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Trad. Comm. II

 

SECONDE PARTIE.
LES PRINCIPES SUR LESQUELS SONT APPUYÉS LES SENTIMENTS ET LA PRATIQUE DE L'ÉGLISE : QUE LES PRÉTENDUS RÉFORMÉS SE SERVENT DE CES PRINCIPES AUSSI BIEN  QUE  NOUS.

 

Telle a été la pratique de l'Eglise. Les principes sur lesquels elle s'est fondée ne sont pas moins assurés que la pratique a été constante.

Afin qu'il ne reste en cette matière aucune difficulté, je ne rapporterai aucun principe que les prétendus réformés puissent contester.

Le premier principe que je pose est que dans l'administration des sacrements, nous sommes obligés de faire, non tout ce que Jésus-Christ a fait, mais seulement tout ce qui appartient à la substance.

Ce principe est incontestable. Les prétendus réformés ni ne plongent les enfants dans l'eau du baptême, comme Jésus-Christ fut plongé dans le Jourdain quand saint Jean le baptisa ; ni ne donnent la Cène à table et dans un soupe, comme le fit Jésus-Christ; ni ne regardent comme nécessaires beaucoup d'autres choses qu'il a observées.

Mais il importe surtout de considérer la cérémonie du baptême, qui peut servir de fondement à beaucoup de choses en cette matière.

Baptiser signifie plonger, et tout le monde en est d'accord.

Cette cérémonie a été tirée des purifications des Juifs; et comme la plus parfaite purification consistait à se plonger tout à fait dans l'eau, Jésus-Christ, qui était venu pour sanctifier et pour accomplir les anciennes cérémonies, a voulu choisir celle-ci comme la plus significative et la plus simple, pour exprimer la rémission des péchés et la régénération du nouvel homme.

Le baptême de saint Jean-Baptiste, qui servait de préparatif à celui de Jésus-Christ, a été fait en plongeant.

La prodigieuse multitude des peuples qui accouraient à ce

 

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baptême, fit choisir à saint Jean-Baptiste les environs du Jourdain (1), et parmi les environs du Jourdain la contrée « d'Annon auprès de Salim, parce qu'il y avait là des eaux abondantes (2); » et une grande facilité de plonger les hommes qui venaient se consacrer à la pénitence par cette sainte cérémonie.

Quand Jésus-Christ vint à saint Jean pour élever le baptême à un effet plus merveilleux en le recevant, l'Ecriture dit qu'il « sortit et s'éleva des eaux du Jourdain (3), » pour marquer qu'il y avait été plongé tout entier.

Il ne paraît point dans les Actes des apôtres, que les trois mille et les cinq mille hommes qui lurent convertis aux premières prédications de saint Pierre (4), aient été baptisés d'une autre manière; et le grand nombre de ces convertis n'est pas une preuve qu'on les ait baptisés par aspersion, comme quelques-uns l'ont conjecturé. Car outre que rien n'oblige à dire qu'on les ait baptisés en même jour, il est certain que saint Jean-Baptiste qui n'en baptisait pas moins, puisque toute la Judée accourait à lui, ne laissa pas de baptiser en plongeant; et son exemple nous a fait voir que pour baptiser un grand nombre d'hommes, on savait choisir les lieux où il y avait beaucoup d'eaux : joint encore que les bains et les purifications des anciens, principalement celles des Juifs, rendaient cette cérémonie facile et familière en ce temps.

Enfin nous ne lisons point dans l'Ecriture qu'on ait baptisé autrement ; et nous pouvons faire voir par les actes des conciles, et par les anciens Rituels, que treize cents ans durant on a baptisé de cette sorte dans toute l'Eglise, autant qu'il a été possible.

Le mot même dont on se sert dans les Rituels pour exprimer l'action des parrains et des marraines, en disant qu'ils lèvent l'enfant des fonts baptismaux, fait assez voir qu'on l'y plongeait.

Quoique ces vérités soient incontestables, ni nous, ni les prétendus réformés n'écoutons les anabaptistes qui tiennent la mersion essentielle et indispensable; et nous n'avons pas craint les uns et les autres de changer ce plongement, pour ainsi parler du

 

1 Matth., III, 5, 6; Luc., III, 3. — 2 Joan., III, 23. — 3 Matth., III, 16; Marc., I, 10. — 4 Act., II, 41 ; IV, 4.

 

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corps entier, en une simple aspersion ou infusion sur une partie de notre corps.

On ne peut rendre d'autre raison de ce changement, sinon que ce plongement n'est pas de la substance du baptême; et les prétendus réformés en étant d'accord, le premier principe que nous avons posé est incontestable.

Le second principe est que pour distinguer dans un sacrement ce qui appartient ou n'appartient pas à la substance, il faut regarder l'effet essentiel du sacrement.

Ainsi quoique les paroles de Jésus-Christ : Baptisez, comme il a déjà été dit, signifient : Plongez, on a cru que l'effet du sacrement n'était pas attaché à la quantité de l'eau : si bien que le baptême par infusion et aspersion ou par mersion paraissant avoir au fond le même effet, l'une et l'autre façon est jugée valable.

Or, comme nous avons dit, on ne saurait trouver dans l'Eucharistie aucun effet essentiel du corps distingué de celui du sang : ainsi la grâce de l'un et de l'autre au fond et dans la substance ne peut être que la même.

Il ne sert de rien de dire que la représentation de la mort de Notre-Seigneur est plus expresse dans les deux espèces; je le veux : aussi la représentation de la renaissance du fidèle est-elle plus expresse dans la mersion que dans la simple infusion ou aspersion. Car le fidèle plongé dans l'eau du baptême « est enseveli avec Jésus-Christ (1), » selon l'expression de l'Apôtre; et le fidèle sortant des eaux, sort du tombeau avec son Sauveur, et représente plus parfaitement le mystère de Jésus-Christ, qui le régénère. La mersion, où l'eau est appliquée au corps entier et à toutes ses parties, signifie aussi plus parfaitement que l'homme est pleinement et entièrement lavé de ses taches. Et toutefois le baptême donné par l'immersion ou le plongement, ne vaut pas mieux que le baptême donné par simple infusion et sur une seule partie : il suffit que l'expression du mystère de Jésus-Christ et de l'effet de la grâce se trouve en substance dans le sacrement, et la dernière exactitude de la représentation n'y est pas requise.

Ainsi dans l'Eucharistie, l'expression de la mort de Notre-Seigneur

 

1 Rom., VI, 4; Coloss., II, 12.

 

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se trouvant au fond, quand on nous donne le corps livré pour nous, et l'expression de la grâce du sacrement s'y trouvant aussi quand on nous donne sous l'espèce du pain l'image de notre nourriture spirituelle, le sang, qui ne fait qu'y ajouter une signification plus expresse, n'y est pas absolument nécessaire.

C'est ce que montrent manifestement les paroles mêmes de Notre-Seigneur et la réflexion de saint Paul, lorsque rapportant ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi (1), » il en conclut aussitôt après que « toutes les fois qu'on mange ce pain, et qu'on boit ce calice, on annonce la mort du Seigneur. » Ainsi selon l'interprétation du disciple, l'intention du Maître quand il ordonne de se souvenir de lui, c'est qu'on se souvienne de sa mort. Afin donc de bien entendre si le souvenir de cette mort est dans la seule participation de tout le mystère, ou dans la participation de chacune de ses parties, il ne faut que considérer que le Sauveur n'attend pas que tout le mystère soit achevé et toute l'Eucharistie reçue dans ses deux parties, pour dire : « Faites ceci en mémoire de moi. » Saint Paul a remarqué qu'à chaque partie il ordonne expressément cette mémoire (2). Car après avoir dit : « Mangez, ceci est mon corps, faites ceci en mémoire de moi, » en donnant le sang il répète encore : « Toutes les fois que vous le boirez, faites-le en mémoire de moi ; » nous montrant par cette répétition que nous exprimons sa mort dans la participation de chaque-partie. D'où il s'ensuit que lorsque saint Paul conclut de ces paroles « qu'en mangeant le corps et buvant le sang, on annonce la mort du Seigneur, » il faut entendre qu'on l'annonce non-seulement en prenant le tout, mais encore en prenant chaque partie, d'autant plus qu'il est visible d'ailleurs que dans cette mystique séparation que Jésus-Christ a marquée par ces paroles, le corps épuisé de sang et le sang tiré du corps, font le même effet pour marquer la mort violente de Notre-Seigneur. De sorte que s'il y a une expression plus inculquée en prenant le tout, il ne laisse pas d'être véritable qu'à la réception de chaque partie on se représente la mort toute entière, et on s'en applique toute la grâce.

Que si on demande ici à quoi sert donc l'institution des deux

 

1 I Cor., XI, 25, 26. — 2 Ibid., 24, 25.

 

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espèces et cette expression plus vive de la mort de Notre-Seigneur que nous y avons remarquée, c'est qu'on ne veut pas songer à une qualité de l'Eucharistie bien connue des anciens, quoique rejetée par nos réformés. Tous les anciens ont cru que l'Eucharistie n'était pas seulement une nourriture, mais encore un sacrifice , et qu'on l'offrait à Dieu en la consacrant avant que de la donner au peuple ; ce qui fait que la table de Notre-Seigneur, ainsi appelée par saint Paul dans l’Epître aux Corinthiens (1), est appelée Autel par le même Apôtre dans l’Epître aux Hébreux (2). Il ne s'agit pas ici d'établir ni d'expliquer ce sacrifice, dont on peut voir la nature dans le Traité de l’Exposition (3) ; et je dirai seulement, parce que notre sujet le demande, que Jésus-Christ a fait consister ce sacrifice de l'Eucharistie dans la plus parfaite expression qu'on put jamais imaginer du sacrifice de la croix. C'est pourquoi il a dit séparément : « Ceci est mon corps ; et : Ceci est mon sang, » renouvelant mystiquement par ces paroles, comme par un glaive spirituel, avec toutes les plaies qu'il a reçues dans son corps, la totale effusion de son sang; et encore que ce corps et ce sang une seule fois séparés, dussent être éternellement réunis dans sa résurrection pour faire un homme parfait et parfaitement vivant, il a voulu néanmoins que cette séparation, faite une fois à la croix, ne cessât jamais de paraître dans le mystère de la sainte table. C'est dans cette mystique séparation qu'il a voulu faire consister l'essence du sacrifice de l'Eucharistie pour en faire l'image parfaite du sacrifice de la croix, afin que comme ce dernier sacrifice consiste dans l'actuelle séparation du corps et du sang, celui-ci qui en est l'image parfaite, consistât aussi dans cette séparation représentative et mystique. Mais encore que Jésus-Christ ait séparé son corps et son sang ou réellement sur la croix, ou mystiquement sur les autels, il n'en peut pas séparer la vertu, ni faire qu'une autre grâce accompagne son sang répandu que la même au fond et en substance qui accompagne son corps immolé : ce qui fait que cette expression si vive et si forte, nécessaire pour le sacrifice, ne l'est plus dans la réception de l'Eucharistie , étant autant impossible de séparer dans l'application l'effet

 

1 I Cor., X, 21. — 2 Hebr., XIII, 10. — 3 Exp., art. XIV.

 

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du sang de celui du corps, qu'il est aisé et naturel de représenter aux yeux du fidèle la séparation actuelle de l'un et de l'autre. C'est pourquoi dans l'antiquité nous avons vu en tant de rencontres le corps donné sans le sang, et le sang donné sans le corps, mais jamais l'un consacré sans l'autre. Nos pères ont été persuadés qu'on ôteroit aux fidèles quelque chose de trop précieux, si on ne consacrait pas les deux espèces, où Jésus-Christ a fait consister avec cette parfaite représentation de sa mort l'essence du sacrifice de l'Eucharistie; mais qu'on ne leur ôtait rien d'essentiel, ne leur en donnant qu'une seule, puisqu'une seule contient la vertu du tout ; et que l'esprit une fois frappé de la mort de Notre-Seigneur dans la consécration des deux espèces, ne prend plus rien de l'autel où on les a consacrées qui ne conserve cette figure de mort et le caractère de victime : de sorte que soit que l'on mange, soit que l'on boive , soit qu'on fasse l'un et l'autre ensemble, on s'applique toujours la même mort, et on reçoit toujours en substance la même grâce.

Et il ne faut point tant appuyer sur le manger et le boire, puisque manger et boire spirituellement, c'est visiblement la même chose, et que l'un et l'autre c'est croire. Soit donc qu'on mange ou qu'on boive selon le corps, l'on boit et mange tout ensemble selon l'esprit pourvu qu'on croie, et on reçoit tout l'effet du sacrement.

Mais sans disputer davantage , je voudrais bien seulement demander à Messieurs de la religion prétendue réformée s'ils ne croient pas, quand ils ont reçu le pain de la Cène avec une foi sincère, avoir reçu la grâce qui nous incorpore pleinement à Jésus-Christ et le fruit tout entier de son sacrifice. Qu'ajoutera donc l'espèce du vin, si ce n'est une expression plus ample du même mystère?

Bien plus, ils croient recevoir, non la figure seulement, mais la propre substance de Jésus-Christ. Que ce soit par la foi, ou autrement, ce n'est pas de quoi il s'agit. La reçoivent-ils toute entière, ou seulement la moitié, quand on leur donne le pain de a Cène? Jésus-Christ est-il divisé? Et s'ils reçoivent dans une seule espèce la substance de Jésus-Christ toute entière, qu'ils nous

 

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disent si la substance et l'essence du sacrement leur peut manquer?

Et ce ne peut être que cette raison qui leur ait persuadé qu'ils pouvaient donner le pain seul à ceux qui ne peuvent pas boire de vin. L'article vu du chapitre XII de leur Discipline , qui est celui de la Cène, y est exprès.

Cet argument proposé la première fois par le grand cardinal de Richelieu, a jeté les prétendus réformés dans un extrême embarras. J'ai tâché de résoudre dans l'Exposition une partie des réponses qu'ils y ont faites (1), et j'ai soigneusement rapporté ce qu'ont réglé leurs synodes en confirmation de l'article de leur Discipline. Le fait est demeuré pour constant : ceux qui ont écrit contre moi l'ont tons avoué d'un commun accord comme public et notoire ; mais ils ne se sont pas accordés de même dans la manière d'y répondre.

Tous n'ont pas été satisfaits de la réponse ordinaire, qui consiste seulement à dire que ceux dont il est parlé dans l'article de la Discipline, sont excusés de prendre le vin par l'impossibilité où ils sont d'en boire, et que c'est un cas particulier qu'il n'est pas permis de tirer à conséquence ; car ils ont bien vu au contraire que ce cas particulier devait être décidé par les principes généraux. Si l'intention de Jésus-Christ est que les deux espèces soient inséparables ; si l'essence ou la substance du sacrement consiste dans l'union de l'une et de l'autre : comme les essences sont indivisibles , ce n'est pas le sacrement que ceux-ci reçoivent, c'est une chose purement humaine, et qui n'a point son fondement dans l'Evangile.

Il en a donc enfin fallu venir, mais avec une peine extrême et des détours infinis, à dire qu'en ce cas celui qui reçoit seulement « le pain, ne reçoit pas le sacrement de Jésus-Christ. »

M. Jurieu, qui a écrit le dernier contre mon Exposition, dans son livre intitulé le Préservatif (2), après avoir vu les réponses de tous les autres, et après s'être donné lui-même beaucoup de peine, tantôt en se fâchant « contre M. de Condom, qui s'amuse, dit-il, comme ferait un petit missionnaire, à des choses si peu relevées, et à cette vieille chicane, » tantôt en faisant valoir autant qu'il

 

1 Exp., art. 17. — 2 Préservatif, art. 13, p. 262 et suiv.

 

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peut cette impossibilité tant répétée, conclut enfin que celui dont il s'agit, à qui on ne donne que le seul pain, à parler exactement ne prend pas par la bouche « le sacrement de Jésus-Christ, parce que ce sacrement est composé de deux parties, et qu'il n'en reçoit qu'une : » ce qu'il confirme dans le dernier livre qu'il a mis au jour (1).

C'est ce que les prétendus réformés n'avaient encore osé dire, que je sache. En effet une communion qui n'est pas un sacrement est un étrange mystère ; et les prétendus réformés, qui sont enfin obligés de le reconnaître , feraient aussi bien d'avouer la conséquence que nous tirons de leur Discipline, puisqu'ils ne trouvent de dénouement à cet embarras que par un prodige si inouï dans l'Eglise.

Mais la doctrine de notre auteur paraît encore plus étrange quand on la considère dans toute sa suite. Selon lui, l'Eglise présente en ce cas « le sacrement véritable ; » mais toutefois « ce qu'on reçoit n'est pas le sacrement véritable ; » ou plutôt « ce n'est pas un véritable sacrement quant au signe, mais c'est un véritable sacrement quant à la chose signifiée, » puisque « le fidèle reçoit Jésus-Christ signifié par le sacrement, et reçoit tout autant de grâces que ceux qui communient au sacrement même, parce que le sacrement lui est présenté tout entier, parce qu'il le reçoit de vœu et de cœur, et parce que la seule impossibilité insurmontable l'empêche de communier au signe (2). »

Que lui servent ces subtilités? Il pourrait conclure par ces arguments, que le fidèle qui ne peut, selon ses principes, recevoir le vrai sacrement de Jésus-Christ, puisqu'il n'en peut recevoir une partie essentielle, est excusé par son impuissance de l'obligation de le recevoir, et que le désir qu'il a de recevoir ce sacrement en supplée l'effet. Mais que pour cela il faille séparer ce qui est inséparable par son institution, et donner à quelqu'un un sacrement qu'il ne peut pas recevoir, ou plutôt lui donner solennellement ce qui n'étant pas le vrai sacrement de Jésus-Christ, ne peut être autre chose que du pain tout simple, c'est inventer un nouveau mystère dans la religion chrétienne, et tromper à la face de toute

 

1 Examen de l’Euch., tr. VI, sect. 7. — 2 Préserv., p. 266, 267.

 

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l'Eglise un chrétien qui croit recevoir ce qu'en effet il ne reçoit pas.

Voilà néanmoins le dernier refuge de nos réformés : voilà ce qu'écrit celui qui a écrit contre moi après tous les autres, dont les protestants débitent le livre en France, en Hollande, partout, et en toutes langues, avec une préface magnifique, comme l'antidote le plus efficace que la nouvelle Réforme ait pu opposer à cette Exposition tant attaquée (1). Il a trouvé, en enchérissant et en raffinant sur les autres, cette nouvelle absurdité, que ce qu'on reçoit parmi eux avec tant de solennité quand on ne peut pas boire du vin, n'est pas le sacrement de Notre-Seigneur ; et que c'est par conséquent une pure invention de l'esprit humain, qu'une église qui se dit fondée sur la pure parole de Dieu ne craint point d'établir sans en trouver un seul mot dans cette parole.

Pour conclusion, Jésus-Christ n'a pas fait une loi particulière pour ceux dont nous parlons. Les hommes n'ont pas pu les dispenser d'un commandement exprès de Notre-Seigneur, ni leur permettre autre chose que ce qu'il a institué. Il faut donc ou ne leur rien donner, ou si on leur donne une des espèces, croire que par l'institution de Notre-Seigneur cette seule espèce contient toute l'essence du sacrement, et que la réception de l'autre n'y peut plus rien ajouter que d'accidentel.

Mais il faut venir au troisième principe, qui seul emporte la décision de la question. Le voici. Pour connaître ce qui appartient ou n'appartient pas à la substance des sacrements, il faut consulter la pratique et le sentiment de l'Eglise.

Disons les choses plus généralement : dans tout ce qui est de pratique, il faut toujours regarder ce qui a été entendu et pratiqué par l'Eglise, et c'est là le vrai esprit de la loi.

J'écris ceci pour un juge éclairé, qui sait que pour entendre l'ordonnance et en bien prendre l'esprit, il faut savoir comment elle a toujours été prise et pratiquée : autrement comme chacun raisonne à sa mode, la loi deviendrait arbitraire. La règle est d'examiner comment ou a entendu et comment on a pratiqué : on ne se trompe jamais en la suivant.

 

1 Préf. du Préserv.

 

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Dieu pour honorer son Eglise et attacher les particuliers à ses saintes décisions, a voulu que cette règle eût lieu dans sa loi, comme elle l'a dans les lois humaines; et la vraie manière d'entendre cette sainte loi, c'est de considérer de quelle sorte elle a toujours été entendue et observée dans l'Eglise.

La raison est qu'on voit dans cette interprétation et pratique perpétuelle, une tradition qui ne peut venir que de Dieu même, selon cette doctrine des Pères, que ce qu'on voit toujours et partout dans l'Eglise ne peut venir que des apôtres qui l'auront appris de Jésus-Christ, et de l'Esprit de vérité qu'il leur a donné pour docteur.

Et de peur qu'on ne se trompe dans les différentes significations du mot de Tradition, je déclare que la tradition que j'allègue ici comme interprète nécessaire de la loi de Dieu, est une doctrine non écrite venue de Dieu même, et conservée dans les senti mens et la pratique universelle de l'Eglise.

Je n'ai pas besoin de prouver ici cette tradition ; et la suite fera paraître que nos réformés sont forcés à la reconnaître du moins en cette matière. Mais il ne sera pas hors de propos de leur ôter en peu de mots les fausses idées qu'ils attachent ordinairement à ce mot de tradition.

Ils nous disent que l'autorité que nous donnons à la tradition, soumet l'Ecriture aux pensées des hommes et la déclare imparfaite.

Ils se trompent visiblement. L'Ecriture et la tradition ne font ensemble qu'un même corps de doctrine révélée de Dieu ; et bien loin que l'obligation d'interpréter l'Ecriture par la tradition soumette l'Ecriture aux pensées des hommes, il n'y a rien qui la mette plus au-dessus.

Quand on permet aux particuliers, comme font nos prétendus reformés, d'interpréter chacun à part soi l'Ecriture sainte, on donne lieu nécessairement aux interprétations arbitraires ; et en effet on la soumet aux pensées des hommes, qui la prennent chacun à leur mode : mais quand chaque particulier se sent oblige à la prendre comme la prend et l'a toujours prise toute Eglise, il n'y a rien qui élève plus l'autorité de l'Ecriture, ni qui

 

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la rende plus indépendante de tous les sentiments particuliers.

Jamais on n'est plus assuré de bien prendre l'esprit et le sens de la loi, que quand on la prend comme elle a toujours été prise depuis son premier établissement. Jamais on n'honore plus le législateur, jamais l'esprit n'est plus captivé sous l'autorité de la loi, ni plus astreint à son vrai sens, jamais les vues particulières et les mauvaises gloses ne sont plus exclues.

Ainsi, quand nos pères, dans tous leurs conciles, dans tous leurs livres, dans tous leurs décrets, se sont fait une loi indispensable d'entendre l'Ecriture sainte comme elle a toujours été entendue : loin de croire que par ce moyen ils la soumissent aux pensées humaines, ils ont cru au contraire qu'ils n'avaient point de plus sur moyen pour les exclure.

L'Esprit qui a dicté l'Ecriture et l'a déposée entre les mains de l'Eglise, la lui a fait entendre dès le commencement et dans tous les temps : de sorte que l'intelligence qu'on en voit toujours dans l'Eglise, est inspirée aussi bien que l'Ecriture elle-même.

L'Ecriture n'est pas imparfaite pour avoir besoin d'une telle interprétation. Il était de la majesté de l'Ecriture d'être concise en ses paroles, profonde en ses sens, et pleine d'une sagesse qui parût toujours plus impénétrable à mesure qu'on la pénètre davantage. C'est un de ces caractères de divinité, dont il a plu au Saint-Esprit de la revêtir. Il fallait, pour être entendue, qu'elle fût méditée ; et ce que l'Eglise y a toujours entendu en la méditant, doit être reçu comme une loi.

Ainsi ce qui n'est pas écrit n'est pas moins vénérable que ce qui l'est, pourvu que tout soit venu par la même voie. Tout convient, puisque l'Ecriture est le fondement nécessaire des traditions, et que la tradition est l'interprète infaillible de l'Ecriture.

Si je disais que toute l'Ecriture doit être interprétée de cette sorte, je dirais une vérité que l'Eglise a toujours reconnue : mais je sortirais de la question que j'ai à traiter. Je me réduis aux choses qui sont de pratique, et principalement à ce qui est de cérémonie. Je soutiens qu'on n'y peut distinguer ce qu'il y a d'essentiel et d'indispensable, d'avec ce qui a été laissé à la liberté de l'Eglise, qu'en examinant la tradition et la pratique constante.

 

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C'est ce que je vais prouver par l'Ecriture même, par toute l'antiquité, et afin que rien ne manque à la preuve, par le propre aveu de nos adversaires.

Sous le nom de cérémonie, je comprends ici les sacrements, qui sont en effet des signes sacrés et des cérémonies divinement instituées pour signifier et opérer la grâce.

L'expérience fait voir que jamais on n'explique bien ce qui est de cérémonie, que par la manière de le pratiquer.

Par là notre question est décidée. Dans la cérémonie sacrée de la Cène nous avons vu que l'Eglise a toujours cru donner toute la substance et appliquer toute la vertu du sacrement, en ne donnant qu'une seule espèce. Voilà ce qui a toujours élé suivi; voilà ce qui doit servir de loi.

Cette règle n'est pas rejetée par les prétendus réformés. Nous venons de voir que s'ils ne croyaient que le sentiment de l'Eglise, et son interprétation tient lieu de loi, ils n'auraient jamais divisé la Cène en faveur de ceux qui ne boivent pas de vin, ni donné une décision qui n'est point dans l'Evangile.

Mais ce n'est pas ici seulement qu'ils ont suivi l'interprétation de l'Eglise. Nous allons voir beaucoup d'autres points, où ils ne peuvent se dispenser d'avoir recours à la règle que nous proposons.

Je fais donc sans hésiter cette proposition générale, et j'avance comme un fait constant, avoué par les Juifs anciens et modernes, par les chrétiens de tous les temps , et même par les prétendus réformés, que les lois cérémoniales de l'Ancien et du Nouveau Testament ne peuvent être entendues que par la pratique, et que sans ce moyen il n'est pas possible de prendre le vrai esprit de la loi.

La chose est plus surprenante dans l'Ancien Testament, où tout était circonstancié et particularisé avec tant de soin : et néanmoins il est certain qu'une loi écrite avec cette exactitude a eu besoin de la tradition et de l'interprétation de la Synagogue, pour être bien entendue.

La seule loi du sabbat en fournit plusieurs exemples.

Chacun sait combien étroite était l'observance de ce repos sacré, où il était défendu , à peine de la vie, de préparer sa nourriture

 

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et même d'allumer son feu (1). Enfin la loi défendait si précisément tout ouvrage, que plusieurs n'osaient presque se remuer dans ce saint jour. Il était certain du moins qu'on ne pouvait ni entreprendre, ni continuer un voyage; et on sait ce qui arriva dans l'armée d'Antiochus Sidètes , lorsque ce prince arrêta sa marche en faveur de Jean Hyrcan et des Juifs durant deux jours (2), où leur loi les obligeait à observer un repos égal à celui du sabbat. Dans cette étroite obligation de demeurer en repos, la seule tradition et la seule coutume avaient expliqué jusqu'où on pouvait aller, sans blesser la tranquillité de ces saints jours. De là cette façon de parler mentionnée dans les Actes des apôtres (3), d'un tel lieu à un tel lieu, « il y a le chemin du Sabbat. » Cette tradition était établie dès le temps de Notre-Seigneur, sans que ni lui, ni ses apôtres qui en font mention, l'aient reprise.

La sévérité de ce repos n'empêchait pas qu'il ne fût permis de délier un animal pour le mener boire, ou de le relever s'il était tombé dans un fossé. Notre-Seigneur qui allègue ces exemples comme publics et reconnus par les Juifs (4), non-seulement ne les blâme pas, mais encore il les autorise, bien que la loi n'en eût. rien dit et que ces actions semblassent comprises dans la défense générale.

Il ne faut point s'imaginer que ces observances fussent de petite importance dans une loi si sévère, et où il fallait prendre garde jusqu'à un iota et au moindre trait, la moindre prévarication attirant sur les transgresseurs des peines terribles et une inévitable malédiction.

Mais voici des choses qui paraîtront plus importantes. Du temps des Machabées, il fut question de savoir s'il était permis de défendre sa vie le jour du sabbat; et les Juifs se laissèrent tuer, jusqu'à ce que la Synagogue eût interprété et déclaré que la défense était permise, encore que la loi n'eût point excepté cette action (5).

En permettant la défense, on ne permit point l'attaque, quelque

 

1 Exod., XVI, 23; XXXV, 3. — 2 Joseph., Ant. XIII, 16. — 3 Act., I, 12. — 4 Luc., XIII,   15;  XIV,  5.—  5 I Mach., II, 32, 38, 40, 41 ; II Mach., XV, 1, 2, etc.

 

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utilité qui en revînt au public, et la Synagogue n'osa jamais aller jusque-là.

Mais après qu'elle eut permis la défense, il resta encore un scrupule, savoir, s'il était permis de réparer une brèche le jour du Sabbat (1). Car encore qu'il eût été résolu qu'on pouvait défendre sa vie lorsqu'elle était immédiatement attaquée, on douta si la permission s'étendait aux occasions où l'attaque n'était pas si proche. Les Juifs assiégés dans Jérusalem n'osèrent étendre la dispense jusque-là, et se laissèrent prendre par Pompée. Le scrupule paraissait un peu trop fort; et je rapporte cet exemple seulement pour faire voir combien il pouvait arriver de cas auxquels la loi n'avait pas pourvu, et où la déclaration de la Synagogue était nécessaire pour mettre les consciences en sûreté.

C'était une loi indispensable d'observer les nouvelles lunes, pour célébrer une fête que la loi ordonnait à ce jour précis, et pour compter exactement les autres jours qui avaient leurs observances particulières. Outre qu'il n'y avait point dans les premiers temps d'éphémérides réglées, les Juifs ne s'y sont jamais arrêtés dans leurs observances ; et ne voulant point s'exposer aux erreurs du calcul, ils ne trouvaient de sûreté qu'à faire observer dans les plus hautes montagnes quand la lune paraîtrait. Ni la manière de l'observer, ni celle de le venir déclarer au conseil, ni celle de publier la nouvelle lune et le commencement de la fête, n'était marquée dans la loi. La tradition y avait pourvu ; et la même tradition avait décidé que tout ce qu'il fallait faire pour observer et pour déclarer la nouvelle lune n'était pas contraire au Sabbat.

Je ne veux point parler des sacrifices, ni des autres cérémonies qui se faisaient le jour du Sabbat selon la loi (2), puisque la loi les ayant réglées, on peut dire qu'elle avait fait une exception en ce point : mais il y a beaucoup d'autres choses qu'il fallait faire le jour du sabbat, en des cas que la loi n'avait point réglés.

Quand la Pâque arrivait le premier jour de la semaine, qui est parmi nous le dimanche, il y avait diverses choses à faire pour la préparation du sacrifice pascal. Il fallait choisir la victime, faire examiner par les prêtres si elle avait les qualités requises, la

 

1 Joseph., Ant., XIV, 8. — 2 Levit., XXIV, 8 ; Numer., XXVIII, 9.

 

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conduire au temple et à l'autel, pour être immolée à l'heure précise. Toutes ces choses se faisaient avec beaucoup d'autres, la veille de Pâque. Il fallait encore exterminer le levain, qui selon les termes précis de la loi (1), « ne devait plus se trouver » en tout Israël, quand le jour de Pâque commençait. La loi aurait pu régler que ces choses se fissent le vendredi, quand la Pâque serait le dimanche, ou en tout cas dispenser de l'observance du sabbat pour les accomplir. Elle ne l'a pas voulu faire : la seule tradition a autorisé les prêtres à faire leurs fonctions ; et nous pouvons dire en ces cas, aussi bien qu'en ceux que Notre-Seigneur a marqués, que « les prêtres violent le sabbat dans le temple, et sont sans reproche (2). »

Et n'approuve-t-il pas encore ce que fit David, lorsque pressé de la faim, il mangea les pains de proposition contre la défense de la loi (3), et suivit l'interprétation du grand prêtre Achimélec, quoiqu'elle ne fût écrite nulle part?

La Pâque et toutes les fêtes des Israélites, aussi bien que leurs sabbats commençaient dès le soir et au temps de vêpres, selon la disposition expresse de la loi (4) : mais encore que le vrai temps de vêpres soit le coucher du soleil, les vêpres ne se prenaient pas si précisément parmi les Juifs. La loi pourtant ne l'avait pas dit, et la seule coutume avait réglé que la vêpre ou le soir pouvait commencer presque aussitôt après midi, et quand le soleil commençait à décliner.

On ne pouvait non plus déterminer par les termes précis de la loi, ce que c'était que ce temps « d'entre les deux vêpres, » qui est marqué pour la Pâque dans le texte hébreu de l’Exode (5), et la seule tradition avait expliqué que c'était tout le temps qui était compris entre le déclin du soleil et son coucher.

On ne peut nier que toutes ces choses ne fussent d'une absolue nécessité pour l'observance de la loi ; et si on voit que la loi n'a pas voulu les prévoir, on doit conclure qu'elle a voulu en laisser l'explication à la coutume.

Il faut dire la même chose de diverses cérémonies, qui selon

 

1 Exod., XII, 15. — 2 Matth., XII, 5. — 3 Ibid., 4 ; I Reg., XXI, 4. — 4 Levit., XXIII, 32. — 5 Exod., XII, 6.

 

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les termes de la loi, concouraient à un temps précis, sans qu'il fût possible de les faire ensemble. Par exemple, la loi ordonnait un sacrifice du soir qui se devait faire tous les jours, et c'est ce qu'on appelait le Tamid ou le Sacrifice perpétuel. Il y avait celui du sabbat et encore celui de la Pâque qui se devaient faire à la même heure ; de sorte qu'au jour de Pâque , selon les termes de la loi, ces trois sacrifices concouraient ensemble : il n'y avait pourtant qu'un seul autel pour les sacrifices, et il n'était ni permis ni même possible de faire ces sacrifices en même temps. On n'eût su non plus par où commencer; et dans l'étroite observance que la loi exigeait à toute rigueur, on serait tombé dans un embarras inévitable, si la coutume n'avait expliqué que le sacrifice le plus ordinaire allait le premier. Ainsi on ne craignait point d'avancer le sacrifice perpétuel pour donner lieu à celui du sabbat, et aussi celui du sabbat pour donner lieu à celui de Pâque.

Si on s'attache aux termes précis de la loi de Moïse (1), on n'y trouve de mariages absolument défendus avec les étrangères, que ceux qui se contractaient avec les filles des sept nations si souvent détestées dans l'Ecriture. C'étaient ces nations abominables qu'il fallait exterminer sans miséricorde (2) : c'étaient les filles sorties de ces nations qui devaient séduire les Israélites, et les entraîner dans le culte de leurs faux dieux (3); et c'était pour cette raison que la loi défendait de les épouser. Il n'était rien dit de semblable des filles des Egyptiens; et pour les filles des Moabites, quoiqu'elles paraissent exclues avec celles des Ammonites (4), il fallait bien qu'il y eût pour elles quelque sorte d'exception, puisque Booz est loué par tout le conseil et par tout le peuple, pour avoir épousé Ruth (5) qui était de ces pays-là. Voilà ce que nous trouvons dans la loi : et nous trouvons néanmoins que du temps d'Esdras il était établi parmi les Juifs de mettre les Egyptiennes, les filles des Moabites, et en un mot toutes les étrangères, dans le même rang que les Chananéennes : de sorte qu'on rompit comme abominables tous les mariages contractés avec ces filles (6). D'où vient cela, si ce n'est que depuis le temps de Salomon une longue expérience ayant

 

1 Deuter., VII, 1-3. — 2 Ibid., 2. — 3 Ibid., 4. — 4 Ibid., XXIII, 3. — 5 Ruth, IV. — 6 I Esdr., IX, X, 19 ; II Esdr., XIII, 1, 2, etc.

 

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appris aux Israélites que les Egyptiennes et les autres étrangères ne les séduisaient pas moins que les Chananéennes, on avait cru les devoir toutes également exclure, non tant par la lettre et les propres termes que par l'esprit de la loi; laquelle même on interpréta contre l'usage précédent à l'égard des Moabites, la Synagogue croyant toujours avoir reçu de Dieu même le droit de donner des décisions selon les nécessités survenantes?

Je ne crois pas que personne se persuade qu'on observât à la lettre, et en toutes sortes de cas, cette sévère loi du talion si souvent répétée dans les livres de Moïse (1). Car encore qu'à ne regarder que ces termes, « œil pour œil, dent pour dent, main pour main, brisure pour brisure, plaie pour plaie, » rien ne paroisse établir une plus parfaite et plus juste compensation, rien au fond n'en est plus éloigné si on pèse les circonstances, et rien enfin ne serait plus inégal qu'une telle égalité, outre qu'il n'est pas possible de faire toujours à un malfaiteur une blessure semblable à celle qu'il a faite à son frère. La pratique enseigna aux Juifs que le vrai dessein de la loi était de les faire entrer dans l'esprit d'une raisonnable compensation, utile aux particuliers et au public; et comme elle n'est pas dans un point précis, ni dans une. mesure certaine, la même pratique la déterminait par une estimation équitable.

Il ne serait pas difficile de rapporter beaucoup d'autres traditions de l'ancien peuple aussi approuvées que celles-ci. Les habiles écrivains de la nouvelle Réforme en tomberont d'accord. Lors donc qu'ils veulent détruire en général les traditions non écrites, par les paroles où Notre-Seigneur condamne les traditions contraires aux termes ou à l'esprit de la loi (2), et en un mot celles qui n'avaient pas un assez solide fondement, il n'y a point de bonne foi dans leurs discours : et tout homme sensé conviendra qu'il y avait des traditions légitimes, quoique non écrites, sans lesquelles la pratique même de la loi était impossible ; de sorte qu'on ne peut nier qu'elles n'obligeassent en conscience.

Messieurs de la religion prétendue réformée me permettront-ils

 

1 Exod., XXI, 24, 25; Levit., XXIV, 19, 20; Deuter., XIX, 21. — 2 Matth., XV, 3; Marc, VII, 7 et seq.

 

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de rapporter ici la tradition de la prière pour les morts? Elle est constante par le livre des Machabées (1) : sans entrer ici avec ces Messieurs dans la question si ce Livre est canonique, ou s'il ne l'est pas, puisqu'il suffit pour ce fait qu'il soit constamment écrit devant l'Evangile. Cette coutume subsiste encore aujourd'hui parmi les Juifs ; et la tradition s'en peut établir par ces paroles de saint Paul : A quoi sert de se baptiser, c'est-à-dire, de se purifier et se mortifier pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas (2)! Jésus-Christ et les apôtres ont trouvé parmi les Juifs cette tradition de prier pour les morts sans les en reprendre : au contraire elle a passé immédiatement de l'Eglise judaïque à l'Eglise chrétienne, et les protestants, qui ont fait des livres où ils montrent qu'elle est établie dans les premiers temps du christianisme, n'ont pu encore en marquer les commencements. Néanmoins il est certain qu'il n'y en avait rien dans la loi. Elle est venue aux Juifs par la même voie qui leur avait apporté tant d'autres traditions inviolables.

Que si une loi qui descend à un si grand détail et qui est pour ainsi dire toute lettre, pour pouvoir être entendue selon son véritable esprit, a eu besoin d'être interprétée par la pratique et par les déclarations de la Synagogue : combien plus en a-t-on besoin dans la loi évangélique, où la liberté est plus grande dans les observances , et où les pratiques sont bien moins circonstanciées ?

Cent exemples nous vont faire voir la vérité de ce que je dis. Je les tirerai des pratiques mêmes des prétendus réformés, et je n'hésiterai point à rapporter tout ensemble, comme décisif, ce qui a passé pour constant dans l'ancienne Eglise, parce que je ne puis pas croire que ces Messieurs puissent le rejeter de bonne foi.

L'institution du sabbat a précédé la loi de Moïse, et avait son fondement dans la création ; et néanmoins ces Messieurs se dispensent aussi bien que nous de cette observance, sans autre fondement que celui de la tradition et de la pratique de l'Eglise, qui ne peut être venue que d'une autorité divine.

C'est en vain qu'ils répondent que le premier jour de la semaine

 

1 I Mach., XII, 43, 46. — 2 I Cor., XV, 29.

 

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consacré par la résurrection de Jésus-Christ, est remarqué dans les écrits des apôtres comme, un jour d'assemblée pour les chrétiens (1) et qu'il est nommé dans l’ Apocalypse le jour du Seigneur ou le dimanche (2). Car outre qu'il n'est parlé nulle part dans le Nouveau Testament du repos attaché au dimanche, il est d'ailleurs manifeste que l'addition d'un nouveau jour ne suffisait pas pour ôter la célébrité de l'Ancien, ni pour nous faire changer avec la tradition du genre humain les préceptes du Décalogue.

La défense de manger du sang et celle de manger la chair des animaux suffoqués, a été donnée à tous les enfants de Noé (3) devant l'établissement des observances légales, dont nous sommes affranchis par l'Evangile, et les apôtres l'ont confirmée dans le concile de Jérusalem (4), en la joignant à deux choses d'une observance immuable, dont l'une est la défense de participer au sacrifice des idoles, et l'autre est la condamnation du péché de la chair. Mais parce que l'Eglise a toujours cru que cette loi, quoique observée durant plusieurs siècles, n'était pas essentielle au christianisme, les prétendus réformés s'en dispensent aussi bien que nous, sans que l'Ecriture ait dérogé à une décision si précise et si solennelle du concile des apôtres, expressément rédigée dans leurs Actes par saint Luc.

Mais pour montrer combien il est nécessaire de savoir la tradition et la pratique de l'Eglise en ce qui regarde les sacrements, considérons ce qui s'est fait dans le sacrement de baptême , et dans celui de l'Eucharistie, qui sont les deux sacrements que nos adversaires reconnaissent d'un commun accord.

C'est aux apôtres, c'est-à-dire aux chefs du troupeau, que Jésus-Christ a donné la charge d'administrer le baptême (5) : cependant toute l'Eglise a entendu, non-seulement que les prêtres, mais encore les diacres et même tous les fidèles, en cas de nécessité, étaient les ministres de ce sacrement (6).

La seule tradition a interprété que le baptême, que Jésus-Christ n'a mis entre les mains que de son Eglise et de ses apôtres, pût

 

1 Act., XX, 7; I Cor., XVI, 2. — 2 Apoc., I, 10. — 3 Genes., IX, 4. — 4 Act., XV, 29 — 5 Matth., XXVIII, 19. — 6 Tertull., de Bapt., cap. XVII; Conc. Illib., cap. XXXVIII, etc.; Labb., tom. I, col. 974.

 

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être validement administré par les hérétiques et hors de la communion des vrais fidèles.

Au chapitre XI de la Discipline des prétendus réformés, article I, il est dit, que « le Baptême administré par celui qui n'a vocation aucune, est du tout nul ; » et les observations tirées des synodes déclarent que pour la validité de ce sacrement, il suffit qu'il y ait dans les ministres apparence de vocation, telle qu'elle est dans les curés, dans les prêtres et dans les moines de l'Eglise romaine qui sont reçus à prêcher. Où trouvent-ils dans l'Ecriture que cette apparence de vocation puisse attribuer un pouvoir que Jésus-Christ n'a donné qu'à ceux qu'il a lui-même effectivement appelés ?

Jésus-Christ a dit : Plongez, comme nous l'avons souvent remarqué. Nous avons dit aussi qu'il a été baptisé en cette forme, que ses apôtres l'ont suivie, et qu'on l'a continuée dans l'Eglise jusqu'au douzième et treizième siècle : et néanmoins le baptême donné par infusion est admis sans difficulté par la seule autorité de l'Eglise.

Jésus-Christ a dit : « Enseignez et baptisez (1) ; » et encore : « Qui croira et sera baptisé, sera sauvé (2). » L'Eglise a interprété par la seule autorité de la tradition et de la pratique, que l'instruction et la foi que Jésus-Christ avait unies avec le baptême, en pouvaient être séparées à l'égard des petits enfants.

Ces paroles : Enseignez et baptisez, ont longtemps embarrassé nos réformés. Elles leur avaient fait dire jusqu'en 1614, qu'il « n'était pas loisible de baptiser sans prédication précédente, ou immédiatement suivante (3). » C'est ce qui fut décidé au synode de Tonneins, conformément à tous les synodes précédents. Mais au synode de Castres, en 1626, on commença à se relâcher sur ce point, et on résolut « de ne presser pas l'observation du règlement de Tonneins (4). » Enfin au synode de Charentou , en 1031 , (c'est celui où l'on admit les luthériens à la Cène ) il fut dit, « que la prédication avant ou après le Baptême n'est de l'essence d'i-celui, ains de l'ordre dont l'Eglise peut disposer (5). » Ainsi ce

 

1 Matth., XXVIII, 19. — 2 Marc., XVI, 15, 16. — 3 Discip., chap. XI, art. 6; Observ., p. 166. — 4 Ibid., 167. — 5 Ibid.

 

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qu'on avait cru et pratiqué si longtemps, comme prescrit par Jésus-Christ même, fut changé; et sans aucun témoignage de l'Ecriture , on déclara que c'était chose dont l'Eglise peut ordonner comme il lui plaît.

A l'égard des petits enfants, les prétendus réformés disent bien que leur baptême est fondé en l'Ecriture ; mais ils n'en rapportent aucun passage précis, et ils argumentent par des conséquences très-éloignées, pour ne pas dire très-douteuses, et même très-fausses.

Il est certain que sur ce sujet toutes les preuves qu'ils tirent de l'Ecriture n'ont aucune force, et qu'ils détruisent eux-mêmes celles qui pourraient en avoir.

Ce qui peut avoir de la force pour établir le baptême des petits enfants, c'est que d'un côté il est écrit que Jésus-Christ « est Sauveur de tous (1) » et qu'il a dit lui-même : « Laissez venir à moi les petits enfants (2); » et de l'autre, qu'il a prononcé que nul ne peut approcher de lui, ni avoir part à sa grâce, s'il ne reçoit le baptême, conformément à cette parole : «Si vous n'êtes régénérés de l'eau et du Saint-Esprit, vous n'entrerez point au royaume de Dieu (3). » Mais ces passages n'ont point de force selon la doctrine de nos réformés, puisqu'ils font profession de croire que le baptême n'est pas nécessaire au salut des petits enfants.

Rien ne leur fait tant de peine dans leur Discipline (4) que l'empressement qu'ils voient tous les jours parmi eux dans les parents à faire baptiser leurs petits enfants, lorsqu'ils sont malades ou en péril de mort. Cette piété des parents est appelée dans leurs synodes une infirmité. C'est faiblesse d'appréhender que les enfants des fidèles ne meurent sans recevoir le baptême. Un synode s'était laissé aller à consentir qu'on baptisât les enfants extraordinairement en évident péril de mort. Mais le synode suivant réprouva cette faiblesse : et ces gens forts effacèrent la clause où on témoignait avoir égard à ce péril, « parce qu'elle donne quelque ouverture à l'opinion de la nécessité du baptême (5). »

Ainsi les preuves tirées de la nécessité du baptême pour forcer

 

1 I Timoth., IV, 10. — 2 Matth., XIX, 14. — 3 Joan., III, 3, 5 — 4 Discip., chap. XI, art. 6, Observ.— 5 Ibid.

 

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à le donner aux petits enfants sont détruites par nos réformés. Voici celles qu'ils substituent à leur place, telles qu'elles sont marquées dans leur Catéchisme, dans leur Confession de foi et dans leurs prières. C'est que les enfants des fidèles naissent dans l'alliance, conformément à cette promesse : « Je serai ton Dieu, et le Dieu de ta lignée jusqu'en mille générations. » D'où ils concluent que « la vertu et substance du baptême appartenant aux petits enfants, on leur ferait injure de leur dénier le signe, qui est inférieur (1). »

Par une semblable raison ils se trouveront forcés à leur donner la Cène avec le baptême ; car ceux qui sont dans l'alliance sont incorporés à Jésus-Christ : les petits enfants des fidèles sont dans l'alliance, ils sont donc incorporés à Jésus-Christ; et ayant par ce moyen, selon eux, la vertu et la substance de la Cène, on devrait dire, comme du baptême, qu'on ne peut sans injure leur en refuser le signe.

Les anabaptistes soutiennent que ces paroles : Qu'on s'éprouve et qu'on mange, n'ont pas plus de force pour exiger dans la Cène l'âge de raison, que celles-ci : Qui croira et sera baptisé, en ont pour l'exiger dans le baptême.

La conséquence qu'on tire dans la nouvelle Réforme de l'alliance de l'ancien peuple et de la circoncision, ne les touche pas. L'alliance de l'ancien peuple se faisait, disent-ils, par la naissance, parce qu'elle était charnelle; et c'est pourquoi on en imprimait le sceau dans la chair par la circoncision aussitôt après la naissance. Mais dans la nouvelle alliance, il ne suffit pas de naître, il faut renaître pour y entrer; et comme les deux alliances n'ont rien de semblable, il n'y a rien, disent-ils, à conclure d'un signe à un autre : de sorte que la comparaison qu'on fait de la circoncision avec le baptême est nulle.

L'expérience a fait voir que tout ce qu'ont tenté nos réformés pour confondre les anabaptistes par l'Ecriture, a été faible. Aussi sont-ils obligés de leur alléguer enfin la pratique. Nous voyons dans leur Discipline, à la fin du chapitre XI, la forme de recevoir dans leur communion les personnes d'âge, où l'on fait expressément

 

1 Cat. Dim., 50 ; Conf. de foi, art. 35, Forme d'administ. le Bapt.

 

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reconnaître à l'anabaptiste qui se convertit, que le baptême des petits enfants est « fondé en l'Ecriture et en la pratique perpétuelle de l'Eglise. »

Quand les prétendus réformés croient avoir la parole de Dieu bien expresse, ils n'ont pas accoutumé de se fonder sur la pratique perpétuelle de l'Eglise. Mais ici, où l'Ecriture ne leur fournit rien par où ils puissent fermer la bouche aux anabaptistes, il a fallu s'appuyer d'ailleurs, et tout ensemble avouer qu'en ces matières la pratique perpétuelle de l'Eglise est d'une inviolable autorité.

Venons à l'Eucharistie. Les prétendus réformés se vantent d'avoir trouvé dans ces paroles : Buvez-en tous (1), un exprès commandement pour tous les fidèles de participer à la coupe. Mais si on leur dit que cette parole adressée aux seuls apôtres qui étaient présents, a eu son entier accomplissement lorsqu'en effet ils en burent tous, comme dit saint Marc (2), quel refuge trouveront-ils dans l'Ecriture? Où pourront-ils trouver que ces paroles de Jésus-Christ : Buvez-en tous, s'étendent à d'autres qu'à ceux à qui le même Jésus-Christ a dit : Faites ceci (3) ? Or est-il que ces paroles : Faites ceci, ne regardent que les ministres de l'Eucharistie , qui seuls peuvent faire ce que Jésus-Christ a fait, c'est-à-dire consacrer et distribuer l'Eucharistie aussi bien que la prendre. Par où donc prouveront-ils que ces autres : Buvez-en tous, s'étendent plus loin ? Que s'ils disent que quelques-unes des paroles de Notre-Seigneur regardent tous les fidèles, et les autres les ministres seuls, quelle règle nous trouveront-ils dans l'Ecriture pour faire le discernement de ce qui appartient aux uns et aux autres , puisque Jésus-Christ parle partout de la même sorte et sans distinction? Mais enfin, quoi qu'il en soit, disent quelques-uns, ces paroles de Jésus-Christ : Faites ceci, adressées aux saints apôtres et en leur personne à tous les pasteurs, décident la question, puisqu'en leur disant : Faites ceci, il leur ordonne de faire tout ce qu'il a fait ; par conséquent de distribuer tout ce qu'il a distribué; et en un mot, de faire faire à tous les âges suivants ce que Jésus-Christ leur a fait faire à eux-mêmes. C'est en effet

 

1 Matth., XXVI, 27. — 2 Marc., XIV, 23. — 3 Luc., XXII, 19.

 

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ce qu'ils peuvent dire de plus apparent ; mais ils ne savent plus où ils en sont, quand on leur montre tant de choses faites par Jésus-Christ dans ce mystère, qu'ils ne se croient pas obligés de faire. Car quelle règle ont-ils pour en faire le discernement ? Et puisque Jésus-Christ a embrassé tout ce qu'il a fait sous ce même mot : Faites ceci , sans s'expliquer davantage : que reste-t-il autre chose, si ce n'est la tradition, pour distinguer ce qui est essentiel d'avec ce qui ne l'est pas ? Ce raisonnement est sans réplique, et le paraîtra d'autant plus qu'on viendra plus exactement dans le détail.

Jésus-Christ institua ce sacrement sur le soir, à l'entrée « de la nuit en laquelle il allait être livré (1). » C'est en ce temps qu'il a voulu nous laisser son corps donné pour nous (2) : le consacrer à la même heure, ce serait rendre plus vive l'image de la passion, et tout ensemble représenter que Jésus-Christ devait mourir à la dernière heure, c'est-à-dire au dernier période des temps. Cependant personne ne croit que cette parole : Faites ceci, nous ait astreints à une heure si pleine de mystères.

L'Eglise s'est fait une loi de prendre à jeun ce que Jésus-Christ a donné après le repas.

A ne regarder que l'Ecriture et les paroles de Jésus-Christ qui nous y sont rapportées, les prétendus réformés n'auront jamais rien de certain sur le ministre de l'Eucharistie. Il y a des anabaptistes et d'autres sectes semblables, où l'on croit que chaque fidèle peut donner ce sacrement dans sa famille, sans avoir besoin d'autre ministre. Les prétendus réformés ne les convaincront jamais par la seule Ecriture. Ils ne peuvent pas leur soutenir que ces paroles : Faites ceci, ne soient adressées qu'aux seuls apôtres, si celles-ci : Buvez-en tous, prononcées dans la suite du même discours et avec aussi peu de distinction, s'adressent à tous les fidèles, comme ils nous le disent tous les jours. Et d'ailleurs on leur répondra que les apôtres, à qui Jésus-Christ a dit : Faites ceci, assistaient à sa sainte table comme simples communiants, et non pas comme consacrants, ni comme distribuants, ou comme

 

1 I Cor., XI, 23. — 2 Marc., XIV, 23. — 3 Luc. XXII, 19.

 

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ministres : d'où on conclura que ces paroles ne leur attribuent en particulier aucun ministère. Et en un mot on n'a pu décider qu'avec le secours de la tradition que ce sacrement eût des ministres spécialement établis par le Fils de Dieu; ou que ces ministres dussent être ceux qu'il a chargés de la prédication de sa parole.

C'est ce qui fait dire à Tertullien dans le livre de Coronâ militis, que nous apprenons seulement de la tradition non écrite que l'Eucharistie « ne doit être reçue que de la main des supérieurs ecclésiastiques, quoique la commission de la donner ( à ne regarder précisément que la parole de Jésus-Christ) soit adressée à tous les fidèles (1). »

La même tradition qui déclare les pasteurs de l'Eglise seuls ministres du sacrement de l'Eucharistie, nous apprend que le second ordre de ces ministres, c'est-à-dire les prêtres, a part à cet honneur, encore que Jésus-Christ n'ait dit : Faites ceci, qu'aux apôtres seuls qui étaient les chefs du troupeau.

Nous ne lisons pas que Notre-Seigneur ait présenté son corps ni son sang à chacun de ses disciples, mais seulement qu'en rompant le pain il leur a dit : Prenez et mangez; et quant à la coupe, il semble que l'ayant mise au milieu, il leur ait ordonné d'en prendre l'un après l'autre. Le synode de Privas des prétendus réformés, rapporté sur l'article IX du chapitre XII de leur Discipline, dit que « Notre-Seigneur a permis que les apôtres distribuassent le pain et la coupe l'un à l'autre, et de main en main; » mais quoique Jésus-Christ l'ait fait ainsi, la pratique constante a interprété que le pain et le vin consacrés fussent présentés aux fidèles par les ministres de l'Eglise.

Conformément à l'exemple de Notre-Seigneur et des apôtres , quelques-uns des prétendus réformés voulaient que les communiants se donnassent la coupe les uns aux autres ; et il est certain que cette cérémonie était un signe solennel d'union. Mais les synodes des prétendus réformés n'ont pas jugé nécessaire de suivre en ceci ce qu'ils reconnaissaient avoir été pratiqué par Jésus-Christ et par les apôtres dans l'institution de la Cène, et ils

 

1 De Cor. mil., cap. III. Et omnibus mandatum à Domino.

 

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attribuent au contraire aux seuls pasteurs la distribution de la coupe, aussi bien que celle du pain (1).

Toute l'antiquité accorde aux diacres la distribution de la coupe (2), quoique Jésus-Christ ni les apôtres n'aient rien ordonné de semblable qui paroisse dans l'Ecriture : personne ne s'y est jamais opposé, et les prétendus réformés approuvent cette pratique dans quelques-uns de leurs synodes rapportés avec les observations sur l'article IX du chapitre de la Cène (3).

Ils ont depuis changé cet usage (4), et ont attribué aux seuls pasteurs la distribution de l'Eucharistie, même celle de la coupe, à l'exclusion des diacres et même des anciens, quoiqu'ils semblent représenter parmi eux le second ordre des ministres de l'Eglise, c'est-à-dire celui des prêtres, qui constamment ont toujours offert et distribué, non-seulement le sacré calice, mais encore l'Eucharistie toute entière.

Nos prétendus réformés n'en sont pas venus d'abord à cette décision. Leurs premiers synodes disaient que les ministres seuls administreraient la coupe en tant que faire se pourrait (5). Cette restriction a subsisté sous vingt-deux synodes consécutifs, tous nationaux, et jusqu'à celui d'Alais, qui se tint de nos jours en 1620. Là on ordonna que ces mots : en tant que faire se pourrait, seraient rayés, et l'administration de la coupe fut réservée aux seuls ministres. Jusque-là les anciens, et même les diacres, avaient dans le besoin administré l'Eucharistie, et principalement la coupe. L'église de Genève formée par Calvin était dans cette pratique, et ce ne fut qu'en l'an 1623 qu'elle résolut de se conformer au sentiment de ceux de France (6). Cette affaire ne passa pas sans contradiction dans les provinces. La raison du synode d'Alais, selon qu'il est remarqué dans la Discipline, c'est « qu'il n'appartenait qu'aux pasteurs légitimement établis de distribuer ce sacrement (7) : » maxime qui regarde visiblement la doctrine, et qui par conséquent, selon les principes de la nouvelle Réforme, doit se trouver exprimée dans l'Ecriture; d'où il s'ensuit que tous les

 

1 Syn. de Privas, Discip., chap. XII, art. 9; Syn. de Saint-Maixent., Discip., chap. XII; Observat., après l'art. 14. — 2 Conc. Carth. IV, cap. XXXVIII, etc., Labb., tom II, col. 1203.— 3 Discip., chap. XII; Observation sur l'art. 9.— 4 Ibid. — 5 Ibid., Obser, p. 184 et suiv. — 6 Ibid., p. 186. — 7 Ibid.

 

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synodes et les églises prétendues réformées, jusqu'au synode d'Alais, auraient grossièrement erré contre l'institution de Jésus-Christ. Ou si l'on nous répond que ces paroles n'étaient pas bien claires, comme ces variations semblent le faire assez voir, il en faudra venir à dire avec nous, que pour entendre ces paroles, on est obligé d'avoir recours à l'interprétation de l'Eglise et à la tradition qui nous y soumet.

Etre ensemble à la même table est un signe de société et de communion, que Jésus-Christ a voulu faire paraitre dans l'institution de son sacrement; car il était à table avec ses apôtres. Quelques églises prétendues réformées, pour imiter cet exemple et faire tout ce qu'avait fait Notre-Seigneur, faisaient ranger les communiants à tablées. Le synode de Saint-Maixent rapporté dans le même endroit, rejette cette observance (1).

Qu'y avait-il apparemment de plus opposé à ce qui a été fait dans l'institution, que la coutume d'emporter la communion et de la recevoir en particulier? Nous avons vu néanmoins que les siècles des martyrs le pratiquaient de la sorte, pour ne rien dire ici des âges suivants.

Il ne paraît rien dans l'Ecriture de la réserve qu'il faudrait faire de l'Eucharistie, pour la donner aux malades : cependant nous la voyons pratiquée dès l'origine du christianisme.

Ceux qui mêlaient les deux espèces, et les prenaient toutes deux ensemble, paraissaient autant s'éloigner des termes et du dessein de l'institution, que ceux qui n'en prenaient qu'une seule. Ces deux articles ont eu leur approbation dans l'Eglise ; et la pratique du mélange, qui déplairait le moins aux prétendus réformés, est celle qui se trouve le plus souvent défendue.

Elle est défendue au septième siècle, dans le quatrième concile de Brague (2). Elle est défendue dans le siècle onzième, au concile de Clermont, où le pape Urbain II était en personne , avec environ deux cents évêques , et par le pape Pascal II. Le concile de Clermont réserve les cas de nécessité et de précaution (3). Le pape

 

1 Discip., chap. XII; Observat. après l'art. 14, p. 189. — 2 Conc. Brach. IV; tom. VI ; Conc., chap. II, Labb., tom. VI, cap. II, p. 561, 562 et seq. — 3 Conc. Clarom., cap. XXVIII, Labb., tom. X, p. 508.

 

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Pascal réserve la communion des enfants et des malades. Cette communion que l'Occident ne permettait qu'avec ces réserves, s'y est enfin établie durant quelque temps; et même elle est devenue depuis six à sept cents ans la communion ordinaire de tout l'Orient, sans qu'on ait regardé ce changement comme une matière de schisme.

La partie la plus importante dans tous les sacrements, c'est la parole qui donne efficace à l'action. Jésus-Christ n'en a prescrit aucune expressément pour l'Eucharistie dans son Evangile, ni les apôtres dans leurs Epitres (1). Jésus-Christ a seulement insinué, en disant : Faites ceci, qu'il faut répéter ses propres paroles, par lesquelles le pain et le vin sont changés. Mais ce qui nous a déterminés invinciblement à ce sens, c'est la tradition : la tradition a aussi réglé les prières qu'on devait joindre aux paroles de Jésus-Christ; et c'est pour cela que saint Basile, dans le livre du Saint-Esprit (2), met parmi les traditions non écrites, « les paroles d'invocation, dont on se sert quand on consacre, ou pour traduire de mot à mot, « quand on montre l'Eucharistie. »

Par l'article VIII du chapitre XII de la Discipline des prétendus réformés, il est libre aux pasteurs d'user des paroles accoutumées dans la distribution de la Cène. L'article est des synodes de Sainte-Foi et de Figeac, en 1578 et 1579. Et en effet il paraît dans le synode de Privas tenu en 1612, « que dans l'église de Genève les diacres ne parlent point, et non pas même les ministres dans la distribution (3) ; » de sorte que le sacrement, selon la doctrine de nos réformés, n'étant que dans l'usage, il s'ensuit qu'ils reconnaissent un sacrement qui subsiste sans la parole. Au même synode de Privas, il est défendu aux diacres qui donnent la coupe de dire aucune parole, parce que Jésus-Christ parla seul (4); et l'église de Metz est exhortée à se conformer « en cela à l'exemple de Jésus-Christ, sans toutefois rien violenter. »

L'exemple de Jésus-Christ ne fait donc pas une loi selon ce synode, et selon les autres synodes il est libre de séparer de la célébration de ce sacrement la parole, qui est l’âme des sacrements,

 

1 Ep. XXXII. — 2 Basil., De Spiritu sancto, 27. — 3 Discip., etc.; Observ. sur l'art. 9, p. 185. — 4 Ibid.

 

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comme l'exemple du baptême le peut faire voir, pour ne pas ici alléguer le consentement de toute la chrétienté et de tous les siècles.

On voit par ces décisions que ce que Jésus-Christ a fait ne paraît pas une loi aux prétendus réformés. Il faut faire la distinction de ce qui est essentiel d'avec ce qui ne l'est pas. Jésus-Christ ne l'a pas faite lui-même, et il a dit généralement : Faites ceci. C'est donc à l'Eglise à la faire, et sa pratique constante doit être une loi inviolable.

Mais enfin, pour attaquer nos adversaires dans leur fort, puisqu'ils le mettent pour la plupart dans ces paroles : Faites ceci : voyons quand Jésus-Christ les a dites.

Il ne les a dites qu'après avoir dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps : car c'est alors que saint Luc seul lui a fait ajouter : Faites ceci en mémoire de moi (1), cet évangéliste ne rapportant pas qu'il en ait dit autant après le calice.

Il est vrai que saint Paul raconte qu'après la consécration du calice, Jésus-Christ dit : Faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous boirez (2). Mais après tout, ce discours de Notre-Sei-gneur, à le prendre dans la rigueur et dans la précision des termes, emporte seulement un ordre conditionnel, « de faire ceci en mémoire de Jésus-Chr st toutes les fois qu'on le fera, » et non pas un ordre absolu de le faire : ce que je pourrais prouver par les interprètes protestants, si la chose n'était pas trop claire pour avoir besoin de preuve.

Ainsi le mot : Faites ceci, ne se trouverait appliqué absolument qu'à ces paroles : Prenez, mangez, et les protestants perdraient leur cause.

Que s'ils disent, comme font quelques-uns des leurs, que ces paroles attribuées à la réception du corps : Faites ceci en mémoire de moi, ont la même force que celles-ci qui sont dites après le calice: Toutes les fois que vous boirez, faites-le en mémoire de moi, l'un et l'autre ordonnant bien de faire en mémoire, et non pas de faire absolument : leur cause n'en sera que plus mauvaise, puisqu'ainsi il ne restera dans tout l'Evangile aucun précepte absolu

 

1 Luc, XXII, 19. — 2 I Cor., XI, 25.

 

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de prendre aucune des espèces, loin qu'il y en ait un de prendre les deux.

Il ne leur sert de rien de répondre que l'institution de Jésus-Christ leur suffit, puisque la question revient toujours de savoir ce qui appartient à l'essence de l'institution, Jésus-Christ ne l'ayant pas distingué, et tous les exemples précédents démontrant invinciblement qu'il n'y a que la tradition dont on puisse l'apprendre.

S'ils ajoutent qu'en tout cas on ne se peut tromper en faisant ce qui est écrit, et ce que Jésus-Christ a fait : c'est avec une raison apparente laisser la difficulté toute entière, puisque d'un côté ils ont vu tant de choses qu'il fallait observer, quoiqu'elles ne soient point réglées dans l'Ecriture ; et que d'autre part ils en voient aussi un si grand nombre qui sont écrites et que Jésus-Christ a faites, qu'on n'observe point, même parmi eux, sans qu'on trouve rien dans l'Ecriture qui puisse nous assurer qu'elles soient moins importantes que les autres.

Ainsi sans le secours de la tradition, on ne saurait comment consacrer, comment donner, comment recevoir, ni en un mot comment célébrer le sacrement de l'Eucharistie, non plus que celui du baptême; et cette discussion nous peut aider à entendre avec combien de raison saint Basile a dit qu'en rejetant la tradition non écrite, « on attaque l'Evangile même, et on en réduit la prédication à de simples mots (1), » dont on ne comprend point parfaitement le sens.

En effet toutes les réponses et tous les raisonnements des ministres, visiblement ne produisent que de nouveaux embarras; et le seul moyen d'en sortir, c'est de rechercher, comme nous faisons, l'essence de l'institution de Notre-Seigneur et l'intelligence certaine de son commandement dans la tradition et la pratique de l'Eglise.

Si donc elle a toujours cru que la grâce de l'Eucharistie n'était pas attachée aux deux espèces ; si elle a cru que la communion sous une ou sous deux espèces était salutaire ; si les prétendus réformés ont suivi ce sentiment en un certain cas que l'Evangile

 

1 Basil., de Spiritu sancto, cap. XXVII, tom. III, p. 54 et seq.

 

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ne marquait point, c'est-à-dire à l'égard de ceux qui ne boivent pas de vin : quelle difficulté trouvera-t-on dans une chose réglée par des principes si certains et par une pratique si constante?

Aussi voyons-nous que la communion sous une espèce s'est établie sans bruit, sans contradiction et sans plainte, de même que s'est établi le baptême par simple infusion, et tant d'autres coutumes innocentes.

La crainte qu'on eut de répandre le sang de Notre-Seigneur au milieu d'une multitude qui s'approchait de la communion avec beaucoup rie confusion, fut cause que les fidèles, persuadés de tout temps qu'une seule espèce suffisait, se réduisirent insensiblement à n'en prendre en effet qu'une seule.

On avait tant de peine à ne point répandre ce sang précieux dans les églises où il y avait peu de ministres, et dans les églises nombreuses les précautions qu'il fallait apporter en le distribuant rendaient le service si long, surtout dans les grandes solennités et dans les grandes assemblées, que par là on se porta aisément à l'usage d'une seule espèce.

Dans la conférence tenue à Constantinople l'an 1054, sous le pape saint Léon IX, entre les Latins et les Grecs, le cardinal Humbert, évêque de Silva-Candida, met en fait une coutume de l'église de Jérusalem, attestée par un passage d'un ancien patriarche de cette église (1). Cette coutume était de communier tout le peuple sous l'espèce du pain, seule et séparée, sans la mêler avec l'autre selon la pratique du reste de l'Orient. Là il est marqué expressément qu'on réservait ce qui demeurait du pain sacré de l'Eucharistie pour la communion du lendemain, sans qu'on y parle en aucune sorte du sacré calice ; et la coutume en était si ancienne dans cette église, qu'on l'y rapportait aux apôtres. Je veux que ceux de Jérusalem se trompassent en cela, puisqu'il n'y a que les coutumes autant universelles qu'immémoriales, qui selon la règle de l'Eglise, doivent être rapportées à ce principe : mais toujours voit-on par là l'antiquité de cette coutume. Elle était reçue dans la cité sainte et dans toute la province qui en dépendait, à ce que pose le cardinal. Nicétas Pectoratus,

 

1 Disp. Humb. Card. apud Bar., App , tom. XI.

 

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son antagoniste, ne le contredit point : tout l'univers accourait à Jérusalem, et allait avec un saint empressement communier dans les lieux où les mystères de notre salut s'étaient accomplis. Ce fut sans doute cette multitude immense de communiants, qui fit embrasser l'usage de communier sous une espèce : personne ne s'en est plaint; et le cardinal Humbert, qui paraît ému du mélange, ne dit rien sur la communion d'une seule espèce.

Plusieurs raisons nous font penser que l'usage d'une seule espèce commença dans les grandes fêtes, à cause de la multitude des communiants ; et quoi qu'il en soit, il est certain que le peuple se réduisit sans aucune peine à cette manière de communier, par l'ancienne foi qu'il avait qu'on recevait sous une seule et sous toutes les deux espèces la même substance du sacrement et le même effet de la grâce.

La marque la plus certaine qu'une coutume est tenue pour libre, c'est quand on la change sans trouble. Ainsi quand on a cessé, ou de communier les petits enfants, ou de les baptiser par immersion, personne ne s'en est ému : on s'est réduit de la même sorte à communier sous une espèce ; et il y avait plusieurs siècles que le peuple ne communiait que de cette manière, quand les bohémiens s'avisèrent de dire qu'elle était mauvaise.

Je ne vois pas même que Wiclef, leur premier maître, quelque téméraire qu'il fût, ait condamné cette coutume de l'Eglise : du moins est-il certain qu'on n'en voit rien ni dans les lettres de Grégoire XI, ni dans les deux conciles de Londres tenus par Guillaume de Courtenay et par Thomas Arondel, archevêque de Cantorbéry; ni dans le concile d'Oxford célébré par le même Thomas, sous Grégoire XII (1) ; ni dans le concile romain, sous Jean XXIII ; ni dans un troisième concile de Londres , sous le même pape (2) ; ni dans le concile de Constance; ni enfin dans tous les conciles et tous les décrets, où se trouve la condamnation de cet hérésiarque et le dénombrement de ses erreurs : par où il paraît qu'où il n'a pas insisté sur celle-ci, ou qu'on n'en a pas fait grand bruit.

Calixte convient avec Aenéas Silvius, auteur voisin de ces temps,

 

1 Tom. XI Conc. — 2 Tom. XII Conc.

 

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qui a écrit cette histoire, que le premier qui remua cette question fut un nommé Pierre Dresde, maître d'école de Prague (1). Il se servait contre nous de l'autorité du passage de saint Jean : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. » Ce passage persuada Jacobel de Misnie, qui révolta contre l'Eglise toute la Bohème vers la fin du quatorzième siècle. Il fut suivi de Jean IIus, au commencement du quinzième, et la querelle qu'on nous fait sur les deux espèces n'a pas une plus haute origine.

Encore faut-il remarquer que Jean Hus n'osa pas dire d'abord que la communion sous les deux espèces fût nécessaire. « Il lui suffisait qu'on lui avouât qu'il était permis et expédient de la donner ; mais il n'en déterminait pas la nécessité : » tant il était établi qu'en effet il n'y en avait aucune.

Quand on change des coutumes essentielles, l'esprit de la tradition toujours vivant dans l'Eglise, ne manque jamais d'exciter de la résistance. Les ministres avec tous leurs grands raisonnements, ont peine encore à accoutumer leurs peuples à voir mourir leurs enfants sans baptême ; et malgré l'opinion qu'ils leur ont mise dans l'esprit, que le baptême n'est pas nécessaire à salut, ils ne peuvent empêcher le trouble que leur cause un si funeste événement, ni presque retenir les pères qui veulent absolument qu'on baptise leurs enfants dans cette nécessité, suivant l'ancienne coutume. Je l'ai vu par expérience, et on le peut avoir remarqué dans ce que j'ai rapporté de leurs synodes : tant il est vrai que la coutume qu'une tradition immémoriale et universelle a imprimée dans les esprits comme nécessaire, a une force invincible ; et loin qu'on puisse éteindre un tel sentiment dans toute l'Eglise, on a peine même à l'éteindre parmi ceux qui le contredisent de propos délibéré. Si donc la communion d'une seule espèce a passé sans contradiction et sans bruit, c'est, comme nous avons dit, que tous les chrétiens, dès l'origine du christianisme, étaient nourris dans cette foi, que la même vertu était répandue dans chacune des deux espèces, et qu'on ne perdait rien de substantiel lorsqu'on n'en prenait qu'une seule.

 

1 N. 24, 25.

 

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Il n'a fallu faire aucun effort pour faire entrer les fidèles dans ce sentiment. La communion des enfants, la communion des malades, la communion domestique , la coutume de communier sous une ou sous deux espèces indifféremment dans l'église même et dans les saintes assemblées, et enfin les autres choses que nous avons vues, avaient naturellement inspiré ce sentiment à tous les fidèles dès les premiers temps de l'Eglise.

Ainsi quand Jean de Pekam, archevêque de Cantorbéry au treizième siècle , fit enseigner à son peuple avec tant de soin, « que sous la seule espèce qu'on leur distribuait, ils recevaient Jésus-Christ tout entier (1), » la chose passa sans peine, et personne ne le contredit.

Et ce serait chicaner de dire que ce grand soin fait voir qu'on y trouvait de la répugnance, puisque nous avons déjà vu que Guillaume évêque de Châlons, et Hugues de Saint-Victor, pour ne point à présent remonter plus haut, avaient constamment enseigné plus de cent ans avant lui la même doctrine, sans que personne y eût rien trouvé de nouveau ni d'étrange : tant elle entre naturellement dans les esprits. Nous voyons en tout temps et en tous lieux, la charité pastorale soigneuse de prévenir jusqu'aux moindres pensées que l'ignorance pouvait faire tomber dans l'esprit des peuples. Et enfin c'est un fait constant, qu'il n'y a eu ni plainte, ni contradiction sur cet article durant plusieurs siècles.

J'avance même sans crainte, qu'aucun de ceux qui ont cru la réalité n'a jamais révoqué en doute de bonne foi cette intégrité, pour ainsi parler, de la personne de Jésus-Christ sous chaque espèce, puisque ce serait donner un corps mort que de donner un corps sans sang et sans ame, chose qui fait horreur à penser.

De là vient qu'en croyant la réalité, on est porté à croire la pleine suffisance de la communion sous une espèce. Nous voyons aussi que Luther était tombé naturellement dans cette pensée ; et longtemps après qu'il se fut ouvertement révolté contre l'Eglise, il est certain qu'il tenait encore la chose pour indifférente, ou du moins pour peu importante, censurant grièvement Carlostad, qui

 

1 Conc. Lambeth., cap. I, tom. XI Conc., col. 1159.

 

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avait contre son avis établi la communion sous les deux espèces, et qui semblait, disait-il, mettre toute la Réforme dans ces choses de néant (1).

Il dit même ces insolentes paroles dans le Traité qu'il publia en 1523, sur la Formule de la messe : « Si un concile ordonnait ou permettent les deux espèces, en dépit du concile nous n'en prendrions qu'une, ou ne prendrions ni l'une ni l'autre, et maudirions ceux qui prendraient les deux en vertu de cette ordonnance ; » paroles qui font assez voir que lorsque lui et les siens se sont depuis tant opiniâtres aux deux espèces, c'est plutôt par esprit de contradiction que par un sérieux raisonnement.

En effet il approuva la même année les Lieux communs de Mélanchthon, où il range parmi les choses indifférentes la communion sous une ou sous deux espèces. En 1528, dans la visite de la Saxe (2), il laisse positivement la liberté de n'en prendre qu'une seule, et persiste encore dans ce sentiment en 1533, quinze ans après qu'il se fut érigé en réformateur.

Tout le parti luthérien suppose qu'on ne perd rien d'essentiel ni de nécessaire au salut, quand on manque de communier sous les deux espèces, puisque dans l’ Apologie de la Confession d'Augsbourg, pièce aussi authentique dans ce parti que la Confession d'Augsbourg elle-même, et également souscrite par tous ceux qui l'ont embrassée, il est expressément porté, « que l'Eglise est digne d'excuse, de n'avoir reçu qu'une seule espèce, ne pouvant avoir les deux : mais qu'il n'en est pas de même des auteurs de cette injustice. » Quelle idée de l'église, qu'on nous représente forcée avant Luther à ne recevoir que la moitié d'un sacrement par la faute de ses pasteurs, comme si les pasteurs n'étaient pas eux-mêmes par l'institution de Jésus-Christ une partie de l'église! Mais enfin il parait par là, de l'aveu des luthériens, que ce que perdit l'église selon eux, n'était pas essentiel, puisqu'il ne peut jamais être excusable ni tolérable de recevoir les sacrements de qui que ce soit contre l'essence de leur institution, et que la droite administration des sacrements n'est pas moins essentielle à l'église que la pure prédication de la parole.

 

1 Ep. Luth, ad Gasp. Guttol., tom. II, ep. LVI. — 2 Visit. Sax., tom. VI, Ien.

 

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Calixte, qui nous rapporte avec soin tous ces passages (1), excuse Luther, et les premiers auteurs de la réformation, « sur ce que l'ayant entreprise ( voici un aveu mémorable, et un digne commencement de la Réforme ), sur ce que, dit Calixte, ses premiers auteurs l'ayant entreprise plutôt par la violence d'autrui que de leur propre volonté, » c'est-à-dire plutôt par esprit de contradiction que par un amour sincère de la vérité, « ils ne purent pas au commencement découvrir la nécessité du précepte de communier sous les deux espèces, ni rejeter la coutume. » Voilà ce que dit Calixte, et il ne voit pas combien il détruit lui-même l'évidence qu'il attribue à ce précepte, en le faisant voir ignoré par les premiers hommes de la nouvelle Réforme et par ceux qu'on y croit choisis de Dieu pour cet ouvrage. N'auraient-ils pas aperçu une chose que Calixte trouve si claire? Ou Calixte n'en a-t-il pas trop dit, quand il nous donne pour si clair ce qui n'est point aperçu par de tels docteurs?

Mais pour ne plus parler d'eux, Calixte lui-même, ce Calixte qui a tant écrit contre la communion sous une espèce, à la fin du même Traité où il l'a tant combattue (2), bien éloigné de nous en parler comme d'une chose où il s'agisse du salut, déclare « qu'il n'exclut pas du nombre des vrais fidèles nos ancêtres, qui ont communié sous une espèce il y a plus de cent cinquante ans; » et, ce qui est bien plus remarquable, « ceux qui y communient encore aujourd'hui, ne pouvant mieux faire (3) ; » et conclut en général que tout ce qu'on pense, ou ce qu'on pratique sur ce sacrement, ne peut être un obstacle au salut, ni une matière légitime de division, à cause que la réception de ce sacrement n'est pas d'une obligation essentielle. Que ce principe de Calixte soit vrai et que sa conséquence en soit bien tirée, ce n'est pas de quoi il s'agit. C'est assez que cet ardent défenseur des deux espèces soit obligé à la fin de convenir qu'on se peut sauver dans une église où on n'en reçoit qu'une seule : par où il est obligé à reconnaître, ou qu'on peut faire son salut hors de la vraie Eglise, ce qu'assurément il ne dira pas ; ou, ce qu'il dira aussi peu, que la vraie

 

1 N. 199. — 2 Ibid., n. 200, Desider., Paris., n. 4. — 3 De Communione sub utrâque, n. 200, et Jud., n. 76.

 

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Eglise peut demeurer telle en manquant d'un sacrement; ou, ce qui est plus naturel et ce qu'en effet nous disons , que la communion des deux espèces n'est pas essentielle à celui de l'Eucharistie.

Voilà à quoi aboutissent ces grandes disputes contre la communion sous une espèce; et après avoir épuisé toute sa subtilité, on en vient enfin par tous ces efforts à reconnaître tacitement ce qu'on a tâché de combattre par des Traités si étudiés.

Dans le dernier Traité que M. Jurieu a mis au jour, il se propose de faire un abrégé de l'Histoire du retranchement de la coupe (1), où, quoiqu'il nous donne pour indubitable tout ce qu'il lui plaît d'y débiter, il nous sera aisé de lui faire voir presque autant de faussetés qu'il a raconté de faits.

Il ne dit rien de nouveau sur les Evangiles et sur les Epîtres de saint Paul, dont nous avons assez parlé. Du siècle des apôtres, il passe aux siècles suivants, où il montre sans peine que l'usage des deux espèces était ordinaire (2). Mais il s'est bientôt aperçu qu'il ne ferait rien contre nous, s'il n'en disait davantage : car il sait bien que nous soutenons que lors même que les deux espèces étaient en usage, on ne les croyait pas si nécessaires qu'on ne communiât aussi souvent et aussi publiquement sous une seule, sans que personne s'en plaignît. Pour nous ôter cette défense et dire quelque chose de concluant, il ne suffisait pas d'assurer que l'usage des deux espèces était ordinaire; il fallait encore assurer qu'on le regardait comme indispensable, et que jamais on ne communiait d'une autre sorte. M. Jurieu a senti qu'il le fallait dire : il l'a dit en effet, mais il n'a pas même tenté de le prouver, tant il a désespéré d'y réussir. Seulement par une hardie et véhémente affirmation, il a cru pouvoir suppléer au défaut de la preuve qui lui manque : « C'est, dit-il, un fait d'une notoriété publique, et qui n'a pas besoin de preuve; c'est une affaire qui n'est pas contestée (3). » Ces manières affirmatives imposent; les prétendus réformés en croient un ministre sur sa parole, et ne peuvent s'imaginer qu'il leur ose dire qu'une chose ne soit pas contestée, quand en effet elle l'est. Cependant c'est la vérité qu'il n'y a rien,

 

1 Examen de l'Euch., VIe traité, V sect — 2 Examen, p. 478. — 3 Ibid., p. 468.

 

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non-seulement de plus contesté, mais encore de plus faux que ce que M. Jurieu nous donne ici pour incontestable et comme également avoué dans les deux partis.

Mais considérons ses paroles dans toute leur suite. « C'est, dit-il, une affaire qui n'est pas contestée. Durant l'espace de plus de mille ans, dans l'Eglise , personne n'avait entrepris de célébrer ce sacrement, et de faire communier les fidèles autrement que le Seigneur ne l'avait commandé, c'est-à-dire sous les deux espèces; excepté que pour faire communier plus facilement les malades, quelques gens s'étaient avisez de tremper le pain dans le vin, et de faire recevoir l'un et l'autre signe en même temps. »

La proposition et l'exception ne sont faites ni l'une ni l'autre de bonne foi.

La proposition est que durant l'espace de plus de mille ans, personne n'avait entrepris de célébrer ce sacrement, ni de le donner autrement que sous les deux espèces. Il confond d'abord deux choses bien différentes, célébrer ce sacrement et le donner. On n'a jamais célébré que sous les deux espèces; nous en convenons, et nous en avons dit la raison tirée de la nature du sacrifice : mais qu'on n'ait jamais donné que les deux espèces, c'est de quoi on dispute ; et le bon ordre, pour ne pas dire la bonne foi, ne permettait pas qu'on mît ensemble ces deux choses comme également incontestables.

Mais ce qui ne se peut souffrir, c'est qu'on avance que durant plus de mille ans on n'ait jamais donné la communion que sous les deux espèces, et encore que ce soit une chose « de notoriété publique, une chose qui n'a pas besoin de preuve, une chose qui n'est point contestée. »

Il faudrait respecter la foi publique, et ne pas abuser de ces grands mots. M. Jurieu sait bien en sa conscience que nous contestons tout ce qu'il dit ici : les seuls titres des articles de la première partie de ce discours font assez voir combien il y a d'occasions où nous soutenons qu'on donnait la communion sous une espèce : je ne suis pas le premier à le dire, à Dieu ne plaise, et je ne fais qu'expliquer ce qu'ont dit devant moi tous les catholiques.

Mais y a-t-il rien de moins sincère que de n'apporter ici

 

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d'exception à la communion ordinaire que la communion des malades, et encore de n'y trouver de la différence qu'en ce qu'on y mêlait les deux espèces? Puisque M. Jurieu voulait rapporter ce qui n'est pas contesté par les catholiques, il devait parler autrement. Il sait bien que nous soutenons que la communion des malades consistait, non à leur donner les deux espèces mêlées, mais à leur donner ordinairement la seule espèce du pain. Il sait bien ce que disent nos auteurs sur la communion de Sérapion, sur celle de saint Ambroise, sur les autres que j'ai marquées; et qu'en un mot nous disons que la manière ordinaire de communier les malades était de les communier sous une espèce. C'en est déjà trop d'oser nier un fait si bien établi : mais de pousser la hardiesse jusqu'à dire que le contraire n'est pas contesté, je ne sais comment M. Jurieu a pu s'y résoudre.

Mais que veut-il dire, lorsqu'il assure comme une chose que nous ne contestons pas, que « jamais, durant l'espace de plus de mille ans, on n'a donné la communion que sous les deux espèces, excepté dans la communion des malades, où on les donnait toutes deux mêlées ensemble? » Quelle exception est celle-ci: On a toujours donné les deux espèces, excepté quand on les a données mêlées ensemble ? M. Jurieu a voulu mieux dire qu'il n'a dit; en assurant, comme il fait, que durant plus de mille ans on n'a jamais donné la communion que sous les deux espèces, il a bien senti qu'il fallait du moins excepter la communion des malades. Il le voulait faire naturellement, mais en même temps il a vu que par cette seule exception il perdait le fruit d'une proposition si universelle ; et que d'ailleurs il n'y avait aucune apparence que l'ancienne Eglise ait envoyé les mourants au jugement de Jésus-Christ , après une communion faite contre son commandement. Ainsi il n'a osé dire ce qui lui était d'abord venu dans l'esprit, et il est tombé dans un embarras visible.

Enfin pourquoi ne parle-t-il que de la communion des malades? D'où vient qu'il n'a rien dit dans ce récit de la communion des petits enfants, et de la communion domestique, qu'il sait bien que nous alléguons toutes deux comme faites sous une seule espèce? Pourquoi dissimule-t-il ce que nos auteurs ont soutenu, ce que

 

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j'ai prouvé après eux par les décrets de saint Léon et de saint Gélase, qu'il était libre de communier sous une ou sous deux espèces, je dis à l'église même et au sacrifice public? M. Jurieu a-t-il ignoré ces choses, pour ne rien dire du reste? A-t-il ignoré l'Office du Vendredi saint et la communion qu'on y faisait sous une seule espèce? Un homme aussi instruit n'a-t-il pas su ce qu'en ont écrit Amalarius et les autres auteurs du huitième et neuvième siècle, que nous avons rapportés? Savoir ces choses et poser comme un fait non contesté, que, durant plus de mille ans, jamais on n'a donné la communion que sous les deux espèces, n'est-ce pas trahir manifestement la vérité et sa propre conscience?

Les autres auteurs de sa communion qui ont écrit contre nous agissent de meilleure foi. Calixte, M. du Bourdieu et les autres tâchent de répondre à ces objections que nous leur faisons. M. Jurieu prend une autre voie, et se contente de dire hardiment « que durant plus de mille ans, on n'a jamais entrepris de faire communier les fidèles autrement que sous les deux espèces, et que la chose n'est pas contestée. » C'est le plus court et c'est le plus sur pour tromper les simples ; mais il faut croire que ceux qui aimeront leur salut ouvriront les yeux, et ne souffriront pas qu'on leur impose davantage.

Il ne reste à M. Jurieu qu'un seul refuge : c'est de dire que ces communions qu'on faisait si souvent dans l'ancienne Eglise sous une espèce, n'étaient pas le sacrement de Jésus-Christ, non plus que la communion qu'on donne dans ses églises avec le pain seul à ceux qui ne boivent pas de vin. En répondant de cette sorte, il répondra selon ses principes, je l'avoue ; mais je soutiens, après tout cela qu'il n'oserait se servir de cette réponse, ni imputer à l'ancienne Eglise cette monstrueuse pratique où l'on donne un sacrement qui n'en est pas un, et une chose humaine dans la communion.

En tout cas, il fallait toujours dans une histoire telle qu'il l'avait promise , rapporter des faits si considérables. Il n'en dit pas un mot dans son récit. Je ne m'en étonne pas : il n'aurait pu parier de tant de faits importants, sans montrer qu'il y avait du moins sur ce point une grande contestation entre eux et nous ;

 

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et il lui plaisait de dire que c'est une chose qui n'a pas besoin de preuve, et qui n'est pas contestée.

Il est vrai que hors le lieu du récit et en répondant aux objections, il dit un mot de la communion qu'on faisait à la maison. Il se sauve, en répondant « qu'il n'est pas certain que ceux qui emportaient ainsi l'Eucharistie avec eux, n'emportassent pas aussi le vin, et que ce dernier est beaucoup plus apparent (1). » Il n'est pas certain ; ce dernier est beaucoup plus apparent. Un homme si affirmatif se défie bien de sa cause, quand il parle ainsi ; mais du moins, puisqu'il doute, il ne doit pas dire que « c'est un fait sans contestation, qu'on n'a jamais entrepris durant plus de mille ans de communier les fidèles autrement que sous les deux espèces. » Voilà dès les premiers siècles de l'Eglise, une infinité de communions que lui-même n'a pas osé assurer avoir été faites sous les deux espèces. C'était un abus, dit-il. N'importe, il fallait rapporter le fait : la question de l'abus viendrait après, et on verrait s'il faut condamner tant de martyrs, et tant d'autres Saints, et toute l'Eglise des premiers siècles qui a pratiqué cette communion domestique.

M. Jurieu tranche le mot trop hardiment : « Y a-t-il de la bonne foi, dit-il, à tirer une preuve d'une pratique opposée à celle des apôtres, que l'on condamne aujourd'hui, et qui passerait dans l'Eglise romaine pour le dernier de tous les attentats ? »

Ne fallait-il pas encore faire croire au monde que nous condamnons, avec lui et avec les siens, la pratique de tant de Saints comme contraire à celle des apôtres? Mais nous sommes bien éloignés d'une si horrible témérité. M. Jurieu le sait bien : et un homme qui nous vante tant la bonne foi en devait avoir assez pour remarquer ce que j'ai fait voir en son lieu, que l'Eglise ne condamne pas toutes les pratiques qu'elle change; et que le Saint-Esprit, qui la conduit, lui fait non-seulement condamner les mauvaises pratiques, mais encore en quitter de bonnes, et les défendre sévèrement quand on en abuse.

Je crois que l'on voit assez la fausseté de l'histoire que nous fait M. Jurieu des premiers siècles de l'Eglise, jusqu'à mille et

 

1 Examen, etc., sect. vu, p. 483, 484.

 

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onze cents ans : ce qu'il nous dit sur le reste n'est pas moins contraire à la vérité.

Je n'ai pas besoin de parler de la manière dont il raconte l'établissement de la présence réelle et de la transsubstantiation durant le dixième siècle (1) : cela n'est pas de notre sujet, et d'ailleurs rien ne nous oblige à réfuter ce qu'il avance sans preuve. Mais ce qu'il faut remarquer, c'est qu'il regarde la communion sous une espèce comme une chose qui n'est venue qu'en présupposant la transsubstantiation. A la bonne heure : quand on verra désormais, comme nous l'avons fait voir invinciblement, la communion sous une espèce pratiquée dès les premiers siècles de l'Eglise et dans le temps des martyrs, on ne pourra plus douter que la transsubstantiation n'y fût dès lors établie ; et M. Jurieu lui-même sera obligé d'avouer cette conséquence. Mais revenons à la suite de son histoire.

Il nous y montre la communion sous une espèce comme une chose dont on s'avisa dans l'onzième siècle , après que la présence réelle et la transsubstantiation fut bien établie : car on s'aperçut alors, dit-il, « que sous une miette de pain, aussi bien que sous chaque goutte de vin, étaient renfermez toute la chair et tout le sang de Notre-Seigneur. » Qu'en arriva-t-il? Ecoutons : « Cette mauvaise raison prévalut de telle manière sur l'institution du Seigneur et sur la pratique de toute l'Eglise ancienne, que la coutume de communier sous la seule espèce du pain s'établit insensiblement dans le douzième et le treizième siècle. » Elle s'y établit insensiblement : tant mieux pour nous. Ce que j'ai dit est donc véritable, que les peuples se réduisirent sans contradiction et sans peine à la seule espèce du pain ; tant ils étaient préparés par la communion des malades, par celle des petits enfants, par celle qu'on faisait à la maison, par celle qu'on faisait à l'église même, et enfin par toutes les pratiques que nous avons vues, à reconnaître une véritable et parfaite communion sous une espèce.

C’est une chose fâcheuse pour nos réformés : ils ont beau vanter ces changements insensibles, où ils mettent toute la défense de leur cause; jamais ils n'ont produit, et jamais ils ne produiront

 

1 Sect. V, p. 469. — 2 Ibid., p. 470.

 

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aucun exemple de ces changements dans les choses essentielles. Qu'on change insensiblement et sans contradiction des choses indifférentes, il n'y a rien en cela de fort merveilleux : mais, comme nous avons dit, on ne change pas si aisément la foi des peuples, ni les pratiques qu'on croit essentielles à la religion. Car alors la tradition, l'ancienne croyance, la coutume même, et le Saint-Esprit qui anime le corps de l'Eglise, s'opposent à la nouveauté. Quand donc on change sans peine et sans s'en apercevoir, c'est signe qu'on ne croyait pas la chose si nécessaire.

M. Jurieu a vu cette conséquence, et après avoir dit (1) que « la coutume de communier sous la seule espèce du vin s'établit insensiblement dans le douzième et le treizième siècle, » il ajoute incontinent après : « Ce ne fut pourtant pas sans résistance : les peuples souffraient avec la dernière impatience qu'on leur ôtât la moitié de Jésus-Christ; on en murmura de toutes parts. » Il avait dit un peu au-dessus que ce changement, bien différent de ceux qui se font « d'une manière insensible, sans opposition et sans bruit, s'était fait » au contraire « avec éclat (2). » Ces Messieurs content les choses comme il leur plaît : la difficulté présente les entraîne; et pressés de l'objection, ils disent dans le moment ce qui semble les tirer d'affaire, sans trop songer s'il s'accorde, je ne dis pas avec la vérité, mais avec leurs propres pensées. La cause le demande ainsi, et il ne faut pas s'attendre qu'on puisse défendre une erreur d'une manière suivie. C'est l'état où s'est trouvé M. Jurieu. Cette coutume, dit-il, c'est-à-dire celle de communier sous une espèce, s'établit insensiblement : il n'y a rien de plus tranquille. Ce ne fut pourtant pas sans résistance, sans éclat, sans avoir la dernière impatience, sans murmurer de toutes parts : voilà une grande commotion. La vérité fait dire naturellement le premier, et l'attachement à.sa cause fait dire l'autre. En effet, on ne trouve rien de ces murmures universels, de ces extrêmes impatiences, de ces résistances des peuples; et cela porte à établir un changement insensible. D'autre côté on ne veut pas dire qu'une pratique qu'on représente si étrange, si fort inouïe, si évidemment sacrilège, s'établisse sans répugnance et

 

1 Sect. V, p. 470. — 2 Ibid., p. 464.

 

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sans qu'on y prenne garde. Pour éviter cet inconvénient, il faut s'imaginer de la résistance; et si on n'en trouve pas, en inventer.

Mais encore quel pouvait être le sujet da ces murmures si universels? M. Jurieu nous en a dit sa pensée : mais en ce point, il ne s'est non plus accordé avec lui-même que dans tout le reste. Ce qui causa ces murmures, « c'est, dit-il, que les peuples souffraient avec la dernière impatience qu'on leur ôtât la moitié de Jésus-Christ (1). » A-t-il oublié ce qu'il vient de dire (2), que la présence réelle leur avait fait voir que sous chaque miette de pain étaient renfermez toute la chair et tout le sang du Seigneur? » Songe-t-il à ce qu'il va dire dans un moment (3), « que si la doctrine de la transsubstantiation et de la présence réelle était véritable, il est vrai que le pain renfermerait la chair et le sang de Jésus-Christ? » Où était donc ici cette moitié de Jésus-Christ retranchée, que les peuples souffraient, selon lui, avec la dernière impatience ? Si on veut leur donner des plaintes, qu'on leur en donne du moins qui soient conformes à leurs sentiments, et qu'on les fasse vraisemblables.

Mais c'est qu'en effet il n'y en eut point. Aussi M. Jurieu ne nous en fait-il paraître aucune dans les auteurs du temps. La première contradiction est celle qui donna lieu à la décision du concile de Constance en l'an 1415. Elle commença en Bohême, ainsi que nous l'avons vu, sur la fin du quatorzième siècle : et si, selon le récit de M. Jurieu, la coutume d'une seule espèce commence au siècle onzième , si on ne commence à s'en plaindre, et encore dans la Bohême toute seule, que vers la fin du quatorzième siècle, de l'aveu de notre ministre, trois cents ans entiers se seront passés sans qu'un changement si étrange, si hardi, si nous l'en croyons, si visiblement opposé à l'institution de Jésus-Christ et à toute la pratique précédente, ait fait aucun bruit. Le croira qui voudra : je sais bien pour moi, que pour le croire il faut avoir étouffé les reproches de sa conscience.

M. Jurieu en aura sans doute de se voir forcé par sa cause à déguiser la vérité en tant de manières dans un récit historique,

 

1 Sect. V, p. 470. — 2 Ibid., p. 469. — 3 Sect. VI, p. 480.

 

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c'est-à-dire dans un genre de discours qui demande plus que tous les autres la candeur et la bonne foi.

Il ne propose pas même l'état de la question sincèrement. « L'état de la question, dit-il, est fort aisé à comprendre (1) : » il le va donc dire nettement. Voyons : « On demeure d'accord, poursuit-il , que quand on communie les fidèles, tant du peuple que du clergé, on est obligé de leur donner le pain à manger : mais on prétend qu'il n'en est pas de même de la coupe. » Il ne veut pas seulement songer que nous croyons la communion également valable et parfaite sous chacune des deux espèces. Vouloir par l'état même de la question donner à entendre que nous croyons plus de perfection ou plus de nécessité dans celle du pain que dans l'autre, ou que Jésus-Christ ne soit pas également dans toutes les deux : c'est vouloir nous rendre manifestement ridicules. Mais il sait bien que nous sommes très-éloignés de cette pensée ; et on a pu voir dans ce Traité, que nous croyons la communion donnée aux petits enfants durant tant de siècles sous la seule espèce du vin, aussi valable que celle qu'on a donnée en tant de rencontres sous la seule espèce du pain. Ainsi M. Jurieu propose mal l'état de la question. C'est par où il entame la dispute sur les deux espèces : il la continue par une histoire où nous avons vu qu'il avance autant de faussetés que de faits. Voilà celui que nos réformés regardent maintenant partout comme le plus ferme défenseur de leur cause.

Si on ajoute aux preuves de faits que nous avons tirées de l'antiquité la plus pure et la plus sainte, et aux maximes solides que nous avons établies de l'aveu des prétendus réformés; si on ajoute, dis-je, à toutes ces choses ce que nous avons déjà dit, mais ce qu'on n'a peut-être pas assez pesé, que la présence réelle étant supposée, on ne peut nier que chaque espèce ne contienne Jésus-Christ tout entier : la communion sous une espèce demeurera sans difficulté , n'y ayant rien de moins raisonnable que de faire dépendre la grâce d'un sacrement où Jésus-Christ a daigné être présent, non de Jésus-Christ lui-même, mais des espèces qui l'enveloppent.

 

1 Sect. V, p. 464.

 

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Il faut ici que Messieurs de la religion prétendue réformée nous permettent de leur expliquer un peu plus à fond cette concomitance tant attaquée par leurs disputes; et puisqu'ils ont passé la réalité comme une doctrine qui n'a aucun venin, ils ne doivent plus désormais avoir tant d'aversion pour une chose qui n'en est qu'une conséquence manifeste.

M. Jurieu l'a reconnu dans les endroits que nous avons remarqués. « Si, dit-il, la doctrine de la transsubstantiation et de la présence réelle était véritable, il est vrai que le pain renfermerait et la chair et le sang de Jésus-Christ (1). » Ainsi la concomitance est une suite de la présence réelle ; et les prétendus réformés ne nous contestent pas cette conséquence.

Qu'ils supposent donc du moins un moment cette présence réelle, puisqu'ils la supportent dans leurs frères les luthériens, et qu'ils en considèrent avec nous les suites nécessaires : ils verront que Notre-Seigneur n'a pu nous donner son corps et son sang perpétuellement séparés, ni nous donner l'un et l'autre sans nous donner en chacun des deux sa personne toute entière.

Certainement, quand il a dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps, et nous a donné par ses paroles la chair de son sacrifice à manger, il savait bien qu'il ne nous donnait pas la chair d'un pur homme, mais qu'il nous donnait une chair unie à la divinité, et en un mot la chair d'un Dieu et d'un Homme tout ensemble. Il en faut dire de même de son sang, qui ne serait pas le prix de notre salut, s'il n'était le sang d'un Dieu ; sang que le Verbe divin s'était rendu propre d'une façon particulière en se faisant homme, conformément à cette parole de saint Paul : « Parce que ses serviteurs sont composés de chair et de sang, lui qui a dû en tout leur être semblable, il a voulu participer à l'un et à l'autre (2). »

Mais s'il n'a pas voulu nous donner dans son sacrement une chair purement humaine, il a encore moins voulu nous y donner une chair sans âme, une chair morte, un cadavre, ou par la même raison une chair dénuée de sang, et un sang actuellement séparé du corps : autrement il lui faudrait souvent mourir et souvent répandre son sang ; chose indigne du glorieux état de sa résurrection,

 

1 Examen, p. 480. — 2 Hebr., II, 14, 17

 

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où il devait éternellement conserver la nature humaine aussi entière qu'il l'avait prise au commencement. De sorte qu'il savait bien que dans sa chair nous aurions son sang, que dans son sang nous aurions sa chair ; et que nous aurions dans l'un et dans l'autre son âme sainte avec sa divinité toute entière, sans laquelle sa chair ne serait pas vivifiante, ni son sang plein d'esprit et de grâce.

Pourquoi donc en nous donnant de si grands trésors, son âme sainte, sa divinité, tout ce qu'il est; pourquoi, dis-je, a-t-il nommé seulement son corps et son sang, si ce n'est pour nous faire entendre que c'est par l'infirmité qu'il a voulu avoir commune avec nous, que nous parvenons à sa force? Et pourquoi a-t-il séparé dans sa parole ce corps et ce sang, qu'il ne voulait séparer effectivement que durant le peu de temps qu'il fut au tombeau, si ce n'est pour nous faire entendre aussi que ce corps et ce sang, dont il nous nourrit et nous vivifie, n'en auraient point la vertu, s'ils n'avaient une fois été actuellement séparés, et si cette séparation n'avait causé au Sauveur la mort violente qui l'a rendu notre victime? Si bien que la vertu de ce corps et de ce sang venant de sa mort, il a voulu conserver l'image de cette mort, quand il nous les a donnés dans sa sainte Cène, et par une si vive représentation nous tenir toujours attachés à la cause de notre salut, c'est-à-dire au sacrifice de la croix.

Selon cette doctrine nous devions avoir, sous une image de mort, notre victime vivante; autrement nous ne serions pas vivifiés. Jésus-Christ nous dit encore à la sainte table : « Je suis vivant, mais j'ai été mort (1) ; » et vivant en effet, je porte seulement sur moi l'image de la mort que j'ai endurée. C'est aussi par là que je vivifie, parce que par la figure de ma mort une fois soufferte, j'introduis ceux qui croient à la vie que je possède éternellement.

Ainsi l'Agneau qui est devant le trône, comme mort, ou plutôt comme tué (2), ne laisse pas d'être vivant, car il est debout; et il envoie par toute la terre les sept esprits de Dieu, et il prend le livre, et il l'ouvre, et il remplit de joie et de grâce le ciel et la terre.

 

1 Apoc., I, 18. — 2 Ibid., V, 6.

 

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Nos réformés ne veulent pas ou ne peuvent peut-être pas encore entendre un si haut mystère, car il n'entre que dans les cœurs préparés par une foi épurée : mais s'ils ne peuvent pas l'entendre, ils entendent bien du moins qu'on ne peut croire une présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ, sans admettre toutes les choses que nous venons d'expliquer ; et ces choses ainsi expliquées, c'est ce qu'on appelle la concomitance.

Mais aussitôt que la concomitance est supposée, et qu'on a vu Jésus-Christ tout entier sous chaque espèce, il est bien aisé d'entendre en quoi consiste la vertu de ce sacrement. La chair ne sert de rien (1) ; et si nous l'entendons comme saint Cyrille (2), dont le sens a été suivi par tout le concile d'Ephèse, elle ne sert de rien à la croire toute seule, à la croire la chair d'un pur homme : mais à la croire la chair d'un Dieu, une chair pleine de divinité, et par conséquent d'esprit et de vie, elle sert beaucoup sans doute, puisqu'en cet état elle est pleine d'une vertu infinie, et qu'en elle nous recevons avec l'humanité toute entière de Jésus-Christ, sa divinité aussi toute entière, et la source même des grâces.

C'est pourquoi le Fils de Dieu, qui savait ce qu'il voulait mettre dans son mystère, a bien su aussi nous faire entendre en quoi il en voulait mettre la vertu. Il ne faut plus objecter ce qu'il a dit dans saint Jean : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous (3). » Il veut dire visiblement qu'il n'y a point de vie pour ceux qui se séparent de l'un et de l'autre : car au reste ce n'est pas manger et boire qui donnent la vie, c'est recevoir Jésus-Christ. Jésus-Christ le dit lui-même; et comme remarque excellemment le concile de Trente (4), trop injustement calomnié par nos adversaires : « Celui qui a dit : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous (5), a dit aussi : Si quelqu'un mange de ce pain, il aura la vie éternelle (6). Et celui qui a dit : Quiconque mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle (7), a dit aussi : Le pain que je donnerai est ma chair que

 

1 Joan., VI, 64. — 2 Cyril., lib. IV, in Joan., cap. II ; Anath. XI; Conc. Eph., p. I; tom III Conc. Labb., col. 408 et seq. — 3 Joan., VI, 54. — 4 Sess. XXI, cap. I. — 5 Joan. VI, 54. — 6 Ibid., 52. — 7 Ibid., 55

 

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je donnerai pour la vie du monde (1). Et enfin celui qui a dit : Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (2), a dit aussi : Qui mange ce pain, aura la vie éternelle (3) ; et encore : Qui me mange vivra pour moi, et vivra par moi (4). » Par où il nous lie, non pas au manger et au boire de la sainte table, ou aux espèces qui enveloppent son corps et son sang, mais à sa propre substance, qui nous y est communiquée, et avec elle la grâce et la vie.

Ainsi ce passage de saint Jean, qui, comme nous avons dit, a révolté Jacobel et soulevé toute la Bohême, se tourne en preuve pour nous. Les prétendus réformés nous défendraient eux-mêmes si nous le voulions, contre ce passage tant vanté par Jacobel, puisqu'ils disent d'un commun accord que ce passage ne s'entend pas de l'Eucharistie. Calvin l'a dit (5), Aubertin l'a dit (6), tous le disent, et M. du Bourdieu le dit encore dans le Traité que nous avons cité tant de fois (7). Mais, sans vouloir profiter de leur aveu, nous leur soutenons au contraire avec toute l'antiquité, qu'un passage où la chair et le sang, aussi bien que le manger et le boire, sont si souvent et si clairement distingués, ne peut s'entendre simplement d'une communion où manger et boire c'est la même chose, telle qu'est la communion spirituelle et par la foi. C'est donc à eux, et non pas à nous, à se défendre de l'autorité d'un passage où, s'agissant d'expliquer la vertu et le fruit de l'Eucharistie, on voit que le Fils de Dieu les met non à manger et à boire, ni dans la manière de recevoir son corps et son sang, mais dans le fond et dans la substance de l'un et de l'autre. C'est pourquoi les anciens Pères, par exemple saint Cyprien, lui qui ne donnait très-certainement aux petits enfants que le sang tout seul, comme nous l'avons vu si précisément dans son Traité de Lapsis, ne laisse pas de dire au même Traité que leurs parents qui les mènent aux sacrifices des idoles, les privent du corps et du sang de Notre-Seigneur ; et enseigne encore dans un autre endroit (8) qu'on accomplit actuellement sur tous ceux qui ont la vie, et par conséquent sur les

 

1 Joan., VI, 52. — 2  Ibid., 57. — 3 Ibid., 59. — 4 Ibid., 58. — 5 Calv., Inst., IV, etc. — 6 Aub., I, lib. De Sacr. Euch., cap. XXX, etc.— 7 Repl., chap. VI, p. 201. — 8 Test. ad Quir., lib. III, cap. XXV, XXVI, p. 314.

 

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enfants, en ne leur donnant que le sang, ce qui est porté par cette parole : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous. » Saint Augustin dit souvent la même chose, quoiqu'il ait vu et pesé dans une de ses Epîtres l’endroit de saint Cyprien, où il est parlé de la communion des enfants par le sang seul, sans avoir rien trouvé d'extraordinaire dans cette manière de les communier (1) ; et qu'on ne doive pas douter que l'Eglise d'Afrique, où saint Augustin était évêque, n'eut retenu la tradition que saint Cyprien, un si grand martyr, évêque de Carthage et primat d'Afrique, lui avait laissée. C'est qu'au fond le corps et le sang se prennent toujours ensemble, parce qu'encore que les espèces qui contiennent particulièrement l'un ou l'autre en vertu de l'institution, se prennent séparément ; leur substance ne se peut non plus séparer que leur vertu et leur grâce : de sorte que les enfants, en ne buvant que le sang, ne reçoivent pas seulement tout le fruit essentiel de l'Eucharistie, mais encore toute la substance de ce sacrement, et en un mot une communion actuelle et parfaite.

Toutes ces choses font assez voir la raison qu'on a eue de croire que la communion sous une ou sous deux espèces comprenait avec la substance de ce sacrement tout son effet essentiel. La pratique de tous les siècles, qui l'a ainsi expliqué, a sa raison, et dans le fond du mystère, et dans les paroles mêmes de Jésus-Christ ; et aucune coutume n'est appuyée sur des fondements plus solides, ni sur un usage plus constant.

Je ne m'étonne pas que nos réformés, qui ne reconnaissent que de simples signes dans le pain et dans le vin de leur cène, s'attachent à les avoir tous deux : mais je m'étonne qu'ils ne veuillent pas entendre qu'en mettant, comme nous faisons, Jésus-Christ entier sous chacun des sacrés symboles, nous pouvons nous contenter de l'un des deux.

M. Jurieu nous objecte que supposé la présence réelle, on recevait à la vérité le corps et le sang sous le pain seul, mais que cela ne suffirait pas, parce que ce serait bien recevoir le sang, « mais non pas le sacrement du sang : » ce serait recevoir Jésus-

 

1 Aug., ep. XCVIII, n. 3, 4.

 

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Christ « tout entier réellement, mais non pas sacramentellement, comme on parle (1). » Est-il possible qu'on croie que ce ne soit pas assez à un chrétien de recevoir Jésus-Christ entier? N'est-ce pas dans un sacrement où Jésus-Christ veut être en personne pour nous apporter avec lui toutes ses grâces, mettre la vertu de ce sacrement plutôt dans les signes dont il se couvre que dans sa propre personne qu'il nous y donne toute entière; contre ce qu'il dit lui-même de sa propre bouche : « Qui mange de ce pain aura la vie éternelle, » et : « Qui me mange, vivra pour moi et par moi, comme moi-même je vis pour mon Père et par mon Père (2)?»

Que si M. Jurieu soutient malgré ces paroles qu'il ne suffît pas d'avoir Jésus-Christ, si nous n'avons dans le sacrement de son corps et de son sang l'image parfaite de sa mort, comme il ne fait en cela que répéter une objection déjà éclaircie, je le renvoie aux réponses que j'ai faites à cet argument et aux exemples incontestables que j'ai rapportés (3) pour montrer que du propre aveu de ses églises, quand on a la substance d'un sacrement, la dernière perfection de la signification n'est plus nécessaire. Que si ce principe est vrai même dans les sacrements où Jésus-Christ n'est pas contenu réellement et en sa substance, comme dans celui du baptême : combien plus est-il certain dans l'Eucharistie où Jésus-Christ est présent en sa personne ; et qu'est-ce que peut désirer celui qui le possède tout entier?

Mais enfin, dira-t-on, il ne faut pas tant raisonner sur des paroles expresses. Puisque c'est votre sentiment que le chapitre vi de saint Jean se doit entendre de l'Eucharistie, vous ne pouvez vous dispenser de le pratiquer à la lettre, et de donner le sang à boire aussi bien que le corps à manger, après que Jésus-Christ a prononcé également de l'un et de l'autre : « Si vous ne mangez mon corps et ne buvez mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous-mêmes. »

Fermons une fois la bouche à ces esprits opiniâtres et contentieux, qui ne veulent pas entendre ces paroles de Jésus-Christ par toute leur suite. Je leur demande d'où vient que par ces paroles

 

1 Exam., tr. VI, sect. VI, p. 480, 481. — 2 Joan., VI, 52, 58. — 3 Sup., II part., art. 2.

 

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ils ne croient pas la communion absolument nécessaire au salut de tous les hommes, et même des petits enfants nouvellement baptisés. S'il ne faut rien expliquer, donnons-leur la communion aussi bien qu'aux autres; et s'il faut expliquer, expliquons le tout par la même règle. Je dis par la même règle, parce que le même principe et la même autorité dont nous apprenons que la communion en général n'est pas nécessaire au salut de ceux qui ont reçu le baptême, nous apprennent que la communion particulière du sang n'est pas nécessaire à ceux qui ont déjà participé à celle du corps.

Le principe qui nous fait voir que la communion n'est pas nécessaire au salut des petits enfants baptisés, c'est qu'ils ont déjà reçu la rémission des péchés et la vie nouvelle dans le baptême, puisqu'ils y ont été régénérés et sanctifiés : de sorte que s'ils périssaient faute d'être communies, ils périraient avec l'innocence et la grâce. Le même principe fait voir que celui qui a reçu le pain de vie n'a pas besoin de recevoir le sang sacré, puisque, comme nous l'avons souvent démontré, avec le pain de vie il a reçu toute la substance du sacrement, et avec elle toute la vertu essentielle à l'Eucharistie.

La substance de l'Eucharistie c'est Jésus-Christ même : la vertu de l'Eucharistie est de nourrir l’âme, y entretenir la vie nouvelle qu'elle a reçue au baptême, confirmer son union avec Jésus-Christ, et remplir jusqu'à nos corps de sainteté et de vie : je demande si dès le moment qu'on reçoit le corps de Notre-Seigneur, on ne reçoit pas tous ces effets, et si le sang y peut ajouter quelque chose d'essentiel.

Voilà ce qui regarde le principe : venons à ce qui regarde l'autorité.

L'autorité qui nous persuade que la communion n'est pas autant nécessaire au salut des petits enfants que le baptême, c'est 1 autorité de l'Eglise. C'est en effet cette autorité qui porte avec elle dans la tradition de tous les temps la vraie intelligence de 1 Ecriture; et comme cette autorité nous a appris que celui qui est baptisé ne manque d'aucune chose nécessaire à son salut, elle nous apprend aussi que celui qui reçoit une seule espèce ne

 

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manque d'aucune des choses que l'Eucharistie nous doit apporter : c'est pourquoi on a communié dès les premiers temps, ou sous une ou sous deux espèces, sans croire rien hasarder de la grâce qu'on doit recevoir dans ce sacrement.

Ainsi, quoiqu'il soit écrit : « Si vous ne mangez mon corps et ne buvez mon sang, vous n'aurez pas la vie (1) ; » de même qu'il est écrit : « Si on n'est régénéré de l'eau et du Saint-Esprit, on n'entre pas dans le royaume (2) ; » l'Eglise n'a pas entendu une égale nécessité dans ces deux sentences : au contraire elle a entendu que le baptême qui donne la vie, est plus nécessaire que l'Eucharistie qui l'entretient. Mais comme la nourriture suit toujours de près la naissance, si l'Eglise ne se sentait enseignée de Dieu, elle n'oserait refuser longtemps aux chrétiens régénérés par le baptême la nourriture que Jésus-Christ leur a préparée dans l'Eucharistie. Car Jésus-Christ ni les apôtres n'en ont rien ordonné qui soit écrit. L'Eglise a donc appris par une autre voie, mais toujours également sûre, ce qu'elle peut donner ou ôter sans faire tort à ses enfants; et ils n'ont qu'à se reposer sur sa foi.

Que nos adversaires ne pensent pas éviter la force de cet argument, sous prétexte qu'ils n'entendent pas comme nous ces deux passages de l'Evangile. Je sais bien qu'ils n'entendent ni du baptême d'eau le passage où il est écrit : Si vous n'êtes régénérés de l’eau et du Saint-Esprit ; ni du manger et du boire de l'Eucharistie , celui où il est écrit : Si vous ne mangez et ne buvez ; ainsi ils ne se sentent non plus obligés par ces passages à donner l'Eucharistie que le baptême aux petits enfants. Mais sans les presser sur ces passages, faisons-leur seulement cette demande : Ce précepte : Mangez ceci, et Buvez-en tous, que vous croyez si universel, comprend-il les petits enfants baptisés? S'il comprend tous les chrétiens, quelle parole de l'Ecriture a excepté les enfants? Ne sont-ils pas chrétiens? Faut-il donner gain de cause aux anabaptistes qui disent qu'ils ne le sont pas, et condamner toute l'antiquité qui les a reconnus pour tels ? Mais pourquoi les exceptez-vous d'un précepte si général, sans aucune autorité de l'Ecriture? En un mot, sur quel fondement votre Discipline a-t-elle fait

 

1 Joan., VI, 54. — 2 Ibid., III, 5.

 

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cette loi précise (1) : « Les enfants au-dessous de douze ans, ne seront admis à la Cène ; mais au-dessus, il sera à la discrétion des ministres, » etc. Vos enfants ne sont-ils pas chrétiens avant cet âge? Les remettez-vous à ce temps, à cause que saint Paul a dit : Qu'on s'éprouve, et ainsi qu'on mange (2)? Mais nous avons déjà vu qu'il n'est pas écrit moins précisément : « Enseignez et baptisez (3); »—« Qui croira et sera baptisé (4); »—« Faites pénitence, et recevez le baptême (5) : » et si votre Catéchisme interprète que a cela doit être seulement en ceux qui en sont capables (6), » pourquoi n'en dira-t-on pas autant de l'épreuve recommandée par l'Apôtre? En tout cas, l'Apôtre ne décide pas quel est l'âge propre à cette épreuve. On est en âge de raison devant douze ans; on peut avant cet âge, et pécher, et pratiquer la vertu : pourquoi dispensez-vous vos enfants d'un précepte divin dont ils sont capables? Si vous dites que Jésus-Christ a remis cela à l'Eglise, montrez-moi cette permission dans l'Ecriture; ou croyez avec nous que tout ce qui est nécessaire pour entendre et pratiquer l'Evangile n'est pas écrit, et qu'il faut s'en reposer sur l'autorité de l'Eglise.

Saint Basile nous avertit que ceux qui méprisent les traditions non écrites, méprisent en même temps jusqu'à l'Ecriture, qu'ils se vantent de suivre en tout (7). Ce malheur est arrivé à Messieurs de la religion prétendue réformée : ils ne nous parlent que de l'Ecriture, et se vantent d'avoir établi sur cette règle toutes les pratiques de leur église. Cependant ils se dispensent sans peine de beaucoup de pratiques importantes, que nous lisons dans l'Ecriture en termes exprès.

Ils ont retranché l'Extrême-Onction si expressément ordonnée dans l’Epître de saint Jacques (8), encore que cet apôtre y ait attaché une promesse si claire de la rémission des péchés.

Ils négligent l'imposition des mains, que les apôtres faisaient sur tous les fidèles pour leur donner le Saint-Esprit; et comme si ce divin Esprit ne devait jamais descendre que visiblement, ils

 

1 Discip., chap. 12, art. 2. — 2 I Cor., XI, 28. — 3 Matth., XVIII, 19.— 4 Marc., XVI, 16. — 5 Act., II, 38. — 6 Dim. 50. — 7 Basil., De Spiritu sancto., cap. XXVII, n. 67. — 8 Jacob., V, 14, 15.

 

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méprisent la cérémonie par laquelle il était donné, depuis qu'il n'est plus donné de cette manière visible.

Ils ne font pas plus de cas de l'imposition des mains par laquelle on ordonnait les ministres. Car encore qu'ils la pratiquent ordinairement, ils déclarent dans leur Discipline qu'ils ne la croient pas essentielle (1), et qu'on se pourrait dispenser d'une chose si clairement marquée dans l'Ecriture. Deux synodes nationaux ont décidé « qu'il n'y avait aucune nécessité de s'en servir (2); » et néanmoins l'un de ces synodes ajoute « qu'il fallait mettre peine à se conformer en cette cérémonie les uns avec les autres, pour ce qu'elle est propre à édification, conforme à la coutume des apôtres et à l'usage de l'ancienne Eglise. » Ainsi la coutume des apôtres écrite manifestement et en tant d’endroits dans la parole de Dieu, n'est non plus une loi pour eux que l'usage de l'Eglise ancienne : se croire obligé à cette coutume est une superstition réprouvée dans leur Discipline (3), tant ils se sont fait de fausses idées de religion et de liberté chrétienne.

Mais pourquoi parler ici des articles particuliers? Tout l'état de leur église est visiblement contre la parole de Dieu.

J'appelle ici avec eux l'état de l'église, la société des pasteurs et des peuples que nous y voyons établie : c'est ce qui est appelé l'état de l'église dans leur Confession de foi (4), et ils y déclarent que cet état est fondé sur la vocation extraordinaire de leurs premiers réformateurs. En vertu de cet article de leur Confession de foi, un de leurs synodes nationaux a décidé « que lorsqu'il s'agirait de la vocation de leurs pasteurs, qui ont réformé l'Eglise, ou de fonder l'autorité qu'ils ont eue de la réformer et d'enseigner, il la faut rapporter, selon l'article XXXI de la Confession de foi, à la vocation extraordinaire par laquelle Dieu les a poussez intérieurement à leur ministère (5) : » cependant, ni ils ne prouvent par aucun miracle que Dieu les ait «poussez intérieurement à leur ministère; » ni, ce qui est encore plus essentiel, ils ne prouvent par aucun endroit de l'Ecriture qu'une semblable vocation doive

 

1 Discip., chap. I, art. 8 et Observat.— 2 Syn. de Poit., 1560, Par., 1565. — 3 Chap. I, art. 8. — 4 Conf. de foi, art. 31. — 5 Syn. de Gap., 1603, sur la Conf. de foi, art. 4.

 

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jamais avoir lieu dans l'Eglise. D'où il résulte que leurs pasteurs n'ont aucune autorité de prêcher, selon cette parole de saint Paul : « Comment prêcheront-ils? s'ils ne sont envoyés (1), » et que tout l'état de leur église est sans fondement.

Ils se flattent de cette vaine pensée, que Jésus-Christ a laissé le pouvoir à l'Eglise de se donner une forme, et de s'établir des pasteurs quand la succession est interrompue : c'est ce que M. Jurieu et M. Claude tâchent de prouver sans rien trouver de semblable dans l'Ecriture, puisqu'au contraire Jésus-Christ a dit : « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie (2); » et que saint Paul, « Apôtre par Jésus-Christ (3), » a établi Tite pour ensuite en établir d'autres (4), en sorte que la mission vint toute de Jésus-Christ envoyé de Dieu. Voilà ce que nous trouvons dans l'Ecriture : et ce qu'on peut dire à présent de l'autorité du peuple, n'est qu'une illusion.

La même erreur fait dire aux ministres que l'Eglise a la liberté de former comme il lui plaît, le gouvernement ecclésiastique; ôter ou retenir l'épiscopat ; faire des anciens et des diacres pour un temps, c'est-à-dire les remettre à sa volonté dans la vie commune après les avoir consacrés à Dieu; leur donner pouvoir de décider de la doctrine avec les pasteurs en égalité de suffrages , c'est-à-dire les admettre sans être pasteurs (car ils ne le sont nullement dans la nouvelle Réforme), à ce qu'il y a de plus essentiel à l'autorité pastorale : toutes choses que nous trouvons dans leur Discipline et dans leurs synodes (5), sans qu'il y en ait un seul mot dans l'Ecriture, non plus que de ce pouvoir qu'ils s'attribuent vainement d'en disposer à leur mode.

Dans ces matières et dans beaucoup d'autres que je pourrais remarquer, non-seulement ils n'ont point pour eux l'Ecriture sainte, comme ils s'y sont obligés, mais encore ils se dispensent de la suivre, sans avoir aucune raison ni aucune tradition qui les appuie. Au contraire la tradition a toujours reçu et l'Extrême-Onction, et l'imposition des mains, tant celle qui est donnée à tous les fidèles que celle qui est employée à la consécration des

 

1 Rom., X, 15. — 2 Joan., XX, 21. — 3 Galat., I, 1, etc. — 4 Tit., I, 5. — 5 Chap. III, des Anciens et Diacres, art. 6 et 7 et Observat.

 

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ministres de l'Eglise, et la mission successive de ses pasteurs, et les autres choses que nos réformés ont méprisées. En cela leur licence est excessive; mais elle les devrait du moins rendre plus équitables envers nous, lorsque dans l'administration des sacre-mens nous prenons pour légitime interprète de l'Ecriture la tradition constante et la pratique universelle de l'Eglise.

Il faudrait finir ici ce discours, si la charité qui nous presse de procurer le salut de Messieurs de la religion prétendue réformée ne nous obligeait à leur lever quelques scrupules, que la lecture des faits que j'ai rapportés pourrait réveiller dans leurs esprits. On ne cesse de leur répéter que cette concomitance sur laquelle on établit la validité de la communion sous une espèce, est un mystère inconnu à l'ancienne Eglise, où l’on ne parle jamais de la créance qu'il faut avoir, qu'on reçoit nécessairement avec le corps de Notre-Seigneur son sang, son âme et sa divinité. On ajoute que cette doctrine de la concomitance étant, selon nous, une suite si nécessaire de la présence réelle, on peut croire que cette présence était inconnue où l'on ne connaissait point la concomitance.

Les ministres tournent contre nous les précautions que nous avons rapportées. On ne trouve, disent-ils, dans l'ancienne Eglise aucune de ces précautions établies dans les derniers temps pour garder l'Eucharistie, pour exciter le peuple à l'adorer, pour empêcher qu'on ne la laissât tomber à terre. Cette crainte, poursuit-on , n'a pas empêché durant tant de siècles qu'on n'ait donné à tout le peuple la communion sous les deux espèces ; et ces nouvelles précautions ne servent qu'à faire voir qu'on avait une autre opinion de l'Eucharistie que celle des premiers temps.

Pour conclusion, on nous dit que nous nous sommes donné un vain travail, en prouvant avec tant de soin qu'il est libre de communier sous une ou sous deux espèces, puisque tout ce qui peut résulter de cette preuve, c'est en tout cas qu'il faut laisser le choix au peuple, et ne pas restreindre une liberté que Jésus-Christ lui a donnée.

Mais pour commencer par cette objection, qui semble la plus plausible : qui ne voit au contraire plus clair que le jour, qu'il

 

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est au pouvoir de l'Eglise de prendre un parti dans les choses libres, et que lorsqu'elle l'aura pris il ne doit plus être permis de mépriser ses décrets? Saint Augustin a dit si souvent que c'est une folie insupportable de ne pas suivre ce qui est réglé par un concile universel, ou par la coutume universelle de l'Eglise (1). Mais si nos réformés sont peu disposés à en croire saint Augustin, eux-mêmes souffriraient-ils quelqu'un des leurs, qui sous prétexte qu'on a baptisé si longtemps par mersion, douterait avec les anabaptistes de la validité de son baptême et s'opiniâtrerait, ou à se faire rebaptiser, ou du moins à faire baptiser ses enfants selon l'ancienne pratique ? Mais s'il voulait qu'on donnât la communion à son fils encore enfant, sous prétexte qu'on l'a donnée aux petits enfants durant mille ans, croirait-on être obligé de céder à son désir? Au contraire ne traiterait-on pas et celui-là et tous ses semblables d'esprits inquiets et turbulents, qui troublent la paix de l'Eglise? Ne leur dirait-on pas avec l'Apôtre : « Si quelqu'un parmi vous est contentieux, nous et l'Eglise de Dieu n'avons point cette coutume (2)? » Et pour peu qu'ils eussent de docilité , ne trouveraient-ils pas dans ce seul passage de quoi ployer sous l'autorité des coutumes de l'Eglise? Bien plus, il est certain que l'ancienne Eglise, encore qu'elle baptisât les petits enfants qu'on lui présentait, n'obligeait pas toujours à toute rigueur leurs parents à les présenter en cet âge, pourvu qu'on les baptisât dans le péril; et l'ancienne histoire ecclésiastique nous fait voir des catéchumènes dans un âge avancé, sans que l'Eglise les eût forcés à se faire baptiser plus tôt. Les prétendus réformés, qui ne croient pas la nécessité du baptême, et ne peuvent produire aucun commandement divin qui oblige à le donner aux enfants, sont bien plus libres à cet égard. Cette liberté a-t-elle empêché les sévères règlements de leur Discipline (3), qui obligent les parents, à peine des censures les plus rigoureuses, à présenter leurs petits enfants au baptême? Qu'ils demeurent donc d'accord avec nous que l'Eglise peut faire des lois sur les choses libres ; et s'ils reconnaissent par tant d'exemples que la communion sous une ou sous deux

 

1  Ep. LIV, ad Januar., n. 6.; lib. IV, de Bapt., n. 31. — 2 I Cor., XI, 16. — 3 Discip., chap. XI, du Bapt., art. 16 et Observ.

 

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espèces est de ce genre, qu'ils cessent de nous chicaner, et de se causer à eux-mêmes un trouble inutile sur cette matière.

Mais peut-être qu'ils voudront dire que dans les faits que j'ai rapportés , ceux qui communiaient quelquefois sous une espèce communiaient aussi quelquefois sous l'autre; ce qui suffit en tout cas pour accomplir le précepte de Notre-Seigneur : comme si Notre-Seigneur avait voulu tout ensemble et nous inspirer une ferme foi qu'on ne perd rien en ne prenant qu'une seule espèce, et néanmoins nous obliger sous peine de damnation à toutes les deux: chicane si manifeste, qu'elle ne mérite pas d'être réfutée.

Il faudrait donc en venir enfin à examiner une fois ce qui est essentiel à l'Eucharistie, et à nous donner une règle pour le bien entendre. C'est ce que ces Messieurs ne feront jamais, s'ils ne reviennent à nos principes et à l'autorité de la tradition. M. Jurieu passe trop avant, quand il propose pour règle, selon les principes de sa religion, de faire généralement tout ce qu'a fait Jésus-Christ; en sorte que nous regardions « toutes les circonstances qu'il a observées, comme étant de la dernière nécessité (1). » Ce sont ses propres paroles. Il allègue à ce propos les sacrements de l'ancienne loi, et entre autres le sacrifice continuel, où après avoir égorgé (a) un agneau le matin, il en fallait égorger un autre le soir, le rôtir, le manger avec des herbes amères, le consumer dans une nuit, et n'en rien réserver le jour suivant (2). » Il représente la nécessité de toutes ces cérémonies, et non-seulement du fond, mais de toutes les circonstances. Ce mot de Jésus-Christ : Faites ceci, lui fait conclure la même chose de l'Eucharistie. Ainsi nous serons astreints, selon ses principes, à tout ce que Jésus-Christ a fait, et non-seulement au pain et au vin, mais encore à l'heure et à toute la manière de les prendre ; d'autant plus que nous avons vu que tout avait sa raison et son mystère (3), aussi bien que ce que Moïse a ordonné sur l'ancienne Pâque. Cependant combien de choses avons-nous marquées que ni ces Messieurs, ni nous n'observons pas? Mais en voici une que j'ai

 

1 Exam., tom. VI, sect. V, p. 465. — 2 Ibid., sect. VI, p. 474, 475. — 3  Sup., II part., art. 6, p. 296.

(a) 1re édit. : Il allègue à ce propos l'ancienne Pâque des Juifs, ou après avoir égorgé...

 

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omise, et qui pourra donner en ce lieu un grand éclaircissement.

Parmi les choses que Notre-Seigneur a observées dans la Cène, une de celles que les calvinistes ont crue des plus nécessaires, est la fraction du pain. Les luthériens sont d'avis contraire, et se servent de pains de figure ronde, qu'ils ne rompent pas. C'est le sujet d'un grand procès entre ces Messieurs. Les calvinistes font fort sur ce que les évangélistes et saint Paul écrivent tous d'un commun accord, que « la nuit que Jésus-Christ fut livré aux Juifs, il prit du pain, le bénit, le rompit et le donna. » Ils relèvent cette fraction du pain, qui selon eux représente que le corps de Notre-Seigneur a été rompu pour nous à la croix ; et remarquent avec grand soin que saint Paul, après avoir dit que Jésus « rompit le pain, » lui fait dire, selon le grec : « Ceci est mon corps rompu pour vous (1) ; » pour montrer, à ce qu'ils prétendent, le rapport de ce pain rompu avec le corps immolé. Ainsi cette fraction leur paraît nécessaire au mystère ; et c'est ce qui fait dire à ceux d'Heidelberg dans leur Catéchisme fort estimé de tout le parti, « qu'aussi véritablement qu'ils voient rompre le pain de la Cène pour leur y être donné , aussi véritablement Jésus-Christ a été offert et rompu pour nous (2). »

Il fut question de s'accorder avec les luthériens, et il se tint pour cela une conférence il n'y a pas plus de vingt-un ans. Ce fut en 1661 (3). Les calvinistes de Marpourg trouvèrent d'abord une distinction ; et dans la déclaration qu'ils donnèrent aux luthériens de Rintel, ils dirent que la fraction appartenait non pas à l'essence, mais seulement à l'intégrité du sacrement, comme y étant nécessaire par l'exemple et le commandement de Jésus-Christ : qu'ainsi les luthériens ne laissaient pas sans la fraction du pain d'avoir la substance de la Cène, et qu'on pouvait se tolérer mutuellement. » Ces calvinistes n'ont été repris d'aucun des leurs, que je sache ; et l'accord qui se fit eut tout son effet de leur part : de sorte qu'ils ne peuvent plus nous presser par les paroles de l’institution, puisqu'on peut de leur aveu propre avoir la substance de la Cène, sans s'assujettir à l'institution, à l'exemple et au

 

1 Cor., XI, 24. — 2 Catech. Heid., q. 75. — 3 Colloq. Cassel., an. 1661.

 

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commandement exprès de Notre-Seigneur. Que diraient-ils, si nous usions d'une semblable réponse ? Mais c'est que tout est permis aux luthériens, comme tout est insupportable dans les catholiques.

Les autres objections ne sont pas plus malaisées à résoudre.

On ne trouve pas, dites-vous, dans l'antiquité la concomitance sur laquelle l'Eglise romaine appuie sa communion sous une espèce. Premièrement, ce que je tire de l'ancienne Eglise pour établir cette communion est chose de fait ; et si la communion sous une espèce suppose la concomitance avec la réalité, il s'ensuit que l'une et l'autre était crue dans l'antiquité, où la communion sous une espèce était si fréquente. Secondement, Messieurs, ouvrez vos livres, ouvrez Aubertin le plus docte défenseur de votre doctrine (1) : vous y trouverez à toutes les pages des passages de saint Ambroise, de saint Chrysostome, des deux Cyrille et de tous les autres (2), où vous lirez qu'en recevant le corps sacré de Notre-Seigneur, on reçoit la personne même, puisqu'on reçoit, disent-ils, le Roi dans sa main : on reçoit Jésus-Christ et le Verbe de Dieu ; on reçoit sa chair comme vivifiante, non comme la chair d'un homme pur, mais comme la chair d'un Dieu. N'est-ce pas là recevoir la divinité avec l'humanité du Fils de Dieu, et en un mot sa Personne entière? Après cela qu'appellerez-vous la concomitance?

Pour ce qui est des précautions dont on usait pour s'empêcher

de laisser tomber à terre l'Eucharistie, il ne faut qu'un peu de

bonne foi pour avouer qu'elles sont aussi anciennes que l'Eglise.

Aubertin vous les fera lire dans Origène : il vous les fera lire dans

saint Cyrille de Jérusalem et dans saint Augustin (3), pour ne rien

dire des autres. Vous verrez dans ces saints docteurs, que laisser

tomber les moindres parcelles de l'Eucharistie, c'est comme laisser

tomber de l'or et des pierreries ; c'est comme s'arracher un de ses

membres ; c'est comme laisser écouler la parole de Dieu qu'on nous

 

1 Aub., lib. II, p. 431, 485, 505, 539, 570, etc. — 2 Ambr., lib. I, in Luc., p. 49; Cyril. Hieros., Cat., V, Myst., n. 21 ; Gregor. Nyss., oral., Catech., cap. XXXVII, Cyrill. Alex., lib. IV, in Joan., cap. III, IV, n. 62 et seq.; Chrys., hom. LI, nunc L et LXXXIII , nunc LXXXII in Matth.; lib. III de Sacerd., n. 4, p. 383 et seq. — 3 Origen., in Exod., hom. XIII, n. 3; Cyrill. Hieros., Cat., V, Myst., loc. sup. cit.; Aug., L, hom. XXVI; nunc Append., serm. CCC, n. 2; Aub., lib. II, p. 431, 432, etc.

 

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annonce, et perdre volontairement cette semence de vie, ou plutôt la vérité éternelle qu'elle nous apporte.

Il n'en faut pas davantage pour confondre M. Jurieu. «Alors, dit-il, (c'est-à-dire dans l'onzième siècle, lorsque selon lui la transsubstantiation fut établie) on commença à penser aux suites de cette transsubstantiation. Quand les hommes furent persuadez que le corps du Seigneur était renfermé tout entier sous chaque petite goutte de vin, la crainte de l'effusion les saisit (1).» Si donc la crainte de l'effusion a saisi nos pères dès les premiers siècles de l'Eglise, ils y croyaient donc déjà la transsubstantiation et toutes ses suites. M. Jurieu poursuit : « Ils frémirent quand ils pensèrent que l'adorable corps du Seigneur serait à terre parmi la poussière et la boue, sans qu'il fut possible de le relever. » Si les Pères en ont frémi aussi bien qu'eux, ils ont donc eu selon lui la même croyance? Il ne se lasse point de nous faire voir cette crainte de l'effusion comme une suite de la croyance de la présence réelle. « Cette raison, dit-il, (c'est-à-dire celle qui se tire de la crainte de l'effusion) peut être bonne pour eux (c'est-à-dire pour les catholiques) ; mais elle ne vaut rien pour nous qui ne reconnaissons pas que la chair et le sang du Seigneur soient réellement enfermez dans le pain et dans le vin (2). » Vous le voyez, Messieurs, vos ministres craindraient comme nous cette effusion, s'ils croyaient la même présence; les Pères, encore une fois, la croyaient donc, puisqu'ils ont eu si visiblement la même crainte.

C'est en vain que M. Jurieu fait le railleur sur cette crainte. « Dans un siècle, dit-il, où les hommes ne se faisaient pas une honte, comme aujourd'hui, de porter sur le visage le caractère de leur sexe, ils plongeient une grande barbe dans la coupe sacrée, et ils en rapportaient une multitude de corps de Jésus-Christ qui pendaient à chaque poil. Cela leur donnait de l'horreur, et je trouve qu'ils a voient raison (3). » Cette belle pensée lui a plu. « J'ay peine, dit-il ailleurs, à concevoir comment les fidèles de l'ancienne Eglise ne frémissaient pas en voyant pendre des corps de Jésus-Christ à tous les poils d'une grande barbe qui sortait de la coupe sacrée. Comment n'avaient-ils pas horreur en voyant essuyer cette

 

1 Exam., tom. VI, sect. v, p. 469. — 2 Ibid., sect. VII. — 3 Ibid.

 

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barbe avec un mouchoir, et le corps du Seigneur passer dans la poche d'un matelot et d'un soldat (1)? » Comme si un matelot et un soldat étaient moins considérables aux yeux de Dieu que les autres hommes. Si ce railleur à contre-temps avait remarqué dans les anciens Pères avec quelle propreté et quel respect on approchait de l'Eucharistie; s'il avait voulu voir dans saint Cyrille (2) comment les fidèles de ce temps-là goûtaient la coupe sacrée, et comment loin d'en vouloir perdre une seule goutte, ils touchaient avec respect de leurs mains la moiteur qui leur restait sur les lèvres pour l'appliquer sur leurs yeux et les autres organes de leurs sens qu'ils croyaient sanctifier par ce moyen : il aurait trouvé plus digne de lui de représenter cette action de piété que de faire rire les siens par la ridicule description qu'on vient d'entendre. Mais ces railleurs ont beau faire : leurs railleries ne nuiront non plus à l'Eucharistie que celles des autres ont nui à la Trinité et à l'Incarnation du Fils de Dieu; et la majesté des mystères ne peut être ravilie par de tels discours.

M. Jurieu nous représente comme des hommes qui craignent qu'il n'arrive « quelque accident fâcheux au corps et au sang de Notre-Seigneur. Je ne vois pas, dit-il, qu'il soit mieux placé sur un linge blanc que dans la poussière (3) ; » et puisqu'on le voit bien sans horreur dans la bouche et dans l'estomac, on ne devrait pas s'étonner tant de le voir sur le pavé. En effet, à  parler en homme et selon la chair, un pavé est aussi propre et peut-être plus que nos estomacs; et à parler selon la foi, l'état glorieux où est maintenant Jésus-Christ l'élève également au-dessus de tout : mais le respect veut qu'autant qu'il est en nous, nous ne le mettions qu'où il veut être. C'est l'homme qu'il cherche; et loin d'avoir horreur de notre chair, puisqu'il l'a créée, puisqu'il l'a rachetée, puisqu'il l'a prise, il s'en approche volontiers pour la sanctifier. Tout ce qui a rapport à cet usage l'honore, parce que c'est une dépendance de la glorieuse qualité de Sauveur du genre humain. Autant que nous pouvons, nous empêchons tout ce qui dérobe à notre vénération le corps et le sang de notre Maître; et sans craindre pour

 

1 Exam., tom. VI, sect. VII, p. 485. — 2 Cyril. Hier., Cat., V Myst., n. 22, p. 332. — 3 P. 485, 487.

 

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Jésus-Christ aucun accident fâcheux, nous évitons ce qui ferait voir en nous quelque manquement de respect. Que si nos précautions ne peuvent pas tout empêcher, nous savons que Jésus-Christ assez défendu par sa propre majesté, se contente de notre zèle, et ne peut être ravili par aucun endroit. On peut railler, si on veut, de cette doctrine : mais loin d'en rougir, nous rougissons pour ceux qui ne songent pas que les railleries qu'ils font de nos précautions retombent sur les saints Pères, qui en ont eu de si grandes. S'il a fallu les augmenter dans les derniers siècles, ce n'est pas que l'Eucharistie y ait été plus honorée que dans les premiers; mais c'est plutôt que la piété s'étant ralentie, il a fallu l'exciter par plus de moyens : de sorte que les nouvelles précautions qu'il a fallu prendre, en marquant nos respects, ont fait voir quelque négligence dans notre conduite.

Pour moi, je crois aisément que dans l'ordre, dans le silence, dans la gravité des anciennes assemblées ecclésiastiques, il arrivait rarement, ou point du tout, que le sang de Notre-Seigneur y fût répandu : ce n'est que dans le tumulte et dans la confusion des derniers siècles que ces scandales souvent arrivés, ont fait enfin souhaiter aux peuples de ne recevoir que l'espèce qu'ils voyaient moins exposée à de pareils inconvénients; d'autant plus qu'en la recevant toute seule, ils savaient qu'ils ne perdaient rien, puisqu'ils possédaient tout entier celui qui faisait tout l'objet de leur amour.

Je ne veux pourtant pas nier que depuis que Bérenger eut rejeté, malgré toute l'Eglise de son temps et la tradition de tous les Pères, la présence de Jésus-Christ dans ce sacrement, la foi de ce mystère ne se soit pour ainsi dire échauffée ; et que la piété des fidèles offensée par cette hérésie, n'ait cherché à se signaler par de nouveaux témoignages. Je reconnais ici l'esprit de l'Eglise, qui n'a jamais adoré ni Jésus-Christ ni le Saint-Esprit avec tant de marques éclatantes, qu'après que les hérétiques ont eu nié leur divinité. Le mystère de l'Eucharistie devait être comme les autres, et hérésie de Bérenger ne devait pas moins servir à l'Eglise que celles d'Arius et de Macédonius.

Pour ce qui est de l'adoration, qu'est-il besoin que j'en parle

 

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après tant de passages des Pères (1) encore rapportés par Aubertin (2), et depuis par M. de la Roque dans son Histoire de l'Eucharistie (3)? Ne voyons-nous pas dans ces passages l'Eucharistie adorée ou plutôt Jésus-Christ adoré dans l'Eucharistie, et adoré parles anges mêmes, que saint Chrysostome nous représente inclinés devant Jésus-Christ en ce mystère, et lui rendant le même respect que les gardes de l'empereur rendent à leur maître ?

Il est vrai que ces ministres répondent que cette adoration de l'Eucharistie n'est pas l'adoration souveraine qu'on rend à la Divinité , mais une adoration inférieure qu'on rendait aux sacrés symboles.

Mais nous pourraient-ils faire voir une semblable adoration rendue à l'eau du baptême? Que peut-on répondre aux passages où il paraît que l'adoration qu'on rend ici est semblable à celle qui est rendue au roi présent (4) ; que cette adoration est rendue aux mystères comme étant en effet ce qu'ils étaient crus, comme étant la chair de Jésus-Christ Dieu et Homme? Ces passages des anciens sont formels; et en attendant que nos réformés les aient assez pénétrés pour en être convaincus, ils y verront du moins ce culte inférieur sur lequel ils nous font tant de chicanes : culte distingué du culte suprême; religieux toutefois, puisqu'il fait partie du service divin et de la réception des saints sacrements. Ainsi en se justifiant tellement quellement sur l'Eucharistie, ils se ferment toutes les voies de nous accuser sur les reliques, sur les images et sur le culte des Saints; tant il est vrai que leur église et leur religion, semblable à un bâtiment caduc, ne peut être pour ainsi dire couverte d'un côté sans paraître découverte de l'autre, et ne peut jamais montrer cette parfaite intégrité, ni le rapport des parties, qui fait toute la beauté et toute la solidité d'un édifice.

 

1 Cyr. Hier., Cat., Myst. V, 22; Ambr., lib. III, de Spir., sancto., cap. XII, n. 86; Aug., enarr. in Psal. XCVIII, n. 14; Theodor., Dial., II, p. 93; Chrys., lib. VI, de Sacerd., n. 4. — 2 Aub., lib. II, p. 432, 803, 822. — 3 Hist. Euch., III part., chap. IV, p. 541 et suiv.— 4 Chrys., lib. VI, de Sacerd., etc.; Theod., loc. cit., etc.

 

FIN DU TRAITÉ DE LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPÈCES.

 

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