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LETTRE LXXI.
BOSSUET A M. DE MALEZIEU, CHANCELIER DE DOMBES. Ce 19 mai 1102.
Permettez-moi, Monsieur, dans la longueur et dans
l'importance du discours que j'ai à vous faire, d'épargner ma main et vos yeux.
J'ai achevé mes remarques sur le Nouveau Testament en question. Leur nombre et
leur conséquence se trouvent beaucoup
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plus grands que je ne Pavais pu imaginer : erreurs,
affaiblissement des vérités chrétiennes, ou dans leur substance, ou dans leurs
preuves, ou dans leurs expressions, en substituant ses manières propres de
parler à celles qui sont connues et consacrées par l'usage de l'Eglise, ce qui
emporte une sorte d'obscurcissement ; avec cela singularités affectées,
commentaires, ou pensées humaines et de l'auteur à la place du texte sacré, et
autres fautes de cette nature se trouvent de tous côtés.
Il m'arrive ici à peu près ce qui m'arriva avec feu M. le
Chancelier le Tellier, au sujet de la Critique de l'Ancien Testament du même
auteur. Ce livre allait paraître dans quatre jours, avec toutes les marques de
l'approbation et de l'autorité publique. J'en fus averti très-à propos par un
homme bien instruit, et qui savait pour le moins aussi bien les langues que
notre auteur. Il m'envoya un index et ensuite une préface, qui me firent
connaître que ce livre était un amas d'impiétés et un rempart du libertinage. Je
portai le tout à M. le Chancelier, le propre jour du jeudi saint. Ce ministre en
même temps envoya ordre à M. de la Reynie de saisir tous les exemplaires. Les
docteurs avaient passé tout ce qu'on avait voulu, et ils disaient pour excuse
que l'auteur n'avait pas suivi leurs corrections. Quoi qu'il en soit, tout y
était plein de principes et de conclusions pernicieuses à la foi. On examina si
l'on pou voit remédier à un si grand mal par des cartons ; car il faut toujours
tenter les voies les plus douces : mais il n'y eut pas moyen de sauver le livre,
dont les mauvaises maximes se trouvèrent répandues partout : et après un
très-exact examen que je fis avec les censeurs, M. de la Reynie eut ordre de
brûler tous les exemplaires, au nombre de douze ou quinze cents, nonobstant le
privilège donné par surprise, et sur le témoignage des docteurs.
Le fait est à peu près semblable dans cette occasion. Un
savant prélat me donna avis de cette nouvelle version comme s'imprimant dans
Paris, et m'en fit connaître les inconvénients. Dans la pensée où j'étais,
j'allai droit, comme je le devais, à M. le cardinal de Noailles. J'appris de lui
que l'impression se faisait à Trévoux. Il ajouta qu'il me priait de voir le
livre, et me fit promettre de
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lui en dire mon avis, ce que je ne devais pas refuser :
mais je crus qu'il fallait aller à la source du privilège. Je vous ai porté une
plainte à peu près de même nature que celle que j'avais faite contre la
Critique du Vieux Testament. Vous y avez eu le même égard, et tout est à peu
près semblable, excepté que je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en venir ici
à la même extrémité. Car j'espère qu'à force de cartons on pourra purger
l'ouvrage de toutes erreurs et autres choses mauvaises, pourvu que l'auteur
persiste dans la docilité qu'il a témoignée jusqu'ici, et que l'on revoie les
cartons avec le même soin qu'on a fait l'ouvrage. Mais voici un autre
inconvénient, c'est que le livre cependant s'est débité. On aura beau le
corriger par rapport à Paris, le reste du monde n'en saura rien ; et l'erreur
aura son cours et demeurera autorisée.
Vous voyez bien, Monsieur, que pour parer ce coup on ne
peut se dispenser de relever les corrections ; et si j'avais à le faire, je vous
puis bien assurer sans présumer de moi-même, qu'en me donnant le loisir
d'appuyer un peu mes remarques, je ne laisse-rois aucune réplique. Mais l'esprit
de douceur et de charité m'inspire une autre pensée : c'est qu'il faudrait que
l'auteur s'exécutât lui-même; ce qui lui ferait dans l'Eglise beaucoup
d'honneur, et rendrait son ouvrage plus recommandable, quand on verrait par quel
examen il aurait passé. Il n'y va rien de l'autorité du prince ni du privilège :
on sait assez que tout roule ici sur la foi des docteurs, à qui, s'il paraît un
peu rude de faire paraître leurs inadvertances, il serait beaucoup plus fâcheux
de se voir chargés des reproches de tout le public. Ainsi il vaut mieux qu'on se
corrige soi-même volontairement.
C'est l'auteur lui-même qui m'a donné cette vue. Il se
souviendra sans doute que, lorsqu'on supprima sa Critique du Vieux Testament,
il reconnut si bien le danger qu'il y avait à la laisser subsister, qu'il
m'offrit, parlant à moi-même, de réfuter son ouvrage. Je trouvai la chose digne
d'un honnête homme; j'acceptai l'offre avec joie, autant que la chose pouvait
dépendre de moi ; et sans m'expliquer davantage, l'auteur sait bien qu'il ne
tint pas à mes soins que la chose ne fût exécutée. Il faudrait rentrer à
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peu près dans les mêmes errements, la chose serait facile à
l'auteur; et pour n'en pas faire à deux fois, il faudrait en même temps qu'il
remarquât volontairement tout ce qu'il pourrait y avoir de suspect dans ses
critiques. Par ce moyen, il demeurerait pur de tout soupçon et serait digne
alors qu'on lui confiât la traduction de l'Ancien comme du Nouveau Testament.
Je puis vous dire avec assurance que ses Critiques sont
farcies d'erreurs palpables. La démonstration en est faite dans un ouvrage qui
aurait paru il y a longtemps (a), si les erreurs du quiétisme n'avaient
détourné ailleurs mon attention. Je suis assuré de convenir de tout en substance
avec l'auteur. L'amour et l'intérêt de la vérité, auxquels toute autre raison
doit céder, ne permet pas qu'on le laisse s'autoriser par des ouvrages
approuvés, et encore par des ouvrages de cette importance. Il faut noter en même
temps les autres qu'il a composés, qui sont dignes de répréhension : autrement
le silence passerait pour approbation. Un homme de la main de qui l'on reçoit le
Nouveau Testament doit être net de tout reproche. Cependant on ne travaille qu'à
donner de l'autorité à un homme qui n'en peut avoir qu'au préjudice de la saine
théologie : on le déclare déjà le plus capable de travailler sur le Nouveau
Testament, jusqu'à le donner pour un homme inspiré par les Evangélistes
eux-mêmes dans la traduction de leurs ouvrages. C'est l'éloge que reçoit
l'auteur dans l'épitre dédicatoire : ce qu'on prouve par le jugement des
docteurs nommés par Son Altesse Sérénissime.
Un tel éloge donné sous le nom et presque sous l'aveu d'un
si grand et si savant prince, si pieux d'ailleurs et si religieux, donnerait à
cet écrivain une autorité qui sans doute ne lui convient pas, jusqu'à ce qu'il
se soit purgé de toute erreur. Les journaux le louent comme un homme connu dans
le monde par ses savantes critiques. Ces petits mots jetés comme en passant,
serviront à faire avaler doucement toutes ses erreurs ; à quoi il est nécessaire
de remédier ou à présent ou jamais.
Pour lui insinuer sur cela ses obligations, conformes au
premier projet dont vous venez de voir, Monsieur, qu'il m'avait fait
(a) Cet ouvrage est la Défense de la Tradition et des
saints Pères.
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l'ouverture, on peut se servir du ministère de M. Bertin,
qui espère insinuer ses sentiments à M. Bourret, et par là à M. Simon lui-même.
Quoi qu'il en soit, on ne se peut taire en cette occasion, sans laisser dans
l'oppression la saine doctrine. Vous savez bien que, Dieu merci, je n'ai par
moi-même aucune envie d'écrire. Mes écrits n'ont d'autre but que la
manifestation de la vérité : je crois la devoir au monde plus que jamais, à
l'âge où je suis et du caractère dont je me trouve revêtu. Du reste les voies
les plus douces et les moins éclatantes seront toujours les miennes, pourvu
qu'elles ne perdent rien de leur efficace. J'attends, Monsieur, vos sentiments
sur cette affaire, la plus importante qui soit à présent dans l'Eglise, et sur
laquelle je ne puis aussi avoir de meilleurs conseils que les vôtres. Tenez du
moins pour certain que je ne me trompe pas sur la doctrine des livres, ni sur la
nécessité et la facilité d'en découvrir les erreurs.
LETTRE LXXII.
M. DE MALEZIEU A BOSSUET. A Versailles, ce 23 mai 1702.
J'ai reçu, Monseigneur, la lettre que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire, et je l'ai lue avec toute l'attention que mérite la
matière et la personne. Je vois clairement qu'il eût été à souhaiter que vous
eussiez fait votre examen avant notre édition : mais après tout, Monseigneur,
que pouvait faire de mieux le souverain de Dombes et son chancelier, que de
prendre des examinateurs de votre main et de celle de M. le cardinal de
Noailles? Et quels examinateurs encore ! des professeurs de théologie, que vous
nous avez indiqués par distinction, qui après avoir lu cet ouvrage pendant une
année entière, nous ont dit et fait dire vingt fois, avant qu'on l'imprimât, que
c'était un livre excellent, et qu'ils le soutiendraient comme leur propre
ouvrage. Après cela, Monseigneur, si l'édition s'est faite, et si elle est
sortie de la souveraineté par la permission du souverain ; s'il a permis qu'elle
lui fût dédiée, il me paraît qu'il n'a fait que ce qu'il devait. Enfin,
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Monseigneur, elle est à présent hors de notre juridiction;
et tout ce qu'on peut faire, c'est de veiller à une seconde édition, et de la
réformer sur vos remarques au cas qu'il s'en fasse une. Car, comme vous
l'observez fort bien vous-même, le livre étant distribué chez les étrangers, il
est malaisé, pour ne pas dire impossible, de remédier absolument au passé. M.
l'Archevêque peut le défendre dans son diocèse, s'il croit qu'il soit assez
mauvais pour cela : mais encore un coup, nous n'y pouvons plus rien : il est
sorti de notre district ; et si le hasard avait fait qu'il fût encore entre nos
mains, je ne sais, Monseigneur, si vous eussiez voulu prendre sur vous de
déterminer absolument le prince à se servir de son autorité, pour étouffer une
édition que l'imprimeur a faite sur la bonne foi des approbations authentiques,
que M. l'archevêque et vous êtes censés avoir données, puisque vous avez donné
les approbateurs.
Cependant, Monseigneur, pour faire tout le bien qui dépend
de nous, et nous conformer à votre esprit, j'ai mis en œuvre M. Bertin. Il lit
vos observations avec M. Bourret, et ils me firent dire hier qu'ils espéraient
que tout le monde serait pleinement satisfait. L'auteur est en Normandie; ainsi
on n'a pu encore conférer là-dessus avec lui. Ces messieurs paraissent bien
persuadés que rien n'est plus aisé que de mettre cet ouvrage en état de passer
partout. Cependant l'examinateur persiste à dire que la traduction lui paraît
très-orthodoxe, et qu'il est impossible d'y donner une application plus sérieuse
que celle qu'il y avait donnée avant que de lâcher son approbation : mais comme
deux yeux voient mieux qu'un, j'espère aussi, Monseigneur, qu'ils déféreront
tous à votre autorité, et qu'ils chercheront les expédients convenables. Voyez,
Monseigneur, si je puis faire quelque chose de plus, et me faites l'honneur de
me donner vos ordres, que je recevrai toujours avec tout le respect que doit
avoir pour vous, etc.
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LETTRE LXXIII.
BOSSUET A M. L'ABBÉ BERTIN. Ce 19 mai 1702.
Je vous envoie mes remarques, Monsieur : vous voyez bien
qu'il y fallait donner du temps. Il n'en faudra guère moins pour revoir les
corrections de l'auteur, quand il en sera convenu. Je n'ai pas peur, Monsieur,
que vous les trouviez peu importantes : au contraire, je suis assuré que plus
vous les regarderez de près, plus elles vous paraîtront nécessaires ; et que
vous ne serez pas plus d'humeur que moi à laisser passer tant de singularités
affectées, tant de commentaires et de pensées particulières de l'auteur, mises à
la place du texte sacré et, qui pis est, des erreurs, un si grand nombre
d'affaiblissements des vérités chrétiennes, ou dans leur substance, ou dans
leurs preuves, ou dans leurs expressions, en substituant celles de l'auteur à
celles qui sont connues et consacrées par l'usage de l'Eglise, et autres
semblables obscurcissements. Il faut avoir pour l'auteur et pour les censeurs
toute la complaisance possible, mais sans que rien puisse entrer en comparaison
avec la vérité. Ce n'est pas assez de la sauver par des corrections : le livre
s'est débité; il ne sert de rien de remédier aux fautes par rapport à Paris,
pendant qu'elles courront par toute la terre, sans qu'on sache rien de ces
corrections (a). Il n'en faut qu'un exemplaire en Hollande, où l'auteur a
de si grandes correspondances, pour en remplir tout l'univers, et donner lieu
aux libertins de se prévaloir du nom glorieux de Monseigneur le duc du Maine, et
de celui des docteurs choisis par un si savant et si pieux prince, pour examiner
les ouvrages de sa célèbre imprimerie. Ce serait se déclarer ennemi de la
vérité, que d'en exposer la cause à un si grand hasard.
Puisqu'il faudra se déclarer sincèrement, et se faire
honneur
(a) Bossuet a ajouté de sa main dans l'original la remarque
suivante : « Nota, qu'en relevant les corrections, il faudra en indiquer
brièvement les raisons principales en substance. » (Les edit.)
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de l'aveu des fautes de cette traduction ; il n'en faut pas
faire à deux fois, et il est temps de proposer à M. Bourret et à l'auteur le
dessein que je vous ai confié. Je vous répète qu'il m'a offert à moi-même de
réfuter sa Critique du Vieux Testament; et il ne tint pas à moi que la
chose ne fût acceptée et exécutée au grand avantage de la vérité, et au grand
honneur de la bonne foi de l'auteur. Il faudrait pousser ce dessein plus loin,
et qu'il relevât pareillement les autres fautes de ses critiques suivantes. Il
me sera aisé de les indiquer ; car je les ai toutes recueillies : et si je
n'avais été empêché de les publier par d'autres besoins de l'Eglise, qui
paraissaient plus pressants, je puis assurer avec confiance sans présumer de
moi-même, qu'il y aurait longtemps que l'auteur serait sans réplique. Je n'en
veux pas dire ici davantage. Tout ce qui le fait paraître si savant, ne
paraîtrait que nouveauté, hardiesse, ignorance de la tradition et des Pères ; et
s'il n'était pas nécessaire de parler à fond à un homme comme vous, je
supprimerais volontiers tout ceci : mais enfin le temps est venu qu'il faut
contenter la vérité et l'Eglise.
Je vous laisse à ménager l'esprit de l'auteur avec toute
votre discrétion : je ferai même valoir sa bonne foi, tout autant qu'il le
pourra souhaiter. Quant au fond, je suis assuré d'en convenir avec lui; et quant
aux manières, les plus claires et les plus douces seront les meilleures. Je ne
veux que du bien à cet auteur, et rendre utiles à l'Eglise ses beaux talents,
qu'il a lui-même rendus suspects par la hardiesse et les nouveautés de ses
critiques. Toute l'Eglise sera ravie de lui voir tourner son esprit à quelque
chose de meilleur, et se montrer vraiment savant, non par des singularités, mais
par des recherches utiles. Pour ne rien oublier, il faut dire encore que la
chose se peut exécuter en deux manières très-douces : l'une, que j'écrive à
l'auteur une lettre honnête, où je l'avertisse de ce que l'édification de
l'Eglise demande que l'on corrige, ou que l'on explique dans ses livres de
critique, à commencer par la Critique du Vieux Testament et
consécutivement dans les autres, y compris sa version et ses scholies, et qu'il
y réponde par une lettre d'acquiescement : l'autre, que s'excitant de lui-même à
une révision de ses ouvrages de critique, etc.,
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comme ci-dessus, et examinant les propositions qu'on lui
indiquera secrètement, il y fasse les changements, corrections et explications
que demande l'édification de l'Eglise. Il n'y aura rien de plus doux, ni de plus
honnête, ni qui soit de meilleur exemple.
Ce sera alors qu'on pourra le regarder comme le digne
interprète de l'Ecriture, non-seulement du Nouveau Testament, mais encore de
l'Ancien, dont la traduction a beaucoup plus de difficultés. Pour m'expliquer
encore davantage, il ne s'agit pas de rejeter toute la Critique du Vieux
Testament, mais seulement les endroits qui tendent à affaiblir
l'authenticité des saints Livres : ce qui ne sera pas fort difficile à l'auteur,
puisqu'il a déjà passé condamnation pour Moïse dans sa préface sur saint
Matthieu. Au reste on relèvera ce qui sera bon et utile dans la Critique du
Vieux Testament, comme par exemple, si je m'en souviens bien, sur l'étendue
qu'il donne à la langue sainte, au-dessus des dictionnaires rabbiniques, par les
anciens interprètes et commentateurs. S'il y a quelque autre beau principe qu'il
ait développé dans ses critiques, je ne le veux pas priver de la louange qu'il
mérite ; et vous voyez au contraire que personne n'est mieux disposé que moi à
lui faire justice, dès qu'il la fera à l'Eglise.
LETTRE LXXIV.
M. L'ABBÉ BERTIN A BOSSUET. A Paris, ce 3 mai 1702.
J'ai reçu, Monseigneur, vos remarques que j'ai mises entre
les mains de M. Bourret, qui m'a parlé avec toutes les marques d'estime et de
respect qui vous sont dues. Il les lira aussitôt après la fête de l'Ascension,
parce qu'il est encore occupé de ses stations du jubilé.
Quant au Mémoire qui contient ce que vous souhaitez de la
part de l'auteur, il faut que je lui écrive, pour savoir comment il veut qu'on
agisse en son absence en cas qu'elle dure : car il est présentement à la ville
d'Eu ou aux environs, pour des affaires
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qu'il avait à y poursuivre. Ce que je sais en général de
ses intentions, est qu'il ne demande pas mieux que de revoir ses Critiques,
pour y faire les changements et corrections raisonnables; et je ne saurais
penser autre chose, sinon qu'il veut cela de bonne foi. J'ai même de la peine à
croire qu'il se soit jamais formé aucun système suspect, et qu'il l'ait voulu
établir dans ses écrits. Je croirais plutôt qu'il n'a pensé qu'à faire des
recherches et des remarques dont il laissait le jugement au lecteur. Dès que
j'aurai sa réponse, je vous en ferai part, Monseigneur; et si elle est telle que
je l'espère, j'aurai aussi l'honneur de vous communiquer les corrections avant
qu'on fasse des cartons. Pour ce qui est du débit du livre, on m'assure qu'il ne
s'est pas distribué plus d'une douzaine d'exemplaires, et que cela ne s'est fait
que par la même nécessité et pour les mêmes raisons qui en ont fait passer un
entre vos mains.
En jetant les yeux, Monseigneur, sur ce que vous avez
remarqué dans la préface, j'ai été bien content de l'estime que vous faites de
la règle du concile de Trente, qui oblige d'interpréter l'Ecriture sainte, non
selon des sens particuliers, mais juxta unanimem consensum, etc. Cette
règle me paraît l'unique fondement de la bonne théologie : en sorte que pour ce
qui regarde les dogmes, elle ne doit être établie que sur ces deux principes,
l'Ecriture et la Tradition; ou, pour le dire en un mot, sur le sens unanime dans
lequel les Pères ont entendu les passages de l'Ecriture.
Mais cette règle étant si constante, comment est-il arrivé
dans l'Eglise qu'on n'ait point fait difficulté de quitter sur le péché originel
une tradition unanime de treize siècles, pour embrasser la nouvelle opinion de
l'immaculée conception? Les Pères qui ont fini le concile de Trente ne
devaient-ils point craindre de déroger à une si importante règle, en insérant
dans les définitions du concile la déclaration qu'on y lit sur ce sujet. Les
Pères de la première assemblée n'avaient pas voulu la publier, quoiqu'elle eût
été proposée alors, et elle était demeurée sans effet à cause de la diversité
des suffrages. Est -ce que les Pères de la dernière assemblée, dont la plupart
n'avaient pas assisté à l'examen de la
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matière du péché originel, qui s'était fait dans la
quatrième session présentement appelée la cinquième, avaient plus de lumières
que ceux de la première assemblée, qui avaient traité expressément le point dont
il s'agit?
Permettez-moi de demander encore pourquoi on ne peut être
reçu dans la Faculté de théologie de Paris, si l'on ne jure dans le cours des
exercices théologiques qu'on tiendra les décrets de la faculté, et nommément
celui qui oblige à soutenir et défendre cette doctrine de l'immaculée
conception, sous peine d'être retranché de la Faculté, et d'en être rejeté comme
un païen et un publicain. Voici les termes du serment : Jurabitis quôd tenebitis
determinationem Facultatis de conceptione immaculatâ Virginis Mariœ, videlicet,
quàd in sud conceptione prœservata fuit aboriginali labe : R / Juro.
Et quant au décret, en voici aussi les termes. Après avoir
dit que c'est par l'inspiration du Saint- Esprit que le concile général de Bâle
et l'Eglise, qui ne peut errer, a reçu cette doctrine, le décret ajoute : In
ejus piissimœ doctrinœ defensionem ac propugnationem speciali sacramento
conjuravimus, nosque devovimus, statuentes ut nemo deinceps sacro huic nostro
collegio adscribatur, nisi se fntjus religiosœ docti inœ assertorem strenuumque
propugnatorempro viribus futurum, similijuramento profileatur. Quôd si quis,
quod absit, ad hostes Virginis transfuga, contrariae assertionis, quam falsam,
impiam, erroneam, judicamus...patro-cinium quâcumque ratione suscipcre ausus
fuerit : hinc honoribus nostris omnibus privatum, atque exaucloratum, à nobis et
consortio nostro, velut ethnicum et publicanum, procul abjieiendum decernimus.
Ce serment si précis paraît de telle importance à Josse
Clictou, qu'il l'appelle fidei sacramentum (1) ; et Major dit de la
Faculté de théologie de Paris, qu'en faisant ce décret, concludit post
determinationem factam in Basileensi concilio, esse hœreticum tenere beatam
Virginem conceptam in peccato originali.
Voilà, ce me semble, une étrange atteinte à la règle
susdite du concile, touchant le consentement unanime, etc... Mais ce n'est
1 In lib. III Sent., dist. III, quaest. 1.
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pas principalement pour cela que j'ai pris la liberté,
Monseigneur, d'en faire ici la remarque : c'est que je vois que plusieurs jeunes
théologiens, qui ne sont pas des moindres écoliers qui étudient ici sous les
professeurs, u'osent prendre des degrés en Sorbonne à cause du serment, que je
viens de rapporter : et depuis huit jours, il y en a un qui m'est venu demander
confidemment ce (lue je pensois sur ce sujet. Il me presse de lui dire si un
serment fait sur cette matière en conséquence d'une telle détermination, et sans
lequel on ne le recevrait point au rang que donne dans le monde et dans l'Eglise
la qualité de docteur, n'est qu'une cérémonie extérieure qui n'engage point la
conscience. Je n'ai su que lui répondre; et si j'osais, Monseigneur, je vous
supplierais de m'aider à déterminer ce jeune écolier, qui au jugement de ses
maîtres n'est pas un des moindres sujets qui pourraient entrer dans la Faculté.
Je vous demande pardon de la longueur de cette lettre, et je vous supplie,
Monseigneur, d'agréer mes très-humbles respects, etc.
LETTRE LXXV.
BOSSUET A M. L'ABBÉ BERTIN. A Meaux, ce 27 mai 1702.
Quand vous dites, Monsieur, que notre auteur n'a point de
système dans ses ouvrages critiques, si vous entendez qu'il n'y établit
directement aucun dogme particulier, cela est vrai : mais à cela il faut ajouter
que toutes ses remarques tendent à l'indifférence des dogmes, et à affaiblir
toutes les traditions et décisions dogmatiques ; et c'est là son véritable
système qui emporte, comme vous voyez, l'entière subversion de la religion.
Vous dites que son dessein est de faire des remarques dont
il laisse le jugement au lecteur. C'est cela même qui établit cette
indifférence, que de proposer des remarques affaiblissantes, et laisser juger un
chacun comme il l'entend.
Je passe outre, et je vous assure que son véritable système
dans sa Critique du Vieux Testament, est de détruire l'authentique
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cité des Ecritures canoniques : dans celle du Nouveau, sur
la fin, d'attaquer directement l'inspiration, et de retrancher ou rendre douteux
plusieurs endroits de l'Ecriture, contre le décret exprès du concile de Trente :
dans celle des commentateurs, d'affaiblir toute la doctrine des Pères, et par un
dessein particulier celle de saint Augustin sur la grâce ; sous prétexte de
louer les Pères grecs, de donner gain de cause aux pélagiens, et d'adjuger la
préséance aux sociniens parmi les commentateurs. C'est ce que je puis prouver
avec tant d'évidence, que cet auteur n'osera lever les yeux. Cela soit dit entre
nous, et pour l'usage de vous seul. Car au reste, je suis bien d'avis qu'on
l'engage à son devoir plutôt par douceur et honnêteté que par menace, pourvu
seulement que la vérité n'en souffre pas.
Les fautes de sa version sont une suite des faux principes
qu'il a posés dans ses Critiques. Il n'y eut jamais d'exemple d'une
témérité pareille à la sienne, ni d'une telle licence dans la version et dans
l'interprétation de l'Evangile. S'il ne satisfait le public sur cet endroit-là,
il ne faut plus parler de fidélité dans les traductions et explications; et si
en satisfaisant sur ces endroits, on lui passe ses autres ouvrages, c'est trop
ouvertement les autoriser, comme je crois l'avoir démontré par mes précédentes.
Du reste, je ne contesterai pas la bonne foi que vous lui
croyez, pourvu qu'on y prenne garde de bien près, et qu'on ne soit pas la dupe
de ses artificieuses échappatoires, comme l'ont été jusqu'ici, je l'oserai dire
sans pourtant vouloir fâcher personne, presque tous ceux qui ont examiné ses
ouvrages, et en particulier son Nouveau Testament. Ceci, encore un coup, n'est
que pour vous. Car je veux, autant qu'il sera possible, ménager tout le monde en
esprit de charité, pourvu qu'on en vienne à la fin qu'on se propose : mais il
est de la dernière conséquence que vous bâtissiez sur ce fondement, et que vous
connaissiez bien votre homme.
Quant à la difficulté que vous me proposez sur le doctorat,
le concile de Trente n'a pas cru que ce fût déroger à une règle universelle, que
de laisser à Dieu le pouvoir d'en excepter pour l'honneur du Fils de Dieu, une
personne unique et aussi
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distinguée que sa sainte Mère. C'est ce qui a donné lieu à
la fin de son décret sur le péché originel. Sixte IV avait fait la même
exception. Saint Augustin lui-même a donné lieu à une autre exception semblable.
Il est dit aussi généralement que tous les hommes pèchent actuellement, qu'il
est dit qu'ils contractent tous le péché d'Adam dès leur conception. Cependant
vous savez l'exception de saint Augustin à l'égard de la sainte Vierge,
propter honorem Domini. Le concile de Trente l'a suivi, en disant sur le
péché actuel « que personne ne peut éviter les péchés véniels que par un
privilège spécial de Dieu, tel que celui que l'Eglise croit avoir été accordé à
la bienheureuse vierge Marie : » Nisi ex speciali Dei privilegio, quemadmodùm
de beatâ Virgine Maria tenet Ecclesià (1). Il se garde bien d'en dire autant
du péché originel : mais il est vrai que saint Augustin a mis ces deux sortes de
péchés comme en égalité, lorsqu'il a dit en parlant de Jésus-Christ :
Profecto enim peccatum major fecisset, si parvulus habuisset (2) : « Il eût
sans doute commis quelque péché dans l'âge adulte, s'il en avait eu étant
enfant. » Quoique cette règle soit véritable et énoncée en termes généraux, elle
ne laisse pas de souffrir une exception en faveur de la sainte Vierge.
On peut donc tenir pour probable même l'exemption du péché
originel à son égard : le concile de Trente en a donné l'exemple après Sixte IV.
Notre Faculté n'en demande pas davantage; et tous nos docteurs conviennent
qu'elle réduit l'ancienne définition de Bàle aux termes du concile de Trente :
ainsi il n'y a plus là de difficulté. Il faudrait s'expliquer davantage avec un
homme moins instruit : et j'ajouterai seulement que l'intention de la Faculté
n'est pas d'obliger personne à prêcher et enseigner positivement la conception
immaculée; à quoi jusqu'ici je n'ai pas vu qu'on ait jamais pris garde. Mais
quoi qu'il en soit, on n'est obligé par le serment doctoral qu'à tenir l'opinion
dont il s'agit comme plus probable, ou en tout cas, si l'on veut, comme
théologiquement certaine, selon les décrets de la Faculté : ce qui n'empêche pas
que la règle du péché originel ne demeure pour certaine, et qu'on ne croie que
la sainte Vierge y serait comprise,
1 Sess. VI, can. XXIII. — 2 Cont. Jul., lib. V, n.
57.
266
sans une exception particulière provenue de la
toute-puissance. Je suis, Monsieur, etc.
LETTRE LXXVI.
M. PIROT A BOSSUET. En Sorbonne, ce 17 mai 1702.
J'ai depuis mercredi, veille de l'Ascension, vos
observations entre mes mains, où j'ai trouvé toute la solidité que j'attendais
de vous à ce sujet. Monseigneur le cardinal de Noailles me les envoya en
Sorbonne à son retour de Conflans, où il les avait reçues la veille. Et comme
vous lui marquiez de les faire voir aussi à M. de Beaufort et à M. Boileau, il
me dit de les lire le plus vite que je pourrais, pour les leur communiquer. Je
viens d'en achever la lecture avec l'exactitude dont je suis capable. J'avais lu
auparavant celles qui ont été déjà faites de la première partie, qui comprend l’Evangile
et les Actes, et j'avais en mon particulier parcouru toutes les deux
parties. Jeudi et hier je dis quelques endroits des vôtres à Monseigneur le
cardinal, qui les trouva importants. Ils ne sont pas tous d'une même conséquence
: mais il y en a un si grand nombre d'essentiels, que je doute qu'on y puisse
apporter remède. Je lui ai marqué que vous vous attendiez à voir les remarques
qu'a faites celui à qui il a fait lire la première partie; et il m'a répondu
qu'il vous les enverrait. Il aura demain à son retour de Versailles mon paquet,
qui renferme les unes et les autres. Je ne doute pas qu'il ne vous envoie les
siennes sur l'heure, et qu'il ne communique les vôtres à ces deux Messieurs.
Pour moi je n'ai fait nulles remarques que sur mes tablettes : mais je les aurai
toutes présentes quand il en faudra parler, et j'y serai toujours tout prêt. La
plupart de celles qui sont considérables reviendront aux vôtres. La religion a
un très-grand intérêt d'empêcher que le livre ne paroisse dans l'état où il est.
Je ne sais s'il pourra jamais être assez réformé pour paraître.
M. Bourret me dit hier qu'il n'avait pas encore vu ce que
vous
267
aviez fait; et cela m'étonna après ce que j'avais lu dans
une lettre, que vous lui faisiez tenir vos réflexions. Votre politesse vous l'y
fait ménager autant que le bien de l'Eglise l'a pu permettre. Il est digne de
votre estime, Monseigneur : il est capable, appliqué, bien intentionné; mais il
a été trop facile, et n'a pas assez pensé à son approbation avant de la donner.
Vous le marquez assez sur le jugement qu'il a porté de la préface, où vous
trouvez avec raison tant de défauts. Vous traitez l'auteur avec toute la douceur
possible : vous soutenez toujours avec tout cela la bonne doctrine, et vous y
avez toute la vigilance et toute la force qu'il convient. Mais le moyen de ne
pas faire voir le danger qu'il y a à user d'expressions toutes sociniennes,
toutes pélagiennes, et qui induisent au moins à une théologie nouvelle par un
changement de notions et de langage ecclésiastique? Quand j'aurai eu l'honneur
de parler à Monseigneur le cardinal, je vous rendrai compte de tout,
Monseigneur. Le Père Bouhours (a) est mort après diner : il aurait
demandé grâce pour les pour que, et ce n'est pas ce qu'il y a de plus à
condamner : mais rien n'est à négliger dans la parole de Dieu. Je suis avec un
très-profond respect, etc.
Pirot.
LETTRE LXXVII.
BOSSUET A M. P IROT. A Meaux, ce 28 mai 1702.
Je suis bien aise, Monsieur, de voir par votre lettre que
mes remarques sont entre vos mains, et que vous les ayez lues. Je ne prétends
pas qu'elles soient toutes d'une égale conséquence; mais je crois qu'il n'y en a
guère qui ne demandent des cartons. Pour moi je n'ai jamais vu d'exemple d'une
pareille témérité. Je crois pourtant qu'à force de cartons on pourrait rendre
l'ouvrage passable; mais on n'en fera jamais une version parfaite. Je crois de
plus qu'en même temps qu'on corrigera cet ouvrage, il ne sera pas permis de se
taire sur les autres erreurs de ses Critiques,
(a) Dominique Bouhours, Jésuite, auteur de plusieurs
ouvrages estimés, mort n l'âge de soixante-quinze ans.
268
pour deux raisons : la première, qu'on ne doit recevoir un
Nouveau Testament que d'une main irréprochable ; autrement ce serait donner de
l'autorité à un homme qui n'en peut avoir qu'au préjudice de la vérité : la
seconde et la principale, c'est que relever les erreurs d'un dernier ouvrage,
c'est autoriser les précédentes, à moins qu'on ne les note expressément : ce qui
est d'autant plus vrai, que les dernières erreurs, je veux dire celles de la
traduction, ne sont que le mauvais fruit des principes et maximes posés dans les
Critiques qui ont précédé. Ainsi ce serait trahir la vérité que de
laisser sans note les Critiques de l'auteur, à commencer par celles du
Vieux Testament.
Je suis assuré qu'il y a de quoi le confondre, jusqu'à
l'empêcher de lever les yeux. Il y a trop longtemps que ce faux critique se joue
de l'Eglise ; et il paraît que Dieu a permis les prodigieuses erreurs de sa
version, pour faire naître une occasion de noter ses fautes passées. C'est un
ouvrage déjà presque fait, et je puis en très-peu de temps le mettre en état de
voir le jour. Je vous prie que ceci demeure entre vous et moi durant quelque
temps, et de l'expliquer seulement à Son Eminence, en lui demandant un pareil
secret : la raison qui m'y oblige, c'est que je fais secrètement une tentative
pour obliger l'auteur à se rétracter lui-même; et il semble qu'il n'en paroisse
pas éloigné : cela serait plus doux et plus fort d'une certaine manière, parce
qu'on aurait son consentement. Je saurai bientôt ce qu'il y a à espérer de ce
côté-là, et j'en rendrai compte à Son Eminence.
Quoi qu'il en soit, il y va de tout pour la religion de
faire connaitre cet auteur, qui s'en moque tout visiblement, et d'abattre avec
lui une cabale de faux critiques dont il est le chef, et qui ne travaillent qu'à
ôter toute autorité aux saints Pères et aux décisions de l'Eglise. Je vois cela
si clair, que je ne crois pas pouvoir me taire en conscience; et je suis
persuadé que Son Eminence demeurera convaincue de la vérité de mon sentiment,
par les raisons que j'aurai à lui exposer. Mais il est bon d'aller doucement, et
de tâcher de tirer le consentement de l'auteur, qu'il m'a lui-même offert
autrefois; et il ne tint pas à moi que la chose ne fût exécutée.
269
Au reste, la version est si gâtée, que je ne saurais ouvrir
le livre sans y trouver quelque tache. Aujourd'hui, sans aller plus loin, je
trouve au chapitre X, verset 4 de la première Epître aux Corinthiens, que
le traducteur fait suivre les eaux, quoique saint Paul dise expressément :
Bibebant de spirituali consequente eos petrâ : ce qui montre que c'est la
pierre qui suit, et non pas les eaux. La note brouille aussi tout cet endroit :
et quoique cette remarque puisse paraître peu importante à cause qu'elle ne
touche pas la foi, elle montre une hardiesse à substituer ses pensées à celles
de saint Paul, qui ne doit pas être soufferte.
Au même chapitre, note sur le verset 22, l'auteur traite
d'indifférent de manger des choses immolées, pourvu qu'on évite le scandale; ce
qui est faux, de toute fausseté. Car il est bien vrai que saint Paul défend de
s'enquérir scrupuleusement si une viande a été immolée ou non ; mais lorsqu'il
est certain et notoire qu'elle l'a été, il est mauvais de soi d'en manger; et
c'est saint Paul qui le décide lui-même dans les versets précédents. On ne
flairait point sur cette matière; et je ne vois rien à présent de plus important
dans l'Eglise, que de réprimer ces dangereuses critiques : je n'en dirai pas
davantage quant à présent.
Je suis lâché de la mort du père Bouhours qui était de mes
amis; mais je ne lui aurais pas cédé sur le pour que. Ses expressions affectées
et de mode me semblent indignes, je ne dis pas d'une version de l'Evangile, mais
encore de tout ouvrage sérieux.
Je n'ai pas besoin de vous prier de choisir les moments de
Monseigneur le Cardinal parmi les affaires qui l'accablent, et surtout durant
l'assemblée. Quand j'aurai quelque réponse ou de l'auteur ou de, M. Bourret, à
qui les remarques doivent être à présent communiquées, je vous en dirai
davantage.
LETTRE LXXVIII.
M. PIROT A BOSSUET. En Sorbonne, ce 4 juin 1702.
J'ai de grands compliments à vous faire de la part de
Monseigneur le Cardinal de Noailles, en vous envoyant ses harangues : il m'a
270
chargé de vous marquer qu'il vous aurait écrit lui-même
pour vous les offrir, s'il en donnait; mais il n'en donne point, et ce n'est pas
lui qui a pensé à les faire imprimer : on l'y a engagé, et je crois qu'on a eu
raison : elles sont trop belles pour n'être pas publiques; chacune a ce qui lui
convient. Vous aurez d'ailleurs appris le succès qu'elles ont eu l'une et
l'autre ; et quand vous les lirez toutes deux, vous le croirez aisément.
Je croyais qu'il vous aurait envoyé ses remarques sur le
premier tome, comme je l'en avais prié : mais quand je lui en ai parlé ce matin,
il m'a dit qu'il ne les avait pas encore fait copier, et qu'il y allait donner
ordre, pour vous les envoyer au moment qu'elles le seraient. Il a lu la dernière
lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur la version ; et il y a
encore ce matin repassé en ma présence, condamnant comme vous, Monseigneur, ce
que vous marquez des eaux qui suivaient les Israélites, et des viandes immolées.
Vous le trouverez, quand vous viendrez ici, qui sera apparemment au temps qu'il
aura plus de liberté, comptant que l'assemblée finira avec l'octave de la
Fête-Dieu, dans de très-bonnes dispositions à cet égard.
Permettez-moi, Monseigneur, de vous dire que je doute que
vous puissiez faire assez de cartons, pour parvenir à rendre le livre correct.
Il faudrait sûrement ôter plus du tiers du livre, et le changer. Je ne l'ai pas
lu de suite, n'étant chargé par personne d'en répondre; mais j'y ai trouvé
beaucoup à désirer en ce que j'en ai lu. Il n'y a que deux jours qu'en l'ouvrant
à l'endroit de la Seconde Epître aux Corinthiens, je trouvai trois
endroits dans les trois premiers chapitres, qu'il me semble qu'on ne pourrait
tolérer. Chapitre I, verset 9, le texte porte tout le contraire de ce qu'il faut
: Assurance de ne pas mourir, au lieu de réponse de mort. Chapitre II, verset 10
: Représentant Jésus-Christ : cela est dans le texte; mais la note l'affaiblit,
et cite faussement Théodoret. Chapitre III, verset 6 : La lettre tue,
c'est-à-dire punit de mort, dit la note ; et c'est une très-mauvaise
interprétation, comme le remarque Estius. En bien des endroits, l'auteur se met
à la place de saint Paul, et il se contente de mettre l'Auteur sacré dans la
note, se mettant lui-même dans le texte. Chapitre vi de cette même
271
Epître, verset 1, il met dans le texte : De vivre
selon la grâce que vous avez reçue de lui; et en note : Ne pas recevoir
sa grâce en vain : cela est très-fréquent. Il paraît affecter de marquer que
les apôtres et Jésus-Christ même ont réglé la discipline de l'Eglise sur celle
de la Synagogue. Je serais bien aise qu'on pût sauver ce livre par une
correction limitée, mais je doute que cela se puisse.
Monseigneur le Cardinal est très-bien intentionné, mais il
ne décidera qu'avec vous, et vous ne serez pas de différents avis. Il compte que
vous voudrez bien faire part des exemplaires qu'il sait que je vous envoie de
ses harangues, à M. l'abbé. Je suis avec un très-profond respect, etc.
Pirot.
LETTRE LXXLX.
BOSSUET A M. DE MALEZIEU. A Meaux, ce 6 juin 1702.
Sans entrer, Monsieur, pour aujourd'hui dans tout le détail
de la lettre dont vous m'honorez, du 29 mai, je m'en tiens à l'assurance qu'on
vous donne de contenter tout le monde. C'est vous sans doute qui inspirez ces
bons sentiments, et c'est aussi ce qu'on peut attendre de vous, si on l'exécute.
On aurait grand tort de rien imputer ni au prince ni à son ministre : tout roule
ici sur les docteurs, comme j'ai eu l'honneur de vous l'écrire. On ne peut pas
se plaindre qu'ils soient mal choisis; et quoique je ne connusse point du tout
M. Bourret, j'ai moi-même approuvé ce choix sur sa réputation et sur sa qualité
de professeur de Sorbonne. Mais il en faut revenir au fond ; et puisqu'il est
vrai que la version est insupportable, et digne sans exagérer des plus
rigoureuses censures, il faut que la vérité l'emporte et soit satisfaite
préféra-élément à toute autre considération.
Il n'y a point d'exemple d'une pareille témérité à celle de
cet auteur, qui en tant d'endroits interprète à sa fantaisie sans aucun égard à
la tradition.. On ne saurait ouvrir le livre sans y trouver de nouvelles fautes
importantes; et je n'en suis pas étonné, le
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connaissant, comme je fais, il y a vingt ans. Quoi qu'il en
soit, s'il veut satisfaire, il n'aura point d'obstacle de ma part : s'il
refusait, ce que je ne crois pas après les assurances qu'on vous donne, nulle
bonne foi ne pourrait ici servir d'excuse, ni permettre qu'on donnât cours à
l'erreur, et encore sous le nom d'un aussi grand prince. Revenons donc à la
satisfaction qu'on promet. Je suis, etc.
LETTRE LXXX.
M. BERTIN A BOSSUET. A Paris, ce S juin 1702.
J'ai reçu, Monseigneur, la réponse de M. Simon : il me
mande qu'aussitôt qu'il aura mis à couvert quelques petits effets qu'il a dans
Dieppe, pour lequel on craint un nouveau bombardement, il partira pour revenir.
Il ajoute que quoique vous lui ayez été contraire en plusieurs choses, il n'a
jamais perdu l'estime et le respect qu'il doit avoir pour votre mérite, qu'il en
a même donné des preuves dans quelques-uns de ses ouvrages : qu'il est vrai
qu'il n'a pas tenu à vous que ses Histoires critiques ne fussent
réimprimées dans Paris avec privilège, après qu'il les aurait retouchées. Il
croit même avoir encore l'exemplaire, à la marge duquel vous avez fait quelques
remarques. Mais M. Pirot, dit-il, après avoir gardé le livre plus de deux ans,
le lui rendit, en disant que ses confrères se moqueraient de lui, s'ils
approuvent un ouvrage qui avait été supprimé par M. le chancelier, sur le
rapport qu'il en avait fait. Il dit que depuis ce temps-là il n'a plus pensé à
cette nouvelle édition; mais qu'il a refondu son livre, et qu'il l'a augmenté de
plus des deux tiers, lui donnant le titre de Bibliothèque sacrée; qu'il
le soumettra de tout son cœur à votre jugement. Il ne m'a pas répondu
précisément touchant la version entière de la Bible, avec des remarques
littérales et critiques, sur laquelle je lui avais demandé ses dispositions. Il
témoigne seulement qu'il y travaillerait volontiers s'il avait assez de santé ;
que c'est un ouvrage pénible, et sujet à de grandes contradictions; que s'il
avait eu un protecteur qui fût en même temps connaisseur,
273
il aurait volontiers donné tous ses soins à ne pas laisser
croire aux protestants que nous manquons de gens capables de faire voir que les
catholiques ne sont pas surpassés par eux en ces sortes d'entreprises. Sa lettre
est du 30 de mai.
M. Bourret m'a dit qu'il lisait avec assiduité ce que je
lui ai remis entre les mains, et qu'il serait bientôt en état de vous rendre
compte, Monseigneur, de sa lecture. Si vous ne revenez pas si tôt à Paris, je
crois qu'il faudra qu'il le fasse par écrit. Je vous supplie, Monseigneur,
d'agréer toujours mes très-humbles respects.
Bertin.
LETTRE LXXXI.
M. BOURRET A M. BERTIN (a). En Sorbonne, ce 30 juillet 1702.
Quoique vous m'ayez dit, Monsieur, que vous ne voulez plus
vous mêler de ce qui regarde le nouveau livre, ne pouvant m'adresser mieux qu'à
vous pour faire savoir à Monseigneur de Meaux la disposition dans laquelle je
suis à son égard, je crois que notre ancienne amitié me doit faire espérer que
vous voudrez bien vous employer pour cela. Vous savez que j'ai ordonné douze
cartons pour satisfaire à ce qui m'a paru le plus digne de considération dans
ces remarques, et que j'étais aussi tout disposé à lui communiquer mes
observations sur ces mêmes remarques, dans ce qui regarde les autres endroits,
ayant déjà commencé de les mettre au net. Mais comme j'apprends que le livre se
débite, ce qui rend mes observations inutiles pour l'examen de cette édition ;
et que d'ailleurs c'est un bruit public que Monseigneur l'évêque de Meaux écrira
contre cette traduction, cette seconde raison m'arrête encore, et me fait croire
que je ne dois plus
(a) Comme M. Bourret figure d'une manière si
particulière dans l'affaire de Richard Simon, et qu'il est beaucoup question de
lui dans les lettres que l'on vient de lire ; nous avons pensé qu'il convenait
de rapporter aussi celle de ce docteur, qui est très-propre à faire connaître
ses sentiments, et qui regarde directement Bossuet. (Les édit.)
274
communiquer mes observations, .parce que l'auteur m'en a
fourni une bonne partie dans les éclaircissements que j'ai eus avec lui depuis
qu'il est à Paris : ainsi j'appréhenderais d'agir contre la fidélité que je lui
dois. Je serais aussi très-fâché de paraître dans la scène qui se donnerait au
public, et de passer pour l'adversaire de Monseigneur de Meaux, avec qui je me
suis toujours trouvé conforme pour les sentiments, et que je regarde comme le
plus fort théologien de notre siècle, pour qui enfin j'ai toujours eu un
très-grand fond d'estime et de respect. Vous me ferez donc un très-grand plaisir
de lui faire savoir l'impossibilité où je me trouve de lui donner mes
observations, et de lui dire que je le supplie de ne l'avoir pas désagréable ;
qu'au reste, comme on parle d'une seconde édition qui ne se donnera point au
public sans avoir été examinée par quelque docteur agréable à mondit Seigneur,
alors se produira tout ce que nous avons de défense ; d'où résultera le bien de
l'Eglise, comme je l'espère. Croyez que vous me ferez en cela une vraie amitié,
et un plaisir d'autant plus grand, que je suis persuadé que le prélat recevra
très-bien mon excuse, lorsque ce sera vous qui la lui présenterez, et qui
l'assurerez de ma droiture naturelle, dont je ne me suis point départi dans tout
le cours de cette affaire. Je suis plus que jamais et pour toujours, etc.
G. Bourret.
LETTRE LXXXII.
BOSSUET A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). A Versailles, ce 18 juin
1702.
J'ai remis ce matin, Monseigneur, aux mains de M. l'abbé de
Catelan, mes remarques sur votre ouvrage, comme vous l'avez ordonné. D'autres
occupations très-pressantes, dont je vous ai écrit quelque chose dans une lettre
précédente, m'ont empêché de vous obéir plus tôt : je vous en dirai davantage
quand l'affaire sera plus avancée. A l'égard de votre ouvrage, je compte qu'il
n'y
(a) Collationnée. Manuscrit à Meaux.
273
a encore que la matière, matière excellente à la vérité et
traitée avec la netteté qui vous est naturelle ; mais pour y donner la forme que
demandent des réunis, il y faut un nouveau travail qui ne sera pas fort
difficile, puisque tout est prêt. S'il me vient quelque chose dans l'esprit sur
la disposition de cet ouvrage, je prendrai la liberté de vous le dire, en
soumettant tout à votre jugement et à la connaissance que vous avez du besoin de
ceux que Dieu vous a donnés à instruire. Je suis, Monseigneur, avec le respect
que vous connaissez, etc.
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