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LETTRE DE MGR L'ÉVÊQUE DE MEAUX
A FRÈRE N. MOINE DE L'ABBAYE DE N.
CONVERTI DE LA RELIGION PROTESTANTE A LA RELIGION CATHOLIQUE,
SUR L'ADORATION DE LA CROIX.

 

AVERTISSEMENT.

 

        Cette Lettre sur l’Adoration de la Croix n'a été écrite au solitaire à qui elle s'adresse, que parce qu'il souhaitait de la communiquer à des personnes à la conversion desquelles il était indispensablement obligé de prendre part ; quant à lui, il avait peu besoin de cet écrit pour s'instruire de la manière que les catholiques honorent la Croix : Dieu a éclairci toutes ses difficultés sur la Religion au moment qu'il la lui a fait embrasser. Et tout ce qui lui a fait de la peine dans l'état où il a été appelé d'une manière fort extraordinaire, c'est que sa reconnaissance envers Jésus-Christ ne peut égaler ses souhaits non plus que ses obligations.

Ceux entre les mains de qui cette lettre est tombée ne la donnent au public, que parce qu'ils sont persuadés que bien des nouveaux convertis ne peuvent s'accoutumer à l'Adoration de la Croix, faute de savoir ce que signifie cette adoration. Cette lettre qui a été écrite par un Prélat également religieux et savant, l'explique d'une manière admirable ; et tous ceux qui la verront n'auront plus de la peine à se prosterner devant le signe de notre Rédemption. 

J'ai trop tardé, mon très-cher Frère, à faire réponse à vos deux lettres et à votre écrit. La volonté pourtant ne m'a pas manqué,

 

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et je vous ai eu continuellement présent; mais je n'ai trouvé qu'à présent le loisir où j'eusse l'esprit tout à fait libre pour vous répondre. Je commencerai par vous dire que l'ardeur que vous ressentez pour le martyre est un grand don de Dieu ; mais ne s'en présentant point d'occasion, il ne faut pas tant s'occuper de cette pensée, qui pourrait faire mie diversion aux occupations véritables que votre état demande de vous. Songez que la paix de l'Eglise a son martyre. La vie que vous menez vous donnera un rang honorable parmi ceux qui ont combattu pour le nom de Jésus-Christ ; et tout ce que vous aurez souffert dans les exercices de la pénitence, vous prépare une couronne qui approche fort de celle du martyre. Saint Paul vous a marqué quelque chose de plus excellent que le martyre même, lorsqu'il a fait voir en effet quelque chose de plus grand dans la charité. Je vous montrerai, dit-il (1), une voie plus excellente ; c'est celle de la charité, dont vous tirerez plus de fruit que vous n'en auriez quand vous auriez livré tous vos membres les uns après les autres à un feu consumant. Prenez donc cette couronne, mon cher Frère, et consolez-vous en goûtant les merveilles et les excellences de la charité, comme elles sont expliquées dans cet endroit de saint Paul.

Je n'ai su que par votre lettre la disposition que votre saint abbé a faite de votre personne pour vous envoyer à l'abbaye de F. Ce qui me console le plus dans cet emploi, c'est l'attrait que je vois subsister dans votre cœur pour votre chère retraite, où Dieu nous a conduit par des voies si admirables : c'est là votre repos et votre demeure : c'est là que vous trouverez la manne cachée et la véritable consolation de votre âme dans le désert : il n'y a pas de lieu sur la terre qui soit plus cher aux enfants de Dieu.

Votre grand écrit me fait voir la continuation de votre zèle pour la foi catholique, et la sainte horreur que Dieu vous inspire des conduites de l'hérésie ; elle se sera beaucoup augmentée depuis que vous aurez su tout ce qui se passe dans les pays qui se glorifient du titre de réformés. Je ne doute point, mon cher Frère, qu'en voyant l'orgueil des méchants, vous n'attendiez avec foi ce jour affreux où « Dieu anéantira dans sa cité cette image » fragile

 

1 I Cor., XIII.

 

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du bonheur qui les éblouit (1), et que vous ne disiez souvent en vous-même : « Que sert à l'homme de gagner » ou de conquérir, non pas un royaume , mais « l'univers, s'il perd son âme, et qu'est-ce qu'il donnera en échange pour son âme (2)? » La belle conquête, mon cher Frère, que de se gagner soi-même pour se donner à Dieu tout entier !

Pour venir maintenant à la manière que vous désirez que je traite, qui est celle de l'adoration de la croix, la difficulté ne peut être que dans la chose ou dans les termes. Dans la chose, il n'y en a point : on se prosterne devant les rois, devant les prophètes, devant son aîné, comme fit Jacob devant Esaü, devant les anges, devant les apôtres. S'ils refusent quelquefois cet honneur, les saints ne laissent pas de continuer à le leur rendre ; et il n'y a rien de mieux établi dans l'Ecriture crue cette sorte de culte.

Si on dit qu'on ne se prosterne pas de même devant les choses inanimées, cela est manifestement combattu par tous les endroits où il paraît qu'on se prosternait devant l'arche (3), comme devant le mémorial de Dieu. Daniel en lui faisant sa prière, se tournait vers le lieu où avait été le temple (4). La croix de Jésus-Christ est bien un autre mémorial, puisqu'elle est le glorieux trophée de la plus insigne victoire qui lut jamais. Quand Jésus-Christ a parlé de la croix, en disant qu'il la faut porter (5), il renferme sous ce nom toutes les pratiques de la pénitence chrétienne, c'est-à-dire de toute la vie du chrétien, puisque la vie chrétienne n'est qu'une continuelle pénitence. Quand saint Paul dit qu'il ne veut « se glorifier que dans la croix de Jésus-Christ (6), » il a aussi compris sous ce nom toutes les merveilles du Sauveur, dont la croix est l'abrégé mystérieux. A la vue de tant de merveilles ramassées dans le sacré symbole de la croix, tous les sentiments de piété et de foi se réveillent : on est attendri, on est humilié, et ces sentiments de tendresse et de soumission portent naturellement à en donner toutes les marques à la vue de ce sacré mémorial : on le baise par amour et par tendresse ; on se prosterne devant par une humble

 

1 Psal. LXXII, 20. — 2 Matth., XVI, 26. — 3 Jos., VII, 6, etc. — 4 Dan., VI, 10. — 5 Matth., XVI, 24.— 6 Galat., VI, 14.

 

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reconnaissance de la Majesté du Sauveur, dont la gloire était attachée à sa croix.

Lorsque dans mon Exposition j'ai parlé de s'incliner devant la croix (1), j'ai compris sous ce seul mot toutes les autres marques de respect ; et j'ai voulu confondre les hérétiques, qui n'oseront imputer à idolâtrie cette humble marque de soumission envers le Sauveur, à la vue du sacré signal où se renferme l'idée et la représentation de toutes ses merveilles. Ce serait un trop grand aveuglement de supprimer devant la croix tous les témoignages des sentiments qu'elle fait naître dans les cœurs ; mais si l'on a raison d'en faire; paraître quelques-uns, on ne saurait porter trop loin cette démonstration de son respect. De sorte que, d'un côté, c'est une extrême folie de n'oser s'incliner la tête devant ce précieux monument de la gloire de Jésus-Christ ; et de l'autre, ce n'en est pas une moindre de n'oser porter son respect jusqu'à la génuflexion et au prosternement, puisque Jésus-Christ à qui se terminent ces actes de soumission, mérite jusqu'aux plus grands.

On ne pouvait choisir un jour plus propre à lui rendre ces honneurs que celui du Vendredi saint : tout l'appareil de ce jour-là ne tend qu'à faire sentir aux fidèles les merveilles de la mort de Jésus-Christ ; l'Eglise les rainasse toutes en montrant la croix, où comme dans un langage abrégé elle nous dit tout ce que le Sauveur a fait pour nous : on les voit toutes dans ce seul signal, et comme d'un coup d'œil : et de même que ce sacré caractère nous dit comme de la part de Jésus-Christ tout ce qu'il a fait pour nous, nous lui disons de notre côté par les actes simples de prosternement et du saint baiser, tout ce que nous sentons pour lui : des volumes entiers ne rempliraient pas ce qui est exprimé par ces deux signes : par celui de la croix, qui nous dit tout ce que nous devons à notre Sauveur, et par celui de nos soumissions , qui expriment au dehors tout ce que nous sentons pour lui.

J'ai souvent représenté à ces aveugles chicaneurs, l'honneur que nous rendons en particulier et en public au livre de l'Evangile : on porte les cierges devant, on se lève par honneur quand

 

1 Expos., art. 5.

 

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on le porte au lieu d'où on le fait entendre à tout le peuple ; on l'encense, on se tient debout en signe de joie et d'obéissance pendant qu'on en fait la lecture ; on le donne à baiser, et on témoigne par tout cela son attachement, non pas à l'encre et au papier, mais à la vérité éternelle qui nous y est représentée. Je n'en ai encore trouvé aucun assez insensé pour accuser ces pratiques d'idolâtrie. Je leur dis ensuite : Qu'est-ce donc que la croix à votre avis, sinon l'abrégé de l'Evangile, tout l'Evangile dans un seul signal et dans un seul caractère? Pourquoi donc ne la baisera-t-on pas? et si on lui rend cette sorte d'honneur, pourquoi non les autres ? Pourquoi n'ira-t-on pas jusqu'à la génuflexion , jusqu'au prosternement entier ? « Je ne sais que Jésus, et Jésus crucifié (1), » disait saint Paul : voilà donc tout ce que je sais ramassé et parfaitement exprimé dans la croix comme par une seule lettre : tous les sentiments de piété se réveillant au dedans, me sera-t-il défendu de les produire au dehors dans toute l'étendue que je les ressens, et par tous les signes dont on se sert pour les exprimer ? En vérité, mon cher Frère, c'est être bien aveugle que de chicaner sur tout cela ; il ne faut qu'une seule chose pour confondre ces esprits contentieux ; c'est que le culte extérieur n'est qu'un langage pour signifier ce qu'on ressent au dedans. Si donc à la vue de la croix tout ce que je sens pour Jésus-Christ se réveille, pourquoi à la vue de la croix ne donnerais-je pas toutes les marques extérieures de mes sentiments? Et cela, qu'est-ce autre chose que d'honorer la croix comme elle peut être honorée, c'est-à-dire par rapport et en mémoire de Jésus-Christ crucifié?

Mais de tous les actes extérieurs qu'on fait en présence d'un si saint objet, celui qui convient le mieux, c'est la génuflexion et le prosternement : car la croix nous faisant souvenir de cette profonde humiliation de Jésus-Christ jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, que pouvons-nous employer de plus convenable à la commémoration d'un tel mystère, que la marque la plus sensible d'un profond respect ? et n'est-il pas juste que « tout genou fléchisse » au signal comme « au nom de Jésus, et dans les cieux,

 

1 I Cor., II, 2.

 

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et sur la terre, et jusque dans les enfers; » et non-seulement « que toute langue confesse » en parlant, mais que tout homme en se prosternant, reconnaisse par le langage de tout son corps « que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu son Père (1) ? »

Voilà, mon cher Frère, ce qu'on fait quand on se prosterne devant la croix. La vraie croix où le Sauveur a été attaché et celles que nous faisons pour nous en conserver le souvenir, attirent les mêmes respects, comme elles excitent les mêmes sentiments : et il n'y a de différence que dans les degrés, c'est-à-dire du plus au moins. étant naturel à l'homme d'augmenter les marques de son respect et de son amour, selon qu'il est plus ou moins touché au dedans, et que les objets qui se présentent à ses sens sont plus propres à lui réveiller le souvenir de ce qu'il aime.

Les protestants demandent qui est-ce qui a requis ces choses de nos mains, et traitent ce culte de superstitieux, parce qu'il n'est pas commandé : et ils sont si grossiers, qu'ils ne songent pas que le fond de ces sentiments étant commandé, les marques si convenables que nous employons non-seulement pour les exprimer, mais encore pour les exciter, ne peuvent être que louables et agréables à Dieu et aux hommes. Qui est-ce qui nous a ordonné de célébrer la Pâque en mémoire de la résurrection de Notre Sauveur, la Pentecôte en mémoire de la descente du Saint-Esprit et de la naissance de l'Eglise, la Nativité de Notre-Seigneur et les autres fêtes tant de Jésus-Christ que de ses Saints? Il n'y en a rien d'écrit. Hommes grossiers et charnels, qui n'avez que le nom de la piété, appellerez-vous du nom de superstition une si belle partie du culte des chrétiens, sous prétexte qu'elle n'est pas ordonnée dans l'Ecriture? Le fond en est ordonné : il est ordonné de se souvenir des mystères de Jésus-Christ, et par la même raison de conserver la mémoire des vertus de ses serviteurs, comme d'autant de merveilles de sa grâce et d'exemples pour exciter notre piété. Le fond étant ordonné, qu'y avait-il de plus convenable que d'établir de certains jours, qui par eux-mêmes et sans qu'il soit besoin de parler, excitassent les fidèles à se souvenir de choses si mémorables? La chose étant si bonne, les signes qu'on

 

1 Philip., II, 10, 11.

 

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institue pour en perpétuer et renouveler le souvenir ne peuvent être que très-bons. Appliquez ceci à la croix et aux saintes cérémonies par lesquelles nous l'honorons, vous y trouverez la même chose, parce que vous n'y trouverez que des moyens non-seulement très-innocents, mais encore très-convenables pour réveiller le souvenir de la mort salutaire de Jésus-Christ, avec tous les sentiments qu'elle doit exciter.

Voilà pour ce qui regarde les choses : après quoi c'est une trop basse chicane de disputer des mots : en particulier celui d'adorer a une si grande étendue, qu'il est ridicule de le condamner, sans en avoir auparavant déterminé tous les sens. On adore le Roi (1) : on adore l’escabeau des pieds du Seigneur (2), c'est-à-dire l'arche : on adore la poussière que les pieds des Saints ont foulée, et les vestiges de leurs pas (3) : on se prosterne devant lui; on les lèche pour ainsi dire ; et Jacob adora le sommet du bâton de commandement de Joseph, comme saint Paul l'interprète (4). Voilà pour les expressions de l'Ecriture : en les suivant, les Pères ont dit, qu'on adore la crèche, le sépulcre, la croix du Sauveur, les clous qui l'ont percé, les reliques des martyrs et les gouttes dé leur sang, leurs images et les autres choses animées et inanimées. Avant que de condamner ces expressions, il faut distribuer le terme d'adoration à chaque chose selon le sens qui lui convient ; et c'est ce que fait l'Eglise en distinguant l'adoration souveraine d'avec l'inférieure, et la relative d'avec l'absolue, avec une précision que les adversaires eux-mêmes, et entre autres le ministre Aubertin, sont obligés de reconnaître. Personne n'ignore le passage des anciens, où il est expressément porté qu'on adore l'Eucharistie; ces Messieurs l'expliquent d'une adoration respective qu'on lui rendait, selon eux, comme étant représentative de Jésus-Christ, en quoi certainement ils se trompent, puisque s'il était ici question de rapporter ces passages, on y verrait clairement qu'on adore l'Eucharistie de l'adoration qui est due à la personne de Jésus-Christ qu'on y reconnaît présente. Mais quoi qu'il en soit, il est certain que la moindre adoration qu'on lui put rendre était la relative, qui par conséquent demeure incontestable.

 

1 I Reg., XXIV, 9. — 2 Psal. XCVIII, 5.— 3 Isa., XLIX, 23; LX, 14. — 4  Hebr., XI, 21.

 

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Selon cette distinction, Ton doit dire que Dieu seul est adorable, parce qu'il l'est avec une excellence qui ne peut convenir qu a lui : on dit dans le même sens qu'il est seul digne de louange, seul aimable, seul immortel, seul sage, parce qu'encore que ses créatures participent en quelque façon à toutes ces choses, ce n'est qu'en lui, ce n'est que par lui, ce n'est que par rapport à lui : il faut donc s'expliquer avant que de condamner, et ne pas chicaner sur les mots.

C'est ce qui fait l'explication du passage de saint Ambroise que vous alléguez, et le parfait dénouement de tous les passages qui semblent contraires en cette matière. Ce grand docteur en parlant de sainte Hélène, mère de Constantin, dit qu'ayant trouvé la vraie croix où Jésus-Christ avait été attaché, elle adora le Roi,; et non pas le bois : il a raison : personne n'adore le bois : sa figure est ce qui le rend digne de respect, non à cause de ce qu'il est, mais à cause de ce qu'il rappelle à la mémoire. Le même saint Ambroise n'a pas laissé de dire ailleurs qu'on adore dans les rois la croix de Jésus-Christ ; on adore donc la croix, et on ne l'adore pas à divers égards : on l'adore, car c'est devant elle qu'on fait un acte extérieur d'adoration quand on se prosterne. On ne l'adore pas : car l'intention et les mouvements intérieurs, qui sont le vrai culte, vont plus loin, et se terminent à Jésus-Christ même.

Saint Thomas attribue à la croix le culte de latrie, qui est le culte suprême : mais il s'explique en disant que c'est une latrie respective, qui dès là en elle-même n'est plus suprême, et ne le devient que parce qu'elle se rapporte à Jésus-Christ. Le fondement de ce saint docteur, c'est que le mouvement qui porte à l'image est le même que celui qui porte à l'original, et qu'on unit ensemble l'un à l'autre. Qui peut blâmer ce sens ? Personne sans doute : si l'expression déplaît il n'y a qu'à la laisser là, comme a fait le P. Pétau; car l'Eglise n'a pas adopté cette expression de saint Thomas : mais on serait bien faible et bien vain, si on est étonné de choses qui ont un sens si raisonnable. En vérité, cela fait pitié, et quand on songe que ces chicanes sont poussées jusqu'à rompre l'imité, cela fait horreur.

Ceux qui vous ont dit qu'on devait honorer ou adorer tout ce

 

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qui sortait du corps de Jésus-Christ, n'ont pas pris de justes idées de ce qu'on honore, d'où il faut exclure tout ce qui a certaines indécences : mais qu'on ne doive honorer tout ce qui serait sorti du corps du Sauveur pour l'amour qu'il avait pour nous, et qui servirait par conséquent à nous faire souvenir de cet amour, comme les larmes et le sang qu'il a versés pour nos péchés, comme les sueurs que ses saints et continuels travaux lui ont causées, et les autres choses de cette nature, on ne le peut nier sans être insensible à ses bontés. Savoir s'il reste quelque part ou de ce sang, ou de ces larmes, c'est ce que l'Eglise ne décide pas : elle tolère même sur ce sujet-là les traditions de certaines églises, sans qu'on doive se trop soucier de remonter à la source : tout cela est indifférent, et ne regarde pas le fond de la religion. Je dois seulement vous avertir que le sang et les larmes qu'on garde comme étant sortis de Jésus-Christ, ordinairement ne sont que des larmes et du sang qu'on prétend sortis de certains crucifix dans des occasions particulières, et que quelques églises ont conservés en mémoire du miracle : pensées pieuses, mais que l'Eglise laisse pour telles qu'elles sont, et qui ne font ni ne peuvent faire l'objet de la foi.

Je suis bien aise, mon cher Frère, que vous receviez cette lettre avant le Vendredi saint, non que je croie que vous hésitiez sur l'adoration de la croix : vous êtes en trop bonne école pour cela : mais afin que vous la pratiquiez avec de plus tendres sentiments, en regardant tout le mystère de Jésus-Christ ramassé dans la seule croix, et tous les sentiments de la piété ramassés dans l'honneur que vous lui rendez,

C'est là, mon cher Frère, que vous puiserez un invincible courage pour souffrir jusqu'à la fin le martyre où vous engage votre profession, vous contentant de la part que Jésus-Christ vous veut donner à ses souffrances et à sa couronne,

C'est là que vous formerez une sainte résolution de porter votre croix tous les jours ; et ce joug que votre Sauveur a mis sur vos épaules vous sera doux.

C'est là enfin que vous serez embrasé d'un saint et immuable amour pour Jésus-Christ qui a porté vos péchés sur le bois, qui

 

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vous a aimé et qui a donné sa vie pour vous : et vous lui rendrez d'autant plus d'honneur, que l'état où vous le verrez sera plus humiliant.

Demandez à votre cher Père ma Lettre pastorale aux fidèles de mon diocèse : vous y trouverez beaucoup de difficultés sur le culte extérieur résolues, si je ne me trompe, assez nettement. J'aurai soin de vous envoyer tous mes Ouvrages aussitôt qu'on le pourra, puisque vous le souhaitez.

J'adresse cette réponse au monastère de N., où je présume que vous pourrez être de retour, et d'où en tout cas votre cher Père voudra bien vous l'envoyer. Rendez-vous digne de porter son nom, et de la tendre amitié dont il vous honore : quand il trouvera à propos de vous élever aux Ordres, nonobstant votre répugnance, je lui offre de bon cœur ma main, et je réglerai volontiers sur cela les voyages que je ferai à N., qui est assurément le lieu du monde où je m'aime le mieux après celui auquel Dieu m'a attaché. A vous de tout mon cœur et sans réserve, mon cher Frère et fidèle ami.

 

+ J. BÉNIGNE, E. de Meaux.

 

A Versailles, le 17 mars 1691.

 

FIN DE LA LETTRE SUR L’ADORATION DE LA CROIX.

 

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