pensai qu'on voulait en avertir, et que l'avis pût faire tout son effet avant que je pensasse à y remédier. En conséquence, je vous en écrivis deux mots à tout hasard, pour en rendre compte en cas de besoin. Depuis il ne m'est seulement pas venu à l'esprit de vous en parler, voyant que par ma conduite et la liberté avec laquelle j'agissais, le monde était plus que persuadé de la malice de cette fable.

Voici les bruits qui ont couru. On prétend que le duc Sforze Cesarini, fâché de ce que je voyais Mademoiselle sa fille, qui, dit-on, ne me hait pas, m'avait fait attaquer par des assassins; qu'ils m'avaient mis le pistolet à la gorge et m'avaient fait promettre de ne plus la voir, sans quoi ils m'auraient tué; que j'en

 

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étais tombé malade de peur ; c'est ainsi qu'on a interprété cette fièvre continue, cette espèce d'esquinancie que j'ai eue.

Je ne vous répéterai point qu'il n'y a pas un mot de vrai dans cette histoire : je veux seulement vous le démontrer. Il faut que vous sachiez que ce duc est de la faction d'Espagne. Dès que j'arrivai à Rome, il lia une étroite amitié avec moi chez M. le prince de Rossane, où nous nous voyions presque tous les soirs. Il me fit présent d'une tabatière : je lui en donnai une pareillement ; bref, depuis ce temps ma compagnie ne lui a pas déplu, et il m'a parlé volontiers de tout. Nous ne nous sommes néanmoins jamais vus que dans la maison des autres. Quand j'allai à Naples, il me recommanda à quelques-uns de ses amis. A mon retour je me crus obligé d'aller l'en remercier, et de m'acquitter de quelques commissions dont on m'avait chargé pour lui et pour Madame sa femme. Ici la coutume est que les filles ne se montrent jamais dans les compagnies: je ne vis donc point Mesdemoiselles ses filles, et je ne les ai jamais aperçues qu'en carrosse dans les rues et aux promenades, hors deux ou trois fois à la campagne, où M. leur père me mena lui-même, et où je ne suis resté que le temps d'une visite. De tout l'été je ne les ai ni vues ni rencontrées, même dans les lieux publics. Depuis le mois d'octobre jusqu'à Noël, la mère et les filles ont été dans une de leurs terres, à vingt milles de Rome ; pour moi je ne suis sorti de Rome, ni dans le mois d'octobre, ni dans le mois de novembre, excepté quatre jours que j'ai passés à Frescati où était M. le cardinal de Bouillon, et qui est bien éloigné de la terre de cette Dame. Toute sa maison n'était point à Rome, lorsque je suis tombé malade le 13 de décembre, et je ne songeais seulement pas qu'elle fût au monde. J'oubliais de vous dire que pendant cet été je me suis trouvé très-souvent avec les fils qui, aussi bien que leur père, m'ont témoigné mille amitiés. Ces mêmes manières durent encore, et ont persévéré si publiquement depuis ma maladie, que tout le monde en a été témoin. J'ai même cru être obligé, sans affectation cependant, de ne point fuir la présence de la duchesse et de ses filles, qui m'ont toujours traité à leur ordinaire, avec toute sorte de civilités. Voilà l'état des choses : on a bien vu que

 

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je ne craignais pas, et que je n'avais point sujet d'avoir peur.

Toutes les circonstances d'ailleurs prouvent que cette histoire est controuvée : car effectivement si elle était vraie, qui l'aurait pu savoir? On a dit que la chose était arrivée pendant la nuit. Ce ne serait pas moi qui l'aurais débitée ; encore moins le père, qui par là aurait perdu une fille dont les articles du mariage sont signés, qui a été au désespoir de ce bruit, et qui m'en a parlé comme de la chose du monde qui lui a donné le plus de chagrin, quoique tout le monde fût persuadé de la fausseté. Il prétend que cette invention vient plutôt de ses ennemis que des miens , et il a raison. Mais que faire, sinon prouver par sa conduite et par ses actions qu'il n'y a rien de vrai dans cette histoire, qui n'a pas trouvé une seule personne raisonnable qui voulût la croire, qui n'a été inventée que pour me faire du mal auprès du roi, et tâcher de me décréditer ou de m'inspirer quelque peur, en me faisant voir qu'on a un prétexte pour pouvoir parvenir à ses fins; mais on me connaît bien mal. Telle est la vérité du fait : il n'y a ni plus ni moins. Tout le monde me rend ici justice : plût à Dieu qu'on me la rende également en France sur toute ma conduite en cette matière. Je suis bien venu partout : les pères et les mères sont les personnes qui souhaitent le plus que j'aille chez eux, parce que franchement je sais un peu parler et vivre. Peut-être François n'a jamais eu les entrées si libres chez les Italiens que moi : je les ai, parce que je n'en abuse pas, et que je ne vois que bonne compagnie. Je la fréquentais lorsque j'avais moins d'occupations : à présent c'est tout ce que je puis faire que de pouvoir trouver une heure ou deux pour m'amuser, pour entretenir mes amis et les personnes que je connais. Si je faisais quelque chose de mal, je ne manque ni d'envieux ni d'espions ; mais je les défie de m'accuser sur quoi que ce soit, dont je ne puisse donner le démenti sur-le-champ par mes actions.

Au surplus M. le cardinal de Bouillon ne m'a donné aucun avis sur ma conduite : j'ose dire qu'il n'y a rien à y reprendre : du reste il a été pleinement convaincu de la fausseté de ce bruit. Il n'a jamais été question entre lui et moi que de quelques éclaircissements qui le regardaient, touchant M. de Cambray et les Jésuites.

 

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Je suis las d'écrire, et je finis en vous disant que l'abbé de Vaubrun est le favori et le correspondant intime, à qui, selon toutes les apparences, le cardinal de Bouillon a écrit sur cette affaire pour en instruire M. de Torci : il est entièrement dans les intérêts de cette Eminence. C'est par ce canal très-sûrement, ou par celui du P. de la Chaise, que ce bruit s'est répandu. Une preuve que cette histoire n'est pas véritable, c'est que le cardinal de Bouillon n'a pas osé l'écrire : il y aurait été obligé, si elle avait eu quelque fondement.

 

LETTRE CCXXX. BOSSUET A SON  NEVEU. A Versailles, ce 3 mars 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 11 février, qui ne fait que confirmer les précédentes. J'ai donné ce matin mon livre au roi : je le donnai hier à M. le nonce pour le Pape, pour M. le cardinal Spada et pour lui. J'y joignis la lettre pour ce cardinal, un peu abrégée et comme je vous l'envoie (a) : ainsi celle que vous avez sera inutile. J'ai voulu la faire plus modeste, en m'abstenant davantage de juger. Vous aurez une lettre ostensible de M. de Chartres : M. de Paris en écrira une au P. Roslet (b), à qui je vous prie de faire bien des honnêtetés et des amitiés de ma part ; je suis ravi de votre concert avec lui.

M. de Cambray a écrit à M. le nonce, pour lui représenter qu'il ne faut plus que j'écrive, qu'il cessera d'écrire aussi, que c'est le moyen de finir promptement; qu'aussi bien ce que nous dirons ne sera plus que redites. D'ailleurs, que si j'écris, il demandera du temps pour répondre, et qu'il est juste que l'accusé parle le dernier. Il y a là beaucoup d'artifice, à son ordinaire. Il aura su que mon livre allait paraître, ce qui était trop public pour être ignoré. Ainsi il n'a pas pu espérer que je retirasse un livre que

 

(a) C'est la lettre CCXXVIII, ci-dessus. — (b) Il était procureur général des Minimes, très-estimé à la Cour de Rome, et l'homme de confiance de l'archevêque de Paris.

 

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j'étais sur le point de donner, et il a voulu seulement se préparer un moyen pour allonger, en faisant semblant d'abréger.

J'ai fait voir à M. le nonce l'injustice et l'affectation de ce procédé, par lequel il est visible que M. de Cambray donne le change, et fait passer pour pièces du procès ce que nous écrivons pour l'instruction, non du procès, mais des peuples. J'ai dit la même chose dans mon avertissement. Je lui ai fait lecture de ma lettre à M. le cardinal Spada, dont il a paru content. Si M. de Cambray voulait qu'on n'écrivît pas, il ne devait pas donner son Instruction pastorale, qui contenant un nouveau système et de nouvelles erreurs, demande une réfutation particulière. D'ailleurs si nos écritures ressemblaient à celles d'un procès, il aurait dû nous communiquer sa version, ses notes et tout ce qu'il a écrit, puisque nous ne faisons rien qui ne soit public. C'est vouloir trop visiblement abuser le monde, de s'aviser de demander que nous cessions d'écrire, quand il a dit tout ce qu'il a voulu, et que nous n'avons rien dit sur ses nouvelles idées. Il faut que vous fassiez bien valoir ces raisons, et que vous découvriez la finesse de M. de Cambray pour éloigner la décision.

On nous fait craindre beaucoup de longueurs, en nous annonçant qu'on va recommencer l'examen du livre, article par article, et que chaque article occupera une conférence. En effet c'en serait pour quarante-cinq semaines, sans compter les préliminaires des cinq amours. Je ne veux pas croire que cela soit réglé de cette manière : car en vérité ce serait un peu se moquer de la chrétienté et de nous.

J'ai vu une lettre où l'on fait dire à un cardinal, qu'on semble insinuer être le cardinal Casanate, qu'on peut bien condamner le livre en général, à cause du scandale qu'il a donné par des expressions abstraites et ambiguës, mais non pas qualifier les propositions à cause des précisions où on les a réduites. J'ai peine à croire qu'on change ainsi du blanc au noir (a).

Je vis hier M. le cardinal de Janson en bonne santé, Dieu merci. Nous traitâmes tous les chapitres, et principalement celui

 

(a) Le cardinal n'avait pas changé.

 

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qui vous regarde sur les bruits qu'on a fait courir : il veut qu'on tâche d'aller à la source (a). J'ai justifié M. le cardinal de Bouillon sur votre parole: je n'ai parlé que des Jésuites. Le cardinal se fonde fort sur ce qu'on ne lui a pas écrit un mot de cette prétendue histoire, dont Rome retentirait. On n'a rien écrit non plus à M. le cardinal d'Estrées, ni à personne ; et cette histoire tombera par là d'elle-même.

M. le cardinal de Janson écrira à M. l'archevêque de Chieti, et lui fera parler comme il faut. Tout le monde sait que le sacriste va mal. Le général des Carmes ne demande rien autre chose, sinon qu'on ne confonde pas la doctrine de sainte Thérèse et du P. Jean de la Croix avec celle des quiétistes. Ainsi on le peut avoir, en l'éclaircissant sur cela, à quoi l'on travaillera ici efficacement. Ne manquez pas de voir le provincial des Carmes déchaux, de la province de France, que nous avons bien instruit.

Nous savons que l'ambassadeur d'Espagne a parlé à M. l'archevêque de Chieti pour le livre. Nous avons fait remarquer que c'est trop, d'être recommandé de France et d'Espagne tout à la fois.

On s'est expliqué ici très-clairement sur les avis qu'on avait du chapeau, que M. le cardinal de Bouillon voulait faire donner à M. l'abbé d'Auvergne, son neveu (b). Je pense qu'il aura bien de la peine à le faire nommer. M. le cardinal en impose par ses belles relations.

On verra bientôt quelque chose de nouveau : c'est un mémoire du P. de La Combe (c), où il avoue ses illusions impures. On justifiera la liaison de Madame Guyon avec ce Père, qui était son directeur, et celle de M. de Cambray avec le même P. de La Combe. M. de Paris envoie au P. Rollet cette déclaration du P. de La Combe, qui fait horreur. Nous surseoirons un peu les impressions

 

(a) On n'y a pas été. — (b) Le cardinal de Bouillon écrivait au roi que le Pape désirait de donner un chapeau' à l'abbé d'Auvergne, puis il assurait le Pape qu'il ferait plaisir au roi s'il décorait 3on neveu de la pourpre. Ses instances étaient si vives et si réitérées que le souverain Pontife dit un jour à Monseigneur Giori : « Cet homme est bien chaud dans les choses qu'il veut pour lui: » — « Oui, répondit le cardinal; mais il est bien froid dans ce qu'il demande pour le roi; cela fait compensation. » — (c) On pourra le lire tout à l'heure.

 

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sions pour nous donner du repos, et aussi jusqu'à ce qu'on voie comment M. le nonce prendra la lettre de M. de Cambray.

J'ai un écrit tout prêt, de la dernière force, en latin.

On a fait payer sept écus de port, à M. le cardinal d'Aguirre, de l’Instruction pastorale de M. de Paris.

Ce cardinal a écrit à M. l'abbé de Pomponne une lettre pitoyable en faveur de la Mère d'Agréda. Il dit que cette affaire est capable de renouveler la guerre entre les couronnes.

M. le président Talon mourut hier de la pierre : tout le palais le regrette comme l'homme le plus capable qu'il eût à expédier, et le plus fertile en expédients.

 

LETTRE CCXXXI. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. Rome, ce 4 mars 1698.

 

Vous aurez su par le dernier ordinaire que le Pape ordonna, le dimanche 23 février, qu'on tiendrait deux congrégations par semaine. Le sacriste, qui commença à parler mardi dernier, parla quatre heures dimanche, et ne finit pas. Il n'y a rien de bon à espérer de lui ; son long discours tendit à favoriser le livre : il s'en était déjà déclaré dès le temps de la vie du cardinal Denhoff. Il n'aime pas la France, et est fort attaché à l'ambassadeur de l'empereur. Il est natif de Hui en Flandre, et voudrait bien être suffragant à Liège : il a des parents à Cambray. La congrégation a été remise à demain : le général des Carmes, qui était absent, y parlera et pourra bien tenir la congrégation entière. Outre qu'il est fort sourd, et par là incapable d'entendre les raisons des autres, il m'a témoigné qu'il craignait qu'on n'enveloppât la Mère sainte Thérèse dans la condamnation. Il est convenu avec moi qu'on pouvait condamner les propositions en y marquant les sens dans lesquels on les condamnait, pour n'y pas comprendre les nouveaux mystiques auxquels son ordre est fort attaché. L'archevêque de Chieti parlera ensuite : comme il est fort variable, conduit par le sacriste et ami des Jésuites, je doute qu'on puisse

 

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sûrement rien espérer de lui. Quand je lui parie, il convient de tout; mais il change aisément. Massoulié, Granelli, Mire, le procureur général des Augustins, le maître du sacré Palais se sont déclarés dès le commencement contre le livre, et ont persisté. On a fait tout ce qu'on a pu pour gagner quelqu'un d'eux, mais inutilement jusqu'ici. Voyant les longs discours des autres, ils prendront le parti de parler peu, parce qu'ils sentent bien que le raisonnement ne peut rien sur l'esprit des autres. On examinera ensuite ce qui regarde l'indifférence contenue dans les chapitres V, VI, et VII : c'est ce qui m'a obligé de faire une observation en style scolastique sur cette matière.

On n'a point encore reçu votre Préface. Je ne puis vous dissimuler que j'attendais quelque chose en latin : le français n'est entendu que de très-peu de gens ; et ceux qui l'entendent ne comprennent pas toute l'énergie d'un style serré et sublime. L'archevêque de Chieti même, ayant lu l’Instruction pastorale de M. de Paris, dit que cela était écrit oratorio modo, et que cela ne le convainquait pas. Voilà à quoi on en est réduit. J'attendais vos observations en latin, où on aurait pu retrancher et ajouter ce qu'on aurait jugé à propos : une préface française ne fera pas ici toute l'impression qu'elle devrait. M. de Cambray a donné, outre ses autres livres, la traduction latine de sa Lettre pastorale, et depuis deux jours, Verœ oppositiones inter doctrinam episcopi Meldensis, et doctrinam archiepiscopi Cameracensis. Il accable de livres ; car on nous en promet encore : tout cela ne tend qu'à embrouiller la matière et à en prolonger la discussion.

M. le cardinal de Bouillon a souhaité me voir; il m'a vu : chacun se tint sur ses gardes. Néanmoins je ne pus m'empêcher de lui remettre devant les yeux tout ce qu'on avait fait pour embrouiller l'affaire, et le peu d'égard qu'on avait eu pour la France. M. le cardinal de Bouillon partit hier pour faire la visite de son diocèse d'Albane. lime dit dimanche au soir qu'il avait fort pressé le Pape, dans l'audience qu'il avait eue ce jour-là, d'accélérer le jugement du livre; lui alléguant que les examinateurs ayant examiné le fond du système contenu dans les quatre premiers articles, pouvaient déclarer si le livre était bon ou mauvais.

 

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Le nonce a écrit par le dernier courrier que le roi l'avait fait entrer dans son cabinet, qu'il s'était plaint des lenteurs de cette Cour, et des bruits répandus qu'il ne prenait plus d'intérêt dans cette affaire. Il a envoyé un Mémoire que le roi lui a mis entre les mains : je ne sais pas encore ce qu'il contient. Cela pourra faire changer la forme des congrégations : sans cela l'affaire tirera toujours en longueur. Les partisans du livre prendront plaisir de faire de longs discours; et le partage qu'on aura soin d'entretenir, fera naître de nouvelles difficultés et de nouvelles longueurs. Le Pape est très-bien intentionné, mais il ne sait rien et il est facile. Les cardinaux Fabroni et Albane poussés par M. le cardinal de Bouillon, feront sans cesse de nouvelles insinuations pour le troubler, et rendre ses désirs inutiles. Il semble que M. le cardinal de Bouillon voudrait à présent voir finir cette affaire; mais elle est trop embrouillée pour finir sitôt, à moins que le Pape n'ordonne aux examinateurs de donner leurs suffrages sans discourir.

On a chanté le Te Deum pour l'élection du roi de Pologne. Je ne vous ai point parlé du bruit que vous dites s'être répandu jusqu'à Paris : je n'en ai rien su que ce que M. l'abbé m'a dit en avoir appris par quelques bruits vagues qu'on avait fait courir. J'ai toujours cru la chose fausse et sans fondement, et je l'ai crue plus digne de mépris que d'être relevée. Personne ne m'en a averti, et ne m'en a parlé sérieusement. On a pris le temps de publier ce bruit à l'occasion de sa maladie, qui n'était qu'un enrouement ; et on a publié qu'il était blessé, ce que je sais être faux. On a même joint à cette fausseté un accident qui arriva à un gentilhomme, à qui M. l'abbé faisait quelque charité dans la nécessité où il se trouvait, mais qui n'avait aucun rapport avec lui. On a peut-être cru décréditer la cause qu'on soutient par une telle fable. Quand on veut se venger en ce pays, on ne se sert pas de menace, on exécute sans aucun égard. Ainsi si on avait eu un tel dessein contre lui, on n'aurait pas manqué de l'exécuter. Ne formera-t-on point aussi quelque accusation contre moi, ou n'en a-t-on point fait? Je ne me sens, grâce à Dieu, coupable de rien : mais ce n'est pas une raison contre la calomnie.

 

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Nous avons reçu ce soir les exemplaires de la Préface : on en fera le meilleur usage qu'on pourra. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE CCXXXII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 4 mars 1698.

 

La lettre que j'ai reçue de M. Chasot, sur les bruits qu'on fait courir en France, m'a d'abord, je l'avoue, fait horreur et causé de l'indignation. Après cela je ne doute pas que plus on en dira, plus assurément on mentira, et plus on connaîtra la fausseté. Vous aurez reçu par ma dernière lettre tout le détail de cette fable. On n'avait pas songé à dire ici les infamies d'un enfant, cette odieuse calomnie aurait détruit tout le reste du conte ; car la personne qu'on en accuse est tous les jours en public, et y a été constamment. Enfin je crois qu'on a voulu accumuler infamie sur infamie, et fausseté sur fausseté : et en effet, quand on veut mentir rien ne coûte. Je ne puis me résoudre à répéter que toutes les circonstances de cette fable sont plus que fausses. Pour à Borne il n'est plus, sur mon honneur, question de cette fable, qui s'est évanouie dans un moment.

Du reste que voulez-vous que je vous dise? Je n'ai mérité par aucun endroit qu'on inventât ces impostures, qui ne peuvent venir que de l'enfer. Je vous ai marqué dans ma dernière lettre que tout ce qu'on en pouvait dire était faux, ne croyant pas nécessaire de rien circonstancier, ne pouvant en vérité me figurer qu'on osât écrire ces horribles faussetés en France. Pour du sang répandu, il n'y en a certainement point eu dans ma maison, ni sur des gens qui m'appartinssent. Un nommé Saint-Vincent, gentilhomme malheureux, que M. le cardinal de Janson connaît, à qui je faisais la charité, fut attaqué un mois après ma fable inventée , et fut blessé à la main : mais en quoi cela me pouvait-il regarder? Il a fait là-dessus sa déclaration à M. le cardinal de Bouillon : tout le monde le sait ici. J'ai chassé un laquais italien, qui était un malheureux, et qui se faisait tous les jours des querelles ;

 

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et un débauché, qui se fit un jour pour des insolences donner quelques coups, et je le chassai sur-le-champ. Ce laquais tué et l'autre blessé, dont me parle M. Chasot, est une imposture à laquelle on n'a pas seulement songé ici. En un mot, tout est faux depuis le commencement jusqu'à la fin ; je n'en puis pas dire davantage. Il n'y a jamais eu le moindre fondement à toutes ces historiettes, et c'est fausseté bâtie sur fausseté.

Je n'ai pu m'empêcher de prendre la liberté d'écrire à Madame de Maintenon une lettre sur cela, pour qu'elle voulût bien la montrer au roi ; et je m'imagine que cette lettre ne peut faire qu'un bon effet, si Sa Majesté a la bonté de l'entendre, et de m'accorder la grâce que je lui demande de ne pas demeurer dans le doute là-dessus, et d'ordonner ici qu'on prenne toutes les informations nécessaires. Je n'ai rien à craindre de la malice ouverte de mes ennemis : quand Sa Majesté aura la bonté d'en donner l'ordre et, s'il se pouvait, à M. le nonce, ma justification paraîtra clairement ; car il n'y a pas ici un Italien qui me veuille du mal, et à qui ces fables aient fait la moindre impression. Pour M. le cardinal de Bouillon, il n'osera jamais assurer qu'il y ait rien de vrai, mais il pourra biaiser. Quoiqu'à dire vrai, la fausseté est si manifeste, que je ne crois pas qu'il lui soit possible de ne pas me rendre justice sur tout. Pour ce que M. de Chasot ajoute, qu'on dit que M. le cardinal de Janson m'a donné des avis sur la maison de Cesarini, il n'y a rien au monde de plus faux : jamais il ne m'en a ouvert la bouche, ni personne de sa part. Mais comment m'aurait-il conseillé de ne pas entrer dans une maison où je ne mettais pas le pied à Rome, et que je n'avais jamais vue un peu plus familièrement que quatre ou cinq fois tout au plus à la campagne? Comptez, je vous supplie, que je ne vous écris pas un mot qui ne soit la pure vérité ; et que tout ce qu'on peut dire là-dessus de différent, est mensonge depuis le commencement jusqu'à la fin.

J'oublie de vous mander que j'adresse à M. de Paris ma lettre pour Madame de Maintenon, de peur que vous ne soyez à Meaux. Je n'ai rien à craindre que l'impression que peut prendre le roi : je vous conjure de ne rien oublier pour l'empêcher ; j'ose dire que

 

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je le mérite par mon innocence et par ma conduite. J'écris à M. le cardinal de Janson sur ceci, et je ne doute pas qu'il ne me serve autant par inclination que par justice.

Le Pape, sur l'affaire de Cambray, est animé au dernier point depuis la lettre du nonce. M. l'assesseur m'a dit ce soir de sa part que Sa Sainteté souhaitait qu'on commençât à instruire les cardinaux, pour ne point perdre de temps. M. le cardinal de Bouillon l'a pressé, à ce qu'il m'a dit ; mais je crains que cette grande hâte ne tende à condamner le livre en général : je crains tout de la cabale, qui est de la dernière rage. Depuis les nouvelles instances du roi, M. le cardinal de Bouillon a changé de ton, mais n'en pense pas moins mal. M. le cardinal Albane a reçu une lettre forte de M. le nonce, qu'il a montrée au Pape : le Pape voulait faire le décret sur-le-champ. Le grand point serait de faire accorder les examinateurs. Je ne sais encore que dire do tout cela : d'ici à huit jours j'en jugerai mieux. Ne soyez en peine de moi sur rien : je veux espérer que la vérité triomphera de l'erreur et de la calomnie.

Il me faut, s'il vous plaît, envoyer des Déclarations, des Summa doctrinœ et vos observations latines.

Je vous parlerai l'ordinaire prochain, des consulteurs du saint Office. J'ai cru pendant quelque temps que Monseigneur le sacriste était du saint Office ; mais je me suis trompé.

Les Jésuites triomphent ici sur M. de Reims : M. le cardinal de Bouillon le fait sonner bien haut.

M. de Reims ne m'a pas écrit les deux derniers ordinaires. Je ne trouve pas l'accommodement si avantageux aux Jésuites qu'ils le disent : il est bon que cela soit fini.

Je me porte bien, Dieu merci. Monseigneur Giori continue ses bons offices : je l'entretiens de mon mieux. A la lettre, je suis seul ici contre M. de Cambray ; mais la bonne cause est pour moi.

Souvenez-vous, s'il vous plaît, de ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, il y a longtemps, du coup fourré : sans le dernier, tout était fini à Pâques sûrement.

Je suis très-en peine de M. le cardinal de Janson. M. le cardinal de Bouillon le hait souverainement.

 

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LETTRE CCXXXIII.  BOSSUET A SON NEVEU. A Versailles, ce 10 mars 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 18 février. Vous me marquez la réception de la mienne, où je vous avais parlé de la prétendue histoire : cela tombe tout à fait ici, parce que personne n'en a reçu aucune nouvelle, ni M. le nonce, ni M. de Torci, ni MM. les cardinaux, ni M. de Monaco, ni aucun de ceux qui ont quelque correspondance connue.

Il faut pourtant s'attendre au rimbombo de toute la France, et à la Gazette de Hollande, où les amis de M. de Cambray font dire tout ce qu'ils veulent. Tout tournera à bien, même pour vous. Je pars bientôt pour Meaux : je dirai ce qu'il faudra avant mon départ.

Vous devez avoir vu maintenant l’Avertissement que j'ai mis à la tête de mon dernier livre, dans lequel je me suis proposé de donner des vues pour abréger la discussion, en réduisant la matière à huit ou neuf chefs qui comprennent tous les autres. Je n'écrirai plus qu'en latin, et je le ferai avec toute la diligence possible, sans pourtant me casser la tête. Ma Préface (a) fait ici un effet prodigieux, et met plus que jamais tout le monde, et en particulier tout l'épiscopat, contre M. de Cambray, malgré la cabale qui ne laisse pas d'être très-forte. Nous verrons ce que fera, pour accélérer, le dernier Mémoire que le roi a donné à M. le nonce. On n'oubliera rien ici de ce qu'il faudra faire.

Nous avons enfin la réponse de M. de Cambray à la Déclaration des trois évêques, avec trois lettres (b) de ce prélat à M. de Paris contre son Instruction pastorale.

M. Phelippeaux paraît s'ennuyer à Rome. Tâchez de le retenir; car s'il revenait dans les circonstances présentes, cela ferait un

 

(a) L'Avertissement se trouve vol. XIX, p. 156; la Préface le suit, ibid., p. 178. — (b) M. de Cambray fit paraître plus tard une quatrième lettre contre M. l'archevêque de Paris.

 

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mauvais effet : instruisez-le des Mémoires ci-joints, et surtout de la Déclaration du P. La Combe.

On a envoyé à Rome au P. Roslet la copie authentique de cette Déclaration (a), dans laquelle le P. La Combe avoue des ordures horribles, où il a cru être entraîné de Dieu, après les actes les plus parfaits de résignation. Il semble reconnaître son illusion; mais la manière dont il parle est encore trop entortillée.

Ses histoires avec Madame Guyon, dont il est le grand directeur, et le correcteur de ses livres, sont comprises en partie dans la Vie de feu M. de Genève, par le Père général des Chartreux (b), dont on vous envoie quelques feuilles, en attendant qu'on vous envoie le livre entier.

De quelque artifice qu'use M. de Cambray pour pallier sa liaison avec Madame Guyon, elle paraît toute entière dans une lettre écrite de sa main (c), où tâchant de s'excuser sur le tort qu'on lui donnait de tous côtés, au sujet du refus d'approuver mon livre sur les états d'oraisons, il répète cent fois que Madame Guyon est son amie, et qu'il répond de sa doctrine corps pour corps. M. de Chartres a fait voir cette lettre en original à M. le nonce, et doit lui en avoir laissé copie pour la faire connaître à Rome. Je lui conseille de la répandre lui-même en ce pays-là. Mais quoiqu'on soit déclaré, autant qu'il se peut, contre la doctrine de M. de Cambray, et que M. de Chartres doive l'écrire d'une manière très-précise, ou à vous ou à M. Phelippeaux, on a encore ici sur les faits certaine sorte de ménagements, qui ne devraient plus avoir lieu dans un mal aussi déclaré.

Tout le parti du quiétisme et de Molinos ressuscité se rallie sous l'autorité du livre de M. Cambray, et n'a plus de protection que de son côté. Ainsi on a bien besoin que Rome se hâte de prononcer. Le parlement et les Universités, aussi bien que les évêques, voudraient qu'on prît ici des voies plus courtes, et nous

 

(a) Elle suit cette lettre. — (4) Vie de M. Jean d'Aranthon d'Alex, évêque de Genève, composée par D. Innocent le Masson, général des Chartreux. On peut la consulter avec l’Eclaircissement sur cette vie : on y apprendra bien des choses intéressantes touchant la nouvelle spiritualité de Madame Guyon et du P. La Combe, son directeur. (Les premiers édit.)— (c) C'est la lettre à Madame de Maintenon. Bossuet la donne tout entière dans la Relation sur le quiétisme, section IV; dans cette édition, vol. XX, p. 115.

 

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avons beaucoup de peine à tenir tout en surséance : c'est ce que vous pouvez dire à des personnes confidentes.

Ayez courage et patience ; vous travaillez pour la cause de l'Eglise : il s'agit d'exterminer une corruption et une hérésie naissante. Si le roi n'était persuadé qu'à Rome on prendra des mesures justes pour finir et pour accomplir les saintes intentions du Pape, on ne sait quelle résolution il prendrait pour mettre fin à une cabale qu'il voit sous ses yeux, et qu'il supporte avec une modération digne de respect ; mais ce prince veut terminer une affaire de l'Eglise par des moyens ecclésiastiques.

On répand ici le bruit que M. Hennebel a été gagné par la faction de M. de Cambray et qu'à son tour il a gagné M. le cardinal Noris (a). Je n'en crois rien: cependant voyez le premier, et donnez-lui mes livres, même de ma part. Il est impossible qu'on puisse aimer saint Augustin et saint Thomas, et souffrir la doctrine de M. de Cambray.

Samedi je fus averti que M. l'archevêque de Cambray, après avoir rempli toute la France et tous les Pays-Bas de livres contre nous, avait écrit au P. de la Chaise pour insinuer au roi qu'il fallait m'empêcher d'écrire. Il marquait dans cette lettre qu'il en avait écrit autant à M. le nonce. Mon livre venait en ce moment d'être publié, et je le donnais au roi, quand on reçut cette lettre.

Dimanche, en le présentant à M. le nonce, il m'exhorta à ne plus écrire; et sur cela je lui exposai ce que je savais des desseins de M. de Cambray.

Je lui montrai l'injustice du procédé de ce prélat, de proposer de n'écrire plus, après qu'il a rempli toute l'Europe d'écrits contre moi. Je lui fis voir les livres de M. de Cambray, où il me fait dire tout le contraire de ce que je dis; dans lesquels sur ce faux fondement, il me déchire partout comme l'ennemi de l'Ecole, à laquelle, dit-il, je fais la guerre jusqu'à la déclarer impie, et contre lequel toutes les Universités se devraient réunir.

(a) Ces bruits n'avaient aucun fondement. Hennebel, docteur de Louvain, député à Rome par la faculté de théologie, n'a jamais approuvé la doctrine de Fénelon. Il en faut dire autant du cardinal Noris.

 

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Nous savons depuis qu'il a fait imprimer trois lettres contre l'Instruction pastorale, de M. l'archevêque de Paris, où il avance comme un fait certain que ce prélat avait approuvé son livre avant qu'il fût imprimé. Il remplit sa réponse à notre Déclaration de faits très-faux et très-outrageants contre nous.

Il dit entre autres choses qu'il nous a proposé d'écrire tous ensemble au Pape, pour lui demander de nous juger. C'est de quoi je n'ai jamais entendu parler : c'eût été un piège pour faire de cette affaire une querelle particulière de trois évêques contre un. On ne nous accusait de rien ; et nous n'avions à nous justifier que de l'attribution que M. de Cambray nous faisait de sa doctrine, dans l'Avertissement de son livre des Maximes des Saints.

Quand il y aurait quelques mesures à prendre sur les écrits que l'on fait, on ne peut s'assurer de rien avec M. de Cambray, qui fait tout imprimer hors du royaume, sans que personne puisse lui servir de caution touchant le silence qu'il offre après avoir répandu tout son venin.

Nous n'avons pas dessein d'écrire beaucoup, mais seulement de petits livres latins, qui ne contiendront presque autre chose que ce que nous avons mis en français; ce qui nous est nécessaire, non-seulement pour l'Italie, mais encore pour les Pays-Bas, où l'on tâche de corrompre la simplicité de la foi, d'où le mal passe en Espagne et en Allemagne. Les affaires allant à Rome avec la lenteur que nous voyons malgré les saintes intentions du Pape, il faut que nous tâchions de garantir, en attendant, nos peuples et nos voisins de la contagion.

C'est faire tort à Rome que de croire qu'elle ait besoin de nos instructions pour juger. Il s'agit d'un petit livre français, et non d'une version latine altérée, ni des explications trompeuses, à la faveur desquelles on veut faire revivre Molinos et éluder sa condamnation, dont ses sectateurs le sauveront par les mêmes distinctions et subtilités dont se sert M. de Cambray.

Nous n'avons pas encore, par respect, nommé un cardinal (a) que Rome n'a pas épargné, quoique ses écrits donnent moins de prise que ceux de notre confrère,

 

(a) Le cardinal Pétrucci.

 

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M. le nonce a bien compris nos raisons, et que M. de Cambray lorsqu'il demandait du temps pour nous répondre, ne cherchait que des prétextes pour allonger.

S'il n'y a qu'à se sauver par des équivoques et des subtilités, on ouvre une grande porte à Molinos et à toutes les sectes.

M. de Cambray a déclaré à plusieurs personnes, qu'il condamnerait les livres de Madame Guyon comme contenant une mauvaise doctrine. Tout cela n'est qu'artifice, s'il ne spécifie en quoi il les condamne ; et s'il ne condamne son propre livre, qui renouvelle toutes les erreurs contenues dans ceux de Madame Guyon. Les partisans de ce prélat feront pourtant bien valoir ce consentement ; car tout ce qu'il a de bouches parlantes font bien retentir tout ce qu'il fait. L'Eglise est en grand péril, et l'intérêt de la vérité demande que je demeure ferme.

 

DÉCLARATION DU P. LA COMBE, A M. L'ÉVÊQUE DE TARBES. A Lordes, ce 9 janvier de l'an 1698.

 

Comme l'on n'a pas jugé à propos de m'entendre ici, avant que d'envoyer à Votre Grandeur les écrits qu'on m'a trouvés et les nouveaux chefs d'accusation dressés contre moi, j'ai cru que la justice me permettait, et qu'il était même de mon devoir de vous faire, Monseigneur, avec un très-profond respect, les déclarations et les protestations suivantes, comme à mon évêque diocésain et mon juge naturel et légitime, depuis dix ans qu'il y a que je suis détenu (a) dans votre diocèse.

Entre ces écrits, il y en a cinq qui ne sont pas de moi, et auxquels je n'eus jamais de part: savoir l’Explication de l'Apocalypse (b), le Traité sur saint Clément d'Alexandrie, et trois ouvrages de feu Mère Bon de l'Incarnation, religieuse ursuline de Saint-Marcellin en Dauphiné. L'un est intitulé : Jésus bon Pasteur ;

(«) Le roi le fit enfermer dès 16S7, d'abord chez les Doctrinaires de la maison de Saiut-Charles, ensuite à la Bastille, puis à Oléron, et de là dans différentes prisons. Il était alors depuis près de dix ans dans le château de Lourde ou Lordes, au diocèse de Tarbes, d'où il sortit en 1698 pour être transféré à Vin-cennes.— (b) Cet écrit était de madame Guyon; les autres renfermaient les mêmes principes.

 

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le second : Etat du pur amour; et le troisième : Catéchisme spirituel. Ce dernier est écrit de ma main, parce que je lui ai donné quelque ordre, et la distinction des chapitres qu'il n'avait pas dans l'original.

Parmi ceux qui sont de ma façon, on trouvera : Le moyen court et facile pour faire l'Oraison, que j'avais corrigé, reforme et plus expliqué sur celui de Madame Guyon, quatre ou cinq ans avant que MM. les archevêque de Paris et évêque de Meaux eussent censuré le livre de ladite Dame.

Il y a une ébauche d'un livre intitulé : Règle des associés à l'enfance de Jésus; livret qui devrait être tout autre que celui qui a été imprimé sous le même titre, et que M. l'évêque de Meaux a frappé de sa censure (a), quoique celui-là dût être formé sur le même dessein. Je l'avais commencé étant à Verceil en Piémont, il y a quatorze ans, avant presque que l'autre eût paru, et depuis je n'y ai plus touché.

Ces écrits, avec ceux des Remarques spirituelles et morales, me furent envoyées de Paris par un de mes confrères qui mourut peu après, dès qu'on supposa avec fondement que j'étais ici confiné pour le reste de mes jours. J'ai fait les autres en différents lieux, et en divers temps de ma prison, à dessein de m'édifier et de m'occuper dans une si longue et si profonde solitude.

Si j'ai tenu ces écrits cachés pendant quelque temps, c'a été par la crainte de les perdre dès qu'ils seraient tombés en d'autres mains, y ayant encore quelque attache et y trouvant de la consolation, et non que je crusse qu'il y eût rien de mauvais. Présentement je bénis Dieu de bon cœur, de ce que par une singulière providence ils sont remis à Votre Grandeur ; et pour ne rien soustraire à sa censure, je lui soumets encore de plein gré les deux ouvrages ci-joints, les seuls qui me restaient et qu'on n'avait pu trouver en fouillant ma chambre. L'un est l’Analysis de nouvelle façon, qui est celui dont j'avais eu l'honneur de parler à Votre Grandeur, dès que j'eus l'avantage de la voir : l'autre expose mes véritables sentiments touchant le pur et parfait amour

 

(a) Dans son Ordonnance sur les Etats d'oraison, du 16 avril 1695.

 

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de Dieu, je veux dire sincèrement, tels que je les ai compris et professés.

J'abandonne très-librement tout ce que j'ai écrit au jugement de Votre Grandeur et à celui de tout autre prélat et docteur orthodoxe, qui pourrait être commis pour l'examiner, aimant mieux que l'on jette tout au feu que d'y souffrir quelque erreur et le moindre danger d'infection.

Pour ce qui regarde mes mœurs, j'avoue à ma confusion que j'ai très-mal fait de m'ingérer à donner ici quelques avis spirituels, dans le peu d'occasions que j'en ai eues, quoiqu'à peu de personnes, mais aussi à quelques-unes de l'autre sexe. Ce malheur m'était déjà arrivé, lorsque vous m'en fîtes. Monseigneur, une très-juste et très-sage défense. J'en demande très-humblement pardon à Votre Grandeur, comme encore d'y avoir donné depuis quelque atteinte. J'accepte de tout mon cœur telle punition qu'il lui plaira de m'imposer pour ce chef, aussi bien que pour mes autres transgressions, si celle d'une très-étroite réclusion, où je suis entré après une prison de onze ans, ne paraît pas suffisante.

J'ai dit que de bonnes et de saintes âmes étaient quelquefois livrées par un secret jugement de Dieu à l'esprit de blasphème; ce qui a scandalisé quelques personnes. Cependant plusieurs graves auteurs l'ont écrit, entre autres saint Jean Climaque. On convient que ces horribles paroles sont formées par le démon, qui remue les organes de la personne qui le souffre malgré elle. Je n'ai jamais conseillé de consentir à cet état, ni d'y entrer, ni je n'ai pris aucune part à cette terrible épreuve ; de laquelle même je me défendis, lorsqu'elle me fut intérieurement proposée il y a quinze ou seize ans, aimant mieux être sacrifié à toute autre peine qu'à la moindre ombre d'un mépris de la divine Majesté. Ayant ici connu deux personnes livrées à cette affreuse humiliation, je les ai consolées et aidées sans y participer.

J'ai dit que de bonnes et saintes âmes sont quelquefois livrées à des peines d'impureté, soit à un esprit ou à un état qui leur en fait souffrir de cruels effets, sans que l'on puisse pénétrer comment cela se fait : je ne l'ai pas avancé de mon chef. J'ai trouvé

 

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en divers pays des directeurs qui disent l'avoir reconnu; mais je n'en ai jamais donné de sûreté, ni aucune certitude, comme l'ont fait quelques-uns, et principalement Molinos. Au contraire je disais que ces terribles épreuves, supposé qu'il y eût du dessein de Dieu, devaient faire perdre toute assurance et toute confiance en sa propre justice. Je n'ai jamais prétendu non plus en faire une règle générale, ou un moyen nécessaire. Bien loin de là, j'ai toujours cru que le cas était très-rare, supposé qu'il y en eût; et j'avoue de bonne foi qu'après les divines lois et Ecritures, desquelles cette maxime s'écarte, rien ne me la rendit plus suspecte que d'apprendre qu'en divers lieux plusieurs personnes s'y laissent entraîner. Ainsi je n'ai pas pensé que la pente que j'avais à croire qu'il pût en cela y avoir du dessein de Dieu et une humiliation sans péché, fût contraire à la profession de foi catholique que j'ai toujours très-sincèrement faite, et que constamment je préfère à tout, puisque je n'attribuais cela qu'à une volonté de Dieu extraordinaire et du tout impénétrable, qui cause un moins cruel qu'incompréhensible martyre aux âmes qui y sont abandonnées. C'est ainsi que je raisonnais.

Dieu me sera témoin que je n'ai jamais fait d'assemblées pour parler sur ce point, que de ma vie je n'en ai conféré qu'avec très-peu de personnes, et que même je n'en ai pas touché un mot à qui que ce soit jusqu'à ce que j'aie été prévenu, excepté seulement que j'en écrivis à un grand personnage en Italie, pour lui demander conseil. Sa réponse fut négative et très-orthodoxe. Ainsi sans des avances qui m'ont été faites, je n'en aurais pas ouvert la bouche, comme effectivement je n'en ai pas parlé à qui ne m'en a pas donné l'ouverture.

Bien loin d'affecter d'être chef de secte, comme on me l'impute, Dieu sait que je n'ai jamais cherché à y engager personne, et que je voudrais voir tout le monde bien acquis à Jésus-Christ par amour, et soumis à l'Eglise son Epouse. Non-seulement je n’ai ni relation ni commerce de lettres; mais je bénis Dieu de me voir toujours plus en état de n'en avoir point du tout, et de ce qu’une étroite prison me rempare contre ma fragilité et contre les surprises de l'ennemi ; promettant de plus de n'avoir jamais

 

 

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de tel commerce, à moins qu'on ne me le permît, quand même j'en trouverais les moyens.

Je ne sais si l'on peut me convaincre d'avoir donné dans aucune autre des erreurs de Molinos que dans celle dont j'ai parlé. Pour moi, je ne l'ai pas reconnu ; et pour ce qui est de celle-là, je la rejette et déteste véritablement, aussi bien que toutes les autres, dont, grâce à Jésus-Christ, je connais enfin clairement l'abus et les pernicieuses conséquences.

Je n'ai pas compris, et l'on ne m'a pas fait connaître, qu'il y eût dans mon livre Analysis ou dans quelque autre de mes écrits, aucune des erreurs des nouveaux mystiques, quoiqu'on mêle mon nom avec les leurs en censurant leurs maximes, que j'ai toujours rejetées et expressément réfutées, il y a plus de dix ans, comme on le pourra voir dans ma seconde Analyse, que j'ai prié qu'on remît à Votre Grandeur. J'ai bien mérité cette confusion par ma trop grande imprudence et vraiment folle conduite en beaucoup de rencontres. Je souscris volontiers à la condamnation qui a été faite de mon livre.

J'ai soutenu avec saint Jean Climaque et avec d'autres graves auteurs, la permanence et la durée ordinaire de l'oraison dans les âmes qui la possèdent fort élevée et parfaite. Mais je n'ai pas décidé si cela se fait par un même acte physiquement continué, ou seulement par une continuité équivalente, qui consiste dans une suite très-facile de plusieurs actes, dont l'interruption et là succession n'est presque pas aperçue ; ce qui me paraît plus vraisemblable.

Je suis tombé dans des excès et des misères de la nature de ceux dont j'ai parlé ci-dessus : je l'avoue avec repentance et avec larmes. Mais en même temps que je confesse mon iniquité contre moi-même, je me crois obligé d'ajouter que je mentirais, si je disais que c'eût été à dessein de séduire personne, ou seulement de me satisfaire, absit, ou par le même principe qu'on le fait dans les désordres du monde. On peut voir dans mes écrits, où je dépeins naïvement mon intérieur, n'écrivant que pour moi-même, l'estime, l'amour, l'attachement et la souveraine préférence que Dieu m'a donnée pour sa volonté et pour ses lois. Me voir avec

 

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cela livré et précipité, par un enchaînement de folie et de fureur, à des choses que sa loi défend, sans perdre le désir de lui être conforme en tout ; n'y être tombé qu'après les consentements réitérés qu'il a exigés de moi plusieurs fois pour tous ses plus étranges desseins sur moi, m'en faisant en même temps prévoir et accepter les plus terribles suites : c'est ce que je n'ai jamais pu comprendre moi-même, bien loin que je présume de le faire comprendre et approuver aux autres. Mon Dieu, sous les yeux de qui j'écris ceci, sait combien de prières je lui ai adressées, et combien de larmes j'ai versées en sa présence pour le conjurer de me délivrer d'une telle misère, ou bien de me la changer contre toute autre peine, et de me couvrir de tous opprobres plutôt que de permettre que je me séduisisse moi-même, ou que j'en trompasse d'autres par des endroits si glissants et si dangereux. Il est vrai qu'en même temps je m'abandonnais pour cela même à sa toute absolue et toute-puissante volonté, supposé qu'il y allât de sa gloire ; ne pouvant lui refuser rien de tout ce à quoi il lui eût plu de me sacrifier, soit pour le temps ou pour l'éternité.

Il est bien certain qu'on en excepte toujours le péché, puisque c'est pour ne déplaire pas à Dieu même par une imperfection, ou par la moindre propriété et recherche de soi-même, qu'on en vient jusque-là, selon qu'on s'y sent porté par la plus haute résignation, que pour cet effet on appelle l’extrême abandon. Voilà très-sincèrement comme cela m'est arrivé, et comme la vérité me le ferait protester en confession et sur l'échafaud, ou au lit de la mort.

Grâce à Dieu, j'en suis bien revenu. Depuis un temps considérable je me trouve affranchi de ces peines, et plus éclairé touchant ces illusions ; espérant de la divine bonté que par les mérites de Jésus-Christ mon Sauveur, elle me fera la grâce de finir mes jours dans sa paix par la pénitence.

Après ce que je viens d'exposer, j'accepte par avance, et promets de suivre en tout point ce que l'on m'ordonnera touchant les dogmes et les mœurs; suppliant en même temps que sans épargner ma personne, si l'on me trouve coupable, on épargne

 

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le nom et la réputation du corps dont je suis membre, et duquel j'ai été la croix et l'opprobre depuis si longtemps, comme aussi les personnes qui pourraient être intéressées dans ma cause ; promettant avec l'assistance de mon Dieu d'user à l'avenir de tant de retenue et de précaution, que l'on n'aura plus aucun sujet de se plaindre de moi.

J'ai cru que Votre Grandeur ne désapprouverait pas la liberté que j'ai prise de lui faire cette très-humble remontrance et sincère protestation; et abandonnant le tout à sa bonté pastorale et à son équité, je la supplie de souffrir que je me jette à ses pieds pour lui demander sa sainte bénédiction.

Dom François La Combe.

 

LETTRE CCXXXIV. L'ABBÉ PHELIPPEAUX  A BOSSUET. A Rome, ce mardi 11 mars 1698.

 

La lettre de M. le nonce a fait tout l'effet qu'on pouvait espérer. Le Pape est résolu d'accélérer cette affaire, et a donné des ordres précis pour cet effet; ce qui a fort alarmé nos parties. Je trouve votre Préface admirable : j'espère qu'elle achèvera de convaincre les plus opiniâtres; du moins donnera-t-elle une grande lumière. On attend ici une réponse de M. de Cambray contre l’Instruction pastorale de M. de Paris. Dans son livre : Verœ oppositiones, il réduit tout à deux questions : l'une regarde la nature de la charité ; il prétend que vous voulez que la vue de la béatitude soit l'objet formel et spécifique de la charité : l'autre regarde la contemplation passive. Il le doit donner encore en français. Je ne le croyais pas si fécond à produire des livres inutiles ou même mauvais.

Il y eut congrégation mercredi, où parlèrent le général des Carmes et le sacriste en faveur du livre. Dimanche on examina la matière de l'indifférence : cinq parlèrent, Alfaro et Gabrieli en faveur du livre; Miro, le procureur général des Augustins et Granelli contre. Ils dirent des choses si fortes et si plausibles, que

 

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Alfaro, Gabrieli et les autres du parti sortirent fort mortifiés. Le cardinal Noris loua Granelli après la congrégation, et lui dit que c'était là la manière dont il fallait voter. Les autres parleront demain, et on verra à la fin quel parti prendront l'archevêque de Chieti, le sacriste et le général des Carmes. S'il y a une ligue entre eux, ils ne changeront point.

J'ai fait une observation sur cette matière dans le même style que celle que vous avez reçue; mais je ne sais si elle fera quelque impression sur eux. Il y a longtemps que le procureur général des Augustins m'a dit qu'on ne devait pas prétendre leur faire entendre raison.

J'eus hier une longue audience de M. le cardinal de Bouillon, en lui présentant votre Préface. Expiscari quœrit; il faut se tenir sur ses gardes, sans pourtant taire ce qui fait à la cause. Il témoigna être content, et il fut obligé de convenir de beaucoup de chefs.

Les Carmes obtinrent samedi dernier, contre les Jésuites, un décret de la Congrégation du concile, imposant silence de part et d'autre sur les contestations que Papebrock avait excitées sur leur descendance d'Elie. Cette même Congrégation se trouva partagée, il y eut samedi huit jours, sur l'affaire de Palafox. Il s'agit de savoir si on informera de sa vie et de ses mœurs pour procéder à sa canonisation, que le roi d'Espagne sollicite aussi bien que le clergé de ce royaume. Les Jésuites se sont opposés au décret de permission qu'on demandait, chose assez extraordinaire ; car ils auraient pu s'opposer dans la suite de la procédure. La Congrégation fut partagée. Casanate, Noris, Ferrari, d'Aguirre, Guidiche, Marescotti furent d'avis d'accorder la licence d'informer : Colloredo, Sacchelli, Albane, Nerli, Acciaoli, Bar-berin le jeune et Cenci furent d'avis de la refuser : Durazzo fut douteux, et la décision fut renvoyée au Pape. Ceux qui souhaiteront de se faire canoniser, doivent prendre garde de ne rien écrire contre la Société. Je suis avec un profond respect, etc.

 

Phelippeaux.

 

Je suis fâché que vous n'ayez pas eu de bonne heure la réponse

 

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de M. de Cambray à la Déclaration : je la crois imprimée à Lyon. Le livret : Verœ oppositiones, me paraît impression de Flandre : il est de la grosseur de la réponse au Summa doctrinae. Je les ai tous ; mais il n'y a pas moyen de s'en défaire. J'attends votre réponse en latin. Je vous enverrai, l'autre ordinaire, mon observation.

 

LETTRE CCXXXV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 11 mars 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 17 février. Je viens de rendre compte à M. de Paris de l'état de l'affaire : il n'y a rien de nouveau. Le Pape presse toujours, et a ordonné que chaque examinateur ne parlât que demi-heure. Dans la dernière conférence, qui se tint dimanche, cinq parlèrent : Alfaro et Gabrieli à leur ordinaire ; Granelli, le Mire et le procureur général des Augustins parlèrent avec l'applaudissement du cardinal Noris et du cardinal Ferrari, qui dirent que c'était ainsi qu'il fallait parler : on examinait l'indifférence. On espère toujours de l'archevêque de Chieti ; mais on ne peut compter sur rien : tout le reste est dans la même disposition.

Votre Préface, si elle est entendue, doit opérer la décision : nous n'oublions rien pour la faire entendre. Les ouvrages latins sont essentiels pour les cardinaux. Pour la condamnation du livre, elle est assurée : mais puisqu'on y est, il serait bon qu'on qualifiât les propositions. Le Pape est toujours dans la même disposition là-dessus, aussi bien que le cardinal de Noris, le cardinal Ferrari et les gens bien intentionnés, et qui aiment l'honneur du saint Siège. Le cardinal de Bouillon et les Jésuites ont la rage : ils disent que le roi sera content, pourvu qu'on juge vite pour ou contre : on croit bien le contraire. Le Mémoire a fait des merveilles.

Je parle à présent très-doucement, parce que je sais que le Pape et les cardinaux sont sur leurs gardes contre la cabale. Mais

 

(a) Revue sur l'original.

 

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ce n’a pas été sans peine qu'on leur a fait voir clair. Imaginez l'embarras où j'ai été cinq mois, tout seul à la lettre (a) et le Pape et les cardinaux prévenus : à présent cela va bien, il faut seulement empêcher pasticcio.

J'ai vu le cardinal Spada un moment hier; je lui ai témoigne être très-content. Je sais comment il faut parler au cardinal Ferrari, qui admire ce qu'il a lu de la Préface : il prend la chose sérieusement, et craint seulement qu'on ne veuille trop précipiter. Il a été content de ce que je lui ai dit là-dessus : il ne veut pas pasticcio, et a raison, pour l'honneur du saint Siège. Le cardinal Noris va bien aussi. Dans huit jours nous verrons mieux ce qu'on doit espérer de tous les examinateurs.

Il est arrivé ici une réponse de M. de Cambray à la Lettre pastorale de M. de Paris. Ce prélat a écrit une grande lettre pathétique et engageante aux examinateurs.

Les cardinaux ont été partagés sur l'affaire de Palafox. Le cardinal Noris a été pour ce saint contre les Jésuites : on s'en est remis au Pape.

Le cardinal de Bouillon a été surpris de votre dernière lettre. Il m'a avoué qu'il avait dit que les deux plus grands évêques de France, et ses meilleurs amis, étaient vous et M. de Cambray; et qu'il le pensait comme cela. Tous les honnêtes gens sont ici scandalisés contre lui à mon sujet sur cette imposture, qu'on ne doute pas qu'il n'ait été bien aise qu'elle courût en France, par vengeance et par rage. Cela n'a jamais fait ici aucune impression, que contre lui et les Jésuites. Je vais tête levée et sans rien craindre, parce que je n'ai jamais rien eu à craindre, et que tout ce que je vous ai mandé au sujet de la maison qu'on dit me vouloir tant de bien et tant de mal est faux manifestement. Il n'y a ici personne à qui cela ait fait la moindre impression contre moi. J'ai évité jusqu'aux occasions les plus innocentes de faire parler : et jamais, en quelque temps que ce peut être, je n'ai rien à me reprocher. Je n'ai jamais vu et fréquenté que les plus honnêtes gens; ce qui a peut-être causé un peu d'envie.

 

(a) Heureux abbé, vous seul avez connu la vérité, vous seul avez éclairé l'Eglise !

 

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LETTRE CCXXXVI. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Meaux , ce 17 mars 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 23 février : le paquet était en bon état. Je commence par vous louer d'avoir écrit directement à M. de Paris. La Réponse, par M. de Cambray, à la Déclaration se répand ici avec trois lettres contre M. de Paris, bénignement outrageuses et moqueuses. Il faut de nécessité qu'il y fasse répondre. Voilà ce que nous cachait M. de Cambray, lorsqu'il offrait de se taire si nous nous taisions. Comme il continue à se donner pour un évêque opprimé et persécuté, il faut que nous parlions là-dessus, et que nous montrions que les airs plaintifs ont toujours accompagné les airs schismatiques.

On imprime trois discours latins dont le premier sera Mystici in tuto, en faveur du P. Philippe (b) ; le second, Schola in tuto ; le troisième, qui emporte la pièce, Quietismus redivivus. Je travaille à faire qu'on prouve par actes la liaison du P. La Combe, de Madame Guyon et de M. de Cambray. Il faut espérer qu'à cette' fois la tour de Babel et le mystère de la confusion sera détruit. Vous pouvez choisir en attendant, pour les mettre en latin, les endroits de ma Préface les plus convenables aux dispositions que vous connaissez. Je suis bien aise des nouveaux ordres du Pape, et de ce que vous me mandez de M. le cardinal Casanate.

Le roi ne cesse de presser par M. le nonce. Sa Majesté a redoublé ses ordres au cardinal de Bouillon, pour le rendre responsable des lenteurs.

J'ai bien compris votre récit : je l'envoie à mon frère par l'exprès qui porte cette lettre à Paris. Vous voyez; faites comme vous dites : nul ressentiment, mais les mettre au pis, et leur ôter tout prétexte.

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Général des Carmes déchaussés l'un des consulteurs, qui craignait que la condamnation du livre des Maximes n'entraînât celle des ouvrages de sainte Thérèse, du bienheureux Jean de la Croix et de plusieurs autres saints mystiques.

 

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Mercredi dernier, avant mon départ, fut déclaré le mariage de M. le comte d'Ayen avec Mademoiselle d'Aubigné. Le roi lui donne huit cent mille francs, outre cela cent mille en pierreries: la survivance des gouvernements de Perpignan et de Bern, dont le dernier qui est au père de la mariée, le cas échéant, sera vendu au profit de la mariée. Le cardinal de Bouillon sera bien aise (a).

M de Paris ne s'endormira pas : peut-être le chapeau.

M. le cardinal de Janson se rétablit fort bien. Je n'ai pu le voir avant mon départ.

L'affaire de M. le prince de Conti contre Madame de Nemours, après un délibéré sur le régime, a été appointée.

 

LETTRE CCXXXVII. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. A Rome, ce 18 mars 1698.

 

Avant l'arrivée de votre Préface j'avais fait une observation, sur l'indifférence, qu'on avait distribuée à quelques examinateurs. Je vous l'envoie, afin que vous jugiez si je ne m'écarte point. Je l'ai faite au goût de ce pays-ci et dans leur style. Je vous envoie le livret Verœ oppositiones, qu'ils ont distribué en latin et en français. M. l'abbé envoie à M. de Paris trois lettres imprimées contre sa Lettre pastorale, qu'on commença à distribuer dimanche dernier. Elles sont de même caractère que la réponse à la Déclaration : je les crois imprimées à Lyon. On devrait vous en envoyer : il faudrait charger M. Anisson de Lyon de vous faire passer un exemplaire de ce qui s'imprime en cette ville sur cette matière. J'ai toutes les pièces ; mais ce n'est pas sans peine qu'on peut les recouvrer. M. de Cambray donne le change partout dans ses lettres, et tâche de faire naître mille questions de pure possibilité, pour noyer le véritable état de la question : vous en jugerez mieux que moi.

(a) On comprend quel contentement le cardinal de Bouillon devait avoir de ce mariage; car tout le monde sait qu'il était ennemi déclaré de la maison de Noailles. ( Les édit. )

 

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J'ai fait vos compliments à Massoulié, à Granelli et au procureur général des Augustins, qui les ont reçus comme ils devaient. Ils sont très-contents de votre Préface, et elle donnera de grands éclaircissements. Les autres continuent toujours à vouloir excuser le livre. On croit qu'ils changeront, du moins quelques-uns d'eux, à la conclusion de l'affaire, quand les articles seront discutés et qu'il faudra donner leur suffrage. On commença dimanche à examiner les épreuves du dixième article. Le Pape presse toujours le jugement. Je portai hier votre Préface au P. Dez : je le trouvai fort échauffé à justifier le livre. C'est chose pitoyable ; il ne comprenait pas même le système. Je lui dis que quand il aurait lu la Préface, s'il voulait que nous eussions une conférence ensemble, j'étais persuadé qu'il se rendrait à la vérité. Il y a des gens qui tirent beaucoup de réputation de leur corps et de leur habit : s'ils étaient particuliers, ils n'auraient tout au plus qu'un mérite médiocre.

Sur l'affaire de Confucius, les Jésuites ont donné deux gros volumes, contenant plus de sept cents pages, pour réponse. On assure que le P. Dez, qui en est l'auteur, a dit bien des injures à M. Maigrot; que cet ouvrage est une traduction du livre du P. le Tellier et une compilation du P. Couplet. On voit bien que ces deux volumes ne tendent qu'à différer le jugement de cette affaire, ainsi que la multiplicité des livres que répand M. de Cambray : c'est le même génie qui conduit ces deux affaires.

M. le cardinal de Bouillon est toujours à Albane. Le P. Roslet, procureur général des Minimes, vous fait ses compliments. Il a distribué l'Instruction pastorale de M. de Paris en son nom, et cela a fait un bon effet ; car cela prouve l'union des prélats, et dissipe les mensonges qu'on avait répandus. Monsieur l'abbé vous mandera le reste des nouvelles : nous attendons votre ouvrage latin. Je suis avec un profond respect, etc.

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