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LETTRE LXXI. 
BOSSUET A M. DE MALEZIEU, CHANCELIER DE DOMBES. Ce 19 mai 1102.

 

Permettez-moi, Monsieur, dans la longueur et dans l'importance du discours que j'ai à vous faire, d'épargner ma main et vos yeux. J'ai achevé mes remarques sur le Nouveau Testament en question. Leur nombre et leur conséquence se trouvent beaucoup

 

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plus grands que je ne Pavais pu imaginer : erreurs, affaiblissement des vérités chrétiennes, ou dans leur substance, ou dans leurs preuves, ou dans leurs expressions, en substituant ses manières propres de parler à celles qui sont connues et consacrées par l'usage de l'Eglise, ce qui emporte une sorte d'obscurcissement ; avec cela singularités affectées, commentaires, ou pensées humaines et de l'auteur à la place du texte sacré, et autres fautes de cette nature se trouvent de tous côtés.

Il m'arrive ici à peu près ce qui m'arriva avec feu M. le Chancelier le Tellier, au sujet de la Critique de l'Ancien Testament du même auteur. Ce livre allait paraître dans quatre jours, avec toutes les marques de l'approbation et de l'autorité publique. J'en fus averti très-à propos par un homme bien instruit, et qui savait pour le moins aussi bien les langues que notre auteur. Il m'envoya un index et ensuite une préface, qui me firent connaître que ce livre était un amas d'impiétés et un rempart du libertinage. Je portai le tout à M. le Chancelier, le propre jour du jeudi saint. Ce ministre en même temps envoya ordre à M. de la Reynie de saisir tous les exemplaires. Les docteurs avaient passé tout ce qu'on avait voulu, et ils disaient pour excuse que l'auteur n'avait pas suivi leurs corrections. Quoi qu'il en soit, tout y était plein de principes et de conclusions pernicieuses à la foi. On examina si l'on pou voit remédier à un si grand mal par des cartons ; car il faut toujours tenter les voies les plus douces : mais il n'y eut pas moyen de sauver le livre, dont les mauvaises maximes se trouvèrent répandues partout : et après un très-exact examen que je fis avec les censeurs, M. de la Reynie eut ordre de brûler tous les exemplaires, au nombre de douze ou quinze cents, nonobstant le privilège donné par surprise, et sur le témoignage des docteurs.

Le fait est à peu près semblable dans cette occasion. Un savant prélat me donna avis de cette nouvelle version comme s'imprimant dans Paris, et m'en fit connaître les inconvénients. Dans la pensée où j'étais, j'allai droit, comme je le devais, à M. le cardinal de Noailles. J'appris de lui que l'impression se faisait à Trévoux. Il ajouta qu'il me priait de voir le livre, et me fit promettre de

 

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lui en dire mon avis, ce que je ne devais pas refuser : mais je crus qu'il fallait aller à la source du privilège. Je vous ai porté une plainte à peu près de même nature que celle que j'avais faite contre la Critique du Vieux Testament. Vous y avez eu le même égard, et tout est à peu près semblable, excepté que je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en venir ici à la même extrémité. Car j'espère qu'à force de cartons on pourra purger l'ouvrage de toutes erreurs et autres choses mauvaises, pourvu que l'auteur persiste dans la docilité qu'il a témoignée jusqu'ici, et que l'on revoie les cartons avec le même soin qu'on a fait l'ouvrage. Mais voici un autre inconvénient, c'est que le livre cependant s'est débité. On aura beau le corriger par rapport à Paris, le reste du monde n'en saura rien ; et l'erreur aura son cours et demeurera autorisée.

Vous voyez bien, Monsieur, que pour parer ce coup on ne peut se dispenser de relever les corrections ; et si j'avais à le faire, je vous puis bien assurer sans présumer de moi-même, qu'en me donnant le loisir d'appuyer un peu mes remarques, je ne laisse-rois aucune réplique. Mais l'esprit de douceur et de charité m'inspire une autre pensée : c'est qu'il faudrait que l'auteur s'exécutât lui-même; ce qui lui ferait dans l'Eglise beaucoup d'honneur, et rendrait son ouvrage plus recommandable, quand on verrait par quel examen il aurait passé. Il n'y va rien de l'autorité du prince ni du privilège : on sait assez que tout roule ici sur la foi des docteurs, à qui, s'il paraît un peu rude de faire paraître leurs inadvertances, il serait beaucoup plus fâcheux de se voir chargés des reproches de tout le public. Ainsi il vaut mieux qu'on se corrige soi-même volontairement.

C'est l'auteur lui-même qui m'a donné cette vue. Il se souviendra sans doute que, lorsqu'on supprima sa Critique du Vieux Testament, il reconnut si bien le danger qu'il y avait à la laisser subsister, qu'il m'offrit, parlant à moi-même, de réfuter son ouvrage. Je trouvai la chose digne d'un honnête homme; j'acceptai l'offre avec joie, autant que la chose pouvait dépendre de moi ; et sans m'expliquer davantage, l'auteur sait bien qu'il ne tint pas à mes soins que la chose ne fût exécutée. Il faudrait rentrer à

 

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peu près dans les mêmes errements, la chose serait facile à l'auteur; et pour n'en pas faire à deux fois, il faudrait en même temps qu'il remarquât volontairement tout ce qu'il pourrait y avoir de suspect dans ses critiques. Par ce moyen, il demeurerait pur de tout soupçon et serait digne alors qu'on lui confiât la traduction de l'Ancien comme du Nouveau Testament.

Je puis vous dire avec assurance que ses Critiques sont farcies d'erreurs palpables. La démonstration en est faite dans un ouvrage qui aurait paru il y a longtemps (a), si les erreurs du quiétisme n'avaient détourné ailleurs mon attention. Je suis assuré de convenir de tout en substance avec l'auteur. L'amour et l'intérêt de la vérité, auxquels toute autre raison doit céder, ne permet pas qu'on le laisse s'autoriser par des ouvrages approuvés, et encore par des ouvrages de cette importance. Il faut noter en même temps les autres qu'il a composés, qui sont dignes de répréhension : autrement le silence passerait pour approbation. Un homme de la main de qui l'on reçoit le Nouveau Testament doit être net de tout reproche. Cependant on ne travaille qu'à donner de l'autorité à un homme qui n'en peut avoir qu'au préjudice de la saine théologie : on le déclare déjà le plus capable de travailler sur le Nouveau Testament, jusqu'à le donner pour un homme inspiré par les Evangélistes eux-mêmes dans la traduction de leurs ouvrages. C'est l'éloge que reçoit l'auteur dans l'épitre dédicatoire : ce qu'on prouve par le jugement des docteurs nommés par Son Altesse Sérénissime.

Un tel éloge donné sous le nom et presque sous l'aveu d'un si grand et si savant prince, si pieux d'ailleurs et si religieux, donnerait à cet écrivain une autorité qui sans doute ne lui convient pas, jusqu'à ce qu'il se soit purgé de toute erreur. Les journaux le louent comme un homme connu dans le monde par ses savantes critiques. Ces petits mots jetés comme en passant, serviront à faire avaler doucement toutes ses erreurs ; à quoi il est nécessaire de remédier ou à présent ou jamais.

Pour lui insinuer sur cela ses obligations, conformes au premier projet dont vous venez de voir, Monsieur, qu'il m'avait fait

 

(a) Cet ouvrage est la Défense de la Tradition et des saints Pères.

 

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l'ouverture, on peut se servir du ministère de M. Bertin, qui espère insinuer ses sentiments à M. Bourret, et par là à M. Simon lui-même. Quoi qu'il en soit, on ne se peut taire en cette occasion, sans laisser dans l'oppression la saine doctrine. Vous savez bien que, Dieu merci, je n'ai par moi-même aucune envie d'écrire. Mes écrits n'ont d'autre but que la manifestation de la vérité : je crois la devoir au monde plus que jamais, à l'âge où je suis et du caractère dont je me trouve revêtu. Du reste les voies les plus douces et les moins éclatantes seront toujours les miennes, pourvu qu'elles ne perdent rien de leur efficace. J'attends, Monsieur, vos sentiments sur cette affaire, la plus importante qui soit à présent dans l'Eglise, et sur laquelle je ne puis aussi avoir de meilleurs conseils que les vôtres. Tenez du moins pour certain que je ne me trompe pas sur la doctrine des livres, ni sur la nécessité et la facilité d'en découvrir les erreurs.

 

LETTRE LXXII. 
M. DE MALEZIEU A BOSSUET. A Versailles, ce 23 mai 1702.

 

J'ai reçu, Monseigneur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je l'ai lue avec toute l'attention que mérite la matière et la personne. Je vois clairement qu'il eût été à souhaiter que vous eussiez fait votre examen avant notre édition : mais après tout, Monseigneur, que pouvait faire de mieux le souverain de Dombes et son chancelier, que de prendre des examinateurs de votre main et de celle de M. le cardinal de Noailles? Et quels examinateurs encore ! des professeurs de théologie, que vous nous avez indiqués par distinction, qui après avoir lu cet ouvrage pendant une année entière, nous ont dit et fait dire vingt fois, avant qu'on l'imprimât, que c'était un livre excellent, et qu'ils le soutiendraient comme leur propre ouvrage. Après cela, Monseigneur, si l'édition s'est faite, et si elle est sortie de la souveraineté par la permission du souverain ; s'il a permis qu'elle lui fût dédiée, il me paraît qu'il n'a fait que ce qu'il devait. Enfin,

 

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Monseigneur, elle est à présent hors de notre juridiction; et tout ce qu'on peut faire, c'est de veiller à une seconde édition, et de la réformer sur vos remarques au cas qu'il s'en fasse une. Car, comme vous l'observez fort bien vous-même, le livre étant distribué chez les étrangers, il est malaisé, pour ne pas dire impossible, de remédier absolument au passé. M. l'Archevêque peut le défendre dans son diocèse, s'il croit qu'il soit assez mauvais pour cela : mais encore un coup, nous n'y pouvons plus rien : il est sorti de notre district ; et si le hasard avait fait qu'il fût encore entre nos mains, je ne sais, Monseigneur, si vous eussiez voulu prendre sur vous de déterminer absolument le prince à se servir de son autorité, pour étouffer une édition que l'imprimeur a faite sur la bonne foi des approbations authentiques, que M. l'archevêque et vous êtes censés avoir données, puisque vous avez donné les approbateurs.

Cependant, Monseigneur, pour faire tout le bien qui dépend de nous, et nous conformer à votre esprit, j'ai mis en œuvre M. Bertin. Il lit vos observations avec M. Bourret, et ils me firent dire hier qu'ils espéraient que tout le monde serait pleinement satisfait. L'auteur est en Normandie; ainsi on n'a pu encore conférer là-dessus avec lui. Ces messieurs paraissent bien persuadés que rien n'est plus aisé que de mettre cet ouvrage en état de passer partout. Cependant l'examinateur persiste à dire que la traduction lui paraît très-orthodoxe, et qu'il est impossible d'y donner une application plus sérieuse que celle qu'il y avait donnée avant que de lâcher son approbation : mais comme deux yeux voient mieux qu'un, j'espère aussi, Monseigneur, qu'ils déféreront tous à votre autorité, et qu'ils chercheront les expédients convenables. Voyez, Monseigneur, si je puis faire quelque chose de plus, et me faites l'honneur de me donner vos ordres, que je recevrai toujours avec tout le respect que doit avoir pour vous, etc.

 

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LETTRE LXXIII. 
BOSSUET A M. L'ABBÉ BERTIN. Ce 19 mai 1702.

 

Je vous envoie mes remarques, Monsieur : vous voyez bien qu'il y fallait donner du temps. Il n'en faudra guère moins pour revoir les corrections de l'auteur, quand il en sera convenu. Je n'ai pas peur, Monsieur, que vous les trouviez peu importantes : au contraire, je suis assuré que plus vous les regarderez de près, plus elles vous paraîtront nécessaires ; et que vous ne serez pas plus d'humeur que moi à laisser passer tant de singularités affectées, tant de commentaires et de pensées particulières de l'auteur, mises à la place du texte sacré et, qui pis est, des erreurs, un si grand nombre d'affaiblissements des vérités chrétiennes, ou dans leur substance, ou dans leurs preuves, ou dans leurs expressions, en substituant celles de l'auteur à celles qui sont connues et consacrées par l'usage de l'Eglise, et autres semblables obscurcissements. Il faut avoir pour l'auteur et pour les censeurs toute la complaisance possible, mais sans que rien puisse entrer en comparaison avec la vérité. Ce n'est pas assez de la sauver par des corrections : le livre s'est débité; il ne sert de rien de remédier aux fautes par rapport à Paris, pendant qu'elles courront par toute la terre, sans qu'on sache rien de ces corrections (a). Il n'en faut qu'un exemplaire en Hollande, où l'auteur a de si grandes correspondances, pour en remplir tout l'univers, et donner lieu aux libertins de se prévaloir du nom glorieux de Monseigneur le duc du Maine, et de celui des docteurs choisis par un si savant et si pieux prince, pour examiner les ouvrages de sa célèbre imprimerie. Ce serait se déclarer ennemi de la vérité, que d'en exposer la cause à un si grand hasard.

Puisqu'il faudra se déclarer sincèrement, et se faire honneur

(a) Bossuet a ajouté de sa main dans l'original la remarque suivante : « Nota, qu'en relevant les corrections, il faudra en indiquer brièvement les raisons principales en substance. » (Les edit.)

 

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de l'aveu des fautes de cette traduction ; il n'en faut pas faire à deux fois, et il est temps de proposer à M. Bourret et à l'auteur le dessein que je vous ai confié. Je vous répète qu'il m'a offert à moi-même de réfuter sa Critique du Vieux Testament; et il ne tint pas à moi que la chose ne fût acceptée et exécutée au grand avantage de la vérité, et au grand honneur de la bonne foi de l'auteur. Il faudrait pousser ce dessein plus loin, et qu'il relevât pareillement les autres fautes de ses critiques suivantes. Il me sera aisé de les indiquer ; car je les ai toutes recueillies : et si je n'avais été empêché de les publier par d'autres besoins de l'Eglise, qui paraissaient plus pressants, je puis assurer avec confiance sans présumer de moi-même, qu'il y aurait longtemps que l'auteur serait sans réplique. Je n'en veux pas dire ici davantage. Tout ce qui le fait paraître si savant, ne paraîtrait que nouveauté, hardiesse, ignorance de la tradition et des Pères ; et s'il n'était pas nécessaire de parler à fond à un homme comme vous, je supprimerais volontiers tout ceci : mais enfin le temps est venu qu'il faut contenter la vérité et l'Eglise.

Je vous laisse à ménager l'esprit de l'auteur avec toute votre discrétion : je ferai même valoir sa bonne foi, tout autant qu'il le pourra souhaiter. Quant au fond, je suis assuré d'en convenir avec lui; et quant aux manières, les plus claires et les plus douces seront les meilleures. Je ne veux que du bien à cet auteur, et rendre utiles à l'Eglise ses beaux talents, qu'il a lui-même rendus suspects par la hardiesse et les nouveautés de ses critiques. Toute l'Eglise sera ravie de lui voir tourner son esprit à quelque chose de meilleur, et se montrer vraiment savant, non par des singularités, mais par des recherches utiles. Pour ne rien oublier, il faut dire encore que la chose se peut exécuter en deux manières très-douces : l'une, que j'écrive à l'auteur une lettre honnête, où je l'avertisse de ce que l'édification de l'Eglise demande que l'on corrige, ou que l'on explique dans ses livres de critique, à commencer par la Critique du Vieux Testament et consécutivement dans les autres, y compris sa version et ses scholies, et qu'il y réponde par une lettre d'acquiescement : l'autre, que s'excitant de lui-même à une révision de ses ouvrages de critique, etc.,

 

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comme ci-dessus, et examinant les propositions qu'on lui indiquera secrètement, il y fasse les changements, corrections et explications que demande l'édification de l'Eglise. Il n'y aura rien de plus doux, ni de plus honnête, ni qui soit de meilleur exemple.

Ce sera alors qu'on pourra le regarder comme le digne interprète de l'Ecriture, non-seulement du Nouveau Testament, mais encore de l'Ancien, dont la traduction a beaucoup plus de difficultés. Pour m'expliquer encore davantage, il ne s'agit pas de rejeter toute la Critique du Vieux Testament, mais seulement les endroits qui tendent à affaiblir l'authenticité des saints Livres : ce qui ne sera pas fort difficile à l'auteur, puisqu'il a déjà passé condamnation pour Moïse dans sa préface sur saint Matthieu. Au reste on relèvera ce qui sera bon et utile dans la Critique du Vieux Testament, comme par exemple, si je m'en souviens bien, sur l'étendue qu'il donne à la langue sainte, au-dessus des dictionnaires rabbiniques, par les anciens interprètes et commentateurs. S'il y a quelque autre beau principe qu'il ait développé dans ses critiques, je ne le veux pas priver de la louange qu'il mérite ; et vous voyez au contraire que personne n'est mieux disposé que moi à lui faire justice, dès qu'il la fera à l'Eglise.

 

LETTRE LXXIV. 
M.  L'ABBÉ BERTIN A BOSSUET. A Paris, ce 3 mai 1702.

 

J'ai reçu, Monseigneur, vos remarques que j'ai mises entre les mains de M. Bourret, qui m'a parlé avec toutes les marques d'estime et de respect qui vous sont dues. Il les lira aussitôt après la fête de l'Ascension, parce qu'il est encore occupé de ses stations du jubilé.

Quant au Mémoire qui contient ce que vous souhaitez de la part de l'auteur, il faut que je lui écrive, pour savoir comment il veut qu'on agisse en son absence en cas qu'elle dure : car il est présentement à la ville d'Eu ou aux environs, pour des affaires

 

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qu'il avait à y poursuivre. Ce que je sais en général de ses intentions, est qu'il ne demande pas mieux que de revoir ses Critiques, pour y faire les changements et corrections raisonnables; et je ne saurais penser autre chose, sinon qu'il veut cela de bonne foi. J'ai même de la peine à croire qu'il se soit jamais formé aucun système suspect, et qu'il l'ait voulu établir dans ses écrits. Je croirais plutôt qu'il n'a pensé qu'à faire des recherches et des remarques dont il laissait le jugement au lecteur. Dès que j'aurai sa réponse, je vous en ferai part, Monseigneur; et si elle est telle que je l'espère, j'aurai aussi l'honneur de vous communiquer les corrections avant qu'on fasse des cartons. Pour ce qui est du débit du livre, on m'assure qu'il ne s'est pas distribué plus d'une douzaine d'exemplaires, et que cela ne s'est fait que par la même nécessité et pour les mêmes raisons qui en ont fait passer un entre vos mains.

En jetant les yeux, Monseigneur, sur ce que vous avez remarqué dans la préface, j'ai été bien content de l'estime que vous faites de la règle du concile de Trente, qui oblige d'interpréter l'Ecriture sainte, non selon des sens particuliers, mais juxta unanimem consensum, etc. Cette règle me paraît l'unique fondement de la bonne théologie : en sorte que pour ce qui regarde les dogmes, elle ne doit être établie que sur ces deux principes, l'Ecriture et la Tradition; ou, pour le dire en un mot, sur le sens unanime dans lequel les Pères ont entendu les passages de l'Ecriture.

Mais cette règle étant si constante, comment est-il arrivé dans l'Eglise qu'on n'ait point fait difficulté de quitter sur le péché originel une tradition unanime de treize siècles, pour embrasser la nouvelle opinion de l'immaculée conception? Les Pères qui ont fini le concile de Trente ne devaient-ils point craindre de déroger à une si importante règle, en insérant dans les définitions du concile la déclaration qu'on y lit sur ce sujet. Les Pères de la première assemblée n'avaient pas voulu la publier, quoiqu'elle eût été proposée alors, et elle était demeurée sans effet à cause de la diversité des suffrages. Est -ce que les Pères de la dernière assemblée, dont la plupart n'avaient pas assisté à l'examen de la

 

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matière du péché originel, qui s'était fait dans la quatrième session présentement appelée la cinquième, avaient plus de lumières que ceux de la première assemblée, qui avaient traité expressément le point dont il s'agit?

Permettez-moi de demander encore pourquoi on ne peut être reçu dans la Faculté de théologie de Paris, si l'on ne jure dans le cours des exercices théologiques qu'on tiendra les décrets de la faculté, et nommément celui qui oblige à soutenir et défendre cette doctrine de l'immaculée conception, sous peine d'être retranché de la Faculté, et d'en être rejeté comme un païen et un publicain. Voici les termes du serment : Jurabitis quôd tenebitis determinationem Facultatis de conceptione immaculatâ Virginis Mariœ, videlicet, quàd in sud conceptione prœservata fuit aboriginali labe : R / Juro.

Et quant au décret, en voici aussi les termes. Après avoir dit que c'est par l'inspiration du Saint- Esprit que le concile général de Bâle et l'Eglise, qui ne peut errer, a reçu cette doctrine, le décret ajoute : In ejus piissimœ doctrinœ defensionem ac propugnationem speciali sacramento conjuravimus, nosque devovimus, statuentes ut nemo deinceps sacro huic nostro collegio adscribatur, nisi se fntjus religiosœ docti inœ assertorem strenuumque propugnatorempro viribus futurum, similijuramento profileatur. Quôd si quis, quod absit, ad hostes Virginis transfuga, contrariae assertionis, quam falsam, impiam, erroneam, judicamus...patro-cinium quâcumque ratione suscipcre ausus fuerit : hinc honoribus nostris omnibus privatum, atque exaucloratum, à nobis et consortio nostro, velut ethnicum et publicanum, procul abjieiendum decernimus.

Ce serment si précis paraît de telle importance à Josse Clictou, qu'il l'appelle fidei sacramentum (1) ; et Major dit de la Faculté de théologie de Paris, qu'en faisant ce décret, concludit post determinationem factam in Basileensi concilio, esse hœreticum tenere beatam Virginem conceptam in peccato originali.

Voilà, ce me semble, une étrange atteinte à la règle susdite du concile, touchant le consentement unanime, etc... Mais ce n'est

 

1 In lib. III Sent., dist. III, quaest. 1.

 

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pas principalement pour cela que j'ai pris la liberté, Monseigneur, d'en faire ici la remarque : c'est que je vois que plusieurs jeunes théologiens, qui ne sont pas des moindres écoliers qui étudient ici sous les professeurs, u'osent prendre des degrés en Sorbonne à cause du serment, que je viens de rapporter : et depuis huit jours, il y en a un qui m'est venu demander confidemment ce (lue je pensois sur ce sujet. Il me presse de lui dire si un serment fait sur cette matière en conséquence d'une telle détermination, et sans lequel on ne le recevrait point au rang que donne dans le monde et dans l'Eglise la qualité de docteur, n'est qu'une cérémonie extérieure qui n'engage point la conscience. Je n'ai su que lui répondre; et si j'osais, Monseigneur, je vous supplierais de m'aider à déterminer ce jeune écolier, qui au jugement de ses maîtres n'est pas un des moindres sujets qui pourraient entrer dans la Faculté. Je vous demande pardon de la longueur de cette lettre, et je vous supplie, Monseigneur, d'agréer mes très-humbles respects, etc.

 

LETTRE LXXV. 
BOSSUET A M. L'ABBÉ BERTIN. A Meaux, ce 27 mai 1702.

 

Quand vous dites, Monsieur, que notre auteur n'a point de système dans ses ouvrages critiques, si vous entendez qu'il n'y établit directement aucun dogme particulier, cela est vrai : mais à cela il faut ajouter que toutes ses remarques tendent à l'indifférence des dogmes, et à affaiblir toutes les traditions et décisions dogmatiques ; et c'est là son véritable système qui emporte, comme vous voyez, l'entière subversion de la religion.

Vous dites que son dessein est de faire des remarques dont il laisse le jugement au lecteur. C'est cela même qui établit cette indifférence, que de proposer des remarques affaiblissantes, et laisser juger un chacun comme il l'entend.

Je passe outre, et je vous assure que son véritable système dans sa Critique du Vieux Testament, est de détruire l'authentique

 

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cité des Ecritures canoniques : dans celle du Nouveau, sur la fin, d'attaquer directement l'inspiration, et de retrancher ou rendre douteux plusieurs endroits de l'Ecriture, contre le décret exprès du concile de Trente : dans celle des commentateurs, d'affaiblir toute la doctrine des Pères, et par un dessein particulier celle de saint Augustin sur la grâce ; sous prétexte de louer les Pères grecs, de donner gain de cause aux pélagiens, et d'adjuger la préséance aux sociniens parmi les commentateurs. C'est ce que je puis prouver avec tant d'évidence, que cet auteur n'osera lever les yeux. Cela soit dit entre nous, et pour l'usage de vous seul. Car au reste, je suis bien d'avis qu'on l'engage à son devoir plutôt par douceur et honnêteté que par menace, pourvu seulement que la vérité n'en souffre pas.

Les fautes de sa version sont une suite des faux principes qu'il a posés dans ses Critiques. Il n'y eut jamais d'exemple d'une témérité pareille à la sienne, ni d'une telle licence dans la version et dans l'interprétation de l'Evangile. S'il ne satisfait le public sur cet endroit-là, il ne faut plus parler de fidélité dans les traductions et explications; et si en satisfaisant sur ces endroits, on lui passe ses autres ouvrages, c'est trop ouvertement les autoriser, comme je crois l'avoir démontré par mes précédentes.

Du reste, je ne contesterai pas la bonne foi que vous lui croyez, pourvu qu'on y prenne garde de bien près, et qu'on ne soit pas la dupe de ses artificieuses échappatoires, comme l'ont été jusqu'ici, je l'oserai dire sans pourtant vouloir fâcher personne, presque tous ceux qui ont examiné ses ouvrages, et en particulier son Nouveau Testament. Ceci, encore un coup, n'est que pour vous. Car je veux, autant qu'il sera possible, ménager tout le monde en esprit de charité, pourvu qu'on en vienne à la fin qu'on se propose : mais il est de la dernière conséquence que vous bâtissiez sur ce fondement, et que vous connaissiez bien votre homme.

Quant à la difficulté que vous me proposez sur le doctorat, le concile de Trente n'a pas cru que ce fût déroger à une règle universelle, que de laisser à Dieu le pouvoir d'en excepter pour l'honneur du Fils de Dieu, une personne unique et aussi

 

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distinguée que sa sainte Mère. C'est ce qui a donné lieu à la fin de son décret sur le péché originel. Sixte IV avait fait la même exception. Saint Augustin lui-même a donné lieu à une autre exception semblable. Il est dit aussi généralement que tous les hommes pèchent actuellement, qu'il est dit qu'ils contractent tous le péché d'Adam dès leur conception. Cependant vous savez l'exception de saint Augustin à l'égard de la sainte Vierge, propter honorem Domini. Le concile de Trente l'a suivi, en disant sur le péché actuel « que personne ne peut éviter les péchés véniels que par un privilège spécial de Dieu, tel que celui que l'Eglise croit avoir été accordé à la bienheureuse vierge Marie : » Nisi ex speciali Dei privilegio, quemadmodùm de beatâ Virgine Maria tenet Ecclesià (1). Il se garde bien d'en dire autant du péché originel : mais il est vrai que saint Augustin a mis ces deux sortes de péchés comme en égalité, lorsqu'il a dit en parlant de Jésus-Christ : Profecto enim peccatum major fecisset, si parvulus habuisset  (2) : « Il eût sans doute commis quelque péché dans l'âge adulte, s'il en avait eu étant enfant. » Quoique cette règle soit véritable et énoncée en termes généraux, elle ne laisse pas de souffrir une exception en faveur de la sainte Vierge.

On peut donc tenir pour probable même l'exemption du péché originel à son égard : le concile de Trente en a donné l'exemple après Sixte IV. Notre Faculté n'en demande pas davantage; et tous nos docteurs conviennent qu'elle réduit l'ancienne définition de Bàle aux termes du concile de Trente : ainsi il n'y a plus là de difficulté. Il faudrait s'expliquer davantage avec un homme moins instruit : et j'ajouterai seulement que l'intention de la Faculté n'est pas d'obliger personne à prêcher et enseigner positivement la conception immaculée; à quoi jusqu'ici je n'ai pas vu qu'on ait jamais pris garde. Mais quoi qu'il en soit, on n'est obligé par le serment doctoral qu'à tenir l'opinion dont il s'agit comme plus probable, ou en tout cas, si l'on veut, comme théologiquement certaine, selon les décrets de la Faculté : ce qui n'empêche pas que la règle du péché originel ne demeure pour certaine, et qu'on ne croie que la sainte Vierge y serait comprise,

 

1 Sess. VI, can. XXIII. —  2 Cont. Jul., lib. V, n. 57.

 

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sans une exception particulière provenue de la toute-puissance. Je suis, Monsieur, etc.

 

LETTRE LXXVI. 
M.  PIROT A BOSSUET. En Sorbonne, ce 17 mai 1702.

 

J'ai depuis mercredi, veille de l'Ascension, vos observations entre mes mains, où j'ai trouvé toute la solidité que j'attendais de vous à ce sujet. Monseigneur le cardinal de Noailles me les envoya en Sorbonne à son retour de Conflans, où il les avait reçues la veille. Et comme vous lui marquiez de les faire voir aussi à M. de Beaufort et à M. Boileau, il me dit de les lire le plus vite que je pourrais, pour les leur communiquer. Je viens d'en achever la lecture avec l'exactitude dont je suis capable. J'avais lu auparavant celles qui ont été déjà faites de la première partie, qui comprend l’Evangile et les Actes, et j'avais en mon particulier parcouru toutes les deux parties. Jeudi et hier je dis quelques endroits des vôtres à Monseigneur le cardinal, qui les trouva importants. Ils ne sont pas tous d'une même conséquence : mais il y en a un si grand nombre d'essentiels, que je doute qu'on y puisse apporter remède. Je lui ai marqué que vous vous attendiez à voir les remarques qu'a faites celui à qui il a fait lire la première partie; et il m'a répondu qu'il vous les enverrait. Il aura demain à son retour de Versailles mon paquet, qui renferme les unes et les autres. Je ne doute pas qu'il ne vous envoie les siennes sur l'heure, et qu'il ne communique les vôtres à ces deux Messieurs. Pour moi je n'ai fait nulles remarques que sur mes tablettes : mais je les aurai toutes présentes quand il en faudra parler, et j'y serai toujours tout prêt. La plupart de celles qui sont considérables reviendront aux vôtres. La religion a un très-grand intérêt d'empêcher que le livre ne paroisse dans l'état où il est. Je ne sais s'il pourra jamais être assez réformé pour paraître.

M. Bourret me dit hier qu'il n'avait pas encore vu ce que vous

 

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aviez fait; et cela m'étonna après ce que j'avais lu dans une lettre, que vous lui faisiez tenir vos réflexions. Votre politesse vous l'y fait ménager autant que le bien de l'Eglise l'a pu permettre. Il est digne de votre estime, Monseigneur : il est capable, appliqué, bien intentionné; mais il a été trop facile, et n'a pas assez pensé à son approbation avant de la donner. Vous le marquez assez sur le jugement qu'il a porté de la préface, où vous trouvez avec raison tant de défauts. Vous traitez l'auteur avec toute la douceur possible : vous soutenez toujours avec tout cela la bonne doctrine, et vous y avez toute la vigilance et toute la force qu'il convient. Mais le moyen de ne pas faire voir le danger qu'il y a à user d'expressions toutes sociniennes, toutes pélagiennes, et qui induisent au moins à une théologie nouvelle par un changement de notions et de langage ecclésiastique? Quand j'aurai eu l'honneur de parler à Monseigneur le cardinal, je vous rendrai compte de tout, Monseigneur. Le Père Bouhours (a) est mort après diner : il aurait demandé grâce pour les pour que, et ce n'est pas ce qu'il y a de plus à condamner : mais rien n'est à négliger dans la parole de Dieu. Je suis avec un très-profond respect, etc.

Pirot.

 

LETTRE LXXVII. 
BOSSUET A M. P IROT.  A Meaux, ce 28 mai 1702.

 

Je suis bien aise, Monsieur, de voir par votre lettre que mes remarques sont entre vos mains, et que vous les ayez lues. Je ne prétends pas qu'elles soient toutes d'une égale conséquence; mais je crois qu'il n'y en a guère qui ne demandent des cartons. Pour moi je n'ai jamais vu d'exemple d'une pareille témérité. Je crois pourtant qu'à force de cartons on pourrait rendre l'ouvrage passable; mais on n'en fera jamais une version parfaite. Je crois de plus qu'en même temps qu'on corrigera cet ouvrage, il ne sera pas permis de se taire sur les autres erreurs de ses Critiques,

(a) Dominique Bouhours, Jésuite, auteur de plusieurs ouvrages estimés, mort n l'âge de soixante-quinze ans.

 

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pour deux raisons : la première, qu'on ne doit recevoir un Nouveau Testament que d'une main irréprochable ; autrement ce serait donner de l'autorité à un homme qui n'en peut avoir qu'au préjudice de la vérité : la seconde et la principale, c'est que relever les erreurs d'un dernier ouvrage, c'est autoriser les précédentes, à moins qu'on ne les note expressément : ce qui est d'autant plus vrai, que les dernières erreurs, je veux dire celles de la traduction, ne sont que le mauvais fruit des principes et maximes posés dans les Critiques qui ont précédé. Ainsi ce serait trahir la vérité que de laisser sans note les Critiques de l'auteur, à commencer par celles du Vieux Testament.

Je suis assuré qu'il y a de quoi le confondre, jusqu'à l'empêcher de lever les yeux. Il y a trop longtemps que ce faux critique se joue de l'Eglise ; et il paraît que Dieu a permis les prodigieuses erreurs de sa version, pour faire naître une occasion de noter ses fautes passées. C'est un ouvrage déjà presque fait, et je puis en très-peu de temps le mettre en état de voir le jour. Je vous prie que ceci demeure entre vous et moi durant quelque temps, et de l'expliquer seulement à Son Eminence, en lui demandant un pareil secret : la raison qui m'y oblige, c'est que je fais secrètement une tentative pour obliger l'auteur à se rétracter lui-même; et il semble qu'il n'en paroisse pas éloigné : cela serait plus doux et plus fort d'une certaine manière, parce qu'on aurait son consentement. Je saurai bientôt ce qu'il y a à espérer de ce côté-là, et j'en rendrai compte à Son Eminence.

Quoi qu'il en soit, il y va de tout pour la religion de faire connaitre cet auteur, qui s'en moque tout visiblement, et d'abattre avec lui une cabale de faux critiques dont il est le chef, et qui ne travaillent qu'à ôter toute autorité aux saints Pères et aux décisions de l'Eglise. Je vois cela si clair, que je ne crois pas pouvoir me taire en conscience; et je suis persuadé que Son Eminence demeurera convaincue de la vérité de mon sentiment, par les raisons que j'aurai à lui exposer. Mais il est bon d'aller doucement, et de tâcher de tirer le consentement de l'auteur, qu'il m'a lui-même offert autrefois; et il ne tint pas à moi que la chose ne fût exécutée.

 

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Au reste, la version est si gâtée, que je ne saurais ouvrir le livre sans y trouver quelque tache. Aujourd'hui, sans aller plus loin, je trouve au chapitre X, verset 4 de la première Epître aux Corinthiens, que le traducteur fait suivre les eaux, quoique saint Paul dise expressément : Bibebant de spirituali consequente eos petrâ : ce qui montre que c'est la pierre qui suit, et non pas les eaux. La note brouille aussi tout cet endroit : et quoique cette remarque puisse paraître peu importante à cause qu'elle ne touche pas la foi, elle montre une hardiesse à substituer ses pensées à celles de saint Paul, qui ne doit pas être soufferte.

Au même chapitre, note sur le verset 22, l'auteur traite d'indifférent de manger des choses immolées, pourvu qu'on évite le scandale; ce qui est faux, de toute fausseté. Car il est bien vrai que saint Paul défend de s'enquérir scrupuleusement si une viande a été immolée ou non ; mais lorsqu'il est certain et notoire qu'elle l'a été, il est mauvais de soi d'en manger; et c'est saint Paul qui le décide lui-même dans les versets précédents. On ne flairait point sur cette matière; et je ne vois rien à présent de plus important dans l'Eglise, que de réprimer ces dangereuses critiques : je n'en dirai pas davantage quant à présent.

Je suis lâché de la mort du père Bouhours qui était de mes amis; mais je ne lui aurais pas cédé sur le pour que. Ses expressions affectées et de mode me semblent indignes, je ne dis pas d'une version de l'Evangile, mais encore de tout ouvrage sérieux.

Je n'ai pas besoin de vous prier de choisir les moments de Monseigneur le Cardinal parmi les affaires qui l'accablent, et surtout durant l'assemblée. Quand j'aurai quelque réponse ou de l'auteur ou de, M. Bourret, à qui les remarques doivent être à présent communiquées, je vous en dirai davantage.

 

LETTRE LXXVIII. 
M. PIROT A BOSSUET. En Sorbonne, ce 4 juin 1702.

 

J'ai de grands compliments à vous faire de la part de Monseigneur le Cardinal de Noailles, en vous envoyant ses harangues : il m'a

 

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chargé de vous marquer qu'il vous aurait écrit lui-même pour vous les offrir, s'il en donnait; mais il n'en donne point, et ce n'est pas lui qui a pensé à les faire imprimer : on l'y a engagé, et je crois qu'on a eu raison : elles sont trop belles pour n'être pas publiques; chacune a ce qui lui convient. Vous aurez d'ailleurs appris le succès qu'elles ont eu l'une et l'autre ; et quand vous les lirez toutes deux, vous le croirez aisément.

Je croyais qu'il vous aurait envoyé ses remarques sur le premier tome, comme je l'en avais prié : mais quand je lui en ai parlé ce matin, il m'a dit qu'il ne les avait pas encore fait copier, et qu'il y allait donner ordre, pour vous les envoyer au moment qu'elles le seraient. Il a lu la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur la version ; et il y a encore ce matin repassé en ma présence, condamnant comme vous, Monseigneur, ce que vous marquez des eaux qui suivaient les Israélites, et des viandes immolées. Vous le trouverez, quand vous viendrez ici, qui sera apparemment au temps qu'il aura plus de liberté, comptant que l'assemblée finira avec l'octave de la Fête-Dieu, dans de très-bonnes dispositions à cet égard.

Permettez-moi, Monseigneur, de vous dire que je doute que vous puissiez faire assez de cartons, pour parvenir à rendre le livre correct. Il faudrait sûrement ôter plus du tiers du livre, et le changer. Je ne l'ai pas lu de suite, n'étant chargé par personne d'en répondre; mais j'y ai trouvé beaucoup à désirer en ce que j'en ai lu. Il n'y a que deux jours qu'en l'ouvrant à l'endroit de la Seconde Epître aux Corinthiens, je trouvai trois endroits dans les trois premiers chapitres, qu'il me semble qu'on ne pourrait tolérer. Chapitre I, verset 9, le texte porte tout le contraire de ce qu'il faut : Assurance de ne pas mourir, au lieu de réponse de mort. Chapitre II, verset 10 : Représentant Jésus-Christ : cela est dans le texte; mais la note l'affaiblit, et cite faussement Théodoret. Chapitre III, verset 6 : La lettre tue, c'est-à-dire punit de mort, dit la note ; et c'est une très-mauvaise interprétation, comme le remarque Estius. En bien des endroits, l'auteur se met à la place de saint Paul, et il se contente de mettre l'Auteur sacré dans la note, se mettant lui-même dans le texte. Chapitre vi de cette même

 

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Epître, verset 1, il met dans le texte : De vivre selon la grâce que vous avez reçue de lui; et en note : Ne pas recevoir sa grâce en vain : cela est très-fréquent. Il paraît affecter de marquer que les apôtres et Jésus-Christ même ont réglé la discipline de l'Eglise sur celle de la Synagogue. Je serais bien aise qu'on pût sauver ce livre par une correction limitée, mais je doute que cela se puisse.

Monseigneur le Cardinal est très-bien intentionné, mais il ne décidera qu'avec vous, et vous ne serez pas de différents avis. Il compte que vous voudrez bien faire part des exemplaires qu'il sait que je vous envoie de ses harangues, à M. l'abbé. Je suis avec un très-profond respect, etc.

Pirot.

 

LETTRE LXXLX.  
BOSSUET A M. DE MALEZIEU. A Meaux, ce 6 juin 1702.

 

Sans entrer, Monsieur, pour aujourd'hui dans tout le détail de la lettre dont vous m'honorez, du 29 mai, je m'en tiens à l'assurance qu'on vous donne de contenter tout le monde. C'est vous sans doute qui inspirez ces bons sentiments, et c'est aussi ce qu'on peut attendre de vous, si on l'exécute. On aurait grand tort de rien imputer ni au prince ni à son ministre : tout roule ici sur les docteurs, comme j'ai eu l'honneur de vous l'écrire. On ne peut pas se plaindre qu'ils soient mal choisis; et quoique je ne connusse point du tout M. Bourret, j'ai moi-même approuvé ce choix sur sa réputation et sur sa qualité de professeur de Sorbonne. Mais il en faut revenir au fond ; et puisqu'il est vrai que la version est insupportable, et digne sans exagérer des plus rigoureuses censures, il faut que la vérité l'emporte et soit satisfaite préféra-élément à toute autre considération.

Il n'y a point d'exemple d'une pareille témérité à celle de cet auteur, qui en tant d'endroits interprète à sa fantaisie sans aucun égard à la tradition.. On ne saurait ouvrir le livre sans y trouver de nouvelles fautes importantes; et je n'en suis pas étonné, le

 

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connaissant, comme je fais, il y a vingt ans. Quoi qu'il en soit, s'il veut satisfaire, il n'aura point d'obstacle de ma part : s'il refusait, ce que je ne crois pas après les assurances qu'on vous donne, nulle bonne foi ne pourrait ici servir d'excuse, ni permettre qu'on donnât cours à l'erreur, et encore sous le nom d'un aussi grand prince. Revenons donc à la satisfaction qu'on promet. Je suis, etc.

 

LETTRE LXXX. 
M. BERTIN A BOSSUET. A Paris, ce S juin 1702.

 

J'ai reçu, Monseigneur, la réponse de M. Simon : il me mande qu'aussitôt qu'il aura mis à couvert quelques petits effets qu'il a dans Dieppe, pour lequel on craint un nouveau bombardement, il partira pour revenir. Il ajoute que quoique vous lui ayez été contraire en plusieurs choses, il n'a jamais perdu l'estime et le respect qu'il doit avoir pour votre mérite, qu'il en a même donné des preuves dans quelques-uns de ses ouvrages : qu'il est vrai qu'il n'a pas tenu à vous que ses Histoires critiques ne fussent réimprimées dans Paris avec privilège, après qu'il les aurait retouchées. Il croit même avoir encore l'exemplaire, à la marge duquel vous avez fait quelques remarques. Mais M. Pirot, dit-il, après avoir gardé le livre plus de deux ans, le lui rendit, en disant que ses confrères se moqueraient de lui, s'ils approuvent un ouvrage qui avait été supprimé par M. le chancelier, sur le rapport qu'il en avait fait. Il dit que depuis ce temps-là il n'a plus pensé à cette nouvelle édition; mais qu'il a refondu son livre, et qu'il l'a augmenté de plus des deux tiers, lui donnant le titre de Bibliothèque sacrée; qu'il le soumettra de tout son cœur à votre jugement. Il ne m'a pas répondu précisément touchant la version entière de la Bible, avec des remarques littérales et critiques, sur laquelle je lui avais demandé ses dispositions.  Il témoigne seulement qu'il y travaillerait volontiers s'il avait assez de santé ; que c'est un ouvrage pénible, et sujet à de grandes contradictions; que s'il avait eu un protecteur qui fût en même temps connaisseur,

 

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il aurait volontiers donné tous ses soins à ne pas laisser croire aux protestants que nous manquons de gens capables de faire voir que les catholiques ne sont pas surpassés par eux en ces sortes d'entreprises. Sa lettre est du 30 de mai.

M. Bourret m'a dit qu'il lisait avec assiduité ce que je lui ai remis entre les mains, et qu'il serait bientôt en état de vous rendre compte, Monseigneur, de sa lecture. Si vous ne revenez pas si tôt à Paris, je crois qu'il faudra qu'il le fasse par écrit. Je vous supplie, Monseigneur, d'agréer toujours mes très-humbles respects.

Bertin.

 

LETTRE LXXXI. 
M. BOURRET A M. BERTIN (a). En Sorbonne, ce 30 juillet 1702.

 

Quoique vous m'ayez dit, Monsieur, que vous ne voulez plus vous mêler de ce qui regarde le nouveau livre, ne pouvant m'adresser mieux qu'à vous pour faire savoir à Monseigneur de Meaux la disposition dans laquelle je suis à son égard, je crois que notre ancienne amitié me doit faire espérer que vous voudrez bien vous employer pour cela. Vous savez que j'ai ordonné douze cartons pour satisfaire à ce qui m'a paru le plus digne de considération dans ces remarques, et que j'étais aussi tout disposé à lui communiquer mes observations sur ces mêmes remarques, dans ce qui regarde les autres endroits, ayant déjà commencé de les mettre au net. Mais comme j'apprends que le livre se débite, ce qui rend mes observations inutiles pour l'examen de cette édition ; et que d'ailleurs c'est un bruit public que Monseigneur l'évêque de Meaux écrira contre cette traduction, cette seconde raison m'arrête encore, et me fait croire que je ne dois plus

(a) Comme M. Bourret figure d'une manière si particulière dans l'affaire de Richard Simon, et qu'il est beaucoup question de lui dans les lettres que l'on vient de lire ; nous avons pensé qu'il convenait de rapporter aussi celle de ce docteur, qui est très-propre à faire connaître ses sentiments, et qui regarde directement Bossuet. (Les édit.)

 

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communiquer mes observations, .parce que l'auteur m'en a fourni une bonne partie dans les éclaircissements que j'ai eus avec lui depuis qu'il est à Paris : ainsi j'appréhenderais d'agir contre la fidélité que je lui dois. Je serais aussi très-fâché de paraître dans la scène qui se donnerait au public, et de passer pour l'adversaire de Monseigneur de Meaux, avec qui je me suis toujours trouvé conforme pour les sentiments, et que je regarde comme le plus fort théologien de notre siècle, pour qui enfin j'ai toujours eu un très-grand fond d'estime et de respect. Vous me ferez donc un très-grand plaisir de lui faire savoir l'impossibilité où je me trouve de lui donner mes observations, et de lui dire que je le supplie de ne l'avoir pas désagréable ; qu'au reste, comme on parle d'une seconde édition qui ne se donnera point au public sans avoir été examinée par quelque docteur agréable à mondit Seigneur, alors se produira tout ce que nous avons de défense ; d'où résultera le bien de l'Eglise, comme je l'espère. Croyez que vous me ferez en cela une vraie amitié, et un plaisir d'autant plus grand, que je suis persuadé que le prélat recevra très-bien mon excuse, lorsque ce sera vous qui la lui présenterez, et qui l'assurerez de ma droiture naturelle, dont je ne me suis point départi dans tout le cours de cette affaire. Je suis plus que jamais et pour toujours, etc.

 

G. Bourret.

 

LETTRE LXXXII.
 BOSSUET A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). A Versailles, ce 18 juin 1702.

 

J'ai remis ce matin, Monseigneur, aux mains de M. l'abbé de Catelan, mes remarques sur votre ouvrage, comme vous l'avez ordonné. D'autres occupations très-pressantes, dont je vous ai écrit quelque chose dans une lettre précédente, m'ont empêché de vous obéir plus tôt : je vous en dirai davantage quand l'affaire sera plus avancée. A l'égard de votre ouvrage, je compte qu'il n'y

(a) Collationnée. Manuscrit à Meaux.

 

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a encore que la matière, matière excellente à la vérité et traitée avec la netteté qui vous est naturelle ; mais pour y donner la forme que demandent des réunis, il y faut un nouveau travail qui ne sera pas fort difficile, puisque tout est prêt. S'il me vient quelque chose dans l'esprit sur la disposition de cet ouvrage, je prendrai la liberté de vous le dire, en soumettant tout à votre jugement et à la connaissance que vous avez du besoin de ceux que Dieu vous a donnés à instruire. Je suis, Monseigneur, avec le respect que vous connaissez, etc.

 

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