Livre XVI / II
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FRANÇOIS II (AN 1559).

 

Tout ce qui fait appréhender de grands troubles dans un Etat, se trouvait ensemble sous le règne de François II. Quoiqu'il fût majeur selon les lois du royaume, non-seulement il n'était pas capable de gouverner, mais il donnait peu d'espérance de le devenir, accablé qu'il était de maladies, et aussi faible d'esprit que de corps. Ainsi on voyait commencer une espèce de minorité, qui devait apparemment être fort longue sous une princesse étrangère, dans une Cour factieuse, et parmi un peuple plein d'une infinité de mécontents.

Les troupes licenciées remplissaient le royaume de gens sans emploi, et épuisés par la guerre ; mais ce qu'il y avait le plus à craindre, était le parti protestant, hardi, entreprenant, et aigri par les supplices, qui semblait n'attendre qu'un chef pour se déclarer. Il y avait apparence qu'il n'en manquerait pas; Gaspard de Coligny, amiral de France, gouverneur de l'Ile de France et de Picardie, capitaine renommé et accrédité parmi les troupes, était de ce parti ; et outre l'intérêt de sa religion, il pouvait être poussé par ses intérêts particuliers, voyant les princes de Lorraine, ennemis de sa maison, maîtres de tout, et son oncle le connétable absolument décrédité.

 

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Avec son mérite personnel, il avait ses deux frères : l'un grand homme de guerre, aussi bien que lui, à qui les facilités ordinaires dans les nouveaux règnes avaient fait rendre sa charge de colonel de l'infanterie ; l'autre habile et hardi, qui malgré sa pourpre et son caractère, était plus disposé à quitter sa religion, qu'à se désunir de ses frères.

Le parti protestant avait encore d'autres espérances : il se promettait beaucoup du roi de Navarre, dont la femme, attachée aux nouvelles opinions, pouvait y engager son mari, déjà irrité par lui-même contre la Cour. Il y avait encore plus à craindre de Louis son frère, prince de Condé ; il était homme de grand courage et de grande ambition, à qui le mauvais état de ses affaires, et surtout la jalousie contre ceux de Guise, pouvait inspirer des desseins de brouillerie, que l'amiral de Coligny, son allié et son ami particulier, était capable de fomenter.

A l'âge où était le connétable, il n'y avait point d'apparence qu'il remuât, et de plus, comme il se glorifiait d'être le premier baron chrétien, l'honneur de sa maison l'obligeait à demeurer dans l'Eglise catholique, mais sa grande autorité ne laissait pas de servir d'appui à ses neveux, et de leur donner des moyens d'entreprendre.

D'un autre côté, les princes lorrains, qui s'étaient fait un honneur de passer pour les protecteurs de la foi catholique, étaient disposés à ne garder aucune mesure avec les protestants, de sorte que de toutes parts les choses semblaient portées aux dernières extrémités. Le connétable en avertit la reine-mère; il quitta un peu de temps le corps du feu roi pour venir au Louvre saluer son nouveau maitre, et il demanda audience à cette princesse. Là il lui représenta les malheurs où allait tomber la France, si elle n'accoutumait de bonne heure le roi son fils à un gouvernement qui pût être approuvé de tous les ordres du royaume; qu'elle ne devait pas le laisser entrer dans les partis de la Cour, mais au contraire, l'obliger à renfermer chacun dans les fonctions de sa charge ; que c'était le seul moyen d'avoir la paix, et d'entretenir le bon ordre; pour conclusion, il l'avertissait qu'elle commandait à un peuple qui ne se lassait jamais de servir ses rois, mais qui était incapable de s'accoutumer au gouvernement des étrangers.

Par ces paroles, non-seulement il taxait les princes lorrains, mais encore la reine elle-même; elle écouta ces remontrances comme le discours d'un vieillard qui n'était plus à la mode, et le renvoya aux Tournelles achever les cérémonies. Aussitôt toute la Cour changea de face ; la duchesse de Valentinois fut honteusement chassée; le duc d'Aumale son gendre s'y opposa quelque temps ; à la fin il céda aux sentiments de ses frères, et se baissa entraîner aux intérêts de sa maison ; ainsi cette femme, auparavant maîtresse de tout le royaume, demeura tout d'un coup sans protection, et abandonnée de sa propre famille; on lui ôta jusqu'aux meubles et aux pierreries que le roi lui avait donnés. Elle fut contrainte de céder à la reine-mère sa belle maison de Chenonceaux sur le Cher, pour une terre qu'on lui donna en échange.

 

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Tous ses amis furent éloignés de la Cour, et le cardinal de Lorraine ne fut pas moins soigneux d'écarter ceux du connétable, pour mettre ses amis à leur place.

Pour donner de la réputation au nouveau gouvernement, eu ôtant les sceaux au cardinal Jean Bertrandi, que la duchesse avait établi, on rappela le chancelier François Olivier, que son intégrité et sou savoir faisaient respecter par tout le royaume. Pendant que les princes de Lorraine tachaient de remplir de leurs créatures les grandes places de l'Etat, la reine pour avoir quelqu'un qui pût être attaché à elle, fit revenir le cardinal de Tournon, homme désintéressé et de grande expérience dans les affaires.

Tout le reste de la Cour s'attachait aux princes de Guise, qu'on voyait tout-puissants. Le maréchal de Saint-André, qui dans le règne passé s'était soutenu par lui-même indépendant des uns et des autres, vit bien qu'à ce coup il fallait plier, et offrit au duc de Guise, pour un de ses fils, sa fille unique, avec tous ses biens, dont il se réservait seulement l'usufruit. Il se sauva par ce moyen des mains de ses créanciers, et de ceux qu'il avait injustement dépouillés pour s'enrichir.

Il fallait encore aux princes lorrains quelque chose de plus éclatant pour affermir leur pouvoir. Ils obligèrent le roi à déclarer aux députés du parlement, qui vinrent le saluer à son avènement à la couronne, que parle conseil de la reine sa mère, il avait choisi le duc de Guise et le cardinal de Lorraine, ses oncles, pour mettre le gouvernement des affaires entre leurs mains; il leur ordonnait de s'adresser à eux, et donnait au duc de Guise le soin de la guerre, et celui des finances au cardinal.

Il n'y avait plus rien qui pût changer les affaires, que l'arrivée du roi de Navarre; mais ce prince, lent de son naturel, et d'ailleurs peu satisfait du connétable, auteur de la paix dont il se plaignait, ne se pressait pas de venir. Le prince de Condé son frère, qui voyait que sa lenteur affermissait le pouvoir de la maison de Lorraine, alla au-devant de lui avec le prince de la Roche-sur-Yon, son cousin, pour tâcher de l'échauffer; d'Andelot était avec eux, et le prince de Condé l'avait réconcilié depuis avec le prince de la Roche-sur-Yon, au grand déplaisir du duc de Guise, qui aimait à entretenir la division entre les grands de la Cour.

Ils trouvèrent le roi de Navarre à Vendôme, plus tranquille que ne demandait l'étal des affaires. Les deux princes lui représentèrent l'abaissement déplorable de la maison royale, avec laquelle les princes lorrains ne gardaient plus de mesures ; ils lui apprirent ce qui était arrivé la première fois que le roi avait paru avec sa robe de deuil ; l'ordre était que les princes du sang seuls portassent la queue, et le duc de Guise s'étant jeté entre les princes de Condé et de la Roche-sur-Yon , l'avait portée avec eux. Ils exagéraient l'insolence de cette action, par laquelle des étrangers avaient osé s'égaler à eux, comme

 

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s'il ne leur eût pas suffi d'avoir emporté tout le pouvoir sur les princes du sang, sans leur ôter encore les honneurs, de sorte qu'il ne restait aux Guise que de monter sur le trône.

Ni les discours des deux princes, ni les raisonnements forts et vigoureux d'Andelot n'émurent le roi de Navarre ; il ne s'en pressa pas davantage , et ils furent obligés de retourner à la Cour sans rien faire ; ils trouvèrent les obsèques de Henri achevées, et les princes lorrains avaient déjà, amené le roi à Saint-Germain, pour le gouverner plus à leur aise. Le connétable l'y vint trouver, et le roi bien instruit par ceux de Guise, ne lui fit pas bon visage : on remarque que le connétable ne lui parla que de ses neveux de Chatillon, dont il lui recommanda les intérêts avec beaucoup de chaleur ; mais le roi, sans lui répondre sur cette demande, lui dit assez froidement, que, pour épargner sa vieillesse, après tant de services et de travaux, il avait chargé les princes de Guise ses oncles des affaires de l'Etat, et qu'il lui avait conservé une place honorable dans son conseil, quand sa santé lui permettrait d'y assister. La réponse du connétable fut fière : il dit qu'il n'était pas de sa dignité d'obéir à ceux à qui il avait commandé toute sa vie, et qu'au reste, quand le roi aurait besoin de son service, il le trouverait encore vigoureux de corps et d'esprit. Après cette conférence il ne voulut plus demeurer à la Cour, et se retira à Chantilly.

Le duc de Guise fut ravi de le voir parti avant l'arrivée du roi de Navarre ; et afin que ce prince ne trouvât personne capable de l'exciter, les princes de Condé et de la Roche-sur-Yon furent envoyés en Espagne, l'un pour jurer la paix, et l'autre pour porter le collier de l'ordre à Philippe. On vivait dans une parfaite intelligence avec ce prince; la paix s'exécutait de bonne foi, et on lui rendait toutes ses places. Depuis qu'il n'avait plus de guerre dans les Pays-Bas, il n'y avait pas cru sa présence si nécessaire; et après avoir laissé le gouvernement de ces provinces à Marguerite, duchesse de Parme, sa sœur naturelle, il était repassé en Espagne, où il se plaisait davantage.

Quand le prince de Condé fut prêt à partir, le cardinal de Lorraine n'eut point de honte de lui faire donner mille écus pour son voyage, comme s'il eût voulu insulter à sa pauvreté. Un peu après on eut nouvelle que le roi de Navarre approchait, et serait bientôt à. la Cour; il fallait l'écarter aussi bien que les autres, et c'est ce que les princes lorrains surent bien faire par les dégoûts qu'ils lui donnèrent. Quand les personnes de ce rang arrivaient à la Cour, les grands seigneurs allaient au-devant, et cet honneur semblait dû principalement au premier prince du sang ; mais le duc de Guise affecta de n'y point aller : il occupait le principal logement dans le château, et on s'attendait qu'il le céderait au roi de Navarre ; il dit hautement qu'il regardait l'honneur que le roi lui faisait de le lui donner, comme une juste récompense de ses services, et qu'il mourrait plutôt que de le quitter.

 

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Le roi de Navarre, piqué d'un tel mépris, fut prêt à s'en retourner ; le maréchal de Saint-André prit soin de l'apaiser, et lui offrit sa maison, dont il fallut qu'il se contentât. La plupart des grands le pressaient de prendre l'administration des affaires, mois ses principaux officiers, gagnés par le cardinal de Lorraine, l'en détournaient. Il fit quelques faibles tentatives, et trouva tout dans la dépendance de ses ennemis ; ils avaient gagné le clergé par le zèle qu'ils témoignaient pour la religion : la noblesse épuisée ne regardait qu'eux : les principaux du parlement étaient à leur dévotion, et le roi de Navarre était trop faible pour relever son parti.

Avec toute sa faiblesse on ne le voyait pas volontiers à la Cour, et la reine, toujours favorable aux princes lorrains, trouva moyen de hâter son retour en Guyenne. Elle écrivit au roi d'Espagne, et implora son secours pour le roi son fils. Ce prince ravi d'étaler sa puissance, fit une réponse pleine d'ostentation, déclarant qu'il emploierait ses armes contre tous ceux qui refuseraient d'obéir au roi son beau-frère, et à ceux qu'il avait chargés du soin de ses affaires. On affecta de lire cette lettre en présence du roi de Navarre, et les princes lorrains surent lui faire entendre par leurs émissaires que ces menaces regardaient le Béarn. Il en entra en inquiétude ; et comme la reine, pour lui donner un prétexte de se retirer, le pria de vouloir conduire la jeune reine d'Espagne à son mari, il embrassa cette occasion avec joie, d'autant plus qu'on lui fit espérer de négocier en même temps avec l'Espagne la restitution de la Navarre ; ainsi on trouva moyen d'occuper trois princes du sang de trois fonctions qu'un seul aurait faites avec dignité. Le roi de Navarre n'attendait pour partir que le sacre du roi, qui devait se faire au mois de septembre.

Durant le voyage de Reims, le duc de Guise, qui ne perdait point de temps pour avancer ses intérêts, travailla à rompre l'union de l'amiral avec le prince de Condé, qui ne faisait que revenir de son voyage d'Espagne. Nanteuil, maison du duc de Guise, est sur le passage, et ce prince y reçut la Cour magnifiquement. Ce fut là qu'il dit à l'amiral, par une espèce de confidence, que le prince de Condé demandait le gouvernement de Picardie. L'amiral se mit d'abord en colère, mais il s'expliqua avec ce prince, qui lui donna une pleine satisfaction, et de concert avec lui, il fit sa démission du gouvernement de Picardie, que le prince devait demander; car il vit bien que d'en garder deux n'était pas chose possible, en l'état où se trouvaient ses affaires. Il donna sa démission , le prince fit sa demande, mois il fut refusé ; et ceux de Guise firent donner le gouvernement au maréchal de Brissac, également ravis, et d'avoir exclu leur ennemi, et d'avoir mis dans leurs intérêts un homme de cette importance.

Le roi arriva à Reims, et le 20 septembre, il fut sacré par le cardinal de Lorraine, archevêque de cette ville. Cette cérémonie fut accompagnée d'une création de chevaliers de Saint-Michel, plus nombreuse

 

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que toutes celles qui s'étaient faites depuis Louis XI. On reprocha aux princes lorrains de s'être fait des créatures au préjudice de la dignité de l'ordre, qui commença en ce temps à se ravilir.

Le duc de Guise avait une extrême envie d'avoir la charge de grand-maître, et la reine voulait bien la demander au connétable ; il répondit que François son fils aîné en avait obtenu la survivance, dans le temps qu'il épousa la fille du roi défunt, et qu'il lui serait honteux de le dépouiller de son principal établissement. La reine ne se rebuta pas, et lui promit pour François , la dignité de maréchal de France, plus convenable à son âge ; elle mêlait quelques menaces à ces promesses, et le connétable, qui craignit qu'on ne fit la chose par autorité, conseilla à son fils de céder. Il fut fait maréchal de France, et le duc de Guise fut fait grand-maitre, avec un chagrin extrême de toute la noblesse de France ; il voulut que le chef de sa maison se ressentît de son pouvoir, et le roi, au retour de Reims, en passant à Bar, donna la souveraineté de ce duché au duc de Lorraine, qui était venu à son sacre.

On maudissait en France le gouvernement des étrangers, qui agrandissaient leur maison aux dépens de la couronne. Cette haine était fomentée, et en partie excitée par les protestants, qui n'oubliaient rien de ce qui pouvait aigrir les esprits contre le gouvernement : aussi on les traitait avec une extrême rigueur ; tous les jours on en voyait traîner quelques-uns en prison ; leurs biens étaient vendus, leurs enfants abandonnés ; on se servait de toutes sortes de moyens, même de la calomnie, pour les rendre odieux, et ils avaient encore plus à craindre de la haine des peuples, que de la rigueur des magistrats.

Ils commencèrent à faire courir des libelles séditieux, et il en parut un entre autres qui attaquait directement la loi qui déclare les rois majeurs à quatorze ans : on y soutenait que le roi devait être encore en tutelle, et n'avait pu donner à sa mère l'administration : que par les lois du royaume, les femmes, exclues de la succession, l'étaient aussi du gouvernement, qui était dû au premier prince du sang, et qu’il fallait assembler les états-généraux, selon l'ancienne coutume, pour régler le pouvoir du régent, et donner une forme aux affaires.

On s'élevait principalement contre les princes lorrains, qu'on n'accusait de rien moins que de vouloir usurper la couronne : on remarquait leurs prétentions sur l'Anjou et sur la Provence, et même sur tout le royaume, sur lequel on les taxait de s'attribuer un droit ancien du côté des Carlovingiens, dont ils se disaient descendus ; ce qui leur faisait regarder les Capets comme usurpateurs. Leurs liaisons avec le Pape étaient rapportées comme un moyen pour établir leur domination ; on déplorait la misère de la France, donnée en proie aux étrangers, et du roi, qui avait pour tuteurs ceux qui croyaient avoir droit de le dépouiller. Ces libelles, répandus par toute la France, étaient des avant-coureurs

 

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de la sédition, et les esprits étaient tellement préoccupés, qu'une réponse de Jean du Tillet, greffier au parlement, qui fut admirée dans un meilleur temps, ne put être supportée alors. La santé du roi mol affermie augmentait l'audace des esprits turbulents, dont le royaume était plein : à peine fut-il guéri d'une fièvre quarte, qui l'avait fatigué longtemps , qu'on vit son visage naturellement pale et livide, tout à coup couvert de rougeurs : les médecins n'y trouvèrent d'autre remède que de le faire changer d'air; il fut mené à Blois, où sa santé ne fut pas meilleure.

On fit courir le bruit qu'il était ladre, et qu'on faisait enlever des enfants pour lui foire un bain de sang. Les protestants accusaient les princes lorrains d'avoir répandu ces bruits pour rendre la famille royale odieuse. Ces princes au contraire en rejetaient la' faute sur les protestants, ennemis de la royauté, et toutes ces dissensions augmentaient les aigreurs et rendaient les partis irréconciliables.

On continuait cependant le procès d'Anne du Bourg, qui éludait, autant qu'il pouvait, le jugement, par des réponses ambiguës sur le sujet de la religion, et par de continuelles appellations ; car il appela comme d'abus au parlement, de la sentence de l’évêque de Paris ; renvoyé à son évêché, il appela à l'archevêque de Sens, comme métropolitain; de là encore au parlement, et enfin à l'archevêque de Lyon, comme primat. Il fut condamné partout, et son évêque le livra au bras séculier, après l'avoir dégradé de son ordre de diacre.

Alors il commença à se déclarer, et reconnut qu'il suivait la confession de foi dressée par Calvin. Conduit au parlement, il parla avec une fermeté extraordinaire, et comme il avait récusé un président (c'était le président Minard), qui ne voulut point se déporter du jugement , il osa lui dire qu'il en serait empêché par une autre voie. Quelques zélés du parti prirent soin d'accomplir sa prophétie, et peu de jours après, le président fut assassiné; on accusa de ce meurtre Robert Stuart, parent de la reine ; et il est constant que deux présidents, ennemis jurés de la nouvelle religion, eussent eu un pareil sort, s'ils fussent sortis ce jour-là de leur maison. C'est ainsi qu'agissaient ces prétendus imitateurs de l'ancienne Eglise.

Cette action sanguinaire fit bâter la condamnation d'Anne du Bourg; il fut étranglé en Grève, et puis brûlé ; il souffrit la mort sans s'émouvoir , et fit voir que l'erreur pouvait avoir ses martyrs. Son suppliée ne servit qu'à irriter les hérétiques, et à faire chanceler la foi des catholiques ignorants. Les conseillers qui s'étaient rendus suspects, lorsque Henri II fut au parlement, furent obliges de se rétracter, et un peu après on les rétablit dans leurs charges.

Bourdin, procureur général, eut ordre de continuer les poursuites contre les sectaires, et fit arrêter Robert Stuart, accusé d'avoir voulu mettre le feu dans Paris. Tout semblait disposé à la sédition ; le nombre des mécontents était infini; les protestants n'oubliaient rien pour les

 

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aigrir ; les princes lorrains ne croyaient pas leur personne en sûreté, et ceux qui accouraient de tous côtés à la Cour, pour demander ou le paiement de leurs avances, ou la récompense de leurs services, leur devinrent tellement suspects, qu'ils conseillèrent au roi de faire crier à son de trompe que s'ils ne se retiraient de la Cour dans vingt-quatre heures, ils seraient pendus à une potence qu'on avait dressée exprès. Un conseil si violent les rendit encore plus odieux, principalement aux gens de guerre; tout le monde réclamait les Etals pour s'opposer à leur tyrannie, et ceux qui en parlaient étaient traités de séditieux.

Au commencement du mois de décembre, la reine Elisabeth partit pour l'Espagne; François et Catherine la conduisirent jusqu'à Poitiers: le roi de Navarre, qui après le sacre était retourné en son gouvernement, reçut cette princesse à Bordeaux, et la mena sur les frontières des deux royaumes. Il entama dans le même temps quelques négociations pour ses intérêts; Philippe l'amusait de belles propositions, de concert avec la reine Catherine, et finalement se moquait de lui.

Sur la fin de l'année. Jean-Ange de Médequin, frère du marquis de Marignan, fut élu pape à la place de Paul IV, mort trois mois auparavant, et prit le nom de Pie IV. Au premier jour de janvier (1560) fut publié un édit mémorable pour régler les juridictions du royaume, et empêcher la vénalité des offices. Les charges vacantes devaient être remplies par élection : il était ordonné que les officiers des compagnies présenteraient trois hommes qu'ils estimeraient les plus capables, dont le roi en retiendrait un. Cet édit fut l'ouvrage du chancelier Olivier, qui songeait sérieusement à la réformation du royaume et de la justice ; les intrigues et l'avarice des courtisans, qui voulaient ou avancer leurs créatures, ou profiler des vacances, rendirent inutil une ordonnance si salutaire.

Le prince de Condé se lassait d'être exclu des affaires, et de vivre dans l'indépendance des princes lorrains : comme il les voyait haïs, et le royaume plein de mécontents, il crut qu'il pourrait aisément faire un parti ; il assembla à la Fère ses principaux amis, qui étaient les deux Coligny, et le vidame de Chartres, homme de grande naissance, et qui le portait aussi haut que les princes. Comme on délibérait dans ce petit conseil de ce qu'il y avait à faire pour ruiner les princes lorrains et relever la maison royale, l'amiral prit cette occasion de former le parti protestant; il représenta au prince, que le duc de Guise s'étant rendu le chef des catholiques, il n'avait point de parti à lui opposer que celui des réformés; qu'au reste, il n'y avait que le zèle de la religion qui pût lui assurer les esprits contre l'autorité royale, dont ses ennemis se prévalaient; que le parti dont il voulait se rendre chef était plein de braves gens qui étaient au désespoir, et que si le prince voulait se mettre à leur tête, au lieu de ce qu'il aurait à souffrir, il se verrait bientôt en état de faire la loi. Il ne fut pas malaisé à persuader ; son ambition ne pouvait compatir avec l'état où il se

 

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trouvait ; et la religion de ses ancêtres fut un faible obstacle pour le retenir. Il ne fut donc plus question que de chercher les moyens d'engager les protestants ; l'amiral se promit de lever tous les scrupules qu'ils pourraient avoir de se soulever contre le roi, il ne fallait pour cela qu'avoir l'avis des principaux théologiens et jurisconsultes de leur parti, et l'amiral les avait trop pratiqués pour ne pas connaître leur disposition.

Un brouillon, appelé La Renaudie, gentilhomme du Périgord, fut choisi pour l'exécution de ce dessein; il avait été banni du royaume pour une fausseté ; et comme il allait errant en divers pays, il avait contracté de grandes habitudes avec les protestants, tant en Allemagne qu'en France: On résolut de le faire aller par les provinces, et il eut ordre de dire aux principaux que quand le parti serait formé, le prince se mettrait à la tête; jusque-là on le devait ménager, et ne le faire paraître que bien à propos. Les autres seigneurs ne devaient non plus se découvrir; car ni l'amiral ni son frère, quoique zélés défenseurs de la nouvelle religion, ne s'étaient pas encore ouvertement séparés de l'Eglise.

Il vint une consultation d'Allemagne, où, sur l'état qu'on exposait des affaires de France, les ministres consultés si on ne pouvait pas se saisir du cardinal de Lorraine et de son frère pour leur faire rendre compte, répondaient qu'on le pouvait, pourvu qu'on fût appuyé de l'autorité d'un prince du sang. On avait mis exprès cette condition, parce qu'on était assuré du prince de Condé. Les ministres de France souscrivirent à cette délibération, et la Renaudie sut si bien la foire valoir, qu'en peu de temps il fit signer une conjuration à un nombre infini de personnes de toutes les provinces.

Pour digérer davantage tout le dessein, il donna rendez-vous à Nantes aux principaux chefs, et ils résolurent que des gens d'élite seraient distribués aux environs de Blois, où était la Cour; qu'une partie se glisseraient dans la ville; que les choses étant ainsi disposées, une grande multitude de gens sans armes présenteraient au roi une requête pour obtenir la liberté de conscience, et des temples pour exercer leur religion. Ils s'attendaient bien à un refus, et alors ces suppliants devaient être soutenus par les gens de guerre qui seraient répandus de toutes parts; mie partie devait se saisir des portes du château, les autres devaient y entrer pour enlever le duc et le cardinal, ou les tuer, si on ne pouvait les prendre vivons. Cela fait, on devait s'assurer de la personne du roi, chasser la reine sa mère, ou l'éloigner des affaires, et donner la régence aux princes; car pour le roi de Navarre, ils le croyaient trop faible pour le mettre dans une telle affaire.

Le rendez-vous fut donné au 5 mars, et les conjures arrivèrent de toutes les provinces du royaume avec un secret si profond, que les premiers avis de la conspiration vinrent à la Cour des pays étrangers.

Sur cette nouvelle, les princes lorrains menèrent le roi à Amboise,

 

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dont le château était plus fort que celui de Blois ; et d'ailleurs le lieu étant plus petit, on y pouvait plus aisément remarquer ceux qui arrivaient du dehors. Ils n'y furent pas plutôt arrivés, qu'ils reçurent des avis plus certains de l'entreprise qu'ils ne savaient jusqu'alors que confusément. La Renaudie était venu à Paris, où il avait été contraint de se découvrir à un avocat protestant, chez qui il logeait; celui-ci, de meilleure conscience que lui, se crut obligé d'en donner avis, et fut envoyé à Amboise au cardinal de Lorraine. Il était naturellement timide, et n'épargnait pas les moyens violents pour s'assurer, ainsi il conclut d'abord à envoyer sans délai aux gouverneurs des ordres de courir sus à ceux qu'on trouverait en armes sur le chemin.

Son frère, plus circonspect et plus modéré, soutint au contraire qu'il fallait dissimuler jusqu'à ce que la conjuration se découvrit d'elle-même, et n'employer les remèdes extrêmes, que quand ils seraient reconnus nécessaires. La reine fut de cet avis; mais pour éviter les surprises, le duc manda secrètement ce qu'il avait d'amis dans les provinces; la reine fit venir les Coligny, en apparence pour prendre leur conseil sur quel qu'affaire importante, en effet pour s'assurer d'eux.

La Renaudie cependant, sur l'avis de la retraite de la Cour, ne fit que changer les rendez-vous, et marcha à Amboise dans le même ordre qu'il devait faire à Blois: il sut même quelque temps après que la conjuration était découverte, et ne continua pas moins l'entreprise, espérant de prendre la Cour au dépourvu. Le prince de Condé, pour ne point donner de défiance, fut obligé de se rendre aussi à la Cour ; toute la France était en attente de quelque chose d'extraordinaire.

Il y avait déjà cinq cents chevaux des conjurés dans le voisinage d'Amboise; soixante gentilshommes étaient cachés dans la ville; mais sur le point de l'exécution, un des chefs des conjurés, nommé Lignière, demanda à parler à la reine, et lui découvrit tout l'ordre de la conjuration; elle apprit de lui que l'heure était prise pour le lendemain sur le diner, et qu'on n'attendait à la campagne que le signal qu'on devait donner du château.

Alors, après avoir posé des gardes en quelques endroits, et avoir muré quelques portes, le duc de Guise envoya tout ce qu'il y avait de gens auprès du roi, avec ordre de saisir ou de tuer ceux qu'on trouverait en armes sur le chemin de la Cour. On prit trois ou quatre des principaux chefs; la plupart des autres conjurés furent taillés en pièces dans la forêt; on en pendit un grand nombre ; tous les jours on faisait de nouvelles prises et de nouvelles exécutions. Le duc de Guise affecta de venir au roi comme alarmé, pour lui raconter ce qui se passait; et dans la frayeur qu'il donna à ce jeune prince, il obtint, sans la participation de la reine, d'être déclaré lieutenant-général du royaume. Elle fut étonnée de ce coup ; mais comme elle ne pouvait y apporter de remède, elle obligea elle-même le chancelier à sceller les lettres qu'il refusait obstinément.

 

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Quoique La Renaudie vit ses affaires comme ruinées, il ne perdit pas courage; il était sorli de Vendôme, où était son principal rendez-vous, et rôdait autour d'Amboise pour rallier ses gens qui arrivaient tous les jours. Il rencontra Pardaillan dans la forêt; comme il vit qu'il allait être attaqué, il marcha fièrement à lui, et le tua d'un coup d'épée ; mais en même temps un page de Pardaillan le jeta à terre d'un coup de pistolet. Il n'évita pas après sa mort la honte du supplice qu'il méritait de souffrir en vie; il fut pendu par les pieds avec celle inscription : Au chef des rebelles, ensuite mis en quartiers, et attaché à des poteaux en divers endroits pour servir d'exemple. Mais les conjurés ne furent ralentis ni par la mort de leur chef, ni par le supplice de leurs compagnons, et un grand nombre demeuraient cachés autour d'Amboise, n'attendant que l'occasion d'exécuter leur dessein.

La Cour n'ignorait pas qu'il se tramait encore quelque chose: et l'amiral, sans approuver ce qui se faisait, disait tout haut qu'aussi poussait-on trop loin ceux de la nouvelle religion. Il était temps, disait-il, de mettre fin aux supplices qui désespéraient tant de braves-gens; le chancelier était de même avis; on l'accusait d'être favorable aux protestants : ce n'est pas qu'il fût de leur croyance, mais les désordres étaient si excessifs dans l'Eglise, que le seul nom de réformation, que les protestants prenaient pour prétexte, leur gagnait une grande partie des gens de bien, et ceux mêmes qui condamnaient les extrémités où ils se portaient, espéraient qu'il en naîtrait à la fin quelque tempérament utile.

On résolut dans le conseil de publier un édit pour surseoir les supplices des protestants, jusqu'à ce que les matières de religion fussent décidées par un concile. Le roi pardonnait à tous ceux qui avaient pris les armes, pourvu qu'ils les posassent dans vingt-quatre heures, en exceptant toutefois les prédicateurs, et tous ceux qui avaient attenté contre la famille royale, les princes et les ministres de l'Etat. Cependant on faisait le procès aux chefs des conjures, et à un domestique de La Renaudie, qui savait tout le secret de son maître ; celui-ci, interrogé sur le prince de Condé, que son ambition et sa haine déclarée contrôles princes lorrains avait déjà rendu suspect, dit qu'il n'était pas de l'entreprise, mais qu'il avait oui dire qu'il devait se déclarer, si elle réussissait; il n'en fallut pas davantage pour lui faire donner des gardes.

On redoublait aussi les précautions, et on pressait le procès des prisonniers ; mais pendant que le chancelier différait autant qu'il pouvait, un reste des conjurés fit un effort contre la ville, et il aurait réussi si quelques-uns des chefs n'étaient arrivés trop tard. Tous ces mauvais succès n'empêchèrent pas que le jeune Maligni n'entreprit de tuer publiquement le duc de Guise, au hasard de sa propre vie, sans le prince de Condé qui l'en empêcha. La nouvelle entreprise fit révoquer la grâce qui avait été accordée, et parce qu'on avait honte de faire

 

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mourir tant de monde aux yeux du public, on donna ordre de n'en plus prendre dans les bois, mais de les tuer sur l'heure ; ce qui fit périr, avec quelques coupables, un grand nombre de voyageurs innocents.

En ce temps, on établit une nouvelle garde de mousquetaires à cheval, et le premier qui en eut le commandement, fut Antoine du Plessis de Richelieu. Les supplices recommencèrent; la rivière était couverte des corps de ceux qu'on noyait; les places remplies de gibets, et les rues pleines de sang; ces malheureux allaient à la mort aussi déterminément qu'ils avaient commencé leur entreprise; un zèle aveugle leur persuadait qu'ils étaient innocents, parce qu'ils avaient épargné la vie du roi; et un d'eux, prêt à être exécuté, trempa ses mains dans le sang de ceux qu'on venait de faire mourir, puis les levant toutes sanglantes vers le ciel : « Voilà, dit-il, ô grand Dieu, le sang innocent des tiens que tu ne laisseras pas sans vengeance ! » Ce n'était pas ainsi que faisaient les anciens Chrétiens, dont les derniers vœux étaient pour les empereurs qui les condamnaient injustement, et pour les bourreaux qui exécutaient la sentence.

On voyait paraitre à des fenêtres la reine avec ses enfants, dans la place où se faisaient les exécutions, et on gémissait qu'elle accoutumât au sang de jeunes princes qu'on ne saurait trop former à la douceur. Il y eut plusieurs dépositions contre le prince de Condé, semblables à celle du domestique de La Renaudie; on fit ce qu'on put pour envelopper le roi de Navarre dans le crime ; mais il ne se trouva rien contre lui; au contraire, quand on envoya les ordres aux gouverneurs, pour détruire dans les provinces les restes de la rébellion, ce prince fut un de ceux qui montra le plus de zèle ; il tailla en pièces deux mille des conjurés qui soulevaient l'Agénois.

A l'égard du prince de Condé, plus il se sentait coupable, et plus les soupçons étaient violents, plus il parlait hautement de sa fidélité inviolable. Le roi fut obligé de lui donner audience en plein conseil, où après qu'il eut exposé avec beaucoup de force et d'éloquence les raisons par lesquelles il se justifiait, il finit en disant que si quelqu'un osait encore l'accuser, il était prêt à défendre son innocence par les armes. Aussitôt le duc de Guise s'offrit à être son second : le roi déclara qu'il le tenait pour sujet fidèle; mais malgré de si belles démonstrations, ses amis ne lui conseillèrent pas de demeurer plus longtemps à la Cour, de sorte qu'il pensa sérieusement à son départ.

Le chancelier, que tant de désordres et tant de supplices plongèrent dans une profonde mélancolie, en tomba malade, et mourut quelque temps après. Alors la reine songea à se faire une créature, et appela à cette grande charge Michel de L'Hôpital, homme d'un profond savoir, et d'une intégrité connue, qu'elle crut d'humeur à vivre indépendant des princes lorrains, s'il était soutenu. Il était pourtant de leurs amis, et ils consentirent à son établissement, quand ils virent

 

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qu'ils ne pouvaient mettre dans la charge Jean de Morviliers, évêque d'Orléans, leur confident particulier.

On trouva à propos dans le conseil, d'informer le parlement de ce qui s'était passé à Amboise; cette commission fut donnée au connétable, qui fit en pleine assemblée l'éloge des princes lorrains, mais d'une manière qui ne leur plut guère; il dit que c'était avec raison que le roi n'avait pu souffrir que des séditieux attaquassent de ses principaux officiers jusque dans sa maison, et en sa présence : il ajouta qu'un particulier ne souffrirait point qu'on fit une telle insulte à ses amis, et prit grand soin de faire entendre que les conjurés n'avaient eu aucun dessein contre les personnes royales. Ce n'était pas ce que voulaient les princes lorrains, et il fallait, pour leur plaire, publier que leurs ennemis en voulaient au roi. Les flatteries du parlement en cette occasion furent excessives; ils écrivirent au duc de Guise, contre la coutume, aussi bien qu'au roi, et lui donnèrent le titre de Conservateur de la patrie.

Dans la lettre que le roi écrivit aux gouverneurs pour le même sujet,, il chargeait les conjurés d'avoir attenté contre sa personne. Il parut bientôt une réponse qui rejetait tout sur les princes lorrains, qu'on menaçait des Etats-généraux, où ils rendraient compte de leurs insolences et de leurs excès; c'était ainsi qu'on parlait, et l'écrit était si fort, que le cardinal de Lorraine ne voulut jamais permettre aux députés du parlement de Rouen de le présenter au roi, quoique ce ne fût que pour s'en plaindre; mais il regarda ces plaintes comme un moyen indirect de publier des choses qu'il était bien aise de tenir cachées. Pour le parlement de Paris, à qui on avait adressé, aussi bien qu'au parlement de Rouen, une copie de cet écrit, il l'envoya au cardinal de Lorraine ; mais il parut peu de temps après contre lui un autre écrit encore plus piquant. Quelques restes des conjurés s'étaient sauvés de prison ; on adressa au cardinal une lettre par laquelle on lui promettait qu'ils se rendraient bientôt auprès de lui en meilleure compagnie que jamais; il fut intimidé dè cette menace, et il parut plus doux envers les protestants.

On s'appliquait à étouffer les restes de la rébellion par tout le royaume, et on envoya dans les provinces des personnes affidées. L'amiral, qui avait allumé le feu, eut ordre de l'aller éteindre en Normandie ; ce n'est pas qu'il ne fût suspect aux princes lorrains, mais ils étaient bien aises, sous prétexte de confiance, de l'éloigner d'auprès de la reine, à qui il parlait librement, et qui l'écoutait. L'amiral de son côté ne fut pas fâché d'avoir une occasion de se retirer de la Cour, où ses ennemis étaient tout-puissants. Au reste, comme il voyait bien que la conspiration ne pouvait plus produire l'effet qu'il en avait espéré, il se fit un mérite auprès de la reine de réprimer les séditieux, d'autant plus qu'il savait qu'on avait pourvu d'ailleurs secrètement à la sûreté de la province.

 

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Au mois de mai il parut un édit mémorable sur le sujet de la religion; par le premier chef de l'édit, la connaissance du crime d'hérésie était ôtée à la justice royale, et attribuée aux évêques. Le chancelier fit cet édit pour éviter l'inquisition, que les princes de Guise voulaient introduire. Le second chef de l'édit portait défense de tenir des conventicules pour y parler de religion, et d'assembler des gens en armes; on autorisait les justices subalternes à condamner les coupables, dont la confiscation était donnée aux délateurs, et les faux accusateurs étaient condamnés à la peine du talion. Malgré la rigueur de ces édits, le cardinal de Lorraine affectait toujours de se radoucir; il souffrait que les protestons l'approchassent, il se rendait facile à les écouter, et afin de se disculper des désordres de l'Etat, il conseilla à la reine de tenir une assemblée pour y remédier. Elle fut indiquée à Fontainebleau, et la Cour se disposa à y aller ; le roi résolut de passer à Tours, pour rassurer cette ville, suspecte par le grand nombre d'hérétiques qui y étaient. Ce fut là et environ dans le même temps, qu'on leur donna le nom de huguenots.

La reine crut alors devoir les ménager pour ses intérêts, et tâcher de se concilier l'affection d'un parti dont elle voyait croître la puissance. Elle manda quelques ministres qui ne voulurent jamais se fier à elle, mais ils lui firent tenir un écrit contre les princes de Guise, qu'elle fut contrainte de leur remettre entre les mains, parce que la reine sa belle-fille s'était aperçue qu'on le lui donnait. Le parti était fécond en tels écrits, elles meilleures plumes du royaume s'y employaient; ainsi l'hérésie et la rébellion s'insinuaient tout ensemble avec la satire et les agréments du discours. Il fallut avoir recours aux derniers supplices contre les imprimeras, et encore ne pouvait-on réprimer ni la démangeaison des écrivains, ni la curiosité des lecteurs. La Cour était fort impatiente de sortir d'une province où il était arrivé de si grands désordres. Le prince de Condé partit tout d'un coup pendant le voyage, et renouvela les appréhensions qu'on avait conçues de sa conduite; on sut qu'il allait vers le roi son frère, et que Damville, fils puiné du connétable, s'était abouché avec lui sur le chemin. Cet entretien redoubla les inquiétudes de la Cour, qui craignait tout.

Mais le prince durant ce temps était en peine lui-même des lettres qu'il recevait du roi son frère ; il lui témoignait à la vérité un grand désir de le voir, mais il souhaitait en même temps qu'il demeurât à la Cour, du moins quelque temps, pour y confirmer l'opinion de son innocence. D'Escars, son principal confident, gagné par le cardinal de Lorraine, lui inspirait ces sentiments; mais le prince n'était pas de même avis, et il crut ne pouvoir trop tôt mettre sa personne on sûreté; ainsi il se rendit en poste à Nérac, où était le roi de Navarre.

Toute la noblesse des pays voisins s'y assembla auprès d'eux. Les protestants se multipliaient sans nombre; outre l'amour de la nouveauté, chacun voulait être d'un parti où on voyait des gens si déterminés, et

 

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des chefs si considérables. On se piquait de s'unir aux princes du sang contre les étrangers, et il n'y avait que la lenteur du connétable qui empêchât qu'il ne se fit quelque grand éclat. Cependant les princes lorrains affectaient de lui donner toutes sortes de dégoûts, jusque dans les moindres choses, sait qu'ils voulussent ou le décréditer tout à fait, ou le pousser à la révolte. Il ne laissa pas de se trouver à l'assemblée de Fontainebleau, où l'amiral vint aussi; mais pour le roi de Navarre ni pour le prince de Condé, on ne put jamais les y attirer. La Sague, secrétaire du prince, fut envoyé en apparence pour faire leurs excuses, en effet pour observer ee qui se passait, et achever de lier les intrigues.

Après que le roi, la reine et le chancelier eurent proposé le sujet de l'assemblée, qui était le soulagement du peuple, et la réformation des désordres de l'Etat, le duc de Guise et le cardinal rendirent compte, l'un de la guerre, et l'autre des finances, et le cardinal fit voir que les charges du royaume surpassaient les revenus de près de trois millions; les profusions de Henri Il avaient réduit l'épargne en cette disette. Comme les conseillers d'Etat se préparaient à opiner, et que Jean de Montluc, évêque de Valence, avait déjà la bouche ouverte, l'amiral surprit toute l'assemblée, en se mettant à genoux devant le roi, et lui présentant deux requêtes; il dit qu'elles lui avaient été mises en mains en Normandie par un grand nombre de personnes; on en fit la lecture à sa prière : elles étaient des huguenots qui demandaient qu'on cessât de les persécuter, et qu'on leur permit l'exercice de leur religion, jusqu'à ce que leur cause eût été légitimement examinée. Ils se servaient ordinairement de ce style pour gagner du temps, et réclamaient le concile, bien résolus, quand ils seraient assez forts, de n'en reconnaitre aucun qui ne décidât à leur fantaisie.

Les requêtes étaient conçues en termes modestes; mais l'amiral dit en opinant, qu'ayant pressé ceux qui les présent aient de les souscrire, ils avaient répondu que si on voulait, elles seraient signées de cinquante mille hommes; le cardinal de Lorraine releva cette parole, et l'insolence de ceux qui osaient ainsi menacer le roi; la chose se poussa si loin entre lui et l'amiral, que le roi fut obligé de leur imposer silence.

Il y eut un autre démêlé entre l'amiral et le duc de Guise : l'amiral avait témoigné qu'il trouvait étrange qu'on eût redoublé la garde du roi; qu'il n'y avait rien déplus pernicieux que d'accoutumer un jeune prince à craindre ses sujets et é en être craint; que leur amour devait être sa seule garde. Le duc de Guise fit voir la nécessité de garder la personne sacrée du roi, au milieu de tant d'attentats, et que ceux qui voulaient le voir sans gardes se rendaient suspects; ainsi les disputes s'échauffaient, et il n'y avait guère d'utilité à espérer de l'assemblée. Tous les avis allèrent à convoquer les Etats-généraux pour régler les affaires de l'Etat, et à demander au Pape le concile œcuménique pour finir celles de la religion, faute de quoi on les terminerait en France

 

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par un concile national : en attendant on proposait une surséance aux supplices des hérétiques, sans néanmoins y comprendre les séditieux, et le roi l'ordonna ainsi.

L'évêque de Valence se signala dans cette assemblée par ses invectives contre les abus de la cour de Rome, et contre tout le clergé. C'était sa coutume de les faire violentes, et d'y mêler beaucoup de choses favorables à la nouvelle religion, à laquelle il devait le commencement de sa fortune, mais cet homme, si zélé pour la discipline, l'avait lui-même violée dans un de ses chefs principaux, n'ayant point rougi de se marier étant évêque, chose détestée par tous les canons, et dont il n'y a dans toute l'histoire de l'Eglise aucun exemple approuvé. Ce mariage, quoique fait secrètement, était ignoré de peu de personnes, et il avait été publiquement reproché à ce prélat, mais son savoir et son éloquence lui donnaient beaucoup de crédit, et sa grande habileté à manier les affaires lui avait acquis l'estime et la confiance de la reine.

Durant tout le temps de l'assemblée, le cardinal de Lorraine et le duc de Guise faisaient soigneusement observer toutes les démarches de La Sague. Ce secrétaire, discoureur pour le malheur de son maître, trouva à la Cour un camarade avec qui il avait servi dans les guerres de Piémont, sous le maréchal de Brissac. Il lui parlait souvent des desseins du prince de Condé, et celui-ci ne manqua pas d'en rendre compte au maréchal, qui était revenu auprès du roi après la restitution des places d'Italie. Les princes de Guise, avertis par ce moyen, firent arrêter La Sague, qui, présenté à la question, déclara tout ce qu'il savait des desseins du roi de Navarre et de son frère; il dit qu'ils se préparaient à venir à la Cour avec une suite nombreuse de noblesse; qu'ils avaient pris des mesures pour s'emparer en passant de Tours, de Poitiers et d'Orléans, qui devait être leur place d'armes; que le connétable leur répondait de Paris, dont son fils était gouverneur. Ils avaient des intelligences en Picardie, en Bretagne, en Provence, et en beaucoup d'autres provinces, où les protestants devaient exciter de grands mouvements. On vit en effet en même temps des soulèvements presque partout; à Valence, les protestants se rendirent maîtres de l'église des Cordeliers, et ne se laissèrent apaiser qu'à peine par les promesses de leur évêque. Deux frères, nommés les Mouvans, qui s'étaient soulevés dès le temps de La Renaudie, continuaient à troubler toute la Provence; le jeune Maligni, quoiqu'il eût reçu ordre du roi de Navarre de différer une entreprise qu'il avait faite sur Lyon, ne put s'empêcher de la faire éclater, parce qu'il fut découvert, et le prévôt des marchands ne le chassa pas sans péril.

Tant de mouvements ne justifiaient que trop les dépositions de La Sague, ce qui fit résoudre d'arrêter tous ceux qui avaient quelque intelligence avec les princes. Les lettres du connétable et du vidame, dont La Sague se trouva chargé, ne disaient rien de précis; mais il découvrit que le secret était écrit dans l'enveloppe de celle du vidame,

 

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et qu'on le pourrait lire en la trempant dans l'eau. On n'y trouva autre chose, sinon que le connétable devait se servir de l'autorité des Etats, pour éloigner des affaires les princes lorrains, et le secrétaire ajoutait du sien qu'il valait encore mieux employer les armes. Le vidame fut arrêté, et fut relâché un peu après, après s'être justifié devant les chevaliers de l'Ordre, qui lui furent donnés pour juges, selon sa demande et les privilèges de l'Ordre.

A peu près dans ce même temps, Bouchard, chancelier du roi de Navarre, et l'un de ses confidents, pour se faire valoir à la Cour, dit des choses à peu près semblables à celles que La Sague avait découvertes. On distribua les troupes dans les provinces, on y envoya des seigneurs pour s'en assurer, et châtier les rebelles, et on manda aux princes de se rendre promptement à la Cour, pour accompagner le roi aux Etats. La lettre portait qu'il y avait contre eux des accusations auxquelles le roi n'ajoutait aucune croyance, mais dont il était à propos qu'ils se justifiassent; on les voulait avoir tous deux à la Cour, afin de les arrêter ensemble. La reine avait bien compris la conséquence d'une telle résolution, qui mettait toute la puissance entre les mains des princes lorrains, et l'assujettissait elle-même à leur volonté ; mais elle n'avait pu résister à l'autorité absolue que les Guises s'étaient acquise sur l'esprit du roi; cet ordre, reçu de la Cour, mit le prince de Condé dans de grandes défiances.

La douairière de Roye, sa belle-mère, femme d'un courage haut et d'un grand esprit, n'oublia rien pour l'empêcher de faire le voyage, et afin de dégoûter la Cour de le faire venir, elle écrivit à la reine, que si son gendre était mandé, il obéirait, mais qu'ayant tant d'ennemis, il ne pourrait s'empêcher de marcher bien accompagné. La reine répondit, comme elle devait, qu'il ne fallait approcher du roi qu'avec sa suite ordinaire, et dans le respect; mais que si le prince venait avec une grande suite, il en trouverait encore une plus grande auprès du roi. Cette réponse augmentait les inquiétudes du prince, qui jamais ne se serait résolu à se mettre entre les mains de ses ennemis, sans les faiblesses du roi son frère; mais d'Escars et le chancelier Bouchard, et tous ceux que le cardinal de Lorraine avait gagnés dans sa maison, ne cessaient de lui représenter le péril qu'il y avait à désobéir, et disaient hautement au prince qu'il fallait ou suivre son frère, ou rompre avec lui.

A la Cour, on craignait tant de les manquer, qu'on leur détachait tous leurs amis et leurs parents les uns après les autres, pour les attirer par de belles paroles. Antoine, comte de Crussol, alla le premier ; le cardinal de Bourbon, frère des deux princes, suivit après; tous deux étaient si bien trompés, qu'ils trompèrent aisément les autres, fis ne leur parlaient que des bonnes dispositions de la Cour, et du désir qu'on avait de les voir pour les satisfaire, de sorte que les sages, qui étaient d'avis de demeurer, non-seulement n'étaient pas écoutés, mais

 

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ils étaient même traités de brouillons ou de visionnaires. Ils partirent donc de Nérac, et à mesure qu'ils s'avançaient, le maréchal de Termes les suivait de loin avec des troupes; ils trouvèrent sur le chemin le cardinal d'Armagnac leur parent, qui, trompé comme les autres, les remplit d'espérance.

L'archevêque de Vienne, un des principaux du conseil, écrivit à la duchesse de Montpensier, très-étroitement unie et d'intérêt et d'amitié avec les princes, ce qui se tramait contre eux; et lui conseillait de leur mander, que du moins ils se saisissent des enfants du duc de Guise, pour leur servir d'otages. Tous ces avis furent inutiles : les princes étaient comme enchantés, et continuaient à marcher vers Orléans, où les Etats devaient se tenir; la Cour y était déjà. Après que le duc de Guise eut rassemblé les troupes qui lui venaient d'Ecosse et de Piémont, il mena le roi à Paris, et de là à Orléans. Il y fit son entrée le dix-huitième d'octobre ; tout le monde remarqua qu'il entra en armes, contre l'ordinaire des rois ses prédécesseurs, les gens de guerre rangés dans les places et dans les rues.

Un spectacle si nouveau alors remplit toute la ville de frayeur. Les Etats, qui faisaient la crainte et l'aversion des derniers rois, étaient désirés à la Cour, non-seulement à cause du secours d'argent qu'on en espérait dans de si pressantes nécessités, mais encore dans le dessein d'autoriser par leur présence ce qu'on méditait contre les princes. Les Guise avaient pris grand soin de s'assurer des députés, et le roi étant si bien armé, on ne doutait pas que ceux qui seraient d'humeur à résister, ne fussent contraints de céder à la force. Les Etats furent commencés par une confession de foi solennelle, dressée par la Sorbonne; le cardinal de Tournon, seconde des maréchaux de Saint-André et de Brissac, fit ordonner qu'elle fût jurée de tous les députés, sous peine de la vie.

Les princes, attendus avec une extrême impatience, arrivèrent enfin le dernier d'octobre, sans que personne allât au-devant d'eux que ceux de leur maison ; ce fut la première marque de disgrâce qu'ils eurent à leur arrivée : ensuite le roi de Navarre voulant, scion la coutume de ceux de son rang, entrer à cheval chez le roi, fut arrêté à la porte, et introduit par le guichet. Ils commencèrent à augurer mal de leurs affaires; la froide réception que leur fit le roi acheva de les confondre; et on fut étonné que les Guise, qui étaient dans la chambre auprès de lui, ne daignassent pas quiller leur place, ni faire un pas pour les recevoir.

A peine étaient-ils entrés, que le roi les mena dans la chambre delà reine sa mère, devant laquelle il dit sèchement au prince de Condé qu'il désirait qu'il se justifiât de quelques accusations auxquelles il voulait bien n'avoir pas de croyance; ils crurent voir tomber quelques larmes des yeux de la reine. Pendant qu'ils se préparaient à parler, le roi coupa court et les renvoya; le prince fut arrêté au sortir de la

 

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chambre, se plaignant on vain de son frère le cardinal de Bourbon, et de ses amis, qui l'avaient trompé. Comme le roi de Navarre vit qu'on le faisait prisonnier, il demanda qu'on le mit en sa garde; mais loin de l'écouter, on lui donna des gardes à lui-même, après lui avoir été tous ses gens. Le même jour on arrêta Groslot, bailli d'Orléans, qui était de l'intelligence du prince, et on envoya des ordres pour arrêter en Picardie la douairière de Roye sa belle-mère; on s'assura aussi du vidame, qui ne sortit plus de sa prison, où le chagrin le fit mourir peu de temps après.

L'amiral, quoique caressé à la Cour, était en crainte, et d'Andelot plus défiant s'était relire; le connétable venait lentement, sous prétexte d'indisposition, et s'arrêta à Paris. Bouchard, qui avait trahi son maître, n'évita pas la prison; et on l'arrêta contre son attente, pour être confronté au prince, à qui on donna des commissaires. Le chancelier devait présider au jugement, et la résolution prise dans le conseil de lui faire son procès, était signée de tous les seigneurs qui le composaient, à la réserve des princes lorrains; ils crurent en s'excusant éviter la haine d'une action si hardie.

Le chancelier vint interroger le prince, qui refusa de répondre, alléguant le privilège de sa naissance, qui ne permettait pas qu'il fût jugé autre part que dans la cour des pairs, tous les pairs appelés, et le roi présent; ainsi avait-il été pratiqué au procès du duc d'Alençon, sous Charles VII, et à celui du connétable de Bourbon. Il ne fut point écouté, et son opposition, souvent réitérée en présence du chancelier et des commissaires, fut rejetée par plusieurs arrêts du conseil secret. Tout le monde était étonné d'une si grande contravention aux lois du royaume, faite à la face des Etats, et qu'on refusait à un si grand prince d'être jugé en plein parlement, ce qu'on n'avait pas encore dénié au moindre conseiller ; enfin il fallut répondra aux commissaires, et le prince se contenta de protester que c'était par violence.

La princesse de Condé sa femme obtint qu'on lui donnerait un conseil; mais on lui refusa la liberté de communiquer avec elle, avec ses frères et ses amis, mémo en présence de témoins choisis par le roi.

Malgré les murmures de la Cour et de tout le peuple, les Lorrains faisaient poursuivre le procès avec une précipitation inouïe, et déjà les preuves étaient si considérables, qu'ils tenaient la perte du prince assurée; mais ils croyaient n'avoir rien fait, s'ils n'enveloppaient le roi de Navarre dans la même condamnation : car quelle apparence de perdre le prince, en lui laissant un vengeur dont le nom seul était capable de faire remuer toute la France? Cependant il n'y avait contre lui que de faibles soupçons. On dit que les Lorrains conçurent alors le dessein de le faire poignarder en la présence du roi, et que sur le point de l'exécution, le jeune prince n'en osa donner l'ordre, au grand déplaisir du duc de Guise ; mais la chose, pour son importance,

 

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demanderait de plus grandes preuves. Pour le prince, il se voyait a. la veille d'être condamné, sans toutefois montrer la moindre crainte, sait que, ferme naturellement, il eût mis en celle occasion dans sa fermeté sa principale défense, sait qu'en effet il n'ait jamais cru qu'on osât venir aux extrémités, ni exciter, en versant son sang, l'indignation de toute la France ; on ne laissait pas de poursuivre son procès avec chaleur, et déjà la condamnation de Groslot servait de préjugé à la sienne.

La reine tâchait cependant d'exciter le chancelier à s'opposer aux desseins des princes lorrains. Leur autorité était si grande, qu'il n'osa jamais rien entreprendre; mais il survint d'autres obstacles auxquels on ne pensait pas. Le 16 de novembre, le roi étant allé à la chasse, pour n'être pas présent au supplice de Groslot, fut saisi inopinément de douleurs extraordinaires ; un abcès formé dans son cerveau lui avait pourri l'oreille. Les princes lorrains publièrent que ce n'était rien, et pressèrent avec une précipitation inouïe le jugement du prince, la reine n'osant parler, tant que la santé du roi ne fut pas tout à fait désespérée. L'arrêt de mort fut prononcé, le chancelier refusa de le signer ; on obligea le roi, tout malade qu'il était, à mander la plupart des seigneurs pour les y faire souscrire, et de tous ceux qui furent mandés, Louis du Beiil, comte de Sancerre, fut le seul qui ne se laissa jamais fléchir, et le roi admira sa constance; le jour destiné à l'exécution était venu, quand les médecins déclarèrent que le mal du roi était sans remède.

Les Lorrains, auparavant si absolus, tournèrent leur orgueil en flatterie , et supplièrent la reine avec des soumissions extraordinaires, de se défaire d'un seul coup de deux ennemis. Ils l'avaient déjà résolue à confiner le roi de Navarre dans une prison perpétuelle : maintenant ils voulaient sa mort, et déjà la reine commençait à craindre un prince qui pouvait lui disputer la régence qu'elle espérait durant le bas âge de Charles son second fils, qui n'avait que onze ans. Le chancelier la trouva irrésolue, et lui représenta les inconvénients où elle allait se précipiter ; qu'elle allait soulever contre elle toute la noblesse et tous les peuples, qui respectaient naturellement le sang royal, et ne le verraient répandre qu'avec horreur : mais de plus que ferait-elle du roi de Navarre? le laisserait-elle en vie, afin que son frère eût un vengeur implacable et puissant? d'entreprendre de le faire mourir, quelle apparence ? Il n'y avait rien à lui reprocher que les fautes et le malheur de son frère; que craignait-elle, habile comme elle était, autorisée et ayant sa maison pleine de rois? Ces considérations étaient puissantes; mais le roi de Navarre avait besoin que la duchesse de Montpensier achevât de la guérir des soupçons qu'elle avait conçus contre lui. Cette princesse, aimée de la reine, n'avait cessé de lui dire qu'elle se perdrait elle-même en perdant les princes, et qu'il ne lui restait plus que de se livrer tout à fait aux Lorrains, quand elle aurait

 

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ôté le seul contrepoids de leur pouvoir; mais ce qu'elle fît de plus essentiel, fut de lui dire qu'elle lui répondait du roi de Navarre, qui s'unirait sincèrement à ses intérêts.

Cette parole fit tout l'effet qu'elle en attendait; mais la reine, pour s'assurer davantage, voulut elle-même parler à ce prince. François de Montpensier, dauphin d'Auvergne, fils de la duchesse, fut chargé de l'introduire secrètement chez la reine. Elle sut bien entrer dans les sentiments du roi de Navarre contre les princes lorrains, qu'elle promit d'éloigner avec le temps, et rejeta sur eux tout ce qui s'était entrepris contre les Bourbons : sans s'expliquer davantage dans ce premier entretien, elle renvoya le roi de Navarre content de son procédé ; et résolu de la satisfaire, il lui en donna sa parole. Il obtint aisément le retour du connétable, que la reine souhaitait autant que lui, et sans insister beaucoup sur la liberté de son frère, il la vit assez assurée par la conjoncture des affaires; mais la reine voulait dans le temps faire valoir au roi de Navarre cette délivrance.

Français mourut le 5 de décembre, âgé de dix-huit ans. On remarqua que le cardinal de Lorraine, qui l'assistait à la mort, lui recommanda hautement de prier Dieu qu'il lui pardonnât ses fautes, et ne lui imputât pas celles de ses ministres. C'est en effet ce qu'avait à craindre un prince qui n'avait jamais agi de son mouvement. Les courtisans ne manquèrent pas à tourner cette parole du cardinal contre lui-même.

On ne put empêcher le peuple de soupçonner du poison dans la maladie survenue au roi, et le bruit s'en répandit dans les pays étrangers, sans qu'il eût d'autre fondement que l'inclination qu'ont les hommes à chercher des causes extraordinaires à la mort des princes. Les continuelles infirmités de François II ne lui promettaient pas une plus longue vie, et servirent seules d'excuse à la faiblesse pitoyable qu'il fit paraitre durant tout son règne.

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