Déclaration des 3 Evêques
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DÉCLARATION DES SENTIMENTS

 

De Messeigneurs Louis Antoine de Noailles Archevêque de Paris, Jacques Bénigne Bossuet Evêque de Meaux, Paul de Godet des Marais Evêque de Chartres :

 

Sur le livre qui a pour titre :

EXPLICATION DES MAXIMES DES SAINTS, etc.

Traduite du latin.

 

Puisqu'on nous appelle depuis si longtemps en témoignage, nous ne pouvons différer davantage de répondre. Monseigneur l'Archevêque duc de Cambray, dans son livre de l’Explication des Maximes des Saints, déclare dès l'entrée, et dans son Avertissement (1), qu'il ne prétend qu'expliquer avec plus d'étendue la doctrine et les maximes contenues dans trente-quatre propositions données au public par deux de nous (2), à qui M. de Chartres s'est uni par l'ordonnance qu'il a publiée dans son diocèse.

L'auteur dans sa lettre à N. S. P. le pape Innocent XII (3), appuie encore sa doctrine sur les XXXIV Articles, et sur les censures des évêques contre certains petits livres; ce qui ne peut regarder que nous, puisque nous sommes les seuls qui ayons fait de telles censures.

Il n'est pas vrai toutefois que nous nous soyons contentés de condamner, comme le dit cet auteur, quelques endroits de ces livres (4); mais nous avons voulu noter les livres entiers, et en attaquer non-seulement la plus grande partie des passages, mais l'esprit et les principes.

Il est dit dans la même lettre (5), que notre zèle ne s'est « échauffé que contre les mystiques, qui depuis quelques siècles ont fait

 

1 Avert., p. 16. — 2 M. de Paris et M. de Meaux. —3 Lettre de M. de Cambray au Pape, imprimée dans son Instruction past., p. 49, 51, 52, 58 de l'addition.— 4 Ibid., p. 51, 52. — 5Ibid.

 

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paraître une ignorance pardonnable des principes de la théologie ; » quoique nos articles et nos censures combattent directement, non point les mystiques des siècles passés, mais les quiétistes de nos jours, dont les erreurs sont connues.

Nous n'avons pas eu besoin de recourir avec l'auteur, au sens qui se présente naturellement (1); comme s'il y avait dans les livres que nous avons condamnés, un sens plus caché qui fût supportable, ou que le venin que nous y avons découvert, ne fût pas clairement répandu partout.

Nous n'avons aussi aucune connaissance de ce qui est encore écrit dans sa lettre (2) : « que quelques personnes ont pris ( de nos Articles et de nos censures), un prétexte de tourner en dérision, comme une rêverie et une extravagance, l'amour de la vie contemplative. »

Enfin l'auteur assure, après avoir réduit la doctrine de son livre à sept propositions, que « toutes ces choses sont conformes aux XXXIV Articles (3). »

Ainsi, comme il paraît que c'est son dessein de défendre son livre par nos sentiments, nous sommes obligés de déclarer ce que nous en pensons : cependant nous n'en venons là qu'avec douleur, et après nous être mis en devoir de gagner notre frère par toutes sortes de voies. La seule nécessité nous force à parler, de peur qu'on ne pense que nous approuvons ce livre; et ce qui nous serait très-fâcheux, que N. S. P. le Pape, pour qui nous avons un très-profond respect, et à qui nous sommes unis comme à notre chef par le lien indissoluble de la foi, ne croie que nous favorisons une doctrine improuvée par l'Eglise romaine.

Nous croyons devoir expliquer avant toutes choses le dessein de nos XXXIV Articles. Une femme qui semblait être parmi nous à la tête du parti des quiétistes, ayant publié plusieurs livres, un entre autres intitulé : Moyen court, etc., et ayant répandu quelques manuscrits, demanda trois personnes au jugement desquelles elle promit de se rapporter (4) : notre auteur s'est depuis

 

1 Lettre de M. de Cambray, etc., p. 51, 52. — 2 Ibid., p. 52. — 3 Ibid., n. 58.— 4 M. de Paris, alors évêque de Châlons, M. de Meaux, et M. Tronson supérieur général de la congrégation de Saint-Sulpice.

 

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uni à eux. On se proposa de la resserrer, elle et ses sectateurs, dans des bornes certaines, de prévenir leurs détours, de marquer leurs propositions déjà condamnées, ou en elles-mêmes, ou dans leurs principes, par les conciles et par le saint Siège, en y opposant les symboles et les dogmes connus de la foi, l'Oraison Dominicale, et les règles de l'Ecriture et de la tradition, avec les maximes reçues de tous lès spirituels. Tel fut l'esprit et le but de nos articles et de nos censures. La suite fera voir si notre auteur s'est contenté dans son livre d'en expliquer la doctrine avec plus d'étendue, ou s'il ne l'a pas entièrement renversée.

Ce qui est certain d'abord, c'est qu'il ôte une des vertus théologales qui est l'espérance, hors de l'état de la grâce, et même dans cet état entre les parfaits.

Il l'ôte hors de l'état de la grâce, en disant qu'avant la justification on aime Dieu d'un amour d'espérance, où « le motif de notre propre intérêt » et de notre félicité « est le motif principal et dominant, qui prévaut sur celui de la gloire de Dieu (1) : » d'où il s'ensuit que l'espérance s'appuyant sur un motif créé, qui est l'intérêt propre, n'est point une vertu théologale, mais un vice : ce qui paraît en ce que l'auteur applique à cette espérance, quoique sans fondement, cette maxime comme étant de saint Augustin : « Tout ce qui ne vient pas du principe de la charité, vient de la cupidité (2) ; c'est-à-dire « de cet amour, qui selon que l'auteur l'explique lui-même, est l'unique racine de tous les vices, que la jalousie de Dieu attaque précisément en nous. »

Après la justification, dans l'état de la perfection ou de l'amour pur, il laisse bien dans l’âme une espérance, mais c'est une espérance à laquelle il ôte la force d'exciter l’âme : « Alors, dit-il (3), l'amour pour Dieu seul est le pur amour, sans aucun mélange de motif intéressé, ni de crainte, ni d'espérance : » ( comme si la parfaite charité qui chasse la crainte, chassait aussi l'espérance) ; d'où il conclut « que ce n'est plus le motif de son propre intérêt qui excite l’âme (4) : » retranchant ainsi aux âmes parfaites le doux attrait de ces motifs, qui néanmoins, comme il l'avoue (5) : « sont

 

1 Explic. des Max., etc., p. 4, 5, 14. — 2 Ibid., p. 7, 8. — 3 Ibid., p. 15,22,23, 24, 102, etc. — 4 P. 12, 26. — 5 P. 33.

 

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répandus dans tous les livres de l'Ecriture sainte, dans tous les monuments les plus précieux de la tradition ; enfin, dans toutes les prières de l'Eglise. »

Si maintenant l'on veut savoir ce que c'est dans tout le livre que d'être affranchi du propre intérêt, l'auteur nous dira que c'est lorsqu'une âme « n'a plus aucun désir propre et intéressé, ni sur la perfection , ni sur la béatitude ou la récompense même éternelle (1) : » à quoi se réduit, ajoute-t-il (2), la tradition universelle de tous les saints , tant des premiers que des derniers siècles.

C'est aussi ce qui lui fait avancer en général, qu'il faut « exclure tout motif intéressé de toutes les vertus des âmes parfaites (3) ; » ce qu'il attribue à saint François de Sales, sans en apporter aucun témoignage, et contre plusieurs passages formels de ce Saint.

Il faut encore rapporter à la même doctrine ce qu'il dit ailleurs : « Dieu veut que je veuille Dieu en tant qu'il est mon bien, mon bonheur et ma récompense : je le veux formellement sous cette précision ; mais je ne le veux point par ce motif précis qu'il est mon bien (4); » et encore : « L'objet formel de l'espérance est mon intérêts ; » c'est-à-dire, comme il venait de l'expliquer, « la bonté de Dieu en tant que bonne pour nous ; mais le motif n'est point intéressé : » ce qui est dire des choses contradictoires ; admettre un motif qui n'est point motif, et détruire l'espérance même, qui privée de la force d'exciter l’âme, n'aura plus rien de l'espérance que le nom.

Par ces principes et autres semblables, encore qu'on retienne le nom de l’espérance, on lui ôte toute sa force, et on ruine la doctrine que nous avons établie dans le premier et le trente-un de nos Articles, comme appartenant à la foi, touchant l'obligation de faire des actes d'espérance en tout état.

Il ne servirait de rien de nous objecter, qu'il se trouve en d'autres endroits du livre des propositions contraires à celles-ci : il est vrai qu'il y en a de contradictoires en termes exprès, comme

 

1 Explic. des Max., etc., p. 10, 57, 135. — 2 Ibid., p. 40, 44, 57. — 3 Ibid., p. 40. — 4 P. 44. 45. — 5 P. 42, 45.

 

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celles qui suivent : « Dieu veut que je veuille Dieu, en tant qu'il est mon bien, mon bonheur et ma récompense (1) ; » ce qui est très-véritable : mais voici précisément le contraire jusqu'à deux fois : « En cet état on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de nos intérêts (2) ; » et encore : « Il est vrai seulement qu'on ne le veut pas, en tant qu'il est notre récompense, notre bien et notre intérêt (3). » On ne peut voir une plus manifeste contradiction et dans le sens et dans les termes, ce qui n'excuse pas une erreur, mais en achève la preuve.

Aussi en général le style du livre est-il tellement entortillé et embarrassé, qu'à peine en peut-on tirer un sens certain en plusieurs endroits, après s'y être fort appliqué : ce qui est la marque d'une doctrine sans principe et sans suite, où l'on ne cherche pas tant des correctifs que des faux-fuyants et des détours.

Sur le désir du salut, il s'explique ainsi : « Le désir de la vie éternelle est bon ; mais il ne faut désirer que la volonté de Dieu (4) : » ce qu'il attribue à saint François de Sales, quoique nous ne l'ayons trouvé en aucun endroit de ses livres.

Il enseigne encore « qu'il y a deux états différons parmi les âmes justes : le premier est celui de la sainte résignation, où l’âme soumet ses désirs intéressés (5) ; » c est-à-dire le désir même de son salut éternel, « à la volonté de Dieu : le second état est celui de la sainte indifférence, où l’âme n'a plus aucun désir intéressé... excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce : » ce qui revient au passage déjà remarqué, « qu'on ne veut point son salut, en tant qu'il est notre récompense, notre bien, notre intérêt. »

Toutes ces propositions, où les désirs du salut sont éludés, quoique conçus par le motif de l'espérance, et celles aussi qui établissent l'indifférence du salut, sont rejetées dans nos Articles par l'autorité de l'Ecriture sainte, non-seulement comme fausses, mais encore comme erronées (6).

Par là même est aussi condamnée cette autre proposition : « La

 

1 Explic. des Max., etc., P. 44. — 2 P. 52. — 3 P. 54. — 4 P. 55, 226. — 5 P. 49, 5à. — 6 XXXIV, Art. IX, XI.

 

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sainte indifférence admet des désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu, que nous ne connaissons pas (1), où sont compris les décrets de la réprobation de l’âme même qui se trouve en cet état, comme de celles des autres ; et c'est jusque-là qu'on pousse le désir.

Quoi qu'en dise l'auteur, il n'y a point ici d'équivoque (2) ; et toute ambiguïté est ôtée de nos articles, puisque nous y avons clairement établi, « que la sainte indifférence chrétienne regarde les événements de cette vie (à la réserve du péché), et la dispensation des consolations ou sécheresses spirituelles, et jamais le salut ni les choses qui y ont rapport (3). »

C'est donc en vain que l'auteur prétend ici s'appuyer de l'article où il est dit « que tout chrétien est obligé de vouloir, désirer et demander son salut, comme chose que Dieu veut (4); » ce qui ne peut être désavoué , puisqu'on exprime par là très-clairement la fin qu'on se propose dans le désir du salut.

Mais il ne fallait pas dire pour cela d'une manière exclusive, que l'homme parfait « ne veut la béatitude pour soi qu'à cause qu'il sait que Dieu la veut (5) : » ce qui emporte l'exclusion des motifs prochains et spécifiques de l'espérance, et ouvre la voie à une pernicieuse indifférence; comme si le salut en soi était une chose indifférente, et qui ne fût pas commandée comme bonne et désirable par elle-même, mais désirable uniquement à cause qu'elle est commandée.

Et pour comprendre quelle différence il y a, entre ce qui est désirable à cause de la volonté de Dieu et ce qui n'est désirable qu'à cause de la volonté de Dieu, il ne faut qu'entendre l'auteur dès les premières pages de son livre, lorsqu'il rapporte ces paroles de saint François de Sales : « Il y a bien de la différence entre cette parole : J'aime Dieu pour le bien que j'en attends ; » et celle-ci : «Je n'aime Dieu que pour le bien que j'en attends (6) : » d'où il paraît combien sont en effet éloignées entre elles des propositions qui semblent ne différer que par un changement presque imperceptible dans les termes.

 

1 Expl. des Max., etc , p. 61.— 2 P. 54.— 3 XXXIV, Art. IX.— 4 Art V. — 5 Expl. des Max., etc., p. 26, 27. — 6 Max., p. 4, 5. Amour de Dieu, liv. II, ch. XVII.

 

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De cette indifférence du salut établie dans tout le livre, viennent ces étranges propositions : « que dans les dernières épreuves une aine peut être invinciblement persuadée qu'elle est justement réprouvée de Dieu (1) ; » et qu'au lieu « que les sacrifices que les âmes désintéressées font d'ordinaire sur leur béatitude éternelle, sont conditionnels (2); en cet état l’âme fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité, parce que le cas impossible lui paraît possible et actuellement réel (3) : » en sorte qu'un « directeur peut alors laisser faire à cette âme un acquiescement simple à sa juste condamnation (4), et à sa réprobation dont elle est invinciblement persuadée (5). »

Bien plus, l'auteur ajoute qu'alors « il n'est pas question de lui dire le dogme de la foi sur la volonté de Dieu, de sauver tous les hommes (6), ni de raisonner avec elle ; car elle est incapable de tout raisonnement (7) : » ce qui est le dernier excès du désespoir.

Pour nous, bien éloignés d'approuver ces excès, nous les avons expressément rejetés dans les XXXIV Articles, où nous n'avons permis aux âmes peinées aucun consentement absolu, pas même dans les dernières épreuves8 ; mais seulement par une supposition impossible et fausse : ce qui est précédé d'un autre article (9), où le désespoir est entièrement exclus : et loin de permettre à un directeur de laisser faire à ces âmes un acquiescement simple à leur juste condamnation et réprobation, au contraire il y est dit précisément qu'il ne le faut jamais souffrir. Au lieu aussi d'empêcher qu'on annonce aux âmes peinées le dogme de la foi sur la volonté de Dieu, de sauver tous les hommes, comme il est porté dans le livre (10) ; il est dit au contraire en termes exprès dans l'article (11), qu'il « faut avec saint François de Sales, les assurer que Dieu ne les abandonnera pas (12) : » ce qui est non-seulement représenter à l’âme la bonté de Dieu envers tous les hommes en général, mais encore lui faire sentir envers elle-même en particulier, cette favorable disposition de la miséricorde divine.

Nos Articles établissent aussi très-clairement la distinclion des

 

1 Explic. des Max., p. 87. 89. — 2 P. 87. — 3 P. 90. — 4 P. 91.— 5 P. 87.— 6 P. 88, 89 — 7 P. 90. — 8 Art. XXXIII. — 9 Art. XXXI — 10 Explic. des Max., etc., p. 88, 89.— 11 Art. XXXI. —  12 entr. V, liv. III. ep. 20, autre édit., 29.

 

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vertus théologales et morales avec leurs motifs particuliers (1) : au lieu que le livre les confond entièrement, en disant que « le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, qui est l'unique principe et l'unique motif de tous les actes délibérés et méritoires (2) : » par où il exclut les autres motifs, excepté ceux qui viennent de la charité ; encore semble-t-il vouloir ôter à la charité même son motif spécifique et sa notion formelle, quand il dit que « cet amour devient tour à tour toutes les vertus différentes, et qu'il n'en veut aucune en tant que vertu (3) : » ainsi selon l'auteur, l'on n'exerce plus la foi comme foi, ni l'espérance comme espérance, ni même la charité comme vertu, quoiqu'elle soit elle-même la vie et la forme de toutes les vertus.

En conséquence de ce faux principe, il ôte à toutes les vertus leur prix et leur éclat particulier, en disant « que l'amour pur et jaloux fait tout ensemble qu'on ne veut plus être vertueux, et qu'on ne l'est jamais tant que quand on n'est plus attaché à l'être (4). » De là enfin est venue cette autre proposition inouïe jusqu'aujourd'hui : « Les saints mystiques ont exclu de cet état les pratiques de vertu (5) : » paradoxes inventés pour détourner les âmes de l'amour de la vertu, et pour en rendre le nom suspect et odieux, malgré les spirituels à qui l'on impose.

On peut porter le même jugement des propositions suivantes : « Les âmes transformées doivent dans la discipline présente confesser leurs fautes vénielles, les détester, se condamner et désirer la rémission de leurs péchés, non comme leur propre purification et délivrance, mais comme chose que Dieu veut (6) : » ce qui ôte le motif propre et intrinsèque de la pénitence, et renverse la doctrine de notre Article XV. Nous ne pouvons aussi approuver qu'on rapporte seulement à la discipline présente, la pratique de la confession des péchés véniels.

C'est avancer une doctrine contraire à celle que nous avons tirée des conciles dans nos Articles VII et VIII que de dire qu'il y ait, quoique en petit nombre, des âmes parfaitement purifiées; « des âmes très-pures et très-mortifiées, en qui la chair est

 

1 Art. I, II, III, XIII. — 2 Explic. des Max., n. 272 — 3 P. 224 — 4 P. 225.— 5 P. 253. — 6 P. 241.

 

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depuis longtemps entièrement soumise à l'esprit, » et en qui « les effets sensibles de la concupiscence puissent être suspendus (1). » De là vient que l'auteur affaiblit l'utilité et la nécessité de la mortification (2), contre ce que dit l'Apôtre et contre la pratique de tous les saints, favorisant ainsi l'erreur condamnée dans notre article XVIII, et dans nos censures.

Sur la contemplation l'auteur enseigne que « quand elle est pure et directe, elle ne s'occupe volontairement d'aucune image sensible, d'aucune idée distincte et nominable, c'est-à-dire d'aucune idée limitée et particulière sur la divinité, pour ne s'arrêter qu'à l'idée purement intellectuelle et abstraite de l'être, qui est sans bornes et sans restriction (3) : » que pour les autres objets, c'est-à-dire les attributs, les personnes divines, et même l'humanité de Jésus-Christ, elle ne s'en occupe plus par son propre choix, mais quand Dieu les présente, et non autrement que par l’impression particulière de sa grâce ; en sorte que dans cet état une âme ne s'attache plus volontairement à ces objets : comme si, avec ce qu'en dit l'Ecriture, leur propre excellence ne suffisait pas à la volonté soutenue de la grâce commune, pour l'exciter à les rechercher par son propre choix. C'est par là qu'on en vient à dire que « les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte de Jésus-Christ rendu présent par la foi, en deux temps différons, dans la ferveur naissante de leur contemplation, et dans les dernières épreuves (4) : » ce qui peut durer fort longtemps.

On ne craint pas même de rejeter « dans les intervalles où la pure contemplation cesse, la vue distincte de Jésus-Christ (5), » comme si un si grand objet pouvait faire descendre l’âme de la plus sublime contemplation, ainsi que l'ont osé dire les béguards (6) : ces pointillés et ces détours ne servent qu'à préparer des excuses aux faux contemplatifs, qui ne trouvent point l'onction de la piété dans Jésus-Christ, et ne se portent point par eux-mêmes à contempler ses mystères. Par la suite de la même erreur, ils ne s'occupent plus des attributs de Dieu, ni des personnes divines :

 

1 Explic. des Max., etc., p. 76, 78, 238. — 2 P. 127, 128, 129, 130.—  3  P. 186, 187, 188, 189. — 4 P. 194, 195. — 5 P. 196. — 6 Clem. Ad nostrum : de Haeret. in prop. 8.

 

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et rejettent de la contemplation les actes distincts de la foi sur tous ces objets : tous ces excès sont contraires à la doctrine formelle de nos articles I, II, III, IV, XXIV.

Sur la grâce, nous trouvons dans le livre, qu'il « n'est pas permis de la prévenir, et qu'il ne faut rien attendre de soi-même, ni de son industrie, ou de son propre effort (1) »

Par cette doctrine, qui est enseignée dans tout l'article XI (2), si on l'examine avec attention, on verra que l'auteur ôte entièrement au libre arbitre l'acte qu'on nomme de propre effort et de propre excitation , contre cette parole de David : Prévenons sa face, et encore : Ma prière cous préviendra ; et contre ce principe de saint Augustin, sur lequel est appuyée toute la dispensation de la grâce de Dieu. « La grâce n'aide que celui qui s'efforce de soi-même (3) : » on y renverse aussi la célèbre et solennelle différence que font unanimement tous les spirituels, entre les actes de propre effort et de propre industrie, et entre les actes infus, ou les motions qui viennent de l'opération et de l'impulsion divine en nous, sans que nous y contribuions de notre part : ces propositions et les autres semblables détruisent en partie et en partie obscurcissent nos articles XI, XXV et XXVI.

On a expressément rejeté dans les Articles (4) l'absurdité inouïe de l'acte continu des quiétistes, également inconnu dans l'Ecriture et dans les saints Pères : cependant les faux mystiques l'avaient introduit dans l'état de perfection; et l'auteur, quoiqu'il le rejette dans son livre et dans sa lettre au Pape, retombe dans le même inconvénient par ce beau « tissu d'actes si simples, si directs, si paisibles, si uniformes, » et tellement « sans secousse, qu'ils n'ont rien de marqué par où l'aine puisse les distinguer ; d'où vient que les uns ont dit qu'ils ne pouvaient plus faire d'actes, et que des autres ont dit qu'ils faisaient un acte continuel pendant toute leur vie (5). »

Enfin on a pris dans nos Articles une grande précaution, pour empêcher que, contre le sentiment unanime de tous les

 

1 Explic. des Max., etc., p. 68, 69, 97, 98, 101. — 2 P. 95, 96, etc. — 3 De pecc. mer., lib. II, cap. V. — 4 Art. XIX. — 5 Explic. des Max., etc., p. 166, 201, 202, 231, 257, etc.

 

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spirituels et de tous les contemplatifs, la sainteté et la perfection chrétienne, ou la parfaite purification, ou enfin la vie intérieure quelle qu'elle soit, ne fût établie dans l'oraison passive ou de quiétude, ni dans aucune autre oraison extraordinaire (1) : cependant tout le livre tend à faire voir que cette oraison et même la contemplation consiste dans le pur amour, qui non-seulement justifie et purifie lame par lui-même, mais qui est encore le plus haut degré de la perfection chrétienne, et le terme où elle aboutit (2).

Nous ne pouvons excuser l’auteur d'une erreur extrême en ce point, puisque non-seulement il s'éloigne de tous les spirituels, mais encore il se contredit lui même; car tous les contemplatifs, sainte Thérèse, Jean de Jésus son interprète, Jacques Alvarez Paz, saint François de Sales et plusieurs autres (3), enseignent unanimement, ou que l'on peut parvenir à la perfection sans l'oraison de quiétude, ou que cette sorte d'oraison est de ces dons extraordinaires qu'on peut regarder comme semblables aux grâces qui sont appelées gratuitement données ; ou que tant s'en faut qu'elle soit la perfection, au contraire elle n'est pas même justifiante, puisqu'elle se peut trouver avec le péché mortel. Mais s'il s'oppose aux spirituels, il se contredit lui-même aussi visiblement, puisqu'après avoir établi à toutes les pages de son livre (4), que la perfection chrétienne consiste dans une oraison, qui n'est autre que le pur amour : il assure néanmoins en même temps, « que la plupart des saintes âmes, et même un grand nombre de saints n'y parviennent jamais en cette vie , » ni par conséquent à la perfection chrétienne, « parce qu'elles n'en ont ni la lumière intérieure, ni l'attrait de grâce (5). »

De là vient ce qu'il enseigne sur le pur amour, « qu'encore que ce soit la pure et simple perfection de l'Evangile, marquée dans toute la tradition (6) ; » néanmoins « les saints de tous les temps ont eu une espèce d'économie et de secret, pour n'en parler

 

1 Art. XXII, XXIII, XXIX. — 2 Avert., p. 10, 23, dans le livr., p. 64, 203, 261, 263, 264, 272, etc. — 3 Sainte Thér., Chât , 6e dem., ch. 9; 7e dem. ch. 4. Joan. à Jesu. M. tom. II. Théol. myst., cap. III. Jacq. Alv. Paz, tom. III, de Contemp. perf., lib. V, part. I, appar. 2, cap. IX, S. Fr. de Sales, Entr., II. Gerson, de Elucid. schol. myst. theol. cons. 7.— 4 Avert., p. 16, 23. Dans le liv., p. 31, 35, 64, 108, 201. — 5 Ibid., p. 34.— 6 Ibid., p. 261.

 

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qu'aux âmes à qui Dieu en donnait déjà l'attrait ou la lumière ; » et non « au commun des justes . à qui ils ne proposaient d'ordinaire que les pratiques de l'amour intéressé : » par conséquent, « que le directeur doit se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour, que quand Dieu, par l'onction intérieure, commence à ouvrir le cœur à ce sentiment (1) : » comme si la parole de l'Evangile ne devait pas aider ceux qui tendent au pur amour, ou que l'onction intérieure exclût les paroles de salut.

C'est une suite de cette doctrine, que ni ce précepte de Jésus-Christ : Soyez parfaits, ni celui qui est le premier et le plus grand de tous les commandements : Vous aimerez, etc., ne regardent pas même tous les saints, au mépris de la vocation et de la perfection chrétienne.

Enfin il n'y a pas moins de contradiction à dire, que la perfection du pur amour et de la contemplation dépend de la grâce, « et de l'inspiration divine, qui est commune à tous les justes (2) : » et cependant que « la plupart des saintes âmes, et même un grand nombre de saints n'y peuvent atteindre; qu'il est inutile et indiscret de la leur proposer, » et que, ce serait les scandaliser ou les jeter dans le trouble (3)» nous avouons simplement, qu'il ne nous est pas possible de concilier ensemble des maximes si opposées.

Voilà les principaux points qui se trouvent répandus dans tout le livre, et qui sont évidemment contraires à nos censures, et à nos XXXIV Articles ( que l'auteur a pris pour fondement ) : mais ce qui suit n'est pas moins opposé à notre doctrine, ni moins éloigné de la vérité.

Il paraît d'abord digne de remarque, que notre auteur ayant rapporté la suite des faux mystiques jusqu'à deux fois, dès les premières pages de son livre, et vers la fin (4), il la commence aux gnostiques des premiers siècles de l'Eglise, il la continue par les béguards vers les siècles du milieu, et la finit aux illuminés d'Espagne, sans faire aucune mention ni de Molinos, ni de ses sectateurs , ni même de cette femme contre qui il savait que nos Articles ont été dressés, quoiqu'il y eût une raison si particulière de

 

1 Explic. des Max., etc., p. 35. — 2 P. 64, 65, 67, 150, 200, 210, 212, etc. —3 P. 34, 35, 168. — 4 Avert., p. 9, 11, dans le liv., p. 240.

 

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les nommer tous, puisque leurs livres et les censures dont ils ont été frappés, même par le souverain pontife, qui en a donné l'exemple à tous les évoques, ont fait un si grand éclat dans toute l'Eglise.

Nous ajoutons ces propositions : « Que l'amour de pure concupiscence, quoique sacrilège et impie, peut néanmoins préparer les âmes pécheresses à la justice et à leur conversion (1); » quoique en effet la préparation à la justice ne puisse venir que du mouvement du Saint-Esprit qui commence à ébranler le cœur (2).

Que l’amour justifiant, par lequel « on aime principalement la gloire de Dieu, et on n'y cherche son bonheur propre que comme un moyen qu'on rapporte et qu'on subordonne à la fin dernière, qui est la gloire de son Créateur (3), » est néanmoins nommé dans tout le livre, du nom d'amour intéressé, contre la doctrine de toute l'Ecole, et contre cet axiome de saint Augustin, reçu aussi de toute la théologie : « Nous devons former nos discours sur une règle certaine, » et non pas dire sans mesure ce que nous voulons : Nobis secundùm certam regulam loqui fas est.

Que le cas impossible, savoir qu'une âme juste, quoiqu'elle persévère dans l'amour de Dieu jusqu'à la fin, soit néanmoins condamnée aux peines éternelles, « devienne possible et actuellement réel (4) ; » en sorte « que ce soit ainsi que saint François de Sales se trouvât dans l'église de Saint-Etienne-des-Grès (5) : » quoique ce Saint n'en ait rien écrit, ni aucun auteur de sa vie; et qu'il soit impossible qu'aucune âme juste ait jamais eu une telle persuasion.

Que « les actes directs, et qui échappent aux réflexions de l’âme, sont cette opération que saint François de Sales a nommée la pointe de l'esprit (6) ; » ce que l'on assure sans en apporter aucun témoignage du saint.

Que par le moyen de ces actes, l’âme est divisée d'avec elle-même (7), et que dans cette séparation inouïe et surprenante, elle

 

1 Avert., p. 17, 2,0 21. — 2 Conc. Trid., sess. VI, cap. VI ; sess. XIV, cap. IV.—  3 Explic. des Max., etc., p. 6, 9, 15. — 4 P. 87, 89, 90.— 5 P. 88 , 91. — 6 P. 82, 91, 118, 122. — 7 P. 87, 90, 91.

 

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conserve tout ensemble et l'espérance parfaite dans la partie supérieure, et le désespoir dans l'inférieure ; et ce qui est de pis, c'est qu'on met l'espérance dans les actes directs, et le désespoir dans les actes réfléchis, qui sont de leur nature les plus délibérés et les plus efficaces, surtout lorsqu'ils sont permis par le directeur; en sorte que l'espérance demeure dans les actes directs, quoiqu'on même temps rejetée par les actes réfléchis.

Que «l’âme ainsi divisée d'avec elle-même, dans cette impression involontaire de désespoir, fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité, et expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé (1)? » comme si les âmes désespérées expiraient avec Jésus-Christ, et qu'elles se plaignissent avec lui d'être délaissées.

Que « dans les dernières épreuves, cette séparation de la partie supérieure de l’âme d'avec l'inférieure se fait à l'exemple de Jésus-Christ notre parfait modèle, en qui la partie inférieure ne communiquait point à la supérieure son trouble involontaire : » et que « dans cette séparation les actes de la partie inférieure sont d'un trouble entièrement aveugle et involontaire (2); » comme si le trouble involontaire qui est en nous, ait pu se trouver en Jésus-Christ; ce qui est un sentiment abominable, au jugement du célèbre Sophronius dans sa lettre lue et approuvée au concile VI (3).

Notre auteur se fait fort de la tradition de tous les siècles, presque à toutes les pages de son livre : on peut juger ce que peut être cette tradition par le seul saint François de Sales ; car quoiqu'il le cite presque seul, et qu'il s'appuie principalement sur lui, il s'est néanmoins trompé plusieurs fois en le citant, et dans des matières très-importantes, sur lesquelles roule tout le livre: nous en avons déjà remarqué une partie; et pour abréger ce discours, nous remettons le reste à une autre occasion, comme beaucoup d'autres choses d'une égale conséquence, telles que sont celles qui regardent l'oraison vocale, la nature de la contemplation, celles des actions humaines et des épreuves, et les trois marques par lesquelles on connaît sa vocation pour passer

 

1 Explic. des Max., etc., p. 90. — 2 Ibid., p. 121, 122, 122. — 3 Conc. VI, Ad. IV.

 

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de la méditation à la contemplation (1) ; et encore plusieurs passages de l'Ecriture, détournés de leur sens naturel à des interprétations nouvelles et inouïes.

Nous ne pouvons assez nous étonner que l'auteur ait gardé un si grand silence sur l'amour de reconnaissance envers Dieu et envers Jésus-Christ notre Sauveur, dans tout un livre fait exprès pour expliquer la perfection du pur amour ; comme si ce n'étaient pas là les plus puissants motifs pour exciter et pour enflammer la vraie et sincère charité; ou qu'ils fussent indignes de l'amour pur, ou que les parfaits dussent les négliger.

Nous ne sommes pas moins surpris qu'en rapportant le décret du concile de Trente, où il définit que l'espérance est bonne de sa nature, et que l'exercice en est convenable aux fidèles (2), il ait passé sous silence cette  autre partie du même décret, que les plus parfaits et les plus saints, comme David et Moïse, ont été excités par ce motif; ce qui montre combien l'auteur s'est éloigné de la pensée du concile, qui enseigne dans la même session (3), « que la vie éternelle doit être proposée comme récompense : tanquàm merces: à tous ceux qui persévèrent jusqu'à la fin dans les bonnes œuvres, et qui mettent leur espérance en Dieu : in Deo sperantibus; » et par conséquent à tous les justes et aux plus parfaits : motif propre à les faire agir, non comme des mercenaires, mais comme de véritables enfants, que la charité même pousse à rechercher l'héritage de leur père.

Il faut ajouter à cela, que les principes posés dans ce livre, tendent à montrer contre l'intention de l'auteur, que par le moyen des actes directs le vice peut se trouver en même temps avec la vertu opposée; et à faire que par un zèle déréglé pour la justice divine, l’âme acquiesçant à toutes les volontés de Dieu qui nous sont cachées, consente au décret plein et absolu de sa réprobation. Enfin contre le précepte de l'Apôtre, par l'esprit qui est répandu dans tout le livre, on réduit la piété à de vaines subtilités, et à des discours frivoles (4) : on étouffe les saints gémissements de l'Eglise, qui durant ce pèlerinage, soupire après la patrie; et on

 

1 Explic. des Max. p. 145, 149, 155, 170, 171 ; p. 73, 77. — 2 P. 19, 21, 47, 143. Sess. VI, cap. XI. — 3 Ibid., cap. XVI. — 4 II Tim., II, 16.

 

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met au rang des mercenaires un saint Paul, et tant d'autres saints martyrs animés au milieu des tourments par l'espérance bienheureuse, et demandant avec ardeur cette récompense.

Pour nous, qui nous proposons pour modèles les paroles saines (1) que nous avons entendues, et qui marchons sur les pas des saints qui nous ont précédés, nous ne pouvons faire consister la piété et la perfection chrétienne dans des pratiques absurdes et impossibles ; ni faire un état et une règle de vie, des mouvements extraordinaires qu'un petit nombre de saints ont ressentis en passant ; ni réputer pour vraies volontés et pour consentements, les volontés et les consentements où l'on se porte à des choses impossibles : c'est ce que nous ne pouvons prendre que pour des velléités, comme parle l'Ecole.

Telles sont les vérités que nous avons reçues de nos pères; c'est ce que nous avons dans le cœur, et que nous croyons devoir témoigner à toute l'Eglise. Donné à Paris dans le palais archiépiscopal, l'an mil six cent quatre-vingt-dix-sept, le sixième d'août.

 

Signé,       + Louis Ant. , Archev. de Paris,

+ J. Bénigne, Ev. de Meaux.

+ Paul, Ev. de Chartres.

 

1 II Tim., I, 13.

 

FIN LA DECLARATION DES TROIS ÉVÊQUES.

 

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