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GRAMMAIRE LATINE ET MAXIMES DE CÉSAR.

 

OBSERVATIONS SUR  LA  GRAMMAIRE LATINE.

 

Verba contrariae significationis (a).

 

Conficere pecuniam : ramasser et le dissiper.

Devolvere corpore montes. Devolvere lapides in aera.

Deducere ab aliquo loco, et in aliquem locum.

Deformare : figurer ou défigurer.

Deponere pecuniam, magistratum, sententiam, regnum.

Destitutus : souvent c'est constitutus.

Expers : id est expertus : et apeiros atque etiam empeiros.

Formidolosus : Craintif et  terrible.

Excipio : Je reçois, et j'accepte.

Grandis : et le contraire vaegrandis.

Indictus : publié ou qui n'est pas dit.

Infractus animus, id est, non fractus, atque etiam fractus.

(Virg., Aeneid., XII. Turnus ut infractos, etc.

Instratus cubili : étendu dans son lit, et pas étendu.

Intumulatus : mis au tombeau, et laissé sans sépulture.

Invoco : Venit ad cœnam invocatus : sans y être invité, et y étant invité.

Promoveo nuptias : J'avance et je diffère.

Recantare, id est, palinodiam canere : se rétracter, se dédire.

Tamen dicunt recantatam pro iterùm cantatam.

 

(a) Le manuscrit, conservé à la bibliothèque impériale, est de l'abbé Ledieu. Il renferme la remarque suivante; « M. de Condom a fait des observations aussi curieuses que celles-ci sur les conjugaisons et les particules indéclinables, pour en déterminer le jeu et l'art dans la composition latine. Je les ai vues et les ai laissées, parce que ce serait un travail infini de recueillir tout ce qui est sorti en tout genre d'un esprit à qui rien n'a échappé dans ses études. J'ajouterai donc seulement ce qui suit, parce qu'il est plus important et d'un plus grand usage. »

Les observations sur la grammaire et les Maximes tirées de César, n'avoient pas encore vu le jour.

 

42

 

Recingere : remettre et ôter sa ceinture.

Recludere : ouvrir. Reclusœ portœ, id est, iterùm clausae.

 

Maximes tirées des Commentaires de César.

 

Il (César) emprunta de ses centurions pour les engager. Il donna libéralement à l'armée pour gagner les soldats.

Ne point donner le temps, ni aux siens de se relâcher, ni aux ennemis de se reconnaître.

Inspirer de la confiance et du mépris à l'ennemi, en se fortifiant comme ayant peur.

Après un combat de mauvais succès pour la cavalerie, ne l'exposer pas sitôt, quelque résolution qu'il y paroisse.

Après un mauvais succès, témoigner de la confiance, pour faire voir que ce n'était pas par, la valeur des ennemis.

Accoutumer peu à peu les soldats aux troupes qu'ils ne connaissaient pas.

Embuscade : on résiste dans la surprise ; on croit ensuite n'avoir plus rien à craindre, la confiance succède.

Bon traitement aux peuples vaincus : nulles charges nouvelles, récompense.

Manière de rendre une rivière guéable, en la détournant dans un fossé de trente pieds de profondeur.

Ayant affaire en Afrique au reste de ses ennemis défaits, il ne se contente pas d'une victoire assurée : il ne la veut pas sanglante ; pour cela il gagne du temps, afin que ses ennemis se débandent.

Sachant que Labiénus était en embuscade, il ne l'attaque pas d'abord, mais il attend qu'il devienne plus négligent en faisant toujours la même chose. Il connaissait le naturel de l’esprit humain, qui se dégoûte et se relâche.

Il change sa manière de combattre vive et prompte, à cause de la manière nouvelle de combattre de ses ennemis en Afrique, jusqu'à ce que ses gens fussent accoutumés à leurs ruses...

Le temps de faire la paix, quand chacun s'assure de ses forces et que les deux partis semblent égaux.

 

43

 

On l'attaquait à l'endroit où on voyait les feux : il fit faire les feux d'un côté, et posa les gardes de l'autre.

Il ne faut point empêcher les soldats d'agir d'abord.

Garnison en Egypte à deux fins, et pour garder les rois, s'ils étaient fidèles au peuple romain, et pour les retenir s'ils y manquaient.

Dans les affaires pressées, neque excusatio, neque tergiversatio.

Il ne veut pas que les alliés croient qu'ils se puissent défendre tous seuls et les prévient par son secours, de peur qu'ils ne réussissent sans lui. Gaulois contre le Germain.

Approcher ses travaux de la ville, pour donner plus de facilité à ceux qui voudraient se rendre.

 

ANIMAE MORBIS LETHALIBUS LABORANTIS

 

INVOCATIO AD CHRISTUM SOSPITATOREM (a).

 

 

En quid agam? dùm me species delectat honesti,
Dùm sanctae legis jussa verendi placent,
Me miserum ! indociles agitans lex aemula sensus,

Mentis ad arbitrium cogere membra vetat.
Prava trabunt, bona conantem labor urget inanis,

Visceribusque imis insidet usque malum.
Quò feror? altérni solvunt retinacula venti,

Nec scio quem in scopulum naufraga puppis eat.
Quò fugiam? occultum tetigit praeenrdia virus,

Distrahor insanis mille cupidinibus.
Nec qui sim teneo, usque adeò contraria versant

Errantem, estque animus quœstio magna sibi.
Hei mihi ! quis stolidae poterit mala gaudia mentis ?

Quis vanos œgro pellere corde metus ?
Mene reluctantem quamvis per cœca viarum

Ire, nec in melius posse referre pedem?
Si mea delectant mala me, vel deniquè fallunt,

Quae jam spes misera, quœve medela super?
Chara Dei soboles, magnum Patris incrementum,

Qui tantus nobis auxiliator ades.

 

(a) Publie pour la première fois. Manuscrit à la bibliothèque du séminaire de meaui.

 

 

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A te certa salus. Cujus tu vulnera tractas,

Protinùs ille tua; senserit artis opem.
Tu medicas adhibere manus, tu fraena furenti

Injicere, et quovis flectere corda soles.
Tu potes ex imo labentem attollere mundum,

Tu veteris culpa? solvere reliquias.
Tu superis castos ex arcibus injicis ignes (a),

Queis quicumque calet, nil nisi magna sapit.
Vox tua de cœlo per blanda silentia lene

Inlluit, atque sibi inox iacit ipsa viam.
Per silices duros, per et aspera quœque secundo

Ingreditur lapsu : quisquis et audit, amat :
Quisquis amat, sequitur, novaque et secura voluptas,

Suspensos animos hùc agit undè venit.
Nempè subest vis grata : trahit sua quemque voluptas:

Casta trahit castos, datque tenere Deum.
Non pudet, aethereà missa; de sede salutis

Immemorem, turpi subdere colla jugo?
Quin tu animum obfirmas, teque instinc usque reducis,

Atque, Deo invito, desinis esse miser?
Difficile est longum subito deponere morbum,

Difficile est; verùm, quœlibet efficias,
Una salus haec est; hoc est tibi pervincendum.

Hoc facias, sive id non potè, sive potè.
Magne Deus, facito ut verè hoc promittere possim,

Atque id sincère proferam et ex animo,
Ut liceat tandem totà perducere vità

Divinae sanctum foedus amicitiae.

 

FABLE LATINE
POUR LE DAUPHIN (b).

 

IN LOCUTULEIOS. Ne quid loquaris temerè.

 

De regno quondàm contenderunt belluae;
Placuit componi amicè controversiam :
Tùm concioni habendae condictus dies,
Locusque : hùc omne adcurrit animantùm genus,

 

(a) Var. : Immittis ab arcibus ignes.

(b) La Bibliothèque impériale conserve deux manuscrits de cette fable, l'autographe de Bossuet et la copie de l'abbé Ledieu.

L'abbé Ledieu dit dans sa copie : « Cette fable fut composée par M. l'évêque de Meaux au commencement et dans les premières années qu'il fut auprès de Monseigneur le Dauphin, pour lui donner le goût de la latinité et des belles-lettres. J'en ai fait cette copie sur l'original

 

45

 

Quaeque arva, quaeque saltus umbrosos tenent,

Et quae patentes aetheris vasti plagas;

Bipèdes, quadrupedesque irruunt magno ambitu.

Extollit audax robur invictum Leo;

Elephantus moli admixtam vim prudentiae :

Prodit superbus Sonipes cervice arduâ,

Notamque forma; dignitatem praedicat,

Habilemque bello pariter ac paco indolem,

Humi jacentes Aquila ab alto despicit,

Sibique jactat creditum fulmen Jovis.

Sua quemque rapiunt studia. Tandem Similis

Composito vultu turbam in mediam prosilit,

Suîque haberi rationem postulat;

Natura quod se fecerit simillimum

Homini, cui nemo regium invideat decus.

Hic tenuitatis Psittacus oblitus suae,

(Quas non pertentat animas ambitio impotens? )

Si tanti facitis, inquit, humanum genus,

Ut qui sit homini propior, is potissimus

Habeatur, cedat Simius pulcherrimi

Imago turpis: Me, me, eligite, ô Principes:

Ego ille humana; vocis imitator scitus,

Quà voce prœstat caeteris, hominem exprime

Tùm Simius: Tace, improbe et tantùm loquax;

Sat multa blateras, verùm nil intelligis :

Tibi prompta lingua est ; animus at sensûs inops

Fanda atque infauda profert ore futili.

Sic garrulae avis retusa est impudentia.

 

Temerè loquentes hoc sibi dictum putent;
Tu non quod libet dicito, sed quod decet ;
Os regat animus; linguœ meus praeluceat.

 

mis au net pour les leçons de Monseigneur le Dauphin, sur lequel il y a encore des chiffres qui marquent sur chaque mot l'ordre qu'il doit y avoir dans la suite naturelle du discours : ce qui fait voir que cette fable fut faite dès le temps où Monseigneur en était encore presque aux éléments du latin. Au reste l'auteur la porta ensuite à ses amis, et la leur fit lire comme l'ouvrage d'un ancien et peut-être de Phèdre même, qui avait été trouvée depuis peu parmi des manuscrits sans nom d'auteur et sans aucune marque du temps : qu'il les priait de juger par la latinité et par les caractères si justes des animaux qu'on fait parler, du temps que cette fable pouvait être. Après un long examen et diverses observations, elle fut jugée digne du temps d'Auguste. Et alors : «Je suis, leur dit M. de Meaux, cet écrivain du temps d'Auguste, auteur de la fable. » J'ai cru devoir la conserver à la postérité connue une marque du bon goût de la latinité de l'auteur. »

L'abbé Ledieu ajoute dans ses Mémoires : Il (Bossuet) fit une fable latine dans le goût de Phèdre si bien imitée et d'une perfection si grande, qu'on la prit comme de cet auteur. « Nous sommes loin de contester ce fait; mais le récit qu'on lisait tout à l'heure, soutient-il l'examen de la réflexion ? fait-il assortir dans sou véritable jour le caractère des personnages qu'il met en scène ? le rôle qu'il prête à l'écrivain répond-il à la gravité du grand et saint évêque ? Le lecteur en jugera.

 

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POÉSIES  (a).

 

LE SAINT AMOUR, OU ENDROITS CHOISIS DU CANTIQUE DES CANTIQUES,
AVEC DES RÉFLEXIONS MORALES POUR LES BIEN ENTENDRE.

 

SALOMON AU LECTEUR.

 

Vous, que les tendres vers de mon chaste cantique.
Sous le voile sacré du langage mystique,

Brûlent des plus beaux feux :
Avec moi contemplez la sagesse éternelle
Et voyez au milieu de la troupe fidèle

Ses amours et ses jeux.

 

(a) Quand Bossuet a-t-il compose ses poésies ? L'abbé Ledieu nous l'apprend en quelque sorte jour par jour, heure par heure, dans son Journal ; donnons quelques-unes de ses indications. «J'ai trouvé sous la main de M. de Meaux, dit le secrétaire intime du grand homme, la traduction en vers français d'un nouveau Psaume.  —  (20 novembre 1700.) — « M. de Meaux a travaillé beaucoup depuis quinze jours à sa version des Psaumes en vers, à cause de ses voyages de Versailles où il n'avait point de livres. » (19 décembre 1700.) — « Je lui ai encore vu sous la main la version des Psaumes. » (28, 30 et 31 décembre 1700)— « Il travaille toujours aux Psaumes eu vers français, à quoi il a joint aujourd'hui sa Politique. » ( janvier 1701 ; 10, II, 22, 23 du même mois.) — « J'ai vu dans son portefeuille sa traduction en vers français du psaume CXVIII l'ouvrage n'a pas encore été mis au net, et il y fait de nouvelles corrections. » ( 4 juillet 1761.) — « Ces jours passés M. de Meaux nous parloit de ses traductions des Psaumes en vers, et qu'il..... avait relu tout le psaume CXVIII. » (23 septembre 1702. — « Je remarque qu'il a toujours sur son bureau son portefeuille contenant les Psaumes traduits en vers, auxquels il travaille le matin en s'éveillant et aux autres heures, ou pour se délasser, ou pour se mettre en train de travailler. » (10 décembre 1702.) —Vers cette époque, Bossuet soumit son travail à l'examen de l'abbé Genest, membre de l'académie française, et nous voyons qu'il continuait de le corriger dans les premiers mois de 1703. (28 février, même année.) D'après cola, Bossuet composa ses ouvrages poétiques dans les dernières années de sa vie ; il y travailla comme par loisir, sans interrompre ses autres travaux pour la défense de l'Eglise, au moins quatre ans, de 1700 à 1703 inclusivement.

Il faut le reconnaître sans crainte de nuire à la gloire du grand homme, sa traduction des Psaumes n'offre pas cette force, cet éclat, cette sublimité qui frappe d'admiration dans un grand nombre de ses sermons, dans ses Oraisons funèbres, dans son Discours sur l'Histoire universelle; comme Canova le peintre n'atteignait point Canova le sculpteur, Bossuet le poète n'égale pas Bossuet le prosateur. Qui s'en étonnera? Le domaine du génie est limité comme toutes les choses de ce monde, car le chef de famille assigne à chacun de ses serviteurs le champ qu'il doit cultiver ; et l'Aigle de Meaux n'a pas voulu, faut-il le dire? s'élever sur les ailes de la poésie à côté du Dante ou d'Homère. Il nous apprend lui-même, dans une lettre que nous publierons plus tard, le but qu'il se proposait dans ses essais poétiques : « Ne parlons l'ont, écrit-il à Madame Cornuau, de me divulguer comme faisant des vers, quoi qu'en dise le P. Roquet, à qui je défère beaucoup,... Je ne fais des vers que par hasard, pour m'amuser saintement d'un sujet pieux, par un certain mouvement dont je ne suis pas le maître. Je veux

 

41

 

La source de l'amour en vos cœurs est gâtée :
Dans les objets des sens par erreur écartée

Je la viens épurer :
L’âme s'épanchait trop; il est temps qu'elle rentre,
Par de sages transports, dans son bienheureux centre

Pour ne plus s'égarer.

 

Je lui montre un amant dont la beauté l'attire ;
Elle y court; pour chanter son amoureux martyre

Je lui prête ma voix.
Entre ses bras sacrés elle se sanctifie;
Seul il sait lui donner l'espérance et la vie,

Quand elle est aux abois.

 

L'immortel Salomon trouve sa Sulamite :
Dans son sein innocent l’âme pure l'invite.

Et le nœud conjugal,
De leur chaste union la plus parfaite image,
Nous apprend à goûter d'un divin mariage

Le bonheur sans égal.

 

Cesse de recevoir les indignes caresses

Du monde qui s'empresse à gagner tes tendresses :

Le Verbe est ton époux ;
Il aime le secret, la paix, la solitude,
Et pour le satisfaire, une éternelle étude

De ses désirs jaloux.

 

Sans grâce, sans espoir, captive condamnée,
A tes mauvais désirs sans guide abandonnée,

Il t'aperçut des cieux :
Sorti pour l'épouser du séjour de sa gloire,
Il veut seul occuper ton esprit, ta mémoire,

Tout ton cœur, tous tes vœux.

 

Mortels, purifiez vos lèvres, vos pensées;
Et laissez loin de vous les ardeurs insensées
D'un amour furieux.

 

bien que vous les voyiez, vous et ceux qui peuvent en être touchés. A tout hasard voilà l'hymne, sauf à ajouter et entrelacer un sixain. Vous aurez bientôt les mystères jusqu'à l'Incarnation. » Remarquons ce fait, que Bossuet « voulait bien » communiquer, « à ceux qui pouvaient en être touchés, » ses œuvres poétiques, d'autant plus qu'il ne les destinait pas à l'impression; aussi voyons-nous ces œuvres passer de main en main, de monastère en monastère, sous dis copies faites cent fois les unes sur les autres : que d'infidélités, que d'inexactitudes, que d'altérations n'out pas dû se commettre dans ces transcriptions multiples ? Il ne faut donc pas attribuer à l'auteur toutes les imperfections de style, ni toutes les fautes de versification qu'on trouve dans ses poésies.

De toutes les copies qui nous restent, aucune n'est de la main de Bossuet. La principale, conservée à la bibliothèque Impériale, appartenait à la maison de Lugues; les autres, gardées dans des bibliothèques particulières, étaient la propriété de divers monastères. Nous avons suivi la première pour le texte, et puisé les variantes dans les dernières

 

41

 

Si vous voulez, épris d'une flamme pudique,
Entonner ces beaux airs, et du roi pacifique
Les chants mystérieux.

 

LE SAINT AMOUR.

 

I. Osculetur me, etc. : introduxit me Rex in cellam vinariam, etc. (Cant., I, 1 ; II, 1-4.)

Le baiser de la bouche : les embrassements : les attraits : les défaillances : les odeurs : les vins : le sommeil et le réveil de l'Epouse.

 

Qu'il vienne, et qu'un baiser de sa divine bouche

Apaise mes désirs;
Que ses chastes amours, dans sa royale couche,

Me comblent de plaisirs.

 

D'un céleste parfum je me sens embaumée,

A l'approche du roi.
Imprime tes appas dans mon âme enflammée,

Nous courrons après toi.

 

Que de tes saints discours la grâce est attirante !

Rien ne peut l'égaler,
Non plus que dissiper la vapeur odorante

Qu'elle fait exhaler.

 

Ton nom, venu du ciel, est une douce empreinte

Des plus vives odeurs :
Les cœurs droits sont épris, pour ta vérité sainte,

D'immortelles ardeurs.

 

Des filles de Sion la jeunesse pudique,

Sensible à tes attraits,
De tes embrassements fait le sujet unique

De tes chastes souhaits.

 

Dans le royal cellier par l'époux renfermée,

Ses charmes tout-puissants
Se sont mieux fait sentir à mon âme pâmée

Que ses vins ravissants.

 

J'expire sous les traits de l'amour qui me blesse.

Qu'on apporte des fleurs
D'oranges, de citions; soutenez ma faiblesse ;

Accourez, je me meurs.

 

D'une main il reçoit ma tôle languissante :
Seul il est mon soutien :

 

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Il m'embrasse de l'autre et sa flamme innocente
Ne se refuse rien.

 

Ah ! ne la troublez pas, vous, ses chères compagnes,

Jusques à son réveil;
Par les faons, par les cerfs sautant dans les campagnes,

Ménagez son sommeil.

 

REFLEXION.

 

Ainsi l'Epoux, soigneux du repos de l'amante,
Etablit les pasteurs la garde diligente

Pour veiller à l'entour.
Dans ces fidèles mains laissant la bien-aimée,
Il part; il lui rendra la gloire consommée

Par son heureux retour.

 

Touché de sa parole, on lui baise la bouche;
Content de son amour, on repose en sa couche :

Le chaste embrassement,
C'est par l'impression d'une vive présence
Unir deux volontés dans la persévérance
D'un saint engagement.

 

Quand l'Epoux en passant nous a montré sa gloire,
L'âme, de son abord conserve la mémoire;

Et ce doux souvenir.
Seule, sans mouvement, la tient comme endormie :
Heureuse si la foi d'une si tendre amie
Le force à revenir.

 

D'une touche imprévue en son temps réveillée,
De son ravissement elle est émerveillée :

En cet état heureux
Elle éprouve en son cœur une nouvelle vie,
Et féconde en vertus, d'elle-même sortie,

Elle vit dans les cieux.

 

Dieu fait nos volontés si nous faisons la sienne;
Il faut dans le devoir que sa loi nous retienne

Ici-bas captivés.
Mais il fera sa loi des vœux de ses fidèles,
Quand par leur servitude aux grandeurs éternelles

Ils seront élevés.

 

De près il me remplit, et de loin il m'attire ;
Il m'enivre, il me cause un merveilleux délire;

On sent un Dieu présent;
S'il retire en son sein sa gloire manifeste,
Il laisse une douceur comme l'odeur qui reste

De son divin présent.

 

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Cette sainte douceur met l'esprit tout en quête :
A courir vers le ciel une âme est toujours prête;

Tout est en mouvement;
On s'ébranle, et le prix de cette belle course
Est qu'un cœur, sans cesser, va recherchant la source

De l'amoureux tourment.

 

Qui pourrait exprimer les langueurs de l'absence
Et des yeux épuisés la sainte défaillance,

Quand, tournés vers l'Epoux,
D'un langage muet et d'une voix plaintive,
Ils disent, en baissant leur paupière attentive :

Seigneur, quand viendrez-vous?

 

Objet dont la beauté me ravit à moi-même
Si je veux posséder ta vérité suprême

Dans l'éternel séjour,
C'est aussi que je veux à l'envi possédée
Me livrer, âme simple à la céleste idée

Du plus parfait amour.

 

II. Ego flos campi, etc. : Dilectus mens mihi, etc. : Donec aspiret dies, etc. (Cant., II, 1-18.)

Fleurs des vallées : lis entre les épines: arbres fruitiers : fruit goûté à l'ombre : amour réciproque : vie de foi.

 

L'ÉPOUSE.

 

Humble fleur, des jardins j'évite les allées

Dans les champs à l'écart :
Et je crois comme un lis dans les sombres vallées

Sans culture et sans art.

 

L’ÉPOUX.

 

Tel qu'un lis à travers les ronces hérissées,

Telle élève le front
Mon Epouse au milieu des filles insensées;

Et rien ne la corrompt.

 

L'ÉPOUSE.

 

Tel qu'un arbre au milieu des plantes inutiles,

Par son fruit estimé;
Tel entre les mortels par ses branches fertiles,

Parut mon bien-aimé :

Sous son ombre tranquille à mon gré reposée
J'ai su prendre le frais;

 

51

 

De son fruit délicat j'ai ma bouche arrosée
Sous son feuillage épais.

Je suis à mon amant, il est à son amante.

Couché parmi les lis,
Il voit prendre à ses pieds leur pâture innocente

A ses chères brebis.

 

Je le tiens jusqu'à tant que l'ombre retirée

Fasse place au levant.
Et que le point du jour, de l'aube tempérée

Ait ramené le vent.

 

RÉFLEXION.

 

Jusqu'à tant que du ciel l'éclatante lumière
Ait ouvert au plein jour notre faible paupière,

Nous vivons dans la nuit :
Du flambeau de la foi le rayon pâle et sombre
Cache notre bonheur, et ce n'est que dans l'ombre

Que nous goûtons du fruit.

 

III. Vox dilecti mei pulsantis, etc. (Cant., V, 2 et seq.)

 

Vitesse de l'Epoux: ses saillies: son abord : ses regards furtifs : saison nouvelle: doux  commencement : beau visage : beaux chants : les arbres taillés : les renardeaux pris.

 

Quelle voix, et soudain quelle aise me transporte!
Il avance par bonds,
Plus vite qu'un chevreuil et déjà de la porte
Il ébranle les gonds.

 

Je lui voyais sauter le sommet des montagnes,

Traverser les coteaux,
Raser d'un pas léger de nos vastes campagnes

Les tendres arbrisseaux.

 

Que j'entends un doux bruit autour de nos murailles !

Il voit par les treillis;
Par ses regards furtifs il émeut mes entrailles

Et mes sens tressaillis.

Il y mêle sa voix : Levez-vous, chère amante,

Venez, qu'attendez-vous?
Pourquoi, dans ces beaux jours, paraissez-vous si lente

A suivre votre époux?

 

Nous ne sentirons plus les pluvieux orages
Ni l'horreur des hivers :

 

 

52

 

Et la terre, en repos de si cruels outrages,
Etend ses tapis verts.

 

A de nouveaux soleils les fleurs développées

Dilatent leurs boutons;
L'arbre qui ne voit plus ses feuilles dissipées,

Pousse ses rejetons.

 

La vigne se parfume et ne craint plus la bise

Pour ses tendres bourgeons :
Sous un air plus bénin, le froid n'a plus de prise

Sur nos beaux sauvageons.

 

Pendant que sous son pampre, au fort de la tempête,

Une grappe fleurit,
Le pommier de ses fruits va couronnant sa tête

Et la figue mûrit.

 

Loin d'un fidèle amant la chaste tourterelle

Soupire son amour;
Et sans vouloir souffrir une flamme nouvelle,

Murmure nuit et jour.

 

Solitaire colombe en ces creux enfoncée,

Pousse tes sons plaintifs :
Fais sentir tes beautés à mon âme empressée

Par les traits les plus vifs.

 

Que ton visage est beau ! que ta voix me contente!

Par ton heureux retour,
Et qu'agréablement elle tient en attente

Les rochers d'alentour !

 

Allons (c'en est le temps ) des branches renaissantes

Trancher l'accroissement ;
Et faisons endurer à nos fertiles plantes

Cet utile tourment.

 

Prenez ces renardeaux ravageurs de la vigne;

Et d'un commun effort,
Toutes venez donner à leur race maligne,

Une soudaine mort.

 

RÉFLEXION.

 

Vous qui de la vertu commencez la carrière
Gardez-vous de passer cette saison première

En de molles douceurs ;
Taillez jusques au vif, exterminez le vice,
Etouffez en naissant un défaut qui se glisse

Au secret de vos cœurs.

 

53

 

Du corps et de l'esprit la parfaite harmonie
D'un chant perpétuel a la grâce infinie :

L'Epoux en est ravi;
On pousse jusqu'au ciel d'éternelles louanges,
Et, dans ce beau concert, les hommes et les anges
Le chantent à l'envi :

 

Lorsque malgré les cris d'un cœur qui le réclame,
Ce dédaigneux amant paraît sourd à ma flamme,

Quelquefois à l'écart,
Animée au dedans d'une douce espérance,
A ses yeux entr'ouverts par ma persévérance

Je dérobe un regard.

 

Il vient comme par sauts à notre humble nature,
Au supplice, aux enfers, après la sépulture :

Au trône remonté,
Lui-même tour à tour à nos yeux veut paraître
En victime, en pontife, en serviteur, en maître,

Dans toute sa clarté.

 

Quelle saillie ! il quitte; il reprend son tonnerre;
Tantôt dans les hauts lieux, tout à coup sur la terre,

Il m'entraîne après lui.
Je me vois dans l'abîme et bientôt sur la nue,
Riche, pauvre, impuissante et toujours soutenue
de son secret appui.

 

IV. In lectulo (Cant., III, 1.)

Cruelle absence.

 

Sur ma couche la nuit, seule, triste, éplorée,

En vain je tends les bras :
Je cherche, hélas! celui dont je suis pénétrée,

Et ne le trouve pas.

 

J'irai de tous côtés, errante, infatigable,

L'appeler par mes cris:
Qui conduira mes pas à l'objet adorable

Dont mon cœur est épris?

 

Guidez, feux de la nuit, ma course vagabonde :

Vous qui gardez nos tours,
N'avez-vous point trouvé dans votre exacte ronde

L'objet de mes amours?

 

A peine ai-je passé la garde vigilante,
Que j'aperçois l'Epoux;

 

54

 

J'accours, et je lui dis d'une voix défaillante :
Pourquoi me quittez-vous?

 

Seule dans la maison où je reçus la vie

Je le veux posséder,
Et trop souvent trompée, à ma mère je fie

Le soin de le garder.

 

Ah! ne le troublez pas, vous, ses chères compagnes,

Jusques à son réveil.
Par les faons, par les cerfs, sautant dans les campagnes,

Ménagez son sommeil.

 

RÉFLEXION.

 

Vous seule, et sainte Eglise,
A mère charitable,
Gardez à vos enfants leur amant véritable

Par vos soins maternels;
Came ne ressent point les rigueurs de l'absence
Et sûre en votre sein, attend la jouissance

Des plaisirs éternels.

 

V. Descendi in hortum meum, etc. (Cant., VI, 10, 11, 12.)

 

Visite de la vigne et des jardins : retour à la vie contemplative : passage de la contemplation à l'action et au contraire : Sulamite ou l’âme parfaite : les noyers du jardin de l'Epoux : rapidité de ses mouvements.

 

L'ÉPOUX.

 

J'allais, pour divertir mon ardeur violente

Loin du monde et du bruit,
Tantôt chercher des fleurs, tantôt à chaque plante

Redemander son fruit.

 

Je voulais occuper ma douce rêverie

De plaisirs innocents,
Et seul m'entretenir de ma vigne fleurie,

De ses pampres naissants.

 

Avec un soin pareil curieux je visite

Les vallons d'alentour,

Et vois sur le noyer dont la feuille m'invite

Le fruit qu'il met au jour.

 

Loin de mon cher objet, je crus tromper ma peine

Au milieu des coudriers;
Je me trouble : et soudain sur leurs pas je ramène

Mes diligents coursiers.

 

55

 

Ceux qu'a ses chariots Aminadab attelle.

Avec leurs pieds ailés, Jamais dans la vigueur d'une course nouvelle

Ne les ont égalés.

Mes esprits ne savaient dans cette défaillance

Par où prendre leur cours; Je mourais : il fallait aux rigueurs de l'absence

Un aussi prompt secours!

 

LES CAMPAGNES.

 

Revenez : nous voulons toujours à votre suite

Sentir votre pouvoir; Revenez, rendez-nous, divine Sulamite,

Le plaisir de vous voir :

 

Et cessez plus longtemps d'habiter les campagnes,

Quand par de communs vœux,
Egalement charmés, votre Epoux, vos compagnes

Redemandent vos yeux.

 

RÉFLEXION.

 

L'Epoux dans les pasteurs que partout il envoie
Conduire son troupeau dans la céleste voie,

Sent ces perplexités.

Il fait craindre une vie en ses soins trop active

Et rappelle souvent l’âme contemplative

A ses sublimités.

 

Visitez ses jardins : la vigne qu'il confie
A vos yeux vigilants, pousse et se fortifie

Sous vos soigneux regards;
Tournez-les cependant vers la sainte retraite,
Si vous voulez d'une aine inquiète et distraite

Eviter les hasards.

 

Malgré son tendre amour Jacob souvent préfère,
A l'aimable Rachel, Lia qui le lit père :

L'une excelle en beauté,
L'autre dans son maintien moins belle que féconde
Rapporte à sou époux de quoi remplir le monde

De sa postérité.

 

Au secours du prochain la charité vous guide,
La sainte vérité remplit un cœur avide

Et le met dans les cieux.

Fuyez d'un zèle outré les ardeurs insensées
Et toujours réservez aux tranquilles pensées

Des moments précieux.

 

56

 

Dans les besoins pressants quittez la jouissance
Et du céleste Epoux l'agréable présence :

Allez le secourir,
Lorsqu'en ses membres nus dans cette triste vie,
Accablé de douleur, de faim, de maladie,

Il est prêt à mourir.

 

Mais revenez bientôt où sa voix vous rappelle :
Venez pleurer, gémir, chez le peuple fidèle

Et la nuit et le jour.
Adorez en silence, et que votre prière
Avec Dieu soit en nous un éternel mystère

D'un mutuel amour.

 

VI. L'âme parfaite sous le nom de Sulamite

 

Sulamite est toujours solitaire et tranquille,
Elle ne peut quitter le bienheureux asile

Où son Epoux la tient;
S'il faut des ennemis assurer la défaite
Et mener au combat une âme si parfaite,
Souvent elle y revient.

 

C'est du grand Salomon la colombe, l'unique;
Elle en a pris le nom comme lui pacifique.

Nul, entre les mortels,
Ne porte dans un cœur plus épuré de crime
La concorde et la paix, ni n'offre de victime

Plus digne des autels.

 

Assise aux pieds sacrés comme une autre Marie,
Des hommes la merveille et du ciel si chérie,

Il faudra toutefois
Qu'elle serve à son tour et que nouvelle Marthe
Au désir de l'Epoux souvent elle s'écarte

Du doux son de sa voix.

 

Rejeté dans les flots, Bernard, a la tempête,
Hors du port désiré sait exposer sa tête;

Et vient Loin de Clairvaux,
Où de chastes plaisirs son âme est transportée,
Zélé prédicateur de l'Eglise agitée
Partager les travaux.

 

57

 

VII. Sur les noyers du jardin de l'Epoux.

 

Les noyers du jardin sont dans le saint Cantique
Des livres inspirés le langage mystique

Où l'on est empêché
Par l'amère enveloppe et par la dure enceinte
De recueillir d'abord dans la parole sainte

Le fruit du sens caché.

 

Il est ainsi; souvent la divine Ecriture
Jette aux yeux éclairés une lumière pure ;

Souvent la vérité
Sous la lettre grossière est la manne cachée,
Qui par un soin pieux veut être recherchée

Dans son obscurité.

 

VIII. Sur la vitesse des chevaux.

 

Dans ses tours et retours toujours vif et rapide,
L'Epoux d'une aine tiède, indolente, insipide,

Déteste la lenteur :
De piquants aiguillons il l'anime, il la presse,
Et lui fait vivement quitter de sa paresse

La triste pesanteur.

 

Sur un char enflammé l'on voit monter Elie :
Par de fervents désirs que l'âme se délie

De la boue et du sang;
Et que dans ces bas lieux trop longtemps exilée,
Parmi les bienheureux en soupirs exhalée,

Elle prenne son rang.

 

IX. Quàm pulchra es, etc. : absque eo quod intrinsecùs latet, etc. : Sicut vitta coccinea, etc. : sicut fragmen, etc. : absque occultis : columbae super aquas : pulchra ut luna, etc. (Cant., IV. 1, 2, 3 ; V, 12; VI, 9.)

 

Eclat de l'Epouse : sa force : beautés cachées : admiration de l'Epoux.

 

L'éclat de ta beauté tout autre éclat surpasse;

Ton aspect radieux.
Ton front, tes belles mains, ton port, ta bonne grâce

Font le plaisir des yeux.

 

58

 

Dans ses tendres regards la colombe innocente

N'a rien de si charmant.
Quand sur les bords fleuris d'une eau claire et courante

Elle flatte un amant.

 

Sur ta bouche tendus deux rubans d'écarlate

S'entr’ouvrent à ta voix,
Qui retient des zéphirs l'haleine délicate

Et le chantre des bois.

 

La grenade coupée en sa vermeille écore

Imite tes couleurs :
Dans tes divins appas on éprouve une force

Qui charme les douleurs.

 

Comme un coup arrangé tu mets tout en déroute

Sans efforts et sans bruit.
Telle ne reluit pas dans sa paisible route

La reine de la nuit.

 

Pour illustrer nos jours le ciel a fait paraître

Ton éclat nonpareil :
Qui ne le commit pas peut aussi méconnaître

Les rayons du soleil.

 

Quoiqu'un voile étendu, d'un visage modeste

Couvre les plus beaux traits,
Ta pudeur te trahit et relève le reste

De tes chastes attraits.

 

RÉFLEXION.

 

La gloire de l'Epouse au dedans renfermée,
Rend son maintien plus beau, sa vertu plus aimée

Et plus vive sa foi ;
De ses propres grandeurs son coeur elle détache
Le silence est si joie ; et plus elle se cache,

Plus elle plait au Roi.

 

Pourquoi tant rechercher sa faible créature?
Seul il en fit l'éclat, la beauté, la parure

Sa main seule y parut :
Il s'admire lui-même, il chérit son image;
Dès le commencement il bénit son ouvrage,

Et sou travail lui plut.

 

59

 

 

X. Donec aspiret dies, etc. Tota pulchra es, etc. Favus distillans, etc. (Hortus conclusus, etc. etc. Surge, Aquilo, etc. (Cant. II, 17 ; IV, 7, 11, 12, 16.)

 

L’Epoux  charmé : l’Epouse sans tache, toute belle, inaccessible : ses discours : vents impétueux, persécutions.

 

Jusqu'il tant qu'au matin des vents la fraîche haleine

Se répande à l'entour,
Que l'ombre fugitive éclairasse la plaine

Et ramène le jour.

 

J'approcherai de vous, ô montagne de myrrhe.

De vous de qui l'encens
Exhale jusqu'au ciel la vapeur qu'on attire

Pour réveiller les sens.

 

Vous êtes toute belle : une grâce admirable

Relève chaque trait ;
Mais on admire plus du tout incomparable

L'assemblage parfait.

 

Plus des yeux étonnés la lumière s'attache

A vos rares beautés,
Plus on voit éclater un visage sans tache

Les nouvelles clartés.

 

Venez du mont Liban, des plus gras pâturages,

De loin, des environs.
Des déserts habités par les bêtes sauvages :

Nous vous couronnerons.

 

Un seul de vos regards par de secrètes flammes

Sait consumer les cœurs :
Un seul de vos cheveux pour les plus belles âmes

A des attraits vainqueurs.

 

De vos sages discours la grâce nonpareille

A du lait les douceurs,
Et passe la liqueur que la savante abeille

Va piller sur les fleurs.

 

Par sa chaste rigueur l'épouse inaccessible

Est un jardin fermé :
Son cœur pour son Epoux, à tout autre insensible,

Est toujours animé.

 

Elle est dans un enclos la fontaine scellée
Qui sait garder ses sceaux :

 

 

60

 

Ni berger, ni troupeau ne l'ont jamais troublée,
Ni corrompu ses eaux.

 

Venez, vents du midi ; soufflez sur le parterre

Aquilons furieux :
Et portez jusqu'au ciel et par toute la terre

Ses parfums précieux.

 

REFLEXION.

 

L'Eglise a ses parfums, sa foi, sa patience.
Son amour, ses désirs; les vents, la violence,

La fureur des tyrans :
Dans son sein glorieux tous les peuples attire,
Et croissent sous le fer ses saints dont le martyre

A fait des conquérants.

 

Que d'un cœur épuré la pudeur est craintive !
Fermée à tous objets, solitaire, attentive,

Soi-même elle se craint :
Elle n'aime et ne sent que la loi, que la gloire
De son amant jaloux; et seul dans sa mémoire
Il se trouve dépeint.

 

La fortune me rit, la volupté me tente;
Avec tous ses attraits la gloire se présente

Que veut-elle de moi?
Grâce de mon Sauveur, empêchez ma défaite;
Venez à mon secours, paix, silence, retraite :

C'est le sceau de mon roi.

 

XI. Ego dormio et cor meum, etc. : Vos dilecti, etc. : Exspoliavi me, etc. : Declinaverat, atque transierat, etc. : Invenerunt me custodes, etc. (Cant. v, 2, 3, 6, 7).

Veille intérieure : l'Epoux frappe : lenteur à ouvrir punie : l'Epoux se retire : vainement cherché : la garde arrête l'Epouse.

 

 

Mon cœur jamais ne change et jamais ne sommeille:

Pour un céleste amant
Il brûle nuit et jour ; et son feu se réveille
A chaque battement.

 

Sa voix trouve toujours mon oreille attentive;

Je dors et je l'entends;
Je connais les accents de sa bouche plaintive :

C'est celui que j'attends.

 

Je frappe : Ouvre, dit-il, ma parfaite, ma belle,
Dont mon cœur est charmé;

 

61

 

Ma colombe, ma sœur, ma compagne fidèle,
Ouvre à ton bien-aimé.

 

De ma tête à la nuit trop longtemps exposée

Dans son aimable sein,
Mon Epouse bientôt essuiera la rosée

Avec sa belle main.

 

Trop paresseux Epoux! quoi? faudra-t-il reprendre

L'habit que j'ai quitté,
Et de mes pieds lavés, pour un cœur si peu tendre

Ternir la netteté?

 

Par ses doigts empressés de la porte fermée

Il force le ressort :
Tous mes sens sont émus et mon âme pâmée

De ce nouvel effort.

 

Je vole, et le verrou déjà sentait le baume

Distillé de ses mains;

Mais je vois disparaître, ainsi qu'un vrai fantôme,

Le plus beau des humains.

 

A ses cris, je courais languissante, attendrie,

Me perdre dans ses bras.
Il me fait : à mon tour, je pleure, je m'écrie;

Il ne me répond pas.

 

Du guet que je rencontre indignement traitée

J'en méprise les coups;
Et me plains seulement de me voir arrêtée

En cherchant mon Epoux.

 

Vous, filles de Sion, racontez-lui ma peine

Et l'extrême langueur
Où me met nuit et jour d'une absence inhumaine

La mortelle rigueur.

 

RÉFLEXION.

 

Amante de Jésus, soit qu'il commande en maître,
Soit qu'il frappe en époux, si tu ne sais connaître

Ses rapides moments,
Tu pleureras longtemps sa fuite irréparable
Et ne reverras plus sa face désirable

Qu'après mille tourments.

 

D'un amant refusé l’âme est comme glacée,
Sa grâce mal reçue et sa foi mal placée
Cause une triste nuit :

 

62

 

Si l'Epouse l'écoute et ranime son zèle.
Le froid cesse, et ravi d’un feu qu'on renouvelle,
il en goûte le fruit.

 

L'Epouse est trop souvent par la garde arrêtée,
Soit que des surveillants faiblement entêtée,

Elle engage son cœur,
Ou que des vains conseils la trompeuse surprise
Trouble les mouvements et rompe l'entreprise

Du céleste vainqueur.

 

XII. Averte oculos tuos. (Cant., VI, 4.)

Les amants de la vérité et de la sagesse, étonnés de son excessive lumière.

 

Vous qui par vos regards m'enlevez à moi-même,

Vive sourie de feux,
Reine, je n'en puis plus: ma faiblesse est extrême;

Détournez vos beaux yeux.

 

O maîtresse des cœurs, ô vérité première,

Quand vous me prévenez
Et que de vos rayons vous jetez la lumière

Sur mes sens étonnés,

 

Je me pâme et mon cœur qui loin de moi s'envole.

Dans un si grand effort,
Ne sait en écoutant votre intime parole,

S'il est ou vif ou mort.

 

Après la vision d'un céleste spectacle,

Dans l'abîme plongé,
Je demeure incertain si j'ai vu ce miracle

Ou si je l'ai songé.

 

Retirez donc l'éclat des lumières trop vives,

Et contents de la foi
Nous assujettirons nos volontés captives

A sa suprême loi.

 

REFLEXION.

 

L'Epoux tient dans les saints ce sublime langage,
Quand de la claire vue ils font l'apprentissage ;

Et par tant de clartés
Il perce de leurs yeux la tremblante prunelle,
Qu'il faut que ces essais de la gloire éternelle

Souvent leur soient ôtés.

 

63

 

Ainsi sentit d'abord sa force dissipée,
Son courage abattu, sa voix entrecoupée,

Celui qui dans les tours
De la superbe Suse, aperçut sur la nue
Du Fils de l'homme en l'air la figure venue

Jusqu'à l'Ancien des jours (1)

 

L'un dans sa vision voit sa mort assurée.
L'autre d'un si grand poids a la face atterrée.

Qu'il ne peut se lever;
Ou n'exprimant jamais ce que son cœur médite,
il commence un discours que sa langue interdite

Ne peut plus achever (2).

 

Et toi, de l'Orient apôtre infatigable,
Quand les ravissements de l'éternelle table

A ton cœur sont passés.
N'es-tu pas toujours, prêt à de nouveaux supplices.
A la fois accablé de l'excès des délices.

Répondu : C'est assez!

 

XIII. Statura tua assimilata est palmae, etc. : collum tuum sicut turris eburnea, etc., sicut turris David. (Cant., VII, 4, 7 ; IV, 4.)

Elévation de l'Epouse : délicatesse de ses traits.

 

L'Epouse est dans sa taille au palmier égalée,

Arbre chéri des cieux,
Qui dresse incessamment vers sa voûte étoilée

Son front majestueux.

 

Ravi de ce grand arbre et de sa belle tête

En moi-même j'ai dit :
J'en aurai la dépouille, et jusque sur le faîte

J'en choisirai le fruit.

 

Je tiendrai cependant ta divine mamelle,

Comme on presse un raisin
Pour tirer de ses grains la liqueur immortelle

Du plus généreux vin.

 

De tes membres polis, si tendre est la jointure,

Qu'on la croit faite au tour :
De ton col élevé la superbe structure

Paraît comme une tour :

 

Tour qui par sa blancheur efface de l'ivoire
L'éclat et la beauté ;

 

1 Dan., VIII, 9, et seq. — 2 Jud., XII, 22 ; Dan., X, 9 ; Jerem., I, 6.

 

64

 

La tour qui de David conserve la mémoire
A moins de majesté :

 

Quoiqu'éternellement sur sa base affermie,

Par d'assurés remparts,
Les carquois arrachés à la troupe ennemie,

L'ornent de toutes parts;

 

Et qu'on voie à
L'entour pêle-mêle étendues,

Les troupes de guerriers, Les cuirasses, les dards, les lances suspendues

Leurs larges boucliers.

 

RÉFLEXION.

 

Quand l’âme pousse au ciel sa sublime pensée,
Et qu'en son cher objet toute entière passée,

Pour lui seul elle vit;
Quand au-dessus des sens heureusement perdue,
Dans un vaste inconnu sa voix perçante et nue

Hors d'elle la ravit ;

 

Unie au Tout-Puissant, en vertus elle abonde ;
Chacun suce à l'envi sa mamelle féconde,

En tout temps, en tout lieu;
Pleine de vérité, de ce suc assouvie,
Dans ses sages discours, non plus que dans sa vie,

On ne trouve que Dieu

 

Là se voit à ses pieds avec sa pompe vaine
Et le long attirail de sa gloire incertaine,

Le monde désarmé ;
Son pouvoir est à bas, sa grandeur étouffée ;
Et paraît au-dessus de ce riche trophée

Le nom du bien-aimé

 

L'Epouse est au milieu des beautés différentes :
Un rare composé de douceurs attirantes,

Où tout est réuni :
On y voit la grandeur et la délicatesse,
La grâce avec la force et partout la justesse

D'un ouvrage fini.

 

De ses membres sacrés Jésus fait la jointure,
Sa parole éternelle en est la nourriture :

Mêlé dans tout le corps,
Son esprit au dedans l'anime, la maîtrise ;
Et riche en dons divers découvre dans l'Eglise

Ses immenses trésors.

 

65

 

XIV. Ego dilecto meo et ditectus meus mihi, etc. : Veni, dilecte mi, egrediamur, etc. (Cant., VI, 2; VII, 10.)

Amour réciproque : fleurs et fruits : présents de l'Epouse : vie solitaire et cachée.

 

En désirs mutuels nos deux cœurs se consument :

Je suis à mon amant ;
Il se livre à la fois, et nos flammes s'allument

En un même moment.

 

Allons où la beauté du printemps nous appelle :

La campagne nous rit,
Nos arbres ont repris leur verdure nouvelle,

Et le ciel s'éclaircit.

 

Demeurons au village, et laissons de la ville

Le bruit tumultueux ;
Voyons ramper la vigne et le provin fertile

De ce bois tortueux.

 

Nous verrons si la fleur à l'air s'est exposée ;

Ou si pendant la nuit,
Ses tendres nœuds nourris d'une douce rosée,

Ont enfanté du fruit.

 

Levons-nous, il est temps, et prévenons l'aurore,

Visitons nos vergers ;
Nous sentirons l'odeur, et nous verrons éclore

La fleur des orangers.

 

La mandragore enchante et l'œil et la narine;

L'air en est embaumé ;
Elle est riche en senteur, et jusqu'à sa racine
Tout en est parfumé.

 

Recevez mon amour et les fidèles gages

D'un tendre attachement :
A mon cœur empressé ces chastes témoignages

Sont un soulagement.

 

J'ai gardé, cher Epoux, des fruits de toute sorte,

Choisissez les plus beaux :
Goûtez ; tout est à vous, et je vous en apporte

Des vieux et des nouveaux.

 

RÉFLEXION.

 

Simple, humble, solitaire et toujours loin du monde,
En présent délicate, en caresses féconde,
Par un soin immortel,

 

66

 

L'Epouse qui d'un Dieu sait les magnificences
Et de deux testaments  les richesses immenses,
En pare son autel.

 

Eprise des beautés de la simple nature,

Sur les fruits, sur les fleurs, elle voit la peinture

De son docte pinceau :
Elle admire les traits d'une main éternelle,
Et découvre toujours quelque grâce nouvelle

Dans son riche tableau (a).

 

Que de variétés son jardin nous enfante !
Dans ses fertiles plants tout répond à l'attente

D'un soin industrieux :
Les racines, les jets, ce que la terre cache,
Ce qu'elle montre au ciel également attache

Les désirs curieux.

 

Croissez, humbles vertus, en secret élevées;
Et lorsqu'à votre point vous serez arrivées,

Par un parfum charmant
Qui perce malgré vous le sein qui vous enserre,
Vous serez notre joie, et du sacré parterre

Le plus bel ornement.

 

Ainsi, dans le désert le zélé solitaire.

Qui ne sait que gémir, se cacher et se taire,

Et malgré sa pudeur,
Sous les yeux de l'Epoux, la vierge retirée,
Dans son humble clôture à jamais enterrée,

Répandent leur odeur.

 

XV. Quis mihi det te fratrem meum, etc. (Cant. VIII, 1.)
Jésus-Christ enfant : tendre victime : on l’écoute dans son Eglise.

 

Cher frère, cher Epoux, dans ton aimable enfance,

Que je te trouve beau !
Et qu'il me sera doux d'apprendre l'innocence

Aux pieds de ton berceau !

 

Je ne te cherche pas dans le sein de ton Père,

A mes yeux refusé ;
Sorti de ce secret et devenu mon frère,

Cent fois je t'ai baisé.

 

(a) Var. : A l’aspect des trésors de la saison nouvelle,
Elle admire les traits d'une main éternelle,
Dans son riche tableau.

 

67

 

Qu'on ne méprise plus mon ardeur enflammée :

Je te trouve en un lieu,
Où trop heureuse sœur du même sang formée,

Je contente mon feu.

 

Si ton Père est le nôtre, et qu'ainsi je l'appelle

Par un semblable attrait,
A ta Mère attachée en pressant sa mamelle

J'en attire le lait.

 

Au dedans tout à coup d'un doux transport saisie,

Je te prends dans mes bras,
Et te porte chez celle à qui je dois la vie,

Où tu m'enseigneras.

 

Tu promènes mon cœur au milieu des mystères ;

Partout j'entends ta voix;
J'écoute, et parcourant ces objets salutaires,

J'y vois toujours ta croix.

 

Je te vois, tendre Agneau devenu la victime

De tout le genre humain !
Un clou perce déjà, pour expier mon crime,

Ton innocente main.

 

Pendant qu'avec douleur en secret je t'admire

Dans ton sacré tombeau,
Je te mets sur mon sein comme un bouquet de myrrhe,

Ornement tout nouveau.

 

Je vois étinceler de ta face éclatante

Les rayons glorieux ;

Mais ta chair empourprée et de sang dégoûtante,

Me frappe aussi les yeux.

 

De ta chaste blancheur, de ton rouge admirable

Egalement saisi,
Mon cœur a pour objet l'Epoux incomparable

Entre mille choisi.

 

Mon amant altéré reçoit de ma tendresse

Les vins réjouissants.
Et de mes grenadiers sur ses lèvres je presse

Les grains rafraichissants.

 

RÉFLEXION.

 

Par cent bouches l'Epoux fléchit les âmes dures;
Il en emploie autant qu'il ouvre de blessures;
Son exemple est ma loi.

 

68

 

Il aime la douceur de ce divin langage.
C'est le vin de l'Epoux et l'agréable gage
D'une immortelle foi.

 

Le martyre est ma gloire, et la croix est ma vie;
Souffrir pour mon Epoux est toute mon envie :

C'est un Epoux de sang :
Et porter de sa mort la glorieuse empreinte,
C'est avec les martyrs, parmi la troupe sainte,

Prendre le premier rang.

 

Invisible Docteur qui, dans la solitude,
Me fait sentir sa grâce et mon ingratitude,

Il nie parle en amant :
J'écoute en sûreté dans le sein de l'Eglise,
Et soit qu'il me corrige, ou qu'il me favorise,
Je l'aime également.

 

XVI. Quas est ista quae ascendit? (Cant., VIII, 5, et seq.)

Les épreuves : l'amour épuré.

 

Que vois-je? du désert heureuse elle s'élève,

Au comble des plaisirs :
L'épreuve la soutient ; la solitude achève

D'épurer ses désirs.

 

De son divin Epoux avec quelle assurance

Elle fait son appui !
Dans son bras elle a mis toute son espérance

Et ne commît que lui.

 

D'un arbre malheureux le fruit t'a corrompue;

Ta mère en a péri :
Un arbre a du péché la course interrompue,

Et le mal est guéri.

 

Sur tes bras, sur ton cœur, mets-moi comme une empreinte,

A toi seul attaché ;
Mon cœur rompra plutôt que par aucune atteinte

Il en soit arraché.

 

Pour toi je souffrirai d'un chaste amour saisie,

Et les feux et le fer,
Plutôt que d'offenser ta sainte jalousie

Plus dure que l'enfer.

 

Les eaux n'éteindront pas une flamme si pure ;
Et les flots soulevés

 

69

 

Qui font frémir les sens et trembler la nature
Tout à coup sont crevés.

 

S'il faut abandonner et les biens et la vie,

Je bénirai mon sort :
S'il faut dans les tourments voir la mort en furie,
Mon amour est plus fort.

 

REFLEXION.

 

Insatiable Epoux qui, jaloux de votre ombre,
Me causez des langueurs et des peines sans nombre,

Il faut vous contenter ;
Cruel, pour égaler votre délicatesse

Et de vos mouvements seconder la vitesse,

Que ne dois-je tenter ?

 

Prête à tous vos moments, à vous seule attentive,

De votre volonté l'éternelle captive,

Je ne suis point pour moi :
Dans vos secrets sentiers, à moi-même inconnue,
De tous secours humains je marche dépourvue,
Et ne vis que de foi.

 

L'âme dans sa carrière un long temps exercée,
Qui voit par cent combats à la gloire avancée,

Les vices abattus,
De ses propres efforts à la fin se défie,
Et craint pour son amour qu'il ne se glorifie
Des dons et des vertus.

 

XVII. Quae habitas in hortis, etc. Vox tua dulcis et facies tua decora. (Cant. VIII, 13 ; II, 14.)
Chant de l'Epouse : elle craint les excessives douceurs.

 

Toi qui de ces jardins l'hôtesse et la merveille,

De tes doctes chansons
Fais entendre aux amis qui te prêtent l'oreille
Les célestes leçons :

 

Ainsi que ton bel œil, ta belle voix les touche;

Et tes airs ravissants,
Tes doux accords poussés de ta savante bouche,

Vont enchanter les sens.

 

Ecoutez : mon amante enfin rompt le silence
De ces aimables lieux ;
Heureux qui peut goûter la sainte violence
De ses chants amoureux!

 

70

 

Fuyez, mon bien-aimé : je hais la multitude,

Qui m'ôte mon Epoux ;
Je ne puis vous parler que dans la solitude,

Ni chanter que pour vous.

 

Fuyez, j'irai partout à vos pas attachée

Par de pieux efforts ;
Après vos doux attraits, sans en être empêchée

Par mille et mille morts.

 

De péchés accablés, de vos chastes caresses

Qui peut porter l'excès?
Dans ces malheureux jours, votre croix, vos détresses

Ont un meilleur succès.

 

Fuyez ; je n'en puis plus : d'un amant possédée,

Jalouse de mes fers,
Dans ses embrassements de plaisir inondée,

Moi-même je m'y perds.

 

Plus vite qu'un chevreuil, fuyez vers les montagnes,

D'où viennent les odeurs
Qui d'un parfum céleste embaument les campagnes,

Et soutiennent les cœurs.

 

REFLEXION.

 

Belle en tes vérités, en tes chants merveilleux,
Dans tes solennités grande et majestueuse,

Autour de tes autels,
Sainte Eglise, le ciel répond à ta musique,
Et l'accompagnement du concert angélique

Ravit les immortels.

 

Oh! de l'amour divin étrange destinée !
Dans ce bannissement une âme infortunée

N'en peut porter le poids :
Il faut, que séparé de tout attrait sensible,

Un Dieu dans sa lumière auguste, inaccessible,

Se cache quelquefois.

 

L'AMOUR INSATIABLE.

 

I.

 

Content et jamais content,
Je possède et je désire :
Plus mon bonheur est constant,
Plus je chante mon martyre ;
Et ma soif va s'augmentant

A mesure que j'attire
Cette immortelle liqueur
Qui seule remplit le cœur.

 

Quel secours à mes transports
Et quel remède à ma peine,
Si, malgré tous mes efforts,
Par une absence inhumaine,

Je sens mille et mille morts
Me couler de veine en veine
Pendant qu'à force d'aimer
Je me vois comme pâmer?

 

71

 

Vous me soulagez en vain
Dans ma triste défaillance,
Quand vous donnez à ma faim
Quelque goût de votre essence.
Il la faudrait voir à plein
Et dans sa claire présence :
Qui n'est pas encore uni,
Ne sent qu'un vide infini.

 

Adorable vérité,

Mère de l'amour suprême,

Heureuse nécessité,

Qui vous voit toujours vous aime

Dans l'immuable cité.

Venez, montrez-vous vous-même,

Et nos cœurs en vous aimant

Iront tous se consumant.

 

Amour et toujours amour,
C'est mon attrait, c'est ma vie.
Je veux souffrir nuit et jour
Cette heureuse maladie,
Tant qu'au céleste séjour
D'une sainte mélodie
J'aille chanter à jamais
Le cantique de la paix.

 

Dans tes murs, sainte Sion,
Notre patrie immortelle,
Loin de la corruption,
Règne la paix éternelle,
Dont la vive impression
Vient à la troupe fidèle
Jusqu'à ces lieux reculés
Où nous sommes exilés.

 

Paix, qui surpasse tout sens,
Tout désir, toute pensée,
Lorsque du ciel tu descends,
Malheur à l’âme insensée
Qui par des vœux impuissants,
A soi-même délaissée,
Cherche un repos passager
Dans un pays étranger !

 

II.

 

SUR LE MÊME SUJET.

 

Amour, que vous me troublez!
Tous mes désirs rassemblés
Attendent la jouissance ;
Mais ce n'en est pas le temps
Ni de remplir l'espérance,
Et rendre les cœurs contents.

 

Cher amant, retirez-vous :
Vos embrassements trop doux
Vont accabler ma faiblesse.
Je ressens trop vos appas,
Quoiqu'à l'ardeur qui me presse
Le trop ne suffise pas.

 

Non, le trop n'est plus assez
A mes désirs empressés ;
Et pour combler de mon âme
La vaste capacité,
Il faut donner à ma flamme
Toute votre immensité.

 

Qui suis-je, que votre amour
Sollicite nuit et jour
Une âme si languissante ?
Chère Epouse, chère sœur,
Dont le regard me contente,
Dont l'œil m'a blessé le cœur;

 

Par un seul de tes cheveux
Tu sus allumer mes feux :
Fais encore à mes oreilles
Résonner de tes chansons
Les cadences nonpareilles
Et les agréables sons.

 

C'est vous qui nous poursuivez,
Nous recherchez, nous servez,
Malgré notre ingratitude,
Comme ferait un amant
Qui, de son inquiétude,
Ne peut souffrir le tourment.

 

Mais, malgré l'infinité
D'une excessive bonté,
Cœurs ingrats, race traîtresse,

 

72

 

Nous faisons à notre Epoux
Changer toute sa tendresse
En implacable courroux.

 

Toutefois, dans ma fureur,

J'ai pitié de ton erreur :
En ma couche nuptiale,
Au son de ma tendre voix,
Ame injuste et déloyale,
Reviens encore une fois.

 

LES TROIS AMANTES.

 

PREMIÈRE  AMANTE.

 

La Pécheresse. En saint Luc. VI, 37.

 

Il est temps : descendez des cieux,
Amour chaste et religieux ;
Jésus a paru sur la terre :
Il y vient pour se faire aimer,
Et faire une éternelle guerre
Au monde qui nous veut charmer.

 

Assis dans un fameux repas
Sa bonté ne dédaigne pas
De voir approcher sa victime
Qui, devant tous les conviés,
Pleine de l'horreur de son crime,
S'abaisse et se jette à ses pieds.

 

Le visage noyé de pleurs,
Le cœur déchiré de douleurs,
Elle les arrose de larmes,
Essuyant avec ses cheveux,
Autrefois si remplis de charmes,
Le torrent que versent ses yeux.

 

Humble amante, à ces pieds sacrés,
Tous ses désirs sont attirés :
Sa bouche y demeure collée ;
Pour assouvir un chaste amour,
Triste, interdite, échevelée,
Elle les baise tour à tour.

 

Allez, odorante liqueur,

Riches parfums, et de mon cœur

Contenez la délicatesse :

Honorez la Divinité

Par la magnifique largesse

Qui servit à la vanité,

 

Digne par ses crimes affreux,
Des regards les plus rigoureux,
Elle tient sa tête baissée :
Et de sa bouche pour tous mots,
Témoins de son âme angoissée,
Elle ne pousse que sanglots (a).

 

Tel ne fut dans son repentir,
Quand du ciel on vint l'avertir
De son insupportable offense,
Le roi dont les lugubres chants
Font respecter la pénitence
Jusqu'aux hommes les plus méchants.

 

Amante, réjouissez-vous
De trouver un amant si doux :
Il ressent vos saintes caresses;
Et par votre flamme gagné,
Il en découvre les adresses
Au pharisien indigné.

 

Vos larmes, vos cheveux épars,
Vos baisers sont autant de dards
Qui percent un cœur qui vous aime
Juste Juge, il connaît vos vœux,
Ravi dans sa tendresse extrême
De voir vos transports amoureux.

 

Il voit croître dans le pardon
De l'amour le céleste don ;
Et plus il vous remet de fautes,
Plus de vos merveilleux transports
Aux entreprises les plus hautes
S'élèvent les nobles efforts :

Mes oreilles, qui l'écoutez,
Qui dans mon esprit apportez

 

(a) Var. : Ne s'échappent que des sanglots.

 

73

 

De sa voix l'empreinte éternelle,
Soyez-moi fidèles témoins
Qu'il a dit que moins criminelle
A son gré aimerait bien moins.

 

C'est dans les pécheurs convertis,
C'est par leurs vices amortis,
Que Jésus montre sa clémence.
En Sauveur il veut être aimé :
Et ne trouve de complaisance
Que dans ce titre renommé.

 

Péché, tu m'as donné la mort ;
Mais tu me rends un meilleur sort,
Puisque je sens la repentance
De mon cœur confus et contrit
Augmenter la reconnaissance
Pour le Sauveur qui me guérit.

 

Et toi spectateur orgueilleux,
D'un Dieu qui se rend merveilleux,
Touché d'une main infidèle,
Lorsqu'il donne un facile accès
A l’âme emportée et rebelle
Qui vient confesser ses excès ;

 

Tu lui dirais dans ton dédain :
Retire ton impure main ;
Sans doute s'il était prophète,
Ce Jésus aurait évité

Cette pécheresse indiscrète,
Le scandale de la cité.

 

Plutôt, hypocrite et menteur,
A ces marques connais l'auteur
Qui viens rechercher son ouvrage
Et lui dit : Aime seulement;
Je n'aspire à d'autre avantage
Qu'à celui d'être ton amant.

 

Pendant qu'idolâtre des sens,
A tes pieds offrait son encens
Des amans la troupe insensée,
Il t'aimait malgré ton erreur,
Et de ta conduite passée
Sa grâce t'inspirerait l'horreur.

 

Aujourd'hui que tu l'as calmé,
Que ton cœur a beaucoup aimé.
Tes péchés ne sont qu’une amorce
A ses excessives bontés,
Et ne font qu'avec plus de force
Couler ses libéralités.

 

Quitte donc ton superbe atour,
Purge la source de l'amour :
Nul amant avec plus de joie
Ne t'offrit de semblables vœux,
Et jamais de plus belle proie
Ne fut prise dans tes cheveux.

 

SECONDE AMANTE.

 

I. — Marie, sœur de Lazare, aux pieds de Jésus à Béthanie, écoutant sa parole. (Luc, X, 38.)

 

Quel aimable discours par sa douce merveille

Vient ravir mon oreille?
Parlez, divin Jésus, source de vérité,

Vous serez écouté.

 

Quand assise à vos pieds dans un profond silence,

A vous mon cœur s'élance,
Et que de votre voix il attire ardemment

L'air céleste et charmant;

 

L'ineffable secret qui part de votre bouche

Est le seul qui me touche.
Dieu demande les cœurs et pour ce beau dessein

Vous sortez de son sein.

 

74

 

Loin des sens, au dedans où vous tenez l'école

J'entends votre parole,
Qui calme tout mon trouble et les émotions

Des fières passions.

 

Ainsi vous apaisez la mer et les tempêtes

Qui menaçaient nos têtes,
Et des vents vous changez en souffle gracieux

Le bruit audacieux.

 

Si vous ne montrez plus à ma sœur empressée

Qu'une seule pensée,
Je goûte le vrai bien qui dans votre unité

Ne me peut être ôté.

 

Je m'abandonne à vous, seul
Etre nécessaire,

Je ne veux que vous plaire :
Dans mon cœur désormais je ne nourrirai plus

Des désirs superflus.

 

Des célestes esprits, en vous seul recueillie

Je commence la vie,
Je renonce à mes sens et toute hors de moi

Je ne vis que de foi.

 

Pleine de l'Etre pur, immortel, invisible,

Seul incompréhensible,
Je m'écoule et me perds dans ce fonds inconnu

Où tout est contenu.

 

Que me présentez-vous, fortune de la terre ?

Rien que l'éclat d'un verre.
Une glace luisante et qui fond dans les mains

Ou des fantômes vains.

 

Que me présentez-vous? une creuse figure,

Pour l'objet la peinture:
D'un nuage léger les changeantes couleurs,

Les ris tournés en pleurs.

 

Que vois-je? autour de moi tout le monde s'empresse,

Et chacun s'intéresse
A me jeter du port dans le milieu des flots
Pour m'ôter mon repos.

 

Je m'impose à moi-même, et si Dieu ne la guide,

Mon âme toujours vide
Court d'erreur en erreur, et croit se convertir

Par un vain repentir.

 

75

 

L'aveugle cœur humain qui veut se reconnaitre,

Trouve un plus cruel maître ;
L'avarice, l'orgueil, la colère, l'amour,

Y règnent tour à tour.

 

Son désir vagabond va d'idole en idole,

Il se prend et l'envoie
D'un lacet dans un autre, et malgré ta raison

Toujours dans la prison.

 

Jusqu'à tant qu'à Jésus la vérité nous livre

Et par là nous délivre,
Dans nos esprits déçus, le mal n'est que caché,

Et s'accroît le péché.

 

Jésus change les cœurs par la se crête atteinte

D'une volupté sainte,
Et de ma volonté d'un délicat effort

Fait mouvoir le ressort (a).

 

Je ne vous suivrai plus, fugitives images

Du bien ombres volages ;
Des hommes éveillés songes capricieux,

Fuyez loin de mes yeux.

 

Possédez seul, Seigneur, un cœur qui ne respire

Qu'à vivre en votre empire ;
Heureux qui se soumet et s'abandonne à vous

Dont le joug est si doux.

 

Je ne demande point de ces vives lumières

Pour mes faibles paupières :
Je m'abaisse ; et ce cœur que vous daignez calmer,

Ne veut que vous aimer.

 

II — La même amante se plaint au Sauveur de la mort de Lazare son frère. (Joan. XI, 20, 23. 29, etc., 31, 32, 33, 39.)

 

On consolait en vain les deux sœurs affligées

Et jamais soulagées ;
Dieu même dans le mal dont il était l'auteur

Est leur consolateur.

 

De Lazare Jésus, de loin, dans Béthanie

Avait vu l'agonie ;
Quatre jours au sépulcre il laisse son ami

Tristement endormi.

 

(a) Var. : Vous changez tous les cœurs par la secrète atteinte
D’une volonté sainte ;

Et de ma volonté d'un délicat effort,
Vous mouvez le ressort.

 

76

 

Il approche : aussitôt Marthe toujours active

Vient d'une voix plaintive,
D'un frère enseveli pleurant le triste sort,

Redemander le mort.

 

Marie à la maison plus tendre qu'empressée,

Dans sa triste pensée,
De sanglots éternels, pleine de son malheur,

Nourrissait sa douleur.

 

Elle avance pourtant : mais quand Jésus l'appelle

Par sa voix paternelle,
On disait : Elle va par ses pleurs de nouveau

Arroser le tombeau.

 

Que ce peuple ignorant connut mal sa tendresse!

Ailleurs elle s'adresse;
Mais aux pieds de Jésus, ose-t-elle espérer

De le faire pleurer?

 

Que ne peuvent les pleurs qu'un tendre amour inspire?

D'autres pleurs il attire.
Jésus pousse l'effort d'un regret véhément

Jusqu'au frémissement.

 

Que voyez-vous, mes yeux? dans sa douleur extrême

Il se trouble lui-même ;
Sur son front étonné de son saisissement

Paraît le sentiment.

 

Il sait par quel combat et par quelle victoire,

Devait tomber la gloire
Du tyran dont l'orgueil à la mort nous soumit,

Et son cœur en frémit.

 

Il voit avec horreur la sanglante journée

Où la troupe damnée
En perdant l'innocent, du cachot éternel

Tira le criminel.

 

A l'aspect du tombeau Jésus frémit encore,

Et sa voix qu'on adore
Dans le ciel, dans la terre et jusques aux enfers,

En va briser les fers.

 

Là des morts oubliés le morne et triste nombre
Dans sa demeure sombre,
Sous cent portes d'airain enfermé sans retour,
Ne revoit plus le jour.

 

77

 

Mais Jésus a la clef de leur froide clôture :

Malgré leur sépulture,
Ceux qu'elle tient captifs, de ces funestes lieux
Repassent vers les cieux.

 

Vous du démon vainqueur fiers et noirs satellites,

Qui gardez ses limites,
Et vous, Mort, qui tenez entre vos pâles mains

Le sceptre des humains :

 

Aux amis de Jésus il faut rendre la joie

Et lâcher votre proie.
Cédez, et mettez bas votre injuste fureur

Devant si sainte horreur.

 

Faites tarir vos pleurs, vous, tranquille Marie,

Votre plaie est guérie :
Et revenez aux pieds du céleste Docteur,

Le seul qui parle au cœur.       

 

III. — La même amante répand ses parfums sur la tête et sur les pieds de Jésus (Matth., XXVI, 6 ; Joan., XII, 1.)

 

Que ferez-vous, Marie, et d'un présent si rare

Où l'on vous rend Lazare,
Quelle reconnaissance enfin montrerez-vous

Au bienheureux Epoux ?

 

Déjà vous ressentez une joie infinie :

Jésus à Béthanie
Est entré chez Simon : un grand festin suivit

Où Marthe le servit.

 

A ce banquet parut un merveilleux spectacle,

Et ce fut le miracle
De voir avec Jésus assis à son côté

Le mort ressuscité.

 

Marie à cet objet d'un saint transport saisie,

Prend sa boîte choisie :
La rompt; l'on voit couler sur ses divins cheveux (a)

Le parfum précieux.

 

Vers les pieds à la fois va l'odorante essence

En pareille abondance.
Le superbe édifice en est tout embaumé :

Tout l'air est parfumé.

 

(a) Var. : L'ouvre et l'on voit couler...

 

A la magnificence elle joint les tendresses;

Et de ses longues tresses Marie en même temps déployait les beaux nœuds,

L'objet de mille voeux.

Malheureux instruments de la perte des âmes.

Des cœurs liens infâmes,
Aux saints pieds de Jésus quittez la vanité :

Il est la Vérité.

 

Sur ces pieds ondoyait la riche chevelure,

Sa plus noble parure ;
Et de l'huile épanchée au gré de son vainqueur

Essuyait la liqueur.

 

De la Divinité l'infusion sacrée

En vous est adorée ;
Vous êtes d'Israël l'espérance et l'honneur

Le seul Oint du Seigneur.

 

Seul Sauveur, vous allez portant de ville en ville

L'odeur de l'Evangile,
Et ce baume épanché sur cent climats divers

Guérira l'univers.

 

Les pauvres sont vos pieds; l'aumône est l'huile sainte

Qui fait cesser leur plainte :
Les cheveux font changer en libéralités

Les superfluités.

 

Sexe vain, ton adresse en parures féconde,

Croit embellir le monde;
Mais apprends de Jésus d'un humble habillement

Le plus digne ornement.

 

Attache tes regards aux pieds plus qu'au visage.

Des saintes c'est l'usage;
Que la pudeur te guide et relève les yeux

Seulement pour les cieux.

 

Par vous seul, ô Jésus, ces belles tant aimées

Vont être désarmées :
Leur orgueil est à bas, et vous seul méritiez

De les voir à vos pieds.

 

Croyez à sa victoire, âmes ensorcelées,

De l'amour affolées :
Jésus jette un regard sur un cœur corrompu,

Et le charme est rompu.

 

79

 

Vous forcez de La mort la porte redoutable :

Assis à votre table
Les morts ressuscites goûteront à longs traits

Vos célestes attraits.

 

Hélas! dans peu de jours, nous savons que la vie

Vous doit être ravie;
Et nous ne verrons plus des mortels le plus beau

Que froid dans le tombeau.

 

Prévenons de Jésus la triste sépulture :

Que toute la nature
Fidèle à son auteur pour honorer son corps,

Epuise ses trésors.

 

Femme, tout l'univers célébrera ton zèle,

Ta gloire est immortelle ;
Partout où de Jésus le nom sera porté,

Le tien sera vanté.

 

IV.— Le jour que Jésus monta aux cieux, il vient à Béthanie avec ses disciples. (Luc, XXIV, 50 ; Act. I, 11). Béthanie était située auprès du mont des Oliviers. (Marc, XI, 1 ; Luc, XIX, 29, 37 ). De ce mont il devait s'élancer pour retourner à son Père, (Luc., XXI, 50; Act, I, 12.) Le mont des Oliviers est celui où Jésus alla prier après la Cène. Matth., XX, 30; Marc, XIV, 26; Luc, XVII, 39.) Il avait accoutumé d'y aller prier. (Joan., VI, XVIII, 2.) Il était situé au-delà du torrent de Gédron, et il y avait là un jardin. Joan., XVIII, 1, 2.) C'est de là aussi qu'il lit son entrée à Jérusalem. Matth., XXI. 1 ; Marc, XI, 1; Luc, XIX, 37.) Béthanie était le lieu où il se retirait ordinairement tous les jours et surtout dans sa dernière semaine, d'où il allait dès le malin prêcher à Jérusalem. (Luc, XXI, 37), et retournait sur le soir à Béthanie. Matth, XXI, 17 ; Luc, XXI, 37.) C'est donc de cet endroit si célèbre par sa retraite, par ses oraisons et par son agonie, qu'il voulut monter au ciel, comme on a dit.

 

Prêt à monter au ciel, la carrière finie,

Pourquoi Jésus encore va-t-il à Béthanie?

Lui faut-il, immortel, en un lieu retiré,

Contre les Juifs ingrats un refuge assuré?

Quoi ! faut-il, comme aux jours de sa mortelle vie,

Au pauvre abandonné fournir une maison,

Un jardin retiré pour sa sainte oraison ?

Non : il vient honorer d'une famille chère,

Le charitable toit, la table hospitalière :

Par un dernier adieu consoler ses amis,

Leur montrer qu'à leur foi le ciel était promis,

Et que, si bien reçu jusqu'à sa dernière heure,

Il allait à son tour préparer leur demeure :

Cher Lazare, vivez, mais en ressuscité,

Et toi, tendre Marie, humble et contemplative,

Demeure à ma parole en silence attentive;

J'ai laissé ce partage à la fidélité ;

Et je veux que jamais il ne te soit ôté.

 

80

 

Conservez votre paix, heureuse, solitaire,
Des célestes secrets sainte dépositaire,
A qui tient au dedans un langage si doux,
Si simple, si caché, le Verbe votre Epoux :
Votre cœur y répond sans bruit : nulle traverse,
Nul trouble, n'interrompt ce fidèle commerce :
L'amour y parle seul, et son discours sans prix
De nul que de l'amour ne peut être compris.
Vous n'avez pas besoin, amante courageuse,
De suivre pas à pas sa route douloureuse :
Ni d'aller en pleurant de la croix au cercueil
Par vos riches parfums signaler votre deuil.
D'autres en se levant au milieu des ténèbres,
Lui rendront à l'envi tous ces devoirs funèbres :
Gardez votre partage, et de Jésus vainqueur
Repassez la parole en votre triste cœur :
Dites que par sa mort le genre humain respire
Qu'il détruit du péché le tyrannique empire,
Et qu'on ne le perd pas au trône paternel,
Puisqu'on a de sa voix le gage solennel :
Sa voix qui tous les jours vient frapper notre oreille,
Et, pénétrant nos cœurs qu'elle guide et conseille,
Vive image du Verbe, éclat de sa clarté,
Y porte la lumière avec la liberté.

 

Saints bûtes du désert, troupe humble et solitaire ;
Qui cherchez en Jésus le seul bien nécessaire,
De sa divinité sages contemplateurs,
De son humanité zélés imitateurs,
Compagnons de Marie et comme elle sans crainte,
Fidèles auditeurs de la parole sainte,
De ses divins discours méditant tous les mots,
Prévenez les douceurs de l'éternel repos :
Chantez de l'Eternel les merveilles antiques,
C'est pour vous que David composa ses cantiques;
Jean-Baptiste pour vous par sa tonnante voix,
A fendu les rochers, déraciné les bois :
Et depuis qu'au désert, seul, de la pénitence

Il a fait résonner la sainte violence,
Une montagne à l'autre en rapporte les cris,
Et tout fléchit au bruit des célestes Ecrits :
Brûlez d'un chaste amour pour l'immortelle essence,
Voguez à l'abandon sur cette mer immense,
Epris de sa grandeur et de sa vérité
Dites, sous le soleil que tout est vanité.

 

Et vous du saint Epoux amantes épurées,
A son lit nuptial chastement préparées,
Vierges, anges mortels : dans quelque coin caché
Où votre ardent amour ne soit point empêché,

 

81

 

Laissez-vous attirer à la sainte parole

Qui retient dans les biens, et dans les maux console :

Elle est le seul trésor qui jamais ne se perd :

Elle est le pain du ciel au milieu du désert ;

Tous à ce pain vivant portez un cœur avide,

Des désirs affamés il remplira le vide.

Heureux à qui Dieu parle et qui lui répondez,

Prompts à vaincre les sens, hardis à tout quitter,

Père, mère, plaisirs, trésors, femme, héritage (a),

Soi-même, pour n'avoir que la croix en partage.

Peuple enseigné de Dieu, la divine sagesse

Sur vous à pleines mains épanche ses largesses ;

D'une éclatante voix elle parle au dehors :

Au dedans elle meut d'invisibles ressorts :

Elle montre de près à notre âme attendrie,

Au milieu de l'exil la céleste patrie;

Dans les Livres sacrés nous écoutons l'Epoux,

Puisqu'on entend sa voix, il n'est pas loin de nous.

Nuit et jour en secret il parle au cœur qui l'aime,

Et par son Esprit-Saint, il s'appelle lui-même.

Esprit, que doucement vous nous entretenez !

Sans cesse vous criez : Seigneur Jésus, venez !

Et l'Epouse répond : Venez, votre présence

Peut seule soulager ma longue défaillance;

En regardant au ciel, mes yeux fondus eu pleurs,

De langueurs accablés vous disent : Je me meurs.

Tantôt dans la douleur où l'ennui me dévore,

Tantôt dans les plaisirs que je crains plus encore,

Ne verrai-je jamais qu'un torrent qui s'enfuit,

Et ne laisse dans l'air qu'un inutile bruit?

Me voulez-vous tenir de Sion éloignée,

A l'exil éternel sans pitié condamnée?

Venez ; qu'attendez-vous? cruel, hâtez vos pas,

Dans l'erreur, dans la nuit ne m'abandonnez pas ;

Oui; je viens promptement : à nos yeux favorable,

Il va nous découvrir sa face désirable,

Qui nous fait oublier tous les travaux passés,

Que l'ange bienheureux ne voit jamais assez ;

Par d'enflammés désirs, volons, perçons la nue :

Dans l'essor de la foi goûtons la claire vue;

Et quoiqu'environnés de doux amusements,

Poussons jusques au ciel de saints gémissements.

 

(a) Var. : Prompts à vaincre les sens, hardis à tout quitter,
Sans trouver sur la terre à quoi vous arrêter,
Père, mère, plaisir, biens, femme, héritage.

 

82

 

TROISIÈME AMANTE.

 

I. — Marie-Madeleine, de qui Jésus avait chassé sept démons, accompagne la sainte Vierge jusqu'à la croix, avec Marie, sœur de sa mère et femme de Cléophas. (Matth., XXVII, 55, 56 ; Marc, XV, 40 ; XVI, 9 ; Luc, VIII, 2 ; XXIII ; Joan., XIX, 25.)

 

Je ne vous quitte plus, ô Mère incomparable;

Vierge, de votre sort compagne inséparable,

Fallût-il avec vous affronter le trépas,

A la croix de Jésus, je veux suivre vos pas.

Allons : ainsi parlait la triste Madeleine;

Elle se souvenait de son affreuse peine,

Lorsque de sept démons, fiers suppôts des enfers,

Captive, le Sauveur l'affranchit de leurs fers :

Dès cet heureux moment toujours reconnaissante,

Elle fut de Jésus une parfaite amante;

Et sans craindre l'horrible appareil de la croix,

Elle l'accompagna jusqu'aux derniers abois.

Quand Jésus affligé dans son âme innocente,

Que l'état malheureux du pécheur représente,

S'écria par le poids des crimes oppressé :

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé?

De quelle sainte horreur ne fut-elle frappée?

Combien vif lui parut le tranchant de l'épée!

Combien saigna son cœur! combien de son amant

Pleura-t-elle à ses yeux le saint délaissement!

Quoi! Jésus est soumis au prince des ténèbres!

Il ne voit que noirceur, que des objets funèbres :

Dedans comme dehors on l'abreuve de fiel :

Pour lui dure est la terre, et d'airain est le ciel :

Le Fils est délaissé pour sauver les esclaves :

On le livre à l'enfer pour rompre nos entraves :

C'est le jour des démons : le peuple est possédé :

Aux noires passions tout esprit a cédé.

Aussi de leur erreur l'innocente victime,

Par leur faible commun veut excuser leur crime :

Mon Père, que pour eux mes vœux soient exaucés :

Pardonnez la fureur de ces cœurs insensés :

Des aveugles pécheurs supportez l'ignorance;

Et laissez aux mortels ce reste d'espérance :

Tous ils sont enivrés, et le démon vainqueur

A d'énormes excès précipite leur cœur.

Madeleine le voit en cet état funeste,

D'une si belle vie achever le beau reste :

Il promet le salut au larron converti,

Aussitôt que du corps l'esprit sera sorti :

Avec sa Mère il voit le disciple qu'il aime,

Tendre fils, dans son cœur il se transmet lui-même :

 

83

 

C'est un autre Jésus qu'il forme à ce moment :

Marie à cette fois enfante avec tourment :

Le glaive pénétrant dont son âme est percée,

Va ramasser des saints la troupe dispersée,

Et lui fait recevoir par un ordre éternel,

Pour eux tous dans le sein un amant maternel.

Marie en cet état est la femme, féconde,

L'Eve qui tout à coup met au jour tout le monde.

Jean pour elle en lui seul les élus réunit,

Et comme ses enfants tous elle les bénit :

Pour avoir dans Jésus une gloire infinie,

De Jésus elle boit toute l'ignominie ;

Pendant que sans pitié ses cruels ennemis,

Avec des traits amers lui reprochent son fils.

J'ai soif : mais quand sera cette soif apaisée?

Ciel, distille d'en haut ta plus douce rosée :

Mais non; c'est mon salut qu'à la croix il attend,

Aimons; le seul amour le peut rendre content:

Madeleine le donne à sa bouche altérée :

Par l'amour, de sa soif l'ardeur est tempérée ;

D'un rocher il a pu tirer une liqueur :

Il ne peut rien tirer de mon perfide cœur :

Ne pourra-t-il jamais m'arracher une larme?

Sa bonté nous paraît, sa rigueur nous alarme;

Le cœur est insensible, et nous ne lui rendons

Que vinaigre, que fiel pour ses célestes dons!

Une plus haute voix enfin se fait entendre,

Jésus n'a plus qu'un souffle, et d'un cœur toujours tendre

Il s'écrie en mourant que tout est consommé :

Oui; jusques à la mort il a toujours aimé :

D'un amour éternel sa mort est le mystère,

Et son dernier soupir n'a rien d'involontaire;

Il ne veut point mourir qu'il n'ait tout accompli,

Et d'un parfait amour tout le devoir rempli.

Jusqu'à la moindre goutte il a bu le calice,

Où son Père irrité composa son supplice :

Victime consacrée au vengeur immortel,

Comme de l'eau son sang a coulé sur l'autel :

On ne le connaît plus ; sa face désirée,

La merveille des yeux, est toute déchirée :

Ce n'est plus ce docteur de tous si recherché,

C'est l'homme de douleur, c'est un ver écorché.

O miracle inouï ! pendant qu'à l'agonie,

Jésus avec son sang voit écouler sa vie,

Sa voix ne baisse pas : il expire en criant :

Délaissé de son Père il meurt en le priant;

Et remet en ses mains son âme désolée,

Qui même en se troublant ne fut jamais troublée.

Madeleine attentive à ce dernier effort,

Voit que ses yeux fixés se tournent à la mort :

 

84

 

Il se meurt; de son sang la source est desséchée,
Sa bouche est entrouverte et sa tête penchée :
C'en est fait; il n'est plus, tout est perdu pour moi,
Mon Amant, mon Epoux, mon Sauveur et mon Roi.
Mais que vois-je? soleil, de ta pâle lumière
Le reste défaillant échappe à ma paupière :
Tout tremble; et par l'effet d'un mouvement affreux,
Des tombeaux d'alentour se découvre le creux :
Des morts parmi les airs on voit voler les ombres,
Avec leur face triste et leurs figures sombres :
Tout l'univers s'ébranle, et semble sans moteur,
Vouloir s'ensevelir avec son Créateur.

 

 

II. — La même amante cherche Jésus dans son tombeau : voit deux anges, et le voit

lui-même. (Jean. XX, 10 et suiv.)

 

Anges saints, qui vîtes les larmes
Et la douleur pleine de charmes
D'une amante auprès du tombeau
Qui toute sa richesse enserre ;
De Jésus sorti de la terre
Chantez le cantique nouveau.

 

Au creux d'une grotte enfoncée,
Dans le roc de nouveau percée,

Dans un jardin délicieux :
A l'ombre des fertiles plantes,
Au milieu des fleurs odorantes
Reposait le corps précieux.

 

Dès le matin, avant l'aurore,
Les amantes venaient encore,
Eprises d'un divin appas,
Au saint lieu signaler leur zèle ;
Et plus que les autres fidèle,
Madeleine n'en sortait pas.

 

Tantôt vers le tombeau penchée,
Tantôt à l'entour épanchée,
Par mille regards superflus,
Elle cherche, inquiète et triste ;
Et va suivant comme à la piste
Celui qu'elle ne trouvait plus.

 

N'est-ce pas là, dans cette roche,
Qu'aujourd'hui vainement j'approche
Et dans ces solitaires lieux
Que fut posé le divin Maître?
Et ne le voyant plus paraître,
Elle s'en prenait à ses yeux.

 

Deux anges, dont la riche veste,
D'un blanc éclatant et céleste
Comme un soleil étincelait,
Paraissaient, touchés de sa plainte,
Lui vouloir ôter toute crainte,
Et l'un d'eux ainsi lui parlait :

 

Femme, dans les larmes plongée,
Soulagez votre âme affligée ;
Dites le sujet de vos pleurs.
A ces paroles, Madeleine
Sentit qu'ils comprenaient sa peine,
Et qu'ils partageaient ses douleurs.

 

De son amour toute occupée
Et de nul autre objet frappée,
Sans surprise, sans tremblement,
Elle vit comme des peintures
Ces immortelles créatures,
Et ne songeait qu'à son amant.

 

Hélas! jusque sous cette tombe,
A ce dernier coup je succombe :
Ils m'ont enlevé mon Seigneur;
Après l'avoir privé de vie,
On le cache, et l'on nous envie
Ce reste de notre bonheur.

 

Oh ! qu'elle était bien écoulée!
Que sa voix fut bientôt portée
A l'oreille du bien-aimé,
Qui, près d'elle, dans le silence,
En secret voit la violence Du feu qu'il avait allumé !

 

85

 

Madeleine, toujours en quête,
Cherche encore en tournant la tête,
Le seul qui peut la soulager :
Que ne fait la persévérance?
Il vient contre toute espérance,
Mais sous un visage étranger.

 

Femme, en ce sépulcre enterré
Qui cherchez-vous toute éplorée?
Quelle est la cause de vos maux ?
Elle croit, malheureuse amante,
Voir celui dont la main savante
Du jardin conduit les travaux.

 

Elle ne sent que sa tristesse,
Et sans consulter sa faiblesse :
Seigneur, si vous l'avez ôté,
Où l'avez-vous mis, je vous prie?
Dit-elle ; au péril de ma vie,
Je l'aurai bientôt emporté.

 

Pénétré d'un amour si tendre,

Jésus est forcé de se rendre,

Et lui fait écouter sa voix :

Elle s'entend nommer Marie;

Elle reconnaît et s'écrie :

Mon Maître, c'est vous que je vois !

 

Comme elle accourait éperdue
Pour baiser la blessure nue,
L'ornement de ses pieds percés,

Quoique d'une âme impatiente,

Il aime à consoler l'attente,

Le Seigneur lui dit : C'est assez.

 

Ne me touchez pas davantage :
Dans le ciel est votre partage :
C'est là que touché par la foi,
Loin des sens, au sein de mon Père,
Je garde les biens qu'elle espère
A l’âme qui n'aime que moi.

 

Aimons : si d'une flamme éteinte,
La cendre est si chère et si sainte,
Et si l'attrait en est si fort ;
Si par tant de transports célestes
On cherche ces précieux restes
Jusque dans l'ombre de la mort :

 

Combien plus entré dans sa gloire,
Doit-il occuper ma mémoire,
Tirer à soi tous mes désirs?
Et combien l'océan immense,
De sa sainte et parfaite essence
Contient-il de chastes plaisirs?

 

Ainsi, dans une solitude,
Où Jésus est sa seule étude
Dans la nuit comme dans le jour,
Un dont l’âme était toujours pleine
Des tendres pleurs de Madeleine,
Avec elle chantait l'amour.

 

LA PARFAITE AMANTE.

 

MARIE, MÈRE DE DIEU.

 

Vous qui d'un fils parfait et la Mère et l'Amante,

Fûtes du Tout-Puissant la fidèle servante.

Qui joignez le trésor de la virginité

A l'honneur immortel de la fécondité,

Marie, en ce doux nom, la foi vive ramasse

Tout ce qu'ont de plus grand la nature et la grâce ;

Quel esprit envoyé de l'éternel séjour,

Nous pourrait aujourd'hui raconter votre amour?

 

Ange, qui descendu des hautes hiérarchies,

Vîtes étonné que Marie au-dessus

Jusqu'au comble à la fois les avait tous reçus,

 

86

 

Quand par l'ordre du Ciel vous lui dites : Marie,

Ne craignez pas, bénite et du Ciel si chérie

En votre chaste sein de grâces revêtu (a)

Tout à coup du Très-Haut surviendra la vertu :

Ne promettiez-vous pas à la fille tremblante,

Qu'au milieu des transports d'une joie innocente,

En ce sein où de Dieu serait conçu le Fils,

Son amour paternel aussi serait transmis ?

Que d'une même voix ils diraient l'un à l'autre :

Ce Jésus est mon Fils; c'est le mien, c'est le vôtre?

Le Père dit des cieux : C'est mon Fils bien-aimé ,

En qui tout mon amour toujours s'est renfermé.

Sur la terre répond la divine Marie :

C'est mon Fils, c'est mon sang, mon bonheur et ma vie.

Jésus de leur amour le cher et tendre noeud,

Par lui-même en sa Mère allume ce beau feu,

Qui du sein paternel prenant son origine,

Ne cesse de pousser une flamme divine :

La nature l'enseigne et si son Fils est Dieu,

Mère, peut-elle aimer en moins sublime lieu ?

C'est ainsi qu'attachée à l'amour maternelle,

La grâce à son état est comme naturelle ;

Et qu'on ne peut former une Mère au Seigneur,

Que d'un amour céleste on n'anime son cœur.

 

Séraphins, votre ardeur jamais dans l'empyrée
A celle qu'elle sent ne sera comparée :
Si la gloire du ciel de l'amour est le prix,
Cédez tous à Marie, invisibles esprits :
A l'honneur de Jésus vous la verrez sans peine
En amour, en grandeur, en crédit souveraine :
A son Père, à sa Mère, en terre il obéit,
Indivisible Fils leurs ordres il suivit :
Pour qui coule son sang avec plus d'abondance,
Que pour celle où son corps avait pris sa naissance ?
Si le degré de gloire est le prix de son sang,
Qui ne voit qu'à Marie est dû le premier rang ?
Qui peut dire comment du péché préservée,
Et de tous les mortels la première sauvée,
Nouvelle Eve, sous l'arbre elle vit ses enfants
Du tombeau, de l'enfer, de tout mal triomphants,
Pendant qu'elle immolait l'innocente victime,
Qui seule par sa croix expiait notre crime ?

Témoins de ces vertus, interprètes sacrés,
Docteurs de l'univers, qui du Ciel inspirés,
Et guidés pas à pas dans notre sainte Histoire.

 

(a) Var. : Ange, qui descendu de la sainte patrie,

Quand par l'ordre de Dieu vous lui dites: Marie,
En votre chaste sein...

 

87

 

Des grandeurs de Jésus conservez la mémoire,
De sa Mère à la fois, pour combler nos souhaits,
Vous deviez raconter les mémorables faits ;
Et vous qui, si longtemps honoré de sa vue,
Dans votre humble maison l'avez toujours tenue
Depuis ce cher moment où Jésus aux abois
La mit entre vos mains d'une mourante voix,
Des vertus dont elle est le sacré domicile,
Jean, ne devez-vous pas orner votre Evangile ?
Et d'un trait qui du temps ne s'est point effacé
Nous donner en Marie un Jésus retracé?

 

Mais quoi ! si le Très-Haut en voilant ce miracle,
A ses regards divins en garde le spectacle,
Ou qu'il n'admette enfin à cet objet pieux
Que des hommes choisis ou de célestes yeux :
S'il est écrit au ciel que l'admirable Mère
De son Fils inconnu porte le caractère;
Que le commun, l'obscur, le vulgaire et le bas,
Fasse le merveilleux de ces humbles états,
Laissons enveloppé d'un voile salutaire
D'un secret si profond l'adorable mystère.
Quel fûtes-vous, Jésus, quand, parole sans bruit,
Lumière sans éclat, et soleil dans la nuit,
Dieu caché, vous montriez à la race mortelle
Que d'être vu de Dieu, retiré sous son aile,
En secret c'est de Dieu le souverain honneur,
Et de l'homme mortel le souverain bonheur ;
Où content de lui seul, sans faste et sans partage,
En silence on lui rend un éternel hommage.
O prodige inouï ! celui qu'à Nazareth
D'un œil émerveillé tout le Ciel admirait
Comme dans son pays par un art mécanique,
D'un vulgaire artisan gouvernait la boutique.
Et ce qui maintenant paraît bas à mes vers,
Trente ans était l'emploi du Roi de l'univers
Il allait, il venait, officieux, tranquille ;
Condamnant la longueur d'une vie inutile :
Pas un acte marquant, pas un fameux discours
De ses ans innocents ne signalait le cours :
D'Adam par ses sueurs il portait le supplice :
Et des âpres saisons essuyait la malice;
Occupé de sa croix et fidèle à goûter
Tout ce que son amour lui doit un jour coûter ;
Nourri dans les travaux dès l'âge le plus tendre,
A son grand sacrifice il ne cessait de tendre ;
Il laissait aux combats voler les conquérants,
Aux conseils assemblés juger les différends ;
Aux ardents orateurs, dans leurs doctes harangues,
Exercer à l'envi leurs curieuses langues :

 

88

 

A toi, pharisien, dans les riches repas,

Disputer, inquiet, l'honneur du premier pas;

Du haut rang en public briguer les préférences,

Des peuples empressés aimer les révérences,

De maître en Israël affecter le renom :

Pour Jésus, à qui seul appartenait ce nom,

Lorsqu'au temple une fois eut paru sa sagesse,

Des humbles écoutants il grossissait la presse :

Ainsi coulaient ses jours ; qui sait si de retour,

Après tous ses combats à la céleste cour,

Ce Dieu longtemps caché ne veut pas dans Marie

Perpétuer encore cette secrète vie ?

Il est vrai, de l'Eglise elle fut l'ornement,

Le modèle du monde et son étonnement :

Mais par où pouvait-elle être plus admirée,

Que si, Mère de Dieu, sous ses yeux retirée,

Sans qu'à d'autres témoins son secret fût ouvert,

Elle tenait ses dons dans son cœur à couvert ?

Les bergers racontaient la céleste musique :

Siméon expirait dans son tendre cantique;

Et du glaive affilé par un peuple méchant,

A la Mère affligée annonçait le tranchant;

La sainte prophétesse, au temple, à tous venants,

Vantait ce que le Ciel gardait à ses vieux ans.

La ville était troublée, et tout le voisinage

Des Mages arrivés racontait l'équipage,

Le cours de leur étoile, et leurs présents sacrés,

Leurs hommages; les cris des enfants massacrés;

D'un tyran effrayé l'aveugle jalousie,

Sa vaine politique et son hypocrisie :

Tout parlait à l'envi de l'Enfant nouveau-né :

De Marie, à ces bruits le cœur est étonné :

Au silence, à la paix toujours accoutumée,

Son oreille est ouverte et sa bouche fermée;

Et quand le nom du Fils va jusqu'au firmament,

La Mère pour partage a le recueillement :

Simple en sa contenance, au travail assidue,

Evitant des mortels la curieuse vue,

Sous un modeste voile humble et jetant sans fard

Vers le Ciel seulement un innocent regard;

Tendre sans flatterie, et sans art obligeante,

Pauvre, au pauvre elle ouvrait une main bienfaisante,

Inspirait la pudeur par son chaste maintien

Et toutes les vertus par son doux entretien :

Sainte, elle fréquentait les saintes assemblées :

Dans celle où d'un grand bruit sont les âmes troublées,

D'un bruit avant-coureur de ces langues de feu,

Où sous cet appareil on vit descendre un Dieu,

La fidèle Marie animait la prière :

Tous ils la regardaient comme leur tendre Mère ;

 

89

 

Et ce peuple, avec elle au Cénacle monté,
Honorait de Jésus la sainte parenté.
Incrédule autrefois, de son erreur guérie,
Elle suit aujourd'hui l'exemple de Marie;
En elle rien n'éclate, on y voit seulement
Simplicité, douceur, humble recueillement.
D'un apôtre nouveau Pierre établit la gloire,
Des oracles sacrés rappelle la mémoire
Où David, par l'effet d'un céleste transport,
Du perfide Judas avait prédit le sort :
Pierre parle, on l'écoute, et Marie en silence
Voit sans se distinguer la paisible audience

Dans les Livres divins ce que d'elle on écrit,

Le céleste écrivain d'elle-même l'apprit :

Qui peut mieux raconter le message de l'ange,

Et de l'homme avec Dieu l'union sans mélange,

Que celle dont le sang animé dans son sein,

Enfanta le Sauveur de tout le genre humain?

Aussi par ce récit où sa gloire commence

Fallait-il de son Fils honorer la naissance.

Et montrer que ce Fils, comme le plus puissant,

Etait de tous les fils le plus obéissant :

Hors ce cher intérêt la louange la blesse,

Et toujours de sa bouche on entend la bassesse ;

Mais plus à s'abaisser, simple elle s'obstinait,

Plus de ses dons cachés l'Eglise s'étonnait :

C'était le puits fécond, la fontaine scellée,

D'où sortait le salut, d'où la grâce est coulée ;

La Reine dont l'éclat au dedans renfermé,

Moins il était connu plus il était aimé :

Que ferons-nous, mortels? Aimons jusqu'au nuage

Que l'Eternel répand sur son plus bel ouvrage :

Ce qu'on sait, avec foi nous devons l'assurer

Et ce qu'on ne sait pas, en secret l'admirer.

L'arche où du Tout-Puissant la grâce est ramassée,

Au lieu le plus secret de son temple est placée :

Mais que dirons-nous donc ? Tout ce qu'on a pensé,

Sans que d'un Dieu jaloux l'honneur fût offensé,

C'est assez qu'elle ait dit dans son sacré cantique,

Dans les sublimes tons d'une voix prophétique,

Plus belle que l'aurore au visage riant,

Plus riche qu'un vaisseau chargé dans l'Orient,

Plus claire qu'une eau vive ; agréable, odorante ;

Plus que dans la moisson la campagne abondante,

Produisant plus de fleurs qu'un jardin cultivé,

Répandant plus de fruits que l'automne empourpré,

Plus blanche que le lis, unique entre les roses,

En mot le Tout-Puissant a fait de grandes choses.

Dites, après ces mots, qu'un martyre amoureux

 

90

 

De ses ans prolongés rendit le cours heureux ;
Chantez tous à l'envi qu'amante autant qu'aimée,
Bienheureuse en secret, d'un beau feu consumée,
Elle s'élance au ciel, et que son dernier jour
Paisiblement finit par un soupir d'amour;
L'amour seul fit le coup, et ses belles années
De nul autre tyran ne furent terminées :
Et ce corps virginal de Dieu seul approché,
D'une profane main ne fut jamais touché.

Dites que celle chair d'où sortit notre vie
Par une chère main au tombeau fut ravie,
Et qu'un Dieu bienfaisant n'envia point aux cieux
De ce temple choisi l'ornement précieux :
Chantez, que dans le ciel sa prière fervente
Est le ferme soutien de l’âme pénitente :
Qui ne sait qu'appelée au nuptial festin,
Sa féconde oraison y fit naître le vin?
Et quoiqu'elle parût de son Fils rebutée,
Elle sut dans son cœur qu'elle était écoutée :
Combien plus dans La paix de l'amour consommé,
Sur un trône immortel, auprès du bien-aimé,
La lune sous ses pieds, d'étoiles couronnée,
Et plus que le soleil d'éclat environnée !
Dirons-nous, en voyant ses libéralités,
Tant de saints par ses vœux à l'amour excités,
Tant de dons répandus, tant de vertus écloses :
Le Tout-Puissant en elle a fait de grandes choses?

TRADUCTION POÉTIQUE DE QUELQUES PSAUMES.

 

I. Domine Dominus noster, etc., Psaume VIII.

 

Grandeur de Dieu : l'enfance le loue : beauté de la nuit : dignité de l'homme.

 

Toi, qui seul en ta main tiens l'empire du monde,

Seigneur du peuple élu,
Que ton nom est fameux sur la terre et sur l'onde
Et que tout est soumis à ton sceptre absolu !

 

Ton immense grandeur sur les cieux exhaussée,

A ses pieds les étend;
Tout tremble devant toi; la nature abaissée
Reconnaît la hauteur de ton trône éclatant.

 

A chanter tes bienfaits l'enfance est éloquente ;
C'est toi qui la nourris;

 

91

 

Et, pour être loué de sa bouche innocente,
D'un âge impatient tu fais cesser les cris.

 

Par tes soins les enfants de la rare infidèle

Suçant le même lait,
Que donne à tes enfants une chaste mamelle,
D'un injuste vengeur condamnent le projet.

 

Je verrai de tes cieux la structure immortelle

D'un si rare dessein,
La lune avec les feux allumés autour d'elle,
Eternel monument de ta puissante main.

 

Qu'est-ce que l'homme, ô Dieu, que ta bonté suprême

Veuille s'en souvenir?
Qu'est-ce que l'homme? un souffle et la vanité même.
Un Dieu de son amour daigne le prévenir !

 

Placé par ta sagesse un peu plus bas que l'ange,

Et par les mêmes lois
Si puissant, que sous lui tout le reste se range ;
Du grand roi sur la terre il exerce les droits.

 

Couronné de ta main, partout on le redoute;

Dans les prés, dans les bois,
La brebis fuit ses pas; le bœuf pesant l'écoute,
Les plus fiers animaux sont souples à sa voix.

 

Tu mets tout à ses pieds, l'oiseau qui fend la nue,

Tant de monstres divers,
Qui tiennent dans l'abîmé une route inconnue,
Les habitants du ciel, de la terre et des mers.

 

Eternel, notre Dieu, seul arbitre du monde,

Seigneur du peuple élu,
Que ton nom est fameux sur la terre et sur l'onde,
Et que tout est soumis à ton sceptre absolu!

 

II. Cœli enarrant gloriam Dei, Psaume XVIII.

 

Belle nuit : lever du soleil : sa course rapide : succession des jours et des nuits.

 

Ainsi chantait David, au milieu du silence,

Les beautés de la nuit,
Et d'un ciel étoile, dont la douce influence
Dans ce paisible temps se répandait sans bruit ;

 

Bénissez le Seigneur, vous lune, et vous étoiles,
Qui, sans nous éblouir,

 

92 

 

 

D'une profonde nuit percez les sombres voiles,
Et dans l'obscurité venez nous réjouir.

 

Qu'entends-je? il va franchir sa lointaine barrière,

Au flambeau radieux,
Qui, du matin au soir, fournissant la carrière,
Sur le vaste horizon ne jette que des feux.

 

Nul ne peut éviter sa vertu pénétrante,

Sous les toits à couvert,
Ni couché sur le bord d'une eau rafraîchissante,
Ni dans un creux vallon sous un feuillage vert.

 

Tel qu'un nouvel époux, dans sa riche parure,

Il parait au matin;
Sa féconde chaleur anime la nature;
Des changeantes saisons seul il fait le destin.

 

Toi, qui vois de ses pas l'étonnante vitesse,

Sage contemplateur,
De ses tours et retours admire la justesse,
Et d'un immense corps l'immobile moteur.

 

Par un ordre éternel, le jour mène à l'ouvrage,

Les faibles animaux;
Pour adoucir la peine où le joug les engage,
La nuit par le sommeil vient finir les travaux.

 

Dieu l'ordonne; et tous deux, attentifs à sa gloire,

Dans la succession
De sa première loi conservent la mémoire;
D'âge en âge, à jamais, va la tradition.

 

Le jour apprend au jour la règle de sa course,

Et la nuit à la nuit,
Aux globes enflammés roulant autour de l'Ourse,
Enseigne le concert d'un mouvement suivi.

 

C'est du grand univers la voix simple et première

Qui jusques au couchant,
Depuis où le soleil découvre sa lumière,
Porte sans varier ce langage touchant.

 

Sans docteur on l'apprend sous la ligne brûlante,

Sous les pôles glacés,
Et par tous les climats où la terre opulente
Enrichit de ses dons les mortels dispersés.

 

Des Juifs et des gentils cette langue entendue,
Du barbare et des sourds,

 

93

 

Par un secret instinct dans les cœurs descendue,
Leur fait du Ciel propice implorer le secours.

 

Marchons, humbles mortels, sous la douce contrainte

De son commandement;
Et, faits à son image, avançons dans la crainte,
Qui de notre sagesse est le commencement.

 

Seigneur, qui dans ta main tiens l'empire du monde

Et de ton peuple élu,
Que ton nom est fameux sur la terre et sur l'onde
Et que tout est soumis à ton sceptre absolu !

 

III. Exaudiat te Dominus in die tribulationis, etc., Psaume XIX

 

Que le Seigneur t'exauce au jour de la tempête,
Que l'ombre de son nom mette à couvert ta tête,
Qu'il arme en ta faveur les puissances des cieux :
Que du haut de Sion sa force te soutienne,
Que de ta piété toujours il se souvienne,
Et soit ton holocauste agréable à ses yeux.

 

Qu'au désir de ton cœur sa bouche soit propice,
Que tes justes conseils toujours il affermisse,
Notre bonheur naîtra de ta prospérité :
Du nom de l'Eternel brillera notre gloire :
Déjà l'Oint du Seigneur remporte la victoire,
Et nous voyons que Dieu veille à sa sûreté.

 

Il répondra d'en haut à toutes tes demandes;
Au milieu des combats mille invisibles bandes
Viendront, d'un vol pressé, grossir ses escadrons:
L'ennemi dans le nombre a mis son espérance,
Ses chars et ses chevaux ont fait sou assurance :
La nôtre est en Dieu seul que nous invoquerons.

 

Ils n'ont pu dans leurs tours se sauver de sa foudre,
Ils sont tombés par terre, ils ont mordu la poudre.
Quand nous nous relevons sous votre unique appui;
Dieu qui nous a donné ce prince incomparable,
Conservez ses beaux jours, soyez-nous favorable,
Quand nos vœux enflammés se présenteront pour lui.

 

94

 

IV. Eructavit cor meum verbum bonum. etc., Psaume XLIV, qui a pour titre : Cantique pour le bien-aimé.

 

Je sens, d'un cœur transporté,

Sortir, pleins de majesté,

Les vers qu'au Roi je présente :

D'un feu céleste animé,

Mon esprit veut que je chante

Le règne du bien-aimé.

 

Sous une maîtresse main
D'un diligent écrivain,
La langue, plume empressée,
Produit de saintes chansons;
Et ma voix se sent poussée
Jusqu'aux plus sublimes sons.

 

De mes chants digne sujet,
Des yeux le plus cher objet,
De la beauté la plus vive;
Sur vos lèvres vous portez
La grâce simple et naïve
Des célestes vérités.

 

Béni de Dieu pour toujours,
Commencez à donner cours
A vos triomphantes fêtes;
Mettez à votre côté.
Dans les jours de vos conquêtes,
Votre glaive redouté.

 

Plutôt montrez vos attraits,
Les plus perçants de vos traits ;
Les peuples y sont sensibles ;
Vos blessures vont au cœur,
Et vos appâts invincibles
Vous en rendent le vainqueur.

 

Marchez, paraissez, charmez
Les bataillons désarmés

Qui, dans une paix profonde,
Aiment à sentir vos coups;
Et bientôt, par tout le monde,
Tomberont à vos genoux.

 

La vérité, la douceur

Et la justice leur sœur,

Par vous reprennent leur gloire ;

Et votre merveilleux bras,
Toujours sûr de la victoire,
Vous mène dans les combats.

 

O Dieu (car tous les mortels
Vous dresseront des autels),
Toute la terre habitable
Vous sert avec tremblement,
Et votre trône équitable
Subsiste éternellement.

 

Sous voire sceptre la loi,
La pudeur, la bonne foi,
Seules tiendront la balance :
Les crimes seront punis;
L'outrage et la violence
A jamais seront bannis.

 

Modèle de l'équité,
Dieu de qui la sainteté
Condamne toute injustice,
Il faut pour cette action
Que votre Dieu vous remplisse
D'une céleste onction.

 

Par ce sacre révéré,
A tous les saints préféré,
Seul, dans le rang où vous êtes,
Vous surmontez à la fois
Le saint ordre des prophètes,
Des pontifes et des rois.

 

De cèdre et d'ivoire orné,
Votre palais fortuné,
Par une immense largesse,
Etale de tous côtés
Votre admirable richesse
Aux filles des rois domptés.

 

Sur vos habits ravissants,
De la myrrhe et de l'encens, 
La vapeur est répandue :
De ces beaux lieux parfumés
Votre odeur s'est étendue
Sur celle que vous aimez.

 

95

 

Dans un superbe appareil,
Plus claire que le soleil,
A votre droite est placée
La Reine, que votre amour
Flatte plus dans sa pensée
Que tout son royal atour.

 

Vous, ma fille, écoutez-moi,
Vous aurez le cœur du roi,
Si vous perdez la mémoire
De vos antiques cités,
Aussi bien que de la gloire
Du père que vous quittez.

 

Celui qu'à votre côté

Attire votre beauté

De tous les rois est le maître;

C'est le Seigneur des seigneurs,

A qui, pour le reconnaitre,

On rend les divins honneurs.

 

Tyr, que la mer entretient,
Et les villes qu'elle tient
Sous son empire captives,
Bientôt pour vous apaiser
De leurs abondantes rives
Vont les trésors épuiser.

 

Quoiqu'un bord étincelant
Dans un habit opulent
Sur la reine toujours brille,
Et que l'ouvrage achevé
D'une industrieuse aiguille
De fin or soit relevé :

 

Plus riche encore au dedans,
Avec des désirs ardents.
La princesse est recherchée;
Plus elle évite le jour
Et tient sa gloire cachée,
Plus elle pare la cour.

 

Cent filles du plus haut rang,
Des premières de son sang,
Après elle présentées,
Dans le saint ravissement
Dont elles sont transportées,
Suivent le Roi son amant.

 

Offertes de cette main,
Leur aimable souverain
Les établit dans son temple,
Où, saintement amoureux,
Ces cœurs purs donnent l'exemple
Des feux les plus généreux.

 

A vos courageux enfants,
Nés de pères triomphants,
Vous partagerez la terre;
Invincibles conquérants,
Ils briseront comme verre
Le sceptre de ses tyrans.

 

Leur sainte postérité,
De votre nom répété,
Sera toujours animée;
Et dans tous les cœurs unis,
Ira votre renommée
Par des siècles infinis.

 

V. Deus noster refugium et virtus, etc.; Psaume XLV.

 

 

Le Seigneur est notre recours,
Notre force, dont le secours
Nous a relevé le courage,
Quand de tous les maux assemblés
Sur nos têtes grondait l'orage,
Dont le coup nous eût accablés.

 

Aussi, soutenu de son bras.
Notre cœur ne tremblerait pas,
Quand, à secousses redoublées,

 

On verrait frémir l'univers,
Et que les terres écroulées
Tomberaient dans le fond des mers.

 

De tous côtés autour de nous
S'élevaient les eaux en courroux :
Les montagnes déracinées
Sentaient la colère des cieux,
Et de leurs masses étonnées,
Tremblait le faîte audacieux.

 

96

 

Mais les fleuves de ta cité,
Seigneur, dans leur tranquillité,
N'ont jamais inspiré la crainte ;
Et doucement impétueux,
Ils font dans sa paisible enceinte
Rouler leurs flots majestueux.

 

L'Eternel habite au milieu;
Tout est calme en ce sacré lieu
Sanctifié par sa présence :
Son tabernacle est notre appui :
En son nom est notre défense :
Que pouvons-nous craindre avec lui?

 

Il nous aide dès le matin,
Et lorsqu'un contraire destin
Commence à troubler notre vie,
Aussitôt, des monts éternels,
Sur la race qu'il a choisie,
Luisent ses regards paternels.

 

Les peuples étaient abîmés;
Sur les royaumes alarmés
D'en haut éclatait le tonnerre,
Qui, par son effroyable bruit,
Faisait craindre à toute la terre
L'horreur d'une éternelle nuit.

 

La famine aux hideux regards
Apparaissait de toutes parts,
Avec la pâle maladie ;
Et la guerre aux sanglantes mains,
Par le carnage et l'incendie,
Désolait les tristes humains.

 

Avec nous durant nos malheurs,
Nous avions, pour sécher nos pleurs,
Le puissant Seigneur des armées :

Le Dieu de Jacob adoré,
Seul à ses tribus bien-aimées
Est un protecteur assuré.

 

Venez tous, voyez à la fois
Les prodiges du Roi des rois :
Par lui notre peine est finie ;
Tous nos peuples sont consolés,
Et verront la guerre bannie
Aux climats les plus reculés.

 

Il rompra les arcs et le fer,
Contre nous forgés dans l'enfer;
Les armes nous sont défendues :
Les combats sont changés en jeu ;
En faux les lances sont fondues,
Les boucliers jetés au feu.

 

C'était peu que le Dieu des dieux,
Vers un roi guerrier et pieux
Cent fois fit voler la victoire.
Si pour comble de ses bienfaits,
Joignant le repos à la gloire,
Il n'avait envoyé la paix.

 

Venez, et dans un saint loisir

Goûtons le céleste plaisir

D'avoir Dieu présent dans notre âme,

Dieu qui, sur la terre exalté,

A tout peuple qui le réclame,

Sait faire sentir sa bonté.

 

Avec nous, parmi nos malheurs,
Nous aurons, pour sécher nos pleurs
Le puissant Seigneur des armées :
Le Dieu de Jacob révéré,
Seul à ses tribus bien-aimées
Est un protecteur assuré.

 

VI. Tibi silentium laus; Psaume lXV; selon l'hébreu : Le silence est votre louange.

 

Dieu puissant, je me tais en ta sainte présence ;
Je n'ose respirer, et mou âme en silence
Admire la hauteur de ton nom glorieux :
Que dirais-je? abîmés dans cette mer profonde,
Pendant qu'à l'infini la clarté nous monde,
Pouvons-nous seulement ouvrir nos faibles veux?

 

97

 

Si je veux commencer tes divines louanges,
Et que déjà mêlé parmi les chœurs des anges,
Ma voix dans un cantique ose se déployer,
Dès que, pour l'entonner ma langue se dénoue.
Je sens sortir un chant que mon cœur désavoue
Et ma tremblante voix ne fait que bégayer.

 

Changement merveilleux : accablé de ta gloire
De tout langage humain j'ai perdu la mémoire ;
Interdit, éperdu, je n'articule plus :
A, a, a, mon discours n'a ni force ni suite;
A des cris enfantins ma parole est réduite,
Et pour tout entretien n'a que des sons confus.

 

Plus je pousse vers toi ma sublime pensée,
Plus de la majesté je la sens surpassée,
Se confondre elle-même et tomber sans retour :
Je t'approche en tremblant, lumière inaccessible,
Sans atteindre jamais l'Etre incompréhensible,
Et mon œil éperdu ne trouve point de jour.

 

Cessez : qu'espérez-vous de vos incertitudes,
Vains pensers, vains efforts, inutiles études?
C'est assez qu'il ait dit : Je suis celui qui suis :
Il est tout : il n'est rien de tout ce que je pense ;
Adorateur soumis par la foi je commence,
Et sans plus raisonner en amant je poursuis.

 

Eternel trois fois saint, seul connu de toi-même,
Puissant moteur des cœurs, mon Dieu, fais que je t'aime.
Mais, quand à tes attraits je me serai rendu,
Tu ne seras jamais autant aimé qu'aimable;
Et seul, dans nos esprits, ton Esprit adorable
D'un ineffable amour a le don répandu.

 

Descends, divin Esprit, pure et céleste flamme,

Invisible onction qu'en secret je réclame :

Et toi qui le produis dans l'éternel séjour,

Accorde sa présence à mon âme impuissante;

Fais-en (car tu le peux) une fidèle amante,

Et qu'elle aime sans borne un Dieu qui n'est qu'amour.

 

98

 

VII. Fundamenta ejus in montibus sanctis, Psaume LXXXVI.

 

Gloire de Sion : Dieu voit quelques hommes pieux marqués et en petit nombre dans les autres pays : en Egypte, parmi les Philistins même, dans Tyr, en Ethiopie : Sion est la seule mère qui les enfante sans nombre.

 

De la sainte Cité de Dieu

Je découvre, dans ce haut lieu,
Le ferme fondement et l'immuable gloire :
Dans Sion du Seigneur est le titre éternel ;
Sion de sa grandeur conserve la mémoire,
Et le cher monument de son nom paternel.

 

Aux saintes portes de Sion

Dieu donne sa protection ;
Des camps, des pavillons les tours sont les maîtresses
Pour elle de respect tout Jacob est touché,
Et, malgré la hauteur des autres forteresses;
A leurs gonds immortels l'empire est attaché.

 

Mais, Sion, que ne dit-on pas

De tes fêtes, de tes combats,
De tes oracles saints, des coups de l'épouvante
Que par cent traits perçants porte de toutes parts
Sur ces fiers ennemis ton arche triomphante,
Qui voit dans leurs fossés enterrer leurs remparts?

 

Partout où je tourne les yeux,

J'aperçois quelque homme pieux
En qui de mon pouvoir la connaissance éclate,
Parmi les Philistins, chez l'Ethiopien ;
Dans la superbe Tyr, sur le Nil, sur l'Euphrate
Et dans tous les climats chacun vante le sien.

 

Mère féconde des savans,

Seule dans tous lieux, dans tous temps,
Sion, que Dieu contient, par milliers les enfante :
Tous elle les rassemble en son bienheureux sein,
Où l'on voit, transporté d'une joie innocente,
De ces hommes sacrés le florissant essaim.

 

VIII. Dixit Dominus Domino meo : Sede à dextris meis ; Psaume CIX.

 

Le Seigneur Tout-Puissant a dit à mon Seigneur,
Elevé dans le ciel au souverain honneur :
Prends la place à ma droite :

 

99

 

Pendant que par ma main tes ennemis domptés,
A tes pieds abattus, tremblants de leur défaite,
Attendront leur salut de tes seules bontés.

 

Règne donc au milieu de ces tiers ennemis ;
Par un bras immortel tu les verras soumis

A ton sceptre invisible :
De Sion s'étendant sur cent climats divers,
Sur cent peuples vaincus, ton empire paisible
Rangera sous les lois les terres et les mers.

 

Dans ton camp redouté tous les cœurs sont à toi:
D'une pareille ardeur tout marche, et de son Roi

Veut hâter la victoire :
L'aurore n'était pas quand sorti de mon sein,
Unique tu naquis dans l'éternelle gloire,
Et du monde avec moi tu conçus le dessein.

 

Ecoutons du Seigneur l'éternel Testament,
Et de sa vérité l'immuable serment;

Il jure par soi-même :
Du grand Melchisédech je te donne à jamais
Le sacré caractère et le degré suprême ;
Comme lui fais régner la justice et la paix.

 

Ton Dieu toujours vainqueur combat à tes côtés;
Par ses coups foudroyants les rois épouvantés,

Eprouvent sa colère :
Il frappe : tout fléchit, tout nage dans le sang :
Tu bois dans le torrent d'une douleur amère,
Et ton humilité l'élève au premier rang.

 

Heureux qui dans sa soif, rapide conquérant,
D'un torrent écumeux boit les eaux en courant,

Sa troupe toujours prête
Tombera sur le dos des bataillons épars :
Sur les peuples conquis il élève sa tête,
Et son nom glorieux vole de toutes parts.

 

IX. Super flumina, etc. Psaume CXXXVI.

 

Sur les rives de Babylone,
Une éternelle affliction,
Au doux souvenir de Sion,
Où du Seigneur était le trône,
Sous le joug d'un peuple odieux,
En pleurs continuels faisait fondre nos yeux.

 

100

 

Aux saules voisins suspendues,
Sans se souvenir de leurs chants,
Dans le silence au gré des vents
Allaient nos harpes détendues,
Et ceux qui nous tenaient captifs :
Quittez-nous, disaient-ils, quittez ces tons plaintifs.

 

Dites plutôt quelque cantique,
De ceux que Sion écoutait.
Quand jusqu'au ciel elle portait
Sa mélodieuse musique. Quoi ! que dans ces barbares lieux
On entende jamais nos airs religieux?

 

Qu'on réjouisse la Chaldée
Des saints cantiques du Seigneur,
Et que l'on y chaule à l'honneur
Du Dieu qu'adore la Judée ?
Plutôt périssent à la fois,
Avec nos chalumeaux, nos languissantes voix !

 

Jérusalem, si je t'oublie ;
Si pour toi l'on me voit changer,
Et qu'en un pays étranger
Tes hymnes sacrés je publie ;
Si jamais la sainte Cité
Cesse d'être l'objet de ma félicité :

 

Puisse mon bras, puisse ma gloire
Tomber dans un pareil oubli ;
Et de mon nom enseveli
A jamais périr la mémoire :
Puisse en ma bouche se sécher,
Et morte à mon palais ma langue s'attacher !

 

Seigneur, venge-nous d'Idumée
Au jour que tu nous as promis,
Puisqu'elle a de nos ennemis
Aigri la haine envenimée; lit dit dans son aveuglement :
Détruisez de Sion jusques au fondement.

 

A ce jour où mon cœur aspire,

Sous un conquérant glorieux
Des médians avec tous leurs dieux
Tombera le superbe empire;
Et de Babylone au cercueil
Le châtiment affreux égalera l'orgueil.

 

C'est alors, cruelle Assyrie,

Qui maintenant ris de nos maux.

 

101

 

 

Que tes yeux après cent assauts
A la fin verront la furie
De tes ennemis triomphants
Contre les durs rochers écraser tes enfants.

 

X. Credidi, propter quod locutus sum, etc.; Psaume CXV.

 

J'ai cru, Seigneur, à ta loi ;

J'ai parlé selon ma foi ;

Sous ton bras je m'humilie.

Dans le transport de mon cœur,

Par une sainte saillie.

J'ai dit : Tout homme est menteur.

 

De tes bienfaits prévenu,
De ton secours soutenu,
Quelle sera ma louange ?
A ta suprême bonté,
Que donnerai-je en échange
De sa libéralité?

 

De ton calice altéré,
Avec un cœur épuré
J'en offrirai le mystère ;
Pour invoquer ton saint nom,
De la liqueur salutaire
Je ferai l'effusion.

 

Devant le peuple pieux,

A Dieu je rendrai mes vœux :

D'une voix respectueuse,

Je chanterai de ses saints
La mort toujours précieuse
Et leurs âmes dans ses mains.

 

Tu sais, divin Créateur,
Que fidèle serviteur,
Humble fils de ta servante,
Pour comble de tant de biens,
D'un coup de ta main puissante,
Je vis rompre mes liens.

 

Visite ton saint autel,
Et de ton lot immortel
Reçois l'oblation pure ;
J'invoquerai ton grand nom,
Et dans la race future
J'en étendrai le renom.

 

Avec le peuple pieux
A Dieu je rendrai mes vœux
Dans la magnifique enceinte
De son auguste maison.
Et devant la Cité sainte
Je ferai mon oraison.

 

ODE SUR LA LIBERTÉ CRÉÉE, PERDUE, RÉPARÉE, COURONNÉE.

 

Je te cherche, à ma liberté,

Rayon de la Divinité,

Vive image de sa puissance ;

C'est par toi que le Roi des rois

Eprouve mon obéissance,

Et la veut devoir à mon choix.

Je te sens au fond de mou cœur
Mais, hélas! le péché vainqueur
T'y laisse pour un triste usage,
Puisque sous le vice abattu,
Je n'ai que le crime en partage,
Sans pouvoir aimer la vertu.

 

Touché de ses divins appas,
Vers elle je fais quelques pas,
D'un esprit soumis et docile;
Je la loue et juste à demi,
Après un éloge stérile,
Je me livre a son ennemi.

 

102

 

Que me sert d'avoir en naissant
Reçu d'un maître tout-puissant
Une lumière que j'adore,
Si contraire à mes propres vœux,
J'embrasse le mal que j'abhorre
Et laisse le bien que je veux?

 

De mille désirs agité,
Souvent, ô sainte vérité,
En moi-même je te consulte :
Le trouble des sens m'interdit ;
Et la raison dans ce tumulte,
Sait à peine ce qu'elle dit.

 

La loi qui m'éclaire au dehors,
Cause d'inutiles remords
A ma conscience coupable :
Par elle je me vois juger,
Et la sentence inévitable
Me trouble sans me corriger.

 

Comme un malade qui s'aigrit
Contre le régime prescrit,
Malgré sa triste expérience,
D'un instinct fatal aveuglé,
Suit la brutale impatience
De son appétit déréglé :

 

Ainsi mon désir imprudent,
Arrêté devient plus ardent;
La loi qui le retient l'irrite :
Dieu! quel remède à mes excès,
Si de la fureur qui m'agite
Ta loi redouble les accès ?

 

Dans une telle infirmité,

D'où vient la folle vanité

Qui me rend si plein de moi-même?

O de mes maux le plus affreux !

Je suis dans ma misère extrême,

Superbe autant que malheureux.

 

L'ange de son Auteur jaloux,
Tombe du ciel plein de courroux;
Vaincu, vient soulever la terre ;
Et sur mille autels encensé,
Sous la main de Dieu qui l'atterre,
Soutient son projet insensé.

 

Par lui les mortels font les dieux;
Ils peuvent porter jusqu'aux cieux
La gloire d'un nom redoutable :
Aveugles d'avoir acheté,
Par un travail si véritable,
Une vaine immortalité !

 

Mais je ne crains plus les enfers :
Mon Sauveur a brisé mes fers,
A sa loi mon âme est soumise :
De sa grâce l'attrait caché
Me rend ma première franchise,
Et me fait haïr mon péché.

 

Un jour libre de tous mes maux,
Affranchi de tous mes travaux,
Vainqueur de la mort ennemie :
D'un plaisir céleste enivré,
Je n'aurai ni repos, ni vie
Qu'en celui qui m'a délivré.

 

HYMNE POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.

Qui ascendit super caelum caeli, ad Orientem (Psal. LXVII, 34.)

 

Lève-toi, père du jour,
Et dans ton plus bel atour,
Viens commencer ta carrière :
Aujourd'hui vers les hauts lieux,
D'où s'élève ta lumière,
Montera le Roi des cieux.

Jamais dans un tel chemin,
Tu ne vis un corps humain
Percer la voûte azurée,

Et des astres respecté
Porter jusqu'à l'Empyrée
Une nouvelle clarté.

 

Au majestueux abord
D'un Roi vainqueur de la mort,
Princes des troupes fidèles,
Ouvrez les sacrés poteaux ;
Et vous, portes éternelles,
Elevez vos chapiteaux.

 

103

 

Par son courage indompté
Le ciel veut être emporté :
Il faut qu'il ait l'avantage
Sur ses cruels ennemis,
Et son royal héritage
De sa conquête est le prix.

 

Qui peut dans un jour si beau
De ce triomphe nouveau
Chanter la pompe sacrée,
Et tout le noble appareil
De la magnifique entrée
D'un conquérant sans pareil?

 

Sorti de captivité,
L'ancien peuple racheté
L'accompagne dans sa gloire :
Tous les mortels affranchis,
A l'honneur de sa victoire,
De ses dons sont enrichis.

 

Purifiés par son sang,
Ils occuperont le rang
Et les places immortelles
Que dans la sainte Sion,
Quitta des anges rebelles
L'infâme désertion.

 

Déjà des nouveaux vainqueurs,
Mêlés parmi les neuf chœurs,
Au ciel les troupes zélées
Avec éclat se font voir,
Et les légions ailées
S'ouvrent pour les recevoir.

 

Dès ce moment fortuné,
Le genre humain étonné,
D'un si sublime mystère,
Malgré son ancienne erreur,
Suit jusqu'au sanctuaire
Jésus, son avant-coureur.

 

Dieu de gloire, élevez-vous,
Et dissipez les jaloux
De votre éternel empire :
Régnez sur tout l'univers
Et commencez à détruire
La puissance des enfers.

 

Des lieux les plus reculés.
Tous les peuples ébranlés
Accourent pour reconnaître,
Par une commune voix,
De leur légitime maître
Le nom et les saintes lois.

 

Les dieux trompeurs des gentils,
Comment échapperont-ils
A la main qui les atterre,
Quand, vainement irrités,
Partout ils verront à terre
Leurs temples précipités?

 

Mêle tes gémissements
A de saints ravissements,
Eglise, sa chère amante ;
Le séjour du bien-aimé,
Qui fait toute ton attente,
Ne te sera plus fermé.

 

PRIÈRE D'UN PÉCHEUR PÉNITENT.

 

Seigneur, j'ai péché contre vous,
Contre vous, l'Auteur de mon être :
Céleste amant de mon âme jaloux,
Qui voulez seul y régner comme maître ;
Sort glorieux, sous un maître si doux,
Si seulement j'avais pu le connaître !

 

Ce Dieu, qui de rien m'a formé,
Avait de sa beauté suprême

Le vif éclat sur ma face imprimé;

Je paraissais comme un autre lui-même;

Heureux mortel, de lui j'étais aimé,

Et je pouvais lui dire : Je vous aime !

 

Maintenant, esclave odieux
Bani de sa sainte présence,
Je n'ose plus lever mes tristes yeux.
J'ai tout perdu, grâce, gloire, innocence
Espoir, amour, et trop audacieux,
J'ai profané jusqu'à la pénitence.

 

D'un rayon céleste éclairé,

Je savais le sacré mystère
Toujours promis, en son temps déclaré;
Et toutefois, aveugle volontaire,
En plein midi je me suis égaré :
Dieu me parlait; ingrat, je l'ai fait taire.

 

104

 

Mon âme, que rien ne retenait
A qui ne s'est-elle livrée?
A tout venant elle s'abandonnait ;
Deçà, delà, furieuse, enivrée,
Errant toujours, jamais ne revenait :
Elle eût haï qui l’aurait délivrée.

 

Cependant du haut de sa croix,
Par ses cris Jésus la rappelle :
Reviens, dit-il, ingrate, je te vois

Dans les transports de ta flamme infidèle
Reviens pourtant; approche de ce bois,
Où par ma mort l'homme se renouvelle.

 

Allons; il faut mourir d'amour,
A l'amour Jésus nous convie :
Rendons-lui tout par un heureux retour :
Il veut les cœurs ; contentons son envie :
Sur le Calvaire allons perdre le jour;
Regrets amers, n'épargnez point ma vie.

 

CECI EST MON CORPS, CECI EST MON SANG.

 

Où suis-je? par l'effet d'un sublime mystère,

Sur un nouveau Calvaire
Je vois mourir Jésus, et de son corps sacré

Son sang est séparé !

 

Impassible, immortel, sa puissante parole

Encore un coup l'immole ;
Il souffre tous les jours par un divin transport

Une mystique mort.

 

Mourons, puisque Jésus à mourir nous convie ;

La parole de vie,
Dont j'entends à l'autel les célestes accents

Egorge tous mes sens.

 

Que me sert désormais de consulter ma vue

De clarté dépourvue.
Puisqu'il faut démentir tout ce que j'aperçois,

Ce que tiennent mes doigts?

 

Jésus dans ce banquet n'est point ce que je touche,

Ce que goûte ma bouche !
Et je ne reçois plus de ma trompeuse main

Le rapport incertain.

 

Cédez, cédez, mes sens : fuyez, troupe infidèle,

A l'esprit si rebelle;
Ce n'est plus aujourd'hui ces témoins que je crois,

Je ne vis que de foi.

 

Tu me dis, je l'entends, orgueilleux hérétique,

Dans ton langage inique,
Que les sens sont choisis pour voir en sûreté

Jésus ressuscité.

 

J'en appelle l'accord, quand un Dieu les appelle
De sa voix paternelle,

 

105

 

Pour abattre à ses pieds d'un esprit révolté
L'indocile fierté.

 

Après que par les sens, d'une incrédule race

Il a forcé l'audace,
Le croire sans le voir est l'unique parti

Du peuple converti.

 

Non ; cet objet n'est plus ce que mon œil annonce,

Mais ce qu'un Dieu prononce,
Qui fit tout de néant, pour montrer ce qu'il peut,

De tout fait ce qu'il veut.

 

De ses ondes en sang, par un prodige étrange

Le Nil a vu l'échange ;
Dieu commande, et soudain à ce qu'il était né,

Le fleuve est retourné.

 

A la verge d'Aaron sur la terre jetée

La nature est ôtée;
En bois sec s'amollit, et s'étonne en rampant

De se trouver serpent.

 

Dans le fameux festin, au désir de Marie;

Qui sans prier le prie,
Des insipides eaux Jésus fit la liqueur

Qui réjouit le cœur.

 

Combien plus au banquet qui l’âme rassasie

Et lui donne la vie,
Dans la coupe sacrée a-t-il, au lieu du vin,

Versé son sang divin?

 

Comme il veut, à nos yeux il se montre ou se couvre,

Il les ferme, il les ouvre;
Il passe; et promptement au milieu disparu,

Il cesse d'être vu.

 

Il visite inconnu la triste Madeleine,

Sans soulager sa peine ;
Puis touché de ses pleurs, il apparaît soudain

Dans le sacré jardin.

 

Caché durant l'ardeur d'un discours délectable,

Tout à coup à la table,
Ceux qu'il avait trompés voyageur gracieux,
Le virent glorieux.

 

Il perce des murs clos, sans y donner atteinte,
L'impénétrable enceinte ;

 

106

 

Puis lui-même à son corps, vif aux siens présenté,
Rend la solidité.

 

Et toi, Mère toujours vierge autant que féconde,

Quand ton Fils vint au monde,
Blessa-t-il la pudeur, caractère éternel

De ton sein maternel?

 

Il sort comme le fruit d'une fertile plante

Que la racine enfante,
Ou de sa tige éclose en sa riche couleur

Une odorante fleur.

 

Il sort, comme au miroir on voit d'un beau visage

Naître la vive image,
Ou de l'astre du jour sur l'horizon monté,

S'épandre la clarté.

 

Amour, d'un humble cœur je crois tous les miracles,

Que les sacrés oracles
D'un Dieu saint et caché nous ont fait concevoir

De ton divin pouvoir.

 

Seul, tu peux assembler le ciel avec la terre,

Et malgré son tonnerre
Sous le timide aspect de nos débiles yeux,

Venger le Dieu des dieux.

 

D'un Pontife innocent tu lis une victime ;

Et chargé de mon crime
Le Christ, le Saint des saints, sur nu infâme bois,

Rend les derniers abois.

 

Et la terre et des eaux la liquide nature,

La croix, la sépulture,
Les enfers, et des cieux le lumineux contour

Le verront tour à tour.

 

Tout-puissant artisan de toutes ces merveilles,

Amour, qui le conseilles,
Où vas-tu le réduire, et que n'en fais-tu pas

Dans ce dernier repas?

 

De son chaste baiser mes lèvres enflammées,

D'un beau feu consumées,
Portent rapidement dans mon cœur entamé

Le trait du bien-aimé.

 

Accourez, mes désirs; venez tous; viens, mon ame;
Pour assouvir ta flamme,

 

107

 

Amante, viens l'unir corps à corps, cœur à cœur,
A Jésus ton vainqueur.

 

Si ce cœur enflammé, de toute sa puissance

Tend à la jouissance,
Ne sent-il pas aussi le même empressement
Dans son céleste amant?

 

Qu'il apaise, il est temps, son amoureuse envie,

Son feu me purifie :
Donnez, possédez tout, chaste amant, chaste Epoux :

Enfin contentez-vous.

 

Dans l'esprit, dans le corps, jouissons l'un de l'autre,

Vous du mien, moi du vôtre;
Célébrons le mystère où, par un nœud commun,

De deux on ne fait qu'un.

 

Pendant que nuit et jour après vous je soupire,

Je me pâme, j'expire;
Vos caresses, vos jeux, vos transports innocents

Me ravissent les sens.

 

Non, je ne vous veux plus sous ces faibles images ;

Percez tous les nuages;
Mon Soleil, dévoilez de votre vérité

La claire pureté.

 

SUR LE STYLE ET LA LECTURE DES ECRIVAINS ET DES PÈRES DE L'ÉGLISE POUR FORMER UN ORATEUR (a).

 

Pour la prédication, il y a deux choses à faire principalement : former le style, apprendre les choses.

Dans le style il y a à considérer premièrement, de bien parler ;

 

(a) Bossuet composa ce petit écrit pour le cardinal de Bouillon, vers 1670. CommeTurenne refusait toute distinction personnelle après son abjuration, voulant honorer dans sa famille ce grand homme non moins intrépide devant le respect humain que devant les ennemis de la France, Louis XIV demanda la dignité de cardinal pour son neveu, Théodore de la Tour d’Auvergne, duc

 

108

 

ce qui ne manque presque jamais à ceux qui sont nés, et qui ont été nourris dans le grand monde. Mais aussi cet avantage est-il médiocre pour les discours publics ; car il faut trouver le style figuré, le style relevé, le style orné ; la variété qui est tout le secret pour plaire, les tours touchants et insinuants. Il y a pour cela divers préceptes ; mais nous cherchons des exemples et des modèles.

J'ai peu lu de livres français ; et ce que j'ai appris du style en ce second sens, je le tiens des livres latins, et un peu des Grecs ; de Platon, d'Isocrate, et de Démosthène dont j'ai lu aussi quelque chose, mais il est d’une étude trop forte pour ceux qui sont occupés d'autres pensées ; de Cicéron, surtout de ses livres de Oratore; et du livre intitulé Orator, où je trouve les modèles de grande éloquence plus utiles que les préceptes qu'il y ramasse ; de ses oraisons ( avec quelque choix ) : pro Murœna, pro Marcello, quelques Catilinaires, quelques Philippiques ; Tite-Live, Salluste, et Térence. Voilà mes auteurs pour la latinité ; et j'estime qu'en les lisant à quelques heures perdues, on prend des idées du style tourné et figuré. Car, quand on sait les mots, qui font comme le corps du discours, on prend dans les écrits de toutes les langues le tour, qui en est l'esprit ; surtout dans la latine, dont le génie n'est pas éloigné de celui de la nôtre, ou plutôt qui est tout le même.

 

 

d'Albret. Le jeune prêtre n'avait que 26 ans, quand il fut élevé parmi les princes de l'Eglise, et devint le cardinal de Bouillon. Pour justifier en quelque sorte une grâce qui était si grande, il voulut servir l'Eglise par la prédication; et demanda des préceptes à l'orateur qui, depuis tant d'années, remplissait la France du bruit de son éloquence apostolique.

Quand Bossuet répondit-il à ses vœux? Quand lui donna-t-il, tracés sur le papier, les conseils de son expérience? Il est certain, d'une part, que Bossuet composa son opuscule sur le style après la nomination du jeune cardinal, puisqu'il dit : « Pour un si grand prince de l'Eglise et qui doit être une de ses lumières, il ne faudrait rien dire que de médité; il est incontestable, d'un autre cédé, qu'il écrivit avant d'être précepteur du Dauphin, puisqu'il dit encore: « Si j'avais un homme à former dans son enfance, à mon gré je voudrais lui faire choisir plusieurs beaux endroits de l'Ecriture, » etc. Or l'abbé duc d'Albret fut nommé cardinal le 1er septembre 1669, et Bossuet précepteur du Dauphin le 5 septembre 1670 : c'est donc entre le 5 septembre 1670 et le 1er septembre 1669, qu'il faut placer l'époque de l'écrit sur la prédication.

Nous devons ce petit ouvrage à M. Floquet. L'érudit historien avait reçu le manuscrit de M. Villenave qui l'avait acheté avec d'autres papiers de la maison de Bouillon; il le publia dans ses savantes Etudes sur la vie de Bossuet, en 1855.

 

109

 

Les poètes aussi sont de grand secours. Je ne connais que Virgile, et un peu Homère. Horace est bon à sa mode, mais plus éloigné du style oratoire. Le reste ne fait que gâter et inspirer les pointes, les antithèses, les grands mois, le peu de sens et toutes les froides beautés.

Néanmoins, selon ce que je puis juger par le peu de lecture que j'ai fait des livres français, les Œuvres diverses de Balzac (a) peuvent donner quelque idée du style fin et tourné délicatement. Il y a peu de pensées ; mais il apprend par là même à donner plusieurs formes à une idée simple. Au reste, il le faut bientôt laisser ; car c'est le style du monde le plus vicieux, parce qu'il est le plus affecté et le plus contraint. Mais il parle très-proprement, et a enrichi la langue de belles locutions et de phrases très-nobles.

J'estime la Vie de Barthélémy des Martyrs (b) ; les Lettres au Provincial, dont quelques-unes ont beaucoup de force et de véhémence, et toutes une extrême délicatesse. Les Livres et les Préfaces de messieurs de Port-Royal sont bons à lire, parce qu'il y a de la gravité et de la grandeur. Mais comme leur style a peu de variété, il suffit d'en avoir vu quelques pièces.

Les versions (de Perrot ) d'Ablancourt sont bonnes ; il a fait le

 

(a) Les œuvres diverses de J. L. Guèz de Balzac furent imprimées par les Elzevier, eu 1631, 1658, 1664. Le recueil complet de ses œuvres fut publié à Paris en 1665, en deux vol. in-fol. ( M. Floquet.)

(b) Cette Vie de dom Barthélémy des Martyrs, archevêque de Brague (Paris, 1663, in-4° et in 8°), publiée sous le nom des religieux du noviciat des frères Prêcheurs du faubourg Saint-Germain, est de Louis-lsaac Le Maistre de Saci, et non point de Pierre Thomas du Fossé, comme on l'a dit dans la Biographie universelle, au nom : Saci ( Louis-Isaac Le Maistre de ). Seulement, la traduction (inédite), faite par ce dernier (en 1660), d'une Vie de Barthélémy des Martyrs, écrite et publiée en espagnol, fut utile à Le Maistre de Saci pour la composition de son ouvrage. (Thomas du Fossé explique lui-même ainsi les faits, dans ses Mémoires pour servira l'histoire de Port-Royal; Utrecht, 1739, in-12. liv. ch. 29; et dans une lettre écrite, en 1690, à Bocquittot, chanoine à Avallon, insérée dans le Dictionnaire de Moréri, article : Thomas (Pierre), seigneur du Fossé.) Dans les Mémoires de Trévoux, 1729, décembre, page 2118 et suiv., est mentionnée « la Vie de D. Barthélémy des Martyrs, par Saci; » On y loue l’élégance du style et l'ordonnance de l'ouvrage. — Voir, de plus, sur cet ouvrage, le Discours préliminaire et historique, en tête de l'Histoire des persécutions des religieuses de P. R., écrite par elles-mêmes ; Villefranche, 1783, in-4°, p. 10; — et le Dictionnaire des ouvrages anonymes, par  Barbier, 2e édition, 1824, tom. III, pag. 398, n° 18814. (M. Floquet.)

 

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Corneille, Tacite et le Thucydide. Car pour le Lucien, c'est le style propre et familier, et non le sublime et le grand, qui doit être néanmoins celui de la chaire (a).

Pour les poètes, je trouve la force et la véhémence dans Corneille ; plus de justesse et de régularité dans Racine.

Tout cela se fait sans se détourner des autres lectures sérieuses, et une ou deux pièces suffisent pour donner l'idée et faire connaitre le trait.

Mais ce qui est le plus nécessaire pour former le style, c'est de bien comprendre lit chose, de pénétrer le fond et le fin de tout, et d'en savoir beaucoup, parce que c'est ce qui enrichit, et qui forme le style qu'on nomme savant, qui consiste principalement dans des allusions et rapports cachés, qui montrent que l'orateur sait beaucoup plus de choses qu'il n'en traite, et divertit l'auditeur par les diverses vues qu'on lui donne. Cicéron demande à son orateur multarum rerum scientiam; car il faut la plénitude pour faire la fécondité, et la fécondité pour faire la variété, sans laquelle nul agrément.

Venons maintenant aux choses. La première et le fond de tout, c'est de, savoir très-bien les Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament.

La méthode que j'ai suivie en les lisant, c'est de remarquer premièrement, les beaux endroits qu'on entend, sans se mettre en peine des obscurs. Par ce moyen on se remplit l'esprit de toute la substance des Ecritures. Car saint Augustin a raison de dire que « les endroits obscurs ne contiennent pas d'autres vérités (me ceux qui sont clairs. » Les raisons en sont belles, mais longues à déduire. Les endroits clairs sont les plus beaux ; et si j'avais à former un homme dans son enfance, à mon gré je

 

(a) Nicolas Perrot d’Ablancourt. — Sa traduction des Annales de Tacite parut à Paris en 1640-1641 ; celle de l'Histoire (du même) en 1651 ; tout l'ouvrage forme 3 vol. in-8°, et a été imprimé dix fois. ( M. Floquet.)

Sa traduction de Lucien parut 1° en 1651-1655, 2 vol. in-4°; 2° en 1664, 3 vol. in-12. (Ibid.)

Sa traduction de l'Histoire de Thucydide parut à Paris en 1602, in-fol. Gui Patin écrivait, le 21 octobre 1653, à Falconet : « M. Perrot est un habile homme. On le blâme pourtant de s’être trop donné de licence à son Tacite ; et, de fait, je ne l'entends pas si bien que le latin. » ( Id.)

 

 

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voudrais lui faire choisir plusieurs beaux endroits de l'Ecriture, et les lui faire lire souvent, en sorte qu'il les sut par cœur. Ainsi on saura sans doute ce qu'il y a de plus beau, et après on viendra aux difficultés.

Pour l'Ancien Testament, je n'ai jamais fait autre chose que de lire la Version selon l'hébreu, la conférer avec la Vulgate; prendre le génie de la langue sainte et de ses manières de parler. Vatable seul fournit tout cela dans sa traduction et dans ses Remarques. Quand il se rencontre des difficultés qui ne sont pas expliquées, je conseillerais de passer outre. Car on peut être tort savant sans savoir tout, et jamais on ne sait tout dans ce livre. Au reste j'ai connu par expérience que, quand on s'attache opiniâtrement à pénétrer les endroits obscurs avant que de passer plus avant, on consume en questions difficiles le temps qu'il faudrait donner aux réflexions sur ce qui est clair ; et c'est ce qui forme l'esprit et nourrit la piété. Il faut sans impatience lever une difficulté et puis une autre, mais cependant s'attacher à bien posséder ce qu'on a trouvé de plus clair et de plus certain.

Pour le Nouveau Testament, Maldonat sur les Evangiles (1) et Estius (2) sur saint Paul, instar omnium.

Il ne faut guère lire les commentaires que lorsqu'on trouve actuellement quelque difficulté. Car ils se farcissent de beaucoup de choses superflues, et ils ont peut-être raison, parce que les esprits sont fort différents, et par conséquent les besoins. Mais pour trouver ce qui nous est propre, il faut nous éclaircir seulement où notre esprit souffre.

Il y a une observation nécessaire à faire sur l’Ecriture, et principalement sur saint Paul. C'est de ne pas chercher si exactement la suite et la connexion dans tous les membres. Il dit tout ce qui se peut dire sur la matière qu'il traite ; mais il songe assez souvent

 

(1) Ces commentaires de Maldonat sur les Evangiles n'avant été publiés qu'après sa mort, il s’y trouve, ce docte religieux n'ayant pu  les revoir (et Bossuet le devait remarquer dans la suite ), des sens dont se pourraient prévaloir les sociniens, d que tes catholiques repoussent. (Bossuet, 1re instruction contre la version du N. T. dite de Trévoux, 29 septembre, 1702, numéros XXIII et XXVII, et Remarques préliminaires. (M. Floquet.) — (2) Estii (Guillelmi) commentar. in Sancti Pauli et aliorum Apost. epistolas ; Duac. 1614, 2 vol. in-fol.; idem, 1640, 2 vol. in-fol. (Id).

 

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plutôt à la thèse proposée qu'à ce qu'il vient de dire immédiatement. Cette vue m'a sauvé bien de l'embarras dans les Epîtres ad Romanos, ad Galatas, et dans les endroits qui regardent la doctrine.

Pour les Pères, je voudrais joindre ensemble saint Augustin et saint Chrysostome. L'un élève l'esprit aux grandes et subtiles considérations, et l'autre le ramène et le mesure à la capacité du peuple. Le premier ferait peut-être, s'il était seul, une manière de dire un peu trop abstraite, et l'autre trop simple et trop populaire. Non que ni l'un ni l'autre ait ces vices, mais c'est que nous prenons ordinairement dans les auteurs ce qu'il y a de plus éminent. Dans saint Augustin (on trouvera) toute la doctrine ; dans saint Chrysostome, l'exhortation, l'incrépation, la vigueur, la manière de traiter les exemples de l'Ecriture, et d'en faire valoir tous les mots et toutes les circonstances.

A l'égard de saint Augustin, je voudrais le lire à peu près dans cet ordre : les livres de la Doctrine chrétienne ; le premier : théologie admirable. Le livre de Catechizandis rudibus, de Moribus Ecclesiœ catholicœ, Enchiridion ad Laurentium, de Spiritu et litterà, de Verâ religione, de Civitate Dei (ce dernier, pour prendre comme en abrégé toute la substance de sa doctrine). Mêlez quelques-unes de ses épitres : celles à Volusien, ad Honoratum, de Gratiâ Novi Testamenti, ainsi que quelques autres. Les livres de Sermone Domini in monte, et de Consensu Evangelistarum.

A l'égard de saint Chrysostome, son ouvrage sur saint Matthieu l'emporte à mon jugement. Il est bien traduit en français (1) ;

 

1 Les Homélies ou Sermons de saint Jean Chrysostome…,  sur tout l'Evangile de saint Matthieu, traduits en français par Paul-Antoine de Marsilly (pseudonyme);

Paris, chez P. Le Petit, imprimeur, trois volumes in-1°, 1666..... Sous le nom supposé, d'Antoine de Marsilly s'était caché Louis-Isaac Le Maistre de Saci, auteur véritable de cette traduction, à laquelle, toutefois, Nicolas Fontaine prit part, peut-être. (Voir le Dictionnaire des anonymes et pseudonymes, par Barbier, 2e édition, 1823, tom. Ier, pag. 11, n° 159, et tout. II, pag. 147, n° 8362.) — L'abbé Goujet indique formellement Louis-Isaac Le Maistre (de Saci), comme l'auteur de la traduction des Homélies de saint Chrysostome sur l'Evangile de saint Matthieu, publiée sous le nom de Paul-Antoine de Marsilly. (Vie de M. Nicole, et Histoire de ses ouvrages (par Goujet); Luxembourg, 1732, in-12, 1ère partie, chap. X, pag. 185.) (M. Floquet.)

 

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et (en le lisant) on pourrait tout ensemble apprendre les choses, et former le style. Au reste quand il s'agit de dogmatiser, jamais il ne se faut fier aux traductions. Les Homélies (de saint Jean-Chrysostome) sur la Genèse, excellentes; sur saint Paul, admirables; au peuple d’Antioche, très-éloquentes. Quelques homélies, détachées, sur divers textes et histoires.

Je conseille beaucoup le Pastoral de saint Grégoire, surtout la troisième partie ; c'est celle, si je ne me trompe, qui est distinguée en avertissements à toutes les conditions, qui contiennent une morale admirable et tout le fond de la doctrine de ce grand pape.

Ces ouvrages sont pour faire un corps de doctrine. Mais comme l'usage veut qu'on cite quelques sentences, c'est-à-dire accuratiùs aut elegantiùs dictata, Tertullien en fournit beaucoup. Seulement il faut prendre garde que les beaux endroits sont fort communs. Les beaux livres de Tertullien sont : l’Apologétique, de Spectaculis, de Cultu muliebri, de Velandis virginibus, de Pœnitentiâ, admirable, l'ouvrage contre Marcion, de Carne Christi, de Resurrectione carnis ; celui de Prœscriptione, excellent, mais pour un autre usage. On apprend admirablement dans saint Cy-prien le divin art de manier les Ecritures, et de se donner de l'autorité en faisant parler Dieu sur tous les sujets par de solides et sérieuses applications.

Saint Augustin enseigne aussi cela divinement, par la manière et l'autorité avec laquelle il s'en sert dans ses ouvrages polémiques, surtout dans les derniers, contre les pélagiens. Ce qu'il faut tirer de ce Père, ce ne sont pas tant des pensées et des passages à citer que l'art de traiter la théologie et la morale, et l'esprit le plus pur du christianisme.

Au reste ce que je propose ici de lecture des Pères, n'est pas si long qu’il paraît. Il n'est pas croyable combien on avance pourvu qu'on y donne quelque temps, et qu'on suive un peu.

Clément Alexandrin viendra à son tour ; et on pourra mêler la lecture de son Pédagogue, comme aussi quelques discours choisis de saint Grégoire de Nazianze, très-propres à relever le style.

J'écris ce qui me vient, sans donner repos à ma plume. Je n'ai

 

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pas même à présent le loisir de relire, quoique pour un si grand prince de l'Eglise et qui doit être une de ses lumières, il ne faudrait rien dire que de médité. Je sais à qui je parle ; et qu'un mot suffit avec lui pour se faire entendre.

 

SUR LES TROIS MAGDELÈNES.

 

Saint Luc, VII, 37, parle de la femme pécheresse qui vint chez Simon le Pharisien laver de ses larmes les pieds de Jésus, les essuyer de ses cheveux et les parfumer. Il ne la nomme point.

Idem, VIII, 3, deux versets après la fin de l'histoire précédente, nomme entre les femmes qui suivoient Jésus, Marie-Magdelène, dont il avait chassé sept démons.

Idem, X, 39, dit que Marthe, qui reçut Jésus chez elle, avait une sœur nommée Marie, etc.

Ces trois passages semblent marquer plus aisément trois personnes différentes que la même. Car il est bien difficile de croire que si la pécheresse était Magdelène, il ne l'eût pas nommée d'abord, plutôt que deux versets après, où non-seulement il la nomme, mais la désigne par ce qui la faisait le plus connaître, d'avoir été délivrée de sept démons. Et il semble encore parler de Marie, sœur de Marthe, comme d'une nouvelle personne dont il n'a point encore parlé.

Idem, XXIV, 10, nomme encore Marie-Magdelène entre les femmes qui vinrent dire aux apôtres la nouvelle delà Résurrection. Tous les Evangélistes le marquent aussi. Saint Matthieu, XXVII, 56, nomme Marie-Magdelène entre les femmes qui avoient suivi Jésus de Galilée, et assistaient à sa mort. Verset 61, il dit qu'elle était assise auprès du sépulcre ; et chapitre XXVIII, il dit qu'elle vint le lendemain du sabbat, avec d'autres, voir le sépulcre; et verset 8, que ces femmes coururent porter la nouvelle aux apôtres.

Saint Marc, XV,  40, compte Marie-Magdelène entre les femmes qui avoient suivi, etc., comme saint Matthieu, XXVII, 56; et verset 47, il dit qu'elle regardait où on mettait le corps, qui est le

 

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même que dit saint Matthieu, XXVII, 61. Idem, XVI, I, la nomme entre celles qui vinrent au sépulcre, comme saint Matthieu, XXVIII, 1 Ibidem, verset 9, il dit que Jésus apparut d'abord à Marie-Magdelène, et la désigne par les sept démons. Saint Jean, XIX, 25, nomme Marie-Magdelène pour la première fois, lorsqu'il dit qu'elle était près de la croix; et XX, 1, il la nomme encore, disant qu'elle vint au sépulcre. Il est vrai que dans le même chapitre, versets 11 et 10, il la nomme deux fois simplement Marie; mais la suite de l'histoire fait assez voir que c'est la même; et verset 18, il la nomme encore Magdelène, disant qu'elle vint porter la nouvelle aux disciples : ce qui convient avec saint Luc, XXIV, 10, comme l'apparition avec saint Marc, XVI, 9. Saint Jean parle de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, XI, 1, et par tout le chapitre; et dans le deuxième verset, il la désigne par l'onction : ce qui ne doit pas faire croire que ce soit une autre onction que celle qu'il raconte au chapitre suivant : car ce deuxième verset est une parenthèse. Et il y a apparence qu'il la désigne ainsi, parce que cette action était fort connue, suivant la prédiction de Notre-Seigneur. Dans ces deux chapitres, où il parle si souvent de la sœur de Marthe et de Lazare, il ne la nomme jamais que Marie, comme saint Luc, X, 39; et toutefois dans les chapitres XIX et XX, où il parle de Marie-Magdelène, il répète souvent ce surnom.

Saint Matthieu, XXVI, 6, raconte l'histoire d'une femme qui parfuma la tête de Jésus, et ne la nomme point. Elle est autre que la pécheresse de saint Luc, VII, 37, quoique dans l'un et dans l’autre, celui qui traitait Notre-Seigneur soit nommé Simon ; mais l’un est qualifié le Pharisien, l'autre le Lépreux. De plus, ce que  saint Matthieu raconte arriva peu avant la Pâque et la Passion. Saint Luc, qui est celui de tous qui suit le plus l'ordre des temps, raconte l’onction dont il parle, longtemps avant la Passion. Mais cette femme dont parle saint Matthieu est Marie, sœur de Lazare, et il raconte la même chose, que saint Jean, chapitre XII. On le voit par les circonstances : 1° Béthanie ; 2° le murmure de Judas; 3° la réponse de Notre-Seigneur, où au lieu de ut in diem sepulturae meae servet illud, Joan., XII, 7, le grec dit : C’est ce quelle avait

 

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préparé pour ma sépulture qu'elle me donne par avance ; et qui se rapporte plus à ce que dit saint Matthieu.

Il est donc plus conforme à la lettre de l'Evangile de distinguer ces trois saintes : la pécheresse qui vint chez Simonie Pharisien; Marie, sœur de Marthe et de Lazare ; et Marie-Magdelène, de qui Notre-Seigneur avait chassé sept démons (1).

Il ne s'agit pas de prouver qu'il est impossible que les trois soient la même ; il faut prouver que l'Evangile force à n'en croire qu'une, ou du moins que ce soit son sens le plus naturel.

 

PRIÈRE (a).

 

Qu'il m'est doux, ô mon Dieu, de ce que vous êtes mon Dieu et de vous appeler mon Dieu ; qu'il m'est doux de ce que rien ne vous est impossible ! car ma force est toute-puissante par là, et ma confiance ne peut jamais être trompée, parce que vous êtes la bonté suprême. Et ne nos inducas in tentationem (2) ; mais, ô bonté et puissance infinie, ne permettez pas que je sois tenté au delà de mes forces, et daignez répandre sur moi des forces divines, pour être en état de supporter les maux et les biens qu'il plaira à votre miséricorde, et à votre sagesse éternelle de m'envoyer. Faites, Seigneur, qu'également et toujours plein de vous-même, de reconnaissance et de confiance dans les uns et dans les autres, j'adore constamment la main toute-puissante qui me les envoie en me visitant et en me consolant, pour me purifier et pour me soutenir, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, qui vit et règne avec vous dans la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1 Plures : Baron, an. 32, n. 17,18, 19 — Const. Apost. lib. III, cap. VI.— Maria-Magdalena et Maria soror Lazari : Orig. et ex eo Theophil. in Marc, XIV, et Euthym. in Matth. XXVI. — Chrysost., homil. LXXXI in Matth. et hom. LXI in Joan. — Hieron. in Matth. XXVI. — Ambros. in Luc. VII. — August. in Joan. tract. XLXIX.

Una : Orig. in Matth., tract. XXXV. Una quœ Christian sœpiùs unxit.— Id. contra plures, etc. Idem, homil. de Magdal — Ambros., lib. I, de Salom., cap. V. Gregor., hom. XXV et XXXIII. — Beda, in Luc, V.

2 Matth., VI, 13.

(a) D'après le manuscrit autographe.

 

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