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TRAITÉ DE LA COMMUNION
SOUS LES DEUX ESPECES.

 

DIVISION   DE  CE  DISCOURS   EN   DEUX   PARTIES.

 

La question des deux espèces, quoi qu'en disent Messieurs de la religion prétendue réformée, n'a qu'une difficulté apparente, qui peut être résolue par une pratique constante et perpétuelle de l'Eglise, et par des principes dont les prétendus réformés demeurent d'accord.

J'expliquerai dans ce discours : 1° cette pratique de l'Eglise ; 2° ces principes sur lesquels elle est appuyée.

Ainsi la matière sera épuisée, puisqu'on verra d'un côté le fait constant, et que de l'autre on en verra les causes certaines.

 

 

PREMIÈRE PARTIE.
LA PRATIQUE  ET  LE  SENTIMENT  DE L'ÉGLISE
DÈS LES  PREMIERS  SIÈCLES.

 

La pratique de l'Eglise dès les premiers temps est qu'on y communiait sous une ou sous deux espèces, sans qu'on se soit jamais avisé qu'il manquât quelque chose à la communion lorsqu'on n'en prenait qu'une seule.

On n'a jamais seulement pensé que la grâce attachée au corps de Notre-Seigneur fût autre que celle qui était attachée à son sang. Il donna son corps avant que de donner son sang ; et on

 

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peut même conclure des paroles de saint Luc et de saint Paul (1), qu'il donna son corps pendant le souper, et son sang après le souper : de sorte qu'il y eut un assez grand intervalle entre les deux actions. Suspendit-il l’effet que devait avoir son corps, jusqu'à ce que les apôtres eussent reçu son sang; ou si dès qu'ils reçurent le corps, ils reçurent en même temps la grâce qui l'accompagne, c'est-à-dire celle d'être incorporé à Jésus-Christ et nourri de sa substance ? C'est sans doute le dernier. Ainsi la réception du sang n'est pas nécessaire pour la grâce du sacrement, ni pour le fond du mystère : la substance en est toute entière sous une seule espèce ; et chacune des espèces, ni les deux ensemble ne contiennent que le même fond de sanctification et de grâce.

Saint Paul suppose manifestement cette doctrine, lorsqu'il écrit que « celui qui mange ce pain ou boit le calice du Seigneur indignement, est coupable du corps et du sang du Seigneur (2) : » d'où il nous laisse à tirer cette conséquence, que si en recevant l'un ou l'autre indignement on les profane tous deux, en recevant dignement l'un des deux on participe à la grâce de l'un et de l'autre.

A cela il n'y a point de réponse qu'en disant, comme font aussi les protestants, que la particule disjonctive ou, que l'Apôtre emploie dans le premier membre de ce texte, a la force de la conjonctive et, dont il se sert dans le second. C'est la seule réponse que donne à ce passage M. Jurieu dans l'écrit qu'il vient de mettre au jour sur la matière de l'Eucharistie (3); et il traite notre argument de chicane ridicule, mais sans fondement. Car quand il aurait montré que ces particules se prennent quelquefois l'une pour l'autre, ici où saint Paul les emploie toutes deux si visiblement avec dessein, en mettant ou dans la première partie de son discours, et réservant et pour la seconde, on ne peut s'empêcher de reconnaître que par une distinction si marquée il a voulu nous rendre attentifs à quelque vérité importante; et la vérité qu'il nous veut apprendre, c'est que si après avoir pris dignement le pain sacré on oubliait tellement la grâce reçue, qu'on prît ensuite le sacré breuvage avec une intention criminelle, on ne serait pas seulement

 

1 Luc., XXII, 20; I Cor., XI, 25. — 2 Ibid., 27. — 3 Examen de l’Eucharistie, traité VI, sect. VII, p. 483.

 

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coupable du sang de Notre-Seigneur, mais encore de son corps. Ce qui ne peut avoir d'autre fondement que celui que nous posons, que l'une et l'autre partie de ce sacrement ont tellement le même fond de grâce, qu'on ne peut ni en profaner l'une sans profaner toutes les deux, ni aussi en recevoir saintement l'une des deux sans participer à la sainteté et à la vertu de l'une et de l'autre.

C'est aussi pour cette raison que dès l'origine du christianisme on a cru qu'en quelque sorte que l'on communiât, ou sous une ou sous deux espèces, la communion avait toujours le même fond de vertu.

Quatre coutumes authentiques de l'ancienne Eglise démontrent cette vérité. On les verra si constantes, et les oppositions des ministres si contradictoires et si vaines, qu'un aveu (j'oserai le dire) ne rendrait pas ces coutumes plus incontestables.

Je trouvé donc la réception d'une seule espèce dans la communion des malades, dans la communion des enfants, dans la communion domestique qui se faisait autrefois, lorsque les fidèles emportaient l'Eucharistie pour communier dans leurs maisons, et enfin, ce qui sera le plus surprenant pour nos réformés, dans la communion publique et solennelle de l'Eglise.

Ces faits importants et décisifs ont été souvent traités, je le confesse : mais peut-être n'a-t-on pas assez examiné toutes les vaines subtilités des ministres. Dieu nous aidera par sa grâce à le faire de manière , que non-seulement les antiquités soient éclaircies, mais encore que le triomphe de la vérité soit manifeste.

Le premier fait que je pose, c'est qu'on communiait ordinairement les malades sous la seule espèce du pain. On ne pou voit pas réserver ni assez longtemps ni si aisément l'espèce du vin qui est trop tôt altérée, Jésus-Christ n'ayant pas voulu qu'il parût rien d'extraordinaire dans ce mystère de foi. Elle était aussi trop sujette à être versée, surtout quand il a fallu la porter à plusieurs personnes, et dans des lieux éloignés, et avec peu de commodité durant les temps de persécution. L'Eglise voulait tout ensemble et faciliter la communion des malades, et éviter le péril de cette effusion, qu'on n'a jamais vue sans horreur dans tous les temps, comme la suite le fera paraître.

 

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L'exemple de Sérapion, rapporté dans l'Histoire ecclésiastique, fait voir clairement ce qu'on pratiquait à l'égard des malades. Il était en pénitence : mais comme la loi voulait qu'on donnât l'Eucharistie aux pénitents quand ils seraient en péril de leur vie, Sérapion, se trouvant en cet état, envoya demander ce saint Viatique : « Le prêtre , qui ne put le porter lui-même, donna à un jeune garçon une petite parcelle de l'Eucharistie, qu'il lui ordonna de tremper, et de la mettre ainsi dans la bouche de ce vieillard. Le jeune homme retourné dans la maison, trempa la parcelle de l'Eucharistie, et en même temps la fit couler dans la bouche de Sérapion, qui l'ayant avalée peu à peu, rendit incontinent l'esprit (1). » Quoiqu'il paroisse par ce récit que le prêtre n'eût envoyé à son pénitent que la partie de ce sacrement qui était solide , en ordonnant seulement au jeune homme qu'il envoyait, de la détremper dans quelque liqueur avant de la donner au malade, ce bon vieillard ne se plaignit pas qu'il lui manquât quelque chose : au contraire ayant communié, il mourut en paix ; et Dieu, qui le conservait miraculeusement jusqu'à ce qu'il eût reçu cette grâce, le délivra aussitôt après qu'il eut communié. Saint Denis, évêque d'Alexandrie, qui vivait au troisième siècle de l'Eglise, écrit cette histoire dans une lettre rapportée au long par Eusèbe de Césarée; et il l'écrit à un évêque célèbre , parlant de cette pratique comme d'une chose ordinaire : ce qui montre qu'elle était reçue et autorisée, et si sainte d'ailleurs, que Dieu daigna la confirmer par un effet visible de sa grâce.

Les protestants habiles et de bonne foi demeurent facilement d'accord qu'il ne s'agit que du pain sacré dans ce passage. M. Smith, prêtre protestant d'Angleterre, en est convenu dans un docte et judicieux Traité qu'il a composé depuis quelques années sur l'état présent de l'Eglise grecque (2) ; et il reconnaît en même temps qu'on ne réservait que le pain sacré dans la communion domestique, qu'il regarde comme la source de la réserve qui s'en faisait pour les malades.

Mais M. de la Roque, ministre célèbre, qui a écrit l'Histoire de

 

1 Euseb., lib. VI, cap. XLIV. — 2 Thom. Smith, Ep. de Eccles. Gr. hod. stat., p. 107, 108; Il éd., p. 130 et seq.

 

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l'Eucharistie, et M. du Bourdieu, ministre de Montpellier, qui depuis peu a dédié à M. Claude un Traité sur le retranchement de la coupe, approuvé par le même M. Claude et par un autre de ses confrères, n'ont pas la même sincérité. Ils voudraient bien nous persuader que ce pénitent reçût le saint Sacrement sous les deux espèces, et qu'on les mêlât ensemble (1), comme il s'est souvent pratiqué , mais longtemps après ces premiers siècles, et comme il se pratique encore en Orient dans la communion ordinaire des fidèles. Mais outre que ce mélange des deux espèces si expressément séparées dans l'Evangile , est venu tard dans les esprits et ne paraît au plus tôt qu'au septième siècle, où encore il ne paraît, comme nous allons voir, que pour y être défendu ; les paroles de saint Denis, évêque d'Alexandrie , ne souffrent pas l'explication de ces Messieurs, puisque le prêtre dont il y parle ne commande pas de mêler les deux espèces, mais de mouiller celle qu'il donne, c'est-à-dire, sans contestation, la partie solide, qui ayant été gardée plusieurs jours pour l'usage des malades selon la coutume perpétuelle de l'Eglise, avait besoin d'être détrempée en quelque liqueur pour entrer dans le gosier desséché d'un malade agonisant.

La même raison fait dire aux Pères du quatrième concile de Carthage, auquel saint Augustin a souscrit, qu'il faut faire couler l'Eucharistie dans la bouche d'un malade moribond : Infundi ori ejus Eucharistiam (2). Ce mot, faire couler, infundi, ne marque pas le sang seul, comme on pourrait le soupçonner; car nous venons de voir dans Eusèbe et dans l'histoire de Sérapion, qu'encore qu'on ne donnât que le pain sacré et la partie solide de l'Eucharistie, on appelait la faire couler, quand on la donnait détrempée dans une liqueur pour la seule facilité du passage. Et Rufin , qui écrivait au temps du quatrième concile de Carthage, dans la version qu'il a faite d'Eusèbe, n'exprime pas autrement que ce concile la manière dont Sérapion fut communié, disant qu'on lui fit couler dans la bouche un peu de l'Eucharistie : Parum Eucharistiœ

 

1 Hist. de l’Euchar., I part., chap. XII, p. 145; Du Bourd., Deux réponses à deux Traités sur le retranch. de la coupe. Seconde rép., chap. XXII. p. 367. — 2 Conc. Carth. IV, c. 76.

 

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infusum jussit seni prœberi (1). Ce qui montre l'usage de ces premiers temps, et explique ce que c'était que cette infusion de l'Eucharistie.

Le seul intérêt de la vérité m'oblige à cette remarque, puisqu'au fond il importe peu à notre sujet qu'on ait donné aux malades ou le corps seul, ou le sang seul, et qu'enfin ce serait toujours communier sous une seule espèce. Car pour la distribution des deux espèces mêlées, je ne crains pas qu'il vienne en l'esprit d'un homme de bonne foi, pour peu qu'il sache l'antiquité, de la mettre en ces premiers temps, où il ne parait nulle part qu'on en ait eu seulement l'idée. L'histoire de Sérapion nous fait assez voir qu'on ne portait aux malades de chez les prêtres que le pain sacré tout seul ; que c'était à la maison du malade qu'on le détrempait pour faciliter le passage ; et qu'on était si éloigné de songer à le mêler dans le sang, qu'on employait une autre liqueur, une liqueur ordinaire prise à la maison du malade, pour le détremper. En effet cette distribution du corps et du sang mêlés, ne commence à se faire voir qu'au septième siècle dans le concile de Drague, où encore elle est défendue par un canon exprès (2). D'où il est aisé de comprendre combien est au-dessous, non-seulement du troisième siècle et des temps de saint Denis d'Alexandrie, mais encore du quatrième et des temps du concile IV de Carthage, une coutume qui ne paraît la première fois qu'au septième siècle, trois ou quatre cents ans après, dans un canon qui l'improuve.

Nous verrons en un autre lieu combien on a eu de peine à laisser établir ce mélange, même au dixième et onzième siècle, surtout dans l'Eglise latine ; et ce sera un nouveau moyen de montrer combien peu on y pensait dans les premiers temps et dans le concile IV de Carthage : ce qui laisse pour indubitable que la communion qu'on y ordonne aux malades était sans difficulté sous une seule espèce, et même, comme celle de Sérapion , sous la seule espèce du pain.

Et on n'aura point de peine à le reconnaître, quand on songera

 

1 Hist. Eccles. Euseb., Ruf., init. lib. VI, cap. XXXIV. — 2 Conc. Brac. IV, cap. II, Labb., tom. VI, col. 563.

 

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comment saint Ambroise a communié à la mort dans le même temps. Nous avons la vie de ce grand homme, que Paulin son diacre et son secrétaire, confondu mal à propos par Erasme avec le grand saint Paulin évêque de Noie, a écrite à la prière de saint Augustin, et qu'il lui dédie, où il raconte que saint Honorât, célèbre évêque de Verceil, qui était venu pour assister le saint à la mort, « durant le repos de la nuit, entendit par trois fois cette voix : Lève-toi, ne tarde pas, il va mourir. Il descendit, il lui présenta le corps de Notre-Seigneur, et le saint ne l'eut pas plutôt reçu, qu'il rendit l'esprit (1). » Qui ne voit qu'on nous représente ce grand homme comme un homme que Dieu prend soin de faire mourir dans un état où il n'avait plus rien à désirer, puisqu'il venait de recevoir le corps de son Seigneur? Mais en même temps qui ne croirait avoir bien communié en recevant la communion, comme saint Ambroise fit en mourant, comme la donna saint Honorât, comme on l'écrit à saint Augustin, comme toute l'Eglise le vit sans y rien trouver de nouveau, ni d'extraordinaire?

La subtilité des protestants s'est épuisée sur ce passage. Le fameux George Calixte, le plus habile des luthériens de notre temps et celui de nos adversaires qui a écrit le plus doctement contre nous sur les deux espèces, soutient que saint Ambroise les a reçues toutes deux (2), et pour répondre à Paulin, qui raconte seulement « qu'on lui présenta le corps, lequel il n'eut pas plutôt reçu, qu'il rendit l'esprit, » ce subtil ministre a recours à la figure grammaticale nommée synecdoque, où on met la partie pour le tout, sans se mettre seulement en peine de nous rapporter un exemple d'une locution semblable dans une semblable occasion. Etrange effet de la prévention ! On voit dans la communion de Sérapion un exemple assuré d'une seule espèce, sans que la réticence de la synecdoque y puisse être seulement soufferte, puisque saint Denis d'Alexandrie explique si précisément qu'on ne donna que le pain et la seule partie solide. On voit le même langage et la même chose dans un concile de Carthage, et on voit dans le même temps saint Ambroise communié, sans qu'il soit parlé

 

1 Paul., Vit. S. Ambr., Oper. S. Ambr.— 2 Georg. Calixt., Disp. contra Comm. sub und specie. n. 162.

 

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d'autre chose que du corps. Bien plus, car je puis bien avancer ici ce que je démontrerai dans un moment, tous les siècles ne nous font voir que le corps seul réservé pour la communion ordinaire des malades : cependant on ne veut point se laisser toucher de cette suite, et on préfère une synecdoque dont on n'allègue aucun exemple, à tant d'exemples suivis. Quel aveuglement, ou quelle chicane !

Si ces Messieurs voulaient agir de bonne foi et ne songeaient pas plutôt à échapper qu'à instruire, ils verraient qu'il ne suffit pas d'alléguer en l'air la figure synecdoque, et de dire qu'il est ordinaire à la faveur de cette figure d'exprimer le tout par la partie. On élude tout par ces moyens, et on ne laisse plus rien de certain dans le langage. Il faut venir en particulier à la matière proposée, et au lieu dont il s'agit; examiner, par exemple, si la figure qu'on veut appliquer au récit de Paulin, se trouve dans quelque récit semblable, et si elle convient en particulier au récit de cet historien. Calixte ne fait rien de tout cela, parce que tout cela n'eût servi qu'à le confondre.

Et d'abord il est bien certain que la figure dont il parle n'est pas de celles qui ont passé dans le langage ordinaire, comme quand nous disons : Manger ensemble, pour exprimer le festin entier et le manger avec le boire, ou comme les Hébreux nommaient le pain seul pour exprimer en général toute nourriture. Il n'a pas passé de même dans le langage ecclésiastique et dans l'usage commun, de nommer le corps seul pour exprimer le corps et le sang, puisqu'au contraire on trouvera dans les Pères, à toutes les pages, des passages où la distribution du corps et du sang est rapportée, en nommant expressément l'un et l'autre ; et on peut tenir pour constant que c'est l'usage ordinaire.

Mais sans nous fatiguer inutilement à rechercher les passages où les Pères peuvent les avoir nommés l'un sans l'autre, ni les raisons particulières qui peuvent les y avoir obligés : je dirai, en me renfermant dans les exemples dont il s'agit en ce lieu, que je n'ai jamais vu aucun récit, où en racontant la distribution du corps et du sang, ils n'aient exprimé que l'un des deux.

Que si je n'en ai remarqué aucun exemple, Calixte n'en a

 

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remarqué non plus que moi ; et ce qui doit faire croire qu'il n'y en a point, c'est qu'un homme si soigneux de ramasser contre nous tout ce qu'il peut, n'en a pu trouver.

Je vois aussi M. du Bourdieu qui a écrit depuis lui, et qui l'ayant si bien lu, puisqu'il le suit presque en tout, a dû suppléer à ce qui lui manque, nous dire, non pas à l'occasion de Paulin et de saint Ambroise, mais à l'occasion de Tertullien, que si ce Père en parlant de la communion domestique dont nous parlerons aussi en son lieu, n'a nommé que le corps et le pain sacré sans nommer le sang ni le vin, c'est « qu'il exprime le tout par la partie, et qu'il n'y a rien de plus commun dans les livres et dans le langage ordinaire des hommes (1). » Mais je ne vois pas que dans la matière dont il s'agit et dans le récit qu'on fait de la distribution de l'Eucharistie , il ait trouvé dans les Pères, non plus que Calixte, un seul exemple d'une locution, qui selon lui devrait être si commune.

Voilà deux ministres dans le même embarras. Calixte trouve le corps seul nommé dans la communion d'un malade. M. du Bourdieu trouve la même chose dans la communion domestique. Nous ne nous en étonnons pas. C'est que nous croyons ces deux communions données avec le corps seul : ces ministres n'en veulent rien croire ; tous deux se sauvent par la figure synecdoque ; tous deux sont également destitués d'exemples en cas semblables : que reste-t-il, sinon de conclure que leur synecdoque est imaginaire, et en particulier que si Paulin ne nous parle que du corps seul dans la communion de saint Ambroise, c'est qu'en effet saint Ambroise n'a reçu que le corps seul selon la coutume? S'il nous dit que ce grand homme expira aussitôt après l'avoir reçu, il ne faut point ici chercher de finesse, ni s'imaginer de figure : c'est la simple vérité du fait qui lui fait ainsi naturellement raconter ce qui se passa.

Mais pour achever de convaincre ces ministres, supposons que leur synecdoque soit aussi commune en cas semblable qu'elle y est rare ou plutôt inouïe : voyons si elle convient au passage en question, et à l'histoire de saint Ambroise. Paulin dit a que saint

 

1 Du Bourd., chap. XVII, p. 317.

 

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Honorat s'étant retiré pour le repos de la nuit, une voix du ciel l'avertit que son malade allait expirer; qu'il descendit à l'instant, lui présenta le corps de Notre-Seigneur, et que le saint rendit l’âme incontinent après qu'il l'eut reçu. » Comment n'a-t-il pas dit plutôt qu'il mourut incontinent après qu'il eut reçu le sang précieux, si la chose était en effet arrivée de cette sorte? S'il est aussi ordinaire que le veut Calixte, de n'exprimer que le corps pour signifier la réception du corps et du sang par cette figure qui fait mettre la partie pour le tout : il est aussi naturel que par la même raison et par la même figure, on trouve quelquefois le sang tout seul pour exprimer la réception de l'une et de l'autre espèce. Mais si jamais cela a dû arriver, c'a été principalement à l'occasion de cette communion de saint Ambroise et du récit que Paulin nous en a laissé. Puisqu'il nous voulait montrer la réception de l'Eucharistie si promptement suivie de la mort du Saint, et représenter ce grand homme mourant comme un autre Moïse dans le baiser du Seigneur : s'il eût eu à abréger son discours, il aurait dû l'abréger en finissant par l’endroit par où eût fini la vie du saint évêque, c'est-à-dire par la réception du sang qui est toujours la dernière ; d'autant plus que celle-là supposait l'autre, et que c'eût été en effet incontinent après celle-là que le Saint eût rendu à Dieu son âme bienheureuse. Rien n'eût tant frappé le sens; rien ne se fût plus fortement imprimé dans la mémoire; rien ne fût plutôt venu dans la pensée ; et rien par conséquent n'eût coulé plus naturellement dans le discours. Si donc on ne trouve dans l'histoire nulle mention du sang, c'est qu'en effet saint Ambroise ne le reçut pas.

Calixte s'est bien douté que le récit de Paulin porterait naturellement cette idée dans les esprits (1) ; et c'est pourquoi il ajoute qu'il se peut bien faire qu'on eût apporté au Saint le sang précieux avec le corps comme également nécessaire, mais que saint Ambroise prévenu de la mort, n'eut pas le temps de le recevoir : malheureux refuge d'une cause déplorée ! Si Paulin avait eu cette idée, au lieu de nous faire voir son saint évêque comme un homme qui par un soin spécial de la divine Providence, est mort avec tous

 

1 Du Bourd., chap. XVII, p. 317.

 

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les biens qu'un chrétien pouvait désirer, il aurait marqué au contraire par quelque mot, que malgré l'avertissement céleste et la diligence extrême de saint Honorât, une mort précipitée avait privé le saint malade du sang de son maître, et d'une partie si essentielle de son sacrement. Mais on n'avait point ces idées durant ces temps, et les Saints croyaient tout donner et tout recevoir dans le corps seul.

Ainsi les deux réponses de Calixte sont également vaines. Aussi M. du Bourdieu, son grand sectateur, n'a-t-il osé exprimer ni l'une ni l'autre : et dans l'embarras où le jetait un témoignage si précis, il tâche de se sauver, en répondant seulement que « saint Ambroise reçut la communion comme il put (1) ; » ne songeant pas qu'il venait de dire qu'on avait donné les deux espèces à Sérapion, et qu'il n'eût pas été plus difficile de les donner à saint Ambroise si c'eût été la coutume; outre que si on les eût crues inséparables, comme le prétend ce ministre avec tous ceux de sa religion, il est clair qu'on se serait plutôt résolu à n'en donner aucune des deux qu'à n'en donner qu'une seule. Ainsi toutes les réponses des ministres se tournent contre eux, et M. du Bourdieu ne peut nous combattre sans se combattre lui-même.

Il a néanmoins trouvé un autre expédient pour affaiblir l'autorité de ce passage; et il ne craint pas d'écrire dans un siècle si éclairé, « qu'avant cet exemple de saint Ambroise, on ne trouve aucune trace de la communion des malades dans les ouvrages des anciens (2). » Le témoignage de saint Justin, qui dit dans sa seconde Apologie qu'on portait l'Eucharistie aux absents, ne le touche pas : Car saint Justin, dit-il (3), n'a pas spécifié expressément les malades, comme si leur maladie eût été une raison de les priver de cette commune consolation, et non pas un nouveau motif de la leur donner. Mais que sera-ce de l'exemple de Sérapion? N'est-il pas dit assez clairement qu'il était malade et moribond? Il est vrai, mais c'est « qu'il était de ceux qui avaient sacrifié aux idoles, et qu'il était dans le rang des pénitents (4). » Il faut avoir été idolâtre pour mériter de recevoir l'Eucharistie en mourant, et les fidèles,

 

1 Du Bourd., Rép., chap. XXIII, p. 378. — 2 Ibid. — 3 Ibid., p. 382.— 4 Ibid., p. 383.

 

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qui jamais pendant tout le cours de leur vie ne se sont exclus par aucun crime de la participation de ce sacrement, en seront exclus à la mort, où ils ont le plus de besoin d'un tel secours. Et là-dessus un homme s'étourdit lui-même, et croit avoir fait un docte-travail quand il entasse, comme ce ministre, des exemples de morts racontées, où il n'est point parlé de communion, sans songer qu'en ces descriptions, ce qu'il y a de plus commun, c'est souvent ce qu'on omet le plutôt, et qu'apparemment nous ne saurions pas par le témoignage exprès de Paulin que son évêque avait communié, si cet écrivain n'avait voulu nous marquer le soin particulier que Dieu prit de lui procurer cette grâce.

Mais ce ministre ignore-t-il qu'en ces occasions un seul témoignage positif renverse toute la machine de ces arguments négatifs qu'on bâtit avec tant d'effort sur rien? Et peut-il n'avoir pas vu que le seul exemple de saint Ambroise nous montre une coutume établie, puisque dès que saint Honorât apprit que ce grand homme allait mourir, il entendit, sans qu'il eût besoin qu'on lui parlât de l'Eucharistie, qu'il était temps de la porter à ce saint malade? N'importe, les ministres veulent qu'on doute de cette coutume, afin de donner quelque air de singularité et de nouveauté à une communion trop clairement donnée à un saint et par un saint sous une espèce. Et que dirons-nous de Calixte, qui fait ici l'étonné « de ce que nous osons compter saint Ambroise parmi ceux qui ont communié sous une espèce en mourant (1) ? » N'est-ce pas en effet une hardiesse inouïe de le dire après un grave historien qui a été témoin oculaire de ce qu'il écrit, et qui envoie son histoire à saint Augustin, après l'avoir faite à sa prière? Mais c'est qu'il faut pouvoir dire qu'on a répondu ; et quand on n'en peut plus, c'est alors qu'il faut montrer le plus de confiance.

Enfin, sans tant de discours, on ne reconnaît dans Paulin que l'usage commun de l'Eglise, où l'on ne parle partout que du corps quand il s'agit de ce qu'on gardait pour les malades. Le deuxième concile de Tours célébré en l'an 567, ordonne qu'on place le corps de Notre-Seigneur sur l'autel, non dans le rang des images, non

 

1 Calixt., n. 162.

 

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in imaginario ordine; mais sous la figure de la croix, sub crucis titulo (1). Il y avait, en passant, des images autour des autels, et il y avait une croix dès ces premiers siècles : c'était sous cette figure qu'on réservait le corps de Notre-Seigneur, mais le corps seul ; et c'est pourquoi Grégoire de Tours, évêque de cette église, dans le même temps que ce concile a été tenu, nous parle de a certains vaisseaux en forme de tours, où l'on réservait le ministère du corps de Notre-Seigneur (a), ministerium corporis Christi (2), » c'est-à-dire ce qui y servait, « et qu'on mettait sur l'autel dans le temps du sacrifice, » afin de renouveler les hosties que l'on gardait dans ces vaisseaux pour les malades.

Par l'ordonnance d'Hincmar, célèbre archevêque de Reims, qui vivait au neuvième siècle, on doit « avoir une boîte où se conserve dûment l'oblation sacrée pour le Viatique des malades (3) : » et la boîte et le mot même d’oblation sacrée, à qui entend le langage ecclésiastique, montre assez qu'il ne s'agissait que du corps qu'on exprime ordinairement par ce nom, ou par celui de communion, ou simplement par celui de l’Eucharistie. Le sang était exprimé, ou par son nom naturel, ou par celui de calice.

On trouve dans le même temps un décret de Léon IV, où après avoir parlé du corps et du sang pour la communion ordinaire des fidèles, quand il s'agit des malades, il ne parle plus que « de la boite où le corps de Notre-Seigneur était réservé pour leur Viatique (4). »

 

1 Conc. Tur. II, c. 3; Conc. Gal., Labb., tom. V, col. 853. — 2 Greg. Tur., de Gloria Martyr., lib I, cap. LXXXVI. — 3 Cap. Hincm., art. 7, tom. II; Conc. Gall., Labb., tom. VIII. — 4 Leo, IV hom.

 

(a) La première édition portait : « Le mystère du corps de Notre-Seigneur. » Bossuet a rectifié le premier de ces mots dans la seconde édition; et il dit après le Sixième Avertissement aux protestants, dans la Revue de quelques-uns de ses ouvrages : « On a corrigé un endroit de saint Grégoire de Tours où l'on avait mis mystère au lieu de ministère : faute qui s'était glissée par le rapport de son de ces deux mots, sans que le sens parût altéré. » Et dans la Tradition défendue sur lu matière de la communion sous une espèce : « Je ne dois pas oublier que dans l’endroit du Traité de la communion, où j'ai rapporté cette histoire, il est arrivé une chose assez ordinaire à l'imprimerie ; c'est que le rapport des mots de ministère et de mystère a fait qu'on a mis ce dernier pour l'autre; et le sens était si parfait des deux manières, que d'abord je n'ai pas pris garde à cette bévue. Je l'ai pourtant fait corriger, il y a longtemps, dans la version anglaise... »

 

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Cette ordonnance est répétée au siècle suivant par le célèbre Rathier évêque de Vérone (1) ; et quelque temps après sous le roi Robert, un concile d'Orléans parle des cendres d'un enfant brûlé, que des hérétiques abominables gardaient « avec autant de vénération que la piété chrétienne en a dans la coutume de conserver le corps de Notre-Seigneur pour le Viatique des mourants (2). » On trouve encore ici le corps et le sang exprimés dans la communion ordinaire des fidèles, et le corps seul pour celle des malades.

A toutes ces autorités, il faut joindre celle de l'Ordre romain s, qui n'est pas petite, puisque c'est l'ancien cérémonial de l'Eglise romaine, cité et expliqué par des auteurs de huit à neuf cents ans. On y voit en deux endroits le pain consacré partagé en trois parties : l'une qu'on distribuait au peuple, l'autre qu'on mettait dans le calice, non pour la communion du peuple, mais pour le prêtre seul, après qu'il avait pris séparément le pain sacré, comme nous faisons encore aujourd'hui, « et la troisième qu'on réservait sur l'autel. » C'était celle qu'on gardait pour les malades, qu'on appelait aussi pour cette raison la part des mourants, comme dit le Micrologue (4), auteur de l'onzième siècle, et qui était consacrée à l'honneur de Jésus-Christ enseveli, comme les deux autres représentaient sa conversation sur la terre et sa résurrection. Ceux qui ont lu les anciens interprètes des cérémonies ecclésiastiques entendent ce langage et le mystère de ces saintes observances.

L'auteur de la Vie de saint Basile observe aussi que ce grand homme sépara le pain consacré en trois parties, dont il suspendit la troisième sur l'autel dans une colombe d'or qu'il avait fait faire (5). Cette troisième partie du pain sacré, qu'il y fit mettre, était visiblement celle qu'on réservait pour les malades; et ces colombes d'or pendues sur l'autel sont anciennes dans l'Eglise grecque, comme il paraît par un concile de Constantinople tenu par Mennas, sous l'empire de Justinien (6). On voit aussi ces colombes parmi les Latins, à peu près dans le même temps ; tous nos auteurs en font mention ; et le testament de Perpétuus,

 

1 Spicil., tom. II, p. 261; Labb., tom. IX, col. 1208. — 2 Gest. Conc. Aurel., ibid., 673; Labb., ibid., col. 830 et seq. — 3 Bib. PP., part., tom. de Div. off. — 4 Microlog., de Ecc. observ., 17, tom. XVIII, max. 616.— 5 Amphil., Vit. S. Basil. — 6 Conc. CP., sub Menna, act. 5; tom V, Conc., Labb., col. 159.

 

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évêque de Tours, marque parmi les vaisseaux et les instruments qu'on employait au sacrifice, une colombe d'argent qui servait à la réserve, ad repositorium (1).

Au reste sans m'arrêter au nom d'Amphilochius contemporain de saint Basile, auquel la Vie de ce Saint est attribuée, je veux bien que le passage tiré de cette Vie ne vaille que pour le temps auquel cette histoire, quel qu'en puisse être l'auteur, a été écrite. Qu'on dise même, si l'on veut, que cet auteur donne à saint Basile ce qui se faisait au temps dans lequel cette Vie a été composée, c'en est. assez en tout cas pour confirmer, ce qui est certain d'ailleurs, que la coutume de ne réserver que la seule espèce du pain pour les malades est d'une grande antiquité dans l'Eglise grecque, puisque cette Vie de saint Basile se trouve déjà traduite en latin du temps de Charles le Chauve, et citée par Enée évêque de Paris , célèbre en ce temps par sa piété et par sa doctrine, qui rapporte (2) même l’endroit de cette Vie où il est parlé de ces colombes et du sacrement de Notre-Seigneur qu'on y tenait suspendu sur l'autel (a).

Et afin que la tradition des premiers et des derniers siècles paroisse conforme en tout, comme on a vu dans les premiers siècles, dans l'histoire de Sérapion et dans le concile de Carthage, qu'en communiant les malades sous la seule espèce du pain on la détrempait en quelque liqueur : la même coutume paraît encore dans la suite.

 

1 Test. Perp., tom. IV Spicil. — 2 Aeneas, episc. Par., lib. adv. Grœc, tom. IV Spicil., p. 80, 81.

(a) Déforis ajoute ces mots de la première édition : « On peut rapporter à la même chose les ciboires marqués parmi les présents que Charlemagne fit à l'Eglise romaine, et toute l'antiquité est pleine d'exemples pareils. » Bossuet a rejeté ce passage dans la seconde édition de son ouvrage ; et il dit dans la Tradition défendue sur la matière de la communion sous une espèce, partie II, chapitre XX : « Quelques auteurs de grand nom et de grand savoir s'étant servis des ciboires mentionnés dans les anciens livres pour établir la réserve, leur autorité avait fait que je n'avais pas rejeté entièrement cette preuve et que j’avais cru pouvoir m'en servir, en disant : On peut rapporter à la même chose, etc. Mais ayant mieux pensé, je ne vois rien de semblable à nos ciboires dans aucun exemple de ce mot que j'aie trouvé dans les anciens livres par les soins de mes amis ou par les miens, et la bonne foi m'oblige à le reconnaître. Dans la multitude des preuves que nous avons de la tradition, nous n'aurons pas beaucoup à regretter celle-ci, et en tout cas j’en rapporterai que nous pouvons mettre à la place. »

 

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On la voit dans les anciennes coutumes de Cluny, il y a plus de six cents ans (1). Il y en a plus de cinq cents qu'elles ont été rédigées par saint Udalric, moine de cet ordre, sur des mémoires plus anciens ; et ce livre est cité sans aucun reproche dans l'Histoire de l'Eucharistie du ministre de la Roque (2). Il est marqué dans ce livre que les religieux infirmes ne recevaient que le corps qu'on leur donnait trempé dans du vin non consacré. On y voit aussi une coupe dans laquelle on le détrempait; et c'est ainsi que les religieux du plus saint et du plus célèbre monastère qui fût au monde communiaient leurs malades. On peut juger par là de la coutume du reste de l'Eglise. En effet on trouve partout cette même coupe qu'on parlait pour la communion des malades (3), mais qui ne sert qu'à leur donner le pain consacré dans du vin qui ne l'était pas, pour faciliter le passage de cette viande céleste.

Les Grecs ont retenu cette tradition aussi bien que les Latins ; et comme leur coutume inviolable est de ne consacrer l'Eucharistie pour les malades qu'au seul jour du Jeudi saint, ils mêlent l'espèce du pain toute desséchée pendant un si long temps, ou avec de l'eau, ou avec du vin non consacré. Pour ce qui est du vin consacré, on voit bien qu'il ne se pourrait conserver si longtemps, surtout dans ces pays chauds ; de sorte que leur coutume, de ne consacrer pour les malades qu'à un seul jour de l'année, les oblige à les communier toujours sous une seule espèce, c'est-à-dire sous celle du pain, qu'ils n'ont pas de peine à garder, leur sacrifice en pain levé se conservant mieux que nos azymes, après le dessèchement dont nous venons de parler.

Il est vrai (car il ne faut rien dissimuler) qu'à présent ils font une croix avec le sang précieux sur le pain sacré qu'ils réservent pour les malades. Mais outre que ce n'est pas donner à boire le sang de Notre-Seigneur, comme il est porté dans l'Evangile, ni marquer la séparation du corps et du sang, qui seule persuade à nos réformés la nécessité des deux espèces : on voit assez qu'au

 

1 Ant. Consuetud. Cluniac., lib. III, cap. XXVIII; tom IV, Spicil.— 2 Hist. Euch., I part., cap XVI, p. 183.— 3 Constit. Odon. Paris. epics., cap. V, art. 3; tom. X Conc., Labb., col. 1802 et seq.; Constit. Episc. anon., tom. XI, col. 546 et seq.; Syn. Bajoc., cap. LXXVII; ibid., II part., col. 1461.

 

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bout d'un an il ne reste rien d'une ou deux gouttes du sang précieux qu'on met sur le pain céleste, et qu'il ne demeure pour les malades qu'une seule espèce. A quoi il faut ajouter qu'après tout cette coutume des Grecs, de mêler un peu de sang au sacré corps, dont on ne voit rien dans leurs anciens Pères ni dans leurs anciens canons, est nouvelle parmi eux ; et nous aurons quelque occasion de le faire mieux paraître dans la suite.

Ceux qui nient tout pourront nier ces observances de l'Eglise grecque, mais elles ne laissent pas d'être indubitables; et on ne peut en disconvenir sans une insigne mauvaise foi, pour peu qu'on ait lu les Eucologes des Grecs, ou qu'on soit instruit de leurs rites.

Et pour l'Eglise latine, tout est plein dans les conciles des précautions nécessaires pour conserver le corps de Notre-Seigneur, pour le porter avec le respect et la bienséance convenables, et lui faire rendre par le peuple l'adoration qui lui est due. On parle aussi de la boîte et des linges où on le gardait, et du soin que les prêtres devaient avoir de renouveler les hosties tous les huit jours en consumant les anciennes, avant que de boire la coupe sacrée : on marque même comme il faut brûler les hosties trop longtemps gardées, et en réserver les cendres sous l'autel (1), sans que, parmi tant d'observances, il soit jamais parlé, ni des fioles pour y conserver le sang précieux, ni d'aucunes précautions pour le garder, encore qu'il nous soit donné sous une espèce plus capable d'altération.

Il faut rapporter à la même chose un canon que tous les ministres nous objectent : c'est un canon d'un concile de Tours qui se trouve non dans les volumes des conciles, mais dans Burchard et Ives de Chartres, compilateurs de canons de l'onzième siècle (2). Ce canon dit, comme les autres, que « l'oblation sacrée qui est réservée pour les malades; » c'est-à-dire l'espèce du pain, comme

 

1 Conc. sub Edg. Rege, can. 38. tom. IX Conc., col. 685; Conc. Bitur., cap. II, ibid., col. 865; Constit. Odon, Paris,  episc, tom. X, col. 1802; Constit. Episc., anon. tom. XI, col. 546; Innoc. IV, ep. X, ibid., col. 613; I Conc. Lambeth., cap I, ibid., col. 30; Synod. Oxon., cap.  IV, ibid., II part., col. 2093; Synod. Bajoc., cap. XII, 77, col. 1452 et 1461; Conc. Raven.  II ibid. col. 1582, rub. 7 ; Conc. Vaur., cap. LXXXV, ibid., col. 2009.— 2 Burch., Col. Can., lib. V, cap. IX; Ivo, Decr., II part., cap  XIX.

 

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la suite le fait paraître, « doit être renouvelée tous les huit jours : » mais il ajoute, ce qu'on ne trouve nulle part ailleurs en Occident, « qu'il la faut tremper dans le sang, afin de pouvoir dire véritablement qu'on donne le corps et le sang. »

Si ce canon nous embarrassait, nous pourrions dire avec Aubertin, ce qui est très-vrai, que Burchard et Ives de Chartres ramassent beaucoup de choses sans choix et sans jugement, et nous donnent beaucoup de pièces sous le nom des anciens, qui n'en sont pas (1). » Mais pour agir en tout de bonne foi, il faut dire que ce canon si exactement transcrit par ces auteurs, n'est pas faux, et dire aussi qu'il n'est pas de ceux qui ont été suivis, puisqu'on ne voit rien de semblable dans tous les autres.

Déjà ce canon , qui ne paraît que dans les compilations, constamment n'a pas été fait beaucoup de temps auparavant ; et le seul mélange du corps et du sang montre assez combien il est au-dessous de la première antiquité. Mais de quelque temps qu'il soit, il paraît qu'avant qu'il fût fait, la coutume était de nommer le corps et le sang, même en ne donnant que le corps, et cela par l'union naturelle de la substance et de la grâce de l'un et de l'autre. On voit néanmoins que ce concile eut quelque scrupule de cette expression, et crut qu'en exprimant les deux espèces, il les fallait en quelque façon donner toutes deux. En effet il est véritable qu'en un certain sens, pour pouvoir nommer le corps et le sang, il faut donner les deux espèces, puisque le dessein naturel de cette expression est de dénoter ce que chacune d'elles contient en vertu de l'institution. Mais on m'avouera que c'était un faible secours pour la conservation des deux espèces, que de les mêler de cette sorte pour les laisser dessécher durant huit jours; et en tout cas que cette partie du canon, qui contient une coutume si particulière, ne peut préjudicier à tant de décrets où, non-seulement on ne voit rien d'approchant, mais encore où on voit tout le contraire.

Ce qui est très-assuré, c'est que ce canon fait voir qu'on ne croyait pas pouvoir aisément conserver le sacré breuvage en sa propre espèce, et qu'on s'attachait principalement à garder le

 

1 Aubert., de Euch., lib. II, in Exam. Pii, p. 288.

 

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pain sacré. Pour le surplus qui regarde le mélange, ce que nous avons dit pour les Grecs revient encore ; et toute la subtilité des ministres ne peut empêcher qu'il ne demeure toujours certain par ce canon, qu'on ne se croyait astreint ni à faire boire le communiant, ni à lui donner le sang séparé du corps , pour marquer la mort violente de Notre-Seigneur, ni enfin à lui donner en effet aucune liqueur, puisqu'après huit jours on voit assez qu'il ne rétait rien flans l'oblation que de sec et de solide. Tellement que ce canon tant vanté par les ministres, sans rien faire contre nous, ne sert qu'à montrer la liberté que croyaient avoir les églises dans l'administration des espèces sacrées de l'Eucharistie.

Après toutes les remarques que nous avons faites, il doit passer pour constant, que ni les Grecs, ni les Latins n'ont jamais cru que tout ce qui est écrit dans l'Evangile pour la communion des deux espèces, fût essentiel et expressément commandé; et au contraire qu'on a toujours cru dès les premiers siècles qu'une seule espèce était suffisante pour une légitime communion, puisque la coutume était de n'en garder et de n'en donner qu'une seule aux malades.

Il ne sert de rien d'objecter que souvent on leur portait les deux espèces, et même en général qu'on les portait aux absents. Saint Justin y est exprès (1), je le confesse : mais pourquoi nous alléguer ces faits inutiles ? C'est autre chose qu'on ait porté selon saint Justin , les deux espèces du sacrement au même temps, comme dit M. de la Roque (2), qu'on l'avait célébré dans l'Eglise : autre chose qu'on les ait pu réserver aussi longtemps qu'il fallait pour les malades et que ce fût la coutume de le faire, surtout dans un temps où la persécution ne permettait pas que les assemblées ecclésiastiques fussent fréquentes. Il faut dire la même chose de saint Exupère , évêque de Toulouse , dont saint Jérôme a écrit qu'après avoir vendu les riches vaisseaux de l'Eglise pour racheter les captifs et pour soulager les pauvres, « il portait le corps de Notre-Seigneur dans un panier et le sang dans un vase de verre (3). » Il les portait, dit saint Jérôme; mais il ne dit pas

 

1 Just., Apol. I, n. 65, p. 82 et seq. — 2 Hist. de l'Euch., I part., chap. XV. p. 176. — 3 Hier., ep. IV, nunc XCV.

 

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qu'il les gardât, qui est notre question : et j'avoue que lorsqu'on avait à communier les malades dans des circonstances où ils pussent commodément recevoir les deux espèces sans être aucunement altérées, on n'en faisait point de difficulté. Mais il n'est pas moins assuré par la commune déposition de tant de témoins, que comme l'espèce du vin ne pouvait pis être aisément gardée, la communion ordinaire des malades se faisait comme celle de Sérapion et comme celle de saint Ambroise, sous la seule espèce du pain.

En effet nous lisons bien dans la Vie de Louis VI, appelé le Gros, écrite par Suger, abbé de Saint-Denis, que dans la dernière maladie de ce prince on lui porta le corps et le sang de Notre-Seigneur : mais nous y voyons aussi que ce fidèle historien se croit obligé d'en rendre raison, et d'avertir « que ce fut en sortant de dire la messe qu'on les apporta dévotement en procession dans la chambre du malade (1) : » ce qui nous doit faire entendre de quelle sorte on en usait hors de ces occasions.

Mais ce qui met la chose hors de doute, c'est que M. de la Roque au fond convient avec nous du fait dont il s'agit (2). Il n'y a pas plus de difficulté à communier les malades sous la seule espèce du pain que sous la seule espèce du vin; pratique que ce curieux observateur nous montre au septième siècle dans l'onzième concile de Tolède , canon XI (3). Il en dit autant de l'onzième siècle et du pape Pascal II, auquel il fait aussi permettre la même chose pour les petits enfants (4). Loin d'improuver ces pratiques, il prend soin de les défendre, et les excuse lui-même sur une nécessité invincible, comme si l'on ne pouvait pas détremper quelque parcelle du pain sacré, de manière qu'un malade, et même un enfant, la put avaler presque aussi facilement que le vin. Mais c'est qu'il fallait trouver quelque défaite pour nous empêcher de conclure de ses propres observations, que l'Eglise croyait avoir une pleine liberté de donner une espèce seule, sans préjudice de l'intégrité de la communion.

 

1 Hist. Fr. Script., tom. IV. — 2 Hist. Euch., I part., chap. XII, p. 150, 160. — 3 Conc. Tolet., XI, cap. XI; Concil. Labb., tom.VI, col. 552.— 4  Pasc. II, ep. XXXII, ad Pont ; Concil. Labb., tom. X, col. 656.

 

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Voilà ce que nous trouvons sur la communion des malades dans la tradition de tous les siècles. Si quelques-unes des pratiques que j'ai observées sur le respect qu'on avait pour l'Eucharistie étonnent nos réformés, et leur paraissent nouvelles, je m'engage à leur montrer bientôt en peu de mots, car la chose n'est pas difficile, que le fond en est ancien dans l'Eglise, ou plutôt qu'il n'y a jamais commencé. Mais à présent, pour ne point sortir de notre matière, il me suffit de leur faire voir, en comparant seulement les observances des premiers et des derniers siècles, une continuelle tradition de communier ordinairement les malades sous la seule espèce du pain; quoique l'Eglise toujours bonne à ses enfants, si elle eût cru les deux espèces nécessaires, les aurait plutôt fait consacrer extraordinairement dans la chambre du malade, comme on l'a en effet souvent pratiqué (1), que de les priver de ce secours : au contraire, elle l'eût donné d'autant plus volontiers aux moribonds qu'ils avaient à soutenir un plus grand combat, et qu'au moment de leur départ ils avaient le plus de besoin de leur Viatique.

Au reste je ne crois pas que Messieurs de la religion prétendue réformée veuillent ici nous inquiéter sur l'altération des espèces, dont nous aurons souvent à parler dans ce discours. Les chicanes dont ils remplissent leurs livres sur ce point ne regardent pas notre question, mais celle de la présence réelle : d'où même, à parler de bonne foi, elles devraient être retranchées il y a longtemps; étant clair, comme je l'ai déjà remarqué, que le Fils de Dieu, qui ne voulait faire dans ce mystère aucun miracle sensible, n'a pas dû se laisser forcer à découvrir, par quelque rencontre que ce fût, ce qu'il voulait expressément cacher à nos sens, ni par conséquent rien changer dans ce qui arrive ordinairement à la matière dont il lui a plu de se servir pour laisser son corps et son sang à ses fidèles.

Il n'y a personne de bon sens, qui avec un peu de réflexion ne dût entrer de lui-même dans cette pensée, et en même temps demeurer d'accord que ces indécences prétendues qu'on fait tant valoir contre nous, ne sont bonnes qu'à émouvoir le sens humain;

 

1 Cap. Ahytonis Basil., ep. temp. Car. Mag., cap. XIV, tom. VI Spicil.

 

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mais qu'au fond elles sont trop au-dessous de la majesté de Jésus-Christ, pour arrêter le cours de ses desseins et le désir qu'il a de s'unir à nous d'une façon particulière.

Il arrive si souvent dans ces matières, et surtout à nos réformés, de passer d'une question à une autre, que je me crois obligé de les renfermer dans notre question par cet avis. La même raison m'oblige aussi à les prier de ne tirer pas avantage de l'expression de pain et de vin qui reviendra si souvent, puisqu'ils savent que même en croyant, comme nous faisons, le changement de substance , il nous est autant permis de laisser aux choses changées leur premier nom, qu'il l'a été à Moïse d'appeler verge une verge devenue serpent (1), ou d'appeler eau une eau devenue sang (2), ou d'appeler hommes des anges qui le paraissent (3), pour ne point ici alléguer saint Jean, qui appelle le vin des noces de Cana de l’eau faite vin (4). Il est naturel aux hommes, pour faciliter le discours, d'abréger les phrases et de parler selon les apparences, sans qu'on se puisse prévaloir de ces manières de parler ; et je ne crois pas que personne voulût objecter à un philosophe, défenseur du mouvement de la terre, qu'il renverse son hypothèse quand il dit que le soleil se lève ou se couche.

Après cette légère interruption, où le désir de procéder nettement m'a engagé, je retourne à ma matière et aux faits que j'ai promis d'expliquer, pour montrer dans l'antiquité la communion sous une espèce.

Le second fait que j'avance est que, lorsqu'on donnait la communion aux petits enfants baptisés, on ne leur donnait dans les premiers temps, et même ordinairement dans tous les siècles sui-vans, que la seule espèce du vin. Saint Cyprien, qui a souffert le martyre au troisième siècle, autorise cette pratique dans son traité de Lapsis (5). Ce grand homme nous y représente avec une gravité digne de lui, ce qui était arrivé dans l'Eglise, et en sa présence, à une petite fille à qui on avait fait prendre quelque parcelle trempée du pain offert aux idoles. Sa mère, qui n'en savait rien, ne laissa pas de la porter selon la coutume dans

 

1 Exod., VII, 12. — 2 Ibid., 21, 24. — 3 Genes., XVIII, 2, 16. —  4 Joan., II, 9. — 5 Cypr., tract. de Lapsis., p. 189.

 

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l'assemblée de l'Eglise. Mais Dieu, qui voulait montrer par un signe miraculeux combien on était indigne de la société de ses fidèles, après avoir participé à la table impure des démons, fit paraître dans cet enfant une agitation et un trouble extraordinaire durant la prière : « comme si, dit saint Cyprien, au défaut de la parole elle se fût sentie pressée de déclarer par ce moyen , comme elle pouvait, le malheur où elle était tombée. » Cette agitation , qui ne cessa point durant toute la prière, s'augmenta à l'approche de l'Eucharistie, où Jésus-Christ était si présent. Car, poursuit saint Cyprien, « après les solennités accoutumées , le diacre, qui présentait aux fidèles la coupe sacrée , étant venu au rang de cet enfant, » Jésus-Christ qui sait se faire sentir à qui il lui plaît, fit ressentir à l'enfant à ce moment une terrible impression de sa majesté présente. « Elle détourna sa face, dit saint Cyprien, comme ne pouvant supporter une telle majesté ; elle ferma la bouche, elle refusa le calice. » Mais après qu'on lui eut fait avaler par force quelques gouttes du précieux sang, « elle ne le put retenir, ajoute ce Père, dans des entrailles souillées ; tant est grande la puissance et la majesté de Notre-Seigneur. » Le corps de Jésus-Christ n'aurait pas dû faire de moindres effets; et saint Cyprien, qui nous représente avec tant de soin et tant de force tout ensemble le trouble de cet enfant durant toute la prière, ne nous marquant cette émotion extraordinaire que l'Eucharistie lui causa qu'à l'approche et à la réception du sacré calice, sans dire un seul mot du corps, montre assez qu'en effet on ne lui offrit pas une nourriture peu convenable à son âge.

Ce n'est pas qu'on ne pût assez aisément faire avaler aux enfants le pain sacré en le détrempant, puisque même il paraît dans cette histoire que la petite fille dont il s'agit avait pris de cette manière du pain offert aux idoles. Mais loin que cela nous nuise, c’est au contraire ce qui fait voir combien on était persuadé qu'une seule espèce était suffisante, puisque n'y ayant en effet aucune impossibilité à donner le corps aux petits enfants, on se déterminait si aisément à ne leur donner que le sang. Il suffisait que le solide fut peu convenable à cet âge : et d'ailleurs comme on eût été obligé pour faire avaler aux enfants le pain sacré, à le leur

 

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donner détrempé, en ces siècles où nous avons vu qu'on ne songeait pas seulement au mélange des deux espèces, il leur eût fallu prendre une liqueur ordinaire avant la liqueur sacrée du sang de Notre-Seigneur contre la dignité d'un tel sacrement, qu'on a toujours cru dans l'Eglise « devoir entrer en nos corps avant toute autre nourriture (1). » On l'a, dis-je, toujours cru ; et non-seulement du temps de saint Augustin, dont nous avons emprunté ce que nous venons de dire, mais du temps de saint Cyprien lui-même, comme il paraît dans sa lettre à Cécilius (2), et devant saint Cyprien, puisqu'on trouve dans Tertullien le pain sacré que les fidèles prenaient en secret avant toute autre nourriture (3); et en un mot, devant eux tous, puisque tous en parlent comme d'une chose établie. Cette considération pour laquelle seule on ne donnait que le sang aux petits enfants, quelque forte qu'elle soit en elle-même, eût été vaine contre un commandement divin. On croyait donc très-certainement qu'il n'y avait point de commandement divin d'unir ensemble les deux espèces.

M. de la Roque voudrait pouvoir dire, sans néanmoins l'oser faire nettement, qu'on mêlait le corps au sang pour les enfants, et soupçonne « qu'on le pourrait recueillir des paroles de saint Cyprien (4), » quoiqu'il n'y ait pas, comme on voit, une syllabe qui tende à cela. Mais outre que la discipline du temps ne souffrait pas ce mélange, saint Cyprien ne parle que du sang : « C'est le sang qui ne put demeurer, dit-il, dans des entrailles souillées; » et la distribution du sacré calice, à laquelle seule cet enfant eut part, est trop clairement marquée pour laisser le moindre lieu à la conjecture que M. de la Roque a voulu faire. Ainsi l'exemple est précis : la coutume de donner la communion aux petits enfants sous la seule espèce du vin ne peut être contestée; et le doute qu'on voudrait mettre sans aucun fondement dans les esprits, montre seulement l'embarras où l'on est jeté par la grande autorité de saint Cyprien et de l'Eglise de son temps.

Certainement M. de la Roque aurait agi de meilleure foi, s'il s'en était tenu à l'idée qui lui était venue naturellement. La

 

1 August., ep. CXVIIl, nunc LIV, ad Januar., n. 8. — 2 Ep. LXIII, p. 106 et seq. — 3 Lib. II ad Uxorem, n. 5.— 4 Hist. Euch., I part., chap. XII, p. 145.

 

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première fois qu'il avait parlé du passage de saint Cyprien, il nous avait dit : « qu'on fit couler par force dans la bouche de l'enfant quelque chose du sacré calice (1), » c'est-à-dire, sans difficulté, quelques gouttes du précieux sang pur et sans mélange, tel qu'on le présentait au reste du peuple, qui avait déjà reçu le corps. Et d'ailleurs nous venons de voir que ce ministre ne blâme pas le pape Pascal II, qui selon lui permettait de communier les petits enfants sous la seule espèce du vin : tant il a senti en sa conscience que cette pratique n'avait point de difficulté.

Quant à M. du Bourdieu, le passage de saint Cyprien avait aussi fait d'abord son effet dans son esprit ; et ce passage lui ayant été objecté par un catholique, ce ministre était convenu naturellement dans une première réponse, qu'en effet on n'avait donné à cet enfant que le seul vin consacré (2). Il se sauvait, en disant que les anciens, qui croyaient la communion- absolument nécessaire aux petits enfants, la leur donnaient comme ils pouvaient; que ce fut pour cette raison que le diacre de saint Cyprien, croyant cet enfant damné s'il mourait sans l'Eucharistie, « lui ouvrit par force la bouche pour y verser un peu de vin, et qu'un cas de nécessité, un cas singulier ne peut avoir le nom de coutume (3). » Que d'efforts pour éluder une chose claire ! Où sont ces raisons extraordinaires que le ministre a voulu ici s'imaginer? Y a-t-il seulement un mot dans saint Cyprien qui marque le péril de l'enfant, comme le motif de lui donner la communion? Ne paraît-il pas au contraire par tout le discours, que ce saint sacrement ne lui fut donné que parce que c'était la coutume de le donner à tous les enfants toutes les fois qu'on les apportait aux assemblées ? Pourquoi M. du Bourdieu veut-il deviner que cette petite fille n'avait jamais communié (4)? N'était-elle pas baptisée? N'était-ce pas la coutume de donner la communion avec le baptême, même aux enfants? Que sert donc de parler ici de la crainte qu'on eut qu'elle ne lut damnée, manque d'avoir reçu l'Eucharistie, puisqu'on la lui avait déjà donnée en lui donnant le baptême? Est-ce qu'on

 

1 Hist. Euch., I part., cap. XI, p. 136 ; cap. XII, p. 150. — 2 Du Bourd., 1 réponse, p. 37 ; et Rep., chap. XX, p. 341. — 3 Ibid., XX, p. 344 . —  4 Chap. XX, p. 345.

 

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croyait aussi dans l'ancienne Eglise qu'il ne suffit pas au salut d'un enfant d'avoir communié une fois, et qu'il était damné si on ne lui réitérait la communion? Quelles chimères inventent les hommes plutôt que de céder à la vérité, et avouer leur erreur de bonne foi ? Mais à quel propos nous jeter ici sur la question de la nécessité de l'Eucharistie, et sur l'erreur où l'on veut que saint Cyprien ait été en ce point? Quand il serait vrai que ce saint martyr et l'Eglise de son temps aurait cru la communion absolument nécessaire aux enfants, quel secours en tirerait M. du Bourdieu? Et qui ne voit au contraire, que si les deux espèces sont essentielles à la communion, comme le soutiennent les prétendus réformés, plus on croira la communion nécessaire aux petits enfants, moins on se dispensera de leur donner ces deux espèces? M. du Bourdieu a bien senti cette conséquence si contraire à sa prétention ; et dans sa seconde Réplique il a voulu deviner, quoique saint Cyprien n'en ait rien dit et contre toute la suite de son discours, que cette petite fille, quand elle fut si cruellement et si miraculeusement tourmentée après la prise du sang, avait déjà reçu le corps sans qu'il lui en fût arrivé aucun mal : où en est-on quand on fait de telles répliques ?

Mais pourquoi disputer davantage? Il n'y a point de meilleure preuve, ni de meilleure interprète de la coutume que la coutume elle-même ; je veux dire que rien ne démontre plus qu'une coutume vient des premiers siècles, que lorsqu'on la voit naturellement durer jusqu'aux derniers. Celle de communier les petits enfants sous la seule espèce du vin, que nous voyons établie au troisième siècle, et du temps de saint Cyprien, demeura toujours si commune, qu'on la trouve dans toute la suite. On la trouve au cinquième ou sixième siècle, dans le livre de Jobius, où ce docte religieux en racontant les trois sacrements qu'on donnait d'abord dans un temps où le christianisme étant établi on ne baptisait guère, non plus qu'à présent, que les enfants des fidèles, parle ainsi : « Ou nous baptise, dit-il ; après on nous oint, » c'est-à-dire on nous confirme, « et enfin on nous donne le sang précieux (1). » Il ne fait aucune mention du corps, parce qu'on ne le donnait

 

1 Jobius, de Verb. incarn., lib. III, cap. XVIII; Bibl. Phot., cod. 222.

 

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point aux enfants. C'est pourquoi il prend grand soin dans le même endroit d'expliquer comment le sang peut être donné, même avant le corps ; ce qui n'ayant aucun lieu dans la communion des adultes, ne se trouvait que dans celle que les fidèles avaient tous reçue avec le sang tout seul dans leur enfance. Ainsi la coutume du troisième siècle a déjà passé au sixième, elle n'en demeure pas là ; on la trouve jusqu'aux derniers temps et encore à présent, dans l'Eglise grecque. Allatius, catholique, et Thomas Smith, Anglais, prêtre protestant, le rapportent également tous deux après un grand nombre d'auteurs (1), et il n'y a point de difficulté.

        Il est vrai que M. Smith a varié dans sa seconde édition. Car on a eu peur en Angleterre d'autoriser un exemple dont nous nous servons pour établir la communion sous une espèce. M. Smith après avoir remarqué dans sa préface l'avantage que nous en tirons (2), croit pouvoir nous l'ôter par deux ou trois témoignages assez faibles de Grecs fort récents, qui ont étudié en Angleterre, ou qui y résident et dont les écrits sont imprimés dans des villes protestantes.

Le dernier des témoignages qu'il allègue est celui d'un archevêque de Samos, que nous avons trop vu en ce pays-ci, pour compter beaucoup sur sa capacité, non plus que sur sa bonne foi. Il est présentement établi à Londres; et M. Smith nous rapporte une lettre qu'il lui a écrite, où il dit qu'après le baptême des enfants, le prêtre « tenant le calice où est le sang avec le corps de notre Sauveur réduit en petites particules, y prend dans une petite cuiller une goutte de ce sang ainsi mêlé, de sorte qu'il se trouve dans cette cuiller quelques petites miettes du pain consacré ; ce qui suffit à l'enfant pour participer au corps de Notre-Seigneur. » M. Smith ajoute que ces miettes sont si petites, « qu'on ne peut pas même les apercevoir à cause de leur petitesse, et qu'elles s'attachent à la cuiller, quelque peu qu'elle soit trempée dans cette sainte liqueur. » Voilà tout ce qu'on a pu tirer d'un Grec qu'on entretient à Londres, et de M. Smith, en faveur de la communion

 

1 Allat., tract. de Cons. Utr. Eccl., Annot. de comm. Oriental.; Thom. Smith., epics. de Eccles. Gr. Stat., hod., p. 104, I edit. ; Hug. de S. Vict., Erudit. theol., lib. I, cap. XX; Bib. PP., par. de Div. Offic. — 2 Prœf., II edit., init.

 

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donnée sous les deux espèces aux enfants baptisés dans l'Eglise grecque : c'est qu'on leur donne le sang dans lequel le corps est mêlé, avec si peu de dessein de leur donner ce corps sacré, qu'on ne leur en donne « aucune partie de celles qu'on voit nager dans la liqueur sainte, et qu'on présente aux adultes, » comme dit M. Smith lui-même. On se contente de présumer qu'il s'attache à la cuiller de l'enfant quelque particule insensible du pain consacré : voilà ce qu'on appelle les communier sous les deux espèces. En vérité M. Smith n'eût-il pas aussi bien fait de ne rien changer dans son livre? Et tout homme de bon sens ne croira-t-il pas s'en devoir tenir à ce qu'il a dit naturellement dans sa première édition, d'autant plus qu'on le voit conforme à l'ancienne tradition que nous avons exposée?

Que si on trouve la communion des petits enfants sous la seule espèce du vin dans l'Eglise grecque, on ne la trouve pas moins parmi les Latins. On la trouve selon M. de la Roque, dans les décrets du pape Pascal II, comme nous venons de le voir, c'est-à-dire dans l'onzième siècle. On la trouve jusqu'au douzième siècle dans la même Eglise latine ; et Hugues de Saint-Victor, tant loué par saint Bernard, dit expressément que l'on ne donnait le saint Sacrement aux petits enfants baptisés, « que sous l'espèce du sang,» enseignant aussi dans la suite « que sous chaque espèce on reçoit ensemble le corps et le sang (1). »

On voit la même doctrine avec la même manière de communier les petits enfants, dans Guillaume de Champeaux, évêque de Châlons, intime ami du même saint Bernard. Le Père Mabillon, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, dont on ne peut non plus révoquer en doute la bonne foi que la capacité, a trouvé dans un ancien manuscrit un long passage de ce digne évêque, l'un des plus célèbres de son temps en piété et en doctrine, où il enseigne « que qui reçoit une seule espèce, reçoit Jésus-Christ tout entier, parce que, poursuit-il, on ne le reçoit ni peu à peu ni en partie, mais on le reçoit tout entier sous une ou sous deux espèces : d'où vient qu'on ne donne que le seul calice aux enfants nouvellement baptisés, parce qu'ils ne peuvent prendre le pain ;

 

1 Hug. de S. Vict., Erud. theol., lib. III, cap. XX.

 

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mais ils n'en reçoivent pas moins Jésus-Christ tout entier dans le seul calice (1). »

Les ministres embarrassés par ces pratiques qu'on trouve établies sans aucune contradiction dans tous les siècles passés, nous jettent ordinairement sur des questions incidentes, pour nous détourner de la question principale (2). Ils exagèrent l'abus de la communion des petits enfants, car c'est ainsi qu'ils l'appellent contre l'autorité de tous les siècles ; abus qu'ils disent fondé sur la grande et dangereuse erreur de la nécessité absolue de recevoir l'Eucharistie dans tous les âges (3), à peine de damnation éternelle, qui selon eux est l'erreur de saint Cyprien, de saint Augustin, du pape saint Innocent, de saint Cyrille , de saint Chrysostome, de saint Césaire, évêque d'Arles, et non-seulement de plusieurs Pères, mais encore de plusieurs siècles. O sainte antiquité et Eglise des premiers siècles trop hardiment condamnée par les ministres, sans qu'il leur en revienne autre chose que le plaisir d'avoir fait croire à leurs peuples que l'Eglise pouvait tomber dans l'erreur, même dans ses plus beaux temps ! Car au fond, que servait cette discussion à notre sujet? L'ancienne Eglise croyait l'Eucharistie nécessaire aux petits enfants; nous avons déjà démontré que c'était une nouvelle raison de la donner sous les deux espèces, supposé que les deux espèces fussent de l'essence de ce sacrement. Pourquoi donc ne leur en donner qu'une seule? Et que peuvent dire ici ces ministres, si ce n'est qu'ils nous répondent que l'ancienne Eglise ajoutait à l'erreur de croire la communion absolument nécessaire au salut, celle de croire que la communion avait son effet entier sous une seule espèce, et qu'à force de faire errer une antiquité si pure, on se veuille montrer soi-même visiblement dans l'erreur?

Nous avons, Dieu merci, une doctrine qui ne nous oblige point a nous jeter dans de tels excès. Je pourrais aisément expliquer comment la grâce du sacrement de l'Eucharistie est en effet nécessaire à tous les fidèles ; comment l'Eucharistie et sa grâce

 

1 Ex lib. Manuscript., qui dicitur Pancrisis, relat. in prœf. Saec. III, Bened., p. 1, n. 75. — 2 Du Bourd., I Rép., p. 36 et II Réf., chap. XX, XXI. — 3 Hist. Euch., I part., chap. XI, p. 136 et seq

 

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est contenue en vertu dans le baptême; ce qu'opère dans les fidèles le droit sacré qu'ils y reçoivent sur le corps et sur le sang de Notre-Seigneur; et comment il appartient à la dispensation de l'Eglise de régler le temps d'exercer ce droit. Je pourrais faire voir encore sur ces fondements que si quelques-uns, comme par exemple ce Guillaume évoque de Châlons, rapporté si fidèlement par le Père Mabillon, semblent avoir cru la nécessité de l'Eucharistie, loin que cette opinion fût universelle, on la voit très-fortement combattue par d'autres auteurs du même temps, comme par Hugues de Saint-Victor, cité dans le livre de M. de la Roque (1), et par beaucoup d'autres. Je pourrais dire encore comme ces auteurs ont expliqué saint Augustin après saint Fulgence (2), et montrer avec eux par des passages exprès et par toute la doctrine de ce Père, combien il est éloigné de l'erreur qu'on lui attribue. Mais j'ai dessein d'enseigner ici ce qu'il faut croire des deux espèces, et non pas d'embarrasser mes lecteurs de questions incidentes. Ainsi je n'y entre pas; et sans charger mon discours d'un examen inutile, je dirai en peu de mots la foi de l'Eglise.

L'Eglise a toujours cru et croit encore que les enfants sont capables de recevoir l'Eucharistie aussi bien que le baptême, et ne trouve pas plus d'obstacle à leur communion dans ces paroles de saint Paul : « Qu'on s'éprouve et qu'on mange (3), » qu'elle en trouve à leur baptême dans ces paroles de Notre-Seigneur : « Enseignez, et baptisez (4). » Mais comme elle sait que l'Eucharistie ne leur peut pas être absolument nécessaire pour le salut, après qu'ils ont reçu la pleine rémission de leurs péchés dans le baptême, elle croit que c'est une affaire de discipline de donner ou de ne donner pas la communion dans cet âge : c'est pourquoi durant onze et douze cents ans, pour de bonnes raisons elle l'a donnée, et pour d'autres bonnes raisons elle a cessé depuis de la donner. Mais l'Eglise, qui se sentait libre à communier ou ne pas communier les enfants, ne peut jamais avoir cru qu'il lui fût libre de les communier d'une manière contraire à l'institution de Jésus- Christ ;

 

1 Hug. de S. Vict., Erud. theol., lib. I, cap. XX ; Hist. Euch., I part., chap. XI, p. 139. — 2 Fulg., Ep. ad Ferr. Diac., cap. XI, n. 24, p. 225 et seq. — 3 I Cor., XI, 28. — 4 Matth., XXVIII, 19.

 

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ni n'aurait jamais donné une seule espèce, si elle eût cru les deux espèces inséparables par leur institution.

En un mot, pour nous dégager tout d'un coup des discussions inutiles, quand l'Eglise a donné la communion aux petits enfants sous la seule espèce du vin, ou elle jugeait ce sacrement nécessaire à leur salut, ou non. Si elle ne le jugeait pas nécessaire, pourquoi se presser de le donner pour le donner mal? Et si elle le jugeait nécessaire, c'est une nouvelle démonstration qu'elle croyait tout l'effet du sacrement renfermé sous une seule espèce.

Et pour montrer plus clairement qu'elle était dans cette créance, la même Eglise, qui donnait l'Eucharistie aux petits enfants sous la seule espèce du vin, dans un âge plus avancé la leur donnait sans scrupule sous la seule espèce du pain. Personne n'ignore l'ancienne coutume de donner à des enfants innocents ce qui restait du corps de Notre-Seigneur après la communion des fidèles. Quelques églises brûlaient ces sacrés restes; et telle était la coutume de l'église de Jérusalem, comme Hésychius prêtre de cette église le rapporte (1). Jésus-Christ est également au-dessus de toute corruption : mais le sens humain demandait que par respect pour ce sacrement on employât celle qui offense le moins les sens; et on aimait mieux brûler ces sacrés restes que de les voir s'altérer d'une manière plus choquante en les gardant. Ce que l'église de Jérusalem consumait par le feu, l'église de Constantinople le donnait à consumer à de jeunes enfants, les regardant en cet âge où la grâce du baptême était entière, comme ses vaisseaux les plus saints. Evagrius écrit au sixième siècle que c'était l'ancienne coutume de l'église de Constantinople (2). M. de la Roque marque cette coutume, et nous fait voir dans le même temps la même pratique en France, où un concile ordonna que « les restes du sacrifice, après la messe achevée, seraient donnés, arrosés de vin, le mercredi et le vendredi à des enfants innocents, à qui on ordonnerait de jeûner pour les recevoir (3). » C'était sans doute le corps de Notre-Seigneur qu'ils recevaient comme les autres

 

1 Hesych., in Levit., lib. II, 68. — 2 Evagr., lib. IV, cap. XXXV. — 3 An 585; Conc. Matisc. II, cap. VI, tom. I ; Conc. Gall., Labb., tom. V, col. 982; Hist. Euch., I part., chap. XVI, p. 183.

 

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fidèles. Evagrius appelle ces restes « des particules du corps immaculé de Jésus-Christ notre Dieu (1), » et c'est ainsi que traduit M. de la Roque. Le même Evagrius raconte que cette communion préserva un enfant juif, qui avait communié de cette sorte avec les enfants des fidèles, de la fournaise brûlante où son père l'avait jeté en haine de la communion qu'il avait reçue, Dieu ayant voulu confirmer par un miracle si éclatant cette communion sous une espèce. Personne ne s'est jamais avisé de dire qu'on ait mal fait de donner le corps sans le sang, ni qu'une telle communion fût défectueuse. Si l'usage en a été changé, c'a été pour d'autres raisons et de la même manière que d'autres choses de discipline ont été changées sans condamner la pratique précédente. Ainsi cette coutume, bien qu'elle ait cessé d'être en usage dans l'Eglise, demeure dans les histoires et dans les canons en témoignage contre les protestants : la communion des enfants est une claire conviction de leur erreur : les enfants à la mamelle communient sous la seule espèce du vin, et les enfants plus avancés sous celle du pain, concourant à faire voir les uns et les autres l'intégrité de la communion sous une espèce.

Le troisième fait est que les fidèles, après avoir communié dans l'église et dans la sainte assemblée, emportaient avec eux l'Eucharistie pour communier tous les jours dans leur maison. On ne pouvait pas leur donner l'espèce du vin, parce qu'elle ne se serait pas conservée, surtout dans une aussi petite quantité qu'était celle dont on use dans les saints mystères ; et il est certain aussi qu'on ne leur donnait que la seule espèce du pain. Tertullien, qui fait mention de cette coutume dans son livre de la Prière, n'y parle que de « prendre et de réserver le corps de Notre-Seigneur (2) ; » et il parle en un autre endroit « du pain que les chrétiens mangeaient à jeun en secret (3), » sans y ajouter autre chose. Saint. Cyprien nous fait voir la même pratique dans son traité de Lapsis. Cette coutume commencée durant les persécutions et lorsque les assemblées ecclésiastiques n'étaient pas libres, n'a pas laissé de durer pour d'autres raisons pendant la paix de l'Eglise.

 

1 An. 585. Conc. Matisc. II, cap. XXXVI.— 2 Tertul., de Orat., cap. XIV. — 8 Lib. II, ad Uxorem., n. 5

 

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        Nous apprenons de saint Basile que les solitaires ne communiaient pas d'une autre sorte « dans les déserts où ils n'avaient point de prêtres (1). » Et il est certain d'ailleurs que ces hommes merveilleux ne venant à l'église tout au plus que dans les solennités principales, ils n'auraient pas pu conserver l'espèce du vin. Aussi n'est-il parlé dans saint Basile que « de ce qu'on mettait dans la main pour le porter à la bouche, » c'est-à-dire du pain consacré; et c'est ce qu'on « avait la liberté de réserver, » comme dit le même Père : à quoi il ajoute qu'il est indifférent « de recevoir dans sa main un ou plusieurs morceaux, » se servant même d'un mot, qui constamment ne peut signifier, « que la parcelle ou la portion » de quelque chose de solide ; ce qui fait aussi qu'Aubertin ne l'entend que du pain sacré (2). Et encore que saint Basile fasse assez voir tant par ces termes que.par toute la suite de son discours, que les fidèles en ces occasions ne prenaient et ne réservaient que le corps seul, il décide que leur communion « n'était pas moins sainte ni moins parfaite dans leur maison que dans l'église. » Il dit même que cette coutume était universelle par toute l'Egypte, et même à Alexandrie. M. de la Roque conclut très-bien, d'un passage de saint Jérôme, qu'elle était aussi dans Rome, où sans aller toujours à l'église, « les fidèles recevaient tous les jours le corps de Nostre-Seigneur dans leur maison; » à quoi ce Père ajoute : «N'est-ce pas le même Jésus-Christ qu'on reçoit dans la maison et dans l'église (3), » pour montrer que l'une de ces communions n'est pas moins bonne ni moins parfaite que l'autre? Le même M. de la Roque demeure d'accord que les chrétiens des premiers temps s'envoyaient l'Eucharistie les uns aux autres en signe de communion (4) ; comme en effet il parait par une lettre de saint Irénée (5), qu'on l'envoyait de Rome jusqu'en Asie ; et encore qu'ils la portaient avec eux dans leurs voyages de mer et de terre : ce qui confirme l'usage de l'espèce, qui seule se pouvait porter, et seule se conserver si longtemps en si petite quantité. Témoin Satyre, frère de saint Ambroise, qui

 

1 Basil., ep. CCLXXXIX, nunc XCIII.— 2 Aub., lib. II, p. 442.— 3 I part., cap. XIV, p. 173 ; Hieron., ad Pamm., ep. XXX. — 4 Hist. Euch., I part., chap. XV, p. 176. — 5 Euseb., Hist. Eccl, lib. V, cap. XXIV: Hist. Euch., I part., chap. XIV, p. 174.

 

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au rapport de ce Saint, quoiqu'il ne fût que catéchumène, obtint des fidèles par la ferveur de sa foi, « ce divin sacrement, l'enveloppa dans un linge, et l'ayant lié autour de son cou, se jeta dans la mer » avec ce précieux gage par lequel aussi il fut sauvé (1). Je n'ai pas besoin de rapporter les autres passages où cette coutume est établie, puisque M. de la Roque la reconnaît et nous dispense de la preuve. On voit même dans les passages qu'il cite comment on emportait l'oblation sainte ; et il paraît que c'était dans « un petit coffre, ou dans un linge bien net (2). » Il trouve des vestiges de cette coutume au temps du pape saint Hormisdas, c'est-à-dire au commencement du sixième siècle; et il est vrai que sous ce Pape un bruit de persécution s'étant répandu mal à propos à Thessalonique, « on distribua l'Eucharistie à pleins paniers pour longtemps à tous les fidèles (3). » Ceux qui la distribuèrent ne sont pas blâmés de l'avoir donnée de cette sorte, mais d'avoir malicieusement effrayé le peuple par le bruit d'une persécution imaginaire.

En effet il ne faut point regarder cette manière de communier dans la maison comme un abus, sous prétexte qu'on n'a pas continué cet usage : car dans les affaires de pure discipline comme celle-ci, l'Eglise a des raisons pour défendre dans un temps ce qu'elle permet dans un autre. C'est durant les persécutions, c'est-à-dire dans les temps les plus saints, que cette coutume a été le plus en usage ; de sorte que la communion sous une espèce est autorisée par la pratique constante des meilleurs temps et par l'exemple de tous les martyrs. Il est même constant qu'en ce temps on communiait plus souvent sous la seule espèce du pain que sous les deux espèces, puisqu'il était établi que l'on communiait tous les jours dans sa maison sous cette seule espèce , au lieu que l'on ne pouvait recevoir les deux espèces que dans les assemblées de l'église, qui n'étaient pas si fréquentes ; et personne n'a soupçonné durant tant de siècles, qu'une de ces manières de communier fût défectueuse ou plus imparfaite que l'autre.

 

1 Ambr., de Obitu frat. Sat., lib. I, n. 43, 44.— 2 I part., chap. XII, p. 159, chap. XIV, p. 172 et seq.; Joan., Mosch., Prat. spir., tom. XIII; Bibl. PP., p. 1089. — 3 Inter Epist. Horm. Papae, post. epist. LXII; Sugg. Germ., etc., et post epist. LXVII; Indic. Joan. episc., tom. V Conc.

 

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Ceux qui savent avec quoi respect on traitait alors les choses saintes, ne trouveront point d'irrévérence à mettre la communion dans la main des fidèles, non plus qu'à la leur laisser emporter dans leurs maisons particulières, où il est certain à notre honte qu'il y avait plus de modestie qu'il n'y en a présentement dans les églises.

On sait d'ailleurs le soin extrême que prenaient les chrétiens de garder ce précieux dépôt du corps de Notre-Seigneur, et surtout de le mettre à couvert des mains profanes. Nous voyons dans les Actes des martyrs de Nicodémie, que lorsque les magistrats firent la visite de la chambre « où habitait sainte Domne avec l'eunuque Indes qui la servait, » on y trouva seulement « une croix, le livre des Actes des apôtres, deux nattes étendues à plate terre, » c'était les lits de ces saints martyrs, « un encensoir de terre, une lampe, un coffret de bois où ils mettaient la sainte oblation qu'ils recevaient. On n'y trouva point l'oblation sainte, qu'ils avaient eu soin de consumer (1), » C'est aux protestants à nous dire ce que ces martyrs faisaient de cette croix et de cet encensoir. Les catholiques n'en sont point en peine ; et ils sont ravis de voir dans le meuble de ces saints, avec la simplicité des premiers temps, les marques de leur religion et de l'honneur qu'ils rendaient à l'Eucharistie. Mais ce qui fait à notre sujet, on reconnaît dans cette histoire comment on gardait l'Eucharistie, et quel soin on prenait de ne la pas laisser tomber en des mains infidèles. Dieu s'en mêlait quelquefois, et les Actes de saint Tharsice, acolyte, font voir que le saint martyr « rencontré par des païens pendant qu'il portait les sacrements du corps de Notre-Seigneur, ne voulut jamais découvrir ce qu'il portait, et fut tué à coups de bâton et à coups de pierre ; après quoi ces infidèles l'ayant visité, ils ne trouvèrent, ni dans ses mains ni dans ses habits, aucune parcelle des sacrements de Jésus-Christ (2), » Dieu ayant lui-même pourvu à la sûreté des dons célestes. Ceux qui savent le style du temps, le reconnaissent dans ces Actes, où il est parlé des sacrements de Jésus-Christ et des sacrements de son corps. On se servait de ce mot indifféremment au nombre pluriel et singulier, en

 

1 Act. Mart. Nicom., ap. Bar., an. 293. — 2 Martyr. Rom., 15 august.

 

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parlant de l'Eucharistie, tantôt pour en exprimer l'unité parfaite, et tantôt pour faire voir qu'il y avait dans un seul sacrement et dans un seul mystère (car ces termes sont équivalents), et même dans chaque partie de ce sacrement adorable, plusieurs sacrements et plusieurs mystères ensemble.

Cette réserve, qui se faisait de l'Eucharistie sous la seule espèce du pain dans les maisons particulières, confirme ce qu'il faut croire de la réserve qui s'en faisait dans l'église ou dans la maison des évêques pour l'usage des malades; et des faits qui se soutiennent si bien les uns les autres, mettent hors de contestation la doctrine de l'Eglise.

        Tout ce que les ministres répondent ici, ne sert qu'à découvrir leur embarras.

Ils traitent tous d'un commun accord cette coutume de profanation et d'abus (1), même après avoir établi qu'elle a été universelle pendant plusieurs siècles, et ce qui est bien plus étrange, pendant les siècles les plus purs du christianisme. Cette réponse porte avec elle sa réfutation; et il sera aisé de prendre son parti, quand il ne s'agira plus que de savoir si tous les martyrs sont des profanes, ou si les ministres, qui les en accusent, sont des téméraires.

Calixte, et M. du Bourdieu, qui le suit en tout (2), rapportent deux canons de l'Eglise d'Espagne, l'un du concile de Sarragosse, et l'autre du premier de Tolède, où « ceux qui n'avalent pas l'Eucharistie reçue des mains de l'évêque, sont chassés comme sacrilèges et frappés d'anathème (3). »

M. de la Roque leur répond qu'il ne croit pas que ce canon de Sarragosse ait été fait pour abolir la coutume d'emporter l'Eucharistie, et de la garder (4). Et il dit après la même chose du premier concile de Tolède ; ce qu'il prouve par l'onzième canon de l'onzième concile de la même ville (5).

Et quand on ne voudrait pas s'arrêter aux sentiments de M. de

 

1 Hist. Euch., 1 part., chap. XII, p. 159, chap. XIV, p. 175; Du Bourd., Rép., chap. XIX.— 2 Calixt., n. 11; Du Bourd., Rép. chap. XIX.— 3 Conc. Cœsar. August., cap. III; Concil., Labb., tom. II, col. 1009; Tol. I, cap. XV; Ibid., col. 1225.— 4 Hist. Euch., I part., chap. XIV, p. 174.— 5 Conc. Tol., XI, XI; Labb., tom. VI, Conc. col. 552.

 

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la Roque, on voit assez que ces deux conciles tenus au quatrième siècle ou aux environs, ne peuvent pas avoir détesté comme un sacrilège une coutume que tous les Pères nous font voir commune en ces temps-là, comme nous l'avons montré, de l'aveu même des ministres.

En effet il n'est point parlé dans ces conciles de ceux qui prenant à l'église une partie du pain consacré, en réservent une partie pour communier dans leur maison ; mais de ceux qui recevant la communion des mains de l'évêque, n'en avalent rien du tout. Voilà ce que défendent ces conciles, et les motifs de cette défense ne sont pas malaisés à deviner, puisque le premier concile de Tolède, qui blâme si sévèrement au canon XIV ceux qui affectaient, « en assistant à l'église, de n'y communier jamais, » lorsque dans le canon suivant il condamne, « comme sacrilèges, ceux qui n'avalent point la communion après l'avoir reçue des mains du prêtre, » fait assez connaître, par cette suite, qu'il a eu en vue de condamner une autre manière d'éviter la communion, d'autant plus mauvaise qu'elle montrait ou une hypocrisie sacrilège, ou une aversion trop visible de ce saint mystère.

Ces malheureux, qui évitaient si obstinément la communion, étaient les priscillianistes, hérétiques de ces temps et de ces lieux-là, qui se mêlaient ordinairement avec les fidèles. Mais quand on ne voudrait pas convenir de ce motif du canon, on ne niera pas du moins qu'il n'y ait d'autres mauvais motifs de n'avaler pas l'Eucharistie, qu'on peut avoir condamnés dans ces conciles. On peut s'éloigner de l'Eucharistie par superstition ; on la peut réserver pour en abuser ; on la peut rejeter par infidélité : et le concile XI de Tolède nous apprend que c'est un tel sacrilège que le premier a condamné. Ces abus ou d'autres semblables aperçus en certains endroits, peuvent avoir donné lieu à des défenses locales, qui n'apportaient aucun préjudice aux coutumes des autres pays : et il est certain d'ailleurs que ce qui se fait en un lieu aussi bien qu'en un temps avec révérence, peut être si mal pratiqué en d'autres temps et en d'autres lieux, qu'on le rejettera comme sacrilège. Ainsi en quelque manière qu'on veuille prendre ces canons, ils n'autorisent en aucune sorte l'erreur de ceux qui

 

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veulent faire passer pour abus la pratique des saints martyrs et de toute l'ancienne Eglise, et qui ne trouvent point d'autre réponse à un argument invincible qu'en leur faisant leur procès.

M. du Bourdieu tâche d'échapper par une autre défaite qui n'est pas moins vaine. Il voudrait qu'on crût que les fidèles communiaient sous les deux espèces dans ces communions domestiques, et les gardaient toutes deux (1), dont il apporte après Calixte quatre témoignages; celui de saint Justin, qui dit qu'après la consécration faite à l'église, les diacres portaient aux absents les deux espèces (2) ; celui de saint Grégoire le Grand, qui raconte que dans un voyage de Constantinople à Rome et dans une grande tempête , les fidèles « reçurent le corps et le sang (3) ; » celui d'Amphilochius, qui dit dans la Vie de saint Basile, qu'un Juif se mêlant avec les fidèles dans leur assemblée, en remporta à sa maison des restes du corps et du sang (4); et enfin celui de saint Grégoire de Nazianze, qui raconte que sa sœur sainte Gorgonie mêla avec ses larmes ce qu'elle avait pu ramasser des antitypes ou symboles du corps et du sang (5). Il devait traduire du corps ou du sang, comme il y a dans le texte, et non pas du corps et du sang, comme il a fait pour insinuer qu'on gardait toujours l'un et l'autre ensemble.

De ces quatre exemples, les deux premiers visiblement ne font rien à notre sujet.

Nous avons déjà remarqué avec M. de la Roque que dans celui de saint Justin on portait à la vérité les deux espèces, mais incontinent après qu'on les avait consacrées, par où on ne montre pas qu'on les gardât, ce qui est précisément notre question.

Pour montrer que dans l'occasion racontée par saint Grégoire, les fidèles avaient gardé dans leur vaisseau les deux espèces depuis Constantinople jusqu'à Rome, il faudrait auparavant qu'il fût certain qu'il n'y avait point dans ce vaisseau de prêtre qui pût célébrer, ou que Maximien, dont saint Grégoire parle en ce lieu, ne l'était pas, quoiqu'il fût le Père d'un monastère. Ce grand pape ne dit rien de ces circonstances, et nous laisse la liberté de les

 

1 Rép., chap. XVIII. — 2 Just., Apol., I, n. 65 et seq. — 3 Greg., Dial. III, cap. XXXVI. — 4 Amphil., Vit. Bas. — 5 Greg. Naz., orat. XI in Gorg. sororem.

 

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suppléer par d'autres raisons, dont la principale se tire de l'impossibilité, déjà tant marquée, de garder si longtemps et en si petite quantité le vin consacré.

Ce que dit ici M. du Bourdieu, qu'on n'eût osé célébrer dans un navire, fait voir qu'il ne cherche qu'à chicaner, sans vouloir même considérer qu'encore à présent on célèbre en toutes sortes de lieux quand il y a raison de le faire.

Ainsi, de ces quatre exemples, en voilà d'abord deux inutiles. Les deux autres, avec les passages de Baronius et du savant l'Aubespine, évêque d'Orléans, dont il les soutient, peuvent bien prouver qu'on ne refusait pas le sang aux fidèles pour l'emporter avec eux, s'ils le demandaient ( car aussi pourquoi le leur refuser, et croire que le corps sacré qu'on leur confiait fût plus précieux que le sang? ), mais ne prouveront jamais qu'ils le pussent garder longtemps, puisque la nature même y résistait, ni que ce fût la coutume de le faire, l'Eglise étant si persuadée que la communion était égale sous une ou sous deux espèces, que la moindre difficulté la déterminait à l'une ou à l'autre manière. Aussi voyons-nous dans le passage de saint Grégoire de Nazianze, qu'il ne dit pas que sa sœur arrosa de ses larmes le corps et le sang, comme s'il eût été certain qu'elle eût eu l'un et l'autre, mais le corps ou le sang, pour montrer qu'il ne savait pas lequel des deux elle avait en son pouvoir, l'ordinaire étant de ne garder que le corps.

Que sert donc de chicaner sur un fait constant? Il en faut toujours venir à la vérité ; et M. de la Roque, celui de tous les ministres qui a le plus scrupuleusement examiné cette matière, convient franchement « que les fidèles emportaient chez eux le pain de l'Eucharistie pour le prendre quand ils voulaient (1), » se sauvant comme il peut de la conséquence par la remarque qu'il fait que cette coutume abusive et particulière, « ne peut préjudicier à la pratique générale, et que ceux-là même qui emportaient chez eux l'Eucharistie, ne le faisaient apparemment qu'après en avoir mangé une partie dans l'assemblée, et participé au calice du Seigneur. »

Calixte s'en tire à peu près avec la même réponse (2). Au commencement

 

1 Hist. Euch., I part., chap. XII, p. 159. — 2 Disp., n. 10.

 

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commencement du Traité qu'il nous donne sur la communion des deux espèces, il avait dit naturellement que quelques-uns réservaient « le pain sacré pour le manger ou dans leur maison ou dans les voyages ; » et après avoir rapporté plusieurs passages, entre autres celui de saint Basile, qui ne souffre aucun subterfuge, il avait conclu « qu'il était certain par ces passages, que quelques-uns émus d'une religieuse affection pour l'Eucharistie, emportaient une partie du pain consacré, ou de ce sacré symbole. » Il n'y a personne qui ne voie , en lisant ces passages dans Calixte même, que ce quelques-uns, qu'il coule si doucement, c'est toute l'Eglise; et quand il ajoute que cette coutume fut tolérée quelque temps, ce quelque temps, c'est-à-dire quatre ou cinq cents ans et dans les temps les plus purs ; et ce tolérée c'est-à-dire universellement reçue dans ces beaux siècles de l'Eglise, sans que personne se soit avisé, ni de la blâmer, ni de dire que cette communion fût insuffisante.

Dans la suite de la dispute Calixte s'échauffe, et s'efforce de prouver par les exemples déjà réfutés, que cette communion pouvait se faire sous les deux espèces. Mais il en revient enfin à la solution qu'il avait donnée d'abord, que les fidèles qui communiaient sous la seule espèce du pain dans leur maison, avaient reçu celle du vin dans l'église, et qu'il n'y a point d'exemple « que durant mille et onze cents ans on ait communié publiquement sous une espèce (1) : » comme s'il ne suffisait pas pour le convaincre, que la communion sous une espèce ait été jugée parfaite et suffisante ; ou qu'il fût plus permis de communier contre l'ordre de Jésus-Christ, et de diviser son mystère dans la maison que dans l'église ; ou enfin que cette parcelle de pain sacré qu'on prenait en particulier dans sa maison sans prendre le sang, n'eût pas été donnée à l'église même et de la main des pasteurs pour cet usage.

Voilà les vaines chicanes par lesquelles les ministres pensent éluder une vérité manifeste : mais je ne veux pas les laisser dans leur erreur à l'égard de la communion publique ; et encore qu'il nous suffise d'avoir pour nous cette communion faite en

 

1 Disp., n. 10, 11, 154.

 

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particulier avec l'approbation de toute l'Eglise, nous allons voir que la communion sous une espèce n'était pas moins libre dans les assemblées solennelles que dans la maison.

Je pose donc pour quatrième fait, que dans l'église même et dans les assemblées des chrétiens, il leur était libre de prendre ou les deux espèces, ou une seule. Les manichéens abhorraient le vin, qu'ils croyaient une créature du diable (1). Les mêmes manichéens niaient que le Fils de Dieu eût versé son sang pour notre rédemption, croyant que sa passion n'avait été qu'une illusion et une apparence fantastique. Ces deux raisons leur donnaient de l'aversion pour le sang précieux de Notre-Seigneur, qu'on recevait dans les mystères sous l'espèce du vin : et comme, « pour se mieux cacher, » dit saint Léon, et répandre plus aisément leur venin, « ils se mêlaient avec les catholiques jusqu'à communier avec eux, ils ne recevaient que le corps de Notre-Seigneur, évitant de boire le sang par lequel nous avons été rachetés. » On avait peine à découvrir leur fraude, parce que les catholiques mêmes ne communiaient pas tous sous les deux espèces. A la fin on remarqua que les hérétiques le faisaient par affectation : de sorte que le pape saint Léon le Grand « voulut que reconnus à cette marque, on les chassât de l'Eglise; » et saint Gélase, son disciple et son successeur, fut obligé à défendre expressément de communier autrement que sous les deux espèces (2) : marque qu'auparavant la chose était libre, et qu'on n'en vint à cette ordonnance que pour ôter aux manichéens le moyen de tromper.

Ce fait est du cinquième siècle. M. de la Roque et les autres le rapportent avec le sentiment de ces deux papes (3), et ils en tirent avantage. Mais au contraire ce fait montre clairement qu'il fallut une raison particulière pour obliger les fidèles à communier nécessairement sous les deux espèces, et que la chose auparavant se pratiquait indifféremment des deux manières : autrement les manichéens se seraient d'abord trop fait connaître, et n'auraient pas pu espérer d'être soufferts.

 

1 Leo I, serm. XLV, al. XLVI, qui est IV de Quadr., cap. V. — 2 In Dec. Grat. de Cons., dist. 2. cap. Comperimus, 12; Ivo, Microl., etc. — 3 I part., cap. XII, p. 144.

 

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Mais s'il était libre, disent les ministres (1), de communier quand on voulait sous la seule espèce du pain, on n'aurait pas pu reconnaître les manichéens à cette marque : comme s'il n'y avait point de différence entre la liberté de recevoir une ou deux espèces, et la perpétuelle affectation de ces hérétiques à refuser opiniâtrement le vin consacré. Quel effet de la prévention, de ne vouloir pas observer une chose si manifeste !

Il est vrai qu'en laissant cette liberté, il fallait du temps et une attention particulière pour discerner les hérétiques d'avec les fidèles. C'est aussi ce qui donna lieu assez longtemps à la fraude ; et ce qui fit que du temps de saint Gélase, il en fallut enfin venir à une ordonnance expresse, de prendre également le corps et le sang, sur peine d'être privé de l'un et de l'autre.

M. du Bourdieu nous cache ici avec beaucoup d'artifice le motif de la défense de ce pape (2). Voici les paroles du décret. « Nous avons découvert que quelques-uns , en prenant seulement le corps sacré , s'abstiennent du sacré calice , lesquels certes, puisqu'on les voit attachés à je ne sais quelle superstition, il faut ou qu'ils prennent les deux parties de ce sacrement, ou qu'ils soient privés de l'une et de l'autre (3) » Ce puisque du pape Gélase , qui nous marque manifestement dans l'abstinence superstitieuse de ces hérétiques une raison particulière de les obliger aux deux espèces , est supprimé par ce ministre ; car voici ce qu'il fait dire à ce grand pape : « Je ne sais à quelle superstition ils sont attachez : qu'ils prennent les sacrements entiers, ou qu'ils soient privez des sacrements entiers. »

Il n'a osé faire paraitre dans sa traduction la particule, où ce pape marque expressément que sa défense a eu un motif particulier, de peur qu'on ne conclût trop facilement contre lui qu'il n'y avait rien de plus libre en soi que de communier sans prendre le sang, puisqu'il a fallu des raisons et une occasion particulière pour obliger à le faire.

Il y a encore une autre finesse, mais bien faible, dans la

 

1 Du Bourd., Rép., chap. XIII, p. 281. — 2 Ibid., p. 283. — 3 « Qui procul dubio (quoniam nescio quà sperstitione docentur adstringi) aut integra sacramenta percipiant, aut ab integris arceantur. » Gel., ibid.

 

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traduction de ce ministre. Car au lieu que le pape dit, comme je le viens de traduire : « Lesquels certes, puisqu'ils paraissent attachés à je ne sais quelle superstition, » c'est-à-dire indéfiniment, comme il est visible, à une certaine superstition qu'il ne daigne pas exprimer, le ministre lui fait dire précisément et plus fortement tout ensemble : Je ne sais à quelle superstition ils sont attachés, pour conclure de là un peu après qu'il ne s'agissait pas ici des manichéens, « dont, dit-il (1), ce savant évêque n'ignorait pas les erreurs, ou celles qui avaient la vogue en son temps. »

Calixte avait tâché avant lui de détacher le fait de saint Léon d'avec celui de saint Gélase (2), pour empêcher qu'on ne crût que l'ordonnance de ce dernier pape en faveur des deux espèces ne fût regardée comme relative à l'erreur des manichéens. Que lui sert ce misérable refuge? Puisqu'il paraît clairement par les termes de cette ordonnance qu'elle a un motif particulier, que nous importe que ce soit l'erreur des manichéens, ou quelque autre superstition semblable? Et n'est-ce pas toujours assez pour faire voir que de quelque façon qu'on le prenne, il a fallu à l'Eglise des raisons particulières pour obliger aux deux espèces?

Mais au fond on ne peut douter que cette superstition dont parle ici saint Gélase, ne fût celle des manichéens, puisqu'Anastase, bibliothécaire, dit expressément dans la vie de ce grand pape, « qu'il découvrit à Rome des manichéens, qu'il les envoya en exil, et qu'il fit brûler leurs livres devant l'église de Sainte-Marie (3). » On ne voit pas en effet quelle superstition, autre que celle des manichéens, aurait pu inspirer l'horreur du vin et celle du sang de Notre-Seigneur. On sait d'ailleurs que ces hérétiques avaient des artifices inouïs pour s'insinuer secrètement parmi les fidèles, et qu'il y avait dans leurs discours prodigieux une telle efficace d'erreur, que rien n'était plus difficile que d'effacer tout à fait les impressions qu'ils laissaient dans les esprits. Personne ne doutera donc que ces superstitieux dont parle le pape saint Gélase, n'aient été des restes cachés de ces manichéens, que saint Léon son prédécesseur avait découverts trente ou quarante ans

 

1 Du Bourd., ibid., p. 285. — 2 Calixt., Disp. cont. comm., etc., et in Add., p. 291. — 3 Vit. Gel., tom. IV, Conc., col. 1154.

 

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auparavant : et quand saint Gélase a dit qu'ils sont attachés à je ne sais quelle superstition, ce n'est pas qu'il ne connût bien leurs erreurs, mais il parle ainsi par mépris, ou en tout cas, parce que cette secte obscure se tournait en mille formes, et qu'on ne savait pas toujours, ou qu'on ne voulait pas toujours expliquer au peuple tout ce qui rétait de ce venin.

Mais voici le fort des ministres. Ils soutiennent que nous avons tort de chercher une raison particulière de l'ordonnance de saint Gélase, puisque ce pape la fonde manifestement sur la nature du mystère. Rapportons donc encore une fois les paroles déjà citées de ce pape, et ajoutons-y toute leur suite : « Nous avons découvert, dit-il, que quelques-uns prennent seulement le sacré corps et s'abstiennent du sang sacré, lesquels certes, puisqu'on les voit attachés à je ne sais quelle superstition, il faut qu'ils prennent les deux parties, ou qu'ils soient privés de toutes les deux, parce que la division d'un seul et même mystère ne se peut faire sans un grand sacrilège. »

A bien prendre la suite de ces paroles, on voit que la division qu'il accuse de sacrilège est celle qui est fondée sur cette superstition, où le sang de Notre-Seigneur consacré sous l'espèce du vin, était regardé comme un objet d'aversion. En effet c'est diviser le mystère, que de croire qu'il y en a une partie que Jésus-Christ n'a pas instituée, et qui doit être rejetée comme abominable. Mais de croire que Jésus-Christ ait également institué les deux parties, et n'en prendre cependant qu'une seule, non pas en méprisant l'autre, (à Dieu ne plaise), mais parce qu'on croit que dans une seule on reçoit la vertu de toutes les deux, et qu'il n'y a dans toutes les deux qu'un même fond de grâce : si c'est diviser le mystère, l'Eglise primitive le divisait donc quand elle communiait les malades, les petits enfants et tous les fidèles généralement dans leur maison sous une seule espèce. Mais comme on ne peut avoir un tel sentiment de l'ancienne Eglise, on est forcé d'avouer que pour diviser ce mystère, il faut croire et faire autre chose que ce que croient et font tous les catholiques.

L'Eglise ancienne a si peu cru que ce fût diviser le mystère que de ne donner qu'une seule espèce, qu'elle a eu des jours solennels,

 

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où elle n'a distribué que le corps sacré de Notre-Seigneur dans l'église et à tous les assistants (1). Tel était l'office du Vendredi saint dans l'Eglise latine; et tel était l'office de l'Eglise grecque dans tous les jours du Carême, à la réserve du samedi et du dimanche.

Pour commencer par l'Eglise latine, nous voyons dans l’Ordre romain, dans Alcuin, ou dans l'ancien auteur dont nous avons sous son nom l'explication de ce livre (2), dans Amalarius, dans l'abbé Rupert, dans Hugues de Saint-Victor, ce que nous pratiquons encore aujourd'hui, qu'on ne consacrait pas le Vendredi saint, mais qu'on réservait pour la communion le corps de Notre-Seigneur consacré le jour précédent, et que le Vendredi saint on le prenait avec du vin non consacré. Il est marqué expressément dans tous ces lieux, qu'on ne réservait que le corps sans réserver le sang; dont la raison est, dit Hugues de Saint-Victor, « que sous chaque espèce on prend le corps et le sang, et que l'espèce du vin ne se peut pas réserver sûrement (3). » On trouve cette dernière raison dans une des éditions d'Amalarius, qui ne vient pas moins de lui que les autres, cet auteur ayant souvent revu son livre et plusieurs de ces révisions étant venues jusqu'à nous. La même chose est arrivée à Jonas évoque d'Orléans, et à plusieurs autres auteurs; et sans nous arrêter à ces critiques, le fait constant est qu'Amalarius après diverses raisons mystiques qu'il rapporte de cette coutume, à l'exemple des autres auteurs, conclut « qu'on peut dire encore plus simplement qu'on ne réserve pas le vin consacré, » parce qu'il s'altère plus facilement que le pain. Ce qui confirme en passant tout ce que nous avons fait voir de la communion des malades sous la seule espèce du pain, et montre bien que l'Eucharistie qu'on leur gardait constamment durant plusieurs jours, selon l'esprit de l'Eglise, ne pouvait leur être gardée sous l'espèce du vin, puisqu'on y craint même l'altération qui pouvait y arriver d'un jour à un autre, c'est-à-dire du Jeudi au Vendredi saint.

Je pourrais ici remarquer que l'Eglise n'évitait pas seulement

 

1 On peut rapporter à ceci ce qui est écrit par Fulbert, évoque de Chartres, ep. II. Et pareille coutume dans un ancien Pontifical de Reims, dont M. de Reims m'a envoyé l'extrait. — 2 Bib. PP. Paris, tr. de Div. off. — 3 Hug. de S. Vict., Erud. theol., lib. III, cap. XX.

 

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la corruption des espèces qui en changeait la nature et la matière nécessaire au sacrement, mais encore tout changement qui les altérait tant soit peu, voulant par respect pour ce sacrement que tout y fût pur et propre, et qu'on ne souffrit pas le moindre dégoût , même sensible, dans un mystère où il fallait goûter Jésus-Christ. Mais ces remarques peu nécessaires à notre sujet sont d'un autre lieu; et il nous suffit de voir ici qu'on ne réservait alors, comme on ne réserve encore aujourd'hui, que le corps sacré pour le service du Vendredi saint.

Cependant il est certain par tous les auteurs et par tous les lieux que nous venons de citer, que le célébrant, tout le clergé et tout le peuple communiait à ce saint jour, et ne communiait par conséquent que sous une espèce. Cette coutume paraît principalement dans l'église gallicane, puisque la plupart de ces auteurs en sont, de sorte qu'elle doit trouver parmi nous une vénération particulière : mais ce serait s'abuser trop visiblement, que de dire qu'une coutume si bien établie au huitième siècle ne venait pas de plus haut. On n'en voit point l'origine ; de sorte que si l'opinion qui croit la communion sacrilège sous une espèce avait lieu, il faudrait dire que l'ancienne Eglise aurait justement choisi le Vendredi saint et le jour de la mort de Notre-Seigneur, pour profaner un mystère institué à sa mémoire. On communiait de la même sorte le Samedi saint, puisque d'un côté il est certain par tous les auteurs que le Vendredi et le Samedi saints étaient jours de communion pour tout le peuple, et que de l'autre il n'est pas moins constant qu'on ne sacrifiait point durant ces deux jours : ce qui fait qu'encore aujourd'hui dans notre Missel il n'y a point de messe propre au Samedi saint. Ainsi on communiait sous la seule espèce du pain réservé le Jeudi saint ; et s'il en faut croire nos réformés, on se préparait à la communion pascale par deux communions sacrilèges.

Les moines de Cluny, tout saints qu'ils étaient, ne faisaient pas mieux que les autres ; et le livre de leurs Coutumes déjà cité une fois dans ce discours, montre qu'il y a six cents ans qu'ils ne communiaient en ce saint temps que sous une espèce (1).

 

1 C. Clun., lib. I, cap. XIII, de Parasc., tom. IV Spicil.

 

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Ces choses font assez voir la coutume universelle de l'Eglise latine. Mais les Grecs passent encore plus avant : ils ne consacrent point aux jours de jeûne, afin de ne mêler pas à la tristesse du jeûne la joie et la célébrité du sacrifice. C'est ce qui fait que dans le Carême ils ne consacrent qu'au jour de dimanche et au jour de samedi, dans lesquels ils ne jeûnent pas. Ils offrent dans les autres jours le sacrement réservé de ces deux jours solennels, ce qu'ils appellent la Messe imparfaite, ou la Messe des Présanctifiés, à cause que l'Eucharistie qu'on offre en ces jours, a été consacrée et sanctifiée dans les deux jours précédents et dans la messe qu'ils nomment parfaite.

L'antiquité de cette observance ne peut être contestée, puisqu'elle paraît au sixième siècle dans le concile in Trullo (1) : on en voit le fondement dès le quatrième au concile de Laodicée (2), et il n'y'a rien de plus célèbre parmi les Grecs que cette messe des Présanctifiés.

Si l'on veut maintenant savoir ce qu'ils y offrent, il n'y a qu'à lire dans leurs Eucologes et dans la Bibliothèque des Pères les anciennes Liturgies des Présanctifiés (3) : on verra qu'ils ne réservent que le pain sacré. C'est le pain sacré qu'ils apportent de la sacristie; c'est le pain sacré qu'ils élèvent, qu'ils adorent et qu'ils encensent; c'est le pain sacré qu'ils mêlent sans dire aucune prière dans du vin et dans de l'eau non consacrés, et qu'ils distribuent enfin à tout le peuple. Ainsi dans tout le Carême, dans le plus saint temps de l'année, cinq jours de la semaine, ils ne communient que sous la seule espèce du pain.

On ne sait pourquoi quelques Latins ont voulu blâmer cette coutume des Grecs, que les papes ni les conciles n'ont jamais reprise ; et au contraire l'Eglise latine l'ayant suivie le Vendredi saint, il paraît que cet office avec la manière de communier qui s'y pratiquait, est consacré par la tradition des deux églises.

Ce qu'il y a ici de plus remarquable, c'est qu'encore qu'il soit si visible que les Grecs ne reçoivent en ces jours que le corps de

 

1 Conc. Trull., 52, Labb., tom. VI, coll. 1165 et seq. — 2 Conc. Laod., cap. XLIX, LI, Labb., tom. I, col. 1506. — 3 Euch. Goar., Bibl. PP., Paris, tom. II.                                                                                                             

 

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Notre-Seigneur, ils ne changent rien dans les formules ordinaires. Les dons sacrés sont toujours nommés au pluriel, et ils n'en parlent pas moins dans leurs prières du corps et du sang : tant il est imprimé dans l'esprit des chrétiens qu'on ne peut en recevoir l'un sans recevoir en même temps non-seulement la vertu, mais encore la substance de l'un et de l'autre.

Il est vrai que les Grecs modernes s'expliquent autrement, et ne paraissent pour la plupart guère favorables à la communion sous une espèce ; mais c'est en quoi la force de la vérité paraît plus grande, puisque, malgré qu'ils en aient, leurs propres coutumes , leurs propres liturgies, leurs propres traditions décident contre eux.

Mais quoi, dira-t-on, n'est-il pas vrai qu'ils mettent en forme de croix quelques gouttes du sang précieux dans les parcelles du corps sacré qu'ils réservent pour les jours suivants et pour l'office des Présanctifiés? Il est vrai qu'ils le font pour la plupart : mais il est vrai en même temps que cette coutume est nouvelle parmi eux ; et qu'au fond, à la regarder toute entière, elle ne fait rien contre nous.

Elle ne fait rien contre nous, parce qu'outre que deux ou trois gouttes du vin consacré ne se peuvent pas conserver longtemps , les Grecs prennent soin aussitôt après qu'ils les ont mises sur le pain sacré, de le dessécher sur un réchaud et de le réduire en poudre. Car c'est ainsi qu'ils le réservent tant pour les malades que pour l'office des Présanctifiés : marque certaine que les auteurs de cette tradition n'ont pas eu en vue dans ce mélange la communion sous les deux espèces, qu'ils eussent données autrement s'ils les avaient crues nécessaires ; mais l'expression de quelque mystère, tel que pourrait être la résurrection de Notre-Seigneur, que toutes les liturgies grecques et latines figurent par le mélange du corps et du sang dans le calice, parce que la mort de Notre-Seigneur étant arrivée par l'effusion de son sang, ce mélange du corps et du sang est très-propre à représenter comment cet Homme-Dieu reprit la vie.

J'aurais honte de raconter ici toutes les vaines subtilités des Grecs modernes, ni tous les faux raisonnements qu'ils font sur le

 

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vin et sur ses parties plus grossières et plus substantielles, qui demeurent quand les corps solides, dans lesquels le vin peut être mêlé, sont desséchés : d'où ils concluent qu'il se fait un effet semblable dans les espèces du vin eucharistique ; et ainsi que le sang de Notre-Seigneur peut demeurer dans le pain sacré, même après qu'il a passé sur le réchaud et qu'il est entièrement sec. Par ces beaux raisonnements la lie et le tartre seraient encore du vin et la matière légitime de l'Eucharistie. Faut-il raisonner ainsi des mystères de Jésus-Christ? C'est du vin, comme on l'appelle populairement, c'est-à-dire du vin liquide et coulant, que Jésus-Christ a fait la matière de son sacrement. C'est une liqueur qu'il nous a donnée pour représenter à nos yeux son sang répandu; et la simplicité de l'Evangile ne souffre pas ce raffinement des nouveaux Grecs.

Aussi faut-il avouer qu'ils n'y sont venus que depuis très-peu, et même que la coutume de mettre ces gouttes de vin consacré sur le pain de l'Eucharistie n'est établie parmi eux que depuis leur schisme. Le patriarche Michel Cérularius, qu'on peut appeler le vrai auteur de ce schisme, écrit encore dans un livre qu'il a composé pour la défense de l'office des Présanctifiés, « qu'il faut réserver pour ce sacrifice les pains sacrés, qu'on croit être et qui sont en effet le corps vivifiant de Notre-Seigneur, sans répandre dessus aucune goutte du précieux sang (1). » Et on trouve sur les conciles des notes d'un célèbre canoniste, qui était clerc de l'église de Constantinople, où il est expressément marqué « que selon la doctrine du bienheureux Jean (patriarche de Constantinople), il ne faut point répandre le sang précieux » sur les Présanctifiés qu'on veut réserver; et « c'est, dit-il, la pratique de notre église (2). » Ainsi quoi que puissent dire les Grecs modernes, leur tradition est expresse contre ce mélange ; et selon leurs propres auteurs et leur propre tradition, il ne leur reste pas même un prétexte pour défendre la nécessité des deux espèces dans les mystères présanctifiés.

 

1 Synodic. seu Pand. Guill. Bevereg., Oxon., 1672; Not. in Can. 52; Conc. Trull., Labb., tom. VI, col. 1565 et seq.; Leo All., Epist. ad Nihus. — 2 Harmenop., Ep. Can., sect. II, tit. 6.

 

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Car peut-on seulement entendre ce que dit le patriarche Michel dans l'ouvrage que nous venons de citer, « que le vin, dans lequel on mêle le corps réservé, est changé au sang précieux par ce mélange, » sans qu'on ait dit sur ce vin, comme il parait par les Eucologes et par l'aveu même de Michel, a aucune des oraisons mystiques et sanctifiantes, » c'est-à-dire sans qu'on ait dit les paroles de la consécration, quelles qu'elles soient, (car il ne s'agit pas ici d'en disputer) : dogme prodigieux et inouï, qu'il se fasse un sacrement sans parole, contre l'autorité de l'Ecriture et la constante tradition de toutes les églises, que ni les Grecs ni personne n'a jamais révoquée en doute !

Autant donc qu'il faut révérer les anciennes traditions des Grecs qui leur viennent de leurs pères et des temps où ils étaient unis avec nous, autant faut-il mépriser les erreurs où ils sont tombés dans la suite, affaiblis et aveuglés par le schisme. Je n'ai pas besoin de les rapporter, puisque même les protestants ne nient pas qu'elles ne soient grandes, et que je m'éloignerais trop de mon sujet : mais je dirai seulement pour faire justice aux Grecs modernes, qu'ils ne tiennent pas tous ce dogme grossier de Michel ; et que ce n'est pas une opinion universelle parmi eux, que le vin soit changé au sang par ce mélange du corps, malgré l'Ecriture et la tradition, qui lui assigne aussi bien qu'au corps sa bénédiction particulière par la parole.

Il faut encore moins croire que les Latins, qui viennent de nous exposer l'office du Vendredi saint, puissent être tombés dans cette erreur, puisqu'ils s'expliquent formellement contre ; et afin de ne rien omettre, il faut encore proposer en peu de mots leurs sentiments.

Il est donc vrai qu'on voit dans l'Ordre romain et dans cet office du Vendredi saint, que « le vin non consacré est sanctifié par le pain sanctifié » qu'on y mêle. La même chose se trouve dans les livres de l’ Office divin d'Alcuin et dans Amalarius (1). Mais pour peu qu'on fasse de réflexion sur la doctrine qu'ils enseignent dans ces mêmes livres, on demeurera d'accord que cette sanctification du vin consacré par le mélange du corps de

 

1 Alc., de Div. Off.; Amal., lib. I, de Div. Off.; Bib. PP., de Div. Off.

 

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Notre-Seigneur ne peut pas être la véritable consécration, par laquelle le vin est changé au sang, mais une sanctification d'une autre nature et d'un ordre beaucoup inférieur : telle qu'est celle dont parle saint Bernard, lorsqu'il dit que « le vin mêlé avec l'hostie consacrée, quoiqu'il ne soit pas consacré de cette consécration solennelle et particulière qui le change au sang de Jésus-Christ, ne laisse pas d'être sacré en touchant le sacré corps de Notre-Seigneur (1), » mais d'une manière bien différente de celle qui se fait selon le même Saint par les paroles tirées de l'Evangile.

Que ce soit de cette sorte de consécration imparfaite et inférieure dont parlent ici les auteurs que nous expliquons, c'est une vérité qui demeurera pour constante, si on trouve que ces mêmes auteurs et dans les mêmes endroits disent que la véritable consécration du sang de Notre-Seigneur ne se peut faire que par la parole, et encore par la parole de Jésus-Christ même.

Alcuin y est exprès, lorsqu'expliquant le Canon de la messe , comme nous l'avons encore aujourd'hui, quand il est venu à l’endroit où nous proférons les paroles sacramentelles qui sont celles de Jésus-Christ même : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ; » il dit que « c'est par ces paroles qu'on a consacré au commencement le pain et le calice, qu'on le consacre encore, et qu'on le consacrera éternellement , parce que Jésus-Christ prononçant encore par les prêtres ses propres paroles, fait son saint corps et son sacré sang par une céleste bénédiction (2). »

Et Amalarius sur le même endroit du Canon (3), ne dit pas moins clairement que c'est en ce lieu et à la prononciation de ces paroles , que « la nature du pain et du vin est changée en la nature du corps et du sang de Jésus-Christ (a) : » ce qui montre combien lui et Alcuin sont éloignés de croire que le seul mélange fasse

 

1 Bern., ep. LXIX. — 2 Alc., lib. de Div. Off., cap. de Celeb. Miss., ibid. — 3 Amal., lib. 111, 24, ibid.

(a) Le texte continuait ainsi, dans la première édition : « Et il (Amalarius) avait dit auparavant en particulier de la consécration du calice, qu'une simple liqueur était changée par la bénédiction du prêtre au sacrement du sang de Notre-Seigneur; ce qui montre, etc. » Bossuet a effacé ce passage; et dans la Revue de quelques-uns de ses ouvrages, il dit sur le Traité de la communion : « Je remarquerai seulement sur cet ouvrage qu'on a ôté dans la seconde édition un passage d'Amalarius, qui avait été mal pris dans la première, quoique cela ne fit rien au fond de la preuve. »

 

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cet effet sans parole. Quand donc ils disent que le simple vin est sanctifié par le mélange du corps de Jésus-Christ, on voit assez qu'ils veulent dire que par l'attouchement du Saint des saints ce vin cesse d'être profane, et devient quelque chose de saint : mais qu'il devienne le Sacrement de Jésus-Christ, et qu'il soit changé en son sang sans qu'on ait prononcé dessus les paroles de Jésus-Christ, c'est une erreur qui ne peut pas compatir avec leur doctrine.

Tous ceux qui ont écrit de l'Office divin, et de celui de la Messe, tiennent le même langage que ces deux auteurs.

Isaac, évêque de Langres, leur contemporain, dans l'explication du Canon et du lieu où l'on consacre, dit que le prêtre ayant fait jusque-là ce qu'il a pu, pour faire alors quelque chose de plus merveilleux, emprunte les paroles de Jésus-Christ même, c'est-à-dire ces paroles : Ceci est mon corps : « Paroles puissantes, dit-il, auxquelles le Seigneur donne sa vertu, » selon l'expression du Psalmiste ; «paroles qui ont toujours leur effet, parce que le Verbe, qui est la vertu de Dieu, dit et fait tout à la fois : de sorte qu'il se fait ici à ces paroles contre toute raison humaine une nouvelle nourriture pour le nouvel homme, un nouveau Jésus né de l'esprit , une hostie venue du ciel (1) ; » et le reste , qui ne fait rien à notre sujet, ceci n'étant que trop suffisant pour montrer que ce grand évêque a mis la consécration dans les paroles de Notre-Seigneur.

Rémi, évêque d'Auxerre, dans le livre qu'il a composé de la Messe vers la fin du neuvième siècle, est visiblement dans le même sentiment qu'Alcuin, puisqu'il n'a fait que transcrire de mot à mot toute la partie de son livre où cette matière est traitée.

Hildebert, évêque du Mans et depuis transféré à Tours, célèbre par sa piété autant que par son éloquence et par sa doctrine, et loué même par les protestants à cause des éloges qu'il a donnés à Bérenger, après qu'il fut revenu ou qu'il eut fait semblant de revenir de ses erreurs, explique formellement que « le prêtre consacre, non par ses paroles, mais par celles de Jésus-Christ ; qu'alors sous le signe de la croix et sous la parole, la nature est

 

1 Isaac Lingon., Spicil., tom. I, p. 351.

 

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changée ; que le pain honore l'autel en devenant corps, et le vin en devenant sang : ce qui oblige le prêtre à élever alors le pain et le vin, pour montrer qu'ils sont élevés par la consécration à quelque chose de plus haut que ce qu'ils étaient (1). »

L'abbé Rupert dit la même chose (2), et après lui Hugues de Saint-Victor (3). On trouve tous ces livres ramassés dans la Bibliothèque des Pères, au tome qui porte le titre, de Divinis Officiis.

Cette tradition est si constante, surtout dans l'Eglise latine, qu'on ne peut pas s'imaginer que le contraire se put trouver dans l'Ordre romain, ni qu'Alcuin et Amalarius l'eussent pu penser, quand ils ne se seraient pas aussi clairement expliqués que nous avons vu. Mais cette tradition venait de plus haut. Tant d'auteurs français que j'ai cités avaient été précédés par un évêque de l'église gallicane, qui avait dit au cinquième siècle, que « les créatures posées sur les saints autels et bénies par les paroles célestes , cessaient d'être la substance du pain et du vin et deve-noient le corps et le sang de Notre-Seigneur (4) ; » et saint Ambroise avant lui entendait, par ces paroles célestes, les propres paroles de Jésus-Christ : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, ajoutant « que la consécration, tant celle du corps que celle du sang , se faisait par ces paroles de Notre-Seigneur (5) ; » et l'auteur du livre des Sacrements, soit que ce soit saint Ambroise, ou quelqu'un voisin de son temps qui le suit en tout, connu quoi qu'il en soit dans l'antiquité, parle de même (6); et tous les Pères du même temps tiennent un langage conforme ; et avant eux tous saint Irénée avait enseigné « que le pain ordinaire est fait Eucharistie par l'invocation de Dieu qu'il reçoit sur lui (7) ; » et saint Justin , qu'il cite souvent, avait dit devant lui que l'Eucharistie se faisait « par la prière de la parole qui vient de Jésus-Christ, » et que c'était par cette parole, « que les aliments ordinaires, qui ont accoutumé en se changeant de nourrir notre chair et notre sang , étaient le corps et le sang de ce Jésus incarné pour nous (8) : » et

 

1 Hildeb., eod. tom. Bibl. PP.— 2 Rup., de Div. Off., lib. II, cap. IX ; et lib. V, cap. XX. — 3 Hug. de S. Vict., Erud. theol., lib. III, cap. XX. — 4 Euseb., Gallic sive Euch., tom. VI; Max., Bibl. PP., hom. V, de Pasch. — 8 Ambr., de Init. seu de Myst., cap. IX, n. 54. — 6 Ambr., lib. IV, Sacr., cap. V, n. 23. — 7 Iren., Cont. hœr., lib. IV, cap. XVIII, n. 4.— 8 Just., Apol. I, éd. Ben., Apol. II, n. 66, p.83.

 

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avant tous les Pères, l'apôtre saint Paul avait clairement marqué la bénédiction particulière du calice, lorsqu'il avait dit : « Le calice de bénédiction que nous bénissons (1). » Et pour aller à la source, Jésus-Christ consacre le vin en disant : « Ceci est mon sang, » comme il avait consacré le pain en disant : « Ceci est mon corps ; » de sorte qu'il ne peut tomber dans l'esprit d'un homme sensé qu'on ait jamais pu croire dans l'Eglise que le vin fût consacré sans paroles par le seul mélange du sang, d'où il s'ensuit que c'était avec le pain seul que nos pères communiaient le Vendredi saint.

Tant de pratiques constantes de l'ancienne Eglise, tant de circonstances différentes, où il parait qu'en particulier et en public, et toujours avec une approbation universelle et selon la loi établie , elle a donné la communion sous une espèce tant de siècles avant le concile de Constance, et depuis l'origine du christianisme jusqu'au temps de ce concile, démontrent invinciblement qu'il n'a fait que suivre la tradition de tous les siècles, quand il a décidé que la communion était bonne et suffisante sous une espèce aussi bien que sous les deux ; et qu'en quelque façon qu'on la reçût, ni on ne contrariait à l'institution de Jésus-Christ, ni on ne se privait du fruit de ce sacrement.

Dans les choses de cette nature, l'Eglise a toujours cru qu'elle pouvait changer ses lois suivant les temps et les occurrences; et c'est pourquoi après avoir laissé la communion sous une ou sous deux espèces indifférentes, après avoir obligé aux deux espèces pour des raisons particulières, elle a réduit pour d'autres raisons les fidèles à une seule, prête à rendre les deux quand l'utilité de l'Eglise le demandera, comme il paraît par les décrets du concile de Trente (2).

Ce concile après avoir décidé que la communion sous les deux espèces n'est pas nécessaire, se propose de traiter deux points : le premier, s'il est à propos d'accorder la coupe à quelque nation ; et le second, à quelles conditions on la pourrait accorder.

Il y avait un exemple de cette concession dans le concile de Bâle, où la coupe fut accordée aux bohémiens, à condition de reconnaître que Jésus-Christ était reçu tout entier sous chacune des deux

 

1 I Cor., X, 16. — 2 Sess. XXI, post. Canon.

 

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espèces, et que la réception de l'une et de l'autre n'était pas nécessaire.

On douta donc longtemps à Trente s'il ne fallait point accorder la même chose à l'Allemagne et à la France qui le demandaient, dans l'espérance de réduire plus facilement par ce moyen les luthériens et les calvinistes. Enfin le concile jugea à propos, pour d'importantes raisons, de remettre la chose au Pape, afin qu'il fit selon sa prudence « ce qui serait le plus utile à la chrétienté, et le plus convenable au salut de ceux qui feraient cette demande (1). »

En conséquence de ce décret et en suivant l'exemple de Paul III, son successeur Pie IV à la prière de l'empereur Ferdinand et de quelques princes d'Allemagne, par ses brefs du premier septembre 1563 envoya une permission à quelques évoques de rendre la coupe à l'Allemagne (2), aux conditions marquées dans ces brefs, conformes à celles de Bâle, s'ils le trouvaient utile au salut des âmes. La chose fut exécutée à Vienne en Autriche et en quelques autres endroits. Mais on reconnut bientôt que les esprits étaient encore trop échauffés pour profiter de ce remède. Les ministres luthériens ne cherchaient qu'une occasion de crier aux oreilles du peuple que l'Eglise reconnaissait elle-même qu'elle s'était trompée, lorsqu'elle avait cru que la substance du sacrement se recevait toute entière sous une seule espèce : chose manifestement contraire à la déclaration qu'elle exigeait ; mais la passion fait tout entreprendre et tout croire à des esprits prévenus. Ainsi on ne continua pas de se servir de la concession que le Pape avait faite avec prudence, et qui peut-être en un autre temps et dans de meilleures dispositions, eût eu un meilleur effet.

L'Eglise, qui doit en tout tenir la balance droite, ne doit ni faire paraître comme indifférent ce qui est essentiel, ni aussi comme essentiel ce qui ne l'est pas, et ne doit changer sa discipline que pour une évidente utilité de tous ses enfants ; et c'est de cette prudente dispensation que sont venus tous les changements que nous avons remarqués dans l'administration d'une seule ou de deux espèces.

 

1 Sess. XXII, in fine. — 2 Palavic., Hist. Conc. Trident., lib. XI, 2, n. 11, XXIV; Bona, lib. IV, Rer. lit., cap. XVIII; Calixt., Disp. cont. Comm. Sub unâ, etc., p. 75.

 

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