Luynes XXXII
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LETTRE XXXII.  A Versailles, ce 25 juillet 1691.

 

C'est le jour de mon saint Patron que je vous écris cette lettre, et je le prie, ma Fille, de m'obtenir de Dieu des réponses dont vous puissiez  profiter, à chaque article de vos lettres.

Sur votre lettre du 17, je n'ai nullement dessein de vous renvoyer à un autre pour une confession générale : s'il en faut faire une, je me servirai du premier temps de liberté pour l'entendre : mais comme je doute qu'il en faille faire, je me suis remis à ce que Dieu m'inspirerait de vous conseiller. C'est ce que nous pourrons traiter à fond quand nous serons en présence, et il est assez malaisé de le faire par lettres. En attendant, allez sans hésiter votre train ; faites vos confessions et communions à l'ordinaire; la résolution de m'excuser tout est très-suffisante. Gardez-vous bien de céder aux peines qui surviendraient sur les péchés confessés, ou dont vous douteriez; car ce serait une source inépuisable de scrupules.

C'est un usage assez général de faire répéter quelques péchés de sa vie passée, mais je pense qu'il faut user sobrement de cette méthode; et il me semble qu'on trouve toujours, ou presque toujours, assez de matière. Il ne m'est point encore arrivé de n'en trouver pas.

L'affaire de l'intention demande plus de temps que je n'en ai à présent : elle est pourtant plus délicate qu'embarrassée. Je prie

 

 

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Notre-Seigneur qu'il soit avec vous. Vivez en paix et en espérance, et que ce soit là votre soutien et votre joie.

P. S. Le cardinal Pignatelli, archevêque de Naples , est pape sous le nom d'Innocent XII.

 

LETTRE XXXIII (a).  A Germiguy, ce 12 août 1691.

 

Ma lettre à la communauté vous instruira , ma Fille, de beaucoup de choses ; celle à Madame de Lusanci vous éclaircira sur ce que vous m'avez toutes deux mandé. J'écris, sans lui en rien dire, à Madame la prieure, sur le sujet du Tour, de la manière que j'ai crue la plus propre à ne lui rien faire soupçonner. Sur le reste de votre lettre du dl, je ne crois pas être en droit de nommer une boursière, qu'avec connaissance de cause et étant moi-même sur les lieux en visite. La réponse que me fera Madame la prieure sur le Tour me donnera lieu de parler, et de faire plus ou moins. Mon intention n'est point du tout de décharger Madame de Lusanci du dépôt : mais je ne lui dirai rien qu'en présence, et il faut de votre côté l'encouragera porter avec courage le joug que Dieu lui impose.

Mon voyage de la Trappe ne sera en tout que de neuf ou dix jours. Je le romprais sans hésiter, si je prévoyais que Madame de Jouarre dût venir; mais il n'y a nulle apparence. Il n'y aura qu'à m'écrire directement à Paris en mon logis, d'où il y aura bon ordre de m'envoyer tout. Sur les autres propositions qui regardent le temporel, nous en parlerons Madame de Luynes, vous et moi, et il faudra m'en faire ressouvenir à Jouarre.

Quant à Madame de Menou, j'avoue que je n'ai pas été fâche qu'elle vît Madame de Faremoutier et Madame sa sœur, dont elle pourra recevoir de bons conseils. Au surplus j'ai présupposé, comme on me le mandait, qu'elle avait l'agrément de Madame : si elle ne l'eût pas eu, elle n'eût dû ni pu sortir ; le reste n'est rien. Je prendrai pourtant garde une autre fois à ces sortes de permissions. Ce que vous avez dit sur cela n'est d'aucune conséquence,

 

(a) Collationnée.

 

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et vous n'avez point à vous en confesser. J'ai encore donné depuis une permission pour Mademoiselle votre sœur, qui semble avoir quelque dessein de se consacrer à Dieu à Jouarre. J'ai vu la lettre qu'elle écrivait sur ce sujet à M. Fouquet, chanoine de Meaux. Ma permission suppose le consentement de Madame l'abbesse, avec qui je ne doute pas que Mademoiselle de Luynes ne prenne les mesures nécessaires, et avec la famille, principalement avec vous; et j'ai dit à M. Fouquet que je n'accordais rien qu'à cette condition. Je vous prie d'en donner avis à Madame votre sœur, si elle ne le sait déjà.

Ce que j'ai dit dans mon Catéchisme est certain ; mais il n'est pas nécessaire qu'on sente cette préférence (a), et il ne faut point chercher d'en être assuré, puisqu'on ne le peut jamais être en cette vie. Il suffit de faire tout l'effort qu'on peut, et demander toujours pardon à Dieu de ce qu'on n'en fait pas assez. Au surplus je vous recommande de nouveau de vous abandonner à sa sainte volonté, et je vous défends de croire que vos peines vous soient envoyées pour autre fin que pour vous servir d'épreuve et vous épurer. J'aurai soin de rendre les lettres à la Trappe.

Ce que vous me mandez du dimanche est la même chose sur quoi je m'explique à Madame de Lusanci. Avant qu'on donnât à Madame de Jouarre l'argent qu'elle demande pour revenir, il faudrait auparavant qu'elle fît voir premièrement qu'on le peut ; secondement ce qu'elle doit et l'état où elle a mis les affaires : laissez-la venir. Je prends en bonne part ce qu'on m'écrit pour m'excitera ne me point relâcher : mais en vérité je n'ai pas besoin de tout cela : et quand les choses en sont venues à un certain point, je vois qu'il n'y a plus rien à faire qu'à ne jamais reculer.

Je vous prie de dire ce qui regarde Madame Menars à Madame de S. Ignace qui m'en a écrit. Je salue de tout mon cœur Madame de Luynes et toutes nos chères Filles.

 

(a) Voici ce que Bossuet dit dans son Catéchisme de celte préférence « Quelle est l'obligation générale et continuelle d'accomplir le commandement de l'amour de Dieu? C'est de n'aimer eu aucun temps la créature plus que Dieu, d'être à toute heure et à tout moment disposé à aimer Dieu plus que toutes choses. » (Voir notre vol. V, p. 96 et 97.)

 

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LETTRE XXXIV.  A Versailles, ce 26 août 1691.

 

Je suis ici de samedi, et je ne crois pas en partir avant lundi : j'y ai beaucoup d'affaires que je tâche d'expédier. J'expédierai aussi celles de Paris, dont la principale est de résoudre la forme qu'on donnera aux affaires de Jouarre à la conclusion de la visite. Je prendrai toutes les mesures qu'il sera possible pour cela. Je vous assure, ma Fille, et vous en pouvez assurer nos chères Filles, que ce que j'ai fait à Jouarre la dernière fois était absolument nécessaire. Il n'en peut arriver aucun mal, que quelques gronderies de Madame; et cependant je me mets en droit de la régler, sans qu'elle ose rien dire; ou si elle parle, elle ne fera qu'affermir ce que je fais, étant à mon avis très-certain qu'elle sera condamnée : tout cela prépare la définitive.

Celles qui disent qu'elles ne signeront plus rien, auront beau faire; il faudra bieu qu'elles répondent quand je les interrogerai, et qu'elles signent leur réponse qui u'est qu'un témoignage de la vérité, que je rendrai pour elles avec autant d'efficace quand elles refuseront.

La signification faite à Jouarre opère le même effet que faite à Port-Royal (a), où j'ignore qu'on soit, parce qu'où y est sans mon congé. Au surplus je ne dis pas que je ne ferai point signifier; mais je demande qu'on attende jusqu'à la semaine prochaine, où j'enverrai des ordres précis, et marquerai très-exactement à Madame de Lusanci ce qu'on aura à faire.

On m'est venu ce matin rendre une lettre du P. Colombet, jésuite de la province de Bordeaux, que Madame votre abbesse a nommé pour prédicateur. Je l'ai approuvé pour cela, mais non pas pour confesser. J'attends d'apprendre de vous ce qui vous paraîtra de lui.

M. le Chantre prendra la peine d'envoyer cette lettre par un homme exprès, qui rapportera vos réponses, et celles de nos chères Filles qui voudront m'écrire. Vous lui pouvez adresser les

 

(a) Port-Royal de Paris, où était l'abbesse de Jouarre.

 

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paquets pour moi. On dit toujours que Madame de Jouarre part; mais on ne se remue pas.

Je ne vous dis rien sur votre sujet : allez toujours d'un même pas, selon la règle que je vous ai donnée. Le chapitre de saint Jean que j'ai eu intention de vous faire lire, est le Ve : « L'Esprit souffle où il veut, et personne ne sait d'où il vient, ni où il va; il en est de même de ceux qui sont nés de l'Esprit (1). » Tout à vous.

 

LETTRE XXXV.  A Paris, ce 30 août 1691.

 

Je reçois votre lettre du 29 : je ne vois pas qu'on ait reçu un paquet que j'ai adressé à Jouarre par M. le curé de la Ferté, incontinent après mon arrivée de la Trappe à Versailles. Comme on l'aura reçu à présent, il sera bon de m'en avertir par une voie sûre et prompte, et des dispositions où l'on sera.

Pour moi, sans vous répéter ce que vous pourrez apprendre de Madame de Lusanci, je vous dirai que je n'ai rien appris de nouveau : que j'ai mandé à mon officiai de tenir une sentence toute prête, portant défense à Madame de Jouarre et aux Sœurs, de sortir du monastère sous peine d'excommunication ipso facto, laquelle sera signifiée aussitôt qu'on aura nouvelle qu'on arrivera. Je ne crois pas qu'elle se presse; et en tout cas je la préviendrai ou je la suivrai de si près, qu'elle ne pourra pas gâter beaucoup de choses. Quant à sa démission, elle en parle toujours; mais d'une manière si captieuse, qu'on voit bien que ce n'est que tromperie et amusement. Elle se moque de Madame de Soubise comme des autres. Dans cette incertitude, je ne puis former aucun plan, que de faire dans l'occasion ce que je pourrai. Je ne pense ni plus ni moins à Madame votre sœur que ci-devant : si j'étais le maître, je la mettrais sans hésiter au-dessus de toutes les autres, quand je devrais offenser son humilité que je ne puis assez louer. Pour ce qui est du gouvernement, quand Madame sera à Jouarre nous en conférerons amplement sur les lieux, avant que de prendre un parti. Je partirai bien instruit de ce que je

 

1 Joan., III, 8.

 

 

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puis; et mon principe est de laisser le moins de matière qu'on pourra aux irrésolutions et irrégularités de Madame. Je ne la verrai point du tout, que je n'aie tout arrêté et conclu avec M. Petitpas, et que je ne voie l'exécution ; sinon j'irai mon chemin, et je serai à Meaux le 6 de septembre, si le départ de Madame ne m'oblige de me hâter. Je crois en attendant qu'il y aura ordre de faire cheminer M. de la Vallée : comptez que je ne me relâcherai de rien du tout. Il y a beaucoup d'autres choses à dire, que je réserve à Madame votre sœur et à vous, lorsque nous serons en présence, étant certain que vous avez et aurez toujours ma principale confiance, comme vous avez d'ailleurs toute mon estime.

Je n'ai défendu ni improuvé aucun livre : il y en a seulement que je crois peu utiles à une religieuse, et quelques-uns qui ne sont pas assez nécessaires pour se faire des affaires sur cela. Cependant allez votre train, et ne vous émouvez jamais de ce que j'écris pour les autres, puisque je me réserve toujours une oreille pour les raisons particulières.

Je suis, ma Fille, en bonne santé par vos prières : assurez-vous que je veille sur vous et sur Jouarre comme à la plus grande et la plus pressante de mes affaires.

 

LETTRE XXXVI.  A Germigny, ce 12 septembre 1691.

 

Je vous envoie, ma chère Fille, par cet exprès, la réponse de M. l'abbé de la Trappe pour Madame votre sœur et pour vous. Vous voulez bien que je vous charge d'une réponse à Madame de Harlay sur les bruits qui ont couru, je ne sais pourquoi, de la mort de cet abbé. Vous pouvez l'assurer que je ne l'ai jamais vu en meilleure santé.

Je n'apprends rien de Paris : il me paraît seulement qu'on n'y songe à Jouarre que pour en tirer de l'argent que j'ai constamment refusé, ayant ajouté à cette fois une nouvelle raison, qui est qu'il n'y en a point. On s'est servi de l'entremise de M. de Trois-ville, mon ancien ami; et moi je m'en suis aussi servi pour

 

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parler des confesseurs et du médecin, et pour conseiller de nouveau que l'on commence à agir de meilleure foi et plus nettement qu'à l'ordinaire.

Pour ce qui vous touche, ma Fille, je vous prie de lire le troisième chapitre des Lamentations de Jérémie. Ce saint prophète paraît l'avoir fait dans le cachot, dont il est parlé dans les XXXVII et XXXVIII de sa prophétie. Comparez ce chapitre avec le psaume LXXXVII, vous trouverez dans l'un et dans l'autre des sentirnens très-propres à votre état, et vous verrez comment, jusque dans le plus profond abîme de tristesse, on peut trouver de l'espérance. Le tableau que vous m'avez donné me fait trembler : quoi ! que je regarde ce soleil sans baisser les yeux ! cela n'est pas possible.

Je salue de tout mon cœur mes chères Filles, et surtout Madame votre sœur. Je ne cesse de prier pour vous, et surtout durant cette octave. Notre-Seigneur soit avec vous, ma chère Fille. Souvenez-vous toute votre vie de ce que je vous ai dit sur votre dernière revue; c'est qu'il ne faut jamais s'en inquiéter.

 

LETTRE XXXVII.  A Germigny, ce 12 septembre, 1691.

 

Je vous assure, ma Fille, que votre confessiou dernière est très-bonne et très-suffisante : une autre plus générale serait inutile et dangereuse à votre état. Vous ne devez point avoir égard à ces dispositions, où vous croyez avoir rétracté toutes vos résolutions précédentes. Toutes les fois que cela vous arrivera, il n'y a qu'à rejeter cette pensée comme une tentation, et aller toujours votre train. Je vous défends d'avoir de l'inquiétude de vos confessions passées ni à la vie ni à la mort, ni de les recommencer en tout ou en partie à qui que ce soit, fussiez-vous à l'agonie : ce ne serait qu'un embarras d'esprit qui ne ferait qu'apporter du trouble et de l'obstacle à des actes plus importants et plus essentiels, qui sont l'abandon, l'amour de Dieu et la confiance en sa miséricorde.

C'est une erreur trop grande à la créature de s'imaginer pouvoir se calmer à force de se tourmenter de ses péchés. On ne

 

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trouve ce calme que dans l'abandon à l'immense bonté de Dieu, en lui remettant sa volonté propre, son salut, son éternité; et le priant seulement par Jésus-Christ de ne nous pas souffrir dans le rang de ceux qu'il hait et qui le haïssent, mais au rang de ceux qu'il aime et qui lui rendent éternellement amour pour amour. Hors de cette confiance, il n'y a que trouble pour les consciences timorées, et surtout pour les consciences scrupuleuses comme la vôtre.

Vous ne devez jamais craindre de vous abandonner trop aux impressions de l'amour divin. Il faut toujours avoir dans le cœur que Dieu ne donne pas de tels attraits selonaios mérites, mais selon ses grandes bontés, et qu'il faut non-seulement se laisser tirer, mais s'aider de toute sa force à courir après lui, en se souvenant de cette parole : « Je t'ai aimée d'un amour éternel ; c'est pourquoi je t'ai attirée par miséricorde (1) ; » et en disant avec l'Epouse : « Tirez-moi ; nous courrons après vos parfums : ceux qui sont droits vous aiment (2). »

Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE XXXVIII.  A Germigny, ce 30 septembre 1691.

 

Plus on ira en avant, plus on verra qu'il n'y a point à se prévaloir de la bonne ou de la mauvaise mine que fera le monde : mais en tout cas, il est bon de se faire du dernier un exercice d'humilité et de patience ; ce qui sans doute vaut mieux que les plus favorables accueils.

Pour faire achever ce qui reste, je n'ai point d'autres moyens à employer que ceux dont j'ai usé jusqu'à présent, si ce n'est que les derniers actes seront toujours les plus forts et les délais plus courts.

Entre nous, le Père S*** ne fait que tortiller et pateliner, et avec cela il se croit bien fin.

J'assure nos chères Filles, et Madame de Luynes en particulier, de mon affection et de mes services.

1 Jerem., XXXI, 3. — 2 Cant., I, 3.

 

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Croyez qu'à la vie et à la mort je ne vous manquerai pas, s'il plaît à Dieu. Tout à vous.

 

LETTRE XXXIX. 
A Germigny, ce 30 septembre 1691.

 

Dieu que vous réclamez avec confiance, ma chère Fille, ou vous ôtera ce chagrin, ou vous soutiendra d'ailleurs, pourvu que vous soyez fidèle à obéir à la défense que je vous ai faite et que je vous réitère encore, de le regarder comme un effet du courroux de Dieu, puisque au contraire toutes les souffrances qu'il nous envoie en cette vie, et celle-ci comme les autres, sont selon saint Paul une épreuve de notre patience et par là un fondement de notre espoir (1).  Demeurez donc ferme dans ce sentiment, et ne laissez point ébranler voire foi par la tentation.

La coutume de dire Matines dès le soir, vers les quatre à cinq heures pour le lendemain, est si répandue, que je ne crois pas qu'on en doive faire aucun scrupule. J'approuverois pour le mieux qu'on les dit plus tard, afin d'approcher davantage de l'esprit de l'Eglise. Je trouve encore plus nécessaire de séparer les Heures, et de les dire à peu près chacune en son temps. Mais ce ne sont pas là des obligations si précises qu'on ne s'en puisse dispenser, quand on a quelque raison de le faire, sans encourir de péché et sans avoir besoin de recourir à la dispense des supérieurs.

Les œuvres d'Origène ont été autrefois rigoureusement défendues, à cause de ses erreurs ou de celles qu'on avait glissées dans ses livres. Maintenant que les matières dont il s'agissoit alors sont tellement éclaircies qu'il n'y a plus de péril qu'on s'y trompe, vous pouvez le lire à cause de la piété qui règne dans ses ouvrages, en vous souvenant néanmoins que c'est un auteur dont l'autorité n'est pas égale à celle des autres Pères.

Ce n'est pas tant dans les livres que dans soi-même et dans son propre cœur, qu'il faut chercher la résolution des doutes que vous proposez sur l'intention. Et d'abord pour la définir, c'est un acte

 

1 Rom., V, 4.

 

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de notre esprit par lequel nous le dirigeons à une certaine fin que la raison nous présente, et que la volonté suit.

Cela, comme vous voyez, est bien clair : la bonne intention est celle qui a une bonne fin ; la mauvaise intention est celle qui en a une mauvaise. C'est là cet œil de notre air.e, lequel, quand il est simple, c'est-à-dire quand il est droit, tout est éclairé en nous; et au contraire s'il est mauvais ou malicieux, tout est couvert de ténèbres selon la parole de Notre-Seigneur

Ce n'est pas là la difficulté ; il s'agit de vous faire entendre comment cette intention subsiste en vertu, lorsque l'acte eu est passé et qu'il semble qu'on n'y pense plus. Il faut donc premièrement distinguer l'acte et l'habitude ; et tout le monde entend cela. Mais si nous rentrons en nous-mêmes, nous y trouverons quelque chose de mitoyen entre les deux, qui n'est ni si vif que l'acte, ni si morne pour ainsi parler et si languissant que l'habitude.

L'acte est quelque chose d'exprès et de formel, comme quand on dit : Je veux aller à Paris, à Rome, où vous voudrez : on marche, on s'avance et on ne fait pas un pas ni un mouvement qui ne tende à cette fin : mais néanmoins on n'y songe pas toujours, ou du moins on n'y songe pas aussi vivement qu'on avait fait la première fois, lorsqu'on avait pris sa résolution. On ne laisse pas néanmoins d'aller toujours, et tous les pas qu'on fait se font en vertu de cette première résolution si marquée : ce qui fait aussi que si quelqu'un nous arrête pour nous demander où nous allons, nous répondons aussitôt et sans hésiter que nous allons à Paris, ou en tel autre lieu qu'on voudra prendre,

On demande ce qu'il y a dans l'esprit qui nous fait parler ainsi. Je réponds premièrement qu'il n'importe pas de le savoir : il suffit de savoir que la chose est, et trop de subtilité en ces choses ne fait qu'embrouiller. En second lieu, je réponds que ce qui reste, c'est l'acte même, mais plus obscur et plus sourd, parce qu'on n'y a pas la même attention. Car il faut soigneusement observer que l'acte et l'attention à l'acte sont choses fort distinguées ; de sorte qu'il peut arriver qu'un acte continue, encore qu'on n'y pense pas toujours également ; d'où pas à pas et en diminuant

1 Matth., VI, 22, 23.

 

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l'attention par degrés, il peut arriver qu'on n'y pense guère ou point du tout : ce qui ne détruit pas l'acte ; mais le laissant en son entier, fait seulement qu'il demeure un peu à l'écart par rapport au regard de l'ame, c'est-à-dire à la réflexion, jusqu'à ce qu'on nous réveille comme on faisoit à notre voyageur en lui demandant : Où allez-vous ? A quoi il répond d'abord : Je vais à Rome ; ce qui ne demande pas qu'il fasse, toujours un nouvel acte, mais qu'il fasse réflexion sur celui qu'il avait déjà fait, et qui sub-sistoit sourdement et obscurément dans son esprit, sans qu'il songeât à l'y regarder.

A vrai dire, cela n'a point de difficulté. On pourrait dire qu'il en est de cet acte comme d'un trait qu'on lance d'abord, et qui avance en vertu de la première impulsion qui n'est plus. En cette sorte on pourrait penser qu'après la direction de l'esprit, qui s'appelle intention et résolution, il y reste une impression qui le fait tendre à la même fin.

Mais qu'est-ce que cette impression? Je dis que c'est l'acte même; ou si l'on ne le veut pas de cette sorte, c'est une disposition en vertu de laquelle on est toujours prêt à en faire un autre semblable. Mais j'aime encore mieux dire que c'est l'acte même qui subsiste sans qu'on y ait la même attention, ainsi que je l'ai supposé d'abord, quoique au fond il importe peu et que ces deux manières d'expliquer ne diffèrent guère.

La difficulté consiste à savoir quand est-ce que cet acte cesse, et comment. Mais premièrement il est constant qu'il cesse par une actuelle et certaine révocation de son intention ; secondement, on ne doute pas qu'il ne cesse encore par une longue interruption de la réflexion qu'on y fait.

C'est ici que les docteurs se tourmentent à chercher quel temps il faut pour cela. Mais la question est bien vaine, puisqu'il est certain qu'il n'y a pas là de temps précis et déterminé, et que l'acte dure plus ou moins dans sa vertu, selon qu'il a été plus ou moins fort lorsqu'il a été commencé, comme l'impression dure plus longtemps dans le trait ou dans une pierre, selon que l'impression a été plus grande.

Ce qu'on peut dire, c'est en premier lieu, que régulièrement

 

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le sommeil emporte une interruption inévitable à un acte libre, à cause de la suspension qui arrive alors dans l'usage de la liberté et de la raison. C'est aussi pour cela qu'on conseille de renouveler ses bonnes résolutions en s'éveillant. Secondement , on doit dire qu'une grande occupation de l'esprit cause aussi une interruption, parce que deux actes ne peuvent pas se trouver ensemble dans un degré éminent et fort, de sorte qu'ordinairement l'un efface l'autre en cet état. Le moyen d'éviter tout embarras, c'est de renouveler de temps en temps ses bonnes résolutions : et aussi quand on l'a fait sérieusement, il ne faut plus s'embarrasser si l'acte subsiste, puisqu'il est certain qu'il peut subsister longtemps, et souvent des journées entières sans qu'on y pense.

Quelques docteurs estiment qu'il peut être fait avec tant de force qu'il subsiste plusieurs années, même au travers du sommeil et des autres occupations, à cause de l'éminence et de la vertu de cet acte : ce qu'il n'est pas nécessaire de combattre, puisque régulièrement cela n'est pas ainsi, et que c'en est assez pour voir qu'il ne faudroit pas s'y fier : outre qu'il paraît manifestement contradictoire qu'un acte soit aussi fort qu'on le dit, et qu'à la fois on cesse d'y penser un très-long temps, puisque le propre des sentiments qui nous tiennent fort au cœur, c'est de revenir souvent et de s'attirer souvent notre attention.

Au reste il faut ici remarquer qu'il y a des vérités si simples, qu'elles nous échappent quand on entreprend de les entendre mieux qu'on n'a fait d'abord. Si quelqu'un voulait définir ce que c'est qu'assurer, ou que nier, ou qu'une opinion, ou qu'un doute, ou qu'une science certaine, et chercher à ajouter quelque chose à la première et droite impression que ces mots font d'abord dans nos esprits, il ne ferait que se tourmenter et s'alambiquer, pour mieux entendre ce qu'il avait déjà entendu parfaitement du premier coup.Il en est de même de l'intention virtuelle, que chacun trouve en soi-même sitôt qu'il l'y cherche. Delà il suit clairement qu'elle suffit pour les sacrements en toute opinion, et pour le mérite, parce que c'est ou l'acte même continué plus sourdement, ou quelque chose d'équivalent à l'acte.

 

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Pour en venir à ce qui vous touche en votre particulier, ne croyez jamais que vous ayez révoqué vos résolutions, sans que vous en trouviez en vous-même une revocation marquée; et croyez encore moins qu'elles finissent pour ainsi dire comme d'elles-mêmes, par une interruption de quelques moments, ou même de quelques heures , puisqu'il est bien certain que non, et que les actes durent plus sans difficulté que la réflexion qu'on y fait. Allons simplement avec Dieu : quand notre conscience ne nous dicte point que nous ayons changé de pensée ou de sentiment, croyons que cette même pensée et le même sentiment subsistent toujours.

Les actes qu'on aperçoit vivement ne sont pas toujours les meilleurs. Ce qui naît comme naturellement dans le fond de l'aine, presque sans qu'on y pense, c'est ce qu'elle a de plus véritable et de plus intime ; et les intentions expresses qu'on fait venir dans son esprit comme par force ne sont souvent autre chose que des imaginations, ou des paroles prises dans notre mémoire comme dans un livre.

Comment faut-il faire maintenant pour former ces actes qui naissent comme de source ? C'est une chose facile à entendre ; et je crois vous en avoir assez dit pour ne vous laisser aucun doute sur ce sujet. Je prie Notre Seigneur qu'il soit avec vous.

Mandez-moi sincèrement comment on se trouve du confesseur.

 

LETTRE XL.  A Germigny, ce S octobre 1691.

 

Madame d'Alègre a pensé d'elle-même à vous aller voir, Madame votre sœur et vous ; et vous n'avez à me savoir gré que d'avoir résolu sur l'heure à l'accompagner dans un voyage dont vous étiez toutes deux l'agréable sujet.

Je ne compte point aller à Fontainebleau, ni sortir du diocèse qu'après la Toussaint; mais je ferai beaucoup de visites dans le diocèse et autour d'ici.

Vous n'avez point du tout à vous confesser des peines que vous savez, même dans le cas dont vous me parlez

 

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Ce que j'appelle sortir de source dans l'âme et comme naturellement , c'est lorsque les actes sont produits par la seule force des motifs qu'on s'est rendus familiers et intimes, en les repassant souvent avec foi dans son esprit, sans qu'il soit besoin d'arracher ces actes comme par une espèce de force, et qu'ils viennent comme d'eux-mêmes sans réflexion et attention expresse. Voilà les bons actes, et ceux qui viennent du cœur.

Je songerai à M. Morel ; et je vous dirai par avance qu'un homme qui a un emploi réglé n'en doit pas être aisément tiré pour un emploi passager.

Vous faites trop d'honneur à ma sœur : elle vous en est fort obligée; elle se porte à son ordinaire.

 

LETTRE XLI.  A Germigny, ce 24 octobre 1691.

 

Votre lettre du 23, ma Fille, me marque le contentement que vous avez, Madame votre sœur et vous, de l'ouvrage qu'on vous a envoyé de ma part ; Dieu soit loué. Il y avait plusieurs jours que j'enfantois, ce me semblait, quelque chose pour vous, quand vous m'avez exposé les désirs de Madame de Harlay. Tout ce que je méditois y revenoit fort, et il n'y aura qu'à le tourner au renouvellement des vœux et de la retraite. Ainsi cela se fera, s'il plaît à Dieu, au premier jour, et peut-être cette nuit, si Dieu le permet.

Je suis bien aise que M. le Blond vous demeure : je lui écris pour l'y exhorter. Je n'ai pu aller à Jouarre pendant que vous étiez indisposée : je serois entré sans hésiter pour vous voir. J'ai demain une conférence à Meaux. Si M. l'intendant y vient, ce sera un retardement pour mon voyage ; mais il se fera certainement, s'il plaît à Dieu. Le congé que j'ai donné à Madame votre abbesse est de deux mois, à compter depuis le jour de son départ de Jouarre.

Les confesseurs des religieuses, soit ordinaires ou extraordinaires, n'ont pas les cas réservés, si on ne les leur donne expressément ; mais aussi n'y manque-t-on pas pour l'ordinaire.

 

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Vous avez déjà vu qu'il me sera fort facile de tourner quelque chose que je vous destinois, à la retraite et au renouvellement des vœux ; et ainsi vous serez contente, tant pour vous que pour elle, sïl plaît à Dieu. Il s'agit d'un acte d'abandon que je crois spécialement nécessaire à votre état, suivant que je vous l'ai déjà dit. Je n'y dirai rien qui ne puisse paraître commun à tout chrétien dans le fond.

Je suis bien éloigné de croire que votre santé me soit présente-mentinutile. Vous savezcombien de choses nécessaires j'apprends tous les jours de vous. C'est vous qui m'avez fait connaître les sujets; et je ne trouve la dernière certitude sur laquelle il faut que je m'appuie dans les affaires, que dans le concert de vous deux avec Madame de Lusanci. Car sa fidélité me la fait mettre en tiers, et je reconnais encore que vous lui êtes fort nécessaire, pour lui inspirer le courage qu'elle a besoin de renouveler à chaque moment. Au surplus il n'est pas question avec vous de m'être ou ne m'être pas nécessaire. Vous m'êtes chère par vous-même, et c'est Dieu même qui a fait cette liaison. Ainsi vous devez sans hésiter me dire ce scrupule ou cette peine, comme vous voudrez l'appeler, à notre premier entretien ; et dès à présent je vous l'ordonne, et de me découvrir tout ce dont le retour pourra vous faire de la peine, quand même vous vous seriez calmée là-dessus, à la réserve des choses dont je vous ai défendu de me parler davantage, de peur de nourrir une inquiétude que je veux calmer et déraciner, s'il se peut.

Ne dites pas que votre état nuise à votre perfection ; dites plutôt avec saint Paul : « Nous savons que tout coopère à bien à ceux qui aiment Dieu (1). » Or il n'y a nul état qui empêche d'aimer Dieu, que celui du péché mortel. Il n'y a donc nul état, excepté celui du péché mortel, qui loin d'être un obstacle au bien des fidèles, ne puisse avec la grâce de Dieu y concourir. Je veux donc bien que vous lui demandiez avec cet Apôtre qu'il vous délivre de cet ange de Satan (2), quand vous seriez assurée que c'en est un, mais non pas qu'il vous empêche de bien espérer de votre perfection.

 

1 Rom., VIII, 28. — 2 II Cor.,  XII, 8.

 

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Je vous parle fort franchement et nullement par condescendance : je suis incapable de ce rebut que vous craigniez ; et le plus sensible plaisir que vous me puissiez faire, c'est non-seulement de ne m'en parler jamais, mais d'agir comme assurée qu'il n'y en a point. Vous voyez par cette réponse, que j'ai reçu la lettre que vous m'avez adressée par la poste. Je vous prie de dire à Mesdames Gobelin, d'Ardon et du Mans, que j'ai aussi reçu leurs lettres, et que je n'ai nul loisir de leur répondre. A vous de tout mon cœur, sans oublier Madame de Luynes.

 

LETTRE XLII.  A Meaux, ce 5 novembre 1691.

 

J'ai reçu, ma Fille, vos lettres du 30 octobre, du 4, 2 et 4 novembre avec ma béatitude, qui est celle en vérité que j'aime le plus, quoique la dernière soit constamment la plus parfaite, et celle sur laquelle le Sauveur appuie le plus : mais celle-ci y prépare ; et le cœur pour être pur doit être mis dans le feu de la souffrance. Mais hélas ! je n'en ai pas le courage : priez Dieu qu'il me le donne.

Vous vous préparez beaucoup de peine, si vous ne vous attachez constamment à la pratique que je vous ai ordonnée sur ces matières pénibles. Ce que vous diront sur cela les confesseurs sera bon, solide, véritable, mais peu convenable à votre état, et capable de vous détourner de cet esprit de dilatation et de confiance où vous avez besoin d'être conduite. Soyez une fois persuadée que ces sentiments qui vous viennent par des choses d'ailleurs innocentes, ne vous obligent point à la confession, et qu'il n'y a que l'assurance du consentement exprès et formel au péché mortel qui vous y oblige dans l'état où vous êtes. Remettez toutes ces peines à mon retour, et tenez-vous en repos. Toute l'inquiétude que vous vous donneriez sur ce sujet ne serait qu'un empêchement à l'œuvre de Dieu; et vous croirez toujours que vous ne vous êtes pas assez expliquée à moi, quoi que vous fassiez et quoi que je puisse vous dire. Je vous renouvelle donc toutes les défenses que je vous ai faites sur ce sujet-là, sans dessein de vous

 

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obliger à péché quand vous y contreviendrez par faiblesse et par scrupule.

Vous avez parfaitement bien pris l'esprit des sentences que je vous ai données. Mais ce que vous ajoutez sur votre mélancolie, que vous croyez incompatible avec cette joie, n'est pas véritable. Croyez-vous que le saint homme Job n'ait pas ressenti cette tristesse, qui nous fait voir un Dieu armé contre nous ? Vous savez bien le contraire. Et Jésus-Christ n'a-t-il pas été lui-même plongé dans l'ennui et dans la tristesse jusqu'à la mort? Croyez donc que ces tristesses, quelque sombres et quelque noires qu'elles soient, et de quelque côté qu'elles viennent, peuvent faire un trait de notre ressemblance avec Jésus-Christ, et peuvent couvrir secrètement ce fond de joie qui est le fruit de la confiance et de l'amour.

Je vous reconnais toujours pour ma première Fille, et dès le temps de votre profession et depuis mon installation à Jouarre ; et cela vous est bon pour vous.

 

LETTRE XLIII.  A Dammarlin, ce 5 novembre 1691.

 

Vous n'avez rien, ma Fille, à confesser davantage sur la matière dont vous me parlez, ni à vous inquiéter de vos confessions passées. Vous n'avez rien à dire sur cela qu'à moi, pour les raisons que vous aurez pu voir dans ma lettre de ce matin, et pour d'autres encore plus fortes, qui ne se peuvent pas écrire si aisément. Je vous entends très-bien, et vous pouvez vous reposer sur ma décision.

C'est à l'heure de la mort qu'il faut le plus suivre les règles que je vous ai données, parce que c'est alors qu'il faut le plus dilater son cœur par un abandon à la bonté de Dieu. C'est alors, dis-je encore un coup, qu'il faut le plus bannir les scrupules. Mettez-vous donc en repos pour une seconde fois ; ne croyez point que vous me fatiguiez jamais : toute ma peine est pour vous ; et je neveux point, si je puis, laisser prévaloir la peine ; ce qui ne manque point d'arriver quand on s'accoutume à revenir aux choses déjà

 

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résolues. Tenez-vous donc ferme, ma Fille, à ce que je vous décide, et ne vous laissez ébranler ni à la vie ni à la mort. Y a-t-il quelqu'un sur la terre qui doive répondre de votre âme plus que moi? Vous reconnaissez que je vous ai enfantée par la divine parole ; vous êtes la première qui vous êtes soumise à ma conduite à l'extérieur et dans l'intérieur : que sert tout cela, si vous ne croyez pas à ma parole? Tenez-vous donc, pour la troisième fois, à ma décision.

Nous sommes affligés au dedans et au dehors par la tentation ; mais nous ne sommes pas angoissés, c'est-à-dire resserrés dans notre cœur ; mais nos entrailles sont dilatées par la confiance (1). Nous sommes agités par des difficultés où il semble que l'on ne voie aucune issue; mais nous ne sommes point abandonnés; et la main qui seule nous peut délivrer, ne nous manque pas. Nous sommes abattus jusqu'à croire, en nous consultant nous-mêmes, qu'il ne nous reste aucune ressource ; mais nous ne périssons pas, parce que celui qui a en sa main la vie et la mort, qui abat et qui redresse, est avec nous (a).

C'est, ma Fille, ce que je veux que vous alliez dire à Dieu au moment que vous aurez lu cette lettre.

 

LETTRE XLIV.  A Paris, ce 9 novembre 169).

 

J'arrive en bonne santé, Dieu merci, ma Fille, et on me rend vos lettres du 7 et du 8.

Il ne faut point s'embarrasser des confessions passées pour les* cas réservés. Je vous avoue qu'à la vérité je ne sais pas bien si la réserve a lieu à l'égard des religieuses ; et si en cas qu'elle ait lieu, leurs confesseurs sont censés avoir les cas réservés à leur égard. Mais quoi qu'il en soit, il est constant que la bonne foi suffit dans les uns et dans les autres, et qu'il ne faut point songer à recommencer les confessions. Depuis que le doute est levé, et

 

1 II Cor., IV, 8, 9.

(a) Mêmes paroles à peu près à Madame Cornuau. Extraits de différentes lettres, à la fin du volume précédent.

 

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qu'ainsi la bonne foi n'y pourrait pas être, je déclare que mon intention est que tous ceux qui confesseront à Jouarre puissent absoudre de tout cas; et ainsi on est assuré et pour le passé par la bonne foi, et pour l'avenir par ma permission expresse, que j'envoie à Madame la prieure.

A votre égard je vous défends de réitérer vos confessions, sous prétexte d'omission ou d'oubli, à moins que vous ne soyez assurée, premièrement, d'avoir omis quelque péché ; et secondement, que ce péché soit mortel ; ou, si c'est une circonstance, à moins qu'elle ne soit du nombre de celles qu'on est obligé de confesser ; et je vous défends sur tout cela de vous enquérir à personne, et vous ordonne de passer outre à la communion en plein abandon et confiance, à moins que par vous-même vous ne soyez entièrement assurée de ce que je viens de vous dire. Pour le surplus, vous devez être très-assurée que je vous entends, parce que sachant très-bien tous les côtés d'où peut venir cette peine, je vois que la résolution et l'ordre que je vous donne ne peut être affoibli ou changé par quelque côté que ce soit. Tenez-vous-en donc là, et ne vous laissez point troubler par toutes ces peines. M. de Sainte-Beuve avait raison, et il y a plutôt à étendre qu'à rétrécir ces défenses : car il faut établir surtout l'abandon entier à la divine bonté, qui est un moyen encore plus sur et plus général d'obtenir la rémission des péchés que l'absolution, puisqu'il en renferme toujours le vœu et en contient la vertu.

Au reste je n'oublie point de prier pour obtenir la délivrance de ce noir chagrin : mais je ne veux point que votre repos dépende de là, puisque Dieu seul et l'abandon à sa volonté en doit être l'immuable fondement. C'est l'ordre de Dieu; et ni je ne puis le changer, puisque c'est l'annexe inséparable de sa souveraineté ; ni je ne le veux, parce qu'il n'y a rien de plus aimable ni de meilleur que cet ordre, dans lequel consiste toute la subordination de la créature envers Dieu.

Vous pouvez envoyer à Madame de Harlay ce qui regarde l'intention : je vous enverrai le reste quand il me sera donné. Je ne crains aucun verbiage de votre côté ; et vos lettres, quelque longues qu'elles soient, ne me feront jamais la moindre peine,

 

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pourvu seulement que vous n'épargniez point le papier, et que vous vouliez prendre garde à ne point presser sur la fin des pages vos lignes et votre écriture ; car au reste elle est fort aisée.

 

LETTRE XLV.  A Versailles, ce 14 novembre 1691.

 

J'ai reçu, ma Fille, votre lettre du 12. Je vous envoie l'écrit pour la retraite : vous en pouvez laisser tirer des copies, non-seulement pour Madame de Harlay, mais encore à nos chères Sœurs et à ma Sœur Cornuau. Vous me ferez plaisir après cela de me renvoyer l'original, parce que j'en veux envoyer autant aux Filles de Sainte-Marie de Meaux.

J'ai une grande consolation de ce que vous me mandez de ma Sœur de laGuillaumie et de ses compagnes, aussi bien que de nos dernières professes. Ce m'est en vérité une grande joie d'avoir mis la dernière main à leur consécration. J'espère que Dieu leur fera sentir du fruit de la conduite épiscopale, à laquelle elles se sont soumises d'abord; et je les exhorte à y demeurer.

Quant à ces peines dont vous me parlez, elles ne doivent non plus vous arrêter, quand elles arrivent à la communion, que dans un autre temps; autrement le tentateur gagnerait sa cause. Car, comme vous le remarquez, il ne demande qu'à nous tirer des sacrements et de la société avec Jésus-Christ. Vous avez donc bien fait de passer par-dessus, et de ne vous en confesser pas. La bonne foi et l'obéissance vous mettraient absolument à couvert, quand vous vous seriez trompée. Mais loin de cela, vous avez bien fait; et plût à Dieu que vous fissiez toujours de même! Il n'y a point eu d'irrévérence dans votre communion, ni de péché à vous être élevée par-dessus la pensée que vous faisiez mal, parce que c'est précisément ces sortes de pensées scrupuleuses et déraisonnables qu'il faut mépriser. Je ne veux point que vous vous confessiez à M. le curé, non plus qu'aux autres, de semblables peines.

Je veux bieu, ma Fille, que vous m'en rendiez compte, quand vous ne pourrez pas les vaincre sans cela : mais le fond le meilleur serait de ne plus tant consulter sur des choses dont vous

 

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avez eu la résolution ou en elles-mêmes, ou dans d'autres cas semblables. Ces consultations entretiennent ces dispositions scrupuleuses, et empêchent de parler de meilleures choses. Ne vous étonnez donc pas si je tranche dorénavant en un mot sur tout cela ; car je pécherais en adhérant à ces peines.

Je ne vous ai parlé de prévenir nos chères Sœurs, que parce que la charité est prévenante. Je fais réponse à Madame de Lusanci pour les affaires, et je vous prie de la bien assurer que je ne serai jamais prévenu contre elle. 1 Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLVI (a).  A Versailles, ce 18 novembre 1691.

 

L'écrit que je vous envoie est plus long que je ne pensois; mais c'est que j'ai voulu rendre tout ce que Dieu me prètoit. Je prévois qu'il sera assez difficile qu'on l'ait décrit assez tôt pour me donner le loisir de l'envoyer à nos Sœurs de Meaux avant la Présentation, qui, ce me semble, est le 21. Cela se pourra pourtant, si ma Sœur de la Guillaumie veut bien pour l'amour de moi, puisque je l'en prie, faire un peu de diligence pour la première copie, et pour celle de Madame de Harlay. Quant à nos autres Filles, je laisse la distribution à votre discrétion, et pour cause.

 

LETTRE XLVII.  A Versailles, ce 20 novembre !691.

 

Ecrivez-moi sans hésiter cette pensée que vous ne voulez me dire que par mon ordre. J'ai répondu à tous vos doutes. C'est pour vous plutôt que pour moi que je vous défends de répéter.

Je salue Madame votre Sœur de tout mon cœur. Mon entretien avec Madame n'a pas plus opéré que les autres : mais ce n'est pas là que je mets ma confiance; et soit qu'elle retourne, soit qu'elle

 

(a) Collationnée.

 

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demeure en ce pays, j'espère établir une conduite uniforme et certaine. Dieu soit avec vous.

+ J. BÉNIGNE, év. de Meaux.

 

Je remercie aussi Madame de Rodon, et je suis bien aise que vous en soyez contente.

 

LETTRE XLVIII.  A Paris, ce 24 novembre 1691.

 

Vous avez très-bien fait de communier sans vous confesser de ces peines. M. le curé a toujours les mêmes approbations ; mais je vous ai défendu, et je vous défends de vous confesser de ces peines à lui ou à d'autres, à moins que vous ne soyez assurée, jusqu'à en pouvoir jurer s'il était besoin, que vous avez consenti à un péché mortel, si c'en est un ; ou si ce n'en est pas un, je ne veux point que vous consultiez sur cela d'autre que moi, ni que vous me consultiez par écrit. Tout ce que je puis faire, c'est de souffrir que vous m'en parliez de vive voix, encore ne vous le permettrai-je que par condescendance.

Je vous défends tout empressement et toute inquiétude pour cette consultation que vous pourrez me faire à moi-même, remettant la chose à mon grand loisir. Vous voyez bien après cela, ma Fille, que me demander des règles pour distinguer le sentiment d'avec le consentement, et en revenir aux autres choses dont vous parlez dans vos lettres, c'est recommencer toutes les choses que nous avons déjà traitées, et je ne le veux plus, parce que c'est trop adhérer à vos peines. Ainsi je vous déclare que voici la dernière fois que je vous ferai réponse sur ce sujet : et dès que j'en verrai le premier mot dans vos lettres, je les brûlerai à l'instant sans les lire seulement ; ce que je ne vous dis ni par lassitude, ni par dégoût de votre conduite, mais parce que je vois la conséquence de vous laisser toujours revenir à de tels embarras sous d'autres couleurs.

J'ai reçu agréablement les reproches de Madame votre sœur : je n'ai pas le loisir d'y répondre, et j'en suis fâché.

Quant à mon écrit, votre correction n'est pas mauvaise ; mais

 

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vous avez trop deviné. La première ligne naturellement ne sighi-fioit rien, sinon que le sens était complet à cet endroit ; et la seconde, que c'était la fin de tout le discours. Le changement que vous avez fait n'altère rien dans le sens; mais je l'aime mieux comme il était : mon intention a été que les paroles de l’Apocalypse fussent une conclusion du tout.

Il faut bien encourager Madame de Lusanci, qui agit à la vérité avec un courage qu'on ne peut assez louer. On s'élève beaucoup, et très-injustement contre elle ; je n'oublierai rien pour la soutenir.

 

LETTRE XLIX.  A Versailles, ce 29 novembre 1691.

 

J'ai lu, ma Fille, la petite lettre qui était incluse dans celle de Madame de Lusanci. Offrez vos peines à Dieu, pour en obtenir la cessation ou l'adoucissement et la conversion des pécheurs. Je vous assure qu'il n'y a point eu de péché mortel dans tout ce que vous m'avez exposé, ni aucune matière de confession : ce que vous me proposez en dernier lieu est de même nature. A quoi songez-vous, ma Fille, de chercher à calmer ces peines par des résolutions à chaque difficulté ? C'est une erreur : elles croîtront à mesure qu'on s'appliquera à les résoudre ; et il n'y a de remède que celui de l'obéissance et de l'abandon, qui tranche le nœud.

Je vous défends encore une fois de vous tourmenter à chercher la différence du sentiment et du consentement. Tenez-vous-en à mes décisions précédentes, et surtout à celles de la dernière lettre qui comprend tout. Je sais mieux ce qu'il vous faut que vous-même. Si vous étiez autant fidèle et obéissante qu'il faudroit, vous ne diriez jamais un mot à confesse de toutes ces peines : vous faites de grands efforts pour vaincre vos peines, et puis vous en revenez à la même chose.

Vous ne m'avez pas entendu quand je vous ai dit que le consentement à une certaine chose était péché mortel. Je m'expliquai après, et je vous assure qu'il n'y en a point dans ce que vous m'exposiez. Vous vous tendez des pièges à vous-même, et vous êtes ingénieuse à vous chercher des embarras. La vivacité de

 

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votre imagination est justement ce qui a besoin des remèdes que je vous donne. Ainsi décisivement ce sera la dernière fois que je répondrai à de telles choses. Il n'y a nul péché dans ces peines que celui d'y adhérer trop, et d'y trop chercher de remèdes. Si ceux que je vous donne ne vous apaisent pas, il n'y a plus qu'à s'abandonner à la divine bonté. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE L.  A Meaux, ce 26 décembre 1691.

 

Je n'ai reçu votre lettre, qui est venue par la poste, que fort tard et dans un temps où il eût été difficile d'y faire réponse. Je crains bien cependant que cela ne vous ait causé de l'embarras dans vos dévotions : il n'y en a pourtant point de sujet. Pour le passé, la revue que vous m'avez faite a été bien faite de votre part, et très-bien entendue de la mienne. La répétition que vous en avez faite à votre dernière confession m'a suffisamment remis les choses que vous m'aviez dites, et assez pour donner matière à l'absolution. Ainsi je vous défends tout retour et toute inquiétude sur cela, et de vous en confesser de nouveau ni à moi ni à d'autre.

L'autre peine que vous m'expliquez ne doit non plus vous embarrasser, après les résolutions que vous avez eues sur cela de M. l'abbé de la Trappe et de moi. A la vérité je ne voudrais pas exciter ces tendresses de cœur directement : mais quand elles viennenl ou par elles-mêmes, ou à la suite d'autres dispositions qu'il est bon d'entretenir et d'exciter, comme la confiance et l'obéissance, et les autres de cette nature, qui sont nécessaires pour demeurer ferme et avec un chaste agrément sous une bonne conduite ; il ne faut nullement s'en émouvoir, ni s'efforcer à les combattre ou à les éteindre, mais les laisser s'écouler et revenir comme elles voudront.

C'est une des conditions de l'humanité, de mêler les choses certainement bonnes avec d'autres qui peuvent être suspectes, douteuses, mauvaises même si l'on veut. Si par la crainte de ce mal on voulait ôter le bien, on renverserait tout, et on ferait aussi

 

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mal que celui qui voulant faucher l'ivraie, emporterait le bon grain avec elle. Laissez donc passer tout cela, et tenez-vous l'esprit en repos dans votre abandon. Je vous défends d'adhérer à la tentation de quitter, ou à celle de croire qu'on soit fatigué ou lassé de votre conduite, puisqu'en effet on ne l'est pas et on ne le sera jamais, s'il plait à Dieu ; car il ne faut jamais abandonner, ni se relâcher dans son œuvre.

Pour vous dire mes dispositions, autant qu'il est nécessaire pour vous rassurer, je vous dirai qu'elles sont fort simples dans la conduite spirituelle. Je suis conduit par le besoin : je ne suis pas insensible, Dieu merci, à une certaine correspondance de sen-timens ou de goûts ; car cette indolence me déplaît beaucoup, et elle est tout à fait contraire à mon humeur : elle ferait même dans la conduite une manière de sécheresse et de froideur qui est fort mauvaise. Mais quoique je sente fort ces correspondances, je ne leur donne aucune part au soin de la direction, et le besoin règle tout. Au surplus je suis si pauvre, que je n'ai jamais rien de sûr ni de présent. Il faut que je reçoive à chaque moment, et qu'un certain fond soit excité par des mouvements dont je ne suis pas tout à fait le maître. Le besoin, le besoin, encore un coup, est ce qui détermine. Ainsi tout ce qu'on sent par rapport à moi, en vérité ne m'est rien de ce côté-là, et il ne faut pas craindre de me l'exposer, parce que cela n'entre en aucune sorte dans les conseils, dans les ordres, dans les décisions que j'ai à donner.

Je vous ai tout dit ; profitez-en et ne vous laissez point ébranler : ce serait une tentation trop dangereuse, à laquelle je vous défends d'adhérer pour peu que ce soit. Je prie Dieu, ma chère Fille, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LI.  A Meaux, ce 27 décembre 1691.

 

J'ai reçu toutes vos lettres, et entre autres celles qu'un capucin m'a rendues. Vous avez fort bien fait de passer par-dessus vos dernières peines ; et je vous défends de vous y arrêter jamais, ni de vous confesser de ne les avoir point confessées. Si vous

 

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continuez de cette sorte à entrer dans les pratiques que je vous ai marquées, vous vous faciliterez beaucoup la réception des sacre-mens, et vous y trouverez la consolation qu'y doit trouver une âme chrétienne, c'est-à-dire une âme confiante.

Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous. Je le prierai de tout mon cœur pour Madame la comtesse de Verue : on la disait morte à Versailles ces jours passés; j'en serois fâché, et je voudrais autre chose d'elle auparavant.

 

LETTRE LII.  A la fin de 1691.

 

L'acte de contrition nécessaire au sacrement de pénitence, ne demande pas un temps précis, et ne consiste pas dans une formule qu'on se dit à soi-même dans l'esprit. Il suffit de s'y exciter quelques heures avant la confession : quelquefois même l'acte qu'on excite longtemps devant est si efficace, que la vertu en demeure des journées entières. Je ne croirais pas qu'un acte put subsister en vertu, quand le sommeil de la nuit ou quelque grande distraction est intervenue : à plus forte raison quand le péché mortel, qui est une rétractation trop expresse de l'acte d'amour, se trouve entre l'acte et la confession ou l'absolution. Il ne faut donc point s'inquiéter si l'on a répété cet acte ou immédiatement avant l'absolution, ou à la confession de quelque péché oublié : il suffit qu'il n'y ait pas eu d'interruption ou de rétractation, selon les manières que je viens de dire. Au reste il faut tâcher de former en soi une habitude si forte et si vive des vertus et des sentiments de piété, qu'ils naissent comme d'eux-mêmes et presque sans qu'on les sente, du moins sans qu'on y réfléchisse. Je n'ai rien à ajouter à mon Catéchisme sur les actes de contrition et d'attrition.

Il est inutile de savoir si les sacremeus opèrent physiquement ou moralement; ce qui est très-assuré, c'est que ce physique tient bien du moral, et que ce moral par sa certitude, sa promptitude et son efficace, tient bien du physique : et c'est peut-être ce que veulent dire ceux qui leur attribuent une opération

 

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physique. Il suffit de savoir que l'opération du Saint-Esprit, qui s'applique et se développe pour ainsi parler dans les sacrements, est très-réelle et très-physique, et qu'elle sort pour ainsi parler à la présence du sacrement, comme d'un signe qui la détermine en vertu de la promesse de Dieu très-infaillible. Adorez cette grâce, admirez cette opération, croyez en cette puissance, conformez-vous à cette efficace par une volonté vive, qui s'accommode à l'impulsion et à l'action d'un Dieu.

 

LETTRE LIII.  A Paris, ce 5 janvier 1692.

 

Votre lettre du 30 décembre , ma chère Fille, m'oblige à vous dire d'abord que je suis content de votre obéissance. La règle que je vous ai donnée sur les peines que vous savez, s'étend à toutes les autres quant à l'obligation de les confesser, mais non pas quant à la défense de le faire. Car je ne vous défends pas de vous confesser de ces peines, ou des péchés que vous pourrez croire y avoir commis, pourvu que ce ne soit pas avec cette anxiété qui vous empêche de communier, ou ne vous permet pas de le faire avec toute la dilatation que cette action demande. Ce que je vous défends précisément à cet égard, c'est que vous ne songiez jamais à vous priver de la communion, ni à recommencer vos confessions avant ou après vous en être approchée, à moins que vous ne soyez assurée jusqu'à en pouvoir jurer, qu'il y a eu un péché mortel dans vos jugements, dans vos distractions, dans vos soupçons et dans tous les sujets de vos peines. Je vous l'ai déjà dit, et vous deviez l'avoir entendu ; mais à présent que vous l'avez par écrit, je m'attends à une entière obéissance.

Je serois bien fâché que nous perdissions ma Sœur de Saint-Gabriel. Je lui donne de tout mon cœur ma bénédiction, et je ne manquerai pas de l'offrir à Dieu, dont elle recevra, et en cette vie et en l'autre, la récompense de sa fidélité et de son obéissance.

On s'est contenté de vous donner la copie de la réquisition du promoteur, parce que c'est le fondement de ce qui se fera dans la suite : on n'eut pas le temps d'écrire le reste. Il n'y a point de

 

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façon à faire de cette réquisition, et au contraire il est bon qu'on la sache. Pour ce qui est des dispositions de Madame votre abbesse, elle voudrait bien ne pas retourner ; mais elle sent qu'il faudra le faire. Je suis résolu à la pousser, si dans huit jours sans retardement elle ne prend un parti ; pour lui parler, c'est temps perdu. J'envoie à Madame la prieure et à Madame de Lusanci les ordres pour ce qu'il faut faire, si elle s'avisoit de prévenir la signification de mon Ordonnance, comme le sieur de la Madeleine l'en presse bien fort; mais ce n'est pas à lui qu'elle se fie sur cela. Que ceci ne soit que pour Madame de Luynes, Madame de Lusanci et vous.

Il ne faut jamais avoir de réserve en me parlant : vous voyez bien qu'à la fin il y faut venir, et que Dieu le veut.

Il n'y a rien à recommencer dans le Bréviaire que les endroits où  l’on serait assuré, dans le degré que je vous marque pour les autres choses, ou d'avoir omis, ou d'avoir été distrait volontairement. Je vous défends tout autre recommencement. Ne vous allez point rejeter dans l'embarras de distinguer ce qui est volontaire ou non ; cela ramènerait toutes vos peines l'une après l'autre, et vous n'en sortiriez jamais. Amen et Alléluia. C'est dans l'acte d'abandon, que se trouve le seul remède à vos maux : je m'y unis de tout mon cœur, et vous le pouvez mander à Madame de Harlay.

C'est un grand mot que celui du saint prophète : Elegi abjectus esse  (1) : «J'ai choisi d'être des derniers dans la maison de mon Dieu; » et je rends grâces à Dieu de vous l'avoir mis dans le cœur avec un sentiment particulier. Je le prie, ma chère Fille, qu'il soit avec vous.

Priez pour moi ; demandez pour moi des prières de tous côtés, et surtout à Madame de Harlay et à la sainte communauté où elle est. Amen. Alléluia.

 

1 Psal. LXXXIII, 11.

 

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LETTRE LIV.  A Versailles, ce 8 janvier 1692.

 

Je ne crains point de prendre sur moi l'obéissance que vous rendrez, ma chère Fille, aux ordres que je vous ai donnés pour vos confessions.

Quant à cette disposition qui vous fait voir un Dieu toujours irrité, sans en examiner le principe, offrez pour la conversion des pécheurs, et surtout des plus endurcis, les peines qu'elle vous cause ; j'espère que vous en serez soulagée : du reste je vous mets et vous abandonne entre les mains de la miséricorde de Dieu. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LV.  A Versailles, ce 17 janvier 1692.

 

Je suis, ma Fille, très-sensible à vos douleurs : je vous suis très-obligé de les offrir à Dieu pour moi ; mais je le prie qu'il vous en décharge, et qu'il n'accumule pas tant de croix ensemble. Si mes vœux sont exaucés, vous serez bientôt dans un état plus tranquille. Ces noirceurs dans l'esprit avec des peines si aiguës dans le corps, ah ! mon Dieu, c'en est trop : arrêtez votre bras, et faites sentir vos consolations ; je vous en conjure par notre grand Médecin, qui a guéri nos plaies en les portant, et qui nous a laissé après lui un Consolateur, dans lequel toutes les bontés sont passées de votre sein. Amen, amen. C'est pour réponse à votre lettre du 12.

Pour les autres, je vous dirai que j'accepte de tout mon cœur ce qui m'est échu en partage pour cette année, et je vous prie d'en bien faire mes remerciements à Madame de Luynes, par les mains de qui me sont venues toutes ces grâces.

Vous avez si bien fait parler saint Ambroise, que je ne puis assez vous en remercier ; et j'espère bien quelque jour me servir utilement de cette oraison. Je vous promets de la faire pour vous au premier quart d'heure que j'aurai libre.

 

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Pour les passages que vous citez de Job et des autres Saints, quand vous les aurez conciliés avec ces paroles de Notre-Seigneur : « Ne craignez point, petit troupeau (1) » et avec celles de saint Paul : « Réjouissez-vous; encore une fois je vous le dis, réjouissez-vous (2) ; » et avec celles de saint Jean : « La parfaite charité bannit la crainte (3) ; » et avec toutes celles où il est dit que celui qui se fie au Seigneur et qui s'abandonne à lui n'a rien à craindre : tout ce que vous me direz pour concilier ces passages avec ceux qui vous font peur, je vous le dirai pour concilier ceux qui font peur avec les règles que je vous ai données.

Faites-en l'essai, ma Fille, et par avance je vous déclare que vous trouverez qu'à proportion que la crainte augmente, on doit faire surnager la confiance, quand il n'y aurait que cette règle de saint Paul: « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé (4). » Puissiez-vous être pénétrée de cette parole à l'instant que vous la lirez !

 

LETTRE LVI.  A Versailles, ce 18 janvier 1692.

 

Je vous écrivis encore hier, ma Fille, et je crois avoir répondu à tous vos doutes. Si vous y prenez bien garde, ce n'est toujours que la même peine qui revient sous d'autres couleurs, et tout au plus avec quelques circonstances qui ne changent rien. Il ne servira de rien de vous confesser au P. Toquet : vous ne manquerez jamais de gens pour qui vous croirez avoir des exceptions à faire. Pour moi, je n'en fais aucune, et je ne consens point du tout que vous vous confessiez à lui de ces peines ; car tout cela est directement contraire au dessein qu'il faut avoir, si on ne peut les étouffer, du moins de ne les nourrir pas.

Le principe de faire toujours le plus sûr n'est point pour les personnes peinées, parce que le plus sûr pour elles c'est d'obéir : autrement elles se perdraient, et à force de chercher le plus sûr pour elles, il n'y aurait rien de sûr pour elles.

J'ai fait aujourd'hui pour vous à Dieu la prière de saint Ambroise, et je crois que Notre-Seigneur m'aura exaucé.

 

1 Luc, XII, 32. — 2 Philip., IV, 4. — 3 I Joan., IV, 18. —  4 Rom., V, 20.

 

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On vient de m'écrire que Madame de Jouarre s'en va tout de bon. Je la suivrai de plus près qu'il me sera possible, et je n'abandonnerai jamais le saint ouvrage, ni le général ni le particulier. Cela est pour vous.

 

LETTRE LVII.  A Paris, ce 21 janvier 1692.

 

Je souhaite d'apprendre, ma Fille, si vos douleurs vous ont quittée : j'en prie Dieu, et qu'enfin il commence à vous soulager après vous avoir poussée si loin.

Enfin Madame de Jouarre se déclare malade, à la seconde signification de mon Ordonnance. Vous verrez dans la lettre de Madame de Lusanci, la signification qu'elle m'a fait faire.

Autre histoire : La Vallée écrit une grande lettre pour obtenir permission de venir à Paris, pour se faire traiter d'un cancer : on m'a envoyé la lettre, pour y faire telle réponse que je voudrais. J'ai dit qu'il n'y avait qu'à le laisser là. M. de la Madeleine confirme sa maladie, et trouve étrange la demande qu'il fait à Jouarre d'une somme si considérable pour un petit homme comme lui. Tout considéré, il y a beaucoup d'apparence que vous verrez votre abbesse; mais au moins je n'assure rien, sinon que je ne vous laisserai pas longtemps combattre avec elle seul à seul, s'il plaît à Dieu.

O que Dieu est grand ! ô que ses volontés sont souveraines et pleines de bonté ! ô que Jésus-Christ est humble, patient et doux ! Abandonnons-nous à lui, soumettons- nous avec agrément et complaisance : Oui, mon Père, puisque vous le voulez ainsi (1).

 

LETTRE LVIII.  A Versailles, ce 27 janvier 1692.

 

Je suis fâché, ma Fille, de voir durer si longtemps vos peines, tant celles de l'esprit que celles du corps. Au premier moment que j'aurai libre, j'écouterai ce qui me viendra sur la prière que vous me demandez. En attendant, souvenez-vous de celle de

 

1 Matth., XI, 26.

 

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Notre-Seigneur : « Mon Père, détournez de moi ce calice ; non ma volonté, mais la vôtre (1) : « voilà tout, en trois mots. Lisez les endroits des évangiles où cette prière est racontée, et unissez-vous-y en esprit de foi, puisque Jésus-Christ l'a faite non tant pour lui-même qu'en la personne des pécheurs.

Tout ce que j'ai voulu conclure des passages que je vous ai laissés à concilier, c'est, ma Fille, qu'ils sont propres à certains états, tant ceux qui inspirent la crainte que ceux qui portent à la confiance : et ce qu'il faut conclure de là, c'est qu'il les faut appliquer par l'ordre et sous la conduite de celui que Dieu a chargé de votre âme, et c'est là tout le dénouement de ces apparentes contrariétés; il y en a pourtant encore une autre, mais qui n'est pas de ce temps.

Je ne voudrais pas vous exempter de dire dans votre Bréviaire ce que vous seriez assurée, jusqu'à en pouvoir jurer, d'avoir omis. Mais ce qui est bien assuré, c'est qu'à moins que d'en avoir cette certitude, vous faites mal de répéter, et de vous accuser de ces incertitudes et de toutes les autres. Ainsi je persiste à ne vouloir pas que vous parliez de ces peines à qui que ce soit, pas même au P. Toquet, dont je connais la prudence. Tous les petits mots auxquels vous revenez toujours, ne sont que la même chose sous différentes couleurs, comme je vous l'ai déjà dit souvent, et je n'ai plus rien à vous dire sur ce sujet.

M. le Preux peut confesser celles qui ont accoutumé de s'y confesser à l'ordinaire ou à l'extraordinaire, et non les autres. Si quelqu'une s'y est confessée depuis le synode, par la permission verbale que j'en ai donnée et dans la bonne foi, il n'y a qu'à demeurer en repos.

Madame de Lusanci vous dira l'état des affaires : de vous dire ce que je ferai, moi-même je ne le puis : tout ce que je puis dire, c'est que je me gouvernerai selon l'occurrence, et n'omettrai aucune diligence.

Mon Dieu, je m'unis de tout mon coeur à votre saint Fils Jésus, qui, dans sa sueur et son agonie, vous a porté la prière de tous

 

1 Luc., XXII, 42.

 

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ses membres infirmes. O Dieu, vous l'avez livré à la tristesse, à l'ennui, à la frayeur ; et le calice que vous lui avez donné à boire était si amer et si plein d'horreur, qu'il vous pria de le détourner de lui. En union avec sa sainte âme, je vous le dis, ô mon Dieu et mon Père, détournez de moi ce calice horrible; toutefois que votre volonté soit faite, et non pas la mienne. Je mêle ce calice avec celui que votre Fils Notre-Sauveur a avalé par votre ordre. Il ne me fallait pas une moindre médecine ; ô mon Dieu, je la reçois de votre main avec une ferme foi que vous l'avez préparée pour mon salut, et pour me rendre semblable à Jésus-Christ mon Sauveur. Mais, ô Seigneur, qui avez promis de ne nous mettre pas à des épreuves qui passent nos forces, vous êtes fidèle et véritable. Je crois en votre parole, et je vous prie par Jésus-Christ votre Fils de me donner de la force, ou d'épargner ma faiblesse.

Jésus mon Sauveur, nom de miséricorde et de grâce, je m'unis à la sainte prière du Jardin, à vos sueurs, à votre agonie, à votre accablante tristesse, à l'agitation effroyable de votre sainte âme, aux ennuis auxquels vous avez été livré, à la pesanteur de vos immenses douleurs, à votre délaissement, à votre abandon, au spectacle affreux qui vous fit voir la justice de votre Père armée contre vous, aux combats que vous avez livrés aux démons dans le temps de vos délaissements, et à la victoire que vous avez remportée sur ces noirs et malicieux ennemis ; à votre anéantissement et aux profondeurs de vos humiliations, qui font fléchir le genou devant vous à toute créature dans le ciel, sur la terre et dans les enfers. En un mot, je m'unis à votre croix, et à tout ce que vous choisissez pour crucifier l'homme. Ayez pitié de tous les pécheurs, et de moi qui suis la première de tous : consolez-moi, convertissez-moi, anéantissez-moi : régnez, et rendez-moi digne de porter votre livrée. Amen, amen. Tout à vous.

 

LETTRE LIX.  A Versailles, ce 2 février 1692.

 

J'ai oublié de répondre à votre lettre du 28. Vous pouvez et vous devez sans hésiter, ma Fille, demander à Dieu mon retour

 

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dans le diocèse, et vous avez raison de croire que je suis à mon troupeau, et par conséquent à vous toutes, qui en faites une si chère et si considérable partie, plus qu'à tout le reste de l'Eglise, autant par inclination que par devoir.

Je ne prétends point du tout que le retour de Madame de Jouarre rende le commerce moins libre avec moi, et c'est à quoi je pourvoirai capitalement (a). Vous ferez très-bien de me dire toutes vos pensées sur la matière du livre de la conférence, et je loue Dieu en attendant que vous en soyez consolée. A vous, ma Fille, de bien bon cœur.

 

LETTRE LX.  A Versailles, ce 2 février 1092.

 

J'envoie à ma Mère la prieure l'ordre de faire venir le médecin de la Ferté-sous-Jouarre, pour vous et pour ma Sœur de Saint-Ignace. Il pourra voir en même temps ma Sœur de Saint-Gabriel, que je vous prie d'assurer du soin que j'ai d'elle devant Dieu : c'est une de mes meilleures Filles, que Dieu a fait entrer d'abord dans le bon chemin avec ma Sœur de Saint-Nicolas. Je les bénis de tout mon cœur.

Je ne me souviens plus du tout de ce que je dis au sermon de la Nativité, ni sur le Salve. Ce n'est pas mal fait d'écrire, comme on s'en souvient, ce qu'on croit qui peut être utile dans mes sermons : cela peut m'aider à les rappeler dans ma mémoire.

Il est bien aisé d'entendre que lorsqu'on appelle la sainte Vierge notre vie, notre douceur et notre espérance, c'est par rapport à Jésus-Christ que Dieu nous a donné par elle, et que nous la prions de nous montrer dans la suite de la prière. Mais de répéter d'où cela vient, ce serait un trop long discours.

Je vous promets de permettre à ma Sœur de Sainte-Hélène une retraite après Pâques, et de l'aider à la faire.

Je n'ai pas seulement songé que vous ayez eu dessein de vous opposer à mes sentiments, en expliquant les passages que je vous avais proposés. Il n'est point du tout nécessaire que je vous dise

 

(a) Pourquoi l'Académie proscrit-elle ce mot?

 

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comment je les entends à votre égard, puisque vous voyez bien que je les entends et que je vous les applique dans le sens qui vous doit porter à bannir la crainte, et à vous abandonner à la confiance. On se jetterait dans des embarras infinis, si on changeait la direction en dissertation. Je ne trouve point à redire que vous m'exposiez vos sentiments : au contraire je le souhaite ; et sans m'en plaindre jamais, je vous dirai en simplicité ce qui sera nécessaire.

Ces fâcheux temps, Dieu merci, ne m'ont fait aucun mal, puisque vous souhaitez de le savoir. Je vous ai offerte à Dieu de tout mon cœur avec Jésus-Christ, et je le prie qu'il vous soulage.

Vous m'avez très-bien et très-souvent exposé cette peine que vous avez à l'occasion du sommeil. C'est à cette occasion que je vous ai dit que les dispositions sensibles ou sensuelles qui viennent en conséquence des choses nécessaires comme le sommeil, encore qu'on y consente, ne doivent point faire de scrupule, parce que ce consentement est une suite de celui qu'on donne au sommeil. Je vous prie, ne m'en parlez plus après cela ; et le plus que vous pourrez épargnez-moi les redites, qui ne font que nourrir les peines et tenir lieu de meilleures choses.

Pour ce qui regarde les difficultés que vous me proposez sur la règle, je vous y répondrai quand je l'aurai entre mes mains.

Pour les rechutes, je vous ai dit, et il est vrai, qu'encore qu'il faille toujours avoir une ferme résolution de s'abstenir des péchés dont on se confesse, même véniels, il n'est pas nécessaire que cette résolution soit d'une égale fermeté dans ces péchés-là comme dans les autres ; et qu'on ne doit point conclure par les rechutes que la résolution n'ait pas été ferme et sincère, pourvu que de bonne foi on ait la volonté de se corriger, et qu'on emploie même la confession comme un secours contre ses faiblesses.

Ce qu'on appelle mépris à l'égard des règles monastiques, est l'opposite de ce qui s'appelle faiblesse, inconsidération, surprise ; et emporte une malice délibérée. Une longue et opiniâtre négligence, qu'on ne prend aucun soin de vaincre, enferme du mépris, et à la longue peut dégénérer en péché mortel, mais non pas une négligence passagère. La règle du silence, je ne dis pas

 

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seulement celle du grand silence, mais encore celle du silence ordinaire pendant le jour, est digne de vénération et c'est un des fondements de la vie monastique. Mais tout le monde ne l'entend pas aussi rigoureusement que M. de la Trappe, et vous devez vous en tenir aux observances reçues dans la maison.

Que j'aime le silence ! que j'en aime l'humilité, la tranquillité, le sérieux, le recueillement, la douceur ! qu'il est propre à attirer Dieu dans une âme, et à y faire durer sa sainte et douce présence !

Je dis tout cela sans rétracter ce que je vous ai dit sur ce sujet-là par rapport à vos peines et à vos tristesses. Je prie Dieu, ma chère Fille, qu'il soit avec vous. Je salue Madame de Luynes de tout mon cœur.

J. Bénigne, Ev. de Meaux.

Il y a de deux sortes de distractions volontaires, dont l'une emporte une extinction, et l'autre un relâchement de l'attention. C'est du dernier qu'a voulu parler le P. Toquet, et il a raison.

Encore un coup, ma chère Fille, Dieu soit avec vous.

Marie est la nouvelle Eve, au même sens que Jésus est le nouvel Adam. Marie est notre vie, notre salut, notre espérance, au même sens qu'Eve est notre perte, notre damnation, notre mort : voilà le fond.

 

LETTRE LXI.  A Versailles, ce 18 février 1692.

 

Pour réponse à votre lettre du 10, je ferai savoir, ma chère Fille, à ma Sœur Cornuau le soin que vous prenez d'elle, et je lui écrirai au premier loisir, en commençant par la recommander sincèrement à Notre-Seigneur.

L'affaire du blé (a) est la moindre de toutes celles qui peuvent me regarder, et je voudrais qu'elle fût perdue à condition que celles de Jouarre prissent fin : je n'y oublierai rien.

 

(a) Vingt muids de blé, que le monastère de Jouarre devait annuellement aux évêques de Meaux.

 

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Sur la lettre du 14, je suis fort en peine de Madame Gobelin. Aussitôt que j'ai su par vous sa maladie, j'ai commencé par l'offrir à Dieu, afin qu'il la comblât de ses grâces, et qu'il daignât écouter les vœux que nous lui faisons pour sa conservation. Vous la pouvez assurer qu'elle doit regarder toute pensée de faire quelque excuse à Madame, de quelque côté qu'on tâche de la lui inspirer, non-seulement comme un scrupule, mais encore comme une tentation, puisque ce n'est point offenser une abbesse que de rendre obéissance à celui à qui elle en doit tant elle-même, et de respecter l'ordre de la hiérarchie, qui est celui de Jésus-Christ.

Je me joins à la prière que vous faites à Dieu, afin qu'il empêche la désolation de son sanctuaire, et qu'il ne permette pas qu'on ferme les bouches qui le louent d'une manière si édifiante.

 

LETTRE LXII.  A Versailles, ce 19 février 1692.

 

Votre lettre du 17 me fait beaucoup appréhender pour ma Sœur des Archanges : je la bénis de tout mon cœur, et je prie Dieu qu'il nous la conserve. Je n'ai pas encore reçu le jubilé : mais comme je sais qu'il est accordé, et que le temps dépend des évêques, je donne à M. le confesseur le pouvoir de l'appliquer tant à elle qu'à celles des Sœurs qui se trouveraient en pareil état, en leur ordonnant ce qu'il trouvera à propos de leur imposer.

Je loue Dieu du bon effet que vous ressentez de la prière. Avant que de faire celle que vous demandez sur la mort, je voudrais bien avoir une copie de l'autre, pour ne point tomber dans des redites. Mais en faveur de ma Sœur des Archanges, je passerai outre sans attendre. Les tentations contre la foi, contre la soumission, contre la confiance, sont en effet les grands maux de ce dernier état : mais surtout vous avez raison de croire qu'il n'y a rien qu'il faille plus exciter que la confiance. Je souhaite que Dieu vous conserve, et qu'il ne me donne pas le déplaisir d'avoir à vous assister dans cet état. Mais je vous tiendrai, s'il plaît à Dieu, la parole de ne vous manquer ni à la vie ni à la mort.

 

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Usez de votre prudence sur les livres dont vous me parlez, mais sans faire bruit. Je suis à vous, ma Fille, de tout mon cœur.

 

LETTRE LXIII.  A Paris, ce 22 février 1692.

 

Vous me consolez, ma chère Fille, en me racontant la sainte et heureuse fin de notre Sœur des Archanges. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il nous conserve ma Sœur de Saint-Ignace. Lorsque vous et les saintes âmes pour qui je travaille goûtent ce que je fais, je reconnais la vérité de ce que dit un Saint du-cinquième siècle : « Le docteur reçoit ce que mérite l'auditeur (1). »

Pour guérir ma Sœur de Saint-Louis, il ne faut que lire avec elle l'évangile de la Pécheresse pénitente, et la décision expresse du Sauveur, qui dit : « Celui à qui on remet moins aime moins ; celui à qui on remet davantage aime davantage (2). » Quand le maître décide, les disciples n'ont qu'à se taire.

Vous n'êtes point obligée à faire sur le Carême d'autre épreuve que celle des années précédentes, et vous devez prévenir le mal plutôt que de l'attendre.

C'est l'Eglise qui avertit ses enfants d'étendre le jeûne sur tout, et de retrancher de tous côtés, aux yeux, aux oreilles, aux discours, autant qu'à la nourriture : mais quand on en est venu à une certaine mesure, si on ne mettait une fin au retranchement, à la fin on ôterait tout.

Vous ferez bien de mêler la lecture de Jérémie à celle des deux Epîtres aux Corinthiens.

Je salue Madame de Luynes de tout mon cœur, avec Mesdames de Fiesque, Renard, Fouré, etc. Notre Sœur des Archanges voudrait venir avec les autres selon la coutume ; mais il ne nous en reste plus que le souvenir et l'exemple ; Dieu a pris le reste. Dieu soit avec vous, ma Fille

 

1 S. Petr. Chrysolog. —  2 Luc, VII, 47.

 

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LETTRE LXIV.  A Paris, ce 25 février 1692.

 

J'ai reçu votre lettre du 22. Je rends grâces à Dieu , ma Fille, du bon effet que fait sur vous la prière de la mort. Il n'y a rien qui presse de me la renvoyer ; mais quand les choses sont faites, ce m'est un soulagement de m'en pouvoir servir pour d'autres qui ont le même désir. Au reste je ne me fâche point du tout de ce que vous me demandez, et vous ne devez jamais hésiter à me dire toutes vos vues, parce qu'enfin je n'en prendrai que ce que je pourrai faire ; autrement vous voyez bien que je m'accablerais. Vous avez le fond, et il est bien aisé de suppléer au reste, quand on est pénétré.

M. Ledieu vous portera un petit traité de l'Adoration de la Croix, qu'on a imprimé de moi sans mon ordre ; c'était une lettre à un religieux de la Trappe.

J'ai répondu sur les images, tant sur celles qui sont devant les yeux que sur celles que l'imagination se forge au dedans. Quoique ces dernières se présentent au milieu du culte, il ne s'ensuit pas qu'on les adore ; et la crainte que vous avez que cela ne vous arrive, est une de ces peines qu'il faut mépriser aussi bien que celles que vous avez sur les images du dehors. Je vous assure que vous ne terminez point votre culte au bois ni à la figure, mais au seul original ; car le contraire n'est pas possible à une personne instruite ; et cela vous doit aider à connaître le fond de vos peines, qui sont pour la plupart de cette nature : cependant vous vous attachez à cela, comme si c'était quelque chose. Mettez-vous bien dans l'esprit ce que je vous ai dit, que attaquer directement ces peines, c'est les émouvoir et les fortifier, et qu'il n'y a qu'à les laisser s'écouler, et ne se point tourmenter de ces vains fantômes.

Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

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LETTRE LXV.  A Meaux, ce 18 mars 1692.

 

Ma santé est parfaite, ma Fille : vous n'avez rien à craindre sur ma disposition à votre égard, qui ne sera jamais altérée. C'est pour vous, et non pas pour moi, que je tiens ferme. Je suis persuadé de la sincérité avec laquelle vous me parlez : je veux bien que vous me parliez de cette disposition pour le prochain, à condition que ce ne sera pas une occasion de nouveaux scrupules, et une peine qui vous rende l'approche des sacrements plus difficile. Je loue fort la réponse que vous avez faite au P. Toquet, dont je vous renvoie la lettre avec la préparation à la retraite. Je verrai avec soin votre relation, et vous pouvez m'en envoyer la suite. M. le grand-vicaire écrira de ma part au P. Basile : mais si Madame la prieure ne tient bas ma Sœur ***, et ne se résout une fois à me dire ce qu'elle fait, tout ce que je lui ai dit servira de peu. Le P. Toquet vous fait espérer de grandes désolations : souvenez-vous-en, et ne mêles imputez pas; car pour moi j'espère que Dieu vous consolera. Mettez-vous entre ses mains ; expirez-y ; mourez avec Jésus-Christ à la croix : qu'il ne reste rien de l'ancien homme; que Jésus-Christ seul vive en vous.

 

LETTRE LXVI.  A Meaux, ce 19 mars 1692.

 

Sur la lettre que j'ai écrite à M. de la Madeleine, dont j'ai mandé la substance à Madame de Lusanci, on me répond, ma Fille, que Madame de Jouarre partira sans retardement samedi. Au reste elle est, dit-on, fort étonnée de la manière dont j'écris sur son sujet. Elle me trouve fort prévenu contre elle, et je suis tout prêt à en convenir, sans pouvoir me désabuser jusqu'à ce qu'elle change de conduite. M. le premier président m'a fait avertir qu'elle lui avait demandé une audience, et qu'il l'avait remise après Pâques : il n'a point dit ce que c'était ; mais je crois que pour le grain, je ferai doucement entendre à M. le premier président

 

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que c'est un prétexte pour retourner, et que je me crois obligé à refuser un congé sur ce motif-là. Demain ou après, j'enverrai un exprès pour porter à Madame de Lusanci les ordres qui lui seront nécessaires, et dont nous sommes convenus.

Ne vous étonnez pas, ma chère Fille, de me trouver si ferme sur les règles que je vous ai une fois prescrites. C'est par la connaissance certaine que j'ai des suites épouvantables de la trop grande facilité qu'on pourrait avoir, et de la nécessité qu'il y a de ne point laisser prévaloir la peine : car on tombe dans des états vraiment désolants, auxquels Dieu ne veut pas qu'on donne lieu. Dieu sera avec vous, quand vous seriez dans les noirceurs de la mort ; et plus vous y serez enfoncée, plus il faut que tous vos os crient : O Seigneur, qui est semblable à vous (1)? Ne regardez pas tellement ces noirceurs comme une suite de votre complexion mélancolique, que vous oubliiez cependant qu'il y a une main suprême et invisible qui conduit tout, et se sert du tempérament qu'il a donné à chacun pour nous mener où il veut : cela est ainsi. Priez cette Puissance suprême qu'elle vous soutienne de la même main dont elle vous accable; car c'est là de tous les tourments le plus délicat, de n'avoir de soutien que de son propre fardeau. Dieu soit éternellement avec vous.

 

LETTRE LXVII.  A Meaux, ce 22 mars 1692.

 

Je vais vous offrir à Dieu en ce saint jour, et lui offrir en même temps le renouvellement de vos vœux.

J'ai bien pris garde à l'image et au verset, qui répond bien à la réponse que vous avez faite au P. Toquet, et j'ai dit avec vous : Amen, Alléluia.

Prenez garde, ma chère Fille, à ne vous laisser pas agiter, mais à tenir ferme dans les règles que je vous ai données, non-seulement par rapport à la résolution finale, mais encore par rapport à la délibération. Il ne doit point y en avoir où la décision est si expresse : Amen, il est ainsi. Je le souhaite ; je l'ordonne,

 

1 Psal. XXXIV, 10.

 

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sans vous obliger à pécher, quand bonnement vous ne pourrez pas empêcher cette agitation.

Ce que je vous ai dit de la jalousie de Dieu et de l'âme pour Dieu, n'a eu d'autre fin que de vous dire une vérité , et de vous découvrir une des causes des peines qu'on ressent souvent quand on veut aimer Dieu purement, sans aucun rapport à celles que vous avez eues sur mon sujet, que vous devez mépriser.

Vous pouvez me demander tout, même mon explication sur le Salve, et ce qui regarde la règle : mais je ne puis, ma Fille, vous promettre une si prompte réponse. C'est beaucoup d'avoir demandé, d'avoir frappé ; et quelquefois on frappe si bien que la porte s'ouvre toute seule : comme il arriva à celui qui était venu de loin consulter Grégoire Lopez, sur un passage de l'Ecriture, dont il reçut l'explication avant qu'il lui en eût proposé la difficulté. Je prie Dieu qu'il soit avec vous ; qu'il vous soit Emmanuel Dieu avec nous, et qu'il accomplisse en vous ce qu'il est venu opérer dans le mystère de ce jour. Amen, amen, Alléluia.

 

J. Bénigne, év. de Meaux.

 

M. le premier président m'a seulement fait donner avis qu'il avait accordé l'audience pour incontinent après Quasimodo.

M. le procureur général, consulté par Madame de Jouarre sur son temporel, lui a dit pour conclusion qu'il fallait s'entendre avec moi. Elle a bien envie de déposer Madame de Lusanci ; mais je ne crois pas qu'elle ose, ni qu'elle croie le pouvoir. Elle ne mène point M. de la Madeleine, mais un nommé de la Rasturière, si on me l'a bien nommé, qui était avec elle à Port-Royal, et que je ne connais pas. Ne m'en dira-t-on rien de Jouarre ?

 

LETTRE LXVIII.  A Meaux, ce 27 mars 1692.

 

Il est vrai que je n'ai pas approuvé en général qu'on changeât l'heure de Matines, parce que les relâchements peuvent donner lieu à des introductions qui ne sont pas bonnes. Les raisons particulières peuvent rendre la chose excusable ; et pour vous, votre

 

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bonne intention vous a très-assurément sauvée du péché. Vous verrez le reste dans la lettre à Madame de Lusanci. Je vous verrai, s'il plaît à Dieu, lundi matin.

 

LETTRE LXIX.  A Meaux, ce 28 mars 1692.

 

J'envoie faire compliment à Madame de Jouarre, et en même temps vous assurer, ma Fille, que je vous verrai toujours lundi à midi. Je souhaite que Madame votre abbesse prenne des exemples plus heureux que celui de Madame de Saint-Andoche, qui a été interdite cinq ou six ans, réduite à cent écus de pension, et à la fin rétablie en se soumettant aux ordres et se remettant à la miséricorde de son évêque. J'espère que nous n'en viendrons pas si avant.

Je ne laisse pas de vous plaindre beaucoup ; car il n'est pas possible qu'il n'y ait à souffrir. Préparez-vous à le faire chrétiennement, et à porter cette petite partie de votre croix. J'en dis autant à Madame votre sœur, à Madame de Lusanci et à nos chères Sœurs, que je salue de tout mon cœur.

Qu'on prie Dieu pour le succès de la prochaine visite : priez en particulier, et mandez à ma Sœur Cornuau qu'elle prie. Adressez-vous à Dieu en qualité de moteur des cœurs : j'ai souvent éprouvé que cette sorte d'adoration lui est agréable, et qu'elle est suivie de grands changements.

 

LETTRE LXX.  A Meaux, ce 5 avril 1692.

 

Je serai lundi à Luzarches pour y voir le roi sur son passage, et revenir ici le lendemain, s'il plaît à Dieu. Vous aurez de mes nouvelles avant mon départ, et vous m'obtiendrez par vos prières un prompt retour à mon devoir.

Puisse ce Jésus ressuscité, qui a triomphé des faiblesses de notre nature, vous tirer comme d'un tombeau de cette profonde et si noire mélancolie, afin que vous chantiez avec tous les

 

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saints cet Alléluia qui fera un jour l'occupation de notre éternité.

Ne craignez rien, ma chère Fille, Dieu est avec vous. Pensez à monter au ciel avec Jésus - Christ par la partie sublime de l'âme et dans l'esprit de foi et de confiance ; le reste sera plus tranquille.

 

LETTRE LXXI.  A Meaux, ce 18 avril 1692.

 

Je vous prie, ma Fille, avant toutes choses, de vous désabuser une fois pour toutes de la pensée où vous êtes que vos lettres me fassent de la peine, ou par leur nombre, ou par leur longueur. Celles où vous me parlez des affaires m'ont été et me sont encore si utiles pour m'instruire de ce qui se passe et du fond des choses, que je serois ennemi du bien de la maison et de mes propres intérêts, si je n'étais ravi de les recevoir : et pour celles qui regardent en particulier votre consolation et votre soulagement, je les devrais agréer par reconnaissance, quand ma charge et mon amitié ne m'en imposeraient pas d'ailleurs une étroite obligation.

La défense de prendre dans les actes la qualité de relevant immédiatement du saint Siège est plutôt faite pour empêcher que ce titre, lorsqu'on le prendra, ne nuise à mes droits comme si j'y consentais moi-même, que pour en faire aucun embarras. D'ailleurs cette défense regarde Madame l'abbesse quand elle est présente plutôt que les religieuses, qui peuvent sans difficulté signer après elle ; n'étant pas juste ou de retarder les affaires de la maison pour ce sujet-là, ou de donner prétexte à une abbesse de leur faire de la peine. Ainsi voilà déjà une affaire résolue bien nettement, et il ne faut point être en peine de la suite : car quand je voudrai, je ferai donner un arrêt qui ensevelira pour jamais ce vain titre.

Quant à l'affaire de la redevance, il importe moins que dans les autres que vous mettiez ce titre dans l'acte qu'on pourrait vous faire signer pour intervenir, parce que paraissant aux yeux du parlement, ce sera une occasion de le faire rayer. Pour cet acte, il n'y a rien à observer que de ne consentir à aucun emprunt sous ce prétexte : tout le reste est indifférent.

 

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Pour une protestation contre mes ordonnances, cela serait dangereux, parce que vous protesteriez contre votre propre liberté : ainsi il faudrait encore y prendre garde. On pourrait insinuer quelque chose de cela dans l'acte qu'on vous proposerait à signer pour la redevance. Cet acte ne doit contenir autre chose qu'une procuration pour défendre avec Madame l'abbesse l'affranchissement de la redevance. En ce cas vous le devez faire sans peine, et au contraire vous y offrir quand on voudra.

Si l'on avait agi de bonne foi avec moi, il n'y aurait eu pour vous nul embarras dans le changement des offices, ni dans la protestation de Madame l'abbesse : car on m'avait promis positivement qu'elle n'assemblerait la communauté que pour confirmer les officières, sans parler de déposition : et quant à l'appellation ou protestation, on me l'avait proposée comme un acte que Madame ferait en sou particulier, et non pas comme un acte qu'elle ferait la communauté assemblée. Au surplus, à mon égard la chose est indifférente ; car si l'effet et la force de mes ordonnances était empêché par l'appel ou l'opposition, ou, ce qui est encore plus faible, par une protestation de Madame de Jouarre, il ne faudrait jamais faire d'ordonnance, parce que je ne puis empêcher qu'on n'appelle, ou qu'on ne s'oppose, ou qu'on ne proteste. Mais ce qui établit la force des ordonnances de visite, c'est qu'elles sont exécutées par provision, nonobstant toutes appellations et oppositions, prises à partie et le reste, sauf à en examiner le fond devant les supérieurs, qui peuvent être, ou le parlement dans l'appel comme d'abus, ou le métropolitain dans l'appel simple. La force de ces ordonnances consiste encore à les faire si justes et si canoniques, qu'elles ne puissent recevoir d'atteinte dans le fond ; et c'est jusqu'ici ce qui a rendu les miennes invincibles.

Les dernières sont encore de cette force; et le métropolitain n'y peut donner aucune atteinte, parce qu'elles sont données en exécution d'un arrêt. J'avoue bien qu'on peut s'opposer à l'arrêt, principalement en ce qu'il ordonne que je nommerai la dépositaire ; car il est vrai que c'est là une chose extraordinaire, et qui n'est pas régulièrement du droit de l'évêque.

Voici donc ce qu'on ne peut me disputer : premièrement l'obligation

 

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de me rendre compte de tout ce qui regarde le temporel, et le pouvoir de régler et de statuer sur les comptes qu'on me rendra : secondement, le pouvoir de déposer les officières qui me seraient réfractaires, et même de les nommer s'il y paraissait une affectation de désobéissance : mais de les nommer de plein droit, vous savez bien que j'ai toujours dit que cela ne m'appartenait pas, et que la disposition qui m'en avait été accordée à la réquisition de M. le procureur-général, dépendait du cas particulier. Au reste je ne crois pas que Messieurs du parlement défassent ce qu'ils ont fait, étant absolument nécessaire pour régler les affaires de la maison, que j'aie du moins un an une dépositaire de conscience et de confiance. Je crois avoir des moyens certains pour soutenir cet arrêt, et Madame de Jouarre y perdra si elle l'entame. Pour ce qui est de la signature de la dépositaire, assurément ce ne sera pas une difficulté.

Si j'ai dit qu'il m'était indifférent que ma Sœur de Saint-Hélène se soit déposée ou non, ce sera peut-être pour dire que sa déposition ne fait point de tort à mon droit, ni ne casse pas un arrêt ou l'ordonnance d'un évêque : mais qu'il me soit indifférent qu'on m'ait manqué de parole, ni que M. de la Madeleine agisse avec si peu de sincérité, cela n'est point sorti de ma bouche. Il est vrai que je le reçois bien, parce que je suis sans aigreur : mais cela ne change rien dans ma conduite ni dans mes résolutions. Je donne si naturellement à tout le monde un extérieur de civilité, qu'il ne faut point s'en prévaloir.

Au reste j'apprends ce matin que l'affaire de la redevance (a) sera jugée lundi, et sur ce fondement j'avais réitéré les ordres pour partir demain : mais après y avoir pensé, je me suis enfin résolu à laisser juger cette affaire sans y être, de peur de donner lieu aux plaintes, quoique injustes, que pourraient faire les avocats, que j'empêche une abbesse d'aller défendre les droits de sa maison, pendant que je vais solliciter les miens : ainsi je ne partirai pas. Je ne crois pourtant pas vous pouvoir aller voir, ni le devoir dans cette conjoncture : le moins que je puisse faire,

(a) Redevance en blé, que l'abbesse refusait de payer depuis que Bossuet lui contestait l'exemption épiscopale.

 

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c'est d'être ici pour donner à chaque moment les éclaircissements qu'on pourra me demander, selon mes ordres, par des envoyés exprès.

J'abandonne donc cette affaire à la providence de Dieu, et je la hasarde beaucoup, à cause de la prévention que j'ai marquée ce matin : néanmoins elle est si bonne, que j'ai peine à croire qu'on veuille ni qu'on puisse me faire tort. J'enverrai souvent apprendre des nouvelles, et vous en donner. Ecrivez-moi ce que vous voudrez pour ce qui vous touche : je ne perdrai point de temps à vous répondre. Cette lettre peut être montrée à qui vous voudrez. Tout à vous, ma chère Fille.

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