Réunion des Protestants III
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PROJET DE RÉUNION

 

CHAPITRE PREMIER.  PROPOSITION.

CHAPITRE II. EXPLICATION.

CHAPITRE III. DEMANDES.

PREMIÈRE DEMANDE.

CHAPITRE IV. SECONDE  DEMANDE.

CHAPITRE V. TROISIÈME DEMANDE

CHAPITRE VI. QUATRIÈME DEMANDE.

CHAPITRE VII. CINQUIÈME  DEMANDE.

CHAPITRE VIII. SIXIÈME DEMANDE.

CHAPITRE IX. PREMIÈRE CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

CHAPITRE X. SECONDE CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

CHAPITRE XI. TROISIÈME CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

CHAPITRE XII. MANIÈRE D'AGIR.

CHAPITRE XIII. PREMIER ORDRE, OU PREMIÈRE CLASSE DES CONTROVERSES.

PREMIER  EXEMPLE.

CHAPITRE XIV. SECOND EXEMPLE.

CHAPITRE XV. TROISIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XVI. QUATRIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XVII. CINQUIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XVIII. SIXIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XIX. SEPTIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XX. HUITIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXI. NEUVIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXII. DIXIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXIII. SECOND ORDRE OU SECONDE CLASSE DES CONTROVERSES.

CHAPITRE XXIV. PREMIER EXEMPLE.

CHAPITRE XXV. SECOND EXEMPLE.

CHAPITRE XXVI. TROISIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXVII. QUATRIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXVIII. CINQUIEME EXEMPLE.

CHAPITRE XXIX. SIXIÈME EXEMPLE.

SEPTIÈME EXEMPLE.

CHAPITRE XXX. TROISIÈME ORDRE OU TROISIÈME CLASSE DES CONTROVERSES.

CHAPITRE XXXI.  DE QUELLE MANIÈRE ON PEUT TRAITER CES ARTICLES.

CHAPITRE XXXII. DE LA TRANSSUBSTANTIATION.

CHAPITRE XXXIII. DE L'INVOCATION DES SAINTS.

CHAPITRE XXXIV. DU CULTE DES IMAGES.

CHAPITRE XXXV. DU PURGATOIRE.

CHAPITRE XXXVI. DE LA PRIMAUTÉ DU PAPE DE DROIT DIVIN.

CHAPITRE XXXVII. DES VŒUX MONASTIQUES.

CHAPITRE XXXVIII. DES TRADITIONS, OU DE LA PAROLE NON ÉCRITE.

CHAPITRE XXXIX. LE CONCILE.

CHAPITRE XL. CONCLUSION.

  

Composé en latin par M. MOLANUS, abbé de Lokkum, et traduit en français par messire Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de M eaux, en l'abrégeant tant soit peu en quelques endroits, sans rien ôter d'essentiel, sous ce titre : PENSÉES PARTICULIÈRES sur le moyen de réunir l'église protestante avec l'Eglise catholique romaine, proposées par un théologien sincèrement attaché à la Confession d'Augsbourg, sans préjudicier aux sentiments des autres, avec le consentement des supérieurs, et communiquées en particulier à M. l’évêque de Meaux, pour être examinées en la crainte de Dieu, à condition de n'être pas encore publiées.

 

CHAPITRE PREMIER.  PROPOSITION.

 

La réunion de l'église protestante avec l'Eglise Romaine catholique, non-seulement est possible, mais encore recommandable, par son importance, à tous et à un chacun des chrétiens ; en sorte que tout chrétien est obligé par le droit divin naturel et positif, expliqué dans les décrets de l'Empire, d'y contribuer en particulier tout ce qu'il pourra dans l'occasion.

 

CHAPITRE II. EXPLICATION.

 

J'entends parler d'une réunion qui se fasse sans blesser la conscience, la réputation et les principes, ou la doctrine et les présupposions de chacune des deux églises ; en sorte que la vérité s'accorde avec la paix, conformément à cette parole de l'Ecriture : « Cherchez la paix et la vérité (1). » On doit donc dans cet accord laisser un chacun suivre le mouvement de sa conscience, sans contraindre personne « à appeler la lumière ténèbres, ni les ténèbres lumière (2) ; » mais avoir égard à la vérité dans toutes choses, et éloigner en toute manière ce qu'on croit être une erreur. Or

 

1 Zachar., VIII, 19. — 2 Isa., V, 20.

 

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cette profession de la vérité et cette reconnaissance de l'erreur se doivent faire de telle sorte, selon les règles de la prudence et la pratique des apôtres, qu'il n'en arrive aucun scandale, ni rien d'où s'ensuive le mépris de la religion, ou qui porte préjudice ou à la réputation, ou à l'autorité des prélats et des docteurs de l'Eglise ; ce qui arriverait, si l'un ou l'autre parti était obligé de révoquer ses prétendues erreurs , ou d'admettre dans cette méthode de réunion quelque chose qui soit contraire à ses présuppositions ; et il ne faut pas seulement penser à cette pédantesque prétention de rétractation de prétendues erreurs, ni exiger comme convenu ce qui est nié par l'une des parties : tout devant se faire au contraire par voie d'explication, d'éclaircissement, d'adoucissement modéré ; ou si cela ne se peut, ou universellement ou en partie, il faudra du moins suspendre de côté et d'autre les décisions, les condamnations mutuelles et les invectives, et tout renvoyer à un légitime concile ; d'où il s'ensuit qu'il sera utile, et en quelque sorte permis d'user de tolérance et de condescendance dans les erreurs qui ne renverseront point les fondements de la foi, si l'on ne peut les ôter facilement et sans bruit; ce qui est aussi conforme à l'esprit des apôtres, qui encore qu'ils sussent bien que la doctrine des Juifs nouvellement convertis au christianisme touchant l'obligation de s'abstenir du sang et des choses suffoquées, était erronée, néanmoins comme ils prévoyaient que les Juifs ne fléchiraient jamais sur ce point, non-seulement ne voulurent pas expressément déclarer cette erreur; mais obligèrent encore les Gentils, par une loi portée dans le concile de Jérusalem à se conformer aux Juifs, pour garder autant qu'on pourrait l'uniformité.

Il ne faut pas non plus exiger des parties qu'après avoir fait une réunion préliminaire dans les choses essentielles, une des parties soit obligée de souscrire incontinent aux opinions de l'autre; n'étant pas possible que le peuple, soit protestant, soit catholique, passe en un instant d'une extrémité à l'autre ; et cela même n'étant pas nécessaire, puisqu'il paraît par l'histoire des Evangiles et des Actes, que Jésus-Christ et les apôtres ont introduit successivement leur doctrine, et non pas tout à la fois.

 

1 Act., XV, 20.

 

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CHAPITRE III. DEMANDES.

 

Pour arriver à la fin que nous nous sommes proposée, nous ferons seulement six demandes, que l'Eglise romaine, comme une bonne mère, peut accorder agréablement à ses anciens enfants.

 

PREMIÈRE DEMANDE.

 

Que le Pape reconnaisse pour membres de la vraie Eglise les protestants, qui se trouveront disposés à se soumettre à la hiérarchie ecclésiastique et à un concile légitime, sous les conditions qu'on exposera ci-dessous, encore qu'ils soient persuadés que la communion doit toujours, et à perpétuité, être célébrée par les leurs sous les deux espèces.

La raison de cette demande est premièrement, que les protestants sont invinciblement persuadés qu'ils ne peuvent communier autrement en bonne conscience ; la seconde, que nonobstant cette opinion des protestants, le Pape les peut recevoir à sa communion, sans blesser les sentiments et les présuppositions de son Eglise.

Que les protestants soient invinciblement persuadés qu'ils ne peuvent en conscience communier autrement que sous les deux espèces, cela paraît en ce que c'est une vérité constante, qu'encore que Jésus-Christ n'ait pas absolument commandé de communier, néanmoins supposé que l'on communie, il veut que l'on communie de cette sorte, parce qu'il veut que l'on reçoive la communion, ainsi qu'il l'a instituée : or il l'a instituée sous les deux espèces; il veut donc, si l'on communie, qu'on le fasse sous les deux espèces. Et de même que tout le monde n'est pas obligé de se marier, mais supposé que l'on contracte un mariage, on est obligé de le faire selon que Dieu l'a institué (1) : ainsi quoique Jésus-Christ n'ait pas expressément commandé de communier, néanmoins si l'on communie, on est

 

1 Gen., II, 24; Matth., XIX, 4, 5.

 

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obligé de le faire conformément à l'institution qu'il a faite de ce mystère.

Il y a plusieurs exemples semblables. On n'est pas obligé de faire testament ; mais supposé qu'on en fasse un, il le faut faire avec les solennités que la loi prescrit : on n'est pas obligé de prier toujours et à chaque moment; mais suppose qu'on le fasse, il le faut faire avec l'attention requise. Ainsi sans se tenir obligés à la communion par un commandement expiés et formel, les protestants ont raison, supposé qu'ils communient, de croire qu'on ne le peut faire qu'aux termes de l'institution, et ils ne peuvent agir autrement sans renverser leurs principes et blesser leur conscience.

Mais il n'en est pas ainsi du Pape. Car le concile de Trente, dans la session XXI, ayant remis en son pouvoir d'accorder la communion sous les deux espèces, sans avoir besoin même d'un concile, il est clair qu'il ne fait rien contre ses principes et contre les présuppositions de son Eglise en l'accordant. C'est donc avec raison qu'on lui demande de le faire ; d'autant plus que la religion catholique en doit recevoir un grand avantage, et qu'on ne lui demande rien en cela que ce qui a déjà été accordé autrefois aux Bohémiens en cas pareil.

 

CHAPITRE IV. SECONDE  DEMANDE.

 

Que le Pape ne presse pas les protestants à recevoir les messes qu'on nomme privées ou particulières et sans communiants.

Ce n'est pas que les protestants tiennent ces messes pour absolument illicites, puisque même il est reçu parmi eux que les pasteurs, dans le cas de nécessité et quand il n'y a point d'assistants, se communient eux-mêmes.

Ils ne prétendent pas non plus, après l'union préliminaire, empêcher les leurs d'assister à de telles messes célébrées par les catholiques. Ainsi, ce qui les oblige à faire cette demande, c'est premièrement, que hors les cas de nécessité, il faut célébrer l’Eucharistie comme Jésus-Christ l'a instituée et qu'elle est décrite

 

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dans l'Evangile ; en sorte qu'outre le prêtre, il y ait encore quelqu'un à qui on la donne. Secondement, à cause que les messes privées attirent beaucoup d'abus, dont la nation germanique et plusieurs catholiques romains se sont plaints. Troisièmement, à cause qu'il ne reste dans la plupart des églises protestantes aucun vestige des fondations de ces messes, ni de ce qui est nécessaire pour les célébrer.

 

CHAPITRE V. TROISIÈME DEMANDE

 

Que le Pape laisse en son entier aux églises protestantes leur doctrine touchant la justification du pécheur devant Dieu, puisque ces églises enseignent que les adultes, c'est-à-dire, ceux qui ont l'âge de discrétion, pour recevoir la rémission de leurs péchés, les doivent connaître, en avoir de la douleur, s'appuyer non sur leurs mérites, mais sur la seule mort et les mérites de Jésus-Christ, pour obtenir le pardon de leurs péchés et le salut éternel, et ensuite ne pécher plus, mais s'appliquer à la sainteté et aux bonnes œuvres, « puisque sans la sainteté personne ne verra Dieu (1). »

Le reste c'est à savoir si la justification est, comme le veulent les catholiques, l'infusion de la grâce justifiante ou, comme le disent les protestants, une simple non-imputation des péchés en vue des mérites de Jésus-Christ, n'étant que dispute de mots, ainsi qu'il a été reconnu d'un côté par les protestants, et surtout par ceux d'Helmstad, et de l'autre par les catholiques, comme par les deux Walembourg et par le Père Denis capucin, dans son livre intitulé : Via pacis, la Voie de la paix, cette question se peut terminer par la seule exposition des termes, sans qu'il soit besoin de disputer davantage de part et d'autre.

 

1 Hebr., XII, 14.

 

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CHAPITRE VI. QUATRIÈME DEMANDE.

 

Que le Pape reconnaisse pour légitimes les mariages contractés et à contracter par les pasteurs protestants, puisqu'il le peut faire sans préjudice de la doctrine de son Eglise ; tout le monde étant d'accord que le célibat des prêtres n'est qu'une institution ecclésiastique que l'Eglise peut abroger, et le concile de Florence ayant même permis aux prêtres grecs d'être mariés.

 

CHAPITRE VII. CINQUIÈME  DEMANDE.

 

Que le Pape veuille confirmer et ratifier, d'une manière que les deux partis puissent accepter, les ordinations faites jusqu'ici par les protestants; car pour celles qui se feront par les évêques selon le rite romain, après l'union préliminaire, il n'y a nulle difficulté. Mais il faut que les autres, qui sont déjà faites parmi les protestants, soient ratifiées, non pour l'amour d'eux, puisqu'ils n'en révoquent point en doute la validité; mais pour l'amour des catholiques romains, qui recevront les sacrements de la main des ministres protestants après l'union préliminaire, parce qu'autrement, ils seraient toujours dans la crainte ; ce qui fait voir que cet article doit être déterminé d'abord, et n'est pas de nature à être renvoyé au concile.

 

CHAPITRE VIII. SIXIÈME DEMANDE.

 

Que sur la jouissance des biens d'Eglise, et le droit que les princes, comtes et autres Etats de l'Empire y ont, ou prétendent y avoir par la transaction de Passau et le traité de paix de Westphalie, Le Pape transige avec eux d'une manière qui les rende favorables au saint et salutaire projet de cette réunion. Que le Pape puisse ces choses, et encore de bien plus grandes, les concordats entre l'Eglise romaine et la gallicane le font voir, aussi

 

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bien que le sentiment commun des docteurs de Sorbonne, et entre autres de M. Dupin.

Que si le Pape daigne accorder ces choses aux protestants, ceux qui seront de notre avis accorderont de leur part ces trois choses à Sa Sainteté.

 

CHAPITRE IX. PREMIÈRE CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

 

De le reconnaître pour le premier de tous les évêques, et en ordre et en dignité par le droit ecclésiastique, pour souverain patriarche, et en particulier pour le patriarche d'Occident, et de lui rendre dans le spirituel toute l'obéissance qui lui est due.

 

CHAPITRE X. SECONDE CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

 

De tenir pour Frères tous les catholiques romains, nonobstant la communion sous une espèce et les autres articles, jusqu'à la décision d'un légitime concile.

 

CHAPITRE XI. TROISIÈME CHOSE ACCORDÉE AU PAPE.

 

Que les prêtres seront soumis aux évêques, les évêques aux archevêques et ainsi du reste, selon l'ordre de la hiérarchie de l'Eglise catholique. Je prouve qu'on peut, sans blesser sa conscience, tenir pour Frères les catholiques, encore qu'ils ne communient que sous une espèce, et que les protestants croient que les deux sont commandées par Jésus-Christ : premièrement, parce que l'erreur des catholiques sur ce point paraît jusqu'ici invincible et involontaire, et que les erreurs de cette sorte ne damnent point : secondement, parce qu'en tout cas, quand lé Pape ne pourrait pas introduire cette communion en Espagne, en Portugal et en Italie, le précepte de la charité, qui est le plus important et le plus essentiel de tous, du commun accord de tous les chrétiens, doit prévaloir sur le précepte de la communion sous les deux

 

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espèces, qui est moins important, par la même règle qui fait que le précepte de tirer son frère d'un péril extrême, qui est plus essentiel, doit prévaloir le cas arrivant à celui de l'observation du sabbat ou dimanche, qui est de moindre importance; et la raison de tout cela est ce principe certain, que dans le concours de deux préceptes divins, si l'observance de l'un en un certain cas est incompatible avec celle de l'autre, il suffit d'observer celui qui est le plus excellent et le plus nécessaire.

 

CHAPITRE XII. MANIÈRE D'AGIR.

 

Quand on sera sincèrement et secrètement d'accord de ces choses, l'Empereur sollicitera les électeurs, princes et autres Etats de l'Empire, tant catholiques que protestants, d'envoyer leurs députés à mie assemblée, où l'on conférera de la réunion : bien entendu qu'ils n'y enverront que des personnes qui soient d'accord de ce que dessus.

Dans cette assemblée ou dans ce colloque, en présupposant ces demandes préliminaires, on examinera les autres controverses, dont on n'est point du tout, ou dont on n'est pas tout à fait d'accord, et il paraîtra qu'elles se réduisent à trois choses ou à trois ordres.

 

CHAPITRE XIII. PREMIER ORDRE, OU PREMIÈRE CLASSE DES CONTROVERSES.

 

Elle comprend celles qui consistent dans des équivoques, ou dans des disputes de mots.

 

PREMIER  EXEMPLE.

 

Si le sacrement de l'autel est un sacrifice. En ce point la dispute ne consiste pas à savoir si l'Eucharistie peut être nommée sacrifiée ; car tout le monde en est d'accord; mais si c'est un sacrifice proprement appelé ainsi. Or cette question se réduit aux termes, puisque les protestants aussi bien que le cardinal Bellarmin. selon la phrase de l'Ancien Testament prennent le sacrifice

 

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proprement dit dans l'occision d'un animal ou d'une substance animée, en l'honneur de Dieu et par son commandement : auquel sens l'Eglise romaine bien persuadée, aussi bien que la protestante, que Jésus-Christ ne meurt plus et ne répand point de nouveau son sang, ne prétend pas que l'Eucharistie soit un sacrifice. Elle veut donc seulement qu'elle soit un sacrifice proprement dit, par opposition aux autres sacrifices, qui sont nommés tels encore plus improprement, comme à celui des lèvres et de la prière, ou à cause que le même sacrifice offert pour nous et le même sang répandu pour nous à la croix, nous est donné très-réellement dans l'Eucharistie pour y être pris, non-seulement par la foi, mais encore par la bouche du corps ; auquel sens les protestants peuvent accorder que l'Eucharistie est un sacrifice proprement dit ; ce qui montre plus clair que le jour que ce n'est ici qu'une dispute de mots, puisque les parties demeurent d'accord que Jésus-Christ ne meurt pas dans l'Eucharistie, que ln manière réelle dont il y est présent et mangé, en mémoire et avec représentation du sacrifice une fois offert à la croix, et en ce sens irréitérable, peut être appelé un sacrifice proprement ou improprement dit, selon la diverse acception de ces termes. C'est ce que dit expressément Matthieu Gallien, auteur catholique, dans son Catéchisme, Catéch., XIII, pag. 422, J'ajouterai que saint Cyprien et saint Cyrille appellent l'Eucharistie un «très-véritable et très-singulier sacrifice, « plein de Dieu, très-vénérable, très-redoutable, très-sacré et très-saint (1). » On pourrait peut-être encore accorder que l'Eucharistie n'est pas seulement un sacrifice commémoratif, et en ce sens improprement appelé tel, selon la définition des protestants ; mais que c'est même une certaine oblation incompréhensible du corps de Jésus-Christ, immolé pour nous à la croix ; et en ce sens un vrai sacrifice, ou si l'on veut, proprement dit d'une certaine manière. Saint Grégoire de Nysse dit expressément « que Jésus-Christ, à la fois sacrificateur et victime, s'est offert pour nous comme une hostie, s'est immolé comme une victime, lorsqu'il nous a donné sa chair et son sang, parée que comme on ne mange point mie victime animée, il fallait que son corps et son

 

1 Cyril., Catech., XXIII; Cypr., epist. LXIII.

 

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sang, qu'il donnait à manger et à boire:, fussent immolés auparavant d'une manière secrète et invisible (1).» Et saint Irenée : « L'oblation de l'Eglise, que Jésus-Christ lui a enseignée, est tenue pour un sacrifice très-pur et très-agréable à Dieu. On fait des oblations dans le Nouveau Testament comme dans l'Ancien, et il n'y a que la forme qui en est changée, parce que l'une de ces oblations est offerte par le peuple esclave, et l'autre par le peuple libre (2). » Saint Augustin : « Pour tout sacrifice et pour toute oblation, » c'est-à-dire, au lieu de celles l'Ancien Testament, « dans le Nouveau on offre le corps de Jésus-Christ, et on le donne à ceux qui y participent (3).» Le second concile de Nicée : « Jésus-Christ ni les apôtres n'ont jamais dit que le sacrifice non sanglant fût une image ; mais ils ont dit que c'était le propre corps et le propre sang (4). » Nicolas Cabasilas (l'un des plus doctes théologiens de l'Eglise grecque ), écrit dans l’ Exposition de la Liturgie : « Ce n'est point ici la ligure d'un sacrifice et l'image du sang, c'est vraiment une immolation et un sacrifice (5). »

CHAPITRE XIV. SECOND EXEMPLE.

 

On dispute entre les catholiques, si l'intention du ministre est requise dans le sacrement; et l'on est d'accord sur ce point, crue l'intention habituelle, qui ne consiste que dans une certaine disposition du corps, qui peut être dans ceux qui dorment, ne suffit pas, que l'actuelle n'est pas nécessaire, que la virtuelle suffit, et qu'il n'est pas requis pour la validité du sacrement, que le ministre ait intention d'en conférer le fruit. Becan convient de toutes ces choses ; et cela étant, il paraît qu'il n'y a ici de dispute que dans les mots.

 

1 Orat. I, De Resurr. Christi. — 2 Lib. IV, cap. XXXIV. — 3 De Civit. Dei, lib. XVII, cap. XX. — 4 Act. VI. — 5 Cap. XXXII.

 

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CHAPITRE XV. TROISIÈME EXEMPLE.

 

On demande s'il y a sept sacrements ou deux seulement. Ce n'est là qu'une dispute de mots ; car si l'on appelle sacrement tout ce qui est institué pour l'honneur de Dieu, selon saint Augustin , il y en a bien plus de sept : si l'on prend ce mot de sacrement d'une manière un peu plus étroite, on ne doute point que ces cinq autres sacrements (que reconnaît l'Eglise romaine) ne puissent recevoir ce nom. Ainsi toute la question consiste à savoir si ces sacrements sont sacrements de la même sorte que le baptême et l'Eucharistie ; ou pour parler plus clairement, si tout ce qui est essentiel au baptême et à l'Eucharistie, a lieu dans le sacrement de mariage, de l'ordre, de l'extrême-onction, etc. Or certainement il y faut trois choses : premièrement, la parole de l'institution; secondement, une promesse de ta grâce justifiante; troisièmement, un signe externe, un élément ou, comme on l'appelle, une matière; ce que les catholiques ne disent pas, par exemple, qui puisse convenir au mariage, puisque, ni il n'est institué par Jésus-Christ dans le Nouveau Testament, mais dès l'origine du monde, ni il n'a aucun élément ou matière, ni aucune promesse de grâce qui lui ait été annexée.

 

CHAPITRE XVI. QUATRIÈME EXEMPLE.

 

Si les péchés sont vraiment ôtés par la justification. Question aisée à résoudre par l'explication des termes. Car les péchés sont ou actuels, comme un vol, un homicide ; ou habituels, comme le péché originel, et ses habitudes vicieuses ; et il faut regarder dans tous les deux, ou la matière ou la forme.

Quand on demande si le péché est ôté, ou dans les péchés actuels ou dans les péchés habituels, ou l'on parle du matériel ou du formel du péché. Le matériel du péché actuel est ou l'acte même qui passe, et qui par conséquent n'est point ôté par la

 

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justification, ou le rapport de l'acte avec celui qui le commet, ce qui ne peut non plus être ôté, puisque de là. il s'ensuivrait que la justification pourrait opérer que le pécheur n'eût point péché, que celui qui aurait fait un vol ne l'eût point fait ; ce qui ne se peut.

Quant au péché habituel, le matériel est la pente au mal, qui est affaiblie, mortifiée, subjuguée, en sorte que le péché ne domine plus ; mais non pas ôtée tout à fait, tant que nous sommes dans ce corps mortel. Et cet affaiblissement de l'habitude du péché, est l'effet de la régénération et de la sanctification, et non pas de la justification. Les catholiques accordent tout cela aux protestants.

Reste donc à considérer le formel du péché, c'est-à-dire ce qui fait qu'on est coupable et qu'on mérite la peine ; et sur cela les protestants accordent aussi aux catholiques que cela est vraiment et totalement ôté par la rémission, par le pardon, par la non-imputation, qui est ce qu'ils appellent justification. Et quand quelques-uns d'eux enseignent que le péché n'est point ôté par la justification, ils l'entendent du péché originel, et en particulier de la convoitise, laquelle demeure dans les baptisés quant à son matériel seulement, mais non pas quant à son formel ; c'est-à-dire quant à la coulpe et au mérite de la peine, parce que l'inclination habituelle au mal demeure toujours dans l'homme, mais elle n'y domine pas.

 

CHAPITRE XVII. CINQUIÈME EXEMPLE.

 

Si la foi seule justifie. On sait le tumulte qu'a excité cette proposition insérée par Luther dans le texte de l'Ecriture ; quoiqu'elle ne soit pas véritable, à la prendre proprement, et que la chose puisse être expliquée par d'autres propositions de l’Ecriture, et très-reçues dans l'Eglise. Car, à proprement parler, c'est Dieu et non pas la foi qui justifie. Lorsque Dieu nous justifie, il n'y a qu'une cause, ou le motif intérieur, qui le pousse à nous accorder ce bienfait, et c'est sa grâce et sa miséricorde ; il n’y a

 

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non plus qu'un motif extérieur principal, qui est le seul mérite de Jésus-Christ; ni qu'un seul motif extérieur moins principal, qui est la foi. Et quand on dit que la foi seule est ce motif principal, c'est sans exclure les autres motifs qui portent Dieu à nous justifier ; c'est-à-dire sa grâce, sa bonté et le mérite de Jésus-Christ. Au surplus cette foi, qui justifie seule, n'est pourtant pas seule ou solitaire dans le cœur quand elle nous justifie, puisque la foi qui nous justifie n'est pas la foi morte, destituée de la charité et du bon propos. En disant donc que la foi justifie seule, on veut dire que ni l'espérance, ni la charité, ni quelque bonne œuvre que ce soit, ne sont pas ce qui nous justifie immédiatement ; mais que c'est la foi qui croit que Jésus-Christ a satisfait pour nos péchés, avec la confiance que nous avons d'en obtenir la rémission par ses mérites, laquelle foi n'est pas morte, mais vive et efficace par la charité.

 

CHAPITRE XVIII. SIXIÈME EXEMPLE.

 

Si l'on peut être assuré de sa justification ou de sa persévérance. Les catholiques romains ne le nieront pas, si la question est bien expliquée. On ne doute point que nous ne soyons justifiés par la foi. Or celui qui croit, sait qu'il croit : il est donc absolument assuré de sa foi et par conséquent de son salut. Cependant personne n'enseigne parmi nous que l'on soit autant assure de sa persévérance et de son salut, que de sa justification. Car nous sommes absolument assurés de celle-ci, et de l'autre seulement sous condition, c'est-à-dire si l'on se sert des moyens que la foi prescrit pour persévérer, et si l'on continue à demander cette grâce jusqu'à la fin de sa vie, sous laquelle condition l'on est aussi assuré de son salut. Martin Eisengrinius, docteur catholique , enseigne « que ce ne fut jamais le sentiment du concile de Trente, que le chrétien ne puisse eu aucun temps être assuré de son salut et de sa justification (1). »

 

1 Lib. Germ., cui titul. : Modesta et pro statu temporis necess. declaratio,   v. Act. fidei, edit. Ingolst., 1568.

 

 

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CHAPITRE XIX. SEPTIÈME EXEMPLE.

 

Sur la possibilité d'accomplir la loi et le Décalogue. Ce n'est encore qu'une question de nom. Dieu a fait deux pactes avec l'homme : selon le pacte de la loi, il oblige les premiers hommes, laits à l’image de Dieu, d'accomplir le Décalogue, jusqu'à s'abstenir de toute concupiscence et de tous les mouvements qu'on appelle primo-primi, qui portent au mal. Mais par le pacte de l'Evangile et après la chute, l'homme ne pouvant plus accomplir la loi en cette rigueur, Dieu ne l'oblige qu'à croire d'une foi vive en Jésus-Christ, et à s'abstenir des péchés mortels et des péchés contre sa conscience. Pour ce qui regarde les pèches véniels, ou la concupiscence dans l'acte premier, ou les autres mauvais mouvements indélibérés, Dieu promet à l'homme régénéré de ne les lui imputer pas, pourvu que tous les jours il en demande pardon, etc. Selon cette distinction, personne ne pouvant plus accomplir la loi dans cette rigueur, après la chute de l'homme, nul aussi n'y est obligé, parce qu'on serait obligé à l'impossible, ce qui ne peut être. Mais tout homme régénéré est obligé d'accomplir la loi et le Décalogue, selon que Dieu l'exige de lui par le pacte de l'Evangile ; ce qu'il peut aussi accomplir avec les secours de la grâce , en faisant tous ses efforts pour cela. Cette doctrine est conforme à celle du Père Denis, capucin, qui assure que « c'est aussi le sentiment de saint Thomas et du concile de Trente, puisqu'il anathématise celui qui dit que l'homme peut éviter tous les péchés véniels sans privilège spécial ; ce qui suffit aux protestants (1). »

 

CHAPITRE XX. HUITIÈME EXEMPLE.

 

Si les premiers mouvements, la concupiscence en acte premier et tes autres péchés qu'on appelle véniels, sont contraires a la loi de Dieu. Le même Père Denis a concilié ce différend, en

 

1 Via pacis, p. 871 ; S. Thom., I-II, quœst. XIX, art. 8.

 

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disant « que selon quelques catholiques, les péchés véniels ne sont pas absolument contre la loi, à cause qu'ils ne sont point contre toute son étendue, en tant qu'ils n'obligent pas sous peine de perdre la grâce ; mais qu'ils sont néanmoins contre la loi, en tant qu'on est obligé de les éviter, qui est la seconde étendue de la loi, et en tant qu'il faudrait tout faire par le pur amour de Dieu, qui est la troisième étendue de la loi. Au premier sens, l'homme peut vivre sans transgresser la loi : dans le second et dans le troisième, il ne le peut pas sans une grâce spéciale ; mais il lui suffit d'accomplir la loi au premier sens : ce qui étant incontestable dans la chose, il serait contre la raison, comme dit Gerson, de disputer des mots (1). »

 

CHAPITRE XXI. NEUVIÈME EXEMPLE.

 

On demande si les bonnes œuvres des justes sont parfaites en elles-mêmes, et pures de tout péché. On répond par la distinction précédente, que les bonnes œuvres sont imparfaites par rapport à la perfection du pacte légal, qui ne peut plus être accompli après la chute de l'homme ; et ceux qui concluent de là que les protestants regardent les bonnes œuvres comme n'étant que péché et iniquité, doivent savoir qu'ils rejettent cette proposition, encore peut-être que quelques-uns des leurs, pensant mieux qu'ils ne parlaient, l'aient dit ainsi.

 

CHAPITRE XXII. DIXIÈME EXEMPLE.

 

Si les bonnes œuvres des régénérés sont agréables à Dieu. On peut proposer cette question en deux manières : la première, si ces bonnes œuvres plaisent à Dieu en elles-mêmes; la seconde, si elles lui plaisent dans toutes leurs circonstances. Au premier sens, on répond à la question que les bonnes œuvres plaisent à Dieu, non pas purement et simplement, parce qu'elles ne sont

 

1 Via pacis, p. 379.

 

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pas purement et simplement bonnes, et au contraire qu'elles ont leur imperfection ; mais qu'elles lui plaisent, en tant qu'elles sont conformes à la loi de Dieu. Au second sens on répond, qu'encore que ces bonnes œuvres aient des imperfections, qui ne peuvent plaire à Dieu, toutefois parce qu'elles viennent de Jésus-Christ par la foi, et que ceux qui les font sont en Jésus-Christ, en sorte qu'il n'y a point pour eux de condamnation, elles plaisent à Dieu purement et simplement, à cause que Dieu pardonne ces imperfections pour l'amour de Jésus-Christ appréhendé par la foi.

On produirait aisément plusieurs exemples de cette sorte; mais c'est assez de cet essai pour juger des autres ; et l'on n'a besoin de concile, ni universel ni provincial, pour terminer ces sortes de difficultés, la conciliation s'en pouvant faire par un petit nombre de docteurs non préoccupés, dans l'assemblée dont on a parlé, par la seule intelligence des termes.

 

CHAPITRE XXIII. SECOND ORDRE OU SECONDE CLASSE DES CONTROVERSES.

 

Nous rangerons dans cette classe les questions qui sont sur les choses, et non sur les mots ; mais en telle sorte que l'affirmative et la négative sont tolérées dans l'une des deux églises. En tel cas, il faut préférer, pour le bien de la paix, le sentiment qu'une église entière approuve unanimement, à celui que les uns approuvent et les autres rejettent dans l'autre église.

 

CHAPITRE XXIV. PREMIER EXEMPLE.

 

Toute l'Eglise romaine approuve la prière pour les morts ; une partie de l'église protestante fondée sur l’Apologie de la Confession d’Augsbourg, l'approuve aussi. En effet une partie prie pour les morts. Il faut donc prier les protestants dans cette assemblée de se ranger tous au sentiment qui est déjà approuvé par

 

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une partie de leur corps, comme il l'est dans tout le corps de l'Eglise romaine.

 

CHAPITRE XXV. SECOND EXEMPLE.

 

Une partie de l'Eglise romaine approuve la conception immaculée de la sainte Vierge, et l'autre l'improuve. Toute l'église protestante la rejette. Il faut donc prier les catholiques d'entrer dans ce dernier sentiment, pour le bien de la paix.

 

CHAPITRE XXVI. TROISIÈME EXEMPLE.

 

Sur le mérite des bonnes œuvres, il y a deux opinions célèbres dans l'Eglise romaine. Scot enseigne que les couvres des régénérés ne sont point méritoires par elles-mêmes, mais par l'acceptation et la disposition de Dieu, qui les destine à la récompense. Vasquez et ses sectateurs disent au contraire que les bonnes oeuvres des justes, sans avoir besoin d'aucun pacte ou acceptation de Dieu, méritent la vie éternelle par un mérite de condignité; et qu'encore qu'il y ait une promesse, elle ne fait rien au mérite. Pour accommoder cette affaire, il faut prier les catholiques romains d'embrasser la doctrine de Scot, qui dans le fond est la même que celle des protestants. Car ils nient dans les bonnes œuvres un mérite de condignité. et ne font point de difficulté d'y reconnaître avec les saints Pères un mérite dans un sens plus étendu et impropre, tel qu'est celui qu'on acquiert par mie pure libéralité et rémission gratuite. Au reste Vasquez demeure d'accord que la doctrine de Scot convient dans le fond avec celle des protestants, et le Père Denis, capucin, a remarqué, « que les protestants demeurent d'accord que les bonnes œuvres des justes méritent véritablement les secours de la grâce actuelle, et l'augmentation de la grâce habituelle, et des degrés de la gloire : qu'on peut concevoir quelque confiance par les bonnes œuvres (1). » Il

 

1 Via pacis, p. 328 et seq.

 

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ajoute « qu'on peut soutenir que le premier degré de gloire ne tombe pas sous le mérite, et que les bonnes œuvres ne sont pas méritoires de soi avec une exacte condignité et de droit étroit. » Les Wallembourg enseignent la même doctrine, et ne reconnaissent « de mérite que dans un sens plus étendu et pour l'augmentation, mais non pas dans le premier degré de gloire, sans qu'il y ait dans les bonnes œuvres une condignité proprement dite, ni une entière proportion avec la gloire éternelle, quoiqu'elle leur soit promise par miséricorde et qu'elles l'obtiennent vraiment et proprement. »

 

CHAPITRE XXVII. QUATRIÈME EXEMPLE.

 

Toute l'Eglise romaine enseigne que les bonnes œuvres sont nécessaires au salut. Quelques protestants en conviennent, les autres le nient. Ceux qui le nient ont quelque crainte de trop donner aux bonnes œuvres dans la justification : ceux qui l'accordent entendent que les bonnes oeuvres sont nécessaires comme présentes, et non pas comme opérantes la vie éternelle, et cruelles ne sont ni la cause proprement dite, ni l'instrument du salut, mais seulement mie condition sans laquelle on ne le peut obtenir, selon ce que dit saint Paul : « Sans sainteté, » c'est-à-dire, sans les bonnes œuvres, « on ne verra jamais Dieu (1) : » d'où il faut conclure qu'elles sont en quelque façon nécessaires pour le salut. Tout cela donne lieu au Père Denis de dire que les protestants sont d'accord dans le fond avec les catholiques ».

 

CHAPITRE XXVIII. CINQUIEME EXEMPLE.

 

Toute l'église protestante a aversion de l'adoration de l'hostie, de peur de tomber, non pas à la vérité dans une idolâtrie formelle, mais dans une idolâtrie matérielle. Dans l'Eglise romaine, quelques-uns enseignent que, dans l'Eucharistie, l'adoration se

 

1 Hebr., XII, 14. — 2 Via pacis, p. 321.

 

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termine à Jésus-Christ présent à d'autres qu'elle se termine à l'hostie présente. Il faudra donc prier les catholiques de convenir, dans cette assemblée qui sera convoquée par l'Empereur, que l'adoration se termine à Jésus-Christ présent

 

CHAPITRE XXIX. SIXIÈME EXEMPLE.

 

Toute l'Eglise romaine rejette le dogme de l'ubiquité : quelques protestants approuvent cette partie de sa doctrine. Il faudra donc prier les protestants de convenir sur ce point avec toute l'Eglise romaine, et un grand nombre des leurs.

 

SEPTIÈME EXEMPLE.

 

L'Eglise protestante ne veut pas qu'on l'oblige à recevoir la Vulgate : plusieurs catholiques romains sont de même avis, et adoucissent par une bénigne interprétation le canon du concile de Trente, qui la reconnaît pour authentique, en disant que le dessein du concile n'a pas été de la préférer à l'original hébreu, mais seulement aux autres versions latines : au reste qu'il a voulu définir qu'il n'y a dans la Vulgate aucune erreur contre la foi et les bonnes mœurs, et non pas que la version en soit toujours exacte, encore moins qu'on ne doive plus avoir aucun égard à l'original. Que si tous les catholiques conviennent de cette doctrine, la dispute sur la Vulgate sera entièrement terminée.

 

CHAPITRE XXX. TROISIÈME ORDRE OU TROISIÈME CLASSE DES CONTROVERSES.

 

A cette classe se doivent rapporter les controverses qui ne peuvent être terminées par l'explication des termes ambigus ou équivoques , ni parla condescendance marquée dans la deuxième classe, puisqu'il s'agit dans celle-ci d'opinions directement opposées les unes aux autres. Telles sont les questions :

De l'invocation des Saints ;

Du culte des images et des reliques ;

 

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De la transsubstantiation :

De la permanence du sacrement de l'Eucharistie hors de l'usage ;

Du purgatoire;

De l'exposition de l'hostie dans les processions ou autrement ;

De l'énumération des péchés dans la confession auriculaire;

Du nombre des livres canoniques ;

De la perfection de l'Ecriture et des traditions non écrites;

Du juge des controverses;

De la messe en langue latine ;

De la primauté du Pape de droit divin ;

Des notes de l'Eglise, ou des marques par lesquelles on la peut connaître ;

Des jeûnes ecclésiastiques, tant du Carême que des autres temps;

Des vieux monastiques ;

De la lecture de l'Ecriture en langue vulgaire;

Des Indulgences;

De la différence des évêques et des prêtres de droit divin ;

Du concile de Trente et de ses anathèmes, dont l'examen doit être renvoyé, à l'exemple du concile de Bâle et autres, jusqu'à la décision réitérée du concile œcuménique, sans préjudice des points accordés par l'union préliminaire.

 

CHAPITRE XXXI.  DE QUELLE MANIÈRE ON PEUT TRAITER CES ARTICLES.

 

La détermination de ces articles et autres, qu'on peut laisser indécis sans de grands inconvénients, doit être commise, ou à l'arbitrage de gens doctes et modérés, choisis de part et d'autre, comme on l'a souvent pratiqué très-utilement depuis le commencement de la réformation, ou doit être renvoyée à un concile.

Quant à la conciliation amiable, je ne doute en aucune sorte qu'on n'y puisse parvenir par le moyen des arbitres ; et nous en pouvons faire l'épreuve sur les articles suivants, qui sont sans difficulté les plus importants ; à savoir, sur les dogmes du purgatoire, de l'invocation des Saints, du culte des images, des vœux

 

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monastiques, des traditions, ou de la parole de Dieu non écrite, de la transsubstantiation, de la primauté du Pape, en tant que cette juridiction lui appartient de droit divin, et de son infaillibilité. Je dis donc que tous ces articles se peuvent concilier : par exemple,

 

CHAPITRE XXXII. DE LA TRANSSUBSTANTIATION.

 

Cette question est peu importante par rapport aux protestants, qui en admettant la présence réelle du corps de Jésus-Christ, ne se mettent pas beaucoup en peine de la manière. Luther même a tenu cette erreur pour peu importante; et pourvu qu'on ôte le péril de l'adoration matérielle, il la met au rang des questions sophistiques et inutiles. Au fond, les protestants demeurent d'accord que la consécration des éléments y opère quelque changement accidentel : que le pain, sans pourtant être change dans sa substance, de vulgaire devient un pain sacré, un pain qui est dans l'usage la communion au corps de Jésus-Christ. Drejerus, professeur de Königsberg, auteur protestant, admet ici en un certain sens un changement substantiel. Je ne me rends point garant de cette doctrine; mais je ne croirai rien dire qui soit opposé à l'analogie de la foi, en supposant que parles paroles de l'institution il se fait dans la sainte Cène, ou dans la consécration, un certain changement mystérieux, par lequel est vérifiée d'une manière impénétrable cette proposition si usitée dans les Pères : « Le pain est le corps de Jésus-Christ. » Il faut donc prier les catholiques que, sans entrer dans la question de la manière dont se fait le changement du pain et du vin dans l'Eucharistie, ils se contentent de dire avec nous que cette manière est incompréhensible et inexplicable; telle toutefois, que par un secret et admirable changement du pain se fait le corps de Jésus-Christ; et il faut aussi prier les protestants, à qui cela pourrait paraître nouveau, de ne se point faire un scrupule de dire, à l'exemple des premiers réformateurs, que « le pain est le corps de Jésus-Christ, et le vin son sang, » puisque ces propositions ont été autrefois si universelles,

 

 

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qu'à peine se trouvera-t-il quelqu'un des anciens qui ne s'en soit servi.

 

CHAPITRE XXXIII. DE L'INVOCATION DES SAINTS.

 

Si les catholiques romains disent publiquement qu'ils n'ont point une autre sorte de confiance aux Saints qu'aux vivants, dont ils demandent les prières : qu'en quelques termes que soient conçues les prières qu'on leur adresse, elles doivent toujours être entendues par manière d'intercession ; par exemple, que lorsqu'on dit : « Sainte Marie, délivrez-moi à l'heure de la mort, » le sens est : « Sainte Marie, priez pour moi votre Fils, qu'à l'heure de la mort il me délivre : » si, dis-je. les catholiques s'expliquent ainsi, tout le péril que les protestants trouvent dans ces prières cessera. Il faudra encore ajouter que l'invocation des Saints n'est pas absolument commandée, mais laissée libre aux particuliers par le concile de Trente; et qu'on ne doit pas toujours prier les Saints, mais particulièrement, lorsque dans la crainte de la colère de bien on n'ose lever les yeux vers lui, ni s'y adresser directement : qu'au reste la prière adressée à Dieu est de toute autre efficace que celle qu'on adresse aux Saints après leur mort, et que la prière la plus parfaite est celle qui s'élève et s'attache plus intimement aux seuls attributs divins.

La chose étant expliquée ainsi, je ne vois pas qu'on puisse désirer beaucoup davantage, si ce n'est peut-être que, n'étant pas bien certain que les Saints sachent en particulier tous nos besoins, ce serait peut-être le mieux de prier ainsi : « Sainte Marie, si vous connaissez mes besoins, priez pour moi. » Je m'en rapporte aux autres, et pour moi, je suspens mon jugement. Nous souhaitons au reste qu'on abolisse ces manières plus dures d'invoquer les Saints, qu'on trouve dans le Psautier de la sainte Vierge, dans les Neuvaines de saint Antoine et autres de cette nature, qui déplaisent aux catholiques modères aussi bien qu'à nous; mais il doit suffire aux protestants que ces formules soient expliquées par manière d'intercession, au même sens qu'il faudrait entendre la

 

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prière d'un criminel, qui demandant sa délivrance au ministre de quelque prince, manifestement ne voudrait dire autre chose, sinon qu'il intercédât pour la lui obtenir du prince même.

 

CHAPITRE XXXIV. DU CULTE DES IMAGES.

 

On conviendra facilement de cet article, en retranchant les excès que les catholiques modérés n'approuvent pas. Il est bien certain qu'il n'y a aucune vertu dans les images; et ainsi qu'on ne peut ni les adorer ni taire sa prière devant elles, qu'à cause qu'elles sont un moyen visible pour exciter en nous le souvenir de Jésus-Christ et des choses célestes. Que si l'on veut adorer ou invoquer Dieu devant une image, il se faut mettre dans la même disposition où étaient les Israélites devant le serpent d'airain, en le regardant avec respect; mais en dirigeant leur foi, non an serpent, mais à Dieu. Il faut au reste retrancher les cérémonies qui donnent occasion, non aux gens instruits, mais au peuple, de concevoir quelque vertu dans les images, et de s'y attacher d'une manière qui ressente l'idolâtrie.

 

CHAPITRE XXXV. DU PURGATOIRE.

 

Je ne vois pas ce que les protestants pourront dire sur cette matière dans l'assemblée. Pour moi, je ne m'opposerais pas à ceux qui tiendraient ce dogme pour problématique, comme a fait saint Augustin.

 

CHAPITRE XXXVI. DE LA PRIMAUTÉ DU PAPE DE DROIT DIVIN.

 

On a vu qu'on pourrait reconnaître une primauté selon les canons. Si le Pape est chef de l'Eglise de droit divin, et s'il est infaillible, ou dans le concile, ou hors du concile, ce sont des questions plus difficiles. Si M. Dupin, docteur de Sorbonne, pouvait aussi facilement faire approuver sa doctrine hors de la France,

 

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comme elle est bien reçue des protestants, je dirois que cette affaire est accommodée, et que les protestants sont d'accord en tout avec l'Eglise gallicane.

 

CHAPITRE XXXVII. DES VŒUX MONASTIQUES.

 

Il sera facile de s'accommoder avec les protestants sur l'état monastique et les vœux qu'on y fait, puisqu'il y a parmi eux des couvents, où l'on récite les Heures canoniques et le Bréviaire, par exemple de l'ordre de Cîteaux, à la réserve des Collectes et Oraisons qui sont adressées aux Saints : on y garde les jeûnes et les abstinences, le célibat, l'hospitalité, la règle de Saint-Benoît, et les autres choses qui ressentent l'institution primitive. Le vœu d'obéissance ne peut être blâmé de personne : celui de pauvreté est une chose indifférente : il n'y a que le vœu de chasteté dont on puisse disputer, parce qu'on ne peut pas vouer ce qui est impossible. On pourrait néanmoins s'y obliger, comme on fait dans quelques couvents protestants, non par vœu, mais par serment, en jurant de la garder tant qu'on sera membre de ce monastère, d'où l'on sortirait quand on voudrait.

 

CHAPITRE XXXVIII. DES TRADITIONS, OU DE LA PAROLE NON ÉCRITE.

 

Que de procès sur cette matière! On pourra facilement les accommoder, en disant que la question entre nous et les catholiques n'est pas, s'il y a des traditions, mais s'il y a des articles nécessaires à salut qui ne soient point dans l'Ecriture, ou qui ne s'en puissent pas tirer par de bonnes conséquences. C'est ce dernier que les protestants nient ; mais ce qu'il y a parmi eux de gens modérés demeurent d'accord que nous devons à la tradition, non-seulement l'Ecriture, mais encore son sens véritable et orthodoxe dans les articles fondamentaux ; pour ne point parler des autres choses que Calixte, Horneius et Chemnicius ont avoué, il y a long temps, qu'on ne peut connaître que par ce moyen. Certainement

 

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ceux des protestants qui reçoivent après le Symbole des apôtres et celui de saint Athanase, les cinq premiers conciles généraux, avec les conciles d'Orange et de Milève, avec le consentement du moins des cinq premiers siècles, pour second principe de théologie ; en sorte que les articles fondamentaux ne puissent être expliqués autrement qu'ils ne l'ont été par le consentement unanime dès docteurs, n'auront guère de quoi disputer avec l'Eglise romaine.

On voit par cet essai combien il sera facile de terminer beaucoup de controverses par des déclarations ou des tempérament pourvu que de part et d'autre on ne se fasse pas un point d'honneur de soutenir son sentiment, ou qu'on ne s'oppose pas à un dessein si pieux par un zèle qui ne serait pas selon la science.

 

CHAPITRE XXXIX. LE CONCILE.

 

Que s'il reste encore des articles qu'on ne puisse pas concilier, il faudra en venir au concile, lequel

Premièrement, sera assemblé par le Pape, aussi général que le temps le pourra permettre.

Secondement, ce concile ne s'en rapportera pas aux décrets du concile de Trente, ou de ceux où les dogmes des protestants auront été condamnés.

Troisièmement, on n'assemblera ce concile qu'après avoir accompli ces trois conditions : la première est l'accomplissement de ce qui a été proposé dans cette méthode, ou le sera dans quelque autre de même nature ; comme, par exemple , l'acceptation de nos six demandes par la louable condescendance du souverain Pontife, sans quoi l'on n'ôtera jamais les obstacles qui jusqu'ici ont empêché la réunion et l'empêcheront éternellement, si l'on n'y pourvoit par cette méthode ou quelque autre semblable : la seconde est la tenue de l'assemblée convoquée par l'Empereur et son heureux succès : la troisième est la réception des protestants dans l'unité de l'Eglise romaine, nonobstant le reste de leurs

 

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dissensions sur la communion sous les deux espèces, et les questions qui seront terminées dans le concile.

Quatrièmement, on agira dans ce concile selon les canons, et en particulier nul n'y aura voix que les évêques ; ce qui fait voir qu'avant la célébration du concile et incontinent après la réunion préliminaire, il faudrait, pour affermir cette union, que le Pape reconnût les Surintendants pour vrais évêques, afin d'être ensuite appelés au concile général, non point comme parties, mais comme juges compétents, et y avoir droit de suffrage avec les évêques catholiques romains.

Cinquièmement, un tel concile aura pour fondement et pour règle la sainte Ecriture et le consentement unanime du moins des cinq premiers siècles, et encore le consentement des siècles patriarcaux d'aujourd'hui, autant qu'il sera possible.

Sixièmement, les docteurs disputeront dans ce concile, et les évêques résoudront à la pluralité des voix ; en sorte qu'on se souvienne avant toute chose de cet avertissement de saint Augustin : « Qu'on dépose de part et d'autre toute arrogance : que personne ne dise qu'il a trouvé la vérité . mais qu'on la cherche, comme si les uns ni les autres ne la connaissaient point encore. Car on la pourra chercher avec soin et avec concorde, si l'on ne croit pas avec une téméraire présomption qu'on l'a trouvée et cherchée (1).»

Septièmement, après la fin du concile et la publication de ses canons, les deux parties seront tenues d'acquiescer à la décision sous les peines portées par les canons.

 

CHAPITRE XL. CONCLUSION.

 

Ces choses ainsi établies, il est aisé de faire la démonstration de la proposition avancée, en cette sorte :

Si le Pape peut et veut accorder aux protestants leurs six demandes préliminaires ; si dans l'assemblée convoquée par l’Empereur on termine les controverses de la première classe, qui

 

1 Contr. Ep. fund., cap. I.

 

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consistent dans l'ambiguïté des mots ; si dans la même assemblée on termine les questions de la seconde classe, en préférant ce qui sera tenu par une église entière et par une partie de l'autre, à ce qui ne sera tenu que par une partie de l'une ou de l'autre ; si en ce qui regarde les questions de la troisième classe, on prend des tempéraments et qu'on les renvoie pour être réglées au concile général, il s'ensuit que la réunion des deux églises se fera sans préjudice de leurs principes, de leurs présuppositions et de leur réputation ;

Or le premier est possible, comme il appert par tout ce que dessus ;

Donc l'autre l'est aussi; qui est tout ce que l'on avait à démontrer.

Dieu veuille nous inspirer cette parfaite concorde dont parle saint Paul aux Romains, XV), et nous sanctifier en vérité. Amen.

Ecrit à Hanovre aux mois de novembre et décembre de l'an 1691.

 

 

 

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