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REMARQUES HISTORIQUES.

 

Bossuet faisait depuis longtemps l'honneur de l'éloquence et de la religion, qu'il était encore simple prêtre, sans dignité dans l’Eglise ni dans l'Etat.

Proposé au siège épiscopal de Condom le 8 septembre 1669, il fut nommé précepteur du Dauphin un an plus tard, le 5 septembre 1670. Dans l'acte de nomination, Louis XIV se félicitait d'avoir trouvé chez l'éminent prélat, « non-seulement toutes les qualités requises pour remplir dignement une charge si importante, mais la doctrine, la probité, les mœurs, la sagesse, une expérience consommée (1) ; » et dans une autre circonstance, il déclara qu'il l'avait « choisi parmi tous les évêques de son royaume (2). » On créa, pour contenter des sollicitations considérables, une place de sous-précepteur en faveur du savant Huet; déjà le duc de Montausier remplissait auprès du Dauphin les fonctions de gouverneur, et M. de Cordemoy celles de lecteur.

Bossuet conçut un plan d'éducation digne d'un grand roi, digne de lui-même. Pour le remplir avec plus de succès, nourri dans les belles-lettres dès son enfance, après avoir ravi l'admiration des Arnault et des Bourdaloue, des Corneille et des Pascal, il refit pour ainsi dire ses études classiques ; tous les chefs-d'œuvre d'Athènes et de Rome repassèrent sous ses regards scrutateurs, et bientôt le génie des langues savantes, non plus que l'obscurité des anciens monuments, n'eut plus rien de

 

1 Provision de l'office de précepteur de M. le Dauphin, pour M. l’évêque de Condom, 23 septembre 1670. — 2 Lettre inédite de Louis XIV au cardinal Altieri, 9 mai 1673.

 

II

 

caché pour lui ; pendant que Homère et Virgile lui dévoilaient les secrets de l'éloquence et de la poésie, Aristote et Tite-Live lui révélèrent les mystères de la science et de l'histoire (1). Nous le verrons répandre à pleines mains, dans les ouvrages qu'il composera pour le Dauphin, ce double trésor.

Mais le plan qui provoqua tant de travaux préparatoires, quel était-il? Bossuet va nous l'apprendre. En 1679, Innocent XI, qui venait d'approuver par un bref solennel l'Exposition de la Doctrine catholique, lui fît manifester le désir de connaître la méthode qu'il avait suivie dans l'éducation du Dauphin, le priant de lui raconter ses vues, ses pensées, ses travaux dans cette grande entreprise. Bossuet s'empressa de répondre à des vœux si augustes; il écrivit la lettre intitulée : De Institutione Ludovici Delphini..... « De l'Education du Dauphin, au pape Innocent XI. » Admirable dans sa simplicité non moins que dans sa profondeur, cette lettre est regardée comme un chef-d'œuvre de style et de science ; cependant l'auteur n'eut pas même la pensée de la donner au public : c'est l'abbé Bossuet, son neveu, qui la publia pour la première fois en 1709, à la tête de la Politique sacrée. L'aspirant aux dignités ecclésiastiques n'oublia pas de dédier au Dauphin sa publication.

La lettre à Innocent XI se trouve au commencement de ce volume. Elle nous fait voir, comme dans un tableau, la sollicitude et les travaux continuels du dévoué précepteur auprès de son royal élève. Pour fixer l'attention du jeune prince, il se contenta dans le commencement de lui raconter des histoires agréables; et partout il l'entourait de soins paternels, pour l'attacher à sa personne. Et comme la religion forme la base de l'éducation chrétienne, il fît à son usage, non-seulement une courte exposition des principaux mystères de la foi, mais des formules de prières

 

1 Bossuet savait par coeur les vers d'Homère, aussi bien que ceux de Virgile. Evêque de Meaux, au milieu d'une conversation sur le divin poète, comme il appelait le chantre d'Achille, il récita tout à coup, avec enthousiasme, un long passage de l’ Iliade. Comme on lui témoignait de la surprise et de l'admiration, il dit : a Quelle merveille?, après avoir enseigné tant d'années la grammaire et la rhétorique.» — « Comment? dans quel collège? » lui demanda l'évêque d'Aulun (Gabriel de Roquette) : « A Saint-Germain et à Versailles, » répondit Bossuet. Puis il ajouta que « pendant qu'il faisait des études si agréables avec Monseigneur le Dauphin, il était si plein d'Homère qu'il récitait souvent ses Vers en dormant; que souvent il s'éveillait par l'attention qu'il avait à les réciter, comme on s'éveille au milieu d'un songe dont on est vivement frappé. Un jour même, continue son biographe, il fit encore tout endormi un vers touchant sur le malheur d'Ulysse. Virgile ne lui était pas moins familier. Il n'allait jamais à la campagne sans Virgile. Il ne cessait de vanter la douceur de ses vers, et toujours un exemple pris dans les Eglogues ou dans les Géorgiques. venait justifier les éloges. Les tableaux de la nature, dans ce poète, fallaient partout ses délices, mais combien plus à la campagne ! C'est ici qu'il avait le modèle et la peinture sous les yeux. » (L'abbé Ledieu, Mémoires, sur l'éducation du Dauphin. )

 

III

 

empreintes d'une tendre piété; et c'est au zèle de l'instituteur que nous devons deux précieux ouvrages de l'évêque, le Catéchisme de Meaux et les Prières ecclésiastiques. En même temps qu'il nourrissait et formait son cœur par la religion, il éclairait et polissait son esprit par les lettres et par la science, lui enseignant tour à tour la grammaire française et la langue latine, l'histoire et la géographie, la rhétorique et la logique, la philosophie et la morale, la jurisprudence et la politique. Nous ne pourrions décrire dans tous ses détails un enseignement si divers et si multiple ; qu'on en suive les phases et le développement dans l'exposé du Maître : le but qui nous est prescrit, les limites qui nous sont imposées, restreignent nos remarques aux écrits qui les complétèrent.

I. De la connaissance de Dieu et de soi-même. — Voici ce que Bossuet dit de cet ouvrage : « Pour devenir parfait philosophe, l'homme n'a besoin d'étudier autre chose que lui-même ; ..... en remarquant seulement ce qu'il trouve en lui, il reconnaît par là l'auteur de son être... Aussi avons-nous formé le plan de la philosophie sur ce précepte de l'Evangile : Considérez-vous attentivement vous-mêmes (1) ; et sur cette parole de David : O Seigneur, j'ai tiré de moi une merveilleuse connaissance de ce que vous êtes (2). Appuyé sur ces deux passages, nous avons fait un traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même, où nous expliquons la structure du corps et la nature de l'esprit par les choses que chacun expérimente en soi : et faisons voir qu'un homme qui sait bien se rendre présent à lui-même, trouve Dieu plus présent que toute autre chose, puisque sans lui il n'aurait ni mouvement, ni vie, ni esprit, ni raison (3)... »

Voilà donc tout le plan de Bossuet : La connaissance de l'homme mène à la connaissance de Dieu. Or, pour connaître l'homme, il faut le considérer dans son âme, dans son corps, dans l'union de ces, deux parties de lui-même, dans ses rapports avec Dieu, enfin dans sa différence avec la bête. De là cinq chapitres.

1. L’âme se connaît par ses opérations qui sont, les unes sensitives et les autres intellectuelles. Les opérations sensitives comprennent les sensations, l'imagination et les passions ; les opérations intellectuelles embrassent l'entendement et la volonté. Ainsi, dans le premier chapitre, du plaisir et de la douleur, de l'imagination et des passions, de la mémoire et de l'entendement, des sciences et des arts, de la vertu et des vices, de la droite raison et de la raison corrompue.

2. Le corps humain forme l'objet de l'anatomie et de la physiologie. Bossuet étudia pendant une année, sous la direction du médecin Duverney, à l'aide du scalpel, cette double science ; et le disciple fit ce

 

1 Luc, XXI, 34. — 2 Psaume, CXXXVIII, 6. — 3 Lettre à Innocent XI.

 

IV

 

que le maître n'aurait pu faire. Au XVIIe siècle, les médecins parlaient ( font-ils de même aujourd'hui? ) un dialecte singulièrement étrange, employant tantôt des mots grecs qu'ils n'entendaient guères, tantôt des formules demi-barbares qui remplaçaient l'idée absente. Sans sortir du langage ordinaire, Bossuet expliqua les merveilles du corps humain dans des termes aussi simples qu'élégants, avec une clarté qu'on n'avait plus apportée dans les sciences depuis les maîtres d'Athènes et de Rome. Le biographe du grand homme nous apprend que « les physiciens, les anatomistes, les médecins les plus renommés de son temps trouvèrent son œuvre supérieure à tout ce qui avait paru jusqu'alors sur le même sujet (1); » et son historien ajoute « qu'il n'est aucune des découvertes nouvelles qui soit en contradiction avec son exposé (2).» La dernière allégation n'est pas entièrement exacte. Comme les docteurs du moyen âge, Bossuet connaissait les principes généraux de la physique aussi bien qu'on les connaît aujourd'hui ; mais puisque les sciences d'expérience vont se développant dans un ordre de production successive, il ne pouvait devancer les découvertes qui dévoient naître des inventions mêmes de son époque ; aussi verra-t-on qu'il s'est plus ou moins trompé dans quelques détails, sur l'existence ou la nature des esprits animaux, sur l'origine et le commencement d'une partie des nerfs, sur certaines fonctions du cœur, sur l'action de l'air dans la respiration, sur les sutures du cerveau, etc.

3. Dans l'union la plus intime, l’âme  et le corps agissent réciproquement l'un sur l'autre. Comment cela? En percevant les objets extérieurs, les sens produisent dans les nerfs un ébranlement qui se prolonge jusqu'au cerveau, et le corps porte ainsi la sensation dans l’âme ; à son tour l’âme , plus noble et par conséquent maîtresse, commande les mouvements du corps, et va jusqu'à susciter les passions par l'image ou la pensée des objets. Il suit de là, pour le remarquer en passant, que l’âme  a le moyen de modérer, de calmer et même de prévenir les passions : ce moyen, c'est d'en détruire la violence plutôt que d'en combattre le cours, c'est d'éloigner son esprit des choses qui les enflamment, pour l'attacher à d'autres objets qui les éteignent faute d'aliment. « Il est quelquefois utile, dit notre auteur, de s'abandonner à des passions innocentes pour échapper à des passions criminelles. » Belle application de la physiologie à la morale ! « Au reste l'union de l’âme  et du corps, poursuit Bossuet, est une espèce de miracle perpétuel, général et subsistant, qui paraît dans toutes les sensations de l’âme  et dans tous les mouvements volontaires du corps : miracle dont il est difficile et peut-être impossible à l'esprit humain de pénétrer le secret, mais dont on ne peut contester la vérité. » Certaines idées fausses, qui

 

1 L'abbé Ledieu, Mémoires, de l'éducation du Dauphin. — 2 Bausset, Histoire de Bossuet, liv. IV, § 14,

 

V

 

régnaient au XVIIe siècle, rendaient ce miracle, sinon plus impénétrable, du moins plus obscur encore.

4. Les rapports de l'homme avec Dieu se manifestent et dans son corps et dans son aine. Œuvre d'une sagesse infinie, le corps humain est disposé selon la mesure, le nombre et le poids (1) ; admirables correspondances, ineffables harmonies qui nous montrent, pour employer le langage des anciens docteurs, les vestiges de la Divinité. L'âme, plus parfaite encore, a trois facultés qui se réunissent sans se confondre, la perception, l'intellection et la volonté. Voilà l'image de Dieu. D'un autre côté, l'entendement humain comprend les règles de proportion par lesquelles nous mesurons tout, c'est-à-dire les vérités nécessaires, éternelles, infinies. Or ces vérités, infinies parce qu'elles renferment les types de toutes choses, éternelles parce qu'elles subsistent toujours, nécessaires parce qu'elles ne peuvent être autrement; ces vérités, que sont-elles, sinon Dieu même? Ainsi brille partout l'empreinte éclatante, c'est-à-dire les preuves manifestes du souverain Etre. Mais puisque ces preuves partent de l'homme pour arriver à Dieu, si Bossuet n'avait consulté que l'ordre des idées, n'aurait-il pas intitulé son livre : De la Connaissance de soi-même et de Dieu ?

 5. L'homme diffère de la brute par deux prérogatives essentielles, le raisonnement et l'invention. En apercevant l'ordre du monde, l'homme connaît tous les ouvrages du Créateur: il connaît, non-seulement les corps visibles qui peuplent l'espace, mais encore les choses invisibles qu'ils montrent évidentes aux regards de l'intelligence (2). La bête, au contraire, qu'éprouve-t-elle en présence de ce magnifique spectacle ? Des sensations physiques. Que voit-elle? Des formes extérieures, dont elle ne peut abstraire ni l'essence, ni la ligure, ni les qualités. Ensuite l'homme a inventé des sciences qui soumettent le monde à ses lois, des instruments qui lui montrent l'infini ment grand et l'infiniment petit, des appareils qui détruisent le temps et l'espace; que dirai-je encore? des arts et des machines qui ont changé la face de la terre. Qu'ont inventé les animaux? Rien ; pas un procédé pour se préserver du froid, pas un signe pour se rallier, pas une arme pour se défendre contre leur ennemi, qui les fait tomber dans tant de pièges. Les sublimes philosophes plaident vainement la cause de la bête contre eux-mêmes; vainement ils l'élèvent au-dessus d'eux pour avoir le droit de s'abaisser au-dessous d'elle : l'homme le plus borné l'emporte infiniment sur le plus adroit des animaux. Notre auteur en donne des preuves aussi convaincantes qu'ingénieuses; en le lisant, si l'on oublie ses autres ouvrages, on croira qu'il a passé sa vie dans l'étude des sciences naturelles.

Tel est le livre de la Connaissance de Dieu et de soi-même (3). Bossuet

 

1 Sap. XI, 21.— 2 Rom., I, 20.—3 M. Pierre Séguier, né en 1504 et mort en 1530, avocat-général au parlement de Paris, puis président a mortier, laissa par testament à ses enfants un ouvrage intitulé: Rudimenta cognitionis Dei et sui: « Eléments delà connaissance de Dieu et de soi-même. » Balesdens publia cet ouvrage en latin en 1636, et Colletet le traduisit plus tard eu français. (Biog. De Michaud, vol. 41,p. 458.

 

VI

 

ne le livra point à la publicité, parce qu'il n'avait pas pour but immédiat de protéger l'Eglise contre un danger pressant; il se contenta d'en donner une copie à Fénelon, pour servir à l'instruction du duc de Bourgogne. On imprima cette copie en 1722, à Paris, chez Amaulry, et plusieurs crurent que l'ouvrage était de l'archevêque de Cambray; mais les esprits judicieux reconnurent bientôt l'essor de l'aigle et la griffe de lion, et l'on demanda de toutes parts une édition authentique à l'évêque de Troyes. Usé avant l'âge déjà, le vieillard avait soixante-dix-sept ans; il communiqua le manuscrit, et signa un court mandement qui devait servir de préface. L'ouvrage parut en 1741, à Paris, chez la veuve Alix, 1 vol. in-12. On disait vainement au nom de l'évêque de Troyes, dans le petit mandement, cette édition beaucoup plus correcte que la précédente: elle accumulait par-dessus les fautes anciennes une montagne de nouvelles fautes. Vivant au beau milieu du XVIIIe siècle, l'éditeur devait, sous peine d'ignorance et de superstition, croire au progrès; il chargea l'on ne sait quel médecin de mettre son livre au niveau de la science du jour. Le bon docteur se mit à corriger bravement le grand écrivain : non qu'il signalât des faits nouveaux, de nouvelles découvertes; mais il voulut faire disparaître, parce qu'il ne la comprenait pas, la terminologie empruntée par Bossuet aux scholastiques ; il remplaça les mots simples par des termes relevés, les expressions concises par des périphrases ; en un mot, il traduisit la langue si claire et si belle de son auteur en argot médical. Et les éditeurs des œuvres complètes, qui pourrait le croire? ont reproduit fidèlement toutes ces altérations grossières ; seulement on a donné en 1846, dans un volume séparé, une édition plus conforme â l'original. Le manuscrit, qui se trouve à la Bibliothèque impériale, est une magnifique copie, comme toutes celles qu'on mettait dans les mains du Dauphin. Elle porte de nombreuses corrections tracées de la main de Bossuet ; mais elle porte aussi les remaniements du téméraire docteur. Nous avons soigneusement recueilli dans le texte les véritables corrections; et nous avons mis les interpolations au bas des pages, en les faisant précéder du mol L'inconnu, afin que le lecteur puisse les apprécier et par là même les éditions.

II. La Logique, autre ouvrage qui servit à l'éducation du Dauphin. — Comme nous l'avons vu, Bossuet dit, dans la Connaissance de Dieu et de soi-même, que l’âme  a deux facultés, l'entendement et la volonté : l'entendement qui regarde le vrai, la volonté qui a le bien pour objet. De là deux sciences pour gouverner les principales facultés de l’âme , la logique et la morale.

 

VII

 

La logique est une science qui dirige l'entendement dans la recherche et la connaissance de la vérité.

Nous parvenons à la connaissance de la vérité par la conception, par le jugement et par le raisonnement. La conception donne les idées, le jugement forme la proposition, et le raisonnement produit le syllogisme. Ainsi des idées, des propositions, des syllogismes ; voilà les sujets des trois livres qui divisent la logique.

1. L'idée représente à l'entendement l'image de l'objet entendu. Considérées sous le rapport des objets, suivant qu'elles représentent

des choses existant en elles-mêmes ou dans un autre, les idées peuvent s'appeler substantielles ou accidentelles; envisagées du côté de l'entendement, selon qu'on les voit dans une lumière plus ou moins vive et sous une forme plus ou moins nettement déterminée, elles sont claires ou distinctes, obscures ou confuses.

2. Les idées, soit les termes qui les expriment, s'unissent ou se séparent, s'affirment ou se nient les unes des autres : c'est là ce qui forme la proposition.

Dans chaque proposition, il y a nécessairement deux termes qui s'affirment ou se nient, puis le verbe est qui prononce l'affirmation ou la négation ; c'est-à-dire il y a le sujet, l'attribut et la copule.

Les propositions se divisent, à raison de leurs matières ou de leurs termes, en incomplexes ou complexes, simples ou composées, absolues ou conditionnelles; à raison de leur étendue, en universelles et particulières; à raison de leur qualité, en affirmatives et négatives; enfin à raison de leur objet, en véritables et fausses.

3. Comme la proposition unit ou sépare des termes, ainsi le raisonnement unit ou sépare des propositions, il montre qu'une proposition moins étendue est renfermée dans deux propositions plus générales.

On voit que le raisonnement, ou si l'on veut l'argument se compose de trois propositions, qui sont la majeure, la mineure et la conclusion.

Il y a diverses sortes de raisonnement : le syllogisme, l'enthymème, le sorite, l'argument hypothétique, l'argument disjonctif, l'argument démonstratif et l'argument probable.

Outre l'évidence, le raisonnement peut appeler à son aide l'autorité: l'autorité de la révélation divine, l'autorité du consentement universel, l'autorité du témoignage humain, l'autorité des sages, l'autorité des lois, l'autorité des jugements prononcés dans les tribunaux.

La Logique de Bossuet n'a vu le jour que dans ce siècle. Le savant qui a dirigé l'édition de Versailles semble dédaigner cet ouvrage, a Le manuscrit, dit-il, n'a point paru, et en le lisant on juge aisément pourquoi. Quand Bossuet l'écrivit, la Logique de Port-Royal était connue, était même imprimée : il en fit donc un abrégé, changea quelque chose à l'ordre des chapitres, et aux exemples allégués substitua d'autres

 

VIII

 

exemples : eut-il jamais la pensée qu'un tel abrégé dût être publié (1) ? » Cela ne mérite point de réponse. Quoi ! Bossuet se serait contenté, dans un de ses ouvrages, d'abréger l'ouvrage d’un autre auteur ! Mais en lisant sa Logique, on juge aisément, que dis-je? on voit avec la dernière évidence qu'elle n'est point un Abrégé de la Logique de Port-Royal ; elle a été composée sur le plan des traités qui servaient à l’enseignement dans le XVIIe  siècle; elle reproduit les principes et traduit admirablement la langue des scholastiques ; et Bossuet nous apprend lui-même qu'il l'a tirée en partie d'Aristote et de Platon. Ou l'éditeur de Versailles n'a pas lu le manuscrit de la Logique, non plus que tous les autres; ou il a voulu s'épargner la peine d'une longue et difficile transcription : voilà tout. Le savant auteur des Etudes sur la Vie de Bossuet n'a pas reculé, lui, devant la peine de lire et de transcrire; M. Floquet a publié la Logique en 1828, dans l'édition de Beaucé-Rusand et dans un petit volume séparé; c'est alors que l'ouvrage parut pour la première fois. Le manuscrit présente comme deux parties. Les deux premiers livres, admirablement copiés, do la même écriture que la Connaissance de Dieu et de soi-même, portent de nombreuses corrections tracées par Bossuet; au contraire, le troisième livre, d'une mauvaise transcription, n'offre aucun vestige de sa main : les lignes, occupant toute la page et pressées les unes contre les autres, ne laissaient aucune place aux surcharges ; Bossuet attendait probablement une meilleure copie pour faire les changements convenables. Quoi qu'il en soit, ce livre est, comme les deux autres, d'une authenticité incontestable et incontestée.

III. Traité du Libre arbitre. — Nous le disions tout à l'heure d'après Bossuet, l’âme  a deux facultés principales, l'entendement et la volonté. Or la plus belle prérogative de la volonté, son attribut essentiel, son fond même, c'est le libre arbitre. Le livre que nous abordons se rattache donc, par des liens intimes, aux deux ouvrages dont nous venons déparier. Aussi Bossuet le fit-il, bien qu'on ait dit lo contraire, pour servir à l'éducation du Dauphin.

Le Traité du Libre arbitre établit deux choses : l'existence de la liberté humaine et son accord avec la Providence divine. Ainsi l'ouvrage a comme deux parties qui comprennent, l'une les quatre premiers chapitres, l'autre les soi vans.

L'existence de la liberté se prouve de plusieurs manières : par le sentiment; car je sens que je puis agir ou n'agir pas, vouloir ou ne vouloir pas : par le raisonnement; car j'ai une idée très-claire, c'est-à-dire une représentation très-réelle, c'est-à-dire encore une preuve très-certaine de ma liberté : enfin par la révélation; car, sans parler des textes les plus

 

1 Edit. de Versailles, tom. I, p. XXII.

 

IX

 

formels et les plus positifs, l'Ecriture sainte nous la montre partout  dans les châtiments du vice et dans les récompenses de la vertu.

Mais si nous pouvons agir avec connaissance, après délibération conseil et par choix, Dieu sait tout, prévoit tout, dispose de tout ; si nous pouvons faire ceci ou cela, nos actions sont comprises dans les décrets de la Providence; s'il est certain que nous sommes libres il l'est aussi que le souverain Modérateur gouverne notre liberté : comment concilier ces deux dogmes qui semblent contradictoires? Les concilier? Quand la conciliation nous serait impossible, encore ne devrions-nous pas les rejeter, puisqu'ils sont certains l'un et l'autre, et que la vérité ne détruit pas la vérité ; quand ils renfermeraient un secret au-dessus de noire connaissance, encore devrions-nous retenir ce que nous en connaissons manifestement, visiblement. Mais il y a plusieurs moyens d'accorder ensemble la Providence divine et la liberté humaine; notre auteur admet l'explication des thomistes, le système qu'on appelle de la promotion physique. D'après cette théorie, Dieu fait tout ce qu'il y a de bon et de réel ; mais il le fait selon sa nature : il fait nécessaire ce qui est nécessaire, et libre ce qui est libre. « Dieu veut dès l'éternité, dit Bossuet, tout l'exercice futur de la liberté humaine. Qu'y a-t-il de plus absurde que de dire qu'il n'est pas, à cause que Dieu veut qu'il soit? Ne faut-il pas dire, au contraire, qu'il est parce que Dieu le veut? »  Au reste, le système dit des thomistes est-il bien de saint Thomas? Nous avons prouvé ailleurs sans réplique, ce nous semble,que des mains coupables ont altéré sa doctrine dans l'article de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie ; ces mêmes mains ne pourraient-elles pas l'avoir pareillement falsifié sur le point de la promotion physique, comme aussi de la prédestination absolue? La prédestination absolue et la promotion physique sont dures : Durus est hic sermo.

Le Traité du Libre arbitre fut publié pour la première fois par l'évoque de Troyes, 1734, Paris, chez Barthélémy Alix. Nous avons collationné l'ouvrage sur cette édition, car le manuscrit ne se retrouve pas.

Encore un mot. Quand Bossuet voulut composer les trois ouvrages que nous venons de passer rapidement en revue, il déposa, si l'on peut ainsi dire, la crosse de l'évêque pour ne garder que la plume du philosophe ; la Connaissance de Dieu et de soi-même, la Logique et le Traité du Libre arbitre relèvent, non pas des oracles de l'Ecriture sainte, mais des lumières de la raison : c'est là, c'est dans ces écrits purement rationnels qu'il faut chercher ce qu'on appelle la philosophie de l'Aigle de Meaux. On nous donne souvent de longues et savantes dissertations sur ce .sujet : nous voudrions, pour notre part, moins de phrases pompeuses et plus de choses nettement déterminées; nous voudrions un court exposé renfermant tout simplement, sous un petit nombre de numéros, les propositions fondamentales du système philosophique

 

X

 

de Bossuet. La philosophie de Bossuet, ce n’est ni l’évidence de Descartes, ni l’ontologisme de Malebranche, ni l’éclectisme de Cousin, ni le sens commune de Lamennais, ni le traditionalisme de Bonald ni le semi-traditionalisme de je ne sais qui; ce n'est rien de tout cela pris séparément; mais c'est tout cela s'unissant dans une admirable harmonie. Bossuet n'a garde de mutiler et de paralyser l'esprit humain, en lui ôtant les objets de ses facultés, et pour ainsi dire les instruments de ses opérations : il lui laisse toute source de connaissance, tout principe de science, tout moyen de certitude; il lui laisse l'évidence dans les premiers principes et leurs conséquences nécessaires, l'ontologisme dans la métaphysique, l'éclectisme dans les opinions libres, le sens commun dans le témoignage universel, enfin le traditionalisme ou le semi-traditionalisme, comme on voudra, dans les choses de fait et d'expérience. La philosophie de Bossuet, c'est la philosophie du bon sens chrétien, la philosophie qui s'enseignait autrefois dans toutes les écoles catholiques, la philosophie des scholastiques et particulièrement de saint Thomas.

Nous parlerons de la Politique sacrée dans le prochain volume

 

 

Manque p. 1-14 De Instutione Ludovici Delphini AD Innocentium XI Pontificem Maximum

 

 

 

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