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LETTRE CCXVIII.
BOSSUET A LEIBNIZ.
Août 1693.
Toutes les fois que M. de, Leibniz entreprendra de prouver
que l'essence du corps n'est pas dans l'étendue actuelle, non plus que celle de
l’âme dans la pensée actuelle, je me déclare hautement pour lui. J'ai même
travaillé sur ce sujet; et je prétends pouvoir démontrer par M. Descartes, qu'il
n'a point sur cela un autre sentiment que celui de l'Ecole. En cela donc, comme
en beaucoup d'autres choses, ses disciples ont fort embrouillé ses idées : les
siennes même n'ont pas été fort nettes, lorsqu'il a conclu l'infinité de
l'étendue par l'infinité de ce vide qu'on imagine hors du monde; en quoi il
s'est fort trompé : et je crois que de son erreur on pourrait induire par
conséquences légitimes l'impossibilité de la création et de la destruction des
substances, quoique rien au monde ne soit plus contraire à l'idée de l'Etre
parfait, que ce philosophe prend pour principal moyen de l'existence de Dieu.
Quant au surplus de la dynamique, je m'en instruirai avec
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plaisir: car autant que je suis ennemi des nouveautés qui
ont rapport avec la foi, autant suis-je favorable, s'il est permis de l'avouer,
à celles qui sont de pure philosophie, parce qu'en cela on doit et on peut
profiter tous les jours tant par le raisonnement que par l'expérience.
LETTRE CCXIX.
LEIBNIZ A BOSSUET.
Le petit discours de l'essence
du corps ne saurait partir que d'une main excellente; et comme il y est
marqué qu'elle a travaillé sur cette matière, j'en attends des lumières
considérables. Le parallèle de la pensée actuelle de l'âme avec l'étendue
actuelle du corps est fort juste. Je suis effectivement d'opinion, qu'il est
aussi naturel à l'âme de penser qu'au corps d'être étendu, quoique cet effet
naturel puisse être suspendu par la cause suprême. Cependant il n'est pas assez,
pour éclaircir la nature du corps, qu'on lui attribue une simple possibilité,
qui ne dit que ce qu'il pourrait avoir : il faut lui attribuer quelque chose
d'effectif; savoir la puissance, qui est un état dont l'effet suit, pourvu que
rien ne l'empêche. Cette puissance, quand elle est primitive, est proprement la
nature du corps; c'est-à-dire, selon la définition d'Aristote, le principe du
mouvement et du repos, ou plutôt de la résistance au mouvement. Car je crois que
naturellement le corps n'est jamais dans un parfait repos, non plus que l’âme
sans pensée; et je suis persuadé que l'action convient toujours naturellement à
toutes les substances. En quoi l'on voit que nos nouveaux philosophes, qui ne
sont pas instruits de cette vérité, n'ont pas eu la véritable idée du corps :
car l'étendue ne leur donne qu’une idée incomplète, qui n'est point celle de la
substance. Cela n'empêche pas que tout se fasse dans le corps selon les lois de
la mécanique : mais l'origine de ces lois vient d'une cause supérieure, comme
mes dynamiques le feront voir; et j'ai déjà montré dans le Journal des
Savants, qu'elles ne sauraient venir de la seule notion de l'étendue.
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Je crois que l'Ecole a raison ;
mais qu'elle a été méprisée de nos temps, parce qu'elle ne s'était pas expliquée
par quelque chose d’assez intelligible. La notion de la force y est
merveilleusement propre. Je distingue entre la force primitive du corps, qui est
de son essence et qui est en quelque façon infinie, et entre la force
accidentaire, qui est une modification de la force primitive, née des
circonstances des corps ambiants : c'est ce qu'on appelle la force mouvante, qui
a lieu dans les machines.
La découverte que je fis de la
véritable loi de la nature sur le mouvement, me fit penser à l'importance de la
notion de la force, et au projet d'une science nouvelle, que j'appelle la
Dynamique. J'avais donné, comme les autres, dans l'opinion vulgaire ; mais il y
a déjà plusieurs années que je suis désabusé. Le vulgaire établit une
compensation entre la vitesse et la grandeur, comme si le produit de la vitesse
et de la grandeur, qui s'appelle la quantité du mouvement, faisait la force.
C'est pourquoi M. Descartes, suivant en cela le préjugé commun, a cru que la
même quantité du mouvement se conserve. Soient deux corps A et B ;
et avant le choc, la vitesse du corps A soit (c), la vitesse du
corps B soit (n). Après le choc, celle d’A soit (c),
et celle, du corps B soit (n). Cela posé, suivant la règle des
cartésiens , A multiplié par (c), plus B multiplié par (n)
est égal à A multiplié par (c) , plus B multiplié par (n),
ou bien A c + B n = A c + B n. J'ai trouvé que cette
règle n'est pas soutenante. Par exemple, supposons qu'A soit de quatre
livres et B d'une livre : supposons encore qu'avant le choc A soit
en mouvement avec la vitesse, d'un degré et B en repos ; enfin supposons
que, suivant les circonstances, toute la force A doive être transférée sur B
; en sorte qu'enfin A soit en repos, et B seul soit en mouvement :
cela posé, B recevra quatre degrés de vitesse, selon les cartésiens. Or
j'ai démontré ailleurs que si cela était, nous aurions le mouvement perpétuel
tout, trouvé, et l'effet plus puissant que sa cause. Car supposons qu'A 4
ait acquis sa vitesse en tombant de la hauteur d'un pied, et que puis continuant
son mouvement dans le plan horizontal, il y donne toute la force à B I,
qui était auparavant en repos; et que B se trouvant aux bords d'un plan
incliné, ou bien au bout
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d'un pendule, emploie à monter la force qu'il a reçue :
donc B I commençant à monter avec la vitesse 4, montera à la hauteur de
seize pieds, suivant les démonstrations de Galilée. Ainsi au lieu que la cause
était A 4 élevé à un pied, l'effet sera B I élevé à seize, pieds,
et l'effet sera le quadruple de sa cause. Car quatre livres élevées à un pied
valent autant qu’une livre élevée à quatre pieds : et même nous pourrions avoir
le mouvement perpétuel, comme j'ai démontré ailleurs. Voici comme je le corrige.
Mon principe est que ce n'est pas la même quantité du mouvement, mais la même
quantité de la force qui se conserve; que cette conservation consiste dans une
équivalence parfaite de l'effet entier et de la cause ; que réduire au mouvement
perpétuel est réduire, ad absurdum; qu'ainsi estimant la force par
l'effet, on doit estimer la force non pas par le produit du poids et de la
vitesse multipliés ensemble, mais par le produit du poids et de la hauteur à
laquelle le poids doit monter en vertu de la vitesse qu'il a, cette hauteur
n'étant pas en raison des vitesses, mais en raison doublée des vitesses. Dans la
mécanique vulgaire du levier, de la poulie, etc., la considération de la hauteur
et de la vitesse sont coïncidentes, ce qui a aidé à tromper les gens : mais il
n'en est pas de même, quand il s'agit de ce que j'appelle la force vive.
Ainsi pour rectifier l'équation
A (c) + B (n) = A (c) + B (p),
il faut que (c) et (n) item (c) et (p) signifient
non les vitesses, mais les hauteurs que les vitesses peuvent produire. Et par
conséquent datas le cas particulier proposé, A 4 avec vitesse I,
rencontrant B 4 en repos, et lui donnant toute sa force , suivant la
supposition, lui donnera la vitesse 2 : car ainsi A 4 ayant acquis sa
vitesse en descendant d'un pied ; B I en vertu de la sienne montera a
quatre pieds : et au lieu de la cause qui était l'élévation de quatre livres à
un pied, nous avons un effet égal à cette cause, qui est l’élévation d'une livre
à quatre pieds.
J’ai vu par cela et par d'autres
raisons, que ce n'est pas la quantité du mouvement que la nature conserve ; car
il tient de l’Etre de raison, puisque le mouvement n'existe jamais à la rigueur,
ses parties n'existant jamais ensemble: mais que c'est plutôt la force dont la
quantité est exactement conservée ; car la
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force existe véritablement. On voit aussi la différence
entre l'estime par le mouvement, et entre l'estime par la force. Il y a encore
bien des choses à dire là-dessus : mais cela suffit pour faire entendre mon but.
LETTRE CCXX.
LEIBNIZ A BOSSUET.
C'est avec votre pénétration
ordinaire que vous avez bien jugé, Monseigneur, combien la dynamique établie
comme il faut, pourrait avoir d'usage dans la théologie. Car pour ne rien dire
de l'opération des créatures et de l'union entre l’âme et le corps, elle fait
connaître quelque chose de plus qu'on ne savait ordinairement de la nature de la
substance matérielle, et de ce qu'il y faut reconnaître au delà de l'étendue.
J'ai quelques pensées là-dessus, que je trouve également, propres à éclaircir la
théorie des actions corporelles, et à régler la pratique des mouvements : mais
il ne m'a pas encore été possible de les ramasser en un seul corps, à cause des
distractions que j'ai. J'en avais communiqué avec M. Arnauld à l'égard de
quelques points, sur lesquels nous avons échangé des lettres. Par après je mis
dans les Actes de Leipsick, mois de mars 1(585, une démonstration abrégée de
l'erreur des cartésiens sur leur principe, qui est la conservation de la
quantité du mouvement : au lieu que je prétends que la quantité de la force se
conserve, dont je donne la mesure, différente de celle de la quantité du
mouvement. M. l'abbé Catellan y avait répondu dans les Nouvelles de la
République des Lettres, septembre 1686, page 999, mais sans avoir pris mon sens,
comme je reconnus enfin et le marquai dans les Nouvelles de septembre de l'année
suivante. Le révérend P. Malebranche, dont j'avais louché le sentiment sur les
règles du mouvement, dans ma Réplique à M. Catellan, février 1687, page 131, ne
m'avait point donné tort en tout, avril 1687, page 448 ; et j'avais lâché de
justifier ce qu'il n'approuvait pas encore, clans les Nouvelles de la République
des Lettres, juillet 1687, page 745, où je m'étais servi d'une espèce d'épreuve
assez curieuse, par laquelle on peut juger, sans employer
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même des expériences, si une hypothèse est bien ajustée; et
j'avais trouve que la cartésienne , aussi bien que celle de l'auteur de la
Recherche de la vérité, combat avec soi-même par le moyen d'une
interprétation qu'on a droit d'y donner. Je ne parle point des autres qui ont
voulu soutenir le principe des cartésiens dans les Actes de Leipsick,
auxquels j'ai répliqué.
Feu M. Pelisson ayant fort goûté
ce que j'avais touché de ma dynamique, m'engagea à lui en envoyer un
échantillon, pour être communiqué à vos Messieurs de l'académie royale des
sciences, afin d'en apprendre leur sentiment : mais il ne put l'obtenir, quoique
M. l'abbé Rignon et feu M. Thévenot s'y fussent employés. C'est pourquoi M.
Pelisson approuva que je fisse mettre dans le Journal des Savants une
règle générale de la composition des mouvements, pour recourir au public.
Longtemps auparavant j'avais écrit à M. l'abbé Foucher, chanoine de Dijon,
touchant mon hypothèse, et pourquoi je n'étais point d'accord du système des
causes occasionnelles. Un professeur italien, à qui j'en avais dit quelque chose
en conversation, y prit beaucoup de goût, et m'en écrivit depuis; et je lui fis
réponse. Un ami que j'ai à Rome, ayant voulu savoir do moi pourquoi je ne
mettais pas la nature du corps dans l'étendue, je lui fis une réponse, laquelle
me paraissant populaire et propre à entrer dans l'esprit, sans qu'on ait besoin
de s'enfoncer bien avant dans les spéculations, je la fis imprimer dans le
Journal des Savants, 18 juin 1691. Un cartésien y répondit, 16 juillet 1691
: je le sus un peu tard ; mais enfin je le sus par l'indication de M. l'abbé
Foucher. J'y répliquai alors, 5 janvier 1693; et M. Pelisson trouva ma réplique
fort claire. M. Lenfant, ministre des François réfugiés à Berlin, m'écrivit ses
doutes sur quelque chose qu'il avait vu dans le Journal de Paris; et je
tâchai de le satisfaire. On me manda que M. Bayle avait dessein de faire
soutenir quelques thèses sur la nature du corps, ou il voulait considérer mon
opinion ; mais cela n'a point été exécuté. Enfin à la semonce d'un ami de
Leipsick, je fis insérer dans les Actes de cette année le petit discours
ci-joint de la nature de la substance, et de l'usage qu'on y peut faire de la
notion de la force. Ainsi n'ayant point encore eu le loisir de ranger mes
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pensées, je me suis contenté d'en donner quelques petits
échantillons, et de répondre aux amis ou autres qui m'avaient proposé des doutes
là-dessus ; et c'est le moyen d'avancer insensiblement selon les rencontres.
Je travaille maintenant à mettre
par écrit la manière que je crois unique, pour expliquer intelligiblement
l'union de l’âme avec le corps, sans avoir besoin de recourir à un concours
spécial de Dieu, ni d'employer exprès l'entremise de la première cause pour ce
qui se passe ordinairement dans les secondes : c'est afin de pouvoir soumettre
mon opinion au jugement du public. Je l'ai eue, il y a déjà plusieurs années ;
et ce n'est qu'un corollaire de la notion que je me suis formée de la substance
en général. Si vous le trouvez à propos, Monseigneur, on pourra faire mettre les
deux pièces ci-jointes dans le Journal des Savants, pour donner quelque
goût de mon dessein. La bonté que vous avez de vous informer de mes pensées, me
donne la hardiesse de vous les adresser. Au moins je crois avoir fait quelques
pas à l'égard de la notion qu'on doit avoir de la substance en général, et de la
substance corporelle en particulier : et comme je ne trouve rien de si
intelligible que la force, je crois que c'est encore à elle qu'on doit recourir
pour soutenir la présence réelle, que j'avoue ne pouvoir bien concilier avec
l'opinion qui met l'essence du corps dans une étendue toute nue. Car ce que
Descartes avait dit sur le sacrement ne regardait que la conservation des
accidents : et quoique le révérend P. Malebranche nous ait fait espérer une
conciliation de la multiprésence avec la notion de l'étendue pure et simple, je
ne me souviens pas de l'avoir encore, vue. Je suis avec zèle, etc.
LETTRE CCXXI.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Paris, ce 1er janvier 1694.
Je reçois, Monsieur, avec une
reconnaissance sincère, l'assurance de la continuation de vos bontés. Je prie
Notre-Seigneur qu'il vous comble de ses grâces avec le troupeau qu'il vous a
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commis, et que vous soyez tous, comme je l'espère, de ceux
dont il a dit : « Sanctifiez-les en vérité ; je me sanctifie pour eux (1). »
LETTRE CCXXII.
BOSSUET A M. DE SAINT-ANDRÉ, CURÉ DE VAREDDES (a).
Germigny, ce 18 juin 1695.
Je commence par vous dire,
Monsieur, que vous ne sauriez me parler trop fréquemment, ni trop franchement,
ni trop amplement de tout ce que vous croirez utile pour les intérêts de
l'Eglise en général et du diocèse en particulier : tout est bien reçu, et j'y
fais toujours grande, attention.
Je conviens de toutes les
qualités que vous attribuez à M. le curé de Crepoil : mais je ne crois pas qu'il
convienne au diocèse ni à lui de le mettre à Meaux, avant qu'il nous ait donné
des preuves d'une conduite plus sérieuse et plus régulière. Vous pouvez lui dire
mon sentiment, que je lui expliquerai moi-même en lui donnant cette lettre. Je
suis très-aise cependant que vous ayez accommodé son affaire avec, Madame de la
Trousse, et je vous en sais très-bon gré. Il faudra néanmoins le tirer de là, et
j'en conviens avec vous.
Je consens que M. Teillard
continue à Saint-Barthélemi ; mais il faut en même temps qu'il ne compte plus
rien du tout sur le, revenu de Bouillanci, dont je disposerai absolument après
avoir fait le service.
J’ai de la peine à comprendre ce
que vous me dites de la part de Monseigneur de Tournay. Je conviens qu'il a
déclaré plusieurs fois à l’audience, qu'il ne voulait point soutenir la
juridiction de Rebais (b) : mais ce serait contredire à cette déclaration
que de vouloir encore soutenir la transaction de 1112, comme les religieux
semblent le vouloir, puisqu'ils ne donnent aucun désistement
1 Joan., XVII, 19.
(a) Vareddes, village à une lieue de Meaux.
(b) Il s’agit de l’exemption dont les religieux de
Rebais jouissaient dans ce lieu, où les ecclésiastiques relevaient de leur
juridiction. Bossuet attaqua cette exemption. (les édit.)
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ni sur cette transaction, ni sur leur prétendu privilège.
Jusqu'à ce qu'ils s'expliquent je crois être obligé de poursuivre tant contre
eux que contre Monseigneur de Tournay ; et je poursuis l'audience, où ce sage
prélat pourra faire telle déclaration qu'il lui plaira. Cependant pour la
procédure, il faut que j'agisse également contre les abbés et religieux. Vous
pouvez dire, néanmoins à Monseigneur de Tournay, que je ne puis lui refuser de
dignes louanges pour la volonté qu'il continue de témoigner, de ne vouloir point
combattre les droits de l'épiscopat, où il tient un si grand rang : mais si les
religieux ne conviennent, le procès ne sera pas fini. Si vous apprenez de lui
quelque chose sur ce sujet-là, je pourrai l'apprendre mercredi à Meaux, au
retour de Rouvre où je vais.
Je n'ai point dit qu'on vous
priât de ma part de vous charger de l'éducation de ce jeune gentilhomme, mais
seulement d'examiner s'il était digne que j'en prisse un soin particulier : ce
que je vous prie de vouloir faire, ou par vous, ou par quelque ami judicieux, en
la manière que vous trouverez la plus convenable.
Quant à Madame la marquise de la
Trousse, il n'a pas tenu à moi que nous n'ayons terminé notre différend à
l'amiable. Je m'en étais rapporté à M. de Lamoignon, son ami, et qu'on ne
soupçonne pas de me vouloir favoriser: elle l'en a dédit. L'affaire est en état
d'être jugée, et nous en sortirons plutôt par un arrêt que par arbitrage. Ainsi
il ne paraît pas qu'elle ait rien à faire que de faire des offres compétentes,
ou d'acquiescer pour éviter les dépens, qu'en ce cas je remettrai.
Je vous envoie la commission que votre charité vous oblige
à me demander : je vous donne toute mon autorité, que je sais bien que votre
prudence ne vous permettra jamais de mettre en compromis.
J'ai fasse à Farmoutiers, où
j'ai vu de très-bons effets de votre administration et des espérances meilleures
encore. Je suis à vous avec toute l'estime et la confiance possible.
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LETTRE. CCXXIII.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT.
1695.
Si je me fusse trouvé ici.
Monsieur, quand vous m avez honoré de voire visite, je vous aurais proposé le
pèlerinage d'Auteuil avec M. l'abbé Boileau, pour aller entendre de la bouche
inspirée de M. Despréaux, l'hymne céleste de l'Amour divin. C'est pour mercredi
: je vous invite avec lui à diner; après, nous irons : je vous en conjure.
LETTRE CCXXIV.
BOSSUET A M. LE PELLETIER, EVÊQUE D'ANGERS.
Ce 10 juillet 1695.
Puisqu'il vous plaît,
Monseigneur, de m'ordonner de vous dire mon sentiment sur le mariage du maire de
votre ville avec sa nièce, et en général sur les mariages entre cousins
germains, j'aurai l'honneur de vous dire ce que vous savez mieux que moi, qui
est qu'il faut distinguer entre les mariages à faire et les mariages faits.
Pour les derniers, il n'y a qu'à considérer si l'exposé est
véritable dans les laits qu'on peut regarder comme ayant servi de motif à la
dispense, et qu'en cas qu'il soit véritable, il n'y a qu'à demeurer en repos. Au
contraire si l'exposé était faux, il faudrait en grande douceur et efficace
représenter aux parties cette nullité, et y chercher des remèdes.
Mais comme la chose est faite,
et qu'il n'y a pas d'apparence qu'on soit tombé dans un défaut si essentiel,
c'est principalement sur l'avenir qu'il faut répondre.
Mon sentiment est donc, 1° qu'il
n'y a pas lieu ici à l'appellation comme d'abus, parce que c'est une chose de
pure grâce, dont d’ailleurs les évêques sont les maîtres. 2° Quoique le cas ne
me
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soit pas encore arrivé, ma disposition précise est de
refuser absolument de tels brefs pour les raisons que vous marquez, qui sont de
la dernière conséquence : tous les brefs qui sont donnés contre l'expresse
défense du concile de Trente devant être censés obtenus par surprise.
J'excepte le cas où l'on aurait commencé ab illicitis, sans
avoir eu le dessein de faciliter par là la grâce demandée : en ce cas j'en ai
passé quelques-uns entre cousins germains.
Pour d'ondes à nièces, j'aurais grande peine à m'y
résoudre, si ce n'est pour éviter un grand scandale.
Je crois pourtant encore qu'on pourrait passer dans
certains cas extraordinaires, comme par exemple pour empêcher des procès
entièrement ruineux, entre cousins germains seulement, et non pas entre oncles
et nièces, encore moins entre neveux et tantes, à quoi la nature répugne trop.
Je n'entre pas dans certains exemples de nos jours, où je
crois que la bonne foi peut avoir excusé ceux qui ont obtenu ces grâces.
La précaution d'en écrire au cardinal dataire est
très-bonne; mais le secret est de nous rendre mailles de l'exécution qui nous
est renvoyée.
Quand vous me faites souvenir, Monseigneur, du temps qu'il
vous plut passer avec moi, je me souviens en même temps des exemples de
vigilance et de prudence que vous m'y avez donnés, et de l'obligation où je suis
d'en profiter. Je suis avec un respect sincère, etc.
LETTRE CCXXV.
M. DE NOAILLES, ÉVÊQUE DE CHALONS,
A M. LE PELLETIER ÉVÊQUE D'ANGERS (a).
A Paris, ce 18 juillet 1695.
Je suis persuadé que nous devons empêcher, autant qu'il est
en nous, les mariages dont vous me faites l'honneur de m'écrire, à
(a) Cette lettre s'étant trouvée jointe à celle de Bossuet,
nous avons cru De devoir pas l'en séparer dans l'impression, parce qu'elle en
confirme la décision, et qu'elle fait partie de la consultation donnée dans
cette affaire. (Les prem. édit.)
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moins qu'il n'y ait des raisons très-pressantes de les
tolérer, comme la réunion d'une famille, la fin d'un scandale qui ne pourrait
être arrêté par d'autres voies, et la réconciliation avec Dieu de deux personnes
dont la damnation paraîtrait assurée sans cela. Hors ces cas-là, qui n'arrivent
pas si souvent qu'on croit, je pense que nous devons observer les règles à la
rigueur.
Il me paraît meilleur d'écrire
au cardinal dataire, pour empêcher qu'on ne donne trop légèrement des dispenses
à Rome, que de se pourvoir par appel comme d'abus, parce que les parlements les
reçoivent, et les magistrats en profitent comme d'autres dans l'occasion. Mais
ces dispenses ne lient point les mains aux évêques : ils peuvent toujours en
empêcher la fulmination et l'exécution lorsqu'ils ne les jugent pas raisonnables
(a), et refuser les certificats de pauvreté sans lesquels communément on
n'accorde point ces dispenses à Rome. On peut encore déclarer aux banquiers que,
s'ils ne communiquent les causes des dispenses qu'ils veulent demander, on ne
les recevra point. Je me suis servi de ce moyen et m'en suis très-bien trouvé.
Voilà, Monseigneur, tout ce que
je puis vous dire sur cette matière. J'ai bien de la joie de l'occasion qu'elle
me donne de vous demander la continuation de l'honneur de votre amitié, et de
vous assurer que je la mérite mieux qu'un autre, s'il ne faut pour cela qu'être
avec beaucoup de respect et de sincérité, etc.
EPISTOLA CCXXVI.
BOSSUETUS AD CARDINALE. M. DE AGUIRRE.
Datum Meldis, 13 augusti 1695.
Pœteaquàm hùc, eminentissime Cardinalis, amplissimae ac
praeclarissima Collectionis tuae ingens fama pervenit, dedi sanè operam potui
diligentissimam, ut ad nos egregius perferretur liber. At, ô vel hoc nomine
detestanda bella feralia, quae, tot
(a) Ils le peuvent, comme les curés peuvent empêcher
l'exécution des dispenses données par les évêques, en jugeant leur supérieur
et par la désobéissance à ses ordres. Au reste, admirable effet des libertés de
l'Eglise gallicane, de paralyser la clémence et la bonté du saint Siège.
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terra marique, interfusis exercitibus, hoc quoque
commercium intercludant ! Quàm perlegissem libens, non modo fortissimo
gravissimaeque Hispaniensis Ecclesiœ monumenta, tàm erudità manu in pristinum
splendorem restituta, verùm etiam doctissimas easdemque sanctissimas
dissertationes tuas, praesertim verò eas quae ad christianae pœnitentiae
disciplinam atque ad ecclesiasticam castitatem, aliaque vitae clericalis officia
pertinerent ! Interim solatii loco erit Synopsis tua, quam ad me per
eminentissimum Jansonium nostrum, virum omni ex parte ornatissimum,
transmittendam curasti.
Neque quidquam occurrit quod
aetatem nostram illustraret magis. Primùm enim gratissima veniet non modo ad
Hispanienses ac novi orbis, sed etiam ad Gallicanos totiusque adeô orbis
episcopos adhortatio, ut concilia fréquenter celebrent : qui vel maximus
concilii Tridentiui i'ructus esse debuit : idque unum si perviceris, ecclesiarum
dignitas ac sanctitas, nec modo episcopalis ordinis amplitudo, verùm etiam
apostolicae Sedis priscus revirescet vigor; episcopis omnibus beatissimi Gapitis
auctoritatem communi studio secuturis : necesse est enim, ut quà primùm
constitit, eàdem vi canonica disciplina reflorescat.
Jàm illud quàm christianum ,
doctissime Cardinalis , quàm summo Praesule ac theologo dignum , quod régulant
morum exemplis decretisque firmas ; efficisque plané ut valeat apostolicum illud
: Omnia probate; quod bonum est tenete (1) et illud : Ut probetis
potiora, ut sitis sinceri et sine offensa in diem Christi (2). Ità quippè
verè sinceri ac sine offensa sumus, si, cùm de praeceptis agitur, animo et
conscientiae alfulgentem purioris potiorisque rationis lucein, tanquàm vitae
ducem , obscurioribus ac debilioribus visis anteponimus : neque quidquam
absurdius aut à christianà gravitate atque constantià alienius, quàm ut per
Doctorum flexibilia decreta , theologiam lubricam atque versatilem, opinionum
œstus seu lusus abripiat ac distrahat; quorum operà cautum oportuit , ne
circumferremur omni vento doctrinae .
Quòd autem sacro Cardinalium
collegio id officii aliénas, ut
1 I Thessal., V, 21. — 2 Philip., I, 10.
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novitates arceant, ac vivendi normam suis canonibus
constabilitam muniant ac fulciant ; Romanam purpuram omnibus gentibus magis
magisque veneraudam praestas. Itaque suspicio ac veneror eminentissimam
dignitatem tuam , pari cum pietate atque exquisitissimâ eruditione conjunctam ;
ac supplex flagito, ut me tibi addictissimum atque obsequentissimum, eà quà
litteratos ac theologos soles benevolentià, prosequaris. Vale.
EPISTOLA CCXXVII.
CARDINALIS DE AGUIRRE AD BOSSUETUM.
ILLUSTRISSIMO ET REVERENDISSIMO D. J. B. BOSSUETO, EPISCOPO MELDENSI.
SALUTEM PLURIMAM.
Neapoli, hàc die 10 septembris 1695.
Inter tàm multas insignium
virorum litteras, quas frequenter accipio, nullae mihi gratiores fuere hisce
tuis, nuper Neapolim missis ad me Româ per eminentissimum Jansonium, mihi multis
nominibus venerandum. Et certè multô antequàm ad te mitterem Synopsim
recentem collectionis Hispano-Indicae conciliorum nuper editam Romanis typis,
venerabar te, atque imprimis colebam ob egregias lucubrationes, quibus dogmata
fidei catholicae Romanœ adversùs heterodoxos, et praecipuè Jurieum, vindicasti.
Porrò tàm ii libri quàm alii praecellentium scriptorum florentisshme nationis
tuœ, quamvis scripti linguà mihi peregrinâ, acuerunt animum meum, ut illos
fréquenter legerem, et utcumquo intelligerem, donec jàm tandem mihi familiares
fecti et faciles visi sunt.
Quòd causaris et doles feralia
isthaec bella, commercium librorum impedientia ; mihi etiam jamdiù contingit,
quà verbis, qua scriptis conquerenti, et assiduis precibus clamanti ad Deum pro
solidà pace et concordià utriusque praestantissimae coronae, et omnium principum
christianorum tam inter se, quàm cum apostolicà Romanà, et hujus felicissimo
statu, ac correctione morum in quolibet hominum ordine ac statu, ac doctrinà
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morali ad pietatem et salutem conferente. Hœc ipsa vota mea
pariter tua sunt, ut palam testaris in disertissimà hàc epistolà : et satis
ostenderas in tot libris prœlaudatis, qui frequenter Romam perveniunt, et cum
fructu lectitantur ab hominibus doctis, etiam Cardinalibus eximiè eruditis ac
piis, praesertim eminentissimis Casanale et Denhoff.
Collectionis illius vastœ, quam
luci dedimus Romae completam sub finem procedentis anni, multa exemplaria
intégra in Gallias missa sunt, et ab Anissoniis illuc portata, aut saltem
directa ab ipsorum agonie Nicolao l’Hulliet, quamvis ob pericula maris et
terrae, fortassis nondùm pervenerint Lutetiam. Sic et lente admodùm et cum
ingenti periculo ad me indè mittuntur plures libri, praesertim sanctorum Patrum
editionis San-Germanensis. Videamus an forte piissimus Dominus assiduas Ecclesiœ
suae preces exaudire dignetur, et pacem illam nobis donet, quàm mundus dare non
potest, praesertim in hoc deplorato statu et cruentissimis praeliis, qualia
numquam fortassis visa fuerunt, nec leguntur inter christianos exarsisse à
tempore orbis redempti. Aiebat olim Ammianus Marcellinus suo tempore non fuisse
tam infestas inviceni feras, quàm erant mutuò plerique, christianorum. Quod ille
ethnicus execrabatur suo aevo, meliùs nostro lamentari possumus, praesertim
sacerdotes et prœlati; quibus pax communis, et alterna animarum salus magnà ex
parte indè dependens, cordi esse débet. Fortassis ubi jàm ad summa deventum est,
et crudelitas mutua videtur summum apicem attigisse , incipiet apparere pax et
concordia singulari beneficio Dei : nam alioquin potiùs desideranda, quàm
speranda est.
Intereà, doctissime Prœsul,
prosequere studia et lucubrationes tuas, praesertim ad dogmata fidei uberiùs
stabilienda, et laxiorem doctrinam circà mores reformandam ; hoc potissimùm
tempore, quo tot scripta ubique prodeunt à viris eximiè piis et doctis elaborata
adverses illam liberiorem casuisticam, quœ à fine circiter praecedentis saeculi
usque modo tot infelices fructus protulit, et perniciosas theses, quarum utinàm
postremae fuerint, centum et decem ut minimum, hactenùs fulguritae sacro
Vaticani igne. Mihi nondùm fuit otium sufficiens ad ea commenta ex instituto
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refellenda ; solùm obiter ea in variis libris refutare
potui, praesertim dùm exponendis conciliis incumberem, et detinerer tot aliis
studiis, ac curis alterius generis in Urbe, donec contigit prae nimio labore
succumbere, et sœpè subire œgritudines satis notas, quibus non semel intra
postremum annum, Romœ ac Neapoli, cum ipsà penè morte colluctatus fui. Itaque
provinciam ejusmodi et quaelibet graviorum studiorum genera aliis doctioribus et
firmiori valetudine fruentibus alinquo, praesertim tibi, dignissime Praesul,
atque illustrissinio Abrincensi episcopo, Petro Danieli Huetio, qui juxta
insignem eruditioneni quâ prœstat, et toti orbi litterario se celebreni reddidit,
potest tecuni id oneris in se recipere, atque in eà parte sequi ductuin ac zelum
et pietatem eximiarn, quà tot gravissimi Galliae prœsules, et doctores Sorbonici,
et parochi Parisienses et rothomagenses, alienissimi ab omni haereseos nota,
probabilismum luxuriantem eliminandum curarunt ac represserunt, à tempore Urbani
VIII et deinceps usque modo.
Praedictum D. Petrum Danielem
Huetium saluta nomine meo, et illustrissimum D. archiepiscopum Rheniensem (1),
quos jam pridem diligo ac veneror, et exopto diù florere tecum in commune bonum
Ecclesiae, et nobiscum studere ad revocandam frequentiam conciliorum jam diù
intermissam ubique ferè, cum magnà reipublicae christianae jacturà. Vale,
illustrissime Domine, atque in orationibus ac sacrifiais tuis et tuorum mémento
moi bene, valentis quidem à sex mensibus usque modo.
LETTRE CCXXXVIII.
BOSSUET A MILORD PERTH.
A Meaux, ce 9 octobre 1695.
J’ai reçu dans votre lettre de
Rome la continuation des témoignages de vos bontés. Vous êtes dans une Cour où
il y a beaucoup de religion dans quelques-uns, et beaucoup de politique qui
1 Carolus Mauritius Le Tellier.
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pourra vous étonner, dans les autres (a). Au milieu
des pensées humaines, l'œuvre de Dieu s'accomplit; et la foi romaine, révérée
dans tous les siècles, subsiste. Je prie Dieu sans cesse pour votre
persévérance, non-seulement dans la véritable doctrine, mais encore dans la
véritable piété. Je vous demande la conservation de votre précieuse amitié, et
la grâce de me croire toujours avec la même passion et le même respect, etc.
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