Politique IX
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LIVRE IX. DES SECOURS DE LA ROYAUTÉ:

LES ARMES, LES RICHESSES OU LES FINANCES.
LES CONSEILS.

 

 

ARTICLE PREMIER. Le la guerre et de ses justes motifs, généraux et particuliers.

Ire PROPOSITION. Dieu forme les princes guerriers.

IIe PROPOSITION. Dieu fait un commandement exprès aux Israélites de faire la guerre.

IIIe PROPOSITION. Dieu avait promis ces pays à Abraham et à sa postérité.

IVe PROPOSITION. Dieu voulait châtier ces peuples, et punir leurs iniquités.

Ve PROPOSITION. Dieu avait supporté ces peuples avec une longue patience.

VIe PROPOSITION. Dieu ne veut pas que l'on dépossède les anciens habitants des terres : ni que l'on compte pour rien les liaisons du sang.

VIIe PROPOSITION.

ARTICLE II. Des injustes motifs de la guerre.

Ire PROPOSITION. Premier motif: les conquêtes ambitieuses.

IIe PROPOSITION. Ceux qui aiment la guerre et la font pour contenter leur ambition, sont déclarés ennemis de Dieu.

IIIe PROPOSITION. Caractère des conquérants ambitieux tracé par le Saint-Esprit.

IVe PROPOSITION. Lorsque Dieu semble accorder tout à de tels conquérants, il leur prépare un châtiment rigoureux.

Ve PROPOSITION. Second injuste motif de la guerre : le pillage.

VIe PROPOSITION. Troisième injuste motif: la jalousie.

VIIe PROPOSITION. Quatrième injuste motif: la gloire des armes et la douceur de la victoire. Premier exemple.

VIIIe PROPOSITION. Second exemple du même motif, qui fait voir combien la tentation en est dangereuse.

IXe PROPOSITION. On combat toujours avec une sorte de désavantage, quand on fait la guerre sans sujet.

Xe PROPOSITION. On a sujet d'espérer qu'on met Dieu de sou côté, quand on y met la justice.

XIe PROPOSITION. Les plus forts sont assez souvent les plus circonspects à prendre les armes.

XIIe PROPOSITION. Sanglante dérision des conquérants par le prophète Isaïe.

XIIIe PROPOSITION. Deux paroles du Fils de Dieu, qui anéantissent la fausse gloire, et éteignent l'amour des conquêtes.

ARTICLE III. Des guerres entre les citoyens, avec leurs motifs : et des règles qu'on y doit suivre.

XIIIe PROPOSITION. Premier exemple. On résout la guerre entre les tribus par un faux soupçon : et en s’expliquant on fait la paix.

IIe PROPOSITION. Second exemple : le peuple arme pour la juste punition d'un crime, faute d'en livrer les auteurs.

IIIe PROPOSITION. Troisième exemple. On procédait par les armes à la punition de ceux qui ne venaient pas à l'armée, étant mandés par ordre public.

IVe PROPOSITION. Quatrième exemple. La guerre entre David et Isboseth fils de Saül.

Ve PROPOSITION. Cinquième et sixième exemple. La guerre civile d'Absalon et de Séba: avec l'histoire d'Adonias.

VIe PROPOSITION. Dernier exemple des guerres civiles : celle qui commença sous Roboam par la division de dix tribus.

ARTICLE IV. Encore que Dieu fit la guerre pour son peuple d'une façon extraordinaire et miraculeuse, il voulut qu'il s'aguerrit en lui donnant des rois belliqueux et de grands capitaines.

Ire PROPOSITION. Dieu faisait la guerre pour son peuple du plus haut des cieux, d'une façon extraordinaire et miraculeuse.

IIe PROPOSITION. Cette manière extraordinaire de faire la guerre n'était pas perpétuelle : le peuple ordinairement combattait à main armée , et Dieu n'en donnait pas moins la victoire.

IIIe PROPOSITION. Dieu voulait aguerrir son peuple : et comment.

IVe PROPOSITION. Dieu a donné à son peuple de grands capitaines et des princes belliqueux.

Ve PROPOSITION. Les femmes mêmes, dans le peuple saint, ont excellé en courage, et ont fait des actes étonnants.

VIe PROPOSITION. Avec les conditions requises, la guerre n'est pas seulement légitime, mais encore pieuse et sainte.

VIIe PROPOSITION. Dieu néanmoins, après tout, n'aime pas la guerre; et préfère les pacifiques aux guerriers.

ARTICLE V. Vertus, institutions, ordres et exercices militaires.

Ire PROPOSITION. La gloire préférée à la vie.

IIe PROPOSITION. La nécessité donne du courage.

IIIe PROPOSITION. On court à la mort certaine.

IVe PROPOSITION. Modération dans la victoire.

Ve PROPOSITION. Faire la guerre équitablement.

VIe PROPOSITION. Ne se point rendre odieux dans une terre étrangère.

VIIe PROPOSITION. Cri militaire avant le combat, pour connaître la disposition du soldat.

VIIIe PROPOSITION. Choix du soldat.

IXe PROPOSITION. Qualité d'un homme de commandement.

Xe PROPOSITION. Intrépidité.

XIe PROPOSITION. Ordre d'un général.

XIIe  PROPOSITION.

XIIIe PROPOSITION. Un général apaise de braves gens en les louant.

XIVe   PROPOSITION. Mourir, ou vaincre.

XVe PROPOSITION. Accoutumer le soldat à mépriser l'ennemi.

XVIe PROPOSITION. La diligence et la précaution dans les expéditions et dans toutes les affaires de la guerre.

XVIIe PROPOSITION. Alliance à propos.

XVIIIe PROPOSITION. La réputation d'être homme de guerre tient l'ennemi dans la crainte.

XIXe PROPOSITION. Honneurs militaires.

XXe PROPOSITION. Exercices militaires, et distinctions marquées parmi les gens de guerre.

ARTICLE VI. Sur la paix et la guerre : observations sur l'une et sur l'autre.

Ire PROPOSITION. Le prince doit affectionner les braves gens.

IIe PROPOSITION. Il 'y a rien de plus beau, dans la guerre, que l'intelligence entre les chefs et la conspiration de tout l'Etat.

IIIe PROPOSITION. Ne point combattre contre les ordres.

IVe PROPOSITION. Il est bon d'accoutumer l'armée à un même général.

Ve PROPOSITION. La paix affermit les conquêtes.

VIe PROPOSITION. La paix est donnée pour fortifier le dedans.

VIIe PROPOSITION. Au milieu des soins vigilants, il faut toujours avoir en vue l'incertitude des événements.

VIIIe PROPOSITION. Le luxe, le faste, la débauche aveuglent les hommes dans la guerre, et les font périr.

IXe PROPOSITION. Il faut avant toutes choses connaître et mesurer ses forces.

XIe PROPOSITION.  Il y a des moyens de s'assurer des peuples vaincus, après la guerre achevée avec avantage.

XIe PROPOSITION. Il faut observer les commencements et les fins des règnes, par rapport aux révoltes.

XIIe PROPOSITION. Les rois sont toujours armés.

 

 

ARTICLE PREMIER. Le la guerre et de ses justes motifs, généraux et particuliers.

 

Ire PROPOSITION. Dieu forme les princes guerriers.

 

C'est ce qui fait dire à David : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui donne de la force à mes bras pour le combat, et forme mes mains à la guerre (1). »

 

IIe PROPOSITION. Dieu fait un commandement exprès aux Israélites de faire la guerre.

 

Dieu ordonne à son peuple de faire la guerre à certaines nations.

Telles étaient les nations, dont il est écrit : « Vous détruirez devant vous plusieurs nations : le Héthéen, le Gergéséen, l'Amorrhéen, le Chananéen, le Phéréséen, le Hévéen, et le Jébuséen : sept nations plus grandes et plus fortes que vous; mais Dieu les a livrées entre vos mains, afin que vous les exterminiez de dessus la terre. Vous ne ferez jamais de traités avec elles, et vous n'en aurez aucune pitié (2). »

Et encore : « Vous ne ferez jamais de paix avec elles : et vous ne leur ferez aucun bien durant tous les jours de votre vie, dans toute l'éternité (3). » Voilà une guerre à toute outrance, à feu et à sang, irréconciliable, commandée au peuple de Dieu.

 

1 Ps., CXLIII, 1. — 2 Deut., VII, 1, 2. — 3 Deut., XXIII, 6.

 

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C'est pourquoi Saül est puni sans miséricorde et privé de la royauté, pour avoir épargné les Amalécites (1), un de ces peuples Chananéens maudits de Dieu.

 

IIIe PROPOSITION. Dieu avait promis ces pays à Abraham et à sa postérité.

 

Ce sont les peuples dont le Seigneur avait promis à Abraham de lui donner le pays, par ces paroles : Lève les yeux, et regarde depuis le lieu où tu es. Je te donnerai toute la terre qui est devant toi, au midi et au nord, vers l'orient et vers l'occident, pour être ton héritage éternel et incommutable, et celui de ta postérité (2). »

Et encore : « Dieu fait un traité d'alliance avec Abraham, et lui dit : Je donnerai à ta postérité toute cette terre, depuis le Nil qui arrose l'Egypte jusqu'au grand fleuve d'Euphrate : les Cinéens, les Héthéens, les Amorrhéens (3), » et les autres qu'on vient de nommer.

 

IVe PROPOSITION. Dieu voulait châtier ces peuples, et punir leurs iniquités.

 

C'étaient des nations abominables et dès le commencement adonnées à toute sorte d'idolâtrie, d'injustices et d'impiétés : race maudite depuis Cham et Chanaan, à qui la malice avait passé en nature par ses habitudes corrompues. Comme il est écrit dans le livre de la Sagesse : « Seigneur, vous les aviez en horreur, parce que leurs actions étaient odieuses, et leurs sacrifices exécrables. Ces peuples immolaient leurs propres enfants à leurs dieux : ils n'épargnaient ni leurs hôtes ni leurs amis : et vous les avez perdus par la main de nos ancêtres, parce que leur malice était naturelle et incorrigible (4). »

Tels étaient, dit le Saint-Esprit dans ce divin Livre, les anciens habitants de la Terre-Sainte. Et c'est pourquoi Dieu les en chassa par un juste jugement, pour la donner aux Israélites.

 

1 I Reg., XV, 7, 8, 9 et seq. — 2 Gen., XIII, 14, 15. — 3 Ibid., XV, 18 et seq. — 4 Sap., XII, 3, 4 et seq.

 

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Ve PROPOSITION. Dieu avait supporté ces peuples avec une longue patience.

 

« Les iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore accomplies, dit le Seigneur à Abraham (1). »

Quelque volonté qu'il eût de donner à un serviteur si fidèle et si chéri l'héritage qu'il avait promis à sa foi, il en suspend la donation actuelle par un conseil de miséricorde.

Mais encore combien durera ce délai? Quatre cents ans, dit-il (2), pendant lesquels il exerce la patience de son peuple, et attend ses ennemis à la pénitence. En attendant, dit-il, « Tes enfants seront affligés quatre cents ans. » Tant il a de peine à déposséder de leur terre des peuples médians et maudits.

Arbitre de l'univers, qui vous obligeait à tant de ménagements, vous qui ne craignez personne? comme il est marqué dans le livre de la Sagesse. « Et qu'avait-on à vous dire, quand vous eussiez fait périr une des nations que vous avez faites? Mais c'est que vous voulez montrer que vous faites tout avec justice, et que plus vous êtes puissant, plus vous aimez à pardonner (3). »

 

VIe PROPOSITION. Dieu ne veut pas que l'on dépossède les anciens habitants des terres : ni que l'on compte pour rien les liaisons du sang.

 

Quoique maître absolu de toute la terre pour la donner à qui il lui plait, Dieu ne se sert pas de ce droit et de ce domaine souverain, pour déposséder de leur pays les peuples qui en avaient la jouissance paisible : et il ne les en dépouille pour le donner à son peuple, que parmi juste châtiment de leurs crimes.

C'est par cette raison qu'il donne cet ordre exprès aux Israélites : « Vous passerez par les confins de vos frères les enfants d'Esaü, qui occupent le mont de Séir, et qui seront effrayés de votre passage. Mais prenez garde soigneusement de ne faire aucun mouvement contre eux. Car je ne vous donnerai aucune parcelle de cette montagne que j'ai donnée en possession aux enfants

 

1 Gen., XV, 16. — 2 Ibid. 13. — 3 Sop., XII, 13 - 16.

 

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d'Esaü, pas même autant qu'en pourrait couvrir le pas d'un homme. 'Vous garderez avec eux toutes les lois du commerce et delà société). Vous achèterez leurs vivres argent comptant, et leur paierez jusqu'à l'eau que vous puiserez dans leurs puits, et que vous boirez (dans un pays où elle est si rare). Vous ne passerez point sur leurs terres, mais vous prendrez un chemin détourné, (1) » de peur d'avoir occasion de querelle avec eux.

« Usez-en de même envers les Moabites et les Ammonites » (descendants de Lot cousin d'Abraham, et comme lui sorti de Thaïe leur père commun). Ne combattez point contre eux ; car je ne vous donnerai aucune partie de leur terre, parce que je l'ai donnée aux enfants de Lot (2). »

Les anciens habitants de ces terres, que Dieu avait données aux enfants d'Esaü et à ceux de Lot, sont appelés des géants, et d'autres noms odieux (3), qui dans le style de l'Ecriture signifient des hommes robustes et de grande taille, mais sanguinaires, injustes, violents, oppresseurs et ravisseurs. Et l'Ecriture le marque, pour montrer que Dieu les avait livrés à une juste vengeance, quand il les chassa de leurs terres ; encore que ce ne fût pas avec un commandement aussi exprès et une providence aussi particulière, qu'il la fit paraître à son peuple dans la conquête de la Terre-Sainte.

En un mot, Dieu veut que l'on regarde les terres comme données par lui-même à ceux qui les ont premièrement occupées, et qui en sont demeurés en possession tranquille et immémoriale, sans qu'il soit permis de les troubler dans leur jouissance, ni d'inquiéter le repos du genre humain.

Dieu veut aussi que l'on conserve le souvenir de la parenté et des origines communes, si éloignées qu'elles soient.

Ainsi quelque éloignés que fussent les Israélites de Lot et d'Esaü, et même sans considérer qu'Esaü avait été un mauvais frère, il veut toujours qu'on se souvienne des pères communs, et qu'Esaü comme Jacob venait d'Isaac : parce qu'il est le père et le protecteur de la société humaine, et qu'il veut faire respecter aux

 

1 Deut., II, 4, 5, 6; II Par., XX, 10. — 2 Deut. II, 20. — 3 Ibid., 10, 11, 12, 19,

20 et seq.

 

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hommes toutes les liaisons du sang pour rendre, autant qu'il se peut, la guerre odieuse par toute sorte de titres.

 

VIIe PROPOSITION.

 

Il y a d'autres justes motifs de faire la guerre : les actes d'hostilité injustes : le refus du passage demandé à des conditions équitables : le droit des gens violé en la personne des ambassadeurs.

Outre le motif du commandement exprès de Dieu comme juste juge, qui ne paraît qu'une fois dans l'Ecriture, en voici encore d'autres.

Quatre rois conjurés entrèrent dans le pays du roi de Sodome, du roi de Gomorrhe et de trois autres rois voisins (1). Les agresseurs furent victorieux, et se retiraient chargés de butin, et emmenant leurs captifs, parmi lesquels était Lot neveu d'Abraham, qui demeurait dans Sodome. Mais Dieu lui avait préparé un libérateur. Son oncle Abraham poursuivit ces ravisseurs, les tailla en pièces ; ramena Lot, les femmes captives avec un peuple innombrable et tout le butin. Dieu agréa sa victoire, et le fit bénir par son grand pontife le célèbre Melchisédech, la plus excellente figure de Jésus-Christ.

Og, roi de Basan, vint aussi à main armée à la rencontre des Israélites pour les attaquer : et ils le taillèrent en pièces comme un agresseur injuste, et lui prirent soixante villes, malgré la hauteur de leurs murailles et de leurs tours (2).

Aussi ne doit-on pas épargner les agresseurs injustes. Et pour le refus du passage, le traitement rigoureux, mais juste, qu'on fit à Séhon roi d'Hésébon, est un exemple bien remarquable.

« Les Israélites envoyèrent des ambassadeurs à Séhon, roi d'Hésébon (pour lui faire cette paisible légation) : Nous passerons par votre terre, mais nous ne prendrons aucun détour suspect, ni à droite ni à gauche : nous marcherons dans le grand chemin. Vendez-nous nos aliments et jusqu'à l'eau que nous boirons ; nous ne vous demandons que le seul passage (3). »

Pour le rassurer davantage, on lui propose l'exemple de la conduite qu'on avait tenue avec les autres peuples. « C'est ainsi

 

1 Gen., XIV, 1 et seq. — 2 Deut , III, 1, 2 et seq. — 3 Deut., II, 26, 27, 28.

 

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qu'en ont usé les enfants d'Esaü et des Ammonites. Nous ne voulons point arrêter; et nous ne voulons que venir jusqu'au Jourdain, à la terre que notre Dieu nous a donnée (1). »

Le grand chemin est du droit des gens, pourvu qu'on n'entreprenne pas le passage par la force, et qu'on le demande à condition équitable. Ainsi on déclara justement la guerre à Séhon, dont Dieu endurcit le cœur, pour ensuite lui refuser tout pardon : et il fut mis sous le joug.

Voilà donc deux justes motifs de faire la guerre : l'injuste refus du passage demandé à des conditions équitables, et l'hostilité manifeste qui vous rend agresseur injuste.

Il faut rapporter à ce dernier motif et s'affranchir d'un joug injustement imposé, venger sa liberté opprimée (a). Et tel a été le motif des guerres des Machabées, ainsi qu'il a été rapporté ailleurs (2).

Enfin celui du droit des gens violé en la personne des ambassadeurs, est un des plus importants.

« Naas, roi des Ammonites, étant mort et son fils étant monté sur le trône, David dit : Je montrerai de l'amitié à Hanon, comme son père m'en a fait paraître (3). » Les Ammonites (qui connaissaient peu le cœur généreux et reconnaissant de David), persuadèrent à leur roi que ces ambassadeurs étaient des espions, qui venaient reconnaître le faible de la place, et exciter les peuples à la rébellion. Ainsi il leur fit un traitement indigne : et sentant combien ils avaient offensé David, ils se liguèrent contre lui avec les rois voisins. Mais David envoya contre eux Joab avec une armée, et marcha lui-même en personne pour achever cette guerre, qui lui fut heureuse.

C'est à quoi se réduisent les motifs de la guerre, qu'on nomme étrangère, qui sont marqués dans l'Ecriture.

 

1 Deut., II, 29, 30. — 2 Ci-devant, liv. VI, art. III, IIe propos., pag. 23 et suiv. — 3  II Reg., X, 2 et seq.

 

(a) IIe Edit. : ... A ce dernier motif ce qu'a fait le peuple de Dieu pour s'affranchir d un joug injustement imposé, pour venger sa liberté opprimée, et pour défendre sa religion par l'ordre exprès de Dieu. Et tel a été...

 

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ARTICLE II. Des injustes motifs de la guerre.

 

Ire PROPOSITION. Premier motif: les conquêtes ambitieuses.

 

Ce motif paraît bientôt après le déluge en la personne de Nemrod, homme farouche, qui devient par son humeur violente le premier des conquérants (1). Mais il est expressément marqué qu'il était des enfants de Chus, fils de Cham, le seul des enfants de Noé qui ait mérité d'être maudit par son père.

Le titre de conquérant prend naissance dans cette famille : et l'Ecriture exprime cet événement, en disant « qu'il fut le premier puissant sur la terre, » c'est-à-dire qu'il fut le premier que l'amour de la puissance porta à envahir les pays voisins.

 

IIe PROPOSITION. Ceux qui aiment la guerre et la font pour contenter leur ambition, sont déclarés ennemis de Dieu.

 

« Je redemanderai votre sang de la main de toutes les bêtes, et de celles de tous les hommes qui auront répandu le sang humain, qui est celui de leurs frères. Qui répandra le sang humain, son sang sera répandu, parce que l'homme est fait à l'image de Dieu (2). »

Dieu a tant d'horreur des meurtres et de la cruelle effusion du sang humain, qu'il veut en quelque façon qu'on regarde comme coupables jusqu'aux bêtes qui le versent. Il semblerait à entendre ces paroles, que Dieu voudrait obliger les animaux farouches à respecter l'ancien caractère de domination qui nous avait été donné sur eux, quoique presque effacé par le péché. Le violemment en est réputé aux bêtes comme un attentat : et c'est une espèce de punition où il les assujettit, de les rendre si odieuses, qu'on ne cherche qu'à les prendre et à les faire mourir. La raison de cette défense est admirable : « C'est, dit-il, que

 

1 Gen., X, 8-11. — 2 Ibid., IX, 5, 6.

 

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l'homme est fait à l'image de Dieu. » Cette belle ressemblance ne peut trop paraître sur la terre. Au lieu de la diminuer par les meurtres, Dieu veut au contraire que les hommes se multiplient : « Croissez, leur dit-il, et remplissez la terre (1). »

Que si ravir à un seul homme le présent divin de la vie, c'est attenter contre Dieu, qui a mis sur l'homme l'empreinte de son visage : combien plus sont détestables à ses yeux ceux qui sacrifient tant de millions d'hommes et tant d'enfants innocents à leur ambition ?

 

IIIe PROPOSITION. Caractère des conquérants ambitieux tracé par le Saint-Esprit.

 

Après que Nabuchodonosor roi de Ninive et d'Assyrie eut défait et subjugué Arphaxad roi des Mèdes, «son empire fut élevé, et son cœur s'enfla : et il envoya à tous les peuples qui habitaient dans la Cilicie, à Damas, vers le Liban et le Carmel, aux Arabes, aux Galiléens, dans les vastes plaines d'Esdrélon, aux Samaritains, et aux environs du Jourdain, et à toute la terre de Jessé jusqu'aux limites de l'Ethiopie. Il dépêcha ses envoyés à tous ces peuples, pour les obliger de se soumettre à sa puissance. Mais ces nations (jalouses de leur liberté) renvoyèrent ses ambassadeurs les mains vides, et sans leur rendre aucun honneur. Alors le roi d'Assyrie entra en indignation, et jura qu'il se défendrait contre tous ces peuples (2) ; » ou plutôt qu'il se vengerait de leur résistance.

Voilà le premier trait d'un conquérant injuste. Il n'a pas plutôt subjugué un ennemi puissant, qu'il croit que tout est à lui : il n'y a peuple qu'il n'oppresse : et si on refuse le joug, son orgueil s'irrite. Il ne parle point d'attaquer, il croit avoir sur tous un droit légitime. Parce qu'il est le plus fort, il ne se regarde pas comme agresseur : et il appelle défense, le dessein d'envahir les terres des peuples libres. Comme si c'était une rébellion de conserver sa liberté contre son ambition, il ne parle plus que de vengeance : et les guerres qu'il entreprend ne lui paraissent qu'une juste punition des rebelles.

 

1 Gen., IX, 7.— 2 Judith, I, 5, 6, et seq.

 

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Il passe outre : et non content d'envahir tant de pays qui ne relèvent de lui par aucun endroit, il croit ne rien entreprendre digne de sa grandeur, s'il ne se rend maître de tout l'univers. C'est la suite du caractère de cet injuste conquérant. « La parole fut répandue dans le palais du roi d'Assyrie, qu'il se défendrait et se vengeroit. Et appelant ses vieux conseillers, ses capitaines et ses guerriers, il leur déclara dans une assemblée tenue exprès en particulier avec eux, que sa volonté était de soumettre à son empire toute la terre habitable (1). »

Ce n'était point un conseil qu'il demandait à cette grande assemblée, il n'a pour conseil que son orgueil indomptable : et sans consulter davantage, pour en venir à l'exécution, « il donne ses ordres à Holoferne chef général de sa milice (grand homme de guerre) : et, dit-il, ne pardonne à aucun royaume, ni à aucune place forte : que vos yeux (a) ne soient touchés d'aucune pitié, et que tout fléchisse sous ma loi (2) »

C'est le second trait de cet orgueilleux caractère. Ce superbe roi n'a pas besoin de conseil ; l'assemblée de ses conseillers n'est qu'une cérémonie, pour déclarer d'une manière plus solennelle ce qui est déjà résolu, et pour mettre tout en mouvement.

Mais voici un dernier trait. C'était de ne respecter ni connaître ni Dieu ni homme, et de n'épargner aucun temple, pas même celui du vrai Dieu, qu'il eût voulu mettre en cendres avec tous les autres, au milieu de Jérusalem. Car « il avait commandé à Holoferne d'exterminer tous les dieux, afin qu'il n'y eût de Dieu que le seul Nabuchodonosor, dans toutes les terres que ses armes auraient subjuguées (3). »

Cela se fait en deux manières. Ou en s'attribuant ouvertement les honneurs divins, ainsi qu'il est arrivé presque à tous les conquérants du paganisme. Ou par les effets, lorsqu'avec un orgueil outré, sans songer qu'il y ait un Dieu, on se rapporte ses victoires à soi-même, à sa force et à ses conseils, et que l'on semble dire en son cœur : « Je suis un Dieu, » et je me suis fait moi-même, comme il est écrit dans le Prophète (4).

 

1 Judith., II, 1,2,3. — 2 Ibid., n, 4,5,6. — 3 Ibid., III, 13. — 4 Ezech., XXVIII, 2,

(a) IIe Edit. : Que tes yeux.

 

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Ou pour répéter les paroles d'un autre Nabuchodonosor : a N'est-ce pas là cette grande Babylone, que j'ai bâtie dans la force de ma puissance, et dans l'éclat de ma gloire, pour être le siège de mon empire (1) ? » sans songer qu'il y a un Dieu, à qui on doit tout.

Tel est le caractère des conquérants ambitieux, qui enivrés du succès de leurs armes victorieuses, se disent les maitres du monde, et que leur bras est leur Dieu.

 

IVe PROPOSITION. Lorsque Dieu semble accorder tout à de tels conquérants, il leur prépare un châtiment rigoureux.

 

« J'ai donné toutes les terres et toutes les mers à Nabuchodonosor roi de Babylone, mon serviteur (2) » (et ministre de mes justes vengeances). Ce n'est pas à dire qu'il les ait données afin qu'il en fût le légitime possesseur : c'est-à-dire que par un secret jugement, il les a abandonnées à son ambition pour les occuper et les envahir. Rien n'échappera de ses mains : « et jusqu'aux oiseaux du ciel (c'est-à-dire ce qu'il y a de plus libre) y tombera (3). »

Voilà en apparence une faveur bien déclarée : mais le retour est terrible. « Le marteau qui a brisé les nations de l'univers, est brisé lui-même (4). Le Seigneur a rompu la verge, dont il a frappé le reste du monde d'une plaie irrémédiable (5). Je tombe sur toi, ô superbe, dit le Seigneur des armées : ton jour est venu, et le temps où tu seras visité (par la justice divine) : Dieu renversera Babylone, comme il a fait Sodome et Gomorrhe, et ne lui laissera aucune ressource (6). Il n'y a plus de remède à ses maux : son jugement est monté jusqu'aux cieux, et a percé les nues (7). »

 

Ve PROPOSITION. Second injuste motif de la guerre : le pillage.

 

Ainsi s'armèrent les quatre rois dont on vient de parler (8) : et ils relevèrent le riche butin et les captifs qu'Abraham délivra.

 

1 Dan , IV, 27. — 2 Jerem., XXVII, 6. — 3 Dan., II, 38. — 4 Jerem., 4, 23. —  5 Isai., XIV, 5, 6. — 6 Jerem., L, 31, 4.— 7 Ibid., LI, 9.— 8 Gen., XIV, 9, 11, 12. Ci-devant, art. I, VIIe propos., pag. 133.

 

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Si l'on souffre de telles guerres, il n'y aura plus de royaume ni de province tranquille. C'est pourquoi Dieu oppose à ces ravisseurs la magnanimité d'Abraham, qui ne se réserve rien du butin qu'il avait recous (a), que ce qui appartenait à ses alliés, compagnons de son entreprise. Et au surplus il ne veut pas que personne se put vanter sur la terre d'avoir enrichi Abraham (1) » Souvent aussi Dieu livre ceux qui pillent à d'autres pillards. Ecoutez Isaïe. « Malheur à vous qui pillez! Ne serez-vous pas pillés vous-mêmes? Et vous qui méprisez (toutes les lois de la justice et croyez pouvoir tout voler impunément), ne serez-vous pas méprisés par quelque autre plus puissant que vous? Oui, quand vous aurez cessé de piller, on vous pillera. Et quand las de combattre, vous cesserez de mépriser vos ennemis (au milieu des périls d'une guerre injuste), vous tomberez dans le mépris (2). »

 

VIe PROPOSITION. Troisième injuste motif: la jalousie.

 

« Isaac s'enrichit, et sa puissance allait toujours croissant, jusqu'à ce qu'il devînt très-grand : et alors les Philistins lui portant envie, exercent contre lui des hostilités et des violences injustes. Et le roi du pays lui fit dire : Retirez-vous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous (3). »

Quoique cette raison de lui nuire fut basse et injuste, il céda pour le bien de la paix, se retirant dans le voisinage : et l'affaire se termina par un traité de paix solennel, où ses ennemis reconnurent le tort qu'ils avaient et le bon droit d'Isaac.

 

VIIe PROPOSITION. Quatrième injuste motif: la gloire des armes et la douceur de la victoire. Premier exemple.

 

Il n'y a rien de plus flatteur que cette gloire militaire : elle décide souvent d'un seul coup des choses humaines, et semble avoir une espèce de toute-puissance, en forçant les événements : et

 

1 Gen. XIV, 23, 21. — 2 Isai., XXXIII, 1. —3 Gen., XXVI, 12, 13 et seq.

(a) IIe Edit., : Fait.

 

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c'est pourquoi elle tente si fort les rois de la terre. Mais on va voir combien elle est vaine.

Amasias roi de Juda avait remporté des victoires signalées contre l’Idumée (a), et en avait pris les forteresses les plus renommées. Enflé de ce succès, il envoya des ambassadeurs à Joas roi d'Israël, pour lui dire : Venez, et voyons-nous (à main armée; éprouvons nos forces). Joas (plus modéré) lui fit répondre : Vous avez prévalu contrôles enfants d'Edom, et votre cœur s'est enflé : contentez-vous de cette gloire, et demeurez en repos. Pourquoi voulez-vous vous attirer un grand mal, et tomber vous et votre peuple sous ma main? Amasias n'acquiesça pas à ce sage conseil. Le roi d'Israël marcha : ils se virent, comme Amasias l'avait proposé, à Bethsamès, ville de Juda. Ceux de Juda furent battus, et prirent la fuite : Joas prit Amasias, et le remena (b) dans Jérusalem, et fit démolir quatre cents coudées de murailles de cette ville royale : et en enleva tout l'or et tout l'argent qui s'y trouva, et tous les vaisseaux de la maison du Seigneur (de celle d'Obédédom, où l'arche avait reposé du temps de David), et du palais ; et prit des otages, et retourna à Samarie   » Tel fut le fruit de la querelle que fit Amasias à Joas, sans autre sujet que celui d'une vaine gloire, et de faire paraître ses forces et le courage des siens.

 

VIIIe PROPOSITION. Second exemple du même motif, qui fait voir combien la tentation en est dangereuse.

 

« Néchao roi d'Egypte marcha en bataille contre les Charcamites le long de l'Euphrate : et Josias alla à sa rencontre (2). Mais Néchao lui envoya des ambassadeurs pour lui dire : Qu'ai-je à démêler avec vous, roi de Juda? Ce n'est pas à vous que j'en veux : J'attaque un autre pays, où Dieu m'a commandé de marcher en diligence : ne combattez plus contre Dieu qui est avec moi, de peur que je ne vous fasse périr. Josias ne voulut point s'en retourner; mais il se mit en état de faire la guerre, et ne voulut point écouter Néchao, qui lui parlait de la part de Dieu.

 

1 IV Reg., XIV, 7, 8 et seq. — 2 II Paral., XXXV, 20, 21 et seq.

(a) IIe Edit.: Contre l'Iduméen.— (b) IIe Edit. ; Ramena.

 

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Il s'avança donc pour combattre dans la plaine de Mageddo. Blessé par les archers, il dit à ses serviteurs : Retirez-moi du combat, car je suis blessé. On l'enleva de son chariot pour le transporter dans un autre qui le suivait selon la coutume des rois, et on le ramena à Jérusalem, où il mourut pleuré de tout le peuple : et principalement de Jérémie, dont les lamentations se chantent encore aujourd'hui par tout Israël. »

Si un si bon roi se laisse tenter par le désir de la victoire, ou en tout cas par celui de faire la guerre sans raison, que ne doit-on pas craindre pour les autres ?

 

IXe PROPOSITION. On combat toujours avec une sorte de désavantage, quand on fait la guerre sans sujet.

 

On peut remarquer sur ces deux exemples, que c'est un désavantage de faire la guerre sans raison.

Une bonne cause ajoute aux autres avantages de la guerre, le courage et la confiance. L'indignation contre l'injustice augmente la force, et fait que l'on combat d'une manière plus déterminée et plus hardie. On a même sujet de présumer qu'on a Dieu pour soi, parce qu'on y a la justice, dont il est le protecteur naturel. On perd cet avantage, quand on fait la guerre sans nécessité et de gaieté de cœur : de sorte que, quel que puisse être l'événement, selon les terribles et profonds jugements de Dieu, qui distribue la victoire par des ordres et par des ressorts très-cachés, lorsqu'on ne met pas la justice de son côté, on peut dire par cet endroit-là que l'on combat toujours avec des forces inégales.

C'est même déjà un effet de la vengeance de Dieu, d'être livré à l'esprit de la guerre. Et il est écrit d'Amasias dans l'occasion que nous venons de voir, que ce prince ne voulut pas écouter les sages conseils du roi d'Israël, qui le détournait d'une guerre injustement entreprise, « parce que c'était la volonté du Seigneur, qu'il fût livré aux mains de ses ennemis, à cause des dieux d'Idumée qu'il avait servis (1).»

 

1 II Paral., XXV, 20.

 

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Xe PROPOSITION. On a sujet d'espérer qu'on met Dieu de sou côté, quand on y met la justice.

 

« Seigneur, disait Josaphat, les enfants d'Amraon et de Moab et les habitants de la montagne de Séir, ont été épargnés par nos ancêtres, lorsqu'ils sortaient de l'Egypte : et ils se sont détournés à côté, pour ue passer point sur ces terres, et n'avoir pas occasion de combattre ces peuples. Et eux au contraire ils assemblent une armée immense pour nous chasser de la terre que vous nous avez donnée. Vous donc, notre Dieu, ne les jugerez-vous pas, puisque nous n'avons point assez de force pour nous opposer à cette prodigieuse multitude qui tombe sur nous? Nous ne savons que faire pour leur résister, et il ne nous reste que de lever les yeux vers vous (1). »

Ainsi pria Josaphat : et il reçut dans le moment des assurances de la protection de Dieu.

 

XIe PROPOSITION. Les plus forts sont assez souvent les plus circonspects à prendre les armes.

 

On en a vu les exemples dans les guerres d'Amasias et de Josias. J'en ajouterai encore un dans un fait particulier.

Dans une déroute des enfants d'Israël du parti d'Isboseth, conduit par Abner contre David, « Asaël un des frères de Joab, qui se fiait en la légèreté de ses pieds plus vîtes que ceux des chevreuils habitants des forêts, poursuivait Abner sans se détourner à droite ni à gauche, et allant toujours sur ses pas. Abner regarda un moment derrière, et lui dit : Etes-vous Asaël? Oui, répondit-il. Abner poursuivit : Retirez-vous d'un côté ou d'un autre, et attachez-vous à qui vous voudrez parmi la jeunesse fugitive, pour en avoir la dépouille. Asaël ne cessa point de le presser : et Abner répéta encore : Retirez-vous, je vous prie, et cessez de me poursuivre : autrement je serai contraint de vous percer, et de vous laisser attaché à la terre : et comment pour-rai-je après cela lever les yeux devant votre frère Joab? Asaël méprisa ce discours : et Abner le frappa dans l'aîne, et le perça

 

1 II Paral., XX, 10, il et seq.

 

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d'outre en outre. Il mourut sur-le-champ de sa blessure : et tous les passants s'arrêtaient pour voir Asaël couché par terre (1). »

On ne pouvait garder plus de modération dans sa supériorité que le faisait Abner un des vaillants hommes de son temps, ni ménager davantage Joab et Asaël.

 

XIIe PROPOSITION. Sanglante dérision des conquérants par le prophète Isaïe.

 

« Comment êtes-vous tombé, bel astre qui luisiez au ciel comme l'étoile du matin? Vous qui frappiez les nations et disiez en votre cœur : Je monterai jusqu'au ciel : je m'élèverai au-dessus des astres : je prendrai séance sur la montagne du temple où Dieu a fixé sa demeure à côté du nord : je volerai au-dessus des nues, et je serai semblable au Très-Haut. Mais je vous vois plongé dans les enfers, dans l'abîme profond du tombeau. Ceux qui vous verront se baisseront pour vous considérer dans ce creux, et diront en vous regardant : N'est-ce pas là celui qui troublait la terre, qui ébranlait les royaumes, qui a fait du monde un désert, qui en a désolé les villes et renfermé ses captifs dans des cachots ? Les rois des Gentils sont morts dans la gloire, et enterrés dans leurs sépulcres : mais vous, on vous en a arraché, et vous êtes resté sur la terre, comme une branche inutile et impure, sans laisser de postérité (2). »

Et un peu devant : « Quand vous êtes tombé à terre, tout l'univers est demeuré dans l'étonnement et dans le silence : les pins mêmes se sont réjouis, et ont dit que depuis votre mort personne ne les coupe plus (pour en construire des vaisseaux et en faire des machines de guerre). L'enfer a été troublé par votre arrivée, et a envoyé au-devant de vous les géants. Les rois de la terre se sont élevés, et tous les princes des nations; et tous vous disent : Quoi donc ! vous avez été blessé comme nous? Vous êtes devenu semblable à nous ? Votre orgueil est précipité dans les enfers : votre cadavre est gisant dans le tombeau : vous êtes couché sur la pourriture, et votre couverture sont les vers (3). »

 

1 II Reg., II, 17, 18 et seq. — 2 Isai. XIV, 12, 13 et seq. — 3 Ibid., 6, 7 et seq.

 

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XIIIe PROPOSITION. Deux paroles du Fils de Dieu, qui anéantissent la fausse gloire, et éteignent l'amour des conquêtes.

 

Il n'y a rien au-dessus de ces expressions, que la simplicité de ces deux paroles du Fils de Dieu : « Que sert à l'homme de conquérir le monde, s'il perd son âme? Et qu'est-ce qu'on donnera en échange pour son âme (1) ? »

Et encore, pour foudroyer d'un seul mot la fausse gloire : « Ils ont reçu leur récompense (2). » Ils ont prié dans les coins des rues : ils ont jeûné : ils ont fait l'aumône. Ajoutons : ils ont exercé ces grandes vertus militaires, si laborieuses et si éclatantes, pour faire parler les hommes : « En vérité, je vous le dis ; ils ont reçu leur récompense. » Ils ont voulu qu'on parlât d'eux : ils sont contents : on en parle par tout l'univers : ils jouissent de ce bruit confus dont ils étaient enivrés : et vains qu'ils étaient, ils ont reçu une récompense aussi vaine que leurs projets : Receperunt mercedem suam, vani vanam (3), comme dit saint Augustin.

Que de sueurs, que de travaux, disait Alexandre (mais que de sang répandu), pour faire parler les Athéniens ! Il sentait la vanité de cette frivole récompense : et en même temps il se repais-soit de cette fumée.

 

ARTICLE III. Des guerres entre les citoyens, avec leurs motifs : et des règles qu'on y doit suivre.

 

XIIIe PROPOSITION. Premier exemple. On résout la guerre entre les tribus par un faux soupçon : et en s’expliquant on fait la paix.

 

Ceux de la tribu de Ruben et de Gad, et la moitié de la tribu de Manassé, étaient séparés de leurs frères par le Jourdain : et ils érigèrent sur les bords de ce fleuve un autel d'une grandeur immense. Le reste des enfants d'Israël ayant appris qu'on érigeait contre eux cet autel dans la terre de Chanaan, s'assemblèrent

 

1 Matth., XVI, 26. — 2 Matth., VI, 2, 5. — 3 In Ps. CXVIII, serm., XII, n. 2.

 

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tous en Silo pour combattre contre eux : et en attendant envoyèrent un député de chaque tribu, avec Phinéès fils d'Eléazar, souverain sacrificateur. Comme ils furent arrivés dans la terre de Galaad, où ils trouvèrent les Rubénistes et les autres qui élevaient cet autel, ils leur parlèrent ainsi : « Quelle est cette transgression de la loi de Dieu? Pourquoi abandonnez-vous le Dieu d'Israël, et bâtissez-vous un autel sacrilège pour vous éloigner de son culte ? Que si vous croyez que la terre que vous habitez est immonde (faute d'être sanctifiée par un autel), venez plutôt avec nous dans la terre où est établi le tabernacle du Seigneur, et y demeurez. Nous vous prions seulement de ne pas délaisser le Seigneur ni notre société, en établissant un autre autel que celui du Seigneur notre Dieu : et de ne point attirer sur nous tous sa juste vengeance, comme fit Achan par son blasphème (1). »

« Ceux de Ruben et les autres répondirent à ce discours : Le Seigneur le très-puissant Dieu sait, et tout Israël en sera témoin, que nous n'élevons cet autel que pour être un mémorial éternel du droit que nous avons, nous et nos enfants, sur les holocaustes, de peur qu'un jour vous ne leur disiez : Vous n'avez point de part au culte de Dieu. Phinéès, qui était le chef de la légation, ayant ouï cette réponse prononcée par les Rubénistes et les autres, avec exécration du sacrilège qu'on leur imputait, en fit rapport à tout le peuple qui en fut content : et le nouvel autel fut appelé : Témoignage que le Seigneur était Dieu. »

On voit là que les tribus allaient armer contre leurs frères, qu'ils estimaient prévaricateurs : mais que, sans rien précipiter, on en vint à un entier éclaircissement, comme la prudence et la charité le voulait : et la paix fut faite.

 

IIe PROPOSITION. Second exemple : le peuple arme pour la juste punition d'un crime, faute d'en livrer les auteurs.

 

Un Lévite faisant son chemin, logea en passant dans la ville de Gabaa, qui appartenait à ceux de Benjamin : il en fut indignement traité, lui et sa femme, qui mourut entre leurs bras

 

1 Jos., XXII, 10, 11 et seq.

 

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impudiques (1). Le Lévite, pour exciter la vengeance publique, en partagea le corps mort en douze morceaux, qu'il dispersa dans tous les confins d'Israël. A ce spectacle, chacun s'écriait : « On n'a jamais vu une telle chose en Israël. Assemblez-vous, dit-on aux tribus, et ordonnez en commun ce qu'il faut faire (2). »

Les tribus étant assemblées, il fut ordonné qu'avant toutes choses on demanderait les coupables (3). Mais au lieu de les livrer, ceux de Benjamin en entreprirent la défense, et se jetèrent dans Gabaa au nombre de vingt-cinq mille combattants, tous gens de main et de courage et très-instruits dans l'art de la guerre. Cependant les tribus entreprirent une guerre si difficile : et après divers combats avec un événement douteux, la tribu de Benjamin fut exterminée, à la réserve de six cents hommes, qui avaient échappé à tant de sanglantes batailles.

Outre la difficulté de cette guerre, il y avait encore à considérer l'extinction d'une tribu dans Israël. C'est de quoi toutes les tribus étaient affligées : « Quoi donc, disait-on (4), il périra une des tribus, une des sources d'Israël? » Mais la justice l'emporta : et tout ce qu'obtint le regret d'une perte si considérable, c'est d'aider cette misérable tribu, autant qu'on pouvait, à se rétablir par le mariage.

 

IIIe PROPOSITION. Troisième exemple. On procédait par les armes à la punition de ceux qui ne venaient pas à l'armée, étant mandés par ordre public.

 

C'est ce qui paraît dans la même guerre, où l'on introduisit une accusation en demandant : « Qui sont ceux qui ne se sont pas rendus à l'assemblée générale? On trouva que ceux de Jabès Galaad y avaient manqué : et on choisit dix mille des meilleurs soldats pour les passer au fil de l'épée (5). »

Gédéon avait puni à peu près de même ceux de Soccoth, qui par un esprit de révolte refusèrent des vivres à l'armée qui marchait à l'ennemi. Il prit la tour de Phanuel, où ils mettaient leur espérance : il la démolit, et en fit mourir les habitants (6).

 

1 Jud., XIX, 1, 2 et seq. — 2 Ibid., 30. — 3 Ibid., XX, 1, 2 et seq. — 4 Ibid., XXI, 3, 6, 7 et seq. — 5 Ibid., 8, 9, 10. — 6 Ibid., VIII, 5, 6 et seq.

 

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C'est ainsi qu'on ùte aux rebelles et aux mutins les forteresses dont ils abusent : et on laisse un exemple à la postérité du châtiment qu'on en fait.

On voit clairement par ces exemples, que la puissance publique doit être année, afin que la force demeure toujours au souverain.

 

IVe PROPOSITION. Quatrième exemple. La guerre entre David et Isboseth fils de Saül.

 

Tout le royaume de Saül, après la mort de ce prince, appartenait à David. Dieu en était non-seulement le maître absolu par son domaine souverain et universel, mais encore le propriétaire par ses titres particuliers sur la famille d'Abraham et sur tout le peuple d'Israël. Dieu donc ayant donné ce royaume entier à David qu'il avait fait sacrer par Samuel, et à sa famille, on ne peut douter de son droit : et néanmoins Dieu voulait qu'il conquît ce royaume qui lui appartenait à si juste titre.

Ce droit de David avait été reconnu par tout le peuple, et même par la famille de Saül. Jonathas fils de Saül dit à David : «Je sais que vous régnerez sur Israël, et je serai le second après vous : et mon père ne l'ignore pas » En effet Saül lui-même dans un de ses bons moments , avait parlé à David en ces ternies : « Comme je sais que vous régnerez très-certainement, et que vous aurez en main le royaume d'Israël, jurez-moi que vous conserverez les restes de ma race (2). » Ainsi le droit de David était constant.

Ce qui retarda l'exécution de la volonté de Dieu, fut qu'Abner fils de Ner, qui commandait les années sous Saül, fit valoir le nom de ce prince, et mit son fils Isboseth sur le trône durant sept ans (3) : pendant que David régnait à Hébron sur la maison de Juda.

Quelque certain et reconnu que fût le droit de David, il n'usa pas de ses avantages durant cette guerre, et ménagea le sang des citoyens. Eu ce temps Les Philistins, ennemis du peuple de Dieu, n’entreprenaient rien et David n'avait rien à craindre du côté des étrangers : ainsi il ne pressait pas Isboseth, et le laissa

 

1 I Reg., XXIII, 17. — 2 Ibid., XXIV, 21, 22. — 3 II Reg., II, 8 et seq.

 

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deux ans paisible sans faire aucun mouvement. La guerre s'alluma ensuite : « et il y eut un combat assez rude entre les deux partis (1). » Mais Abner d'une hauteur où il s'était rallié, avec ce qu'il avait de troupes plus affectionnées à la maison de Saül, qui étaient celles de la tribu de Benjamin, d'où il était, « ayant crié à Joab, qui poursuivait âprement (a) l'armée en déroute : Jusqu'à quand poursuivrez-vous des fugitifs : et voulez-vous les passer tous au fil de l'épée? Ignorez-vous ce que peuvent de braves gens dans le désespoir ? et ne vaut-il pas mieux empêcher vos troupes de pousser à bout leurs frères (2)? » Joab ne demandait pas mieux ; et n'eut pas plutôt ouï le reproche d'Abner, qu'il lui répondit : « Vive le Seigneur, si vous aviez parlé plus tôt, le peuple dès le matin aurait cessé de poursuivre son frère. Il fit en même temps sonner la retraite : et le combat, qui avait duré jusqu'au soir, cessa à l'instant. »

On voit en cette conduite l'esprit où l'on était d'épargner le sang fraternel, c'est-à-dire celui des tribus toutes sorties de Jacob. C'est le seul combat mémorable qui fut donné : et quelque rude qu'il eût été, on ne trouva parmi les morts que dix-neuf hommes du côté de David ; et de celui d'Abner, quoique battu, seulement trois cent soixante.

On remarque même que David n'alla jamais en personne à cette guerre, de peur que la présence du roi n'engageât un combat général. Ce prince ne voulait pas tremper ses mains dans le sang de ses sujets : et il ménagea autant qu'il pouvait les restes de la maison de Saül, à cause de Jonathas. Ce ne furent que rencontres particulières, où, comme « David allait toujours croissant et se fortifiant de plus en plus, pendant que la maison de Saül ne cessait de diminuer (3), » il crut qu'il valait mieux la laisser tomber comme d'elle-même, que de la poursuivre à outrance.

Tout roulait dans le parti d'Isboseth sur le crédit du seul Abner. David n'avait qu'à le ménager, et à profiter comme il fit des mécontentements qu'il recevait tous les jours d'un maître également faible et hautain (4).

 

1 I Reg., II, 17. — 2 ibid., 26, 27, 28. — 3 Ibid., III, 1. — 4 II Reg., III, 6, 7, 8.

(a) IIe Edit. : Apparemment.

 

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Abner en son âme savait que David était le roi légitime : et un jour maltraité par Isboseth, il le menaça de faire régner David sur tout Israël, comme le Seigneur l'avait ordonné et promis (1).

Il traita en effet avec David, à qui il avait gagné tout Israël et tout Benjamin, en leur disant : « Hier et avant-hier vous cherchiez David pour le faire roi : accomplissez donc ce que le Seigneur a dit, qu'il sauverait par sa main tout Israël de la main des Philistins (2). »

Il arriva dans ces conjonctures, que Joab tua Abner en trahison. « Et sa mort ne fut pas plutôt sue par Isboseth, que les bras lui tombèrent de faiblesse, et que tout Israël fut mis en troubles (3).» Ce qui donna la hardiesse à deux capitaines de voleurs de le tuer lui-même en plein jour dans son lit, où il dormait sur le midi : et ils apportèrent sa tête à David (4).

Ainsi finit la guerre civile, comme David l'avait toujours espéré, sans presque verser de sang dans les combats. Mais David dont les mains en étaient pures, de peur qu'on ne crût qu'il avait eu part à l'assassinat d'Abner et à celui d'Isboseth, s'en disculpa par deux actions éclatantes, qui lui gagnèrent tous les cœurs.

La conjoncture des temps, où le règne qui commençait était encore peu affermi, ne permettait pas à David de faire punir Joab, dont la personne était importante et les services nécessaires. Ce qu'il put faire au sujet du meurtre d'Abner fut de dire à toute l'armée et à Joab même : « Déchirez vos habits, et revêtez-vous de sacs, et pleurez dans les funérailles d'Abner. David lui-même suivait le cercueil. Et quand on eut enterré Abner, David éleva sa voix, et dit en pleurant : Abner n'est pas mort comme un Lâche : tes mains n'ont pas été liées, ainsi qu'on fait aux vaincus ; ni tes pieds n'ont pas été mis dans les entraves : tu es tombé comme il arrive aux plus braves, devant des enfants d'iniquité. A ces mots tout Israël redoubla ses pleurs. Et comme toute la multitude venait pour manger avec le roi pendant le jour : A Dieu ne plaise, dit David, que j'interrompe le deuil, et que je goûte un morceau de pain avant le coucher du soleil.

 

1. II Reg. III, 9, 10. — 2 Ibid., 17, 18, 19. — 3 Ibid., IV, 1. — 4 Ibid., 5-8.

 

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Ainsi Dieu me soit en aide. Tout le peuple entendit ce serment; et louant ce que fit David, le reconnut innocent du meurtre d'Abner (1).»

Il fit plus, et « disait tout haut à ses serviteurs : Ne voyez-vous pas qu'Israël perd aujourd'hui un grand capitaine? Pour moi, je suis faible encore, et sacré depuis peu de temps. Ces enfants de Sarvia (c'était Joab et Abisaï son frère) me sont durs : le Seigneur rende aux méchants suivant leurs crimes (2). » C'est tout ce que permettait la conjoncture des temps.

Pour ce qui regarde Isboseth, quand ces deux chefs de brigands, Daana et Réchab, lui en apportèrent la tête, croyant lui rendre un grand service : « Vive le Seigneur, dit-il, qui m'a toujours (a) délivré de toute angoisse. Celui qui vint m'annoncer la mort de Saül, dont il se vantait d'être l'auteur, et qui croyait m'apporter une nouvelle agréable, dont il attendait récompense, fut mis à mort par mon ordre. Combien plus redemanderai-je à deux traîtres le sang d'un homme innocent, qu'ils ont tué sur son lit et qui ne leur avait fait aucun mal (3). » Ainsi périrent ces deux voleurs, comme avait péri celui qui se glorifiait d'avoir tué le roi Saül. La différence qu'y mit David, c'est que celui-ci fut puni comme meurtrier de l'oint du Seigneur : et ceux-là furent tués comme coupables du sang d'un homme innocent qui ne leur faisait aucun mal, sans l'appeler l'oint du Seigneur, parce qu'en effet il ne l'était pas.

On voit par la conduite de David, que dans une guerre civile un bon prince doit ménager le sang des citoyens. S'il arrive des meurtres, qu'on pourrait lui attribuer à cause qu'il en profite, il doit s'en justifier si hautement, que tout le peuple en soit content.

 

Ve PROPOSITION. Cinquième et sixième exemple. La guerre civile d'Absalon et de Séba: avec l'histoire d'Adonias.

 

Jamais prince n'était né avec de plus grands avantages naturels, ni plus capable de causer de grands mouvements et de former un grand parti dans un Etat, qu'Absalon fils de David. Outre

 

1 II Reg., III, 31, 32 et seq. — 2 Ibid., 38, 39. — 3 Ibid., IV, 9, 10, 11.

(a) IIe Edit. : Vive le Seigneur, qui m'a toujours.....

 

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les grâces qui accompagnaient toute sa personne (1), c'était le plus accueillant et le plus prévenant de tous les hommes. Il faisait paraître un amour immense pour la justice, et savait flatter par cet endroit-là tous ceux qui paraissaient avoir le moindre sujet de se plaindre (2). Nous l'avons observé ailleurs : et je ne sais si nous avons aussi remarqué que David s'était peut-être un peu ralenti de ce côté-là, durant qu'il était occupé de Bethsabée. Quoi qu'il en soit, Absalon sut profiter de la conjoncture, où la réputation du roi son père semblait être entamée par cette faiblesse et encore plus par le meurtre odieux d'Urie, un si brave homme, si attaché au service et si fidèle à son maître.

Il était le fils aîné du roi : le trône le regardait ; et il en était si proche, qu'à peine lui restait-il un pas à faire pour y monter.

Pour se donner un relief proportionné à une si haute naissance, « il se fit des chariots et des cavaliers, avec cinquante hommes qui le précédaient (3); » et il imposait au peuple avec cet éclat. Ce fut une faute contre la bonne politique : et il ne fallait rien permettre d'extraordinaire à un esprit si entreprenant. Le roi peu défiant de sa nature et toujours trop indulgent à ses enfants, ne le reprit pas de cette démarche hardie. Absalon le savait gagner par les flatteries : et privé dans une disgrâce de la présence du roi, il lui fit dire : « Pourquoi m'avez-vous retiré de Gessur où j'étais banni? Il m'y fallait laisser achever mes jours. Que je voie la face du roi, ou qu'il me donne la mort (4). »

Quand il eut assez établi ses intelligences par tout le royaume et qu'il se crut en état d'éclater, il choisit la ville d'Hébron, l'ancien siège de la royauté, qui lui était toute acquise, pour se déclarer. Le prétexte de s'éloigner de la Cour ne pouvait être plus spécieux, ni plus flatteur pour le roi : « Pendant que j'étais banni de votre Cour, j'ai fait vœu, si je revenais à Jérusalem pour y jouir de votre présence, de sacrifier au Seigneur dans Hébron (5). »

Absalon ne fut pas plutôt à Hébron, qu'il fit donner le signal de la révolte à tout Israël. Et on s'écria de tous côtés : «Absalon règne dans Hébron (6). »

 

1 II Reg., XIV, 25. — 2 Ibid., XV, 2 et seq. — 3 Ibid., 1. — 4 Ibid., XIV, 32. — 5  Ibid., XV, 7, 8. — 6 Ibid., 10.

 

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Ce prince artificieux engagea dans ce voyage deux cents hommes des principaux de Jérusalem (1), qui ne pensaient à rien moins qu'à faire Absalon roi : mais ils se trouvèrent cependant forcés à se déclarer pour lui. En même temps on vit paraître à la tête de son conseil « Achitophel, le principal ministre et le conseiller de David (2); que l'on consultait comme Dieu, et sous David, et depuis sous Absalon (3). » En même temps Amasa, capitaine renommé, fut mis à la tête de ses troupes (4), et ce prince n'oublia rien pour donner de la réputation à son parti.

Pour imprimer dans tous les esprits que l'affaire était irréconciliable, Achitophel conseilla à Absalon, aussitôt qu'il fut arrivé à Jérusalem, d'entrer en plein jour dans l'appartement des femmes du roi (5), afin que quand on verrait l'outrage qu'il faisait au roi dont il souillait la couche, tout le monde sentit aussitôt qu'il était engagé sans retour, et qu'il n'y avait plus de ménagement.

Tel était l'état des affaires du côté des rebelles. Considérons maintenant la conduite de David.

Il commença d'abord par se donner du temps pour se reconnaître; et abandonnant Jérusalem, où le rebelle devait venir bientôt le plus fort pour l'accabler sans ressource, il se retira dans un lieu caché du désert avec l'élite des troupes (6).

Comme il sentit la main de Dieu qui le punissait selon la prédiction de Nathan, il entra à la vérité dans l'humiliation qui convenait à un coupable que son Dieu frappait, se retirant à pied en pleurant avec toute sa suite, la tête couverte et reconnaissant le doigt du Seigneur (7). Mais en même temps il n'oublia pas son devoir. Car ayant vu que tout le royaume était en péril par cette révolte, il donna tous les ordres nécessaires pour s'assurer tout ce qu'il avait de plus fidèles serviteurs ; comme les légions entretenues de Phéléthi et de Céréthi : comme la troupe étrangère d'Ethaï Géthéen : comme Sadoc et Abiathar avec leur famille (8). Il songea aussi à être averti des démarches du parti rebelle, en diviser les conseils, et détruire celui d'Achitophel qui était le plus redoutable (9).

 

1 II Reg., XV 11. — 2 Ibid., 12.— 3 Ibid., XVI, 23. — 4 Ibid., XVII, 25. — 5 Ibid., XVI, 20,21. — 6 Ibid., XV, 14, 18, 28. — 7 Ibid., 10, 21, 30. — 8 Ibid., 17, 22, 27. —9 Ibid., 31, 32 et seq.

 

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Après avoir ainsi arrêté le premier feu de la rébellion, et pourvu aux plus pressons besoins par des ordres qui lui réussirent, il se mit en état de combattre. Il partagea lui-même son armée en trois (ce qu'il faut une fois observer), parce que cette division était nécessaire pour faire combattre sans confusion, surtout de grands corps d'armées telles qu'on les avait alors. Il en nomma les officiers et les commandants, et leur dit : « Je marcherai à votre tête (1). » Il vit bien qu'il y allait du tout pour la royauté : et crut qu'il n'avait point à se ménager, comme on a vu qu'il avait fait contre Isboseth.

Tout le peuple s'y opposa, en lui disant « qu'ils le comptaient lui seul pour dix mille hommes : et que quelque malheur qui leur arrivât dans le combat, ils ne seraient point sans ressource, tant que le roi leur resterait (2). »

Nous avons remarqué ailleurs (3), qu'il ne fit point le faux brave à contre-temps, et qu'il céda aux sages conseils qui avaient pour objet le bien du royaume.

Il n'oublia pas le devoir de père ; et recommanda tout haut à Joab et aux autres chefs de sauver Absalon (4). Le sang royal est un bien de tout l'Etat, que David devait ménager, non-seulement comme père, mais encore comme roi.

On sait l'événement de la bataille ; comme Absalon y périt, malgré les ordres de David; et comme, pour épargner les citoyens, on cessa de poursuivre les fuyards (5).

David cependant fit une faute considérable, où le jeta son bon naturel. Il s'affligeait démesurément de la perte de son fils, s'écriant sans cesse d'un ton lamentable : « Mon fils Absalon, Absalon mon fils, qui me donnera de mourir en votre place ! O Absalon mon cher fils, mon fils bien-aimé (6)! »

La nouvelle en vint à l'armée, et la victoire fut changée en deuil : le peuple était découragé, et comme un peuple battu et mis en déroute, il n'osait paraître devant le roi (7). Ce qui obligea enfin Joab à lui donner le conseil que nous avons remarqué ailleurs (8).

 

1 II Reg., XVIII, 1 et seq.— 2 Ibid., 3. — 3 Ci-devant, liv. III art. III, XIe propos. — 4  II Reg., XVIII, 5, 12. — 5 Ibid., 6, 7 et seq. —  6 Ibid., 33. — 7 Ibid., XIX, 1. 2 et seq. — 8 Ci-devant, liv. V, art. II, IIIe propos.

 

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Et ce qui doit faire entendre aux princes que dans les guerres civiles, malgré sa propre douleur contre laquelle il faut faire effort, on doit savoir prendre part à la joie publique que la victoire inspire ; autrement on aliène les esprits, et l’on s'attire et au royaume de nouveaux malheurs.

Cependant la rébellion ne fut pas sans suite. Séba fils de Bochri, de la famille de Jémini, qui était celle de Saül, souleva par ces paroles de mépris le peuple encore ému : « Nous n'avons rien de commun avec David, et le fils d'Isaï ne nous touche en rien. Le roi connut le péril, et dit à Amasa : Hâtez-vous d'assembler tout Juda. Il exécuta cet ordre lentement; et David dit à Abisaï : Le fils de Boehri va nous faire plus de mal qu'Absalon : hâtez-vous donc, et prenez Ce qu'il y a de meilleures troupes, sans lui laisser le temps de se reconnaître et de s'emparer de quelque ville   » Abisaï prit les légions de Céréthi et de Phéléthi, avec ce qu'il y avait de meilleurs soldats dans Jérusalem. Joab de son côté poursuivait Séba, qui allait de tribu en tribu soulevant le peuple, et emmenant ce qu'il pouvait de troupes choisies. Mais Joab fit entendre à ceux d'Abéla, où le rebelle s'était renfermé, qu'il ne s'agissait  que de lui seul. A sa persuasion une femme sage du pays, qui se plaignait qu'on voulait perdre une si belle ville, sut la délivrer en faisant jeter à Joab la tête de Séba par-dessus les murailles.

Ainsi finit la révolte, sans qu'il en coûtât de sang que celui du chef des rebelles. La diligence de David sauva l'Etat. Il avait raison de penser que cette seconde révolte, qui venait comme du propre mouvement du peuple et d'un sentiment de mépris, était plus à craindre que celle qu'avait excitée la présence du fils du roi. Il connut aussi combien il était utile d'avoir de vieux corps de troupes sous sa main : et tels furent les remèdes qu'il opposa aux rebelles.

On peut rapporter à ce propos ce qui arriva à Adonias, fils de David (2). Ce prince se prévalant de la vieillesse du roi son père, dont il était l'aine, voulait malgré lui s'emparer du royaume, et s'entendait pour cela avec Joab et avec Abiathar, grand sacrificateur.

 

1 II Reg., XX, 1, 2 et seq. — 2 III Reg., I, 1, 7, 3 et seq.

 

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Mais Sadoc, le prince des prêtres après lui, et Banaias avec les troupes dont il avait le commandement et la force de l'armée de David , n'était point pour Adonias. David avec ce secours prévint la guerre civile qu'Adonias, soutenu d'un grand parti, méditait ; et laissa le royaume paisible à Salomon, à qui il le destinait par ordre de Dieu.

Ainsi l'on continua à reconnaître l'utilité des troupes entretenues, par lesquelles un roi demeure toujours armé et le plus fort.

 

VIe PROPOSITION. Dernier exemple des guerres civiles : celle qui commença sous Roboam par la division de dix tribus.

 

La cause de cette révolte, dans laquelle le royaume d'Israël ou des dix tribus fut érigé, viendra plus à propos ci-après dans d'autres endroits. Nous remarquerons ici seulement :

En premier lieu, que les rois de Juda après une si grande révolte qui partagea le royaume, obligés à se défendre non-seulement contre l'étranger (1), mais encore contre leurs frères rebelles, bâtirent dans le territoire de la tribu de Juda un grand nombre de nouvelles forteresses et des arsenaux, où il y avait des magasins de vivres en abondance, et à la fois de toute sorte d'armures (2).

En second lieu, ils se préparèrent à reconquérir par les armes le nouveau royaume que la rébellion avait élevé contre la maison de David. Mais Dieu qui voulut montrer combien le sang d'Israël devait être cher à leurs frères, et que même après la division il ne fallait pas oublier la source commune, fit défendre par son prophète à ceux de Juda de faire la guerre à leurs frères (3), quoique rebelles et schismatiques.

Il arriva même dans la suite, et c'est ce qu'on remarque en troisième lieu, que le royaume de Juda s'unit par une étroite alliance avec le royaume rebelle. Car encore que contre la volonté de Dieu, et peut-être plus par la faute de ceux d'Israël que de ceux de Juda, il y eût durant quelques règnes une guerre continuelle

 

1 III Reg., XIV, 20. — 2 III Par., XI, 5, 6, 7 et seq. —  3 Reg., XII, 21; II Par. XI, 4.

 

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entre les deux royaumes (1) : néanmoins par la suite du temps l'alliance fut établie si solidement entre eux, que le pieux roi Josaphat, invité par Achab roi d'Israël, à joindre ses armes avec celles des Israélites, pour les aider à recouvrer sur le roi de Syrie une place forte qu'ils prétendaient, vint en personne pour lui dire : « Vous et moi nous ne sommes qu'un. Votre peuple n'est qu'un même peuple avec le mien : ma cavalerie est la vôtre (2). »

L'alliance se confirma dans la suite : et le même Josaphat répondit encore à Joram roi d'Israël, qui le priait de le secourir contre le roi de Moab : « J'irai avec vous : qui est à moi est à vous ; mon peuple est votre peuple, et ma cavalerie est la vôtre (3).» On voit par là, que pour le bien de la paix et pour la stabilité des choses humaines, les royaumes fondés d'abord sur la rébellion, dans la suite sont regardés comme devenus légitimes, ou par la longue possession, ou par les traités et la reconnaissance des rois précédents.

Et remarquez que la loi de la possession a eu lieu dans un royaume, qui avait joint la révolte contre la religion véritable à la défection.

En quatrième lieu, les rois légitimes se doivent toujours montrer les plus modérés, en tâchant de ramener par la raison ceux qui s'étaient écartés de leur devoir. Ainsi en usa le roi Abia fils de Roboam, avant que d'en venir aux mains avec les rebelles : et les armées étant en présence, il monta sur une éminence, où il fit aux Israélites avec autant de force que de douceur ce beau discours qui commence ainsi : « Ecoutez, Jéroboam et tout Israël, » leur remontrant par vives raisons le tort qu'ils avaient contre Dieu et contre leurs rois (4). Il était le plus fort sans comparaison ; mais plus soigneux encore de ramener les rebelles que de profiter de cet avantage, il ne s'aperçut pas que Jéroboam l'environnait par derrière. Il se trouva presque enveloppé par ses ennemis. Dieu prit son parti, et répandit la terreur sur les rebelles, qui prirent la fuite.

 

1 III Reg., XIV, 30; XV, 32. — 2 Ibid., XXII, 5. — 3 IV Reg., III, 7. — 4 II Par., XIII, 4, 13, 14 et seq.

 

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Nous donnerons pour cinquième et dernière remarque, que le royaume d'Israël, quoique rendu par la suite légitime et très-puissant, n'égala jamais la fermeté du royaume de Juda, d'où il s'était séparé.

Comme il s'était établi par la division, il fut souvent divisé contre lui-même. Les rois se chassaient les uns les autres. Baasa chassa la famille de Jéroboam, qui avait fondé le royaume, dès la seconde génération. Zambri sujet de Baasa se souleva contre lui, et ne régna que sept jours. Amri prit sa place, et le contraignit à mettre lui-même le feu dans le palais, où il se brûla : le royaume se divisa en deux. Amri, dont le parti prévalut et qui semblait avoir relevé le royaume d'Israël en bâtissant Samarie (1), y régna peu : et sa famille périt sous son petit-fils. Les familles royales les mieux établies virent à peine quatre ou cinq races. Et celle de Jéhu, que Dieu même avait fait sacrer par Elisée, tomba bientôt par la révolte de Sellum, qui tua le roi et s'empara du royaume (2).

Au contraire dans le royaume de Juda, où la succession était légitime, la famille de David demeura tranquille sur le trône, et il n'y eut plus de guerre civile : on aimait le nom de David et de sa maison. Parmi tant de rois qui régnèrent sur Israël, il n'y en eut pas un seul que Dieu approuvât : mais il sortit de David de grands et de saints rois imitateurs de sa piété. Le royaume de Juda eut le bonheur de conserver la loi de Moïse et la religion de ses pères. Il est vrai que pour leurs péchés, ceux de Juda furent transportés dans Babylone, et le trône de David fut renversé : mais Dieu ne laissa pas sans ressource le peuple de Juda, à qui il promit son retour dans la terre de ses pères après soixante et dix ans de captivité. Mais pour le royaume d'Israël, outre qu'il tomba plus tôt, il fut dissipé sans ressource par les mains de Salmanasar, roi d'Assyrie (3), et se perdit parmi les Gentils.

Telle fut la constitution et la catastrophe de ces deux royaumes. Celui que la révolte avait élevé malgré les rois légitimes, quoiqu'ensuite reconnu par les mêmes rois, eut en lui-même une

 

1 III Reg., XV, 27; XVI, 9, 10, 16, 18, 21, 24. — 2 IV Reg., IX, et X, 30 ; XV, 10, 2. — 3 Ibid., XVII, XVIII.

 

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perpétuelle instabilité, et périt enfin sans espérance par ses fautes.

 

ARTICLE IV. Encore que Dieu fit la guerre pour son peuple d'une façon extraordinaire et miraculeuse, il voulut qu'il s'aguerrit en lui donnant des rois belliqueux et de grands capitaines.

Ire PROPOSITION. Dieu faisait la guerre pour son peuple du plus haut des cieux, d'une façon extraordinaire et miraculeuse.

 

Ainsi l'avait dit Moïse sur les bords de la mer Rouge : « Ne craignez point ce peuple immense dont vous êtes poursuivi. Le Seigneur combattra pour vous, et vous n'aurez qu'à demeurer en repos (1). »

Outre qu'il ouvrit la mer devant eux, il mit son ange, pendant qu'ils passaient, entre eux et les Egyptiens, pour empêcher Pharaon de les approcher (2). »

A la fameuse journée où le soleil s'arrêta à la voix de Josué, pendant que l'ennemi était en fuite, Dieu fit tomber du ciel de grosses pierres comme une grêle (3), afin que personne ne put échapper, et que ceux qui avaient évité l'épée fussent accablés des coups d'en haut.

Les murailles tombaient devant l'arche; les fleuves remontaient à leur source pour lui donner (a) passage (4), et tout lui cédait.

Quelquefois Dieu envoyait à leurs ennemis dans leurs songes, des pronostics affreux de leur perte. Ils voyaient l'épée de Gédéon qui les poursuivait de si près, qu'ils ne pouvaient échapper; et ils fuyaient en désordre avec de terribles hurlements, au bruit de ses trompettes et à la lumière de ses flambeaux, et tiraient l'épée l'un contre l'autre, ne sachant à qui se prendre de leur déroute (5).

Une semblable fureur saisit les Philistins, quand Jonathas les

 

1 Exod., XIV, 13, 14. — 2 Ibid., 19, 20. — 3 Jos., X, 10, 11, 12, 13. — 4 Jos., III et VI. — 5 Jud., VI, 13 et seq.

 

(a) IIe Edit. : Leur donner.

 

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attaqua, et ils firent un carnage horrible de leurs propres troupes (1).

Dieu faisait gronder son tonnerre sur les fuyards (2), qui glacés de frayeur se laissaient tuer sans résistance.

Quelquefois on entendait un bruit de chevaux et de chariots armés, qui épouvantait l'ennemi, et lui faisait croire qu'un grand secours était arrivé aux Israélites; en sorte qu'il se mit en fuite, et abandonna le camp avec tous les équipages (3).

D'autres fois, au lieu de ce bruit, Elisée faisait apparaître des chariots enflammés à son compagnon effrayé (4), qui crut voir autour d'eux une armée invisible, plus forte que celle des Syriens leurs ennemis. Le même prophète frappa les Syriens d'aveuglement, et les conduisit jusqu'au milieu de Samarie (5).

On sait le carnage que fit un ange de Dieu en une nuit, à la prière d'Ezéchias, de cent quatre-vingt-cinq mille hommes de Sennachérib, qui assiégeait Jérusalem (6).

Mais il faut finir ces récits par quelque spectacle encore plus surprenant.

Josaphat, qui ne voyait aucune ressource contre l'armée effroyable de la ligue des Iduméens, des Moabites et des Ammonites, soutenus par les Syriens (7) ; après avoir imploré le secours de Dieu, et en avoir obtenu les assurances certaines par la bouche d'un saint prophète, comme il a été remarqué ailleurs, marcha contre l'ennemi par le désert de Thécué, et donna ce nouvel ordre de guerre : « Qu'on mît à la tête de l'armée les chantres du Seigneur, qui tous ensemble chantassent ce divin Psaume : Louez le Seigneur, parce qu'il est bon, parce que ses miséricordes sont éternelles (8). » Ainsi l'armée change (a) en chœur de musique : à peine eut-elle commencé ce divin chant, que les ennemis qui étaient en embuscade se tournèrent l'un contre l'autre, et se taillèrent eux-mêmes en pièces : en sorte que ceux de Juda arrivés à une hauteur vers la solitude, virent de loin tout le pays couvert de corps morts, sans qu'il restât un seul homme en vie

 

1 I Reg., XIV, 19, 20. — 2 Ibid., VII, 10. Eccli., XLVI, 20, 21. — 3 IV Reg., VII, 6, 7. — 4 Ibid., VI, 16, 17. — 5 Ibid., 18, 19. — 6 IV Reg., XIX, 35. — 7 II Paralip., I, 2 et seq. — 8 Ibid., 21.

 

(a) II édit. : Se change.

 

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parmi les ennemis : et trois jours ne suffirent pas à ramasser leurs riches dépouilles. Cette vallée s'appela la Vallée de Bénédiction, parce que ce fut en bénissant Dieu qu'ils défirent une armée qui paraissait invincible. Josaphat retourna à Jérusalem en grand triomphe ; et entrant dans la maison du Seigneur au bruit de leurs harpes, de leurs guitares et de leurs trompettes, on continua les louanges de Dieu, qui avait montré sa bonté dans la punition de ces injustes agresseurs.

C'est ainsi que s'accomplissait ce qu'avait chanté la prophétesse Debbora : « Le Seigneur a choisi une nouvelle manière de faire la guerre : on a combattu du ciel pour nous ; et les étoiles, sans quitter leur poste, ont renversé Sisara (1). » Toute la nature était pour nous : les astres se sont déclarés ; et les anges qui y président sous l'ordre de Dieu, et à la manière qu'il sait, ont lancé d'en haut leurs javelots.

 

IIe PROPOSITION. Cette manière extraordinaire de faire la guerre n'était pas perpétuelle : le peuple ordinairement combattait à main armée , et Dieu n'en donnait pas moins la victoire.

 

La plupart des batailles de David se donnèrent à la manière ordinaire. Il en fut de même des autres rois : et les guerres des Machabées ne se firent pas autrement. Dieu voulait former des combattants, et que la vertu militaire éclatât dans son peuple.

Ainsi fut conquise la Terre-Sainte par les valeureux exploits des tribus. Ils forçaient l'ennemi dans ses camps et dans ses villes, parce qu'ils étaient de vigoureux attaquants (2). C'était Dieu toujours qui donnait aux chefs dans les occasions les résolutions convenables, et aux soldats l'intrépidité et l'obéissance : au lieu qu'il envoyait au camp ennemi l'épouvante, la discorde et la confusion. Jabès, le plus brave de tous ses frères, invoqua le Dieu d'Israël, et lui fit un vœu qui lui attira son secours (3) : mais ce fut en combattant vaillamment. Ainsi Caleb : ainsi Juda : ainsi les autres. Ruben et Gad conquirent les Agaréens et leurs alliés, « parce qu'ils invoquèrent le Seigneur dans le combat ; et il

 

1 Judic., V, 8, 20. — 2 I Paral., VII, 2, 4. 5 et seq. — 3 I Paral., IV, 10.

 

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écouta leurs prières, à cause qu'ils eurent confiance en lui en combattant (1). »

 

IIIe PROPOSITION. Dieu voulait aguerrir son peuple : et comment.

 

« Je ne détruirai pas entièrement les nations que Josué a laissées en état avant sa mort (2). » Dieu donc les a laissées en état, et ne les a pas voulu exterminer tout à fait, ni les livrer aux mains de Josué, « afin qu'Israël fût instruit par leur résistance : et que tous ceux qui n'ont pas vu les guerres de Chanaan, apprissent eux et leurs enfants à combattre l'ennemi, et s'accoutumassent à la guerre (3). »

 

IVe PROPOSITION. Dieu a donné à son peuple de grands capitaines et des princes belliqueux.

 

C'était un nouveau moyen de le former à la guerre. Et il ne faut que nommer un Josué : un Jephté : un Gédéon : un Saül et un Jonathas : un David, et sous lui un Joab, un Abisaï, un Abner et un Amasa : un Josaphat : un Ozias : un Ezéchias : un Judas le Machabée, avec ses deux frères Jonathas et Simon : un Jean Hircan, fils du dernier : et tant d'autres dont les noms sont célèbres dans les saints livres et dans les archives du peuple de Dieu. Il ne faut, dis-je, que les nommer, pour voir dans ce peuple plus de grands capitaines et de princes belliqueux, de qui les Israélites ont appris la guerre, qu'on n'en connaît dans les autres nations.

On voit même, à commencer par Abraham, que ce grand homme si renommé par sa foi, ne l'est pas moins dans les combats.

Tous les saints Livres sont remplis d'entreprises militaires des plus renommées, faites non-seulement en corps de nation, mais aussi par les tribus particulières, dans la conquête de la Terre Sainte : ainsi qu'il paraît par les neuf premiers chapitres du premier livre des Paralipomèmes. Si bien qu'on ne peut douter que la vertu militaire n'ait éclaté par excellence dans le peuple saint.

 

1 I Paral., V, 20. — 2 Judic., II, 31, 23. — 3 Ibid., III, 1, 2.

 

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Ve PROPOSITION. Les femmes mêmes, dans le peuple saint, ont excellé en courage, et ont fait des actes étonnants.

 

Ainsi Jahel, femme de Haber, perça de part en part les tempes de Sisara avec un clou. Ainsi sous les ordres de Barac et de Debbora la prophétesse, se donna la sanglante bataille où Sisara fut taillé en pièces (1).

La prophétesse chanta sa défaite par une ode (2), dont le ton sublime surpasse celui de la lyre d'un Tindare et d'un Alcée, avec celle d'un Horace leur imitateur. Sur la fin, on y entend le discours de la mère de Sisara, qui regarde par la fenêtre, et s'étonne de ne pas entendre le bruit de son char victorieux : pendant que la plus habile de ses femmes répondait chantant ses victoires, et se le représentait comme un vainqueur à qui le sort destinait, dans sa part d'un riche butin, la plus belle de toutes les femmes (3), comme faisaient les peuples barbares. Mais au contraire il était tombé par la main d'une femme. « Ainsi périssent, Seigneur, conclut Debbora, tous les ennemis : et que ceux qui t'aiment brillent comme un beau soleil dans son orient (4). » Telle fut donc la victoire qui donna quarante ans de paix au peuple de Dieu.

Tout le monde me prévient ici pour y ajouter une Judith, avec la tête d'un Holoferne qu'elle avait coupée, et par ce moyen mis en déroute l'armée des Assyriens commandée par un si grand général.

Ce fut en vain qu'il assembla une redoutable armée, qu'il surmonta tant de montagnes, força tant de places, traversa de si grands fleuves, mit le feu dans tant de provinces, reçut les soumissions de tant de villes importantes, où il choisissait ce qu'il y avait de braves soldats pour grossir ses troupes (5).

Sa vigilance à mener ses troupes, à les augmenter dans sa marche, à visiter les quartiers, à reconnaître les lieux par où une place pou voit être réduite, et à lui couper les eaux, lui fut

 

1 Judic, IV.— 2 Ibid., V, 1, 2 et seq. — 3 Ibid., V, 28, 29, 30. — 4 Ibid., 31, 32. — 5  Judith, I, II, III.

 

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inutile : sa tête était réservée à une femme, dont ce fier général croyait s'être rendu le maître.

Cette femme par ses vigoureux conseils avait premièrement relevé le courage de ses citoyens : et par la mort d'un seul homme, elle dissipa le superbe camp des Assyriens. « Ce ne fut point une vigoureuse jeunesse ; ce ne furent point les Titans hautains, ni les Géants, qui frappèrent leur capitaine : c'est Judith fille de Mérari, qui le captiva par ses yeux, et le fit tomber sous sa main. Les Perses furent effrayés de sa constance, et les Mèdes de son audace (1). » Ainsi chantait-elle, comme une autre Debbora, la victoire du Seigneur par une femme, qui durant tout le reste de sa vie fit l'ornement de toutes les fêtes, et demeura à jamais célèbre (2) pour avoir su joindre la force à la chasteté.

Les Romains vantent leur Clélie et ses compagnes, dont la hardiesse à traverser le fleuve étonna et intimida le camp de Porsenna. Voici, sans exagérer, quelque chose de plus. Et je n'en dis pas davantage.

 

VIe PROPOSITION. Avec les conditions requises, la guerre n'est pas seulement légitime, mais encore pieuse et sainte.

 

« Chacun disait à son prochain : Allons ; combattons pour notre peuple, pour nos saints lieux, pour nos saintes lois, pour nos saintes cérémonies (3). »

C'est de telles guerres qu'il est dit véritablement : « Sanctifiez la guerre (4), » au sens que Moïse disait aux Lévites : « Vous avez aujourd'hui consacré vos mains au Seigneur (5), » quand vous les avez armées pour sa querelle.

Dieu s'appelle ordinairement lui-même le Dieu des armées, et les sanctifie en prenant ce nom.

 

VIIe PROPOSITION. Dieu néanmoins, après tout, n'aime pas la guerre; et préfère les pacifiques aux guerriers.

 

« David appela son fils Salomon, et lui parla en cette sorte : Mon fils, je voulais bâtir une maison au nom du Seigneur mon

 

1 Judith XVI, 8, 12. — 2 Ibid., 25, 26, 27. — 3 I Machab., III, 43. — 4 Jerem., VI, 4. — 5 Exod., XXXII, 29.

 

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Dieu : mais la parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : Vous avez répandu beaucoup de sang, et vous avez entrepris beaucoup de guerres : vous ne pourrez édifier une maison à mon nom (1). Je n'ai pas laissé de préparer pour la dépense de la maison du Seigneur cent mille talents d'or et dix millions de talents d'argent, avec de l'airain et du fer sans nombre, et des bois et des pierres pour tout l'ouvrage, avec des ouvriers excellons pour mettre tout cela en œuvre. Prenez donc courage, exécutez l'entreprise, et le Seigneur sera avec vous (2). »

Dieu ne veut point recevoir de temple d'une main sanglante. David était un saint roi, et le modèle des princes : si agréable à Dieu qu'il avait daigné le nommer l'homme selon son cœur. Jamais il n'avait répandu que du sang infidèle dans les guerres qu'on appelait guerres du Seigneur : et s'il avait répandu celui des Israélites, c'était celui des rebelles, qu'il avait encore épargné autant qu'il avait pu. Mais il suffit que ce fût du sang humain, pour le faire juger indigne de présenter un temple au Seigneur, auteur et protecteur de la vie humaine.

Telle fut l'exclusion que Dieu lui donna dans la première partie du discours prophétique. Mais la seconde n'est pas moins remarquable : c'est le choix de Salomon pour bâtir le temple. Le titre que Dieu lui donne est celui de Pacifique. Des mains si pures de sang sont les seules dignes d'élever le sanctuaire. Dieu n'en demeure pas là, il donne la gloire d'affermir le trône à ce Pacifique (3), qu'il préfère aux guerriers par cet honneur. Bien plus, il fait de ce Pacifique la plus excellente figure de son Fils incarné : et lui donne le titre de Fils de Dieu, avec presque la même force qu'à Jésus-Christ (a).

David avait conçu le dessein de bâtir le temple par un excellent motif : et il parla en ces termes au prophète Nathan : « J'habite dans une maison de cèdre : et l'arche de l'alliance du Seigneur est encore sous des tentes et sous des peaux (4). » Le saint

 

1 I Paralip., XXII, 6, 7, 8; XXVIII, 3. —  2 Ibid., XXII, 14, 15, 16. — 3 Ibid., 9, 10. — 4 II Reg., VII, 2; I Paralip., XVII, 1, 2.

 

(a) IIe Edit.: Il fait de ce Pacifique une des plus excellentes figures de son Fils incarné.

 

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prophète avait même approuvé ce grand et pieux dessein, en lui disant : « Faites ce que vous avez dans le cœur : car le Seigneur est avec vous (1). Mais la parole de Dieu fut adressée à Nathan la nuit suivante eu ces termes : Voici ce que dit le Seigneur : Vous ne bâtirez point de temple en mon nom. Quand vous aurez achevé le cours de votre vie, un des fils que je ferai naître de votre sang, bâtira le temple, et j'affermirai son trône à jamais (2). »

Dieu refuse à David son agrément en haine du sang dont il voit ses mains toutes trempées. Tant de sainteté dans ce prince n'en avait pu effacer la tache. Dieu aime les pacifiques : et la gloire de la paix a la préférence sur celle des armes, quoique saintes et religieuses.

 

ARTICLE V. Vertus, institutions, ordres et exercices militaires.

 

Ire PROPOSITION. La gloire préférée à la vie.

 

Bacchides et Alcime avaient vingt mille hommes, avec deux mille chevaux, devant Jérusalem : et Judas était campé auprès avec trois mille hommes seulement, tirés des meilleures troupes. Comme ils virent la multitude de l'armée ennemie, ils en furent effrayés. Cette crainte dissipa l'armée, où il ne demeura que huit cents hommes (3). Judas dont l'armée s'était écoulée, pressé de combattre en cet état, sans avoir le temps de ramasser ses forces, eut le courage abattu. C'est le premier sentiment, qui est celui de la nature. Mais on le peut vaincre par celui de la vertu. « Judas dit à ceux qui restaient. Prenons courage : marchons à nos ennemis, et combattons-les. Ils l'en détournaient en disant : Il est impossible ; sauvons-nous quant à présent : rejoignons nos frères, et après nous reviendrons au combat. Nous sommes trop faibles, et en trop petit nombre peur résister maintenant. Mais Judas reprit ainsi (4). A Dieu ne plaise que nous fassions une action si honteuse, et que nous prenions la fuite. Si notre heure est venue et

 

1 II Reg. VII, 3. — 2 Ibid., 5, 12, 13. — 3 I Mach., IX, 4-7. — 4 Ibid., 8, 9, 10 et seq.

 

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qu'il nous faille mourir, mourons courageusement en combattant pour nos frères, et ne laissons point cette tache à notre gloire. A ces mots il sort du camp : l'année marche au combat en bon ordre. » L'aile droite de Bacchides était la plus forte : Judas l'attaqua avec ses meilleurs soldats, et la mit en fuite. Ceux de l'aile gauche voyant la déroute, prirent Judas par derrière, pendant qu'il poursuivait l'ennemi : le combat s'échauffa, il y eut d'abord beaucoup de blessés de part et d'autre : Judas fut tué, et le reste prit la fuite.

Il y a des occasions où la gloire de mourir courageusement vaut mieux que la victoire. La gloire soutient la guerre. Ceux qui savent courir pour leur pays à une mort assurée, y laissent une réputation de valeur qui étonne l'ennemi : et par ce moyen ils sont plus utiles à leur patrie que s'ils demeuraient en vie.

C'est ce qu'opère l'amour de la gloire. Mais il faut toujours se souvenir que c'est la gloire de défendre son pays et sa liberté. Les Machabées s'étaient d'abord proposé cette fin, lorsqu'ils disaient : « Mourons tous dans notre simplicité : le ciel et la terre seront témoins que vous nous attaquez injustement (1).» Et après : « Nous combattrons pour nos vies, pour nos femmes, pour nos enfants, pour nos ames et pour nos lois (2). » Et encore : «Ne vaut-il pas mieux mourir en combattant que de voir périr devant nos yeux notre pays, et abolir nos saintes lois? Arrive ce que le Ciel en a résolu (3). » Et pour tout dire en un mot, mourons pour nos frères, comme le dit le courageux Judas. Laissons-leur l'exemple de mourir pour nos saintes lois : et que la mémoire de notre valeur fasse trembler ceux qui voudront attaquer des gens si déterminés à la mort. Qu'il soit dit éternellement en Israël : Quelque faibles que nous soyons, qu'on ne nous attaque pas impunément.

 

IIe PROPOSITION. La nécessité donne du courage.

 

« Il n'en est pas aujourd'hui comme hier et avant-hier. Nous avons l'ennemi en face, disait Jonathas aux siens; le Jourdain

 

1 II Mach., II, 37. — 2 Ibid., III, 20, 21.— 3 Ibid., II, 59, 60.

 

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deçà et delà, avec des rivages désavantageux, des marais, des bois, qui rompent l'armée ; il n'y a pas moyen de reculer : poussons nos cris jusqu'au ciel (1). » En même temps on marche à l'ennemi : Bacchides est poussé par Jonathas, qui le voyant ébranlé, passe le Jourdain à nage (a) pour le poursuivre, et lui tue mille hommes.

 

IIIe PROPOSITION. On court à la mort certaine.

 

Samson en avait donné l'exemple. Après lui avoir crevé les yeux, les Philistins assemblés louaient leur dieu Dagon, qui leur avait donné la victoire sur un ennemi si redoutable. Ils le faisaient venir dans leurs assemblées et dans leur banquet, pour s'en divertir : et le mirent au milieu de la salle, entre deux piliers qui soutenaient l'édifice (2).

Samson, qui sentait avec la renaissance de ses cheveux le retour de sa force, « dit au jeune homme qui le menait : Laisse-moi reposer un moment sur ces piliers (3). » Toute la maison était pleine d'hommes et de femmes : et tous les princes des Philistins y étaient au nombre d'environ trois mille, qui étaient venus pour voir Samson, dont ils se jouaient. Alors il invoqua Dieu en cette sorte : « Seigneur, souvenez-vous de moi : rendez-moi ma première force, ô mon Dieu ! et que je me venge de mes ennemis (qui étaient ceux du peuple de Dieu, dont il était le chef et le juge) : et que par une seule ruine, je me venge des deux yeux qu'ils m'ont ôtés (4). » En même temps saisissant les deux colonnes qui soutenaient l'édifice, l'une de sa main droite et l'autre de sa main gauche : « Que je meure, dit-il, avec les Philistins (5). » Et ébranlant les colonnes, il renversa toute la maison sur les Philistins ; et en tua plus en mourant par ce seul coup, qu'il n'avait fait pendant sa vie.

Les interprètes prouvent très-bien par l’Ecclésiastique et par l’Epître aux Hébreux, que Samson était inspiré dans cette action.

 

1 I Mach., IX, 44 et seq. — 2 Judic., XVI, XXI et seq. — 3 Ibid., 26. — 4 Ibid., 28, 29. — 5 Ibid., 30.

 

(a) IIe Edit. : A la nage.

 

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Dieu donnait de tels exemples d'un courage déterminé à la mort, pour accoutumer son peuple à la mépriser.

On peut croire qu'une semblable inspiration poussa Eléazar, qui voyait le peuple étonné de la prodigieuse armée d'Antiochus, et plus encore du nombre et de la grandeur de ses éléphants, d'aller droit à celui du roi, qu'on reconnaissait à sa hauteur et à son armure. « Il se livra pour son peuple, et pour s'acquérir un nom éternel. Et s'étant fait jour à droite et à gauche, au milieu des ennemis qui tombaient deçà et delà à ses pieds, il se mit sous l'éléphant, lui perça le ventre et fut écrasé par sa chute (1). »

Ces actions d'une valeur étonnante, faisaient voir que tout est possible à qui sait mépriser sa vie ; et remplissaient à la fois, et le citoyen de courage, et l'ennemi de terreur.

 

IVe PROPOSITION. Modération dans la victoire.

 

Les exemples en sont infinis. Celui de Gédéon est remarquable.

Le peuple affranchi par ses victoires signalées, vint lui dire en corps : « Soyez notre seigneur souverain, vous et vos enfants, et les enfants de vos enfants, parce que nous vous devons notre liberté (2). » Mais Gédéon sans s'enorgueillir et sans vouloir changer le gouvernement, répondit : « Je ne serai point votre seigneur, ni mon fils, ni notre postérité; et le Seigneur demeurera le seul souverain. »

Dès l'origine de la nation Abraham, après avoir repris tout le bien des rois ses amis que l'ennemi avait enlevé, paie la dîme au grand pontife du Seigneur, conserve à ses alliés leur part du butin ; et du reste sans se réserver « un seul fil ni une courroie, rend tout : et ne veut rien devoir à aucun mortel (3). »

 

Ve PROPOSITION. Faire la guerre équitablement.

 

Ménager ses anciens alliés, et leur demander le passage à de justes conditions : c'est ce qu'on a exposé dès le commencement de ce livre (4).

 

1 I Mach., VI, 43-46. — 2 Jud., VIII, 22, 23. — 3 Gen., XIV, 23. — 4 Ci-dessus, p. 133.

 

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Par l’effet de la même équité, on posait des bornes entre les peuples voisins. C'étaient des témoins immortels de ce qui leur appartenait. Tumulus testis (1).

« Ne transgressez point les bornes que vos pères ont établies, » dit le Sage (2).

Respecter ces bornes, c'est respecter Dieu, qu'on avait pris à témoin et qui seul était présent quand on les posait. « Nous n'avons témoin de nos traités que Dieu seul, qui est présent et qui nous regarde (3). »

On le prend aussi pour vengeur de la foi violée : « Qu'il nous voie ; et qu'il voie entre nous, quand nous nous serons séparés (4). »

C'est aussi par esprit de justice qu'Abraham, qui traitait d'égal et de souverain à souverain avec le roi Abimélech, lui reproche la violence qu'on avait faite à ses serviteurs, au lieu de commencer par se plaindre à lui. « Mais Abimélech repartit : Je ne l'ai pas su : vous ne m'en avez rien dit, et c'est d'aujourd'hui que je le sais (5). »

Enfin cet esprit d'équité qui doit régner même au milieu des armes, ne paraît nulle part avec plus d'évidence que dans la manière de faire la guerre que Dieu prescrit à son peuple en lui mettant les armes à la main.

« Si vous assiégez une ville, d'abord vous lui offrirez la paix. Si elle l'accepte et qu'elle vous ouvre ses portes, tout le peuple qu'elle contient sera sauvé, et vous servira sous tribut. Si elle refuse l'accommodement et qu'elle vous fasse la guerre, vous la forcerez : et quand le Seigneur vous l'aura mise entre les mains, vous passerez au fil de l'épée tout ce qu'elle aura de combattants, en épargnant les femmes, les enfants et les animaux. Vous ferez ainsi à toutes les villes éloignées, et qui ne sont pas du nombre de celles qui doivent vous être données pour votre demeure (6). » A celles-là, Dieu n'ordonne point de miséricorde pour des raisons particulières, que nous avons déjà remarquées (7) : mais c'est une exception qui, comme on dit, affermit la loi.

 

1 Gen., XXXI, 48. — 2 Prov., XXXII, 28— 3 Gen., XXI, 30.— 4 Ibid., 41. — 5 Ibid., XXI, 25, 26. — 6 Deut., XX, 10, 11 et seq. —7 Ci-dessus, art. I, 2e propos., pag. 120 et suiv.

 

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Moïse continue de la part de Dieu : « Lorsque vous tiendrez longtemps une ville assiégée, et que vous l'aurez environnée de travaux, vous ne couperez point les arbres fruitiers, et vous ne ravagerez point les environs. Vous ne vous armerez point de cognées contre les plantes; car c'est du bois, et non pas des hommes qui peuvent accroître le nombre de ceux qui vous combattront (cela s'entend des arbres fruitiers). Mais pour les arbres sauvages, qui sont propres à d'autres usages, coupez-les, et dressez vos machines jusqu'à ce que la ville soit prise (1). »

La prudence, la persévérance et en même temps la justice avec la bénignité, reluisent dans ces paroles.

 

VIe PROPOSITION. Ne se point rendre odieux dans une terre étrangère.

 

« Vous me troublez par la guerre injuste que vous avez entreprise contre ceux de Sichem : et vous me rendez odieux aux peuples de cette contrée, que j'avais toujours si bien ménagés,» dit Jacob à Siméon et à Lévi ses enfants (1). Il se retire, et cherche la paix.

 

VIIe PROPOSITION. Cri militaire avant le combat, pour connaître la disposition du soldat.

 

« Quand ou sera prêt à venir aux mains, les chefs de chaque escadron feront cette publication à toute l'armée : Si quelqu'un a bâti une maison et ne l'a pas dédiée, qu'il y retourne : et qu'il n'ait point le regret de la laisser peut-être dédier à un autre. Qui a planté une vigne dont il n'a point encore exposé le fruit en vente, qu'il fasse de même. Qui a fiancé une femme, et ne l'a point encore épousée, qu'il aille la prendre, et ne la laisse point à un autre (3). »

Ce cri voulait des soldats qui n'eussent rien à cœur que le combat, et n'eussent rien dans le souvenir qui put ralentir leur ardeur.

Après on faisait encore ce cri général (4) : « Si quelqu'un est

 

1 Deuter., XX, 19, 20. — 2 Gen., XXXIV, 30. — 3 Deut., XX, 2, 5 et seq. — 4 Ibid., 8.

 

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effrayé dans son cœur, qu'il se retire dans sa maison, de peur qu'il n'inspire à ses frères la terreur dont il est rempli. »

La coutume de ce cri durait encore dans les guerres des Macchabées (1). Elle ne laissait au soldat que l'amour de la patrie, avec le soin de combattre, sans avoir regret à sa vie.

 

VIIIe PROPOSITION. Choix du soldat.

 

Quand Gédéon assembla l'armée pour poursuivre les Madianites, il reçut cet ordre de Dieu : « Parle au peuple, et que tout le monde entende ceci : Qui a peur, qu'il se retire. Il se retira vingt-deux mille hommes, et il n'en resta que dix mille. » Dieu continua (2) : «Mène ce peuple au bord des eaux. Que ceux qui lécheront les eaux en passant, à la manière des chiens, et que ceux qui fléchiront les genoux (pour boire à leur aise), soient mis à part : et le nombre des premiers qui prenant l'eau avec la main la portèrent à leur bouche, fut de trois cents seulement, que Dieu choisit pour combattre (3) ; » et apprit à ce général que ceux qui se trouveraient les plus propres à supporter la faim et la soif étaient les meilleurs soldats.

 

IXe PROPOSITION. Qualité d'un homme de commandement.

 

« Sois courageux et fort. Soyez homme : ne craignez rien : n'appréhendez rien (4). »

C'est la première qu'on demande aux hommes de commandement, et le fondement de tout le reste.

C'est aussi ce qui faisait dire à Néhémias, gouverneur de la Judée, lorsqu'on lui inspirait des conseils timides : « Mes pareils n'ont point peur, et ne fuient jamais (5). »

 

1 I Mach., III, 56. — 2 Judic., VII, 3. — 3 Ibid., 4, 5, 6. — 4 Jos., I, 6, 7, 9 ; I Paral., XXII, 13. — 5 II Esdr., VI, 11.

 

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Xe PROPOSITION. Intrépidité.

 

« Josué leva les yeux, et vit devant lui un homme qui le menaçait l'épée nue. Il s'avance sans s'effrayer, et lui dit : Etes-vous des nôtres, ou du parti ennemi (1)? » comme qui dirait parmi nous : Qui vive? Il apprit, en approchant, que c'était un ange. « Je suis, dit-il, un des princes de l'armée du Seigneur » (de cette armée invisible toujours prête à combattre pour ses serviteurs). Et Josué tourna son attaque en adoration, après néanmoins avoir appris par cette preuve qu'il ne faut rien craindre à la guerre, pas même un ange de Dieu en forme humaine.

 

XIe PROPOSITION. Ordre d'un général.

 

« Que chacun fasse comme moi, et suive ce qu'il me verra exécuter (2), les yeux attachés au général et le coeur prêt à le suivre dans tous les périls. »

Ainsi parla Gédéon au commencement d'un combat. C'est l'ordre le plus noble et le plus fier que général donna jamais à ses soldats.

 

XIIe  PROPOSITION.

 

Les tribus se plaignaient lorsqu’on ne les mandait pas d'abord pour combattre

l'ennemi.

« Ceux de la tribu d'Ephraïm disaient à Gédéon : D'où vient que vous ne nous avez pas mandés plus tôt, et dès le moment que vous alliez à la guerre contre Madian? Ils lui partaient durement, tout prêts à lui faire violence (3). »

On les avait seulement mandés pour poursuivre l'ennemi mis en déroute, et ils avaient coupé chemin aux Madianites : en sorte qu'ils avaient pris Oreb et Zeb, deux de leurs chefs, dont ils portaient les têtes au bout de leurs piques (4). Et l'envie de combattre était si grande, qu'ils murmuraient contre Gédéon, comme on vient d'entendre.

 

1 Jos., V, 13-16. — 2 Judic., VII, VI. — 3 Ibid., VIII, 1.—  4 Ibid., VII ; 24, 25.

 

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XIIIe PROPOSITION. Un général apaise de braves gens en les louant.

 

« Mais Gédéon leur répondit : Qu'ai-je pu faire qui égale vos vaillants exploits ? Un raisin de la tribu d'Ephraïm vaut mieux que toute la vendange d'Abiézer (quelque abondant que soit ce pays). Le Seigneur vous a livré Oreb et Zeb : qu'ai-je pu faire qui vous égalât (1)? » Leur colère fut apaisée par cette louange.

 

XIVe   PROPOSITION. Mourir, ou vaincre.

 

C'est ce qui fait des soldats déterminés, qui ne démordent jamais : tels que furent ceux dont il est parlé dans la guerre entre David et Isboseth.

« Abner dit à Joab : Que notre jeunesse joue devant nous (2) : » c'est-à-dire qu'elle combatte à outrance, en combat singulier, comme on faisait dans nos tournois. « Aussitôt on en choisit douze de la tribu de Benjamin du côté d’Isboseth, et douze du côté de David. En ce moment ils s'approchent. Chacun d'eux prit la tête de son ennemi (à la façon peut-être des gladiateurs, qui avaient un rets à la main pour cela), et en même temps lui enfonça le poignard dans le flanc : et ils tombèrent tous morts l'un sur l'autre en même temps. » Sur l'heure on récompensa leur valeur, en appelant ce champ : Le champ des forts en Gabaon. Et le titre lui en demeura en mémoire d'une action si déterminée.

 

XVe PROPOSITION. Accoutumer le soldat à mépriser l'ennemi.

 

« Amenez-moi ces cinq rois qui se sont cachés dans cet antre (3). » Dieu les avait condamnés à mort. « Quand on les eut amenés, Josué appela ses soldats, et en leur présence il donna cet ordre aux chefs : Mettez le pied sur la gorge à ces malheureux. Et pendant qu'on les foulait ainsi aux pieds : Dieu, poursuit-il, en fera autant à tous vos ennemis. Soyez gens de cœur et ne

 

1 Judic., VIII, 2, 3. — 2 II Reg., II , 14, 15, 16. — 3 Josue., X, 22, 23.

 

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craignez rien. Et après les avoir tués, on les attacha à cinq poteaux jusqu'au soir, pour être en spectacle au peuple : et on les jeta dans la caverne où ils avaient été pris, entassant selon la coutume d'alors de grosses pierres à son ouverture, pour mémorial éternel à la postérité (1).»

 

XVIe PROPOSITION. La diligence et la précaution dans les expéditions et dans toutes les affaires de la guerre.

 

« Prenez des vivres autant qu'il en faut. Dans trois jours (à jour nommé) vous passerez le Jourdain : et vous entrerez dans le pays ennemi (2). »

En même temps Josué envoie des gens aux nouvelles, et fait observer Jéricho. Il apprit que tout était dans l'épouvante. Il marche toute la nuit (3), voulant signaler le commencement de sa nouvelle principauté par quelque action d'éclat. « Je commencerai, dit le Seigneur, aujourd'hui à faire éclater ton nom comme celui de Moïse (4). »

Gédéon se lève la nuit : assemble l'armée : bat l'ennemi : le poursuit sans relâche, tombe à l'improviste sur quinze mille hommes qui restaient : prit leurs commandants, qui se reposaient en assurance et ne s'attendaient à rien moins qu'à être attaqués; tailla tout en pièces, et revint devant le coucher du soleil (5).

Pour profiter de son avantage, et voyant que le soldat avait repris cœur, Saül sans perdre un moment et sans même donner le temps de se rafraîchir, prend dix mille hommes qu'il trouva sous sa main : « Et, dit-il, maudit celui qui mangera avant que je sois vengé de mes ennemis. » Il en fit un grand carnage depuis Machmis jusqu'à Aïalon, dans un grand pays (6). Non content de cette victoire, quoique ses soldats fussent très-fatigués : « Marchons, disait-il, tombons-leur dessus pendant la nuit, et ne cessons de faire main basse jusqu'au matin (7). »

Baasa roi d'Israël, fortifiait Rama, et empêchait par ce moyen les rois de Juda de mettre les pieds sur ses terres, s'assurant un

 

1 Josue., X, 24, 25, 26.— 2 Ibid., I, 11. — 3 Ibid., II, 1, 2, 24; III, 1. — 4 Jos., I, 7. — 5 Judic, VII, 1; VIII, 11, 12, 13. — 6 I Reg., XIV. 24 et seq. — 7 Ibid., 36.

 

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poste d'où il tirait de grands avantages. Mais Asa roi de Juda en vit l'importance. Sans ménager ni or ni argent, il gagne le roi de Syrie contre Baasa : l'ouvrage est interrompu par cette guerre imprévue, et Baasa se retire (1). Asa sans perdre de temps, envoie ses ordres par tout son royaume, en cette forme absolue : « Que personne ne soit excusé. Ainsi on enleva en diligence les matériaux de la nouvelle fortification de Rama : et Asa en bâtit deux forteresses (2). » Tel fut l'effet de sa diligence. Elle affaiblit l'ennemi, et le fortifia lui-même.

On irait à l'infini, si l'on voulait rapporter les exemples d'activité, de vigilance, de précautions qu'ont donnés dans les expéditions de guerre les Josué, les Gédéon, les David, les Macchabées, et les autres grands capitaines dont l'histoire sainte nous a conservé la mémoire.

 

XVIIe PROPOSITION. Alliance à propos.

 

On en vient de voir un bel exemple, quand Asa s'unit si à propos avec le roi de Syrie : les autres seraient superflus ; et il suffit de remarquer une fois, qu'il y a des conjonctures où il ne faut rien épargner.

 

XVIIIe PROPOSITION. La réputation d'être homme de guerre tient l'ennemi dans la crainte.

 

« Chusaï dit à Absalon : Vous connaissez votre père et les braves gens qu'il a avec lui, d'un courage intrépide et qui s'irrite par ses pertes, comme une ourse à qui on a ôté ses petits. Votre père est un homme de guerre, et ne s'arrêtera point avec le reste du peuple : il vous attend dans quelque embuscade, ou dans quelque lieu avantageux. S'il vous arrive le moindre échec, le bruit aussitôt s'en répandra de tous côtés, et on publiera qu'Absalon a été battu : et ceux qui sont à présent comme des lions, perdront courage par cette nouvelle. Car on sait que votre père est un homme fort, et qu'il est environné de braves gens ». » Il concluait à ne rien hasarder, et à l'attaquer à coup sur. Ce qui

 

1 III Reg., XV, 17-21. — 2 Ibid., 22. — 3 II Reg., XVII, 8, 9, 10.

 

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donnait à David le temps de se reconnaître, et lui assurait la victoire. Et il arrêta par cette seule considération l'impétuosité d'Absalon, qui craignit dans David les ressources que ce grand capitaine pouvait trouver dans son habileté dans la guerre, et dans son courage.

 

XIXe PROPOSITION. Honneurs militaires.

 

Saül après ses victoires érigea un arc de triomphe (1), en mémoire à la postérité et pour l'animer par les exemples et par de pareilles marques d'honneurs.

La constitution du pays ne permettait pas alors d'ériger des statues, que la loi de Dieu réprouvait. On érigeait des autels, pour servir de mémorial (2) ; ou l'on faisait des amas de pierre (3).

 

XXe PROPOSITION. Exercices militaires, et distinctions marquées parmi les gens de guerre.

 

David fit apprendre aux Israélites à tirer de l'arc (4) : et fit un cantique pour cet exercice, à la louange de Saül, qui apparemment l'avait établi.

Ceux de la tribu d'Issachar étaient en réputation de savoir mieux que les autres le métier de la guerre. « Il y avait deux cents hommes de cette tribu qui étaient très-habiles, et sa voient instruire Israël à faire en son temps et à propos toute sorte de mouvements ; et le reste de la tribu suivait leurs conseils (5). »

Dans la paix profonde du règne de Salomon, les exercices militaires demeurèrent en honneur, et deux cent cinquante chefs instruisaient le peuple (6).

Ce prince si pacifique entretenait dans le peuple l'humeur guerrière. Il employait les étrangers aux ouvrages royaux, mais non pas les enfants d'Israël. C'étaient eux qu'il occupait de la guerre (7). Ils étaient les premiers capitaines, et commandaient la cavalerie et les chariots.

Les uns, et principalement ceux de Juda et de Nephthali,

 

1 I I Reg., XV, 12. — 2 Ibid., XIV, 35. — 3 Jos., X, 27 ; II Reg., XVIII, 17, 18. — 4 II Reg., I, 18. — 5 I Paralip., XII, 32. — 6 II Par., VIII, 10. — 7 Ibid., 9.

 

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combattaient avec le bouclier et la pique : les autres joignaient l'arc avec le bouclier (1) : et chacun était instruit à manier les armes dont il se servait.

Josaphat, quoiqu'il fit la guerre plus pour ses alliés que pour lui-même, se rendit célèbre par le bon ordre qu'il donna à la milice (2).

La réputation d'Ozias fut portée bien loin par une semblable vigilance, qui lui fit ajouter aux soins des rois ses prédécesseurs celui de construire des magasins d'armes, de casques, de boucliers, d'arcs et de frondes, avec des machines de toutes les sortes ; tant celles qu'il conservait dans les tours que celles qu'il tenait dressées sur les murailles, pour tirer des dards et jeter de grosses pierres (3). En sorte que rien ne manquait à l'exercice des armes.

Les distinctions honorables animèrent aussi le courage des braves gens.

On distinguait sous David de ces espèces de titres (4) : les trois forts, de deux ordres différents : avec les trente qui avaient leur chef. Leurs actions étaient remarquées dans les registres publics. Il y en avait qu'on nommait les capitaines du roi, les grands ou les premiers capitaines (5), ou les capitaines des capitaines (6).

On voit ailleurs comme un Etat de deux mille six cents officiers principaux (7). Sous chaque prince, on connaît ceux qui étaient établis pour les commandants généraux, ceux qui commandaient après eux, et tout l'ordre de la milice (8).

Dieu voulait montrer dans son peuple un Etat parfaitement constitué, non-seulement pour la religion et pour la justice, mais encore pour la guerre comme pour la paix : et conserver la gloire aux princes guerriers.

 

1 I Paral., VIII, 40; XII, 24, 34, 33. — 2 II Paral., XVII, 2, 10. 13 et seq. — 3 Ibid., XXVI, 8, 14, 15.— 4 II Reg , XXIII, 9 et seq.; I Paral., XI, 10, 11, 15 et seq. — 5 II  Paral., XXVI, 11 ; VIII, 9.— 6 I Paral., VII. 40. — 7 II Paral., XXVI, 12. — 8 Ibid., XVII, 14, 15 et seq.

 

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ARTICLE VI. Sur la paix et la guerre : observations sur l'une et sur l'autre.

 

Ire PROPOSITION. Le prince doit affectionner les braves gens.

 

Saül, en qui l'on admirait de si grandes qualités, se faisait remarquer par celle-ci : « Tout homme qu'il voyait courageux et propre à la guerre, il se l'attachait (1). »

C'est le moyen de s'acquérir tous les braves. Vous en prenez un, vous en gagnez cent. Quand on voit que c'est le mérite et la valeur que vous cherchez, on entre en reconnaissance du bien que vous faites aux autres, et chacun espère y venir à son tour.

 

IIe PROPOSITION. Il 'y a rien de plus beau, dans la guerre, que l'intelligence entre les chefs et la conspiration de tout l'Etat.

 

Joab se voyant comme environné des ennemis, partagea l'armée en deux, pour faire tête de tous côtes : une partie contre les Ammonites, et une partie contre les Syriens. « Si les Syriens me forcent, dit Joab à Abisaï, secourez-moi : et si les Ammonites prévalent de votre côté, je serai à votre secours. Soyez homme de courage, et combattons pour notre peuple et pour la cité de notre Dieu. Après cela, que le Seigneur fasse ce qui plaira à ses yeux (2). » Faire ce qu'on doit, s'entendre, être attentif l'un à l'autre, être résolu à tout et soumis à Dieu : c'est tout ce que doivent faire de bons généraux.

Judas parla en ces termes à son frère Simon : « Choisissez des hommes : marchez, et délivrez vos frères dans la Galilée : et moi, avec Jonathas, nous irons dans le pays de Galaad (3). » Il laissa Joseph fils de Zacharie, et Azarias, deux chefs de l'armée, avec le reste des troupes pour garder la Judée, leur défendant de combattre jusqu'à leur retour. Simon avec trois mille hommes, combattit

 

1 I Reg., XIV, 52. — 2 II Reg., X, 11, 12. — 3 Mach., V, 17 et seq.

 

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heureusement dans la Galilée, poursuivit les vaincus bien avant, et jusqu'aux portes de Ptolémaïde : fit beaucoup de butin, et amena en Judée ceux que les Gentils tenaient captifs avec leurs femmes et leurs enfants. En même temps, Judas et Jonathas passèrent le Jourdain avec huit mille hommes, prirent beaucoup de places fortes dans Galaad : et après avoir remporté sans perte et signalées victoires, ils retournèrent en triomphe dans Sion, où ils offrirent leurs holocaustes en action de grâces. Le peuple saint prit le dessus de ses ennemis par ce concours des trois chefs. Joseph, fils de Zacharie, et Azarie, un des chefs, rompirent ce beau concert, et firent une grande plaie en Israël, comme on le dira dans un moment.

Sous Saül, Jabès en Galaad, ville au delà du Jourdain, assiégée par Naas roi des Ammonites, offrit de traiter et de se soumettre à sa puissance. Naas répondit avec une dérision sanglante : « Tout le traité que je veux faire avec vous, c'est que vous me livriez chacun son œil droit, et que je vous fasse l'opprobre de tout Israël. Le conseil de la ville répondit : Donnez -nous sept jours pour envoyer aux tribus : et si dans ce temps nous ne sommes secourus, nous nous rendrons à votre volonté (1). » Leurs envoyés vinrent donc à Gabaa, où Saül faisait sa résidence , et ils déclarèrent à tout le peuple l'état où était la ville: tout le peuple éleva sa voix, et fondit en larmes. Chacun pleurait une ville qu'on allait perdre, comme si on lui arrachait un de ses membres. Saül arriva pendant l'assemblée, suivant ses bœufs qui venaient de la campagne. Car nous avons déjà vu que tout sacré qu'il était, et reconnu roi, il faisait sans façon et sans s'élever davantage, son premier métier. Telle était la simplicité de ces temps (a). Etant venu dans l'assemblée, il dit : « Quel est le sujet de tant de larmes, et de ces cris lamentables de tout le peuple (2) ? » Alors on lui raconta l'état de Jabès. « L'esprit de Dieu le saisit, il mit en pièces ses deux bœufs, et en envoya les morceaux par tout Israël avec cet ordre : Ainsi sera fait aux bœufs de tout homme qui manquera de suivre Saül, et de marcher en

 

1 Reg., XI, 1, 2 et seq. — 2 I Reg., XI, 5, 6.

 

(a) IIe edit. : De ce temps.

 

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Campagne (1). » On obéit : il fit la revue : il trouva sous ses étendards trois cent mille combattants : et la seule tribu de Juda y en ajouta trente mille. Il renvoya les députés de Jabès avec cette réponse précise : « Vous serez secourus demain. » L'effet suivit la parole. Dès le matin, Saül partagea son armée en trois : entra au milieu du camp ennemi, et ne cessa de tuer jusqu'à la grande chaleur du jour : tous les ennemis furent dispersés, et il ne resta pas deux hommes ensemble. C'est ce que fit l'intérêt public, la diligence, la conspiration du roi, du peuple et de toutes les forces de l'Etat.

On conserva éternellement la mémoire d'un tel bienfait. Ceux de Jabès-Galaad touchés de ce souvenir, furent fidèles à Saül jusqu'après sa mort, et furent les seuls de tout Israël qui l'ensevelirent. David leur en sut bon gré, et leur fit dire : « Bénis soyez-vous de Dieu, vous qui avez conservé vos reconnaissances à Saül votre seigneur : le Seigneur vous le rendra, et moi-même je vous récompenserai de ce devoir de piété. Car encore que Saül votre seigneur soit mort, Juda m'a choisi pour roi. Et je succéderai à l'amitié qu'il avait pour vous, ainsi qu'à son trône (2). »

 

IIIe PROPOSITION. Ne point combattre contre les ordres.

 

Pendant que Judas et Simon firent les exploits qu'on a vus en Galilée et dans Galaad (3), Joseph et Azarie, les deux chefs à qui ils avaient laissé la garde de la Judée, avec défense de combattre jusqu'à la réunion de toute l'armée, furent flattés de la fausse gloire de se faire un nom à leur exemple, en combattant les Gentils dont ils étaient environnés. Ils sortirent donc en campagne : mais Gorgias vint à leur rencontre, et les poussa jusqu'aux confins de la Judée. Deux mille hommes des leurs demeurèrent sur la place, et la frayeur se mit dans tout le pays : parce qu'ils n'obéirent pas aux sages ordres qu'ils avaient reçus de Judas, s'imaginant de partager (a) avec lui la gloire de sauver le peuple.

 

1 II Reg., II, 4, 5 et seq. — 2 I Mach., V, 55, 56 et seq.

(a) IIe édit. : S'imaginant partager.

 

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« Mais ils n'étaient pas de la race dont devait venir le salut (1). »

Leur général les connaissait mieux qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes. On les laissait pour garder le pays, et ils n'avaient qu'à demeurer sur la défensive. Faute d'avoir obéi, ils firent perdre à leurs troupes l'avantage de combattre avec tout le reste de l'armée et sous de plus sages chefs.

 

IVe PROPOSITION. Il est bon d'accoutumer l'armée à un même général.

 

« Tout Israël et Juda aimait David, même du vivant de Saül, parce qu'ils le voyaient toujours marcher à leur tête, et sortir en campagne devant eux (2). » On s'accoutume, on s'attache, on prend confiance, on regarde un général comme un père qui pense à vous plus que vous-même.

On s'en souvint, lorsqu'il fallut réunir les tribus pour reconnaître David. « Hier et avant-hier, vous cherchiez David pour le faire régner sur vous. Faites donc, et rangez-vous sous son étendard (3). » Ce n'est pas un inconnu que je vous propose, dit Abner à tout Israël.

 

Ve PROPOSITION. La paix affermit les conquêtes.

 

Il est bon qu'un Etat ait du repos. La paix du temps de Salomon assura les conquêtes de David. Les Héthéens, les Amorrhées et les autres peuples que les Israélites n'avaient pas encore entièrement abattus, furent subjugués par Salomon, et devinrent ses tributaires (4).

 

VIe PROPOSITION. La paix est donnée pour fortifier le dedans.

 

De quelque paix qu'on jouisse, toujours environné de voisins jaloux, il ne faut jamais entièrement oublier la guerre qui vient tout à coup. Pendant que l'on vous laisse en repos, c'est le temps de se fortifier au dedans.

 

1 I Mach., V, 62. — 2 I Reg., XVIII, 16. — 3 II Reg., III, 17, 18. — 4 II Paralip., VIII, 7, 8.

 

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Salomon en donna l'exemple. Il bâtit les villes qu'Hiram lui avait cédées, et y établit des colonies d'Israélites (1). Il fortifia Emath-Suba, place éloignée dans la Syrie et ancien siège des rois. Il bâtit Palmire dans le désert, qui plusieurs siècles après fut une ville royale, où Odenat et Zénobie tenaient leur siège. Il érigea en Emath plusieurs villes fortes, il éleva la haute et la basse Bethoron, et d'autres places murées, avec des remparts et des portes. Il établit aussi des places pour y tenir sa cavalerie et ses chariots : et il remplit de ses bâtiments Jérusalem, le Liban et toutes les terres de son obéissance.

Les autres grands rois, Asa, Josaphat et Ozias l'imitèrent.

« Asa construisait des villes fortes, parce qu'il était dans le repos, et ne se trouvait pressé d'aucune guerre. » La guerre demande d'autres soins, et ne donne pas ce loisir. Il prit donc ce temps pour dire à ceux de Juda : a Bâtissons ces villes : entourons-les de murailles : munissons-les par des tours : fortifions les portes, pendant que tout est paisible et qu'aucune guerre ne nous presse. Ils les bâtirent donc sans empêchement (3). » On voit, en passant, les fortifications dont ces temps avaient besoin ; et l'on n'en négligeait aucune.

« Josaphat bâtit aussi des châteaux en forme, et environna plusieurs villes de murailles : et on vit de tous côtés de grands travaux (4). »

« Ozias fortifia les portes de Jérusalem, en les munissant de tours : la porte de l'angle et la porte de la vallée, et les autres du même côté de la muraille (5). » C’étaient apparemment les endroits les plus difficiles à défendre, et qu'il fallait tâcher de rendre imprenables.

 

VIIe PROPOSITION. Au milieu des soins vigilants, il faut toujours avoir en vue l'incertitude des événements.

 

Entre plusieurs exemples que nous fournit l'Ecriture de chutes inopinées (a), celui d'Abimélech est des plus remarquables.

 

1 II Paralip., VIII, 2, 3 et seq. — 2 Ibid, XIV, 6. — 3 Ibid., 7. — 4 Ibid., XVII, 12, 13. — 5 Ibid., XXVI, 9.

(a) Edit. : Des chutes inopinées.

 

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Abimélech, fils de Gédéon, avait persuadé à ceux de Sichem de se rendre à lui (1). Ce poste était important, et c'est là où fut depuis bâtie Samarie. Il leva des troupes, de l'argent qu'ils lui donnèrent : et s'empara du lieu où étaient ses frères au nombre de soixante et dix, qu'il massacra tous sur une même pierre, à la réserve de Joatham le plus jeune, qu'on cacha. Il fut élu roi à un chêne près de Sichem, quoique Joatham leur reprochât leur ingratitude envers la maison de Gédéon leur libérateur : mais il fut contraint de prendre la fuite par la crainte d'Abimélech, qui demeura le maître durant trois ans, sans aucun trouble.

Après les trois ans, il se sema un esprit de division entre lui et les habitants de Sichem, qui commencèrent aie haïr, et les grands de Sichem, qui l'avaient aidé dans le parricide exécrable qu'il avait commis contre ses frères. Au temps donc qu'Abimélech était absent, ils se firent un chef nommé Gaal, fils d'Obed, qui étant entré dans Sichem, donna courage aux habitants soulevés, qui alloient pillant et ravageant tout aux environs, et maudissant Abimélech au milieu de leurs festins et dans le temple de leur Dieu. Il restait à Abimélech un ami fidèle, nommé Zébul, à qui il avait laissé le gouvernement de la ville, qui aussi lui donna de secrets avis de tout ce qu'il avait vu, l'exhortant à faire tout ce qu'il pourrait sans perdre de temps.

Abimélech part la nuit, et marche vers Sichem, où Gaal était le maître. Le combat se donne à la porte : e Gaal est contraint de se renfermer dans la place, qu'Abimélech assiégea. Les gens de Gaal furent battus et défaits pour la seconde fois. Abimélech pressait le siège sans relâche ; et ne laissa aucun habitant, ni pierre sur pierre dans la ville, qu'il réduisit (a) en une campagne qu'il sema de sel. Il restait aux Sichémites un vieux temple, qu'ils avaient fortifié avec soin : mais Abimélech y fit transporter toute une forêt, et ayant allumé autour un grand feu, y fit crever de fumée ses ennemis.

Vainqueur de ce côté-là, il assiégea Thèbes, qu'il réduisit bientôt. Il y avait une haute tour où les hommes et les femmes

 

1 Judic., IX, 1,2 et seq.

(a) Edit. : Réduisait.

 

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s'étaient réfugiés avec les principaux de la ville. Abimélech la pressait avec vigueur, prêt à y mettre le feu : car il avait tout l'avantage : mais une femme trouvant sous sa main un morceau d'une meule, la lui jeta sur la tête. Il tomba mourant; et celui qui faisait la guerre si ardemment et si heureusement, que rien ne lui résistait, périt par une main si faible : contraint dans son désespoir de se faire percer le flanc par un de ses soldats, « de peur qu'il ne fût dit qu'une femme lui avait donné le coup de la mort (1). »

Ne vous fiez ni dans votre force, ni dans votre diligence, ni dans vos heureux succès, surtout dans les entreprises injustes et tyranniques. La mort, ou quelque désastre affreux, vous viendra du côté dont vous l'attendez le moins ; et la haine publique, qui armera contre vous la plus faible main, vous accablera.

 

VIIIe PROPOSITION. Le luxe, le faste, la débauche aveuglent les hommes dans la guerre, et les font périr.

 

Ela roi d'Israël, fils de Baasa, faisait la guerre aux Philistins; et son armée assiégeait Gebbethon, une de leurs places des plus fortes : sans se mettre en peine de ce qui se passait à l'armée et à la Cour : content de faire bonne chère chez le gouverneur de Thersa, apparemment aussi peu soigneux des affaires que son maître. Zambri cependant, à qui sans le bien connaître, Ela avait donné le commandement de la moitié de la cavalerie, l'ayant surpris dans le vin et à demi ivre chez le gouverneur, l'égorgea avec sa famille et ses amis, et s'empara du royaume. Le bruit de cette nouvelle étant venu dans l'armée qui assiégeait Gebbethon, elle fit un roi de son côté, nommé Amri, qui en était le général : et Zambri se trouva forcé à se brûler dans le palais, après un règne de sept jours (2).

L'aventure de Bénadad roi de Syrie, n'est guère moins surprenante. Il assiégeait Samarie, capitale du royaume d'Israël, avec une armée immense et trente-deux rois ses alliés (3). Il était à table

 

1 Judic, IX, 54. — 2 III Reg., XVI, 8, 9 et seq. — 3 Ibid., XX, 1, 2 et seq.

 

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avec eux sous le couvert de sa tente, plein de vin et d'emportement. On vit avancer quelques hommes : et on vint dire à Bénadad que quelqu'un était sorti de Samarie. « Allez, dit-il aussitôt, et qu'on les prenne vifs, soit qu'ils viennent pour capituler ou pour combattre (1).» Il ne songeait pas que sept mille hommes suivaient. On tua tous les Syriens qui s'avançaient à la négligence. L'armée syrienne se mit en fuite : Bénadad prit la fuite aussi avec sa cavalerie, et laissa toute sa dépouille au roi d'Israël.

Pour lui relever le courage, ses conseillers l'amusèrent par des superstitions de sa religion, en lui disant : « Les dieux des montagnes sont leurs dieux : et si nous les combattons en pleine campagne, nous aurons pour nous les dieux des vallées (2). » Mais ils ajoutèrent à ce vain propos un conseil bien plus solide : « Laissez tous ces rois (qui ne font qu'embarrasser une armée), et mettez de bons capitaines à la place : rétablissez votre armée sur le même pied qu'elle était : combattez-les dans la plaine et à découvert, et vous remporterez la victoire. » Le conseil était admirable : mais Bénadad était un roi timide et vain, qui n'avait que du faste et de l'orgueil. Et Dieu le livra encore entre les mains du roi d'Israël : trop heureux de trouver de l'humanité dans son vainqueur.

 

IXe PROPOSITION. Il faut avant toutes choses connaître et mesurer ses forces.

 

« Qui est le roi qui ayant à faire la guerre contre un roi, ne songe pas auparavant en lui-même s'il pourra marcher avec dix mille hommes à la rencontre de celui qui en a vingt mille? Autrement pendant que son ennemi est encore éloigné, il envoie une ambassade pour lui demander la paix (3). » C'est ce que dit la Sagesse éternelle.

Alors pour négocier la paix, on fait marcher devant les présents, comme Jacob fit à Esaü : et comme lui, on les accompagne de paroles douces (4). Car il est écrit, que « la parole vaut mieux que le don (5). »

 

1 III Reg., XX, 18. — 2 Ibid., 23. — 3 Luc, XIV, 31, 32. — 4 Gen., XXXII, 3, 4, 5; XXXIII, 9, 10, 11. — 5 Eccli., XVIII, 16.

 

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XIe PROPOSITION.  Il y a des moyens de s'assurer des peuples vaincus, après la guerre achevée avec avantage.

 

David non-seulement crut nécessaire de mettre des garnisons dans les villes de la Syrie, de Damas et de l'Idumée, qu'il avait conquises : mais lorsque les peuples étaient plus rebelles, il les désarmait encore, et faisait rompre les cuisses aux chevaux (1).

On punissait rigoureusement les violateurs des traités. Ainsi les Israélites, non contents de détruire toutes les villes de Moab, ils couvraient de pierres les meilleures terres : ils bouchaient les sources : ils coupaient les arbres, et démolissaient les murailles (2).

Dans les guerres entreprises par des attentats plus horribles, comme lorsque les Ammonites violèrent avec une dérision cruelle, dans les ambassadeurs de David, les lois les plus sacrées parmi les hommes : on usa d'une plus terrible vengeance. Il voulut en faire un exemple, qui laissât éternellement dans tous ces peuples une impression de terreur qui leur ôtât tout courage de combattre : leur faisant passer sur le corps, dans toutes leurs villes, des chariots armés de couteaux (3).

On peut rabattre de cette rigueur ce que l'esprit de douceur et de clémence inspire dans la loi nouvelle : de peur qu'il ne nous soit dit, comme à ces disciples qui voulaient tout foudroyer : « Vous ne songez pas de quel esprit vous êtes (4). »

Un vainqueur chrétien doit épargner le sang ; et l'esprit de l'Evangile est là-dessus bien différent de celui de la loi.

 

XIe PROPOSITION. Il faut observer les commencements et les fins des règnes, par rapport aux révoltes.

 

Lorsque l'Idumée fut assujettie par David, Adad, jeune prince de la race royale, trouva moyen de se retirer en Egypte, où il fut très-bien reçu de Pharaon (5). Comme il apprit la mort de David et

 

1 II Reg., VIII,  4, 5, 13, 14. — 2 IV Reg., III, 4, 5, 23. — 3 II Reg., XII, 31. — 4 Luc., IX, 55. — 5 III Reg., XI, 17, 18.

 

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celle de Joab, arrivée au commencement du règne de Salomon, croyant le royaume affaibli par la perte d'un si grand roi et par celle d'un général si renommé, il dit à Pharaon : « Laissez-moi aller dans ma terre (1). » C'était pour y réveiller ses amis, et jeter les semences d'une guerre qu'on vit éclore en son temps.

L'extrême vieillesse de David donna lieu à des mouvements qui menacèrent l'Etat d'une guerre civile.

Adonias, fils aîné de David après Absalon, faisait revivre son frère par sa bonne mine, par le bruit et l'ostentation de ses équipages et par son ambition (2). Il avait sur Absalon ce malheureux avantage, qu'il trouva David défaillant, qui avait besoin, non d'être poussé, puisqu'il avait sa vigueur entière, mais d'être réveillé par ses serviteurs. Il avait mis dans son parti Joab qui commandait les armées, et Abiathar, souverain pontife, autrefois si fidèle à David, et beaucoup d'autres des serviteurs du roi de la tribu de Juda. Avec ce secours, il n'aspirait à rien moins qu'à envahir le royaume du vivant du roi, et contre la disposition qu'il en avait déclarée, en désignant Salomon pour son successeur et le faisant reconnaître par tous les grands, par toute l'armée, comme celui que Dieu préférait à ses autres frères, pour le remplir de sagesse, et lui faire bâtir son temple au milieu d'une paix profonde (3).

Adonias voulait renverser un ordre si bien établi. Pour rassembler le parti, et donner comme le signal à ses amis de le faire reconnaître pour roi, ce jeune prince fit un sacrifice solennel, suivi d'un superbe festin. Toute la Cour était attentive. L'on remarqua qu'il avait prié les principaux de Juda, avec Joab et Abiathar, et à la réserve de Salomon, tous les fils du roi. Comme on n'y vit ni ce prince, ni Sadoc sacrificateur, ni Nathan, ni Banaïas très-assuré à David et qui commandait les vieilles troupes, tous attachés au roi et à Salomon, on pénétra le dessein d'Adonias, et on découvrit le mystère. En même temps Nathan et Bethsabée, mère de Salomon, agirent avec grand concert auprès de David, en lui parlant coup sur coup. Ils ouvrirent les yeux à ce prince, qui jusqu'alors demeurait tranquille, non par mollesse,

 

1 III Reg., XI, 21, 22. — 2 Ibid., I, 1, 2, 5 et seq. — 3 I Paral., XXVIII, 1, 2 et seq.

 

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mais par confiance, dans un pouvoir aussi établi que le sien et dans une résolution aussi expliquée. Le roi parla avec tant de fermeté et d’autorité ; ses ordres furent si précis et si promptement exécutés, qu'avant la fin du festin d'Adonias, toute la ville retentissait de la joie du couronnement de Salomon. Joab, tout hardi qu'il était et tout expérimenté, fut surpris; la chose se trouva faite, et chacun s'en retourna honteux et tremblant. Le nouveau roi parla à Adonias d'un ton de maître : rien ne branla dans le royaume, et la rébellion qui grondait fut assoupie.

Elle ne revint qu'au commencement du règne de Roboam. Et c'est là un temps de faiblesse qu'il faut toujours observer avec plus de soin, si l'on veut bien assurer le repos public.

 

XIIe PROPOSITION. Les rois sont toujours armés.

 

Nous avons vu sous David les légions Céléthi et Phéléthi, que Banaïas commandait, toujours sur pied.

Il avait aussi conservé le corps de six cents vaillants combattants, commandés par Ethaï Gethéen, et des autres qui étaient venus avec lui pendant sa disgrâce (1).

Je ne parlerai point des autres troupes entretenues, si nécessaires à un Etat. Ce sont tous des corps immortels, qui en se renouvelant dans le même esprit qu'ils ont été formés, rendent éternelles leur fidélité et leur valeur.

On ornait ces troupes choisies d'une façon particulière, pour les distinguer. Et c'est à quoi étaient destinées les deux cents piques garnies d'or, et les deux cents boucliers lourds et pesants couverts de lames d'or, avec trois cents autres d'une autre figure, pareillement couverts d'or très-affiné et d'un grand poids, que Salomon gardait dans ses arsenaux (2).

Outre les garnisons des places qu'on trouve partout dans les livres des Rois et des Chroniques, et outre les troupes qui

 

1 II Reg., XV, 18, 19; III Reg., I, 8, 10, 38 ; I Paralip XII  1 et seq. 5 ­– 2 III Reg., X, 16, 17; II Paralip., IX, 15, 16.

 

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étaient sur pied, il y en avait d'infinies sous la main du roi, avec des chefs désignés et qui étaient prêts au premier ordre (1).

On ne sait en quel rang placer les gens de guerre, qui se relevaient au nombre de vingt-quatre mille, à chaque premier du mois avec douze commandants

Il n'est pas nécessaire de marquer que, pour ne point charger l'Etat de dépenses, on les assemblait selon le besoin, dont l'on a beaucoup d'exemples.

Ainsi les Etats demeurent forts au dehors contre l'ennemi, et au dedans contre les méchants et les rebelles ; et la paix publique est assurée.

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