Lettres Mme de Cornuau XXXVIII
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LETTRE XXXVIII.   A Germigny, ce 6 septembre 1092.

 

Ayez soin, ma Fille, de faire rendre en main propre ce paquet pour Jouarre. Madame d'Albert verra que j'ai reçu sa lettre, dont elle est en peine, et elle en aura réponse. Si vous y pouvez aller vous-même, j'en serai bien aise.

Quant à vous, j'ai lu vos papiers. Et premièrement vous avez bien fait de me dire tout ; vous eussiez mal fait de me rien celer. Je n'estime ni plus ni moins ceux dont il s'agit ; et quand il en eût dû arriver quelque diminution de mon estime, à quelque prix que ce soit, il faut que les supérieurs soient instruits ; et s'il y a quelque faute, c'est d'avoir trop tardé. Vous avez besoin que je vous le pardonne ; et je le fais, à condition qu'une autre fois vous bannirez toutes ces réserves et ces scrupules de me parler.

Demeurez assurée de votre état : je ne souffrirai pas qu'on vous inquiète sur cela. Je ne négligerai pas les occasions de vous procurer une place dans un monastère, quand elles se présenteront. Vivez en foi, ma Fille ; abandonnez-vous à celui qui vous attire. Rien ne m'a empêché de vous écrire que le peu de loisir. Soyez

 

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persuadée que je ne vous délaisserai pas. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XXXIX.  A Germigny, ce 17 septembre 1692.

 

J'ai vu l'acte que vous m'avez envoyé, ma Fille ; je l'ai trouvé très-bien fait : il n'y a qu'à le passer en cette forme, et assurer M. le D*** votre supérieur, et M. et Madame D***, que je le ratifierai, s'il est nécessaire, en la forme que l'on voudra. Je me réjouis avec toute la communauté du bonheur qu'elle a de posséder un si saint supérieur. Faites-lui bien mes remerciements de tous ses soins : j'en espère un grand fruit pour la maison ; et je ne doute point que Dieu n'accompagne de ses bénédictions la visite d'un supérieur si saint.

Pour vous, ma Fille, vous n'avez qu'à vous soumettre aux dispositions qu'on fera de votre personne, en foi et en abandon, sans avancer ni reculer : c'est la volonté de Dieu. Je salue de tout mon cœur ces Messieurs, ces Dames, et nos chères Filles ; et je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XL. A Germigny, ce 21 septembre 1692.

 

Je n'ai reçu, ma Fille, votre lettre que ce matin, et ainsi ce que vous demandiez que j'écrivisse par rapport à M. l'abbé ***, ne se peut plus.

Pour ce qui vous touche, j'ai écrit naturellement (les dates ne servent de rien) ; et il vous doit suffire qu'à présent je m'intéresse à ce qui vous touche, d'une façon plus particulière qu'au commencement.

Je vous renvoie votre contrat. Obéissez ; acceptez les charges ; quoique avec celle de dépositaire que vous avez déjà, celle d'infirmière me fasse peine pour vous ; celle de la sacristie vous tiendra lieu de soulagement. Prenez courage, ma Fille; Dieu est avec vous : jouissez de l'Epoux céleste et des ornements de son sacré corps. Je suis à vous de tout mon cœur.

 

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LETTRE XLI.  A Germigny, ce 8 novembre 1692.

 

Voilà, ma Fille, des lettres pour Jouarre, que je vous prie de faire tenir le plus tôt que vous pourrez. Je ne puis encore vous répondre siu- ce qui vous touche, sinon qu'à l'égard de cette peine, si je ne vous en ai rien dit, c'est qu'il m'a paru qu'elle n'avait rien de nouveau dans son fond ; en sorte que vous n'aviez qu'à y appliquer les conseils que je vous ai donnés en cas pareils, et au reste demeurer en repos. J'ai considéré fous les mouvements que Dieu vous donne : vous pourrez difficilement vous empêcher de venir à Paris. J'y serai, s'il plait à Dieu, vers la fin de la semaine prochaine ou dès les premiers jours de la suivante : vous pourrez m'y voir, et je vous écouterai volontiers. Ne craignez point de vous charger des demandes qu'on vous chargera de me faire sur le saint Sacrement, où il me faut pourtant laisser écouter Dieu. J'espère voir vos papiers avant mon départ, et vous y donner une réponse. Priez Dieu, ma Fille, qu'il m'en donne le loisir autant que j'en ai la volonté. Dieu soit avec vous.

 

LETTRE XLII.  A Germigny, ce 28 novembre 1692.

 

Je ne me souviens point, ma Fille, d'autre pénitence que de ce que vous me marquez, et je m'en contente. Je ne me souviens d'autre chose de ce que je vous dis à confesse, sinon que je vous donnai pour moyen de vous tenir dans la présence de Dieu, son saint amour, n'y ayant rien qui ramène mieux dans la pensée l'objet aimé que l'amour même. Qui peut oublier ce qu'il aime ? Suivez donc ce bienheureux attrait, et Dieu vous sera présent.

J'approuve fort le recueillement dont vous me parlez pour les dimanches et fêtes, si votre supérieure le trouve bon ; vous renvoyant à l'obéissance pour les choses extérieures.

Je suis toujours, ma Fille, dans les mêmes sentiments sur les austérités. Vous voyez bien que celles que vous me proposez

 

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paraîtraient trop ; sans cela je vous en permettrais l'essai durant l'Avent : mais cela ne se peut, non plus que le reste dont vous me parlez.

Marchez, avancez, sortez de vous-même, et Dieu s'avancera vers vous. Approchez-vous de lui, dit saint Jacques, et il approchera de vous (1). Je l'en prie, et suis à vous de bien bon cœur.

 

LETTRE XLIII.  A Meaux, ce 22 décembre 1692.

 

Je ne me suis pas bien expliqué, ma Fille, sur le sujet du salut. Je ne souhaite pas qu'on le dise publiquement, jusqu'à ce qu'il soit fondé, et la fondation acceptée. En récompense je permets de le dire en particulier entre les Sœurs la veille et le jour de Noël, la veille et le jour de la Circoncision, la veille et le jour de l'Epiphanie, et de garder le saint Sacrement dans le tabernacle la nuit de Noël et le jour même, jusqu'au salut. Insensiblement l'Epoux céleste s'accoutumera à venir dans son jardin : mais que ce soit un jardin clos; qu'il y ait une fontaine scellée (2); que tout y soit dans le recueillement et dans le silence. Vous voyez bien qu'il ne faut pas me presser ; mais me laisser écouter Dieu. J'ai bonne volonté; mais je ne puis encore rien déterminer.

Vous avez trouvé à Jouarre de quoi vous entretenir devant ce divin Enfant : soyez en admiration et en silence devant lui ; écoutez-le, contemplez-le; et en l'admirant, laissez-lui ravir votre cœur.

« Et Abraham a vu mon jour, et il s'en est réjoui (3) : » il a vu mon jour, le jour auquel j'ai paru au monde. Isaïe a aussi vu ce jour, et voici ce qu'il en a vu : « Un petit enfant nous est né, un fds nous est donné, il a sa principauté sur ses épaules, et son nom sera l'Admirable, le Conseiller, le Dieu fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix (4). »

De toutes ces qualités, je choisis pour vous celle d’Admirable que je vous donne à méditer. Songez bien à cette belle qualité, et donnez-vous à Dieu, afin qu'il daigne vous faire sentir en quoi principalement ce divin Enfant est admirable. Méditez bien

 

1 Jac., IV, 8. — 2 Cant., IV, 12. — 3 Joan., VIII, 56. — 4 Isa., IX, 6.

 

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ces mots : « Un petit enfant nous est né, un fils nous est donné. » Prenez-le, puisqu'il vous est donné à la sainte table; prenez-le comme un petit enfant, puisque c'est pour vous qu'il est né en cette qualité. Jésus admirable en Dieu, admirable en lui-même, admirable en ses conduites, en ses vertus, en ses miracles; admirable en nous-mêmes, en notre vocation, aux miséricordes exercées en notre endroit ; admirable en la suite de notre sanctification et en notre persévérance. Ce sera le sujet de mon sermon de Noël que je vous donne à méditer : priez Dieu, ma Fille, qu'il m'ouvre l'intelligence de cette admirable prophétie, la plus capable, que je sache, de faire connaître et aimer ce divin Enfant. Puisse-t-il être aimé de toute la terre ! Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XLIV.  A Meaux, ce 17 janvier 1693.

 

Je reçois vos vœux, ma Fille, et je les offrirai demain à Dieu avec un cœur paternel. Je suis fâché du long tour qu'a fait ma lettre : c'est pourtant l'ange de Dieu qui l'a conduite, puisqu'elle vous est revenue. Je pars samedi : je donnerai moi-même votre lettre au P ***; s'il plaît à Dieu, je lui parlerai, et je chercherai les moyens de concilier toutes choses.

Vous vous tourmentez trop, ma Fille, sur cette pensée de religion : la proposition que vous croyez si faisable, et que vous me priez tant de repasser plus d'une fois dans mon esprit, est la plus grande chimère du monde. Ne vous agitez plus tant sur ce sujet : ce n'est pas que je me rebute, ma Fille ; mais c'est que j'ai peine à vous voir tourmenter en vain.

Vous avez raison de dire que l'Epiphanie est la fête de la foi : suivre la foi, c'est suivre l'étoile. Que cette étoile est aimable, puisqu'elle nous guide à Jésus et au lieu où il est !

Ce que vous avez fait avec N *** m'a beaucoup plu : mais ce n'est pas assez ; continuez, et vous humiliez toujours de plus en plus devant Dieu et devant les créatures. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE XLV.  A Versailles, ce 26 janvier 1693.

 

Vous direz, ma Fille, à Madame votre supérieure que je lui accorde, et à la communauté, la présence du saint Sacrement, pour les trois jours de la Quinquagésime et pour la fête de saint François de Sales : vous pourrez dire le salut le soir entre vous. J'aurai bien de la joie que M*** vous fasse une exhortation : pour le surplus, j'y songerai, et j'y répondrai à loisir. Toutes vos pensées sont bonnes; mais je n'y vois pas, ma Fille, la facilité que vous y pensez. Si je puis accomplir vos désirs, je le ferai avec joie : n'en doutez pas.

Vous avez dans les choses que je vous ai dites, la règle de votre conduite, et vous n'avez qu'à marcher avec confiance. Surmontez-vous vous-même, ne vous pardonnez rien devant Dieu ; attendez tout de sa miséricorde. J'ai bien considéré toutes vos lettres; j'aurai égard à tout. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit, avec vous.

 

LETTRE XLVI.  A Paris, ce 28 février 1693.

 

Je reçois toutes vos lettres, ma Fille : il ne faut imputer mon silence qu'au peu de loisir que j'ai ; je ne laisse de penser à tout. L'affaire de l'union semble s'avancer : je la crois très-bonne ; je serai attentif à tout.

Pour ce qui vous regarde, je vous avoue, ma Fille, qu'à l'égard de votre grand attrait pour la religion, je n'y vois rien moins que les facilités que vous croyez. Votre désir vous trompe, et fait votre croix. Continuez à regarder Jésus-Christ comme l'Admirable, et songez qu'il faut renfermer dans cette qualité cette parole de Job : « Vous me tourmentez d'une manière admirable (1). » Ces manières admirables de tourmenter les âmes, contiennent les exercices qu'il leur envoie pour les purifier, et enflammer leur amour. Assurez-vous que ces peines sont permises et ordonnées

 

1 Job, X, 16.

 

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à cette fin : plus elles augmentent, plus Dieu veut qu'on s'unisse à lui, et qu'on s'y livre ; et c'est aussi le seul moyen de les empêcher de s'accroître. Un amour qui n'est pas content doit plonger l’âme dans une profonde tristesse : on n'est content ni de soi-même, ni des efforts qu'on fait pour aimer, ni du cher Epoux, qui ne se donne qu'à travers des ombres et par moments, et qui semble abandonner l’âme qu'il livre à de si noires pensées. Il faut croire durant cet orage, que l'affaire de l'amour s'avance du côté de l'Epoux, et il faut être fidèle à l'avancer du sien.

Ecoutez ces mots : « Je suis la vigne : comme les rameaux ne peuvent porter de fruit s'ils ne sont dans la racine, ainsi vous ne sauriez rien faire sans moi (1). » Sans l'influence de la racine, la branche sèche aisément, et n'est plus bonne que pour le feu. « Sans moi, vous ne pouvez rien. » Ouvrez l'oreille du cœur à ces paroles, ma Fille; lisez-les dans saint Jean. C'est la vérité que vous fait sentir l'Epoux céleste. Lorsqu'il vous semble que l’âme est prête à s'échapper à chaque moment, alors on ressent cette vérité : « Vous ne pouvez rien faire sans moi ; » et il ne reste qu'à dire : Il est vrai, cela est ainsi, je ne puis rien de moi-même ; mais « je puis tout avec celui qui me fortifie (2). »

C'est en qualité de Verbe que Jésus-Christ parle ainsi : car encore que cela soit vrai de Jésus-Christ en tant que homme, cela n'est vrai de Jésus-Christ homme, que parce que cette humanité est unie au Verbe. C'est au Verbe qu'il faut être uni pour pouvoir tout avec Jésus-Christ : c'est par le Verbe et avec le Verbe que le Père produit le Saint-Esprit qui est son amour : la même chose se fait dans les âmes. Jésus a dit : « Mon Père et moi viendrons à celui qui garde mes commandements, et nous établirons en lui notre demeure (3) ; » ce qui se fait en produisant en nous le chaste amour, qui est répandu par le Saint-Esprit dans les cœurs. C'est donc en cela principalement, ma Fille, que Jésus est admirable. Il est admirable dans les chastes embrassements di nt il honore son Epouse, et la rend féconde : toutes les vertus sont le fruit de ses chastes embrassements. Les peines qui l'accompagnent servent à retirer l’âme au dedans où elle jouit. Cela est

 

1 Joan., XV, 5. —  2 Philip., IV, 13. — 3 Joan.,  XIV, 23.

 

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ainsi du côté de Dieu : il faut se laisser aller à lui afin que cela soit de notre côté. Vous vous tourmentez trop, ma Fille, sur ce désir de religion : tout ce qui arrive vous fait imaginer des occasions pour cela ; elles sont encore trop faibles et trop éloignées. Vivez en paix : Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XLVII.  A Meaux, ce jour de Pâques 1693.

 

Je me sers, ma Fille, de l'occasion de l'homme que j'envoie exprès à Jouarre, pour vous dire que je vous ai offerte de bon cœur à Dieu, et que je l'ai prié de m'inspirer ce que j'avais à vous dire touchant la personne dont vous m'avez écrit. Je vous dirai en général que la conduite qu'il m'inspire dans le cœur est fort sérieuse en matière de direction. Il me donne un fonds de charité inépuisable et inaltérable, ce me semble, pour les personnes dont il me charge ; et je crois être par sa grâce à toute épreuve là-dessus. Au surplus, je ne suis porté à aucune des choses que vous me marquez. Dites à cette personne que je ne changerai point de conduite : je n'improuve pas ses sentiments; mais je persiste dans les miens : ainsi je souhaite que tout demeure au même état.

Pour vous, ma Fille, songez qu'une personne ressuscitée avec Jésus-Christ est une nouvelle créature. Je fais toutes choses nouvelles (1), dit Jésus-Christ dans l'Apocalypse. La ferveur suit la nouveauté. Je vous souhaite ce renouvellement, et suis à vous de bien bon cœur.

 

LETTRE XLVIII. A Meaux, ce 24 mars 1693.

 

Il n'y a point de sujet de vous alarmer de la lettre que je vous ai écrite déjà, ma Fille : vous devez croire que je ne m'étonne, ni ne me fâche jamais qu'on me parle de ses affaires temporelles; au contraire je suis très-aise de cette confiance, et je la ressens comme l'effet d'un cœur de fille.

 

1 Apoc, XXI, 5.

 

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Pour ce qui regarde les propositions de cette personne, je vous dirai ingénument que les termes dont elle s'est servie ne m'ont pas plu ; je prends pourtant cela en bonne part : mais ce qui me fait rejeter ces choses, c'est qu'elles ne sont pas assez sérieuses, et que c'est par elles que commencent les amusements si peu dignes de la gravité du ministère ecclésiastique. Au surplus cette personne a bien fait de m'exposer en simplicité tous ses sentiments ; et vous pouvez l'assurer qu'elle ne m'a pas déplu, ni que j'aie mal pris aucune de ses paroles ; mais c'est que j'ai d'autres idées, et que je conçois la direction comme quelque chose de plus sérieux. Ne la pressez pas sur ce qu'elle vous a dit par rapport à moi : j'évite, autant que je puis, de pareilles communications : quand Dieu me les envoie et que je connais sa volonté, j'y entre de bonne foi.

Je comprends au reste que l'union peut avoir de grandes peines. Comme elle est bonne pour la maison, il la faut avancera l'abandon. Cependant, ma Fille, je vous dirai quand il faudra ce que vous aurez à faire, et j'écouterai vos raisons. Il ne faut point venir à Paris, du moins sitôt; les choses ne sont pas encore assez avancées pour cela.

Je n'ai rien de nouveau à vous dire sur ce que vous me mandez de Jouarre : le temps donnera peut-être d'autres ouvertures ; à présent je ne vois rien ; soyez soumise aux ordres de Dieu.

Je serai très-aise que ce Père dise chez vous sa première messe le jour de Saint-Joseph (a). Demandez à Dieu ses lumières pour deux affaires d'une extrême conséquence, et ajoutez cette intention à celle que vous me marquez : demandez la même grâce devant le saint Sacrement que vous aurez ce jour-là.

Je vois, par la fin de votre lettre, que Madame votre supérieure se prépare pour aller à Paris : si d'elle-même elle s'avisait de vouloir vous y amener, j'y consentirais ; autrement je ne le trouve pas à propos : il faut que ce soit elle qui le veuille et qui vous en presse; autrement, point. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

(a) Pâques tombant cette année-là le 22 mars, la Saint-Joseph se trouva le jeudi delà Semaine Sainte, et fut transférée au lundi 30 mars.

 

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LETTRE XLIX. A Paris, ce 19 avril 1693.

 

Vous ne devez point douter, ma Fille, que je ne reçoive toutes vos lettres ; j'ai reçu en particulier celle du 16.

Je ne puis encore rien dire des affaires de la maison, que la mort de M*** semble avoir un peu retardées : je veillerai à tout, et j'aurai toujours un égard particulier à ce qui vous touche. Je ne crois pas nécessaire de m'expliquer davantage. Je vous offre sans cesse à Dieu ; je ne perdrai jamais les bons sentiments qu'il m'a inspirés pour vous. J'ai de la joie, de la satisfaction que vous avez à Jouarre ; je voudrais qu'elle pût être entière. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE L.  A Meaux, le lundi de la Pentecôte 1693.

 

Je reçois votre présent, ma Fille, et d'autant plus volontiers, qu'il est accompagné de vos vœux pour m'obtenir les dons dont vous m'envoyez la figure. Quand j'aurai entendu parler Madame de Jouarre, je verrai si ce que vous croyez si possible l'est autant que votre désir vous le fait paraître : je ferai de bonne foi ce que je pourrai, et je prêterai de tout mon cœur la main à tout.

Je ferai la cérémonie que vous m'avez prié de faire aux Ursulines le jour de la Trinité : je veux bien, ma Fille, que vous veniez à cette prise d'habit. Si vous avez à venir, il faut que ce soit le vendredi, comme vous me marquez, parce que je vous donnerai quelques heures samedi après l'ordination. Je prie Notre-Seigneur qu'il reçoive, ma Fille, l'oblation que je lui ferai de votre personne en mémoire de votre baptême.

J'irai après la cérémonie à Jouarre, d'où je reviendrai mercredi matin. Je ne bougerai d'ici, s'il plaît à Dieu, durant l'octave du saint Sacrement. Je permettrai facilement que vous le passiez à Jouarre, ou ici aux Ursulines, selon que nous le trouverons plus à propos et la conjoncture des choses. Je ferai avec plaisir

 

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tout ce qu'il faudra, avec les ménagements qui me conviennent.

Dieu est le Souverain qui meut les cœurs ; invoquez-le sous ce titre : adorez le Saint-Esprit sous le titre d'Esprit de vérité ; priez-le que tout soit vrai en vous. Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LI. A Jouarre, ce 17 mai 1693.

 

Vous allez être bien affligée, et je le suis pour vous, ma chère Fille. J'ai trouvé Madame de Jouarre fort peinée sur votre retraite, très-désireuse d'un côté de vous tenir sa parole, très-persuadée de l'autre que cela ferait du bruit et nuirait à votre dessein principal. En cet état je n'ai pas trouvé à propos de la presser davantage. Dès le matin j'avais eu un pressentiment de ce qui devait arriver : mais enfin je crois très-certainement que Dieu l'a voulu ainsi, afin que vous fissiez votre retraite entre mes mains plutôt qu'ici. Attendez-moi donc, ma Fille ; demeurez aux Ursulines : je crois que Dieu veut faire quelque grâce que je vous aide à recevoir. Je suis à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE LII. A Meaux, ce samedi matin au mois de mai.

 

Je ressens vos peines, ma Fille; et loin d'être rebuté de vos lettres, je les vois toujours de bon cœur. Prenez garde de votre côté à ne vous rebuter point de mon silence, qui le plus souvent est forcé ou par des affaires, ou parce que Dieu ne me donne rien par rapport à vous, et ne me fait pas voir qu'il y ait rien de nouveau à vous dire.

Quant à ces deux chapitres de saint Jean, je vous avouerai franchement que je n'ai pu encore venir à bout de me rien dire à moi-même qui me satisfasse, tant j'y trouve de profondeurs. Pour ce qui est du premier chapitre, il ne faut pas s'en étonner ; car il s'y agit de cette naissance éternelle du Verbe dont le Prophète a dit : « Qui racontera sa naissance (1) ? » Mais je ne trouve

 

1 Isa., LIII, 8.

 

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guère moins de profondeurs dans le quatrième chapitre, où Jésus-Christ dit : « Dieu est Esprit ; et il veut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (1). » Car qui peut entendre ou expliquer dignement ce que c'est en Dieu que d'être esprit; et combien ce divin attribut est au-dessus, non-seulement de tous nos sens, mais encore de toutes nos pensées ?

Pour ce qui est de l'obligation d'adorer Dieu en esprit et en vérité, il y a tant de vérités renfermées en ce peu de mots, que je m'y perds. Tout ce que j'y vois de plus certain, c'est qu'adorer Dieu en esprit, c'est l'adorer et l'aimer avec un entier détachement de tous nos sens ; détachement, au reste, que je ne me sens pas capable d'exprimer, tant il est intime, tant il est haut, tant il est universel. Il faut aller avec saint Paul à la division de l’âme d'avec l'esprit (2), et à un si grand épurement de nos pensées, que je ne sais si nos âmes la peuvent soutenir en cette vie. Ce détachement induit aussi à une si haute et si parfaite mortification de nos sens, qu'on ne la peut regarder sans frayeur, quoiqu'on ne puisse d'ailleurs la regarder sans amour.

Mais adorer Dieu en vérité, c'est encore quelque chose de plus haut ; car cela emporte une si parfaite conformité avec la volonté de Dieu, qu'il n'y a rien au-dessus, ni rien à laisser à notre volonté propre : autrement la vérité n'est point en nous, puisque la vérité qui y doit être, c'est d'être entièrement conformes à ce que Dieu demande de nous, quelque inconnu qu'il nous soit. Car il ne faut pas douter que Dieu, comme je vous le disais dernièrement, ne nous cache quelquefois sa volonté, jusqu'au point de nous inspirer de vouloir ce que lui-même ne veut pas accomplir en nous. Saint Paul lui demandait de le délivrer de cet ange de Satan qui lui était envoyé, de peur qu'il ne fût enflé par la grandeur de ses révélations (3). Il le demanda par trois fois, comme il dit lui-même, c'est-à-dire avec toute l'instance possible; et néanmoins il ne l'obtient pas, et néanmoins c'était saint Paul. Il ne faut pas douter que ce ne fût Dieu même qui lui inspirait ce désir ; et Dieu qui l'inspirait ne voulait pas qu'il fût accompli ; il voulait laisser à saint Paul cet exercice. Il est vrai qu'il lui

 

1 Joan., IV, 24. —  2 Hebr., IV, 12. — 3 II Cor., XII; 7-9.

 

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déclara sa volonté : mais il ne le fait pas toujours ; et il nous laisse quelquefois languir dans un désir qu'il pousse à bout de notre côté, sans peut-être vouloir du sien qu'il s'accomplisse. Et pourquoi cela? Parce que c'est un grand bien de désirer tout ce qui est bon : et quoiqu'il soit bon de le désirer, Dieu voit un certain bien dans le refus, et il veut donner à l’âme ces deux sortes de biens ; c'est-à-dire le bien du désir et en même temps le bien du refus : si bien qu'en cette manière, loin de resserrer sa main, il l'étend avec une plus parfaite libéralité, en nous donnant deux biens pour un ; car c'est un bien de nous refuser de certains biens, lorsqu'il voit dans la privation de certains biens, un bien plus grand qu'il nous réserve.

Par exemple, dans le désir qui vous presse pour la religion, je suis assuré, ma Fille, que Dieu en vous privant de son effet, peut vous donner par cette privation un plus grand bien que celui que vous envisagez dans la jouissance : Car qui sait le secret de Dieu, ou qui sera son conseiller (1)? Et peut-être que ne voulant pas vous donner ce bien, ce que je ne décide pas, comme je ne décide pas le contraire, il veut vous faire la grâce de le désirer, et de vous exercer par ce désir avec toutes les violences que vous ressentez. Ne concluez pas de là que Dieu veuille l'accomplissement de ce désir, et soumettez-vous à ses volontés cachées : car c'est par là que vous l'adorerez en vérité, en vous conformant à l'aveugle à ce qu'il sait seul et à ce qu'il veut sans se déclarer.

J'entrerai cependant de bon cœur dans tous les moyens : mais il faut, ma Fille, modérer ces vivacités et ces empressements par une entière soumission à la volonté de Dieu, connue et inconnue, et par une intime conformité de votre fond avec Dieu, en adorant le secret de votre prédestination et du conseil éternel de Dieu sur vous. Autant que je puis penser, c'est là adorer Dieu en vérité, lorsqu'on joint à la vérité de ce désir la vérité de la pratique ; c'est-à-dire des œuvres qui soient véritablement selon Dieu, et par lesquelles soit accomplie cette prière du Sauveur : Sanctifiez-les en vérité (2), non pas comme ils pensent, mais comme vous savez.

 

1 Rom., XI, 34. — 2 Joan., XVII, 17.

 

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Je dirai, s'il plaît à Dieu, aujourd'hui la messe à votre intention, approchant l'heure de midi. Je ne prévois pas que je vous puisse parler avant lundi ; vous pouvez communier en attendant. Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous. Priez pour le Roi et pour l'Etat.

 

LETTRE LIII.  A Meaux, dimanche soir au mois de mai 1693.

 

Je ne pourrai pas, ma Fille, vous donner demain la sainte communion : mais pour mardi je vous exhorte à vous mettre dans l'état que vous me proposez; c'est-à-dire de recevoir la communion dans la même disposition que si c'était pour mourir et pour viatique. Dieu vous fasse la grâce d'expirer aux pieds de votre Sauveur, en sorte que vous soyez une nouvelle créature.

Jésus-Christ vous a donné une vraie idée de ses dispositions dans l'Eucharistie, en vous rappelant cette vertu qui découlait de son corps sur ceux qui savaient le toucher comme il veut l'être. Car il ne faut pas croire que cette vertu soit seulement pour guérir les corps:-Jésus-Christ est encore plus Sauveur des âmes : il en pique le fond; il y excite les saints désirs: il les unit à lui-même, et les prépare à une union plus divine et plus excellente; et tout cela est la vertu qui partait de son humanité, et qui se répand sur ceux qui le touchent avec foi. Je trouve bon que vous fassiez les communions aux intentions que vous me marquez.

Madame de Jouarre m'écrit elle-même qu'elle vous a reçue, croyant me faire chose agréable. Ne manquez pas, ma Fille, de lui écrire pour lui témoigner votre reconnaissance et votre entière soumission à ses ordres, et pour savoir d'elle comme vous me le marquez, quand elle veut que vous vous rendiez sous ses ordres. Vous voyez que Dieu agit pour vous ; agissez pour lui : marchez cependant sur les règles que je vous ai données, et sans rien attendre de vous-même, abandonnez-vous au céleste Epoux. Je vous mets, ma Fille, sous sa protection.

 

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LETTRE LIV.  A Meaux, mercredi matin, au mois de mai 1693.

 

Laissez évanouir le monde avec son éclat, et tout ce qui le compose ; et quand tout sera mis en pièces et en morceaux, et détruit, vous ne resterez plus que seule avec Dieu, environnée de ce débris et de ce vaste néant. Laissez-vous écouler en ce grand tout qui est Dieu ; en sorte que vous-même vous ne soyez rien qu'en lui seul. Vous étiez en lui avant tous les temps, dans son idée et dans son décret éternel : vous en êtes sortie pour ainsi dire par son amour, qui vous a tirée du néant. Retournez à cette idée, à ce décret, à ce principe et à cet amour.

Et le jour que vous partirez pour Jouarre, dites, ma Fille, le psaume CXXI, et réjouissez-vous d'aller dans la maison du Seigneur. Le jour que vous y serez arrivée, le psaume LXXXIII : le lendemain, le psaume LXXXIV ; appuyez sur le verset 9 : le troisième jour, le psaume LXXXVI; admirez les fondements de Sion, qui sont l'humilité et la confiance : le quatrième jour, pour rendre grâces à Dieu de votre liberté, les psaumes CXIV et CXV, qui n'en font qu'un dans l'original, et qui sont de même dessein : le cinquième jour, dans le même dessein, le psaume CXXV : le sixième jour, encore dans le même dessein, mais avec une plus intime joie de votre sortie du monde, le psaume CXIII : le septième jour, adorez l'Epoux céleste dans le sein et à la droite de son Père, au sortir des temps de son enfance, par le psaume cix : le huitième et dernier jour de l'octave, dites en action de grâces le psaume CXVII : ainsi, ma Fille, se célébrera l'octave de votre délivrance. Consacrez-vous à Dieu de tout votre cœur, comme une victime qu'on mène à l'autel, qui est le sens du verset 27 de ce dernier psaume.

Voilà les psaumes pour la veille, le jour et l'octave de cette fête. Durant cette octave, lisez le chapitre lu du prophète Isaïe, et le huitième de l'Evangile de saint Jean. Demandez à Dieu la liberté véritable, qui est celle que Jésus-Christ donne par la vérité. Ecoutez plutôt les promesses que les menaces. Accoutumez-vous à

 

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craindre à la vérité, mais à espérer encore davantage, par la grande bonté de Dieu, dont vous lirez les merveilles dans le chapitre V de l’Epître aux Romains. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LV. A Germigny, ce 14 juin 1693.

 

Vous ferez bien, ma Fille, de porter vos lettres à Madame de Jouarre, et d'agir en tout selon ses ordres, non-seulement parce que je crois qu'elle l'aura pour agréable, mais encore parce qu'il y a toujours un grand avantage à agir par obéissance, et que c'est cela même qui lui fait désirer qu'on lui soumette tout.

Prenez garde à ménager votre santé sur l'observance de la règle; et à ne vous point pousser à bout: cela est d'une extrême conséquence, parce qu'enfin à force de faire, on se réduit à ne faire rien ; ce qui est excessif est indiscret: prenez-y garde sous les yeux de Dieu.

Réglez vos communions selon que nous l'avons dit. La communion spirituelle est une douce commémoration du sacrifice de la croix, dont l'Epoux céleste nous donne à manger la chair et le sang dans la sainte table, afin de nous être un gage que c'est pour nous qu'il les a pris, et pour nous qu'il les a immolés. Vous voyez bien par cette raison, qu'on peut communier spirituellement à toute heure, mais que c'est principalement à la sainte messe qu'il le faut faire. Il faut joindre à cette pieuse commémoration un désir sincère de jouir de ce corps sacré dans la communion actuelle, et d'exercer le droit que nous avons sur ce corps, qui est le sceau de notre union avec le céleste Epoux.

Je suis bien aise de la bonne réception qu'on vous a faite, et de la grâce qu'on vous accorde de vous donner une cellule au dortoir. Non, ma Fille, vous n'êtes point séculière. Je sais très-bon gré à vos amies du plaisir qu'elles vous font, et je reçois avec joie ce que vous me dites de leur part en cette occasion. Vous ferez bien de m'instruire de tout ce qui pourra contribuer à votre repos, surtout dans ces commencements : mais il faut mettre les choses dans un train qu'elles puissent durer. J'entre dans vos

 

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sentiments pour les emplois. C'est à vous à ménager cet intérêt, qui avec raison vous est si cher : j'en dirai à Madame l'abbesse ce que Dieu me mettra dans l'esprit ; continuez-lui toujours vos soumissions et votre confiance.

Je suis bien aise de la résolution où vous êtes de ne plus reculer après avoir passé sur les difficultés. Vous savez bien que j'ai tout prévu ; mais votre ardeur l'a emporté, il faut boire le calice tout entier; les consolations en détremperont l'amertume. Demeurez en repos, ma Fille : je veillerai à ce qui vous toucha Quand on conclura l'union, il n'y a rien de contraire à la sincérité d'y consentir puisque le fond en est bon et de votre goût. Je prie Dieu qu'il soit avec vous. Tenez-vous dans cet esprit d'humiliation et de recueillement : Dieu vous en fasse la grâce, ma Fille.

 

LETTRE LVI. A Soissons, ce 10 juin 1693.

 

Pour réponse à votre billet, j'ai laissé en partant de Germigny, un paquet pour Jouarre, où il y a une réponse à votre dernière lettre. Quant à Madame ***, si elle n'arrive, vous n'avez qu'à lui écrire bien respectueusement que vous êtes prête à vous rendre auprès d'elle au premier mot qu'elle vous fera dire : vous ferez bien même de la prévenir. Si on vous presse de vous déclarer, vous direz que pour la maison vous apporterez toutes les facilités possibles à l'union, et pour votre particulier que vous attendrez mes ordres ; que je serai bientôt de retour. S'il y a quelque acte à passer, ne faites point difficulté de le signer, et de le conseiller à vos Sœurs, en mettant sous mon bon plaisir et agrément. Dieu soit avec vous, ma Fille, et qu'il soit votre soutien.

 

LETTRE LVII.  A Paris, au mois de juin 1693.

 

Si M. le curé de Jouarre n'était venu ici, j'aurais, ma Fille, envoyé demain un homme exprès pour répondre à vos lettres du 26 et du 29. Il n'y a qu'un mot à vous dire, qui est que sans hésiter

 

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vous devez obéir à Madame de Jouarre, et vous rendre à la communauté sur ses ordres.

Entrez dans ses sentiments touchant la communauté : n'éloignez rien de ce qu'on souhaitera pour votre personne. Témoignez vos soumissions parfaites : dites seulement qu'après avoir exposé vos dispositions, vous êtes obligée de m'en écrire pour savoir mes intentions et mes vues ; que vous ne doutez point qu'elles ne soient conformes au bien de la communauté, comme il est très-vrai.

Ne témoignez rien du tout de vos pensées pour la religion ni pour Jouarre. Recevez la bénédiction de Madame l'abbesse avant que de sortir de chez elle : priez-la, tant de ma part que de la vôtre, de vous conserver sa bonne volonté, et de vous regarder toujours comme sa fille, comme vous l'êtes en effet par la volonté que vous avez de lui obéir ; vous pouvez lui dire qu'il est vrai que vous laissez votre cœur à Jouarre. Elle verra bien les dispositions de la divine Providence, auxquelles vous devez vous conformer, à peine de déplaire à Dieu, qui vous met dans les conjonctures où vous êtes. Du reste abandonnez-vous à Dieu : je prendrai toujours intérêt à ce qui vous regardera. J'espère que Dieu me donnera son esprit, afin que je me règle sur sa volonté; et quoi qu'il arrive, vous pouvez, ma Fille, tenir pour certain que je continuerai à veiller sur vous. Il n'y a rien de vrai dans tout ce qu'on vous a dit sur mon sujet. Vivez en foi et en espérance contre l'espérance même, afin que Dieu se charge de vous par l'abandon que vous ferez de vous-même entre ses mains. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LVIII. A Germigny, ce 15 juillet 1693.

 

Vos lettres, ma Fille, contiennent deux choses ; l'une regarde la communauté : j'en conserverai la remarque, et tâcherai de tourner en bien toutes les vues qu'on peut avoir : ne doutez pas du secret et du soin particulier que je prendrai de ce qui vous touche. L'autre partie de vos lettres vous regarde vous-même : sur quoi je vous dirai en un mot que si vos peines sont augmentées,

 

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votre état n'est pas changé. Parmi ces noirceurs, vous recevrez du secours par la lecture du Cantique des Cantiques. Continuez toujours à tout exposer en sincérité, et à tout attendre en paix et avec soumission. Je ferai toujours pour vous tout ce que j'ai fait par le passé, plus ou moins selon votre besoin.

Vous pouvez dire à tout confesseur ce qui ne regarde pas votre état, vos peines particulières et vos vœux, à l'égard de leur parfait accomplissement : car pour les transgressions expresses, qui iraient à péché mortel, vous ne pourriez pas les réserver ; mais je n'en ai point encore ouï de cette nature, et ainsi je ne pense pas qu'il en arrive.

Songez, ma Fille, à cette parole du Sauveur : « Vous aurez de l'accablement dans le monde : mais prenez courage, ayez confiance ; j'ai vaincu le monde (1). » Notre-Seigneur soit avec vous.

Nous nous portons tous bien du voyage, malgré la pluie et les éclairs.

 

LETTRE LIX. A Germigny, ce 5 août 1693.

 

Pour réponse à votre dernière, je vous dirai, ma Fille, que j'ai été fort content des projets de Madame de Miramion. Je n'ai pu entrer dans aucun détail, ni sur la communauté ni sur vous, parce que je n'ai rien vu encore de déterminé : je crois pourtant que tout ira bien. J'ai fait connaître que je m'intéressais à ce qui vous touche. Je ne pense pas qu'on songe à vous mener à Paris pour cette fois : on vous trouvera nécessaire sur les lieux pour aider les nouvelles supérieures. Ne montrez aucune affectation en quoi que ce soit; mais une disposition d'esprit pliante à tout. Je ferai dans le temps ce qu'il faudra : ne soyez en peine de rien. Ne vous ouvrez de rien sur vos peines et sur ce qui vous regarde : ne découvrez de la maison que ce qui sera nécessaire. Ayez confiance en Dieu, ma Fille, il vous conduira : offrez-lui votre volonté, et faites quelques austérités dans cette intention.

J'envoie l'établissement de la nouvelle supérieure, selon qu'on me le témoigne dans la lettre de la communauté que vous avez

 

1 Joan., XVI, 33.

 

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écrite. Ne vous embarrassez de rien, ni vous, ni les Sœurs : j'ai prévu ce qui se pouvait prévoir présentement, et je continuerai de penser au reste. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LX. A Germigny, ce 7 août 1693.

 

Je n'ai point voulu, ma Fille, vous faire ce matin d'autre réponse que celle que vous avez vue. Je vous dirai à présent que j'ai prévu ce que vous souhaitiez, et que je l'avais fait par avance. On souhaite avec raison que vous demeuriez : il est à propos que vous gagniez la confiance, en entrant dans les sentiments de Madame Miramion et de ses filles, concertant le tout avec Madame de Tanqueux.

Je vous recommande de tout mon cœur à l'Epoux céleste, que je prie de vous tirer et de vous faire courir après lui. Songez à cette parole que lui adresse la sainte Epouse : Recti diligunt te (1) : « Ceux qui sont droits vous aiment; » car il est la droiture même. Agissez donc, ma Fille, dans cette occasion et dans toutes les autres de votre vie, en toute droiture et simplicité ; disant sincèrement, mais avec prudence et par degrés, tout ce qui vous paraîtra utile pour la maison, sans aucun retour à vous-même, parce que Dieu y pourvoira par sa bonté, et que j'aurai l'attention convenable à ce que vous me direz. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXI.  A Germigny, ce 10 septembre 1693.

 

Je vous donne avis, ma Fille, que j'envoie la lettre de la communauté à Madame de Miramion, avec un billet de moi, où j'entre dans vos pensées, et dans le saint empressement de vos Sœurs et de vous. Je n'ai rien à vous prescrire sur le voyage de Paris : conformez-vous à la volonté de Madame de Miramion. Je crois pourtant que le mieux est de vous garder pour la dernière. Témoignez à Madame la grande satisfaction qui me reste de

1 Cant., I, 3.

 

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l'entretien que j'ai eu avec elle : je suis aussi fort content de sa sainte et sage compagne. Il se prépare quelque chose pour la communauté, dont Dieu sera glorifié.

Les dispositions sont toujours les mêmes pour vous à Jouarre; mais l'effet ne dépend pas de là : ainsi, ma Fille, vous voyez que le parti que vous avez à prendre ne dépendant ni de vous m de moi, je ne puis rien faire sur cela que de vous remettre à la volonté de Dieu. Il faut marcher pas à pas dans cette voie, à mesure que Dieu se déclare : modérez donc sur cela vos vivacités.

Je ne manquerai pas d'offrir à Dieu cette chère âme. Je le prie que vos peines soient devant lui un sacrifice d'expiation : unissez-les à celles de Jésus-Christ délaissé, et que son délaissement soit votre soutien.

Je verrai à loisir vos doutes sur le sermon de la cène. Abandonnez-vous à Dieu en foi et en amour. Dieu soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXII.  A Paris, ce 10 septembre 1693.

 

Vous avez bien fait, ma Fille, de me proposer vos doutes, et je me crois obligé de vous satisfaire. L'épreuve que je propose touchant les péchés véniels, n'est pas toujours la confession, mais le plus souvent une généreuse attention à s'en corriger, une sainte sévérité à se condamner soi-même, et un désir de les consumer dans le feu de l'amour divin; ainsi vous n'avez rien à changer dans votre conduite.

Pour ce qui est de ce profit spirituel, que j'ai appelé l'embonpoint, qui vient d'une sage dispensation d'une bonne nourriture; s'il fallait qu'il répondit exactement à l'efficace naturelle de l’ Eucharistie, nul ne serait jamais assez digne d'en approcher : ainsi, ma Fille, il faut vous régler là-dessus par l'obéissance. On ne laisse pas les convalescents arbitres de leur nourriture ; le médecin leur prescrit le régime qu'ils doivent garder : ce qui est d'autant plus vrai dans la cure des âmes, que l'obéissance est une des plus grandes parties des remèdes spirituels. Marchez donc en confiance, et ne changez rien. Les pasteurs ont leurs règles ; ils

 

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ont pour les âmes que Dieu soumet à leur conduite, un instinct guidé par une raison que Dieu leur met dans l'esprit, et à laquelle il faut se soumettre.

Pour le reste de votre lettre, qui marque les consolations que vous recevez de mes écrits ; pourvu, ma Fille, que vous les receviez comme de Dieu, vous ne vous tromperez jamais. Je le prie qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LXIII.   A Germigny, ce 26 septembre 1693.

 

C'est bien fait, ma Fille, que de faire tout par obéissance ; ainsi je loue la pensée de consentir à l'union par ce motif-là : mais au fond l'espérance de la religion qui pourrait vous en détourner, ayant si peu de fondement, vous voyez bien qu'il n'y a point d'autre parti à prendre que celui de consentir à tout ce qui sera nécessaire pour vous conserver votre place.

Quant à ce qui est d'agir pour exécuter ce dessein, je veux bien que vous agissiez avec moi, c'est-à-dire que vous me fassiez vos propositions ; envers d'autres je ne le dois point souffrir, puisque cela n'aurait d'autre effet que celui de faire penser que vous vacillez dans votre état, et d'aliéner les esprits de vous. Ainsi, ma Fille, vous ne devez pas vous attendre que je vous permette de solliciter qui que ce soit. Si je voyois quelque jour à cela, je commencerais à agir moi-même : autrement il n'y aura qu'à demeurer en repos, et faire dans votre état ce que vous feriez si Dieu vous avait révélé que vous y demeurerez toujours. Sans cela, non-seulement il n'y a point de perfection, mais il n'y a pas même un accomplissement commun de son devoir : et comme je ne puis regarder tous vos désirs que comme un exercice que Dieu vous envoie, et je crois n'y devoir avoir aucun égard, que quand j'y verrai quelque chose de réel.

Pour ce qui est d'aller à Paris, il n'y aura point à hésiter quand Madame de Miramion le désirera : je veux bien que vous différiez, pourvu que ce soit sans montrer de la répugnance. Vous ne devez rien oublier pour gagner ces Dames; autrement vous vous

 

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feriez des affaires, et à moi aussi. Je prie Notre-Seigneur d'être avec vous.

 

LETTRE LXIV.  A Germigny, ce 13 octobre 1693.

 

Commençons par les choses extérieures. Je n'ai point douté, ma Fille, de ce qui arriverait à Jouarre. Madame l'abbesse m'a témoigné pour vous tous les sentiments qu'on peut souhaiter, et vous pouvez compter sûrement sur ce qu'elle vous a promis.

Prenez garde comme vous parlerez et agirez avec Madame. Car si on va une fois se persuader que vous demeurez à contre-cœur dans votre vocation, on entrera naturellement dans des défiances qui vous attireront bien des croix. Le fond de ma conduite envers vous ne changera pas. Pour l'union, nous ajusterons les petites choses à l'ordre commun, autant que la prudence le permettra.

Je ne vois pas qu'il serve beaucoup de penser présentement à ce que l'on fera après l'union : A chaque jour suffit sa malice (1). C'est là une excellente instruction de Notre-Seigneur, et la plus propre que je connaisse à modérer les activités inquiètes. C'est, ma Fille, la seule chose, ou la principale à laquelle vous devez travailler à présent. Il faut être sous la main de Dieu, et se laisser manier conformément à son attrait, et (a) lui donnant précisément ce qu'il demande, ni plus ni moins. Par cette souplesse on attire son attention à nous conduire ; et autrement on trouble son action, on la devance, on la ralentit ; on n'est propre ni au frein ni à l'éperon. Je vous ai comparée, ma chère Epouse, à une cavale docile: je vous ai mise sous le joug; marchez avec moi. Tâchez, ma Fille, de modérer cette activité et ces vaines pensées dont vous êtes agitée sur votre désir : entrez dans un véritable abandon. Le moyen qu'il tienne les sens dans le calme et (b) sous le joug, c'est de le faire sans réserve, en éteignant ce feu naturel. Ne vous étonnez pas de demeurer comme sans action, et gardez-vous bien de croire que Dieu s'éloigne de vous pour cela; pourvu qu'on ne perde jamais courage, tout est bon.

 

1 Matth., VI, 34.

(a) Var. : En. — (b) Les sens dans le calme et les passions sous le joug.

 

 

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Je ne doute point que ce désir de la religion ne vous nuise en beaucoup de choses : d'autre part, c'est un feu qui vous épure, et qui dévoie vos fautes, vos activités, et vous rendra plus agréable à l'Epoux céleste. Ce n'est pas à renouveler vos intentions, ni par de nouveaux faits (a), que vous entrerez dans ses voies ; c'est en vous accommodant à ses volontés, et en mettant là tout votre soutien. Dites les psaumes XXXIX, XLIV et XLVII : vous en serez consolée. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXV. A Meaux, ce 3 novembre 1632.

 

Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, le cœur dégagé de tout ; car ils verront Dieu (1).

Je serai, ma Fille, ce soir à Germigny, s'il plaît à Dieu; samedi et les autres jours suivants à Conlommiers, et à Faremoutier, et peut-être ailleurs : je ne puis rien assurer. S'il arrive que dans ce temps on vous presse d'aller à Paris, marchez en foi. S'il vient des croix, hé! pourquoi êtes-vous faite? Si Dieu permet que je vous voie auparavant, à la bonne heure; sinon je suis assuré que Dieu vous soutiendra. Sa volonté ne paraît jamais plus clairement aux hommes que par la nécessité. Adorez donc la volonté de Dieu dans la nécessité où il vous met : réservez-lui votre intérieur, et donnez au dehors tout ce que l'on souhaitera de vous. Parlez franchement sur les affaires de la maison, quand on vous interrogera, et même sans scrupule : j'y mets toujours la condition qu'on vous le demande, ou que les choses soient si importantes d'elles-mêmes, qu'elles exigent qu'on en parle. Favorisez toujours l'union. Que vous fera-t-on? Vous empêchera-t-on de trouver Dieu partout, faible et trop vile créature? Qui peut contraindre l'amour, et empêcher le cœur de s'y livrer? Dieu est amour (2). Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

1 Matth., V, 8. —  2 I Joan., 4, 8.

(a) Var. : Ni à faire de nouveaux faits.

 

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LETTRE LXVI. A Meaux, ce 15 décembre 1693.

 

J'ai, ma Fille, reçu ce matin votre lettre, et ce soir l'on m'a apporté la boîte où étaient les saints instruments de la sépulture mystique de Notre-Seigneur : je vous promets qu'ils serviront aux jours que vous souhaitez, et que je ferai sur le sacré corps et sang du Sauveur les prières que vous me demandez. Il y avait dans la même boîte un écrit de vous (a), que je verrai le plus tôt qu'il me sera possible. Je suis accablé de soins pour les pauvres.

Il me semble que le moyen de sortir de l'embarras où vous êtes, est de vous en tenir à dire, comme je vous l'ai marqué, que vous êtes prête à tout de votre côté; mais qu'il faut me référer tout, avant que de faire aucun changement, et attendre mes ordres. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE LXVII.  A Versailles, ce 26 décembre 1693.

 

Non, ma Fille, ce n'est point oubli, ni faute d'avoir lu très-exactement votre écrit, que je ne vous ai point fait de réponse : c'est premièrement manque de loisir; c'est secondement qu'avant de vous répondre à fond, il faut que je vous entende sur quelques endroits de votre écrit ; cela est difficile à traiter par lettre. Cependant, quoique je ne vous aie pas fait de réponse, je n'en ai pas moins pensé à vous, puisque je vous ai offerte avec toutes vos peines et vos bons désirs sur le corporal, et avec la palle et le purificatoire que vous m'avez envoyés, et cela dans les trois messes solennelles de Noël et dans celle de saint Etienne.

Je suis très aise que vous fassiez votre retraite : il est malaisé que j'entre dans le détail des matières que vous aurez à y méditer. Les Evangiles du temps où nous sommes fournissent un si beau sujet ! Joignez-y les psaumes : Misericordias Domini, Dixit

 

(a) Var. : Un écrit.

 

 

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Dominus, et Memento, Domine, David, avec le commencement du chapitre IX d'Isaïe, par où commence la messe d'hier. Priez Dieu qu'il vous fasse connaître sa volonté, et occupez-vous bien de l'avènement du saint Epoux, qui veut venir dans les âmes pour les remplir. Il faut être toute changée, pour le désirer et l'appeler. Il viendra, ma Fille, et ne vous quittera pas ; savoir s'il accomplira tous les désirs qu'il vous inspire, je n'y vois pas plus clair que ci-devant, ni rien qui avance de quelque côté que ce soit : ainsi je ne change point de sentiment. Accommodez-vous à la disposition des choses, et entrez dans les desseins de ceux de qui vous dépendez.

Je ne sais pourquoi Dieu vous donne tant de vues, et qu'il m'en donne si peu, si ce n'est apparemment qu'il veut vous exercer par un saint désir dont il ne veut pas l'accomplissement; ou ne le veut pas quant à présent, puisqu'il n'y donne aucune ouverture. Adorons Dieu en humilité et eu confiance. Je suis tout à vous, ma Fille, en son saint amour.

 

LETTRE LXVIII.  A Paris, ce 5 janvier 1694.

 

J'arrivai hier au soir, ma Fille, et je suis obligé d'aller à Versailles : je reviendrai le plus tôt qu'il me sera possible, et assurément dans peu de jours s'il plaît à Dieu; je me ferai du temps autant que je pourrai, pour vous en donner tout celui qui vous sera nécessaire.

Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous durant cette sainte retraite. Je n'oublie point de prier Dieu pour obtenir la délivrance de vos peines : mais je ne veux point que vous fassiez dépendre de là votre repos, puisque Dieu seul et l'abandon à sa volonté en doit être l'immuable fondement. C'est l'ordre de Dieu; et je ne puis le changer, ni je ne le veux, parce qu'il n'y a rien de plus aimable ni de meilleur que cet ordre, dans lequel consiste la subordination de la créature envers Dieu. Je le prie do tout mon cœur d'être avec vous.

 

(a) Var. : Je reviendrai dans peu de jouis, s'il plaît à Dieu.

 

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LETTRE LXIX. A Paris, ce mercredi matin 1694.

 

Je ne vois rien, ma Fille, de plus pressé à vous dire sur vos peines, sinon que dans cet état où vous êtes attirée, Dieu aura fort agréable que vous conteniez tout l'extérieur ; que vous livriez votre cœur au céleste Epoux, en le lui laissant, plutôt prendre que de le lui donner vous-même; et que ne vous permettant nul appui sensible, vous portiez en patience, aussi pure que vous pourrez, l'effort du dedans. C'est un grand précepte pour vous que celui-là, et c'est ce que demande la perfection et la pureté de l'attrait qui vous presse.

Ne soyez point en peine de votre dernière confession, non plus que des peines que vous m'avez exposées. Mettez votre volonté dans celle de Dieu. Qu'il vous tienne : si vous le faites avec un plein abandon, il vous tiendra d'autant plus, que vous semblerez davantage à chaque moment vous échapper à vous-même. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous. Je vous donnerai quelque temps, s'il plaît à Dieu; mais je ne sais quand : car mes journées sont si remplies, que j'ai peine à en être le maître. Marchez cependant, ma Fille, avec confiance, et soyez fidèle.

La traduction de M. le Tourneux (a), est conforme au latin et à l'original. Le sens est que par la malice de l'homme, Dieu est en quelque sorte changé ; et que lui, qui par sa nature est la bonté même, devient implacable envers les pécheurs, ne songeant qu'à leur mal faire, au lieu que par lui-même il n'a que des pensées de douceur.

 

LETTRE LXX. A Meaux, ce 22 mars 1694.

 

Je suis bien aise, ma Fille, que votre affaire soit consommée. Je serai vendredi au soir de retour ici ; vous pourrez m'écrire les vues qui vous viendront. Laissez-vous conduire à l'Esprit de Dieu, et acceptez cet esprit de componction, comme il vous le

 

(a) Var. : Dans son Année chrétienne.

 

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donne. Ce sera un saint exercice de lire le chapitre X de l’Epître aux Hébreux, pour entrer dans ce saint temps de pénitence et dans les approches de la passion de Jésus-Christ en un état de soumission à la volonté de Dieu, par là devenir avec Jésus-Christ une victime et lui offrir votre coeur, afin qu'il y écrive sa loi, comme saint Paul l'enseigne au même chapitre. Je vous donne ce chapitre à lire en huit jours, en commençant dimanche prochain. Les trois premiers jours (a) de cette octave vous réciterez avec un jour d'interruption le psaume XC, Qui habitat ; et dans le jour qui demeurera libre, trois fois aussi le psaume XXXIX, qui commence ainsi : Expectans expectavi.

La disposition où je souhaite que vous entriez, ma Fille, est celle de vous abandonner à la volonté de Dieu avec une pleine confiance, pour en être la victime, et mettre tout votre refuge entre ses bras tout-puissants et paternels. Pour entrer profondément dans cet esprit de componction où Dieu vous attire, vous direz la nuit du jeudi au vendredi saint le psaume XXXI, Beati quorum; appuyant sur ces paroles dùm configitur spina, « pendant que l'épine s'enfonce ; » appliquant ce verset à la componction qui perce le cœur, et priant aussi Jésus-Christ de percer le vôtre de ses épines.

Il faudra dire encore le psaume CXXIX, se regardant dans la plus profonde malice et corruption, comme morte dans le péché; et comme ne vivant plus que par la divine miséricorde. La même nuit, lire l'évangile de la sainte pécheresse aux pieds de Jésus-Christ, en saint Luc, chapitre VII, verset 16, jusqu'à la fin ; le chapitre XV de saint Luc, et le chapitre XVIII jusqu'au verset 15.

Le samedi saint, le psaume LXXXVII, se regardant dans le tombeau parmi les morts avec Jésus-Christ, et appuyant sur ce mot : Libre entre les morts. Jésus-Christ seul l'a été, parce qu'il pouvait ressusciter quand il voulait ; et nous avons en lui cette liberté. Le même jour, après avoir reçu l'absolution, le psaume en pour goûter la grâce de la rémission des péchés. Le même jour, allez lire devant le saint Sacrement le dernier chapitre de saint

 

(b) Var. : Trois jours.

 

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Matthieu, jusqu'au verset 16, lui portant comme un baume le plus précieux la componction de ses péchés, et la foi de sa résurrection que les hommes semblaient vouloir empêcher.

Le lendemain dès le matin, le psaume XV, qui est celui de la résurrection de Jésus-Christ ; vous unissant à la sainte société de l'Eglise, unie non par le sang et l'immolation des victimes mortes, mais par celui de Jésus-Christ ressuscité, ainsi qu'il est expressément prédit dans les versets 8, 9 et 10 de ce psaume, selon que l'interprète saint Pierre dans les Actes, chapitre II, verset 25 jusqu'au 41. L'après-dinée venez, ma Fille, apprendre au sermon la vertu de la résurrection de Jésus-Christ, et priez-le que je traite dignement un si grand mystère.

Je ne vous oblige pas à lire de suite les chapitres; vous avez huit jours pour cela. Arrangez de même en huit jours les Psaumes, comme vous voudrez. Arrêtez-vous où l'attrait de l'oraison vous prendra. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE LXXI.  A Paris, ce mercredi matin 1694.

 

Il n'était pas nécessaire, ma Fille, de vous répondre sur toutes vos peines : c'est assez de vous avoir dit de passer outre ; car c'en est assez pour vous faire voir qu'il ne s'y faut point arrêter.

Ce n'est pas à nous de savoir quand, ni comment Dieu accomplit les promesses de donner à ceux qui demandent : ses refus sont souvent un don plus précieux que ne seraient ses dons (a) mêmes. Abandonnez-vous à sa volonté ; Dieu cache ses dons comme il lui plaît.

Je ne vous empêche point dans l'oraison de recevoir les grâces du divin Epoux, ni d'épancher votre cœur en son amour (b), quand l'attrait le demandera. Je ne vous défends, ma Fille, que ce qui serait trop sensible. L'oraison que je vous prescris n'est principalement que pour le temps de sécheresse, et lorsque le reste vous sera dénié. Au reste cette oraison ne diminue pas l'amour, elle le redouble, plutôt, en liant plus étroitement notre

 

(a) Var. : Les dons. — (b) En son divin amour.

 

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volonté à celle de Dieu : c'est le seul bien qui peut remplir le vide du cœur.

Prenez bien garde, ma Fille, que je ne vous défends pas l'action, ce n'est pas là mon esprit, mais que (a) je veux seulement que vous écoutiez Dieu plutôt que toute autre chose, sans vous exclure néanmoins de baiser humblement les pieds de votre crucifix, et de le baigner de larmes, si Dieu vous en donne.

Quant à l'oraison, je n'y sais rien, sinon que la meilleure est celle où l'on s'abandonne le plus à la disposition que Dieu met dans l’âme, et où l'on s'étudie avec plus de fidélité à se conformer à sa volonté.

Je ne comprends pas bien encore cette difficulté de penser à vos péchés, qu'il me semble n'avoir point encore observée en vous : ne forcez rien, et ne laissez pas de communier, comme vous feriez sans cela.

J'ai été bien aise, ma Fille, de vous répondre sur les difficultés de votre dernière lettre avant mon départ, quelque peine que j'aie eue à en trouver le temps. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LXXII. A Meaux, ce 4 mai 1694.

 

Je consens à votre vœu, ma Fille, autant qu'il plaira à Dieu de vous donner les moyens de l'exécuter.

La personne dont vous m'écrivez est une personne que Dieu exerce : je crois qu'il la veut à lui d'une façon particulière. Dites-lui qu'elle se soumette à son directeur et à son confesseur ordinaire, quelque opinion qu'elle ait qu'on ne la connaît pas (b) ; qu'elle soit assidue à l'oraison, et qu'elle communie souvent : vous pouvez, ma Fille, l'assurer de ma part que Dieu l'aura pour fort agréable. Je suis bien aise qu'elle se soit expliquée à vous. Consolez-la, et dites-lui bien que les âmes que Dieu veut à lui, il les fait ordinairement passer par ces exercices, pendant lesquels une des parties les plus essentielles de la fidélité est l'oraison et la communion. Faites ce que Dieu vous inspirera pour elle : ce

 

(a) Var. : Puisque je veux. — (b) Qu'on ne la connaisse pas.

 

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que vous lui avez dit est très-bon. Pour le surplus croyez, ma Fille, que je ne trouve point du tout mauvais que vous me parliez pour ceux qui vous en prieront, quoique j'oublie quelquefois de marquer (a) que j'ai reçu les propositions que vous me faites. Je me joins à vos prières pour M. votre fils; je souhaite que vous lui soyez une autre sainte Monique. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LXXIII. A Germigny, ce 10 mai 1694.

 

Quand cette personne m'écrira, je lui répondrai selon Dieu. Exhortez-la, ma Fille, à la communion : dites-lui qu'elle ne soit point inquiète de ses sécheresses ; qu'elle songe seulement que l'ouvrier invisible sait agir sans qu'il y paroisse, et que le tout est de lui abandonner secrètement son cœur pour y faire ce qu'il sait, et de ne perdre jamais la confiance non plus que la régularité aux exercices prescrits de l'oraison et de la communion, sans avoir égard aux goûts et aux dégoûts qu'on y ressent, mais dans une ferme foi de son efficace cachée. Ce n'est point par goût, et encore moins par raison ou par aucun effort qu'elle sera soulagée : c'est par la seule foi obscure et nue, par laquelle se mettant entre les bras de Dieu et s'abandonnant à sa volonté, en espérant contre l'espérance, comme dit saint Paul (1). Je la lui donne pour guide dans ce chemin ténébreux, et c'est lui donner le môme guide qui conduisit Abraham dans tout son pèlerinage (2). Qu'elle communie donc sans hésiter dans cette foi, et qu'elle fasse de même ses autres fonctions, sans faire aucun effort pour sortir de son état. Car elle doit être persuadée que plus Dieu la plongera dans l'abîme, plus il la soutiendra secrètement par la main : il n'y a point de temps à lui donner, ni de bornes à lui prescrire. Quand elle n'en pourra plus, il sortira des ténèbres un petit rayon de consolation qui lui servira de soutien. J'approuve le prosternement pour l'intention que vous me

 

1 Rom., IV, 18. —  2 Gen., XV, et seq.

(a) Var. : Qui vous en prieront. J'oublie quelquefois de marquer...

 

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à vous en confesser, mais toujours agir avec moi à votre ordinaire, Dieu le voulant ainsi.

Laissez là ce sacrilège véniel, et cette doctrine alambiquée de ce bon Père, de la contrition pour les péchés de tous les jours. Quoiqu'on les commette toujours, on doit toujours en gémir, et c'est bien fait de s'en confesser et au prêtre et à Dieu même : cette disposition est très-suffisante.

Laissez là aussi ces péchés mortels sur les défauts d'application à la perfection qu'on se sera proposée, ou même qu'on aura vouée en un certain sens.

Vous avez bien fait de faire vos pâques. Je vous ai donné tous les éclaircissements que je pouvais sur les matières que votre prédicateur a remuées ; demeurez donc en repos, ma Fille : vous en savez assez sur ce sujet-là, et je n'ai rien oublié de ce dont il fallait vous instruire. Attendez les consolations du cher Epoux, non selon votre volonté, mais selon la sienne, et donnez à aimer tout le temps que vous avez. Je le prie d'être avec vous.

 

LETTRE CXXIV.  A Paris, ce 20 mai 1696.

 

J'ai reçu, ma Fille, votre lettre : je ne vois pas que rien vous doive empêcher de communier tous les jours durant votre retraite. Allez bride en main pour les austérités, et ne faites rien sans obéissance. Prenez les rigueurs de l'Eglise dans les austérités de la règle et les observances du saint monastère où vous êtes ; prenez-les encore, ma Fille, dans le soin que vous avez de la personne que vous savez; prenez-les dans toutes les peines et les contradictions que vous avez à souffrir; prenez-les dans les peines que je pourrai vous imposer, si je le trouve à propos.

Vous pourrez me faire votre revue, et me dire toutes vos peines. Espérez en Dieu; je vous mets entre ses bras. N'hésitez point à lire sainte Gertrude, ni tous les auteurs des anciennes Vies des Saints. Unissez-vous au saint Epoux, et attendez mes réponses durant cette octave. Je vous renvoie tous vos vœux, ma Fille, selon votre désir, et je vous permets de les renouveler ; je

 

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les reçois et je les bénis : celui de pauvreté est celui de tous que j'aime le plus. Je vous permets tout ce que vous avez pour votre usage, et je vous assure que la sainte pauvreté n'y est point blessée.

Je vous enverrai bientôt de la nourriture ; car j'ai poussé les Méditations sur les mystères jusqu'au point que je voulais, qui est le moment de l'incarnation. Je tâcherai de vous bénir au sortir de votre retraite, et je le fais en esprit.

 

LETTRE CXXV. A Meaux, ce 29 mai 1096.

 

Vous avez trop présumé, ma Fille, quand vous avez cru pouvoir, sans l'obéissance, pratiquer des austérités; je vous les défends. Les pressements du dedans, quand ils vont à exécuter quelque chose au dehors, sont de droit soumis à l'obéissance : ne pensez pas à vous en affranchir.

Si je passe à Jouarre, en allant à Rebais, le lundi de la Pentecôte, ce sera comme un éclair ; ainsi n'attendez pas ce passage pour vous déterminer sur votre retraite : commencez-la la veille de l'Ascension de grand matin puisque c'est de ce mystère que dépendait la descente du Saint-Esprit, à condition que le jour du saint Sacrement vous ferez une petite récollection. Laissez-vous pousser à bout sur tous les versets que vous me marquez, quelque effrayantes que soient les vérités que vous y voyez. Ecrivez vos vues principales, et me les envoyez ; je les brûlerai, ou je les garderai, selon que Dieu voudra.

Je sais qu'il veut que vous demeuriez unies Madame d'Albert et vous, d'une manière entièrement surnaturelle: faites-le donc, et rendez-lui tous les services que ses maux demandent. Rendez le change à l'Epoux céleste : si son amour est insatiable, que le vôtre le soit aussi : plus il vous demande, plus il lui faut demander; point de bornes de côté et d'autre.

Lisez les vers tant que vous voudrez ; j'ai des raisons pour ne vouloir pas qu'on en donne des copies à qui que ce soit. Je veux

 

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bien que vous les fassiez voir à celles que vous me marquez. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CXXVI.  A Germigny, ce 30 mai 1696.

 

Ne craignez point, ma Fille ; ce qui se passe en vous n'a rien de suspect. Tout y est au contraire véritable et réel; c'est le, manifeste accomplissement de votre songe, de celui que vous fîtes en veillant dans le chœur de l'Eglise. Le feu que vous avez senti, n'est pas un feu de la basse région: c'est un feu qui va mutuellement du cœur au cœur ; c'est ce feu que l'Epoux céleste vient allumer sur la terre. Il ne faut point douter qu'il n'ait quelque chose qui ressemble à celui que vous dites. Car celui-là, du côté où il aspire à la totale union, en est, selon saint Paul (1), le mystère, le sacrement, la plus excellente et la plus réelle figure. Ainsi abandonnez-vous à vos désirs ; car cela est en même temps s'abandonner à tous les désirs de l'Epoux céleste.

Toutefois la dernière marque de la réalité de ce chaste mariage, de cette jouissance, de cette union, ce sera le changement de la vie : mais vous ne devez pas croire que cette marque puisse, ou doive vous être sensible. Votre Epoux vous changera insensiblement : je serai aux portes pour veiller à ce qui se passera, et vous garantir de toute illusion ; c'est là ma charge : mais je n'aurai d'autre part que celle-là à ce que l'Epoux voudra faire. Il s'est réservé cette opération, et non-seulement la sienne, mais encore la correspondante. Ainsi ce que dit sainte Thérèse est très-véritable, qu'il doit suivre un changement dans la vie ; mais à la manière que je viens de dire, sans que l’âme songe seulement à se juger elle-même. Les épreuves où le saint Epoux la met après sa jalousie plus forte que l'enfer (2), demandent un grand courage, et qui soit au-dessus de tout, au-dessus des peines, comme au-dessus des caresses.

C'est dans le fond ce que veut dire sainte Catherine de Gènes : qu'il ne faut point s'attacher aux caresses comme caresses, ni aux

 

1 Ephes., V, 32. —  2  Cant., VIII, 6.

 

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douceurs comme douceurs, en s'y arrêtant; mais les recevoir comme des moyens donnés par l'Epoux pour s'attacher à lui. Il a été donné à sainte Catherine de Gênes de faire une espèce de séparation entre les dons de Dieu et Dieu même, pour faire entendre avec plus de précision que le don intérieur à l’âme n'étant pas Dieu, il n'est pas permis de s'y attacher comme à sa fin : mais de la façon que vous agissez, ou dont Dieu se fait sentir, c'est dans le fond la même chose. Sainte Catherine de Gênes fait une abstraction qui a sa bonté, mais qui n'est pas absolument nécessaire.

L'Epoux vous fait sentir les choses comme il les veut en effet, comme il les pratique, comme il les exerce : allez donc en sûreté, ma Fille, et tenez-vous aussi assurée que si j'avais répondu plus amplement ; car j'espère que vous sentirez que je satisfais à tout. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CXXVII.  A Germigny, ce 1er juin 1696.

 

Oui, ma Fille, encore un coup, je veillerai à la porte, pour empêcher l'ennemi de vous troubler dans votre chaste union avec le saint Epoux. Comme ce feu est dévorant, il ne faut pas s'étonner qu'il soit aussi épuisant, encore moins qu'il sépare et détruise les créatures ; non afin qu'on les abandonne contre l'ordre de la charité, mais afin qu'on le cherche en elles, qu'on l'y trouve, qu'on l'y possède, ou plutôt qu'on les trouve et qu'on les embrasse en lui en unité d'esprit.

Votre soutien doit être la communion : jouissez-en tous les jours, puisque Dieu vous a mise en heu où vous pouvez, sans qu'on vous épilogue et sans qu'on vous méprise, baiser en liberté ce cher petit frère, qui tous les jours s'apetisse pour s'unir à nous, et tous les jours aussi nous rend nous-mêmes plus petits. C'est un enfant, c'est un homme fait ; il enferme la beauté de tous les âges : il a même des cheveux blancs, dans l’Apocalypse (3), comme son Père dans Daniel », en figure de sa gloire et de son

 

1 Apoc., I, 14. — 2 Dan., VII, 9.

 

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éternité : car comme Dieu, il est avant tous les temps ; et comme homme, il a été, il est et il sera, hier, aujourd'hui et aux siècles des siècles ; hier attendu, aujourd'hui donné, et prêt à se donner encore plus au siècle futur.

Pour le choix d'un confesseur, j'ai ouï dire qu'il y avait chez vos voisins des hommes fort spirituels et fort intérieurs : le saint Epoux vous les fera trouver. Vous n'avez que faire de vous expliquer sur le particulier de votre intérieur, et des grâces que vous recevez, qui toutes pures qu'elles sont, veulent être mystérieuses et secrètes. Ne dites donc rien exprès ; mais s'il plaît au chaste Epoux de dilater votre cœur, ne le fermez pas ; vous avez alors la liberté.

Je me réjouis de vous voir en solitude au milieu du monde, et dans une si grande et si superbe maison (a). Vous ne vous trompez pas dans l'impression que vous avez prise de M. le duc de Chevreuse ; vous en aurez une semblable de Madame la duchesse quand vous la verrez. Vivez humble, vivez cachée et dans le néant ; silence, retraite, solitude. Chantez l'hymne que je vous ai envoyé, qui est pour vous en beaucoup d'endroits, et dans son tout à toutes les âmes. Jésus vous bénisse, ma Fille.

 

LETTRE CXXVIII. A Germigny, ce 11 août 1696.

 

Je ne manquerai pas, ma Fille, d'offrir demain le saint sacrifice pour l’âme qui vous est chère : cette incertitude vous est terrible ; mais comme elle est du conseil de Dieu, il la faut adorer.

Vous avez fait de la taille et des petits renards l'application que je souhaitais (1). Continuez vos communions malgré vos peines : elles serviront ou à corriger tout à fait les défauts que vous déplorez avec raison, ou à vous en faire tirer le profit pour lequel Dieu les permet. J'approuve ces communions dérobées (b), pour ainsi parler, et sans de particulières préparations. La perpétuelle

1 Cant., II, 12, 13.

(a) L'hôtel de Luynes où elle avait accompagné Madame d'Albert, que ses infirmités avaient obligée de venir à Paris. — (b) Cette personne avait souvent occasion de communier sans qu'on s'en aperçût. (Les édit.)

 

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préparation est dans le fond du chaste et saint amour : ainsi vous pouvez continuer ; vous pouvez dans les cas ordinaires communier sans vous confesser, le temps que vous me marquez, et même plus sans hésiter.

Je vous envoie le reste des vers sur le Cantique, aux conditions que vous me proposez, pour ces Dames et pour vous. Dieu soit avec vous.

 

LETTRE CXXIX.  A Paris, ce samedi au soir 1696.

 

Les meilleures mesures que vous puissiez prendre, ma Fille, contre les faiblesses que vous me marquez, c'est de vous en confondre devant le saint Epoux. Dans la familiarité qu'il donne à sa chaste Epouse, elle lui parle de sa petite sœur ; mais sans la reprendre et dans le seul dessein de lui profiter : faites-en de même ; celle qu'on croit la petite sœur, c'est-à-dire faible, est la grande à son tour, et parle à l'Epoux pour nous, comme nous pour elle. Agissez comme si vous m'aviez parlé ; soyez soumise au premier mot. Il se trouvera du temps pour s'occuper de l'effet des vers du saint Cantique.

Vous me ferez plaisir de prier la sainte Vierge pour moi : demandez-lui qu'elle vous obtienne le vin de la charité, le courage nécessaire pour porter vos peines. S'il vous paraît qu'elle n'est pas écoutée d'abord pour vous, ne vous rebutez non plus qu'elle. Ecoutez ce qu'elle vous dit : Faites tout ce qu'il vous dira (1). Soyez attentive, ma Fille, à ses exemples et à ses préceptes ; tout viendra en son temps. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CXXX. A Germigny, ce 25 septembre 1696.

 

Vous avez bien fait, ma Fille, de ne pas venir. Je suis très-aise de vous voir dans la résolution de ne quitter madame d'Albert que le moins que vous pourrez.

1 Joan., II, 5.

 

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Ne vous tourmentez point à juger de ce qui met des oppositions à votre salut : telle chose que vous croyez qui vous en éloigne, en est un avancement selon les ordres cachés du chaste Epoux. Quant aux communions, allez votre train, en foi et en espérance, sans vous arrêter.

Je ne crois pas que vous deviez présentement communier tous les jours à cause des embarras d'affaires que vous avez, mais néanmoins très-souvent, et en cela on doit suivre l'instinct de la grâce dans une sainte liberté d'esprit.

Je ne comprends pas votre répugnance à confesser la peine dont vous me parlez : il ne faut guère user de ces réserves ; mais faire tout pourtant sans anxiété. Votre conduite doit être de vous en confesser régulièrement, quand vous en serez plus vivement reprise ; du reste, allez en liberté, sans vous arrêter.

Dans ces douces invitations de l'Epoux céleste, je voudrais que ce qui vous inquiète fût banni ; mais cela ne doit point vous embarrasser. Etre trop attentive à repousser les inquiétudes, c'est souvent un moyen de les faire venir plus tôt ; laissez-les aller et venir.

Vous pouvez me demander ce que vous voudrez, pourvu que vous ayez le cœur soumis à mon silence : car ne savez-vous pas, ma Fille, qu'il y a des choses qui doivent venir d'en haut? J'approuve sur la pauvreté ce que vous m'exposez. Prenez garde de vous accoutumer à faire dépendre vos communions de mes réponses ; ces manières ne sont pas de mon esprit. Je vous mets en la garde de celui qui est l'auteur de vos peines, et je vous défends en son nom de rien changer dans vos communions, dans vos oraisons et dans tout l'extérieur de votre conduite : scyez-en maîtresse, et assurez-vous que Dieu a un regard sur vous, et tiendra l'ennemi en bride. Je le prie d'être avec vous, ma Fille.

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