Lettres LV - LXX
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LETTRES SUR L'AFFAIRE DU QUIÉTISME (suite.)

 

 

LETTRE LV.  BOSSUET A SON NEVEU (a).   A Paris, ce 28 mai 1696.

 

Nous reçûmes samedi vos lettres du 11; elles ont fourni un agréable entretien à toute la famille. J'ai vu sur cela, dès hier matin, M. le marquis Salviati, qui m'a envoyé ce matin une lettre de Monsieur le grand duc, qui parle de vous en termes très-obligeants. M. l'abbé Renaudot m'en a aussi apporté une fort honnête, sur votre sujet, de M. l'abbé de Gondi. J'écris par cet ordinaire à Son Altesse et à MM. de Gondi, Salviati et Ricasoli.

Je fais aussi vos remerciements à M. Dupré (b), dont je vis hier la sœur. Nous attendons avec impatience les nouvelles de Rome : il me semble que vous ferez bien de faire un petit journal de ce que vous verrez et apprendrez. Nous vous demanderons les nouvelles : c'en a été pour vous une bien fâcheuse que celle de la mort de M. de la Bruyère (c). Toute la Cour l'a regretté, et M. le prince plus que tous les autres. M. d'Aquin, ancien premier médecin, s'est tué aux eaux par son art, en agissant contre l'avis de ses confrères des provinces.

Le roi a la goutte bien serré, et cela a empêché S. M. d'aller passer à Trianon le reste de ce beau mai. Il n'y a rien encore de nouveau. Je ne sache pas qu'on ait encore nouvelle de l'arrivée du prince d'Orange en Flandre; mais on disait ces jours passés

 

(a) Bévue et complétée sur l'original, qui se trouve au séminaire de Meaux. — (b) Correspondant de l'abbé Bossuet à Florence. — (c) Le célèbre auteur des Caractères, qui mourut d'apoplexie le 10 mai 1696.

 

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son passage en Hollande. La santé du roi, à sa goutte près, est très-bonne. Je pars pour Versailles, où si j'ai occasion d'amuser le roi de votre voyage, je le ferai. Je verrai les mesures qu'on pourra prendre pour avoir de bonne main les portraits de nos beaux princes (a), et pour les livres j'y donnerai ordre.

Je reçus hier par M. l'abbé de Louvois l'Apologie de M. le cardinal Noris, dont cette Eminence m'a fait présent. Faites-lui-en bien des compliments de ma part. Je n'en ai vu que la moitié, et quand j'aurai tout lu j'écrirai moi-même. Le style est noble et savant, la théologie exacte, les remarques judicieuses : son ennemi (b) est à bas, sans avoir sujet de se plaindre.

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

P. S. Je vous prie de bien assurer de mes très-humbles respects M. le cardinal de Janson. J'attends avec impatience des nouvelles de votre arrivée auprès de lui.

 

LETTRE LVI.  BOSSUET A SON NEVEU (c).   A Paris, ce 7 juin 1696.

 

Je vous crois présentement à Rome, et je souhaite apprendre bientôt que vous y êtes arrivé en bonne santé avec votre compagnie.

Je crois vous avoir mandé que les compliments que je faisais au grand duc sur votre sujet, furent prévenus d'une réponse de ce prince à celle que vous lui aviez présentée de ma part, où il fait de vous une agréable peinture. On a pris grand soin dans cette Cour de nous faire savoir que vous y aviez donné satisfaction : et je reçois encore à présent une lettre de M. de Ricasoli la plus obligeante du monde.

J'ai fait les diligences qu'il fallait pour vous procurer les

 

(a) Le grand duc de Toscane désirait ces portraits, ainsi que les ouvrages du prélat. — (b) Cet ennemi était un anonyme, qui, sous le nom simulé d'un Docteur de Sorbonne scrupuleux, s'était élevé avec beaucoup de violence contre l'Histoire du Pélagianisme du savant cardinal.— (c) Revue et complétée sur l'original, de Meaux.

 

tableaux des princes. Je n'ai pu parler au roi ni de cela, ni de votre voyage, à cause de sa goutte, dont il se porte très-bien à présent.

M. de Beauvilliers était aux eaux; mais M. l'abbé de Langeron s'est chargé de lui en parler.

Il n'y a encore aucune nouvelle, sinon que nous nous trouverons partout les plus forts. Je ne sais pourquoi on parle de paix plus que jamais, et ce semble, plus sérieusement.

J'ai lu les dissertations dont M. le cardinal de Noris a bien voulu me faire présent. Ce sont des pièces achevées en savoir, en élégance, en délicatesse; et je vous prie de le bien dire à son Eminence, en attendant que j'aie l'honneur de lui en écrire.

Ajoutez au chiffre Diomède pour ce, cardinal, saint Narcille pour Casanatta, l'Archidiacre pour Cibo, le bon Ange pour Altieri.

On parle beaucoup ici de la censure qu'on médite à Rome contre Papebrock (a) en faveur des carmes, sur leur descendance d'Elie. J'ai une thèse de ces Pères sur ce sujet-là, de la dernière impertinence. Je souhaite de tout mon cœur qu'il ne parte rien de Rome qui ne convienne à sa dignité.

Je m'en vais dîner à Conflans; et mercredi je serai à Meaux, s'il plaît à Dieu.

Tout le monde paraît bien content de M. Phelippeaux, et j'en reçois de grands témoignages.

 

(a) Papebrock, savant jésuite de Hollande, aida de son vaste savoir les PP. Bollandus et Hensclienius dans le célèbre ouvrage des Actes des Saints. Parvenu au XIVe volume, trop éclairé pour favoriser une crasse ignorance soutenue par un intérêt malentendu, il plaça l'origine des Carmes dans le XIIe siècle, et leur donna le bienheureux Berthold pour premier général. Les carmes prétendaient remonter d'âge en âge jusqu'au prophète Elie ; ils traduisirent le blasphémateur devant la Chaire de saint Pierre et à la barre de l'inquisition espagnole. L'inquisition espagnole lança l'anathème, en 1695, contre les quatorze premiers volumes des Actes des Saints ; mais bientôt après le souverain Pontife défendit toute controverse sur l'origine des Carmes, toute discussion concernant leur descendance d'Elie. — Soyez à jamais bénie, sainte Eglise romaine! Vous seule avez préservé, et vous préservez seule, les églises particulières des erreurs les plus absurdes et les plus dangereuses.

 

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LETTRE LVII. BOSSUET A M. DE LA BROUE (a). A Paris, ce 27 juin 1696.

 

Je voudrais bien, Monseigneur, vous pouvoir écrire certaines choses qui se passent : vous verriez que je n'oublie pas celles que vous me recommandez avec tant de raison si pressamment. Je tâcherai de vous envoyer au plus tôt ce qui regarde le quiétisme. Vous ne sauriez croire ce qui se remue secrètement en faveur de cette femme : mais enfin on me paraît résolu de la renfermer loin d'ici dans un bon château, et de lui ôter tout commerce. Ses déguisements sont évidents; on en a la preuve; et cependant ses partisans ne reviennent point. Si l'on vous pouvait tout mettre sur le papier, vous verriez bien des choses qui vous feraient beaucoup de peine. J'ose vous dire seulement que si je lâchais le pied, tout serait perdu : mais jusqu'ici on n'a rien pu gagner contre moi, et je ne crois pas qu'on gagne rien, tant que je serai en vie. Je suis, Monseigneur, comme vous savez, etc.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE LVIII (b). BOSSUET A SON NEVEU. Ce 10 juin 1696.

 

Je reçois avec plaisir votre lettre de Rome du 22 mai; une de pareille date de M. le cardinal de Janson me témoigne toute sorte de bontés et une particulière satisfaction de vous. Il m'écrit aussi très-obligeamment de M. Phelippeaux. Nous attendons la suite de vos Relations tous les ordinaires. Je ne manquerai pas de vous écrire. Aujourd'hui la fête ne m'a laissé que le loisir qu'il fallait pour écrire aux deux (c) cardinaux. Vous faites bien

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Revue sur l'original. — (c) De Janson et Noria.

 

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de ne vous embarrasser que le moins que vous pourrez de..... Il me semble que vous devez avoir un cachet semblable au mien.

 

LETTRE LIX. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Meaux, ce 24 juin 1696.

 

J'ai grande joie d'apprendre par votre lettre du 4 la continuation des bontés de Monseigneur le cardinal de Janson. Je ne le fatiguerai pas de remerciements, et jamais on ne finirait. Témoignez-lui bien ma reconnaissance.

Je suis ravi du bonheur que vous avez eu de baiser les pieds de Sa Sainteté, et de toutes les bontés qu'il vous a témoignées. Je crois qu'il faudra trouver quelque occasion de lui écrire. En attendant, vous ne sauriez assez marquer à tout le monde, ni assez chercher les moyens de faire insinuer au Pape même ma reconnaissance, mes respects et mes soumissions.

11 revient de tous côtés qu'on est content de vous à Florence : j'espère qu'il en sera de même à Rome. Le commencement est fort beau. Je suis bien aise que vous paraissiez avec toute la bienséance possible, et même avec de l'éclat convenablement.

Je ne manquerai pas à mon retour à Paris, qui sera au commencement du mois prochain, de voir M. le nonce, et en attendant de lui faire par lettres nos remerciements (b).

J'ai obtenu la permission de faire tirer les portraits des princes. On trouve plus à propos de les faire faire par Troye, dont le pinceau passe pour meilleur, et il fera un effort pour l'Italie. Nous commencerons aussitôt après mon retour, et j'écris dès à présent pour le préparer.

On ne manquera pas de vous mander les nouvelles. Il n'y en a point de considérable. Les armées se regardent en Flandre, et de notre côté on prend des postes avantageux pour tout empêcher. M. Chasot m'écrit de Metz que la nôtre d'Allemagne fait

 

(a) Revue et complétée sui l'original. — (b) Le nonce avait donné à l'abbé Bossuet des lettres de recommandation.

 

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toujours bonne contenance au delà du Rhin. Plusieurs veulent encore la paix de Savoie, dont on dit que les conditions sont assez avantageuses pour le duc ; et qu'on a cru qu'il était de la politique de rompre la ligue, quoiqu'il en coûtât beaucoup. Le roi se porte toujours parfaitement mieux. Quand je serai sur les lieux, je me rendrai attentif à ce qui se passera.

J'attends des nouvelles de vos visites, et surtout chez les cardinaux d'Aguirre, Colloredo et Noris.

Le Père général des Jacobins (a) est trop habile et de trop bon sens pour ne pas trouver ridicule le livre de la Mère d'Agréda, quand même elle n'aurait pas fait Dieu Scotiste. M. le nonce a fait quelques efforts pour empêcher le cours de la censure de la Faculté : il paraît qu'on passera outre.

 

LETTRE LX. BOSSU ET A  SON NEVEU   (b). A Germigny, ce 30 juin 1696.

 

Je suis étonné de voir par votre lettre du 12, que vous n'avez encore reçu aucune lettre de nous en Italie. Depuis la réception de vos lettres de Florence, j'ai écrit tous les ordinaires, très-peu exceptés. M. Phelippeaux ne parle non plus des lettres que je lui ai écrites. Il faut prendre garde aux causes du retardement, et rectifier les désordres s'il y en a eu.

On ne peut vous mander de nouvelles certaines. On se regarde en Flandre. Le prince d'Orange tient en jalousie Dinant et Charleroy, pour apparemment chercher l'occasion de l'attacher au premier, qu'on ne pourrait sauver en ce cas. Cela fatigue les troupes, et tient tout en incertitude. Les bruits de la paix de Savoie changent tous les jours ; depuis hier on semble fixé à la croire manquée, et de l'armée on récrit ainsi. Vous en devez savoir plus que nous au lieu où vous êtes.

(a) Le père Cloche, Français de nation, dont il sera souvent parlé dans la suite de cette correspondance. — (b) Revue et considérablement augmentée sur l’original.

 

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Lundi les commissaires (a) feront leur rapport sur la Mère d'Agréda, et ils doivent qualifier dix ou douze propositions : le reste en gros : la Faculté n'aura pas le temps de délibérer au prima mensis: je n'en sais pas davantage. M. le nonce a rendu quelque office à la sollicitation des cordeliers auprès de M. le chancelier.

On est dans une grande expectation de ce qui se fera à Rome sur le P. Papebroek.

Je serai à Paris sans manquer, s'il plaît à Dieu, de samedi ou de lundi en huit jours, et vous ne recevrez plus de lettres d'ici.

Nous vous avons écrit la mort du pauvre M. de la Bruyère, et cependant nous voyons que vous l'avez apprise par d'autres endroits.

Je ferai vos compliments à toute la maison de Noailles, sur la mort de M. le marquis de Noailles.

Les pluies désolent les jardins. On n'espère ni pèches, ni melons. Les vignes sont menacées de tous côtés. Il n'y a de ressource que dans les vins de Vareddes (b).

Au reste Castor a été enrôlé dans un régiment qui est passé à Meaux. Il n'y avait plus moyen de supporter sa mordacité. Nous nourrissons la postérité qu'il nous a laissée de Junon ; la beauté en est encore assez ambiguë.

Je salue M. Phelippeaux, sans oublier M. l'abbé de Lusanci. On dit ici qu'il doit revenir au mois de septembre.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. J'ai reçu une lettre du 4, de M. le cardinal de Janson, toute pleine de bontés pour vous, à laquelle je fais réponse.

 

(a) De la faculté de théologie. ‑ (b) Mauvais petit vignoble à deux lieues de Meaux. On dit à Meaux vin de Vareddes, comme on dit à Paris vin de Suresnes.

 

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LETTRE LXI.  BOSSUET A SON NEVEU (a). A Paris, ce 9 juillet 1696.

 

Par votre lettre du 19, vous arriviez de la campagne, et vous alliez vous mettre en train de visites doucement. Pour moi j'arrivai ici samedi. Je trouvai l'affaire de la Mère d'Agréda embarquée. Les députés ont fait leur rapport, qu'on a imprimé. La Faculté doit commencer à délibérer samedi 14, et continuer jusqu'à la fin de l'affaire. Les cordeliers font leur brigue, mais on croit que tout passera à l'avis des députés.

Un cordelier nommé Mérom a dit qu'il était porteur de deux brefs, où Sa Sainteté se réservait la connaissance de cette affaire ; et au cas que l'on passât outre, a déclaré qu'il en appelait au Pape. Il s'est depuis, clans l'assemblée même, désisté de son appel. On a su qu'il n'y avait point de brefs qui portassent ce qu'il a dit, et l'on a passé outre à la délibération. Vous savez que ce qui a engagé la Faculté c'est l'approbation de deux de ses docteurs.

M. le premier président a mandé Mérom sur ce qu'il avait voulu présenter des brefs qui n'avaient point passé par les formes ordinaires, et on vient de me dire qu'on l'avait envoyé hors de Paris. Tout le monde est soulevé contre l'impertinence impie du livre de cette Mère.

M. le cardinal d'Aguirre n'a pas voulu s'expliquer sur cette matière, apparemment ne voulant ni approuver une chose mauvaise, ni condamner ce que sa nation approuve aussi bien que son roi. J'ai grande impatience que vous ayez rendu vos respects à cette Eminence, et aux autres dont vous savez que je souhaite particulièrement que vous méritiez les bonnes grâces.

J'ai mandé Troye, et nous allons faire travailler aux portraits des princes. Je verrai demain Mgr. le nonce.

Il n'y a point de nouvelles. On se regarde en Flandre : on prend des postes : on fourrage à ce moment. On me vient dire

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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qu'on croit qu'il pourrait y avoir une action. Tout est en Piémont en même état. On parle tantôt de paix, tantôt de guerre : vous en savez plus que nous de ce côté-là.

Mes très-humbles respects à son Eminence. Vous ne dites plus rien de M. l'abbé de Lusanci. Nous nous portons par merveille, Dieu merci, mais toujours en même état. J'embrasse M. Phelippeaux.

 

+ J. Bénigne , év. de Meaux.

P. S. Je vous envoie l'imprimé des députés de la Faculté. La Faculté n'oubliera pas le décret de la commission.

 

LETTRE LXII.  BOSSUET A SON NEVEU (a). A Paris, ce 16 juillet 1696.

 

J'ai reçu votre lettre du 26 juin. M. de Reims m'a dit qu'il avait aussi reçu votre relation. Vous lui avez fait plaisir et à moi aussi. M. le cardinal de Janson continue à lui écrire sur votre sujet d'une manière si obligeante, que nous ne saurions assez l'en remercier, ni vous ni moi. J'en ai le cœur pénétré.

Le roi arriva le jour même de Marly à Trianon. Je suis revenu hier de Versailles pour assister à la réception de M. l'abbé Fleury (b) et à sa harangue à l'Académie. Il a la place de notre pauvre ami (c), que je regrette tous les jours de plus en plus.

Je ne vous dirai rien de nouveau. Les armées ne font que s'observer en Flandre. On dit tous les jours qu'il y aura quelque action. Vous savez plus de nouvelles que nous, de celles de Piémont. Tout le monde et les personnes les plus sérieuses veulent et assurent la paix.

Tout est ici dans le même état dans la famille. Ayez soin de votre santé pendant ces chaleurs.

(a) Revue sur l'original. — (b) C'est le célèbre historien de l'Eglise. Bossuet l'avait fait adjoindre à Fénelon comme second précepteur des enfants de France, et sut par son crédit le maintenir même après la chute du premier précepteur. — (c) La Bruyère.

 

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LETTRE LXIII. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Paris, ce 83 juillet 1696.

 

On ne dira pas cette fois qu'il n'y a point de nouvelles. Vous aurez su aussitôt que nous la trêve de Savoie, qui est une paix. On croit qu'on aura bientôt la princesse aînée de Savoie, qui doit épouser Mgr de Bourgogne, et qu'elle viendra à Fontainebleau. On vient d'apprendre que M. de Savoie avait congédié les Allemands avec ordre de se bien conduire , sinon qu'on les chargerait. Il a en même temps retiré la garde allemande, qu'il avait donnée à Madame de Savoie dès le commencement de la guerre, et lui a donné la sienne.

Le prince d'Orange a renvoyé son gros canon et les pionniers qu'il avait assemblés de tous côtés, après la visite qu'il a reçue du pensionnaire de Hollande de la part des Etats. On assure qu'il lui a été demander un pouvoir, pour faire la paix, qu'il a été obligé de lui donner. On espère bientôt une trêve de ce côté-ià et dès à présent on y est sans action. Nos généraux ont bon ordre de se tenir sur leurs gardes.

Le roi est à Marly, jusqu'à samedi, en bonne santé et fort content. On donne de grandes louanges à M. de Teste, qui suit cette négociation avec M. de Sauvage depuis six mois. Le R. P. Péra a mandé ici à M. le cardinal d'Estrées, que vous étiez très-bien venu en Italie.

On continue à délibérer en Sorbonne sur la Mère d'Agréda. Les avis se partagent fort sur la manière de censure. Ceux qui favorisent le livre traînent en longueur les opinions.

J'ai reçu la censure des inquisitions d'Espagne sur Papebrock, dans le paquet de M. Phelippeaux, du 3, à mon frère.

On raisonne beaucoup sur la condition du traité. Il est certain qu'on rend tout à la France, et qu'on démolit Pignerole. Du côté d'Allemagne, il est question de Strasbourg démoli ou de l'alternative

 

(a) Complétée sur l'original.

 

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qui est, dit-on, Brisac et Fribourg; du côté d'Espagne, de Luxembourg ou de l'alternative qui est, dit-on, Ypres, Condé et Vervins. Tout cela conclurait la paix générale, et on dit que c'est ainsi que la Hollande la négocie. Tout cela est encore caché : voilà les bruits les plus vraisemblables.

Il y a eu une petite affaire entre M. de Lyon et M. de Rouen , à la messe du roi : le premier qui avait occupé la place, Fa soutenue contre l'autre, qui la voulait prendre sur lui. Le roi n'a pas paru voir : moi qui y étais, je ne vis rien.

 

LETTRE LXIV (a). BOSSUET A SON NEVEU. A Paris, ce 29 juillet 1696.

 

J'ai reçu votre lettre du 10, et à peu près de même date celles des cardinaux Cibo, Altieri, Casanate et Colloredo, toutes très-obligeantes. Celle du cardinal Casanate a un caractère particulier d'amitié et d'estime pour vous et pour moi. Je suis ravi que vous fréquentiez sa maison et sa bibliothèque, et que vous vous entreteniez et moi aussi dans ses bonnes grâces.

M. de Croissy est mort cette nuit, après avoir reçu la veille et l'avant-veille tous les sacrements avec une piété exemplaire.

M. de Croissy est ici avec M. l'abbé. J'en viens : on ne les voit pas. Je pars pour Versailles.

J'avais fait vos compliments à toute la famille et même à Madame de Boussolle sur le mariage, et il a été bien reçu.

Le mariage de M. de Torci avec mademoiselle de Pompone est arrêté. Le roi l'a souhaité, et sou désir s'étant déclaré davantage dans la maladie, on juge que Sa Majesté voulait lier les deux familles, pour traiter les affaires étrangères avec M. de Pompone durant quelque temps. On ne doute point que l'exercice de la charge ne demeure à M. de Torci, dont la sagesse, l'honnêteté et les manières sont universellement approuvées, en sorte qu'on aura de la joie de tout ce qui se fera à son avantage. S'il y a ce

 

(a) Corrigée et complétée sur l'original, qui est à Meaux.

 

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soir ou demain quelque chose de nouveau, je vous l'écrirai de Versailles.

Par la fin de vos lettres du 10, on avait reçu à Rome la nouvelle de la paix de Savoie, qu'on appelle encore ici une trêve de trente jours. M, le prince d'Orange a fait défense de parler de paix dans son armée, où l'on ne parlait d'autre chose. On doute beaucoup qu'il ait donné des pouvoirs de faire la paix. Mais l'on ne doute presque plus qu'on ne la veuille en Hollande et en Angleterre même, où l'on se lasse beaucoup de tout payer et de manquer d'argent.

On continue les délibérations sur la Mère d'Agréda. La question est entre la censure in globo et la censure avec des qualifications particulièrement appliquées, dont plusieurs disent que le livre n'est pas digne. On dit ici que la censure contre le Propylœum du P. Papebrock a passé à Rome.

Nous entendîmes hier la Robertine de M. l'abbé de Louvois, qui se fit avec autant de savoir, de précision et d'élégance qu'il était possible. M. l'abbé de Janson y disputa et fit très-bien : on le loue beaucoup. A mon retour de Meaux, qui sera après l'Assomption, je chercherai l'occasion de le connaître.

Je pars jeudi matin, 2 août, avec le P. Séraphin, qui vient prêcher Saint-Etienne.

Nous avons vu le livre du cardinal Sfondrate sur la Conception immaculée (a) : il est élégant et curieux. Il y fait beaucoup valoir un livre sous le nom de Flavius Dexter, auteur du quatrième siècle, que le cardinal d'Aguirre a mis en pièces dans ses Conciles. M. de Paris vous prie de lui rendre grâces de son présent, et de le bien assurer de ses services.

Votre compliment est très-bien reçu.

M. le nonce est ici fort estimé par mille belles qualités. M. de Reims lui donna ces jours passés un grand dîné, où M. le cardinal

(a) Ce livre est intitulé Innocentia vindicata. L'auteur entreprend d'y prouver sur la foi de Flavius Dexter, que la Conception immaculée de la sainte Vierge a été définie dans un concile des apôtres; d'où il conclut que la fête de la Conception est d'institution apostolique. Mais les Chroniques publiées sous le nom de Flavius Dexter et imprimées à Sarragosse en 1619 avec un Commentaire de François Bivarius, moine de l'ordre de Cîteaux, sont un ouvrage supposé. Voy. D. Ceillier, Hist. des Aut. ecclés. (Les édit.).

 

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d'Estrées fit excellemment les honneurs. J'embrasse M. Phelippeaux.

Les lettres de M. le cardinal de Janson sont toujours si pleines de bonté pour vous, que je me crois obligé de m'en entretenir encore avec lui.

Tout se porte céans à l'ordinaire. Voilà une lettre de Madame de Jouarre, que j'aurais dû vous envoyer il y a longtemps. Gardez-vous bien, en lui faisant réponse, de ne lui pas marquer ce retardement; je serais perdu sans ressource.

Mesdames de Luynes sont ici au sujet d'un grave mal d'yeux de Madame d'Albert. Elles vous saluent.

Je ne sais si je vous ai mandé la disgrâce et l'éloignement de Castor pour avoir osé, après M. d'Alègre, mordre encore Madame Etienne. Jamais Germigny ni Meaux n'ont été si beaux que cette année.

 

LETTRE LXV. DE FÉNELON A BOSSUET (a). A Versailles, ce 5 août 1696.

 

J'ai été très-fâché, Monseigneur, de ne pouvoir emporter à Cambray ce que vous m'avez fait l'honneur de me confier : mais M. le duc de Chevreuse s'est chargé de vous expliquer ce qui m'a

(a) La première édition complète des lettres, c'est-à-dire l'édition des Bénédictins des Blancs-Manteaux, renferme la note que voici :

«C'est ici la lettre de créance dont M. le duc de Chevreuse était porteur, lorsqu'il rendit à M. de Meaux son manuscrit des Etats d'oraison. M. de Cambray refusa de l'approuver tant à cause de son attachement pour Madame Guyon, qu'il ne voulait pas condamner, que parce qu'il sentait que les principes de M. de Meaux étaient absolument contraires aux siens. Telles étaient les raisons qui le touchèrent d'une manière si capitale, et qui l'empêchèrent de suivre son cœur en cette occasion. Il croyait apparemment bien justifier tous ces beaux sentiments, en renouvelant au prélat ses anciennes protestations d'une extrême déférence, il est parlé de cette lettre de M. de Cambray dans la Relation, de Bossuet, sur le quiétisme, sect. III, n° 11. » (Voir, dans notre édition, vol. XX, p. 111.)

Les deux savants directeurs de Saint-Sulpice qui ont présidé à l'édition de Versailles, ont reproduit la première phrase de cette note; mais ils ont supprimé tout le reste ! Pourquoi cette suppression ? On sait que Fénelon avait étudié la théologie, ou plutôt les auteurs mystiques, comme le cardinal Bausset nous le dit lui-même, à Saint-Sulpice.

 

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obligé à tenir cette conduite. Il a bien voulu, Monseigneur, se charger aussi du dépôt pour le remettre, ou dans vos mains à votre retour de Meaux, ou dans celles de quelque personne que vous aurez la bonté de lui nommer. Ce qui est très-certain, Monseigneur, c'est que j'irais au devant de tout ce qui peut vous plaire et vous témoigner mon extrême déférence, si j'étais libre de suivre mon cœur en cette occasion. J'espère que vous serez persuadé des raisons qui m'arrêtent, quand M. le duc de Chevreuse vous les aura expliquées. Comme vous n'avez rien désiré que par bonté pour moi, je crois que vous voudrez bien entrer dans des raisons qui me touchent d'une manière capitale. Elles ne diminuent en rien la reconnaissance, le respect, la déférence et le zèle avec lesquels je vous suis dévoué.

 

LETTRE LXVI. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Juilly, ce 6 août 1696.

 

Vous m'avez fait plaisir de m'envoyer la lettre de M. de Savoie à Sa Sainteté. M. de Reims m'a mandé que vous la lui aviez aussi envoyée. Elle fait voir qu'on parlait ouvertement à Rome d'une paix dont, quand je suis parti de la Cour, on faisait encore un peu de mystère. Le mariage m'a donné une occasion de parler de ce que j'ai perdu en Madame la Dauphine (b). J'ai été favorablement écouté. Je ne pouvais me taire en cette occasion, quel qu'en doive être l'événement. Vous en voyez toutes les raisons et toutes les difficultés.

Vous ne pouviez pas choisir deux livres plus propres que les Variations et l’Apocalypse (c). D'abord que je serai à Paris, c'est-à-dire après l'Assomption, je commencerai à envoyer les passages

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Il en avait été premier aumônier. Il demanda d'être premier aumônier de Madame la duchesse de Bourgogne; ce qu'il obtint dans cette année , comme on le verra par les lettres suivantes. (Les édit.) — (c) Il s'agissait de traduire en italien ces deux ouvrages ; et les traducteurs, pour faciliter leur travail, demandaient qu'on leur envoyât les passages latins des auteurs, qui étaient rapportés seulement en français dans ces ouvrages.

 

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latins qu'on demande, et avec raison. Voilà deux illustres traducteurs, à qui je vous prie de faire de ma part toute sorte de remerciements et d'honnêtetés.

Le cardinal d'Aguirre m'écrit avec une tendresse et une bonté extrême pour vous et pour moi. Il me dit qu'il est actuellement occupé de la lecture des Variations, dont il fait un grand éloge.

J'écris à M. de Malézieu pour le chevalier tartare (a), qui m'a écrit et à qui je ferai réponse par le premier ordinaire. Dites-lui bien que je prendrai tout le soin possible de ses intérêts.

Je suis venu ici pour une thèse qui m'y est dédiée. Il y a nombre d'honnêtes gens et la fleur de l'Oratoire. On y attend le P. de la Tour, qu'on regarde comme devant être bientôt général. Le P. de Sainte-Marthe se doit démettre dans une assemblée qui se tiendra au mois prochain à l'Institution. Son grand âge et ses infirmités donnent un prétexte à sa démission, que tous les amis de cette congrégation ont crue nécessaire.

L'on continue les délibérations de Marie d'Agréda sur le même pied. Les moines et leurs partisans occupent le temps en vains et mauvais discours, espérant qu'on se servira de l'autorité pour les hâter. On n'en fera rien. Cette engeance est enragée contre moi, parce qu'ils veulent croire que j'agis plus que je ne fais et ne veux faire dans cette affaire.

Je n'ai point reçu de lettre du cardinal Noris : c'est le seul. Peut-être viendra-t-elle par le P. Estiennot ou ses compagnons. Je soupçonne un peu de froid de son côté. Quoi qu'il en soit, c'est un homme qu'il faut tâcher, de gagner pour le bien de l'Eglise. Il est fort gouverné par la Cour de Florence.

Les trois têtes des princes sont faites. On pourra envoyer le tout au mois prochain.

Il faudra bien dire à M. le cardinal Noris combien j'estime ses ouvrages, et en particulier son Apologie, sur laquelle je lui écrirai, s'il m'en donne la moindre ouverture.

J'ai fait vos compliments à M. l'archevêque de Paris, qui vous

 

(a) On peut voir, sur ce chevalier tartare, une lettre de Bossuet au comte de Pontchartrain. vol. XXVII, p. 289; et la Vie du prélat par le cardinal Bausset, vol. IV, liv. VII, pièces justificatives, n. I.

 

 

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les rend de bon cœur, et vous prie de fare ses remerciements à M. le cardinal d'Aguirre.

La famille est toujours en même état.

J'embrasse M. Phelippeaux.

Le roi a dit à Madame de Maintenon ma proposition (a), et elle m'en a écrit d'elle-même obligeamment. Je n'en crois pas davantage.

Mandez quelques mots de l'abbé de Lusanci, que je puisse marquer à sa famille.

Jeudi encore le prince d'Orange était campé près d'Ath. Il a fait fourrager pour huit jours. Il est au désespoir de la paix de Savoie. Elle est admirable, et on a bien su mépriser ce qui en effet ne servait plus de rien : Bene ausus vana contemnere.

Le roi est à Marly. Je m'en retourne à Meaux et à Germigny jusqu'à la fête.

 

LETTRE LXVII. BOSSUET A SON NEVEU (b). A Versailles, ce 20 août 1690.

 

Après vous avoir dit que j'ai reçu votre lettre du 1er, il faut commencer par la nouvelle la plus importante, qui est celle de la santé du roi. Il lui est venu un clou sur le col, dont toute la capacité est comme d'un œuf de poule. Il a commencé à suppurer, mais non pas encore à fond. S. M. souffre un peu : mais il n'y a point eu de fièvre, et quand il y en aurait eu, on ne s'en étonnerait pas. Cet accident a rompu un voyage de Meudon. Le roi se lève s'habille, mange en public à l'ordinaire, soir et matin. On le voit à son lever : il tient ses conseils et il n'y a rien de changé. On ne peut avoir meilleur visage, ni se porter mieux dans le fond. Je le vois tous les jours, et je puis vous en être un bon témoin.

J'ai reçu un billet de M. le cardinal d'Aguirre, d'une bonté

 

(a) Bossuet désirait être le premier aumônier de la duchesse de Bourgogne. C'est la proposition que le roi avait faite à Madame de Maintenon. — (b) Revue et complétée sur l'original.

 

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sans exemple. J'y fais la réponse que je vous envoie toute ouverte, et qui vous fera entendre les deux lettres auxquelles je réponds. Je suppose que vous avez mon cachet.

Je suis bien aise que le livre de la Mère d'Agréda soit connu. Ce qui retarde la conclusion de la Sorbonne, c'est cent quatre-vingts opinants, parmi lesquels les défenseurs indirects du livre, partisans secrets des cordeliers, parlent des quatre, des cinq et des six heures.

Assurez toujours bien de mes respects M. le cardinal de Janson : dites-lui que j'ai le cœur pénétré de ses bontés. Suivez en tout ses conseils, non-seulement pour ce qui regarde Rome, mais pour toute votre conduite.

Avant que de faire réponse au chevalier tartare, il faut que je parle à M. de Malézieu, qui ne sera ici que ce soir. Ainsi la réponse sera pour le premier ordinaire. Assurez-le de mon amitié. J'embrasse M. Phelippeaux.

On croit que le prince d'Orange retournera en Angleterre le 24 ou le 27. Les troupes de Hesse se sont retirées de son armée de Flandre, faute du paiement promis. Cela paraît d'une étrange conséquence.

Sur les bruits de la paix, le roi et la reine d'Angleterre demandent seulement qu'on ne les engage à rien, et qu'on ne stipule pour eux aucune pension du côté de l'Angleterre, ni rien qui tende à abdication de leur part.

Vous aurez vu, par la gazette, que milord chancelier d'Ecosse (a) est gouverneur du prince de Galles. Vous jugerez bien par le style extraordinaire de ma lettre au cardinal d'Aguirre, que les siennes m'y ont engagé.

 

(a) Milord Perth, dont on a vu les Lettres dans les vol. XXVI et XXVII.

 

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LETTRE LXVIII. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Versailles, ce 28 août 1696.

 

Pour commencer par la santé du roi, son clou allait bien ce matin, sa goutte s'était relâchée et il paraissait assez gai. Il en a été de même à diner. Il n'y a que du temps et d'une assez grande douleur, mais sans aucun accident.

Sa Majesté déclara hier qu'elle envoyait pour otages à Turin MM. les ducs de Foix et de Choiseul, avec dix mille écus à chacun pour leur voyage, et mille écus par mois pour leur table. On croit toujours que la princesse viendra à Fontainebleau. On n'a rien déclaré sur son sujet. M. de Savoie va se mettre à la tête de nos armées. On croit celle de M. de Catinat de trente à trente-cinq mille hommes, avec dix mille de celle de Savoie. Vous aurez su aussitôt que nous que M. de Mansfeld est à Turin, où il a offert le roi des Romains, et que cela n'a rien opéré. On fait dire à M. de Savoie qu'on le verrait à la tête des troupes de France avec autant de gaîté qu'il en avait à paraître à la tête des troupes alliées, avec cette différence que celles de France étaient meilleures.

Vous aurez encore une fois de mes nouvelles d'ici ; après il faudra aller au synode.

Il y a eu à Meaux quelque altercation entre le chapitre et les compagnies pour les places du chœur. Messieurs du présidial, pour se venger, ont informé et décrété d'ajournement personnel contre M. Noblin, pour avoir été à heure indue au ratafia chez Rametin. Noblin est venu au parlement solliciter des défenses, que je crois qu'il obtiendra aisément (b).

J'ai fait convenir les compagnies pour leur marche à la procession de l'Assomption. Je crois qu'il ne me sera pas malaisé de

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Le père de l'abbé Bossuet lui marque, dans une lettre du 5 octobre 1695, que le parlement avait renvoyé l'affaire à l'officiai, et fait défense aux officiers du présidial de Meaux de connaître des affaires criminelles des ecclésiastiques, excepté dans les cas privilégiés. (Les édit.)

 

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faire encore convenir le chapitre et les compagnies ; mais ce sera pour mon retour. M. le lieutenant-général, avec M. le procureur du roi, m'avaient dit qu'on ne pousserait pas plus loin que l'information l'affaire de Noblin. Peut-être n'en ont-ils pas été les maîtres, le lieutenant-criminel étant plus ardent.

Nous nous portons à l'ordinaire. M. Chasot vous écrira. Nous conviendrons, mon frère et moi, pour les copies que 'vous proposez ; faites toujours travailler en attendant. Songez aussi aux belles estampes des lieux et des statues et peintures.

Nous aurons bientôt les tableaux des princes. Madame de Rouvroy fait faire une copie de Mgr. de Bourgogne pour Madame de Savoie.

Je souhaite d'apprendre au premier jour que l'indisposition de M. Phelippeaux n'aura rien été. Mille respects à M. le cardinal.

 

DÉCLARATION DE MADAME GUYON, FAITE ENTRE LES MAINS DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, Sur ses sentiments, ses écrits et sa conduite (a).

 

Comme je ne respire, Dieu merci, que soumission aveugle et docilité pour l'Eglise, et que je suis inviolablement attachée à la foi catholique, je ne puis déclarer trop fortement combien je déteste du fond de mon cœur toutes les erreurs condamnées dans les trente-quatre propositions arrêtées et signées par Messeigneurs les archevêques de Paris et de Cambray, par Monseigneur l'évêque de Meaux et par M. Tronson.

Je condamne même, sans aucune restriction, mes livres que Messeigneurs de Paris et de Meaux ont condamnés, parce qu'ils les ont jugés, et qu'ils sont contraires à la saine doctrine qu'ils

 

(a) Bossuet, dans ses Remarques sur la Réponse de M. de Cambray à sa Relation, art. II, § VI, n. 26, (vol. XX, p. 198) observe que Madame Guyon, ayant été convaincue de contraventions expresses à des paroles qu'elle avait souscrites, M. de Noailles, archevêque de Paris, fut obligé de prendre à son égard de plus grandes précautions ; et ce fut en conséquence de ces preuves de duplicité qu'il exigea d'elle cette Déclaration, après qu'elle eut subi à Vincennes différents interrogatoires. (Les édit.)

 

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avaient établie dans les trente-quatre propositions; et je rejette avec toutes ces erreurs, jusqu'aux expressions que mon ignorance m'a fait employer dans un temps, où je n'avais point encore ouï parler de l'abus pernicieux qu'on pouvait faire de ces termes.

Je souscris avec une pleine soumission à l'interprétation que Messeigneurs de Paris et de Meaux leur donnent en les condamnant, parce que j'ignore la force de ces termes, que ces prélats en sont parfaitement instruits, et que c'est à eux à décider de ce qui est conforme, non-seulement à la doctrine, niais même au langage de l'Eglise, et du sens le plus naturel de chaque expression.

Au reste quoique je sois très-éloignée de vouloir m'excuser, et qu'au contraire je veuille porter toute la confusion des condamnations qu'on jugera nécessaires pour assurer la pureté de la foi, je dois néanmoins devant Dieu et devant les hommes ce témoignage à la vérité, que je n'ai jamais prétendu insinuer par aucune de ces expressions aucune des erreurs qu'elles contiennent: je n'ai jamais compris que personne se fût mis ces mauvais sens dans l'esprit; et si on m'en eût avertie, j'aurais mieux aimé mourir que de m'exposer à donner aucun ombrage là-dessus, et il n'y a aucune explication que je n'eusse donnée pour prévenir avec une extrême horreur le mauvais effet de ces sens pernicieux. Mais enfin, puisque je ne saurais faire que ce qui est arrivé ne soit arrivé, je condamne du moins, avec une soumission sans réserve, mes livres avec toutes les expressions mauvaises, dangereuses et suspectes qu'ils contiennent, et je voudrais pouvoir les supprimer entièrement. Je les condamne pour satisfaire à ma conscience, et pour me conformer d'esprit et de cœur à la condamnation que Monseigneur l'archevêque de Paris, qui est mon pasteur, et Monseigneur de Meaux en ont justement faite. Je voudrais pouvoir signer de mon sang cette déclaration, pour mieux témoigner à la face de toute l'Eglise ma soumission pour mes supérieurs, mon attachement inébranlable à la foi catholique, et mon zèle sincère pour détruire à jamais, si je le pouvais, toutes les illusions dans lesquelles mes livres pourraient faire tomber les âmes.

 

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Davantage, pour marquer toujours de plus en plus la sincérité de mes dispositions, je déclare que j'abhorre tout ce qui s'appelle conventicule, secte, nouveauté, parti; que j'ai toujours été, et que je veux toujours être inviolablement unie à l'Eglise catholique, apostolique et romaine, et que je n'en reconnais point d'autre sur la terre : que je déteste, comme j'ai toujours fait, la doctrine, la morale et la fausse spiritualité de ceux à qui on a donné le nom de quiétistes : que la seule idée des abominations dont on les accuse me fait horreur; et que je condamne de tout mon cœur et sans exception ni restriction, toutes les expressions, propositions, maximes, auteurs, livres que l'on a condamnés à Rome, et que Messeigneurs les prélats ont condamnés en France, comme contenants, tendant à insinuer une théologie mystique si pleine d'illusions et si abominable : que je suis très-éloignée de vouloir m'ériger en chef de parti, ni de dogmatiser en public ou en secret, de vive voix ou par écrit, ni de rien innover dans la doctrine chrétienne ou dans les exercices de piété, comme dans l'Oraison et les autres pratiques et maximes de la vie intérieure. Et pour ne donner plus aucun lieu à des soupçons injurieux à l'amour de la doctrine orthodoxe que Dieu a mis dans mon cœur, je proteste et promets de ne plus composer aucun livre, écrit ni traité de dévotion, ni de me mêler en aucune façon de la conduite et direction spirituelle de personne, de peur que ne me défiant pas assez de moi-même, je ne vinsse à m'égarer, ou à faire égarer les autres..

Et je promets encore de ne me plus diriger ni conduire par le P. La Combe, mon ancien directeur, puisque Monseigneur l'archevêque de Paris ne le juge pas à propos, qu'il a condamné le livre de ce Père, intitulé l’ Analyse de l'Oraison mentale, et que l'on m'a dit que ce même livre a été condamné à Rome. Ainsi j'assure que je n'aurai plus aucun commerce de lettres ni autrement avec lui.

Enfin je proteste qu'à l'avenir je me soumettrai humblement à la conduite et aux règles que Monseigneur l'archevêque de Paris voudra bien me prescrire pour ma direction et conduite, tant extérieure qu'intérieure, et que je ne m'écarterai jamais de ce

 

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qu'il croira que Dieu demandera de moi : bien repentante et bien fâchée d'avoir, par mes livres et écrits, donné occasion aux bruits et aux scandales qui se sont élevés dans le monde à leur sujet; et bien résolue à l'avenir de pratiquer cet ordre établi par l'Apôtre : « Que la femme apprenne en silence. » Ainsi Dieu me soit en aide et ses saints Evangiles.

C'est la déclaration sincère que je fais aujourd'hui, 28 août 1696, et que je signe de tout mon cœur dans la seule vue de Dieu et par un pur principe de conscience, et à laquelle je prie M. l'archevêque d'ajouter une foi entière.

(Madame Guyon, avant de signer cette déclaration, voulut consulter M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice, qui écrivit ces mots au bas de la déclaration.

« Puisque Madame Guyon veut bien s'en rapporter à mon sentiment, je crois devant Dieu, après avoir bien examiné cette affaire, que non-seulement elle peut, mais même qu'elle doit souscrire sans rien changer, à la déclaration ci-dessus, que Monseigneur l'archevêque de Paris exige d'elle, et s'y soumettre d'esprit et de cœur. »

Signé L. Tronson.

(En conséquence cette Dame ajouta les paroles suivantes à sa déclaration.)

Ce jourd'hui, 28 août 1696, j'ai signé de tout mon cœur la déclaration ci-dessus, pour obéir à M. l'archevêque, et me soumettre à tout ce qu'il croit que Dieu demande de moi ; et je l'ai fait sincèrement, par un pur principe de conscience, sans limitation ni restriction. Que si j'ai quelquefois été embarrassée à souscrire ce qu'on a demandé de moi, ce n'a jamais été par un attachement à mon sens, mais par un doute que je le pusse faire en conscience. Mais puisqu'on m'assure que je le puis et le dois en conscience, il est juste que je soumette mon esprit à celui de mes supérieurs : en foi de quoi j'ai signé en la présence de Dieu.

J. M. Bouvier de la Motte-Guyon.

 

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LETTRE LXIX. BOSSUET A  SON NEVEU. A Paris, ce 3 septembre 1696.

 

J'ai reçu votre lettre du 14. Je vous envoie une Ordonnance de M. de Paris (a), vraiment admirable, qui étonnera ici beaucoup de monde. On avait fort pressé ce prélat, de certains endroits, de condamner un livre qui avait paru avant votre départ. Il a fait sur cela ce qui était juste ; mais il y a ajouté le plus beau témoignage qu'on pût souhaiter pour la grâce et pour l'autorité de saint Augustin. Il souhaite que vous présentiez de sa part les exemplaires que je vous envoie de cette Ordonnance, à Messieurs les cardinaux Casanate et Noris : je me sers de cette occasion pour leur écrire. Quant à M. le cardinal d'Aguirre, il lui écrit lui-même, et je ne l'importune pas cette fois. Je vous prie de rendre ces lettres le plus tôt que vous pourrez, avec les Ordonnances.

Je ne crois pas que le terme : Accepter les constitutions des Papes, puisse déplaire: c'est la formule ordinaire. Elle est de tous nos auteurs et de Duval : elle est même de saint Antonin, très-favorable à la puissance des papes. Il établit l'autorité de la détermination de Jean XXII contre les fratricelles, entre autres

 

(a) C'est l'Ordonnance et Instruction pastorale de M. de Noailles, archevêque de Paris, du 20 août 1696, sur la grâce et la prédestination. Les principes développés dans la seconde partie de cette instruction, sont les mêmes que saint Augustin a établis ; et tous ceux qui avaient du zèle pour sa doctrine, applaudirent à l'exposé qu'en faisait M. de Noailles. Mais leur approbation ne fut pas entière, comme l'observe Bossuet dans sa lettre du 17 septembre suivant : on reprochait au prélat de n'être pas d'accord avec lui-même, et de détruire d'une main ce qu'il édifiait de l'autre, parce que les sentiments du livre intitulé Exposition de la foi touchant la Grâce et la Prédestination, qu'ils condamnent dans son Instruction, étaient parfaitement conformes à ceux que cet archevêque enseignait dans cet écrit. Aussi les personnes d'un certain côté, comme parle Bossuet, qui avaient si fort pressé M. de Noailles de condamner l'ouvrage en question, furent-elles très-mécontentes de la manière dont il avait satisfait à leur demande ; et irritées de se voir trompées dans leur attente, elles publièrent le fameux Problème ecclésiastique, cet écrit si rempli de fureur et d'insolence , que le Parlement fit brûler et lacérer par la main du bourreau, et qui fut également flétri à Rome par un décret du saint Office. (Les prem. édit.)

 

24 LETTRES SUR LE QU1ÉTISME.

 

raisons, sur ce qu'elle est acceptata, examinata et approbata. Nous trouverez ces paroles mémorables, SUMMAE, IV part., tit. XII, cap. IV : Fratricelli sunt hœretici veri, qui asserunt contra determinationem catholicam, factam per Ecclesiam et Joannem XXII, per omnes successores ejus et omnes alios prœlatos Ecclesiœ et doctores utriusque juris et magistros plurimos in theologiâ, acceptatam, examinatam et approbatam ut verissimam.

Pour les nouvelles, on en a ici qui marquent que M. le maréchal de Catinat est en marche; qu'il doit être le 7 à Casai, c'est-à-dire à la place où il était; que M. de Savoie s'y doit rendre le 15; que l'armée sera de quatre-vingts bataillons, dont il y en a seize de M. de Savoie, et de cent escadrons. On a envoyé à M. de Savoie les patentes de généralissime. Il a reçu d'avance cent mille écus pour deux mois de subsides : vous voyez bien que c'est cinquante mille écus par mois, tant que la guerre durera.

Le roi se porte de mieux en mieux. Il n'a point été saigné;" on n'a point fait d'incision: un baume excellent a fait des merveilles. C'est celui de Me Feuillet, déjà connu et en réputation.

Les délibérations de Sorbonne sur Marie d'Agréda vont finir. Apparemment le décret passera à l'avis des députés. Il faut attribuer la longueur au nombre des opinans, qui sont cent quatre-vingts , et à l'affectation de ceux qui engagés par les cordeliers, ont voulu éluder ou reculer la condamnation.

 

LETTRE LXX. BOSSUET A M.  DE LA BROUE (a). A Paris, ce 4 septembre 1696.

 

Je me sers, Monseigneur, de la commodité de M. de Vares pour vous faire rendre de la part de M. de Paris, cette Ordonnance qu'il vient de publier. On l'a fort pressé d'un certain côté de condamner le livre dont il y est fait mention. Il crut cela juste; mais en même temps il résolut de mettre un contre-poids en faveur de la grâce efficace et de l'autorité de saint Augustin. C'est

 

(a) Revue sur l'original.

 

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ce qu'il a fait comme vous verrez, et à mon avis de la manière du monde la plus forte et la plus précise. La lecture de cette Ordonnance vous fera sans doute souvenir de ce que je vous écrivis, il y a quelque temps, au sujet de mon ouvrage sur la grâce : c'est là ce que j'avais en vue, et je ne puis vous dire la consolation que je ressens de voir la vérité affranchie, et l'autorité de saint Augustin autrefois tant vilipendée par certaines gens, si hautement rétablie. Dieu soit loué de son don inexplicable. C'est M. de Paris qui m'a envoyé cet exemplaire pour vous ; ne manquez pas de lui en écrire, et à moi quelque chose qu'on puisse montrer. On a été un peu étonné que vous n'ayez fait aucune réponse sur l’Ordonnance sur l'ordination (a), que M. Pirot vous a envoyée : M. de Nismes a répondu.

Peut-être que cette Ordonnance sur la grâce donnera lieu, avec le temps, à faire paraître mon ouvrage sur cette matière. Je suis aux écoutes pour faire ce qui conviendra suivant la disposition que Dieu fera naître.

On va imprimer l'ouvrage sur le quiétisme (b) : on vous l'enverra feuille à feuille, à mesure qu'on l'imprimera. On ne peut faire autrement, sans une longueur extrême. On fera tant de cartons qu'il faudra : il y a de bonnes raisons de ne plus tarder. Enfin M. de Cambray s'est déclaré sur l'approbation. Après avoir eu ce livre entre ses mains trois semaines entières et plus, il l'a entièrement refusée, et n'a pu se résoudre à condamner Madame Guyon. J'ai été obligé d'en rendre compte: et c'est enfin à quoi aboutit cette docilité ou, pour parler plus juste, cette soumission sans réserve : je n'ai jamais vu d'exemple d'un pareil aveuglement.

Madame Guyon a souscrit à la condamnation de ses ouvrages comme contenant une mauvaise doctrine, contraire aux articles qu'elle a signés : moyennant cela et la renonciation à son directeur, avec quelques autres choses conformes à sa déclaration faite entre mes mains, on l'a reçue aux sacrements. Il y a un peu de discours dans sa soumission. Elle n'a pas voulu souscrire que

 

(a) L'ordination donnée par les évoques anglicans. — (b) L'Instruction sur les états d'oraison.

 

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M. Tronson ne l'ait assurée par écrit qu'elle le pouvait, et qu'elle y était obligée. On ne vit jamais tant de présomption et tant d'égarement que cette personne en a fait paraître : ses amis ne reviennent pas pour cela. Ce qu'il y a de meilleur, c'est qu'elle demeurera enfermée.

Je veillerai soigneusement à l'avis que vous m'avez donné pour l'Allemagne, et ne manquerai aucune occasion : mais il faut que Dieu la donne, et les bonnes affaires se décrient par des projets mal concertés.

L'affaire de la Mère d'Agréda va s'achever en Sorbonne, et passera à l'avis et aux qualifications des députés, avec quelques légères explications. Il faut imputer en partie la longueur de la délibération au nombre des délibérants, qui étaient cent quatre-vingts. Il y a eu aussi beaucoup d'affectation dans la cabale : on a vu en cette occasion combien il y avait de fausses dévotions dans la tête de plusieurs docteurs, combien d'égarements dans certains esprits, et combien de cabales monacales dans un corps qui en devait être pur.

Vous m'avez parlé d'un mémoire que j'avais fait envoyer au cardinal d'Aguirre sur ce sujet par le cardinal de Bouillon : le voilà ; il vous instruira de ce livre. La réponse du cardinal à son confrère a d'abord été ambiguë et sans décision ; depuis il a parlé franchement. On a découvert que toute l'approbation que ce livre a eue en Espagne est l'effet d'une intrigue de Cour : et le cardinal s'en est expliqué à Rome assez ouvertement à mon neveu. Vous me renverrez, s'il vous plaît, ce mémoire; car je n'en ai que cela.

Vous savez apparemment la congrégation que les Jésuites vont tenir à Rome. Leur général a mandé que tout le monde apportât une liste des propositions relâchées dont on accusait sa compagnie ; et lui-même il donnera la sienne. Je crois qu'à la fin, de bon ou de mauvais jeu, ils deviendront orthodoxes. On ne paraît pas à Rome leur être fort favorable.

Vous aurez su la nomination des Dames et de quelques autres pour la future duchesse de Bourgogne : on n'a point parlé des charges d'Eglise. Je vous avouerai sans hésiter, que j'ai fait ma demande : elle a été aussi bien reçue qu'il se pouvait; et les

 

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apparences sont bonnes de tous côtés. Dieu sait ce qu'il veut ; et pour moi je suis bien près de l'indifférence. Je suis comme vous savez, etc.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

Je pars demain pour m'en retourner.

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