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AVERTISSEMENTS AUX  PROTESTANTS
SUR LES LETTRES DU MINISTRE JURIEU
CONTRE L'HISTOIRE DES VARIATIONS.

 

PREMIER AVERTISSEMENT.
Le Christianisme flétri, et le Socinianisme autorisé par ce ministre.

 

Mes chers Frères,

 

Dieu qui permet « les hérésies, pour éprouver (1) » la foi de ses serviteurs, permet aussi par la suite du même conseil qu'il y ait des hommes hardis, artificieux, « errants, et jetant les autres dans l'erreur (2) ; » qui sachent donner au mensonge de belles couleurs ; que le peuple, croie invincibles, parce qu'ils ne se rendent jamais à la vérité, infatigables à disputer et à écrire, et d'autant plus triomphants en apparence qu'ils sont plus évidemment convaincus.

Mais il leur arrive, comme aux criminels, que plus ils multiplient leurs discours dans une aveugle confiance d'éblouir leurs juges, plus ils se coupent et se contredisent : ainsi en est-il de ces docteurs de mensonge à qui saint Paul a aussi donné ce caractère, « qu'ils se condamnent eux-mêmes par leur propre jugement (3). »

C'est ce qui paraît manifestement par les continuelles variations des hérésies, qui ne cessent de se condamner elles-mêmes en innovant tous les jours et en tombant d'absurdités en absurdités; en sorte qu'on voit bientôt, comme dit le même saint Paul, que

 

1 I Cor., XI, 19.— 2 II Tim., m, 13. — 3 Tit., III, 11.

 

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ceux qui en entreprennent la défense, « n’entendent ni ce qu’ils disent eux-mêmes, ni les choses dont ils parlent avec assurance (1). » En effet plus ils sont hardis à décider, plus ils montrent qu'ils n'entendent pas ce qu'ils disent. Ce qui se pousse à la fin à de tels excès, que « leur folie est connue à tous, » selon la prédiction du même Apôtre (2); et c'est alors qu'on peut espérer avec lui, «qu'ils ne passeront pas plus avant, » et que l'excès de l'égarement sera la marque du terme où il devra prendre fin : « Ils n'iront pas plus loin, » dit ce grand Apôtre, et ils cesseront de tromper les peuples, parce que « leur folie sera manifeste à toute la terre. »

Ne vous fâchez pas, mes Frères, si j'entreprends de vous faire voir que ces caractères marqués par saint Paul paraissent manifestement au milieu de vous. Le seul qui s'y fait entendre depuis tant d'années, et à qui par un si grand silence, tous les autres semblent laisser la défense de votre cause, c'est le ministre Jurieu, qui outre qu'il est revêtu de toutes les qualités qui donnent de l'autorité dans un parti, ministre, professeur en théologie, écrivain fameux parmi les siens, qui seul par ses prétendues Lettres pastorales, exerce la fonction de pasteur dans un troupeau dispersé, ajoute à tous ces titres celui de prophète par la témérité de ses prédictions : mais en même temps il n'avance que des erreurs manifestes : il favorise les sociniens; il autorise le fanatisme, il n'inspire que la révolte, sous prétexte de flatter la liberté ; sa politique met la confusion dans tous les Etats : au reste il n'y a personne contre qui il parle plus que contre lui-même, tant sa doctrine est insoutenable ; et il vous pousse si loin, qu'il est temps enfin d'en revenir.

Cinq ou six avertissements semblables à celui-ci le convaincront de tous ces excès. Vous lui allez voir aujourd'hui déchirer les siècles les plus purs, flétrir le christianisme dès son origine, soutenir les sociniens, montrer le salut dans leur communion; et pour défendre la Réforme contre les variations dont on l'accuse, effacer toute la gloire de l'Eglise et de la doctrine chrétienne.

J'avais donné pour fondement à l'Histoire des Variations, que varier dans l'Exposition de la foi, « était une marque de fausseté

 

1 1 Tim., 1,7.— II Tim., III, 9.

 

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et d'inconséquence dans la doctrine exposée (1); » que l'Eglise n'avait aussi jamais varié dans ses décisions, et qu'au contraire les protestants n'avaient cessé de le faire dans leurs actes qu'ils appellent symboliques, c'est-à-dire dans leurs propres confessions de foi, et dans les décrets les plus authentiques de leur religion (2). Sans qu'il soit besoin de défendre ce que j'avance sur le sujet des protestants, il faut bien que ces Messieurs se sentent coupables des variations dont je les accuse ; autrement il n'y aurait eu qu'à convenir avec nous de la maxime générale, et se défendre sur l'application qu'on en fait à la doctrine protestante. Mais, mes Frères, ce n'est pas ainsi qu'on procède. Ce que votre ministre trouve insupportable (3), c'est que j'aie osé avancer que la foi ne varie pas dans la vraie Eglise, et « que la vérité venue de Dieu a d'abord sa perfection (4). » Ce ministre fait l'étonné, comme si j'avais inventé quelque nouveau prodige, et non pas répété fidèlement ce qu'ont dit nos Pères, que la doctrine catholique est celle « qui est toujours et partout : » Quod ubique, quod semper : c'est ce que disait le docte Vincent de Lérins (5) une des lumières du quatrième siècle ; c'est ce qu'il avait posé pour fondement de ce célèbre Avertissement, où il donne le vrai caractère de l'hérésie, et un moyen général pour distinguer la saine doctrine d'avec la mauvaise. Les orthodoxes avaient, comme lui, toujours raisonné sur ce beau principe ; les hérétiques mêmes n'avaient jamais osé le rejeter ouvertement, et l'obscurcissaient plutôt qu'ils ne le niaient : mais lorsque je l'avance, M. Jurieu ne peut le souffrir. « Je suis, dit-il, tenté de croire que M. Bossuet n'a jamais jette les yeux sur les quatre premiers siècles (6) : » ce sont donc les quatre premiers siècles, c'est-à-dire le plus beau temps du christianisme dont il entreprend de montrer que la doctrine est incertaine et variable. « Comment, poursuit-il, se pourrait-il faire qu'un homme savant put donner une marque d'une si profonde ignorance ? » Je ne suis pas seulement dans une ignorance grossière, ma « témérité, dit-il, tient du prodige (7); » elle va même jusqu'à l'impiété : « On

 

1 Préf. des Var., n. 2 et suiv. — 2 Ibid., n. 8. — 3 Lett. VI, 3 an. p. 42. — 4 Préf. des Var., ibid. —  5 Vinc. Lirin. Commonit., I, init. — 6 Lett. VI, p. 42, col. — 7 Ibid., col. 1.

 

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ne sait, dit-il, si l'on dispute avec un chrétien ou avec un païen; car c'est ainsi précisément que pourrait raisonner le plus grand ennemi du christianisme; » et il m'accuse d'avoir livré la religion chrétienne, « pieds et poings liés aux infidèles, » parce que j'ai osé dire, « que la vérité venue de Dieu a eu d'abord sa perfection, c'est-à-dire qu'elle a été très-bien connue et très-heureusement expliquée d'abord (1). C'est le contraire de cela, continue-t-il, qui est précisément vrai : et pour le nier, il faut avoir un front d'airain ou être d'une ignorance crasse et surprenante (2). » Ainsi, pour bien parler de la vérité au gré de votre ministre, il faut dire « qu'elle n'a pas été bien connue d'abord, ni heureusement expliquée. La vérité de Dieu, poursuit-il, n'a été connue que par parcelles : » la doctrine chrétienne a été composée par pièces ; elle a eu tous les changements et le plus essentiel de tous les défauts des sectes humaines; et lui donner, comme j'ai fait, ce beau caractère de divinité, d'avoir eu d'abord sa perfection, ainsi qu'il appartenait à un ouvrage parti d'une main divine, non-seulement ce n'est pas la bien connaître, mais encore c'est un prodige de témérité, une erreur et une ignorance jusqu'au dernier excès, et une impiété manifeste.

Mais, mes Frères, prenez-y garde : ces étonnements affectés de votre ministre, ces airs de confiance qu'il se donne et les injures qu'il dit à ses adversaires, comme s'ils n'avaient ni foi ni raison, ni même le sens commun, sont des artifices pour vous éblouir, ou pour cacher sa faiblesse : on en a ici une preuve bien convaincante. Ce ministre, qui fait l'étonné lorsqu'on lui dit que la foi ne varie jamais, et comme un ouvrage divin qu'elle a eu d'abord sa perfection, ne peut ignorer que ce ne soit la doctrine commune des catholiques ; et pour venir aux anciens dont on pourrait produire une infinité de passages, il ne peut du moins ignorer cet endroit célèbre de Vincent de Lérins, où il dit que « l'Eglise de Jésus-Christ, soigneuse gardienne des dogmes qui lui ont été donnez en dépôt, n'y change jamais rien : elle ne diminué point ; elle n'ajoute point; elle ne retranche point les choses nécessaires; elle n'ajoute point les superflues. Tout son travail, continue ce

 

1 Lett. VI, p. 42, col. 2. — 2 Ibid., p. 43.

 

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Père, est de polir les choses qui lui ont été anciennement données, de confirmer celles qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui ont été confirmées et définies, de consigner à la postérité par l'Ecriture ce qu'elle avait reçu de ses ancêtres par la seule tradition (1). » M. Jurieu reconnaît ce passage, qu'il cite lui-même avec honneur dans son livre de l'Unité1. J'aurais peut-être pu le mieux traduire; mais j'aime mieux le réciter simplement, comme il l'a lui-même traduit, « Cela est précis, dit ce ministre ; et rien ne le peut être davantage : l'Eglise n'ajoute rien de nouveau ; elle ne fait donc pas de nouveaux articles de foi. » Je l'avoue, cela est précis; mais contre lui. « Les conciles confirment, dit-il après Vincent de Lérins, ce qui a toujours été enseigné. » Il n'y a rien de plus précis pour démontrer que l'Eglise ne varie jamais dans sa doctrine. M. Jurieu n'était pas d'humeur à contester alors cette vérité, puisqu'il ne trouve rien à redire dans ce beau passage de Vincent de Lérins, et qu'au contraire il s'en sert pour confirmer sa doctrine.

Mais ce n'est pas assez à ce Père d'établir la même vérité que j'ai posée pour fondement; il l'établit par le même principe, qui est que la vérité venue de Dieu a d'abord sa perfection, comme un ouvrage divin. « Je ne puis assez m'étonner, dit-il, comment il y a des hommes si emportés, si aveugles, si impies et si portés à l'erreur, que non contents de la règle de la foi une fois donnée aux fidèles et reçue de toute antiquité, ils cherchent tous les jours des nouveautés, et veulent toujours ajouter, changer, ôter quelque chose à la religion; comme si ce n'était pas un dogme céleste, qui révélé une fois, nous suffit; mais une institution humaine qui ne puisse être amenée à sa perfection qu'en la réformant ; ou à dire le vrai en y remarquant tous les jours quelque défaut (3). » Voilà dans Vincent de Lérins un étonnement bien contraire à celui de M. Jurieu. Ce saint docteur s'étonne qu'on puisse penser à varier dans la foi : le ministre s'étonne qu'on puisse dire que la foi ne varie jamais. Le saint docteur traite d'aveugles et d'impies ceux qui ne veulent pas reconnaître que la religion soit une chose où l'on ne peut jamais ôter, ni ajouter, ni changer, en quelque

 

1 Vinc. Lirin., Com. I. — 2 Trait. VII. chap. IV, p. 626. — 3 Vinc. Lir., Com. I.

 

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temps que ce soit : le ministre impute au contraire à aveuglement et à impiété de n'y vouloir point connaître de changement, ni de progrès. Mais afin de mieux comprendre la pensée de Vincent de Lérins, il faut encore entendre ses preuves. Pour combattre toute innovation ou variation qui pourrait arriver dans la foi, il dit « que les oracles divins ne cessent de crier : « Ne remuez point les bornes posées par les anciens (1) ; » et, « Ne vous mêlez point de juger par-dessus le juge (2); » c'est-à-dire, visiblement, par-dessus l'Eglise ; et il soutient cette vérité par cette sentence apostolique, « qui, dit-il, à la manière d'un glaive spirituel, tranche tout à coup toutes les criminelles nouveautés des hérésies (3). « O Timothée, gardez le dépôt (4); » c'est-à-dire, comme il l'explique, non ce que vous avez découvert, mais ce qui vous a été confié; ce que vous avez reçu par d'autres, et non pas ce qu'il vous a fallu inventer vous-même ; une chose qui ne dépend pas de l'esprit, mais qu'on apprend de ceux qui nous ont devancés ; qu'il n'est pas permis d'établir par une entreprise particulière, mais qu'on doit avoir reçue de main en main par une tradition publique ; où vous devez être non point auteur, mais simple gardien ; non point instituteur, mais sectateur de ceux qui vous ont précédé ; c'est-à-dire, non pas un homme qui mène, mais un homme qui ne fait que suivre les guides qu'il a devant lui et aller par le chemin battu. » Selon la doctrine de ce Père, il n'y a jamais rien à chercher ni à trouver en ce qui concerne la religion : non-seulement elle a été bien enseignée par les apôtres, mais encore elle a été bien retenue par ceux qui les ont suivis ; et la règle, pour ne se tromper jamais, c'est en quelque temps que ce soit de suivre ceux qu'on voit marcher devant soi. Voilà précisément ma proposition : il n'y a jamais rien à ajouter à la religion, parce que c'est un ouvrage divin qui a d'abord sa perfection. Loin de s'étonner avec M. Jurieu de ce qu'on reconnaît cette perfection de la doctrine chrétienne dès les premiers temps, ce grave auteur s'étonne de ce qu'on peut ne la pas reconnaître ; et il n'y a rien en effet de plus étonnant que de voir des chrétiens qu'on veut vous donner pour réformés, qui sont encore à savoir

 

1 Prov., XXII, 28.— 2 Eccli., VIII, 17.— 3 Vinc. Lir., loc. cit. — 4 I Tim., VI, 20.

 

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cette vérité et à qui leur plus célèbre ministre la donne comme un prodige inouï parmi les fidèles.

Mais peut-être que ce qui manque, selon ce ministre, à la religion chrétienne dans ses plus beaux temps et dès les premiers siècles du christianisme, ce n'est pas des dogmes, mais des manières de les expliquer et des termes pour les faire entendre, en sorte que la différence entre les Pères et nous ne soit que dans les expressions; ou si elle est dans les dogmes mêmes, ce ne sera pas dans les dogmes les plus importants. C'est ce que M. Jurieu semblait d'abord avoir voulu dire, car il n'osait déclarer tout ce qu'il avait dans le cœur; mais il a bien vu que s'en tenir là, ce ne serait pas se tirer d'affaire sur tant d'importantes variations dont les églises protestantes sont convaincues : c'est pourquoi il est contraint d'aller plus avant. Premièrement, pour les termes, il s'en fait lui-même l'objection par ces paroles : « On dira que toutes ces variations n'étaient que dans les termes, et que dans le fond l'Eglise a toujours crû la même chose (1) ; » mais il rejette bien loin cette réponse : « Il n'est pas vrai, poursuit-il, que ces variations ne fussent que dans les termes; car les manières dont nous avons vu que les anciens ont exprimé la génération du Fils de Dieu et son inégalité avec son Père, donnent des idées très-fausses et très-différentes des nôtres. » Il ne s'agit donc pas de termes, mais de choses; ni de manières d'expliquer, mais du fond; ni dans une matière peu importante, mais dans la plus essentielle, puisque c'est « l'inégalité du Père et du Fils, » sur laquelle les anciens avaient des idées « si fausses et si différentes des nôtres (2). » C'est en effet par ce grand mystère, par le mystère de la Trinité, que le ministre commence à vous montrer les variations de l'Eglise. « Ce mystère, vous dit-il, est de la dernière importance et essentiel au christianisme : cependant, continue ce hardi docteur, chacun sait combien ce mystère demeura informe jusqu'au premier concile de Nicée, et même jusqu'à celui de Constantinople (3). » Le mystère de la Trinité informe ! Mes Frères, je vous le demande; eussiez-vous cru devoir entendre cette parole d'une autre bouche que de celle d'un socinien? Si dès le

 

1 Lett. VI, p. 45. — 2 Ibid., col. 2. — 3 Ibid.

 

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commencement on a adoré distinctement un seul Dieu en trois personnes égales et coéternelles, le mystère de la Trinité n'était pas informe : or, selon votre ministre, il était informe, non-seulement jusqu'à l'an 325 où se tint le concile de Nicée, mais encore cinquante ans après, et jusqu'au premier concile de Constantinople qui se tint en l'an 381. Donc les premiers chrétiens dans la plus grande ferveur de la religion, et lorsque l'Eglise enfantait tant de martyrs, n'adoraient pas distinctement un seul Dieu en trois personnes égales et coéternelles : saint Athanase lui-même et les Pères de Nicée n'entendaient pas bien cette adoration : le concile de Constantinople a donné la forme au culte des chrétiens : jusqu'à la fin du quatrième siècle le christianisme n'était pas formé, puisque le mystère de la Trinité, si essentiel au christianisme , ne l'était pas : les chrétiens versaient leur sang pour une religion encore informe, et ne savaient s'ils adoraient trois dieux ou un seul Dieu.

Pour prouver ce qu'il avance, le ministre fait enseigner aux Pères des premiers siècles « que le Verbe n'est pas éternel en tant que Fils; qu'il était seulement caché dans le sein de son Père comme sapience, et qu'il fut comme produit et devint une personne distincte de celle du Père peu devant la création, et qu'ainsi la trinité des personnes ne commença qu'un peu avant le monde (1). » Il n'y a personne qui n'ait ouï parler de l'hérésie des sabelliens, qui ne faisaient du Père et du Fils qu'une seule et même personne, et qui par là anéantissaient jusqu'au baptême; on sait combien cette hérésie fut détestée; mais elle était véritable jusqu'au moment que le monde fut créé. « Telle était, du moins selon M. Jurieu (2), la théologie des anciens, celle de l'Eglise des trois premiers siècles sur la Trinité, celle d'Athénagoras, contemporain de Justin martyr, qui écrivait quarante ans après la mort des derniers apôtres, celle de Tatien, disciple de Justin martyr ; et il est clair que le disciple avait appris cela de son maître; » c'était la foi des martyrs, et c'était en cette foi qu'ils versaient leur sang.

C'est aussi en conséquence de cet aveu que le ministre est contraint

 

1 Lett. VI, p. 44. — 2 Ibid., p. 43, 44.

 

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de dire qu'une si insigne variation dans la doctrine de l'Eglise « n'est pas essentielle, ni fondamentale (1). » Ce n'est pas une erreur fondamentale de dire que le Fils de Dieu n'est pas de toute éternité une personne distincte de celle du Père, et que cette distinction de personnes entre le Père et le Fils, et enfin, pour trancher plus net, la trinité des personnes, non-seulement a commencé, mais encore n'a commencé qu'un peu avant la création du monde : en sorte que l'univers est presque aussi ancien que la Trinité qui l'a fait, et que ce qui est adoré comme Dieu par les chrétiens est nouveau.

Je n'ai pas besoin de remarquer ici l'avantage que cette doctrine donne aux ariens et aux sociniens; le ministre l'a bien senti; mais il s'en sauve d'une étrange sorte : « C'est, dit-il, que les ariens faisaient le Fils produit du néant, sans rien reconnaître d'éternel en lui, ni l'essence, ni la personne; » et les anciens le faisaient produit de la substance du Père, et de même substance avec lui : « seulement, poursuit le ministre, ils voulaient que la génération de la personne se fût faite au commencement du monde ; » et ce monstre de doctrine, selon lui, n'a rien qui combatte l'essence du christianisme ; ce n'est pas là « une variation essentielle et fondamentale. » On peut être un vrai chrétien et dire qu'une personne divine, et en un mot, ce qui est Dieu et vrai Dieu, autant que le Père, a commencé.

Mais la cause qu'il attribue à cette erreur des anciens est pire que leur erreur même : « car leur erreur, poursuit le ministre, venait en partie d'une méchante philosophie, parce qu'ils n'avaient pas une juste idée de l'immutabilité de Dieu (2). » En effet puisqu'il survenait à Dieu quelque chose, et encore quelque chose de substantiel, une nouvelle génération et une nouvelle personne qui n'y avait point été de toute éternité, la substance de Dieu se changeait et s'altérait avec le temps : ainsi ce qu'on croit Dieu est nouveau, et ne prévient la créature que de quelques heures : ce qui n'est pas seulement, comme l'avoue le ministre, « n'avoir pas une juste idée de l'immutabilité de Dieu, » mais la détruire en termes formels : de sorte que tout le secours que donne votre

 

1 Lett. VI, p. 14, Col. 2. — 2 Ibid.

 

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ministre aux chrétiens des trois premiers siècles pour les distinguer des ariens, c'est de les faire plus impies : puisque c'est une impiété beaucoup plus grande d'ôter à Dieu l'immutabilité de son être, qui était connue même des philosophes, que de lui ôter seulement avec les ariens la personne de son Fils, bien moins nécessaire à connaître la perfection de son être que son immutabilité, sans quoi on ne peut pas même le concevoir comme Dieu.

L'eussiez-vous cru, mes chers Frères, qu'on dût jamais vous débiter cette doctrine dans des lettres qu'on ose nommer Lettres pastorales ? Est-ce un pasteur qui écrit ces choses, ou bien un loup ravissant, qui vient ravager le troupeau? N'est-il pas temps de vous réveiller, lorsque celui qui fait parmi vous le docteur et le prophète, et à qui vous avez remis la défense de votre cause, en vient à cet excès d'égarement, de ne distinguer les chrétiens des trois premiers siècles et les martyrs mêmes d'avec les ariens, qu'en les faisant plus impies, qu'en leur faisant rejeter non-seulement le dogme le plus essentiel du christianisme, qui est l'éternité du Fils de Dieu, mais encore ce que les païens n'ont pu méconnaître, l'immutabilité de l'Etre divin; de sorte que les saints docteurs, en perdant la foi, n'aient pu même retenir les restes de la lumière naturelle que les philosophes païens avaient conservée.

Et celui qui vous annonce de tels prodiges, loin d'en rougir, s'en glorifie. « Je me suis, dit-il, un peu étendu à expliquer la théologie de l'Eglise des trois premiers siècles sur la Trinité, parce que je n'ay trouvé aucun auteur jusqu'ici qui l'ait bien comprise (1). » C'est la lumière de notre siècle : il se vante de découvrir, dans la théologie des trois premiers siècles, ce que personne n'a voit compris avant lui. Mais encore qu'a-t-il découvert dans leur théologie? Il y a découvert ce grand mystère, que Dieu n'était pas immuable, et qu'un Dieu n'était pas éternel. Voilà la belle découverte de ce grand personnage M. Jurieu; c'est pour cela qu'il nous vante sa grande science, et qu'il avertit « l'évêque de Meaux qu'un évêque de cour comme lui, et les autres dont le métier n'est pas d'étudier, devraient un peu ménager ceux qui

 

1 Lett. VI, p. 44.

 

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n'ont point d'autre profession (1). » C'est dommage en effet qu'on ne se tait pas par toute la terre, pour laisser M. Jurieu écrire tout seul, afin que toute la chrétienté apprenne cette merveille que les siècles les plus voisins des apôtres, où est la force et la gloire du christianisme, ne croyaient pas Dieu immuable, ni la génération de son Fils éternelle, et que cette erreur est de celles qui ne sont « ni essentielles, ni fondamentales. »

Si cette horrible flétrissure du christianisme, si une corruption si manifeste de la foi n'est pas l'accomplissement de ce que dit l'apôtre saint Paul sur les hérétiques, « que leur folie sera connue de tous (2), » je ne sais plus quand il le faut attendre. Mais votre docteur continue : « Et il est vrai, poursuit-il, que les anciens jusqu'au quatrième siècle, ont eu une autre fausse pensée au sujet des personnes de la Trinité : c'est qu'ils y ont mis de l'inégalité (3). » Ils n'ont donc pas adoré en un seul Dieu trois personnes égales : ils ont adoré le Fils comme Dieu, mais ils ne l'ont pas connu comme étant égal à son Père. Un Dieu n'est pas égal à un Dieu; il y a de l'imperfection, puisqu'il y a de l'inégalité dans ce qui est Dieu ; on peut concevoir un Dieu qui n'est pas parfait : voilà les prodiges qu'on vous enseigne; voilà, dit votre ministre, ce que croyaient les martyrs et les siècles les plus purs. Que reste- t-il à conclure, sinon que les ariens raisonnaient mieux, et avaient une doctrine plus pure sur la Divinité , que les docteurs de l'Eglise?

Mais remarquez, mes chers Frères, que non content d'attribuer de tels prodiges aux siècles les plus purs de la religion, votre docteur est encore contraint de dire, comme vous venez de l'entendre, que ces prodiges ne sont pas contraires aux fondements de la foi; car l'erreur des anciens, dit-il, a n'est ni essentielle ni fondamentale; » et il faut bien qu'il en parle ainsi à moins de condamner l'ancienne Eglise lorsqu'elle enfantait les martyrs, et de dire qu'elle était Eglise sans avoir les fondements de la foi. Triomphez donc, ariens et sociniens : on peut, sans blesser l'essence de la piété, dire que la personne du Fils de Dieu n'est pas éternelle, qu'il est engendré dans le temps, qu'il n'est pas égal à

 

1 Lett. VIII, p. 61. — 2 II Tim., III, 9. — 3 Lett. VI, p. 45.

 

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son Père. Mais triomphez en particulier, ô sociniens, qui osez dire qu'il arrive à l'être de Dieu quelque chose de nouveau : M. Jurieu vous donne les mains, puisqu'il avoue qu'on peut croire sans blesser le fond de la piété, non pas qu'il survient à Dieu des accidents comme à nous, et de nouvelles pensées, ce qui autrefois faisait horreur : mais, ce qui est beaucoup pis, qu'il change dans la substance, et qu'une personne divine commence d'être ; non-seulement on peut le croire sans aucun péril de son salut, mais on l'a cru autrefois, et c'était la foi des martyrs.

Je ne m'étonne pourtant pas que ce ministre parle ainsi après avoir vu, non ce qu'il tolère dans les autres, mais ce qu'il enseigne lui-même. Car en parlant de Tertullien et de son livre contre Praxéas (a) : « Là il explique, dit-il, la génération du Fils comme nous, par l'entendement divin, qui en se comprenant et s'entendant lui-même, a fait son image et son Verbe qui est son Fils : cela va bien jusque-là (1). » Remarquez, mes Frères, ce blasphème : Dieu a fait son Fils. Que disaient de pis les ariens? Mais le ministre l'approuve : « Tertullien, dit-il, l'entend comme nous, et cela va bien jusque-là. » Cela va bien de dire que Dieu fait son Fils, et que celui par qui Dieu a fait toutes choses, est lui-même au nombre des choses faites. Un homme qui ne rougit pas de se donner pour savant, tombe dans une erreur qu'un théologien de quatre jours aurait évitée; et vous ne voyez pas encore que ce téméraire théologien, dans les embarras où le jette la défense de votre cause, hasarde tout, et que l'heure est venue où, comme disait l'Apôtre, la folie de vos docteurs doit être connue de tout l'univers.

Il n'est pas ici question d'expliquer le sentiment de Tertullien : d'autres docteurs et des docteurs protestants l'ont fait devant nous, et ont très-bien justifié qu'il n'a jamais dit absolument que le Fils de Dieu eût été fait, ni autrement qu'il est écrit du Père même, « qu'il a été fait notre refuge, et le refuge du pauvre (2). » Mais quand Tertullien se serait trompé selon M. Jurieu avant que

 

1 Lett. VI, p. 14, col. 1. — 2 Psal. IX, 10.

(a) Texte primitif: Contre Hermogène. Dans la correction de quelques-uns de ses ouvrages, après le VIe Avertissement, Bossuet a mis : Contre Praxéas.

 

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la foi de la Trinité eût été formée, maintenant que de son aveu elle a reçu sa forme, fallait-il encore errer avec lui, et mettre le Fils de Dieu au rang des choses faites ? Et on lui laisse dire parmi vous toutes ces choses. Il n'en est pas moins ministre, pas moins professeur en théologie. Il adresse toutes ces erreurs à tous ses frères sous le titre le plus vénérable que pût prendre un vrai pasteur, sans que personne le contredise. Il a trouvé parmi vous des contradicteurs sur ses prétendues prophéties : on l'a traité sur cela de visionnaire ; on s'est moqué de ce qu'il a dit sur ces prétendus prophètes de Vivarais et de Dauphiné, où toute la marque de l'Esprit de Dieu est de se laisser tomber par terre, et de crier de toute leur force en fermant les yeux et faisant semblant de dormir. On lui a reproché publiquement qu'en autorisant ces illusions, il autorisait la tromperie et le fanatisme, et exposait le parti protestant à la risée de tout l'univers : on ne l'a pas épargné sur toutes ces choses. Il attaque le fondement de la foi; il impute à l'ancienne Eglise dès l'origine du christianisme des erreurs essentielles sur la Trinité ; il les tolère, il les approuve, il les adopte : cependant on ne lui dit mot sur tout cela; et ses Lettres pastorales courent l'univers sans être, je ne dis pas notées par les églises, mais reprises par aucun particulier ; tant le soin de l'orthodoxie, si je puis parler de la sorte, est abandonné parmi vous. Vos gens délicats sur l'esprit craignent qu'on ne leur impute des visions et des faiblesses, et ils ne craignent pas qu'on leur impute des erreurs.

Si les anciens ont été si aveugles dans le mystère de la Trinité, ils n'auront pas mieux entendu celui de l'incarnation, dont la Trinité est le fondement : aussi votre ministre vous enseigne-t-il que les anciens docteurs, et « surtout ceux du troisième siècle, et même ceux du quatrième, ont mêlé d'épaisses ténèbres les lumières qu'ils avaient sur ce mystère; qu'ils ont confondu le Fils et le Saint-Esprit; qu'ils nous ont fait un Dieu converti en chair, selon l'hérésie qu'on a attribuée à Eutychès; et que ce n'est que par la voie des longues contentions qu'enfin cette vérité venue de Dieu est arrivée à la perfection (1) ; » de sorte que

 

1 P. 45, 46.

 

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loin d'y être d'abord, comme sont les œuvres où Dieu met la main d'une façon particulière , à peine y était-elle après quatre siècles.

Comment les anciens auraient-ils compris les vérités particulières au christianisme, puisque même ils ont ignoré ce que la raison naturelle a enseigné aux gentils? Ecoutez parler votre ministre : « Je voudrais bien, poursuit-il, que l'évêque de Meaux me prouvât cette maxime (que la vérité venue de Dieu ne peut souffrir de variations, et qu'elle atteint d'abord toute sa perfection), seulement dans le dogme d'un Dieu unique, tout-puissant, tout sage, tout bon, infini et infiniment parfait (1). » Avons-nous bien entendu? Quoi! ce n'est plus l'immutabilité de l'Etre divin que ce ministre fait ignorer aux premiers chrétiens ; c'est encore tous les autres attributs divins que nous venons de nommer. Répétons encore ces paroles, de peur de nous être trompés en lui faisant dire des nouveautés si étranges : « Je voudrais bien que l'évêque de Meaux me prouvât cette maxime (que la vérité arrive d'abord à sa perfection), seulement dans le dogme d'un Dieu unique, tout-puissant, tout sage, tout bon, infini et infiniment parfait. Il n'y a point d'endroit, continue-t-il, où les Pères de l'Eglise auraient du être plus uniformes et plus exempts de variations que celui-là, puisque c'est celui qu'ils devaient savoir le mieux, s'y exerçant perpétuellement dans leurs disputes contre les païens; » cependant ils ne le savaient qu'imparfaitement; «car, poursuit-il, combien trouve-t-on dans tous ces dogmes de variations et de fausses idées? » Ainsi l'unité de Dieu, qui était le dogme le plus éclatant du christianisme, n'était qu'imparfaitement connue par les fidèles des trois premiers siècles. Il le faut bien, puisqu'ils adoraient comme Dieu le Père, la personne du Fils et du Saint-Esprit, qui ne lui étaient, ni égales, ni coéternelles; ce n'était donc pas un même Dieu, puisque Dieu ne peut être inégal à soi-même. Les chrétiens, qui faisaient semblant de tant détester la multiplicité des dieux, en avaient trois bien comptés dans les premiers siècles ; et afin de ne point errer sur ce seul article, selon eux, « la bonté de Dieu était un accident comme la couleur : la

 

1 P. 46.

 

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sagesse de Dieu n'était (a) pas sa substance; » et ce n'était pas seulement la pensée d'Athénagoras et de Tertullien : « c'était, dit-il, la théologie du siècle; » on ne croyait pas « que Dieu fût partout, ni qu'il pût être en même temps dans le ciel et dans la terre : la plupart des anciens ont crû Dieu corporel et étendu, comme Tertullien; » afin que les sociniens, qui ont de Dieu cette basse idée, aient pour garants la plupart des saints docteurs. Quel prodige ne peut-on donc pas soutenir par l'autorité de l'Eglise primitive? Et il ne faut pas s'en étonner, « puis qu'on y représentait Dieu muable et divisible, changeant ce germe de son Fils en une personne, et divisant une partie de sa substance pour son Fils, sans la détacher de soi (1). » Qui peut dire que Dieu est muable et divisible, lui peut attribuer toutes les passions, tous les défauts, et même tous les vices, avec les païens. S'il peut changer et devenir ce qu'il n'était pas, il n'est plus celui qui est : il tient plus du néant que de l'être. Il n'est plus la vérité même, la sainteté même; et il peut perdre tout ce qu'il peut acquérir : ainsi on peut lui ôter, non-seulement son Fils et son Saint-Esprit, mais encore tous ses attributs et son propre être. C'est où vous conduit votre ministre ; et il conclut cet étrange discours en disant « que cette belle et juste idée que nous avons aujourd'hui de l'être parfait, quoique vérité venue de Dieu, n'a pas atteint toute sa perfection d'abord. »

Vous l'entendez, mes chers Frères, l'idée de l'être parfait est une idée d'aujourd'hui. Quand Tertullien a dit que Dieu était « le souverain grand, et par là unique sans pouvoir avoir son égal, autrement qu'il ne serait point Dieu (2); » quand tous les Pères des premiers siècles, aussi bien que de tous les autres, ont soutenu aux païens la même chose; quand ils leur ont prouvé mille et mille fois l'unité de Dieu par la souveraineté et la singularité de sa perfection ; quand ils ont dit que jamais nul n'avait prononcé le nom de Dieu, qu'en y attachant l'idée de la perfection, ils n'étaient pas entendus  et ils ne s'entendaient  pas eux-mêmes : selon

 

1 P. 46. — 2 Lib. I, adv. Marcion., cap. III.

 

(a) N'était au lieu de n'est : correction faite à la main sur l'imprimé original, dans l'exemplaire de la bibliothèque impériale.

 

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M. Jurieu, cette idée que nous avons aujourd'hui, n'est pas celle de l'antiquité; et il semble que ce ministre ne l'aurait pas eue ou n'y aurait pas fait d'attention, si un philosophe moderne n'était venu lui apprendre que l'idée de Dieu était jointe à celle de l'être parfait.

Quoi qu'il en soit, il est certain, selon lui, que les Pères et même ceux des trois premiers siècles ne l'avaient pas, non plus que celles de l'éternité et de l'immutabilité de l'être de Dieu, ni des personnes divines, et les autres que nous avons vues. C'est ce que dit ce ministre dans la sixième Lettre de cette année, qui est la première qu'il a opposée à l'Histoire des Variations. La seconde, qui est en ordre la septième, n'est pas moins pleine d'erreurs et d'égarements. Il la commence en répétant « qu'il y a trois vérités essentielles et fondamentales imparfaitement expliquées par les plus anciens docteurs de l'Eglise, la Trinité des personnes, l'incarnation de la seconde et l'idée d'un Dieu unique, qui est l'être infiniment parfait (1) ; » et l'on a vu que ce qu'il appelle explication imparfaite de ces dogmes, c'était les anéantir tout à fait, et établir en termes formels des dogmes contraires. Il est bien aisé de comprendre que le reste ne se soutient plus, après qu'on a renversé ces fondements. Aussi « était-ce l'opinion constante et régnante dans ces premiers siècles de l'Eglise, que Dieu avait abandonné le soin de toutes les choses qui sont au-dessous du ciel, sans en excepter même les hommes, et ne s'était réservé la providence immédiate que des choses qui sont dans les cieux. » Ainsi la providence particulière tant célébrée dans l'Ecriture et poussée par Jésus-Christ même jusqu'au moindre de nos cheveux, était oubliée par les chrétiens, quoiqu'elle fût si sensible que les philosophes platoniciens et stoïciens, mieux instruits que les chrétiens et que les martyrs, la reconnussent. O Dieu ! quelle patience faut-il avoir pour entendre dire des choses si fausses et si avantageuses, non-seulement aux sociniens, mais encore à tout le reste des libertins et des impies! Ce n'est pas tout : «La grâce, qu'on regarde aujourd'hui avec raison comme l'un des plus importants articles de la religion chrétienne, était entièrement informe jusqu'au temps

 

1 Lett. VII, p. 49.

 

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de saint Augustin. Avant ce temps les uns étaient stoïciens et manichéens : d'autres étaient purs pélagiens; les plus orthodoxes ont été semi-pélagiens (1). » Quoi! même sans en excepter saint Cyprien, tant cité par saint Augustin contre ces hérétiques (2)? quoiqu'il ait dit en trois mots tout ce qu'il fallait pour les confondre en disant si précisément et en prouvant avec tant de force « qu'il ne faut se glorifier de rien, parce que nul bien ne vient de nous (3). » Les autres Pères n'en ont pas moins dit; et néanmoins, dit notre ministre, « tous en général ont discouru sur cette matière d'une manière à faire voir qu'ils n'y avaient fait aucune attention, » quoique ce soit le fondement de la piété et de l'humilité chrétienne, « et n'avaient pas étudié l'Ecriture là-dessus. » Mais quoique saint Augustin et les conciles de son temps eussent fait sur ce sujet, selon le ministre même, des décisions si justes, on n'a pas laissé de varier : « dans le sixième siècle et dans les suivants, l'Eglise romaine devint quasi pélagienne (4) » pendant que le pape saint Grégoire, un si fidèle disciple de saint Augustin, y présidait : « L'article de la satisfaction de Jésus-Christ, celui de la justification et celui du péché originel, » sont mal enseignés par les anciens Pères : « Le péché originel est conçu comme l'un des importants articles de la religion chrétienne ; » cependant le ministre me « défie de lui faire voir cette importante vérité dans les Pères qui ont précédé saint Augustin, toute formée, toute conçue comme elle a été depuis, » encore qu'il sache bien, pour ne pas citer ici tous les auteurs, qu'on la trouve dans un concile tenu par saint Cyprien v aussi constamment et aussi clairement posée que dans saint Augustin même; et que sur ce fondement du péché originel on y établisse la nécessité du baptême des petits enfants, en termes aussi forts qu'on l'a fait depuis dans les conciles de Milevi et de Carthage.

Mais il ne s'agit pas ici de soutenir la doctrine de l'Eglise : il s'agit de manifester aux yeux du monde la basse idée que l'on en a dans la Réforme. « S'il y a, poursuit le ministre, doctrine

 

1 Lett. VII, p 50. — 2 Lib. de Dono persev., cap. XIX, n. 48 ; ad Bonif., lib. IV, cap. VIII et seq.; S. Cypr. Testim., lib. III, cap. IV. — 3 Lett. VII, p. 50, col. 2. — 4 Epist. ud Fid. de infant, baptiz.

 

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importante dans toute la religion, et qui soit clairement enseignée dans l'Ecriture, c'est celle de la satisfaction de Jésus-Christ, qui a été mis en notre place et qui a souffert les peines que nous avons méritées. Ce dogme si important et si fondamental est demeuré si informe jusqu'au quatrième siècle, qu'à peine peut-on rencontrer un ou deux passages qui l'expliquent bien. » On trouve même dans saint Cyprien des choses « très-injurieuses à celle doctrine; et pour la justification, les Pères n'en disent rien; ou ce qu'ils en disent est faux, mal digéré et imparfait. » Ainsi de tous les articles qui servent de fondement à la piété, il ne s'en est trouvé aucun où la foi des trois premiers siècles ait été pure : que dis-je ? aucun où il n'ait régné des erreurs essentielles : et ce n'était pas seulement trois ou quatre auteurs qui se trompaient ; le ministre répète encore « que c'était la théologie du siècle, » dont il rend cette raison « que dans un temps où le savoir était rare entre les chrétiens, deux ou trois savants entraînaient la foule dans leurs opinions; » tant le fondement de la foi était faible et mal établi! en sorte que la théologie de ces siècles était non-seulement « imparfaite et flottante (1), » mais encore pleine d'erreurs capitales, sur tous les articles qu'on vient de voir, quoique ce soit sans difficulté les plus essentiels du christianisme.

Il ne faut pas s'en étonner : « C'est, dit le ministre, que la vérité n'a pris sa dernière forme que par une très-longue et très-attentive lecture de l'Ecriture sainte; et, poursuit-il, il ne paraît pas que les anciens docteurs des trois premiers siècles s'y soient beaucoup attachés (2). » O Dieu, encore un coup, est-il bien possible que ces saints docteurs, un saint Justin, un saint Irénée, un saint Clément d'Alexandrie, un saint Cyprien, tant d'autres qui passaient les jours et les nuits à méditer l'Ecriture sainte, dont leurs écrits ne sont qu'un tissu, qui en faisaient toutes leurs délices et y trouvaient leur consolation durant tant de persécutions, ne s'y soient point attachés, ou qu'ils n'y aient pas vu le mystère de la piété qu'on prétend y être si clair, qu'il ne faut à présent aux plus ignorants, aux artisans les plus grossiers, aux plus simples femmes, qu'ouvrir les yeux pour l'y trouver ! C'est ainsi

 

1 Lett. VII, p. 51. — 2 Ibid.

 

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qu'on parle de ceux qui ont fondé après les apôtres l'Eglise chrétienne, non-seulement par leurs prédications et par leurs travaux, mais encore par leur sang. Non-seulement le savoir était rare parmi eux, comme on vient d'entendre, quoiqu'il y eût alors tant de philosophes, tant d'excellents orateurs, tant de doctes jurisconsultes , et en un mot tant de grands hommes de toutes les sortes qui embrassaient le christianisme avec connaissance de cause : mais, ce qu'il y a de plus étrange, c'était le savoir qui regardait la religion et l'Ecriture elle-même qui était rare alors, même parmi ceux qu'on regardait comme les docteurs. « Ils sortaient, dit votre ministre, des écoles des platoniciens; ils étaient pleins de leurs idées; et ils en ont rempli leurs ouvrages, au lieu de s'attacher uniquement aux idées du Saint-Esprit (1). »

Il faut ici se souvenir que, lorsque l'on accuse la théologie des anciens d'être imparfaite et sans forme, il ne s'agit pas seulement de certaines expressions précises qu'on a opposées depuis aux subtilités et aux faux-fuyants des hérétiques ; il s'agit du fond de la doctrine, puisque le ministre soutient, comme on a vu, qu'on allait jusqu'à détruire l'éternité et la trinité des personnes divines, l'immutabilité, la spiritualité, l'immensité, l'unité et la perfection de l'être divin, l'incarnation de Jésus-Christ, la corruption aussi bien que la réparation de notre nature, la providence, la grâce, jusqu'à être stoïcien et manichéen, ou pélagien et demi-pélagien; je dis même les plus orthodoxes : en sorte qu'il n'y avait aucune partie du mystère et de la doctrine de Jésus-Christ, je ne dis pas qui fût demeurée en son entier, mais qui ne fût altérée dans son fond. C'est ainsi que la Réforme se défend. Attaquée dans ses variations, elle ne peut se défendre qu'en accusant l'antiquité et surtout les trois premiers siècles, non-seulement de la plus grossière ignorance, mais encore des erreurs les plus capitales. M. Jurieu est l'auteur d'une si belle défense : au moins, dit-il, nous ne périrons pas tous seuls ; nous nous sauverons par le nom et la dignité de nos complices; et s'il faut que la Réforme soit convaincue d'instabilité et par là de fausseté manifeste, elle entraînera tous les siècles précédents, et même les plus purs, dans sa ruine. N'importe

 

1 Lett. VII, p. 51.

 

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que les sociniens gagnent leur cause : ils nous sont moins odieux que les papistes ; et puisqu'il nous faut périr, périssent avec nous les plus saints de tous les Pères, et périsse, s'il le faut ainsi, toute la gloire du christianisme.

Nous avons observé ailleurs (1) ce que ce ministre téméraire dit des Pères de ces trois siècles, « que c'étaient de pauvres théologiens qui ne marchaient que rez-pied rez-terre (2) ; » il n'excepte que le seul Origène, c'est-à-dire de tous ces docteurs celui dont les égarements sont le plus fréquens ; et il laisse dans l'ordure et dans le mépris saint Justin, saint Irénée, saint Clément d'Alexandrie un si sublime théologien, saint Cyprien un si grand évêque et un martyr si illustre, Tertullien un prêtre si docte et si vénérable, tant qu'il demeura dans le sein de l'Eglise, saint Ignace même et saint Polycarpe disciples de saint Pierre et de saint Jean, et toutes les autres lumières de ces temps-là. Encore si ces « pauvres théologiens » n'étaient qu'ignorants, quoique ce soit un grand crime à des docteurs d'avoir si profondément ignoré les principes de la piété; mais, pour comble d'ignominie, il leur faut attribuer des erreurs plus grossières et plus impies que celles des païens mêmes ; et ceux qui ne se défendent que par de si grands outrages envers le christianisme, osent encore se glorifier d'en être les réformateurs, et les seuls restaurateurs de la piété.

Mais ce n'est pas là tout le mal : en sortant de cette ignorance et de ces erreurs capitales des trois premiers siècles et en venant au quatrième qui est le siècle de lumière, on n'en vaut pas mieux; on retombe en ce moment dans l'idolâtrie, et dans une idolâtrie la plus dangereuse de toutes, aussi bien que la plus grossière et la plus maligne, puisque c'est l'idolâtrie antichrétienne, où sous le nom des Saints on rétablit les faux dieux et tout le culte des païens (3). Oui, dit-on, c'est en sortant des trois premiers siècles si grossiers et infectés de tant d'erreurs, qu'aussitôt on est replongé dans une si détestable idolâtrie; et ces grandes lumières du quatrième siècle, ces grands hommes, sous qui on avoue que la théologie chrétienne a du moins pris à la fin sa dernière forme, saint

 

1 Apoc., Avert., n. 33, 35.— 2 Jur., Acc. des Proph., II part., p. 333.— 3 Apoc., Avert., n. 28 et suiv.

 

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Basile, saint Ambroise, saint Grégoire de Nazianze et saint Augustin , qui seul, dit-on, « renferme plus de théologie dans ses écrits que tous les Pérès des premiers siècles » fondus ensemble, sont les auteurs de ce culte impie et de cette idolâtrie antichrétienne.

Ce ne sont point ici des conséquences que nous tirions de la doctrine de votre ministre : nous avons produit ailleurs ses termes exprès (1), où il dit que tous ces grands hommes du quatrième siècle y ont fait régner l'idolâtrie; « qu'ils ont été séduits par les esprits abuseurs pour rétablir le culte des démons (2) ; » et enfin que c'est sous eux que se sont formés l'impiété, les blasphèmes, les persécutions, et pour tout dire en un mot, les idolâtries de l'Antéchrist.

C'est ce que j'appellerais, si je le voulais, des prodiges de témérité, d'impiété, d'ignorance; et je ferais retomber sur le ministre tous les outrages dont il me charge pour avoir dit seulement que la vérité chrétienne, comme un ouvrage divin, a eu d'abord sa perfection. Je pourrais dire à juste titre qu'on ne sait si on a affaire à un chrétien ou à un païen, lorsqu'on entend ainsi déchirer le christianisme sans l'épargner dans ses plus beaux jours. Mais laissant à part toutes exagérations, considérons de sang-froid la constitution qu'on veut donner à l'Eglise chrétienne. Les derniers siècles, depuis mille ans, sont le règne de l'Antéchrist. Autrefois les protestants vantaient du moins le quatrième comme le plus éclairé, et ils ne peuvent encore lui refuser cet honneur : mais cependant c'est la source de l'idolâtrie antichrétienne; c'est là qu'elle s'est formée; c'est là qu'elle règne. La Réforme poussée dans ce siècle, voulait, ce semble, se faire un refuge dans les siècles des martyrs; et  maintenant  ce sont les  plus infectés  d'ignorance et d'erreurs,  je dis  même dans les points les plus essentiels et dans le fond de la piété. Où est donc cette Eglise de Jésus-Christ contre laquelle « l'enfer ne devait pas prévaloir (3)? » Où est cet ouvrage des apôtres dont Jésus-Christ avait dit : « Je vous ai choisis et je vous ai établis, afin que vous alliez et que vous

 

1 Apoc., Avert.,   n.   28  et  suiv. — 2 Apoc., Avert.,   n.  36. — 3 Matth., XVI, 18.

 

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portiez du fruit, et que votre fruit demeure (1) ?» Cependant tout tombe, tout est renversé aussitôt après les apôtres.

Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que même en se redressant on laissait en son entier la plus grande partie de l'erreur. Le mystère de la Trinité était encore informe au concile de Nicée, comme on a vu, et «jusqu'au concile de Constantinople, » qui est le second général, le mystère de l'incarnation n'a été formé que par de longues disputes avec les ariens, les nestoriens et les eutychiens; et ainsi il ne l'était pas au second concile général. Le sera-t-il du moins dans le troisième, qui est celui d'Ephèse, où après la défaite des ariens on triompha de Nestorius, ennemi de l'Incarnation? Non, il faut encore essuyer les disputes avec Eutychès. La perfection de ce mystère était réservée au concile de Chalcédoine et au pape saint Léon, quoique ce soit l'Antéchrist. Mais  le  concile d'Ephèse  a-t-il du moins expliqué en termes convenables le mystère de l'incarnation contre Nestorius, qui le détruisait? On avait cm jusqu'ici que ce saint concile de deux cents évoques assemblés de toute la terre, et auquel tout le reste de l'univers donnait son consentement, avait parlé convenablement contre cette erreur, eu décidant que la sainte Vierge était vraiment mère de Dieu : car il n'y avait rien de plus précis pour faire voir que Jésus-Christ était né Dieu, également Fils de Dieu et Fils de .Marie : ce qui ne laissait aucune évasion à ceux qui divisaient sa personne, et ne voulaient pas avouer qu'un enfant « de trois mois fût Dieu. » C'était donc là de ces expressions inspirées de Dieu à son Eglise, comme le consubstantiel, comme les autres que tous les siècles suivants ont révérées. Mais écoutons M. Jurieu l'arbitre des chrétiens, et le censeur souverain des premiers conciles œcuméniques : « Ce fut, dit-il, aux docteurs du cinquième siècle une témérité malheureuse d'innover dans les termes, » en appelant la sainte Vierge « Mère de Dieu, » terme qui n'était point « dans l'Ecriture, » au lieu de se contenter de l'appeler « avec l'Ecriture Mère de Jésus-Christ (2). » Le ministre continue : « Aussi Dieu n'a-t-il pas versé sa bénédiction sur la fausse sagesse de ces docteurs : au contraire il a permis que la

 

1 Joan., XV, 16. — 2 Lett. XVI, 1 an., p. 130, 131.

 

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plus criminelle et la plus outrée de toutes les idolâtries de l'anti-christianisme ait pris son origine de là; » il veut dire la dévotion à la sainte Vierge. Mais il faut bien avouer qu'elle était devant ce concile, puisque l'Eglise où il était assemblé, et qui sans doute était bâtie avant qu'il se tînt, s'appelait Marie (1), du nom de cette Mère Vierge, et que longtemps avant ce concile, saint Grégoire de Nazianze avait raconté qu'une martyre du troisième siècle « avait prié la sainte Vierge Marie d'aider une vierge qui était en péril (2). » Le ministre devrait donc dire, selon ses principes, que ce fut en punition de cette idolâtrie du quatrième siècle, que Dieu livra le cinquième qui la suivit à la téméraire entreprise d'appeler Marie, Mère de Dieu. Mais quelle est donc cette faute des Pères du concile d'Ephèse, si hautement censurée par votre ministre? Est-ce que la bienheureuse Vierge n'est pas en effet Mère de Dieu? Le ministre n'ose le dire. C'est donc à cause que cette, expression si propre à confondre l'erreur qui partageait Jésus-Christ, n'était pas dans l'Ecriture. A ce coup, que deviendra l’homousios de Nicée, et le Deus de Deo du même concile? Il deviendra ce que dit Calvin (3), une expression dure qu'il eût fallu supprimer, puisque même, selon cet auteur (4), le Fils de Dieu est Dieu lui-même comme son Père, et n'en reçoit pas l'essence divine. C'est ainsi que ces téméraires censeurs méprisent les plus saints conciles et toute l'antiquité ecclésiastique. Le concile d'Ephèse ne leur est plus rien ; celui de Nicée n'est pas plus ferme : en méprisant les expressions propres et précises, qui servaient de barrière aux dogmes contre les fuites et les équivoques des hérétiques, ils ouvrent la voie aux sociniens. En effet ces téméraires docteurs n'épargnent rien. Ils nous ont fait un christianisme tout nouveau, où Dieu n'est plus qu'un corps, où il ne crée rien, ne prévoit rien que par conjectures, comme nous; où il change dans ses résolutions et dans ses pensées; où il n'agit pas véritablement par sa grâce dans notre intérieur; où Jésus-Christ n'est qu'un homme; où le Saint-Esprit n'est plus rien de subsistant; où pour la grande consolation des libertins l’âme meurt avec le corps, et l'éternité des

 

1 Concil. Ephes., act. I. — 2 Orat. in Cypr. et Just. — 3 Opusc. Explic. perfid. Valent. Gent., p. 673, 681. — 4 Ibid., 665, 672, etc. ; Inst., lib. I, n. 13, 19, etc.

 

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peines n'est qu'un songe plein de cruauté. Tel est ce nouveau christianisme que Socin et ses sectateurs ont introduit. Vous vous écriez avec raison contre ces blasphèmes; mais ces subtils adversaires ne s'étonnent pas de vos cris. Pourquoi se tant récrier? vous diront-ils : vos ministres sont pour nous ; vous leur avez vu attribuer aux premiers docteurs de l'Eglise la partie la plus importante des dogmes qui vous font peine dans notre doctrine. Dieu change, Dieu est un corps ; le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas des choses subsistantes de toute éternité ; la grâce et le péché originel sont dogmes que les premiers siècles ne connaissaient pas : c'est ce que nous avons déjà gagné de l'aveu de vos ministres. Vous vous accoutumerez peu à peu à tout le reste de nos dogmes, et alors la réformation sera vraiment accomplie. Vous le savez : c'est ainsi qu'ils parlent ; mais que leur répondrez-vous selon les principes de votre ministre? Pendant qu'ils abusent de l'Ecriture, et la tournent en mille manières plausibles au sens humain qu'elles flattent, si vous pensez, mes chers Frères, donner un frein à leur licence, en disant qu'ils ne peuvent montrer un seul auteur chrétien qui ait entendu l'Ecriture comme ils font, et plutôt qu'on leur montrera que tous les auteurs leur sont contraires : cette preuve la plus sensible et la plus propre à leur conviction qu'on puisse leur opposer, par le secours de vos ministres n'est plus qu'un jouet de ces esprits libertins. Leur vanterez-vous le quatrième et le cinquième siècle, l'autorité de leurs conciles et les lumières admirables de leurs docteurs? Mais c'est la source et le siège de l'idolâtrie antichrétienne. Irez-vous aux siècles précédents? Mais tout y est plein d'erreurs et d'ignorance, et vos ministres leur y font trouver plus de partisans que de censeurs. Qu'y a-t-il donc d'entier dans le christianisme, et où le trouverons-nous dans sa pureté ?

Dans l'Ecriture, dites-vous? Voilà de quoi on vous flatte; mais vous ne considérez pas que pour l'honneur de l'Ecriture il faut trouver quelqu'un qui l'ait entendue : or si nous en croyons votre ministre, il n'y eut jamais de livre plus universellement mal entendu que cette Ecriture, ni de doctrine plus tôt oubliée que celle de Jésus-Christ, ni enfin de docteurs plus malheureux que

 

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les apôtres, puisqu'à peine avaient-ils les yeux fermés, que l'Eglise qu'ils avaient plantée fut toute défigurée par des erreurs capitales. Et par qui est arrivé ce malheur sur le travail des apôtres? Par leurs disciples, par leurs successeurs, par ceux qui remplirent leurs chaires incontinent après eux, par ceux qui versaient leur sang pour leur doctrine : tant ils avaient mal instruit leurs disciples; tant leur travail, qui devait être si solide, si permanent, fut tôt dissipé.

Là, vous aurez à essuyer la risée et les railleries des libertins. Où sont, diront-ils, les promesses de Jésus-Christ? où la fermeté de son Eglise? où la pureté tant vantée du christianisme? Les sociniens déclarés ne seront pas moins terribles : Pourquoi nous condamnez-vous avec tant d'aigreur pour des dogmes qui nous sont communs avec les martyrs? Mais ceux qui pressent le plus M. Jurieu, sont ceux qu'il appelle les tolérants, c'est-à-dire des sociniens déguisés, mitigés, si vous le voulez, dont toute « la religion, dit votre ministre, est dans la tolérance des différentes hérésies. Ces sortes de gens, poursuit-il, tirent avantage des variations des anciens, et ils disent : Il faut bien que les mystères de la Trinité et de l'incarnation ne soient pas couchez si clairement dans l'Ecriture, puisque les premiers Pérès ont varié là-dessus (1). » Assurément il n'y a rien de plus pressant que cet argument des tolérants. Car ces anciens, qu'on accuse d'avoir varié sur ces mystères, ne sont pas les simples et les ignorants; ce sont les docteurs et les évêques : ce ne sont pas quelques esprits contentieux qui obscurcissaient exprès les Ecritures : ce sont les saints et les martyrs. Si donc on avoue aux sociniens ou, si vous voulez, à ces tolérants, que ces mystères n'étaient pas connus dans les premiers siècles, il s'ensuit qu'ils n'étaient pas clairs dans l'Ecriture et qu'il faut encore maintenant excuser ceux qui ne peuvent les y voir.

        Que répondra ici votre ministre? Ecoutez et étonnez-vous de la prodigieuse contradiction de sa doctrine. « Il faut répondre à cela, dit-il, qu'il n'est pas vrai que les anciens Pérès aient varié sur les parties essentielles de ces mystères. Car ils ont tous constamment reconnu qu'il n'y avait qu'un Dieu et une seule essence

 

1 Lett. VII, p. 53.

 

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divine : dans cette seule essence trois personnes, et que la seconde de ces trois personnes s'est incarnée et a pris chair humaine (1). » Voilà une réponse qui tranche ; mais les tolérants lui feront bien voir qu'il ne la peut avancer sans se contredire. Vous nous assurez maintenant, diront-ils, que les anciens n'ont point varié « dans les parties essentielles de ces mystères ; » mais vous nous disiez tout à l'heure qu'ils niaient l'éternité de la personne du Fils; et qu'ils croyaient que pour en expliquer la génération, il fallait dire qu'il était arrivé du changement en Dieu ; en sorte que son propre Fils ne lui était pas coéternel : par conséquent, ni l'éternité de sa personne, ni l'immutabilité de son éternelle génération, ne sont pas parties essentielles du mystère de la Trinité.

Cela est embarrassant pour votre ministre, et vous voyez bien qu'il n'en sortira jamais. Mais ces tolérants le poussent encore plus avant : « Les anciens Pérès, dites-vous, n'ont point varié là-dessus, » c'est-à- dire sur le mystère de la Trinité et sur celui de l'Incarnation : « et c'est une preuve évidente que l'Ecriture est claire sur ces articles (2). » Tout ce donc où ils ont varié n'était pas clair : or selon vous ils ont varié, non-seulement sur l'éternité de la personne du Verbe et sur l'immutabilité de l'être divin, mais encore sur la providence particulière, sur la spiritualité et l'immensité de Dieu, sur la grâce, sur le libre arbitre, sur la satisfaction de Jésus-Christ et sur tous les autres points qu'on a vus; donc l'Ecriture n'est pas claire sur tous ces points, et il faut tolérer ceux qui les rejettent.

        Que sert ici à votre ministre la distinction de la foi et de la théologie? « La foi des anciens, dît-il, n'a pas varié; » mais seulement « leur théologie (3). » Ces importuns tolérants ne le laisseront pas en repos. Qu'appelez-vous leur théologie, que vous distinguez de leur foi? C'est, dit le ministre, l'explication qu'ils ont voulu faire des articles de la foi. Mais voyons encore, quelle explication? était-ce une explication qui laissât en son entier le fond des mystères, ou bien une explication qui le détruisît en termes formels?

Ce n'était pas une explication qui laissât en son entier le fond

 

1 Lett. VII, p. 53. — 2 Ibid. — 3 Ibid.

 

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du mystère, puisqu’on lui a démontré que selon lui c'étaient les choses les plus essentielles que les anciens ignoraient, comme sont l'éternité du Fils de Dieu, la perfection de l'Etre divin, et les autres choses semblables. Ainsi leurs explications regardaient immédiatement le fond de la foi : la distinction de théologie, dont on vous amuse, n'est qu'une illusion et un discours jeté en l'air pour tromper les simples.

Reconnaissez donc, mes chers Frères, que votre docteur incertain de ce qu'il doit dire, hasarde tout ce qui lui vient dans la pensée, selon qu'il se sent pressé par les difficultés qu'on lui propose, et vous le donne pour bon sans vous ménager. Dans son Système de l'Eglise (1), il a eu besoin de dire qu'elle n'avait jamais varié dans les articles fondamentaux : il l'a dit; et s'il y a une vérité qui ne puisse être contestée, c'est celle-là, puisqu'il est de la dernière évidence que l'Eglise ne subsiste plus quand on en a renversé jusqu'aux fondements. D'ailleurs il n'a point trouvé de meilleur moyen pour distinguer les articles fondamentaux d'avec les autres, qu'en disant que les articles fondamentaux sont ceux qui ont toujours été reconnus : on n'a donc jamais varié sur ces articles. C'était ici une doctrine où il fallait absolument demeurer ferme, et selon ses principes particuliers, et selon la vérité même : mais l'Histoire des Variations a fait changer un principe si constant. Pour justifier les variations de la Réforme, il a fallu en trouver dans l'ancienne Eglise. Votre ministre avait cru d'abord qu'il lui suffirait d'en montrer dans la manière seulement d'expliquer les choses; mais dans la suite de la dispute il a bien vu qu'il n'avançait rien, s'il ne montrait des variations dans le fond même : il a donc fallu en attribuer aux premiers siècles et dans les matières les plus essentielles. Les tolérants sont venus qui lui ont prouvé par ses principes que ces matières n'étaient donc plus si essentielles, s'il était vrai que les premiers siècles les eussent ignorées ou rejetées. Alors il a fallu revenir à ses premières pensées, et répondre que les premiers siècles n'avaient point varié dans tous ces points. Ainsi dans la même lettre (2), on trouve les

 

1 Syst. de l'Egl., p. 256 et suiv.; 296 et suiv.; 453 et suiv. — 2 Lett. VII, p. 49 et suiv.

 

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trois premiers siècles accusés d’erreurs capitales sur la personne du Fils de Dieu, sur la foi de la Providence, sur la satisfaction et la grâce de Jésus-Christ, et le reste que nous avons vu; et on y trouve en même temps « qu'on n'a jamais varié sur les parties essentielles de ces mystères (1), » Le même homme dit ces deux choses dans la même lettre ; et pour s'expliquer plus clairement, il commence par assurer « que la foi des simples n'a jamais varié sur la Trinité, sur l'incarnation et sur les autres articles fondamentaux, comme sur la satisfaction que Jésus-Christ a offerte par sa mort pour nos péchés, et enfin sur la Providence, qui seule gouverne le monde et dispense tous les événements particuliers. » Voilà donc déjà la foi des simples, c'est-à-dire du gros des fidèles, en sûreté ; mais de peur qu'on ne s'imagine que les docteurs ne fussent ceux dont la subtilité eût tout brouillé, il ajoute « que cette foi des simples était en même temps la foi des docteurs. » Voilà ce qu'on trouve en termes formels dans les mêmes lettres de votre ministre : c'est-à-dire qu'on y trouve en termes formels dans une matière fondamentale, les deux propositions contradictoires ; tant il est peu ferme dans le dogme, et tant il est manifestement de ceux dont parle saint Paul, « qui n'entendent ni ce qu'ils disent eux-mêmes, ni les choses dont ils parlent avec le plus d'assurance (2). »

Il faudra enfin toutefois que ce ministre choisisse, puisqu'on ne peut pas soutenir ensemble les deux contradictoires. Mais, mes Frères, que choisira-t-il, puisqu'il est également pris, quoi qu'il choisisse ? Dira-t-il que la foi de l'Eglise n'a jamais varié ? Il fait pour moi ; et il confirme ma proposition qu'il a trouvée si étrange, si prodigieuse, « si pleine de témérité et d'ignorance, et plus digne enfin d'un païen que d'un chrétien. » Prendra-t-il le parti de dire que l'Eglise des premiers siècles a varié dans ses dogmes? Ils ne seront donc plus fondamentaux, ni si certains que le prétend ce ministre même : il sera forcé de recevoir ceux qui les nieront; et les tolérants, c'est-à-dire, comme on a vu, des sociniens déguisés, gagneront leur cause.

Peut-être que pour couvrir ses contradictions et son erreur, il

 

1 Lett. VII, p. 56. — 2 I Tim. I, 7.

 

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dira qu'à la vérité les Pères qu'il a cités ont enseigné ce qu'il avance : mais que c'étaient des particuliers qui n'entendaient pas les vrais sentiments de l'Eglise. Mais déjà, s'il est ainsi, ma proposition tant condamnée par votre ministre est en sûreté, puisqu'il demeure pour constant qu'on ne peut plus accuser la foi de l'Eglise, ni soutenir qu'elle ait varié ; et d'ailleurs ce n'est ici qu'une échappatoire, puisque le ministre n'a pas prétendu montrer de l'erreur dans la doctrine des particuliers, mais par la doctrine des particuliers en faire voir dans l'Eglise même ; y faire voir, comme il dit, « des erreurs capitales dans la théologie de ces siècles-là, une opinion régnante et constante, » et le reste que nous avons vu (1) ; et quand il n'aurait voulu rapporter que des erreurs particulières , il ne laisserait pas d'être convaincu de ne les avoir pas rejetées, puisque pour les rejeter autant qu'il faut, il faut les rejeter jusqu'à dire qu'elles sont damnables. Or elles ne sont pas damnables, si elles se sont trouvées dans les martyrs, si l'Eglise les a vues, et les y a tolérées : il faudra donc mettre au rang de ceux qu'on tolère, ceux qui nient que la génération et la personne du Fils de Dieu soient éternelles. La conséquence est si bonne, que votre ministre a été contraint de l'avouer : d'avouer, dis-je, que l'erreur où l'on niait l'éternité de la personne du Fils de Dieu, n'était pas «essentielle et fondamentale : » ce qui donne aux défenseurs de cette impiété la même entrée qu'aux luthériens dans la communion de la vraie Eglise.

Mais enfin, direz-vous, venons au fond. Est-il vrai, ou ne l'est -il pas, que les saints docteurs aient varié sur tous ces dogmes ? Hélas ! où en êtes-vous, si vous avez besoin qu'on vous prouve que les articles les plus essentiels, et même la Trinité et l'incarnation ont toujours été reconnues par l'Eglise chrétienne ? Il n'y a que les sociniens qui aient besoin d'être instruits sur ce sujet-là. Que si vous êtes ébranlés par l'autorité de M. Jurieu, qui vous dit si hardiment que ces importantes vérités n'étaient pas connues des anciens, vous devez en même temps vous souvenir que sa doctrine ne se soutient pas, et que ce qu'il assure si clairement dans un endroit, il ne le désavoue pas moins clairement en l'autre.

 

1 Lett. VI, p. 45; VII, p. 49 ; ci-dessus, n. 15.

 

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Ce ministre n'est donc plus bon qu'à vous faire voir la confusion qui règne dans vos églises, où ce qu'il y a de plus important et de plus certain devient douteux.

Mais après tout, que vous dit-on pour vous prouver les variations qu'on attribue aux anciens ? Pour vous faire croire, par exemple, que les anciens admettaient en Dieu du changement, on vous produit Athénagoras : mais cet auteur, dans le propre endroit qu'on vous allègue (1), répète trois et quatre fois « que Dieu est non-seulement un être immense, éternel, incorporel, qui ne peut être entendu que par l'esprit et par la pensée ; » mais encore ce qui est précisément ce qu'on nous conteste, « indivisible , immuable ; » ou qu'on me montre ce que veut dire ce mot apathes, si ce n'est inaltérable, immuable, imperturbable, incapable de rien recevoir de nouveau en lui-même, ni d'être jamais autre chose que ce qu'il a été une fois. Voilà, ce me semble, assez clairement l'immutabilité de l'être divin, et en passant son immense perfection, que votre ministre ne veut pas qu'on ait connue distinctement en ces temps-là. Il ne me serait pas plus difficile de défendre les autres Pères d'une si grossière erreur ; et si je parle d'Athénagoras à votre ministre, c'est à cause que c'est le premier qu'il a cité, et le premier de ces saints auteurs qui m'est tombé sous la main : mais à Dieu ne plaise, mes Frères, que j'aie à défendre la doctrine des premiers siècles contre vous sur l'éternelle génération du Fils de Dieu.

Si votre ministre en doute, et qu'il ne veuille pas lire les doctes traités d'un Père Thomassin (2), qui explique si profondément les anciennes traditions, ou la savante Préface d'un Père Pétau (3), qui est le dénouement de toute sa doctrine sur cette matière, je le renvoie à Bullus (4), ce savant protestant anglais, dans le traité où il a si bien défendu les Pères qui ont précédé le concile de Nicée. Vous devez ou renoncer, ce qu'à Dieu ne plaise, à la foi de la sainte Trinité, ou présupposer avec moi que cet auteur a raison. L'antiquité n'a pas moins connu les autres points; et sans m'arrêter ici à vous nommer tous les Pères, le seul saint Cyprien

 

1 Athenag., Legat.pro Christ.— 2 Dogm. Theol. Thomass., tom. III. — 3 Petav. Prœf., tom. II, Theol. dogm.— 4 Bull., Def. PP.

 

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suffirait pour confondre M. Jurieu. Je le défie de me faire voir dans ce grave auteur la moindre teinture des erreurs dont il accuse les trois premiers siècles : au contraire il serait aisé de lui faire voir toutes ces erreurs condamnées dans ses écrits , si c'en était ici le lieu ; et vous pouvez en faire l'essai dans un des passages que votre ministre produit.

Pour vous montrer que saint Cyprien n'entendait pas la satisfaction de Jésus-Christ, il a produit un passage (1), où il dit que « la rémission des péchés se donne dans le baptême par le sang de Jésus-Christ; mais que les péchés qui suivent le baptême sont effacez par la pénitence et par les bonnes œuvres (2). » Il voudrait vous faire croire que la rémission des péchés, que saint Cyprien attribue à la pénitence et aux bonnes œuvres, est opposée à celle qu'il attribue au sang du Sauveur; mais c'est à quoi ce saint martyr ne songeait pas. Il ne fait que rapporter les passages de l'Ecriture où la rémission des péchés est attribuée à l'aumône et aux bonnes œuvres. Si ces expressions emportaient l'exclusion du sang de Jésus-Christ, il faudrait donc faire le même procès, non plus à saint Cyprien, mais à Salomon, qui a dit que « le péché a été nettoyé par la foi et par l'aumône (3) ; » à l’Ecclésiastique, qui enseigne que « comme l'eau éteint le feu ardent, ainsi l'aumône résiste aux péchés (4) ; » à Daniel qui a dit : « Rachetez vos péchés par vos aumônes (5) ; » au livre de Tobie, où il est écrit que « l'aumône délivre de la mort, » et « qu'elle lave les péchés (6) ; » à Jésus-Christ même , qui dit : « Faites l'aumône et tout est pur pour vous (7). » Mais si dans ces passages célèbres, que saint Cyprien produit, et qu'il produit tous sous le nom d'Ecriture sainte, même ceux de l'Ecclésiastique et de Tobie, ne veulent pas dire que l'aumône sauve indépendamment du sang de Jésus-Christ, pourquoi imputer cette erreur à saint Cyprien, qui ne fait que les répéter? Si donc il attribue particulièrement à Jésus-Christ la rémission des péchés dans le baptême, c'est à cause qu'il y agit seul, et sans qu'il soit nécessaire d'y joindre nos bonnes œuvres ou, comme

 

1 Lett. VII, p. 50, chap. II. — 2 Cypr., tract. De oper. et eleemos.— 3 Prov., XV, 27. — 4 Eccli., III, 33. — 5 Dan., IV, 24. — 6 Tob., XII, 9. — 7  Luc., XI, 41.

 

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parle saint Cyprien (1), nos « satisfactions particulières, » ainsi qu'il paraît dans les enfants : mais au surplus quand il dit « qu'il faut satisfaire; qu'il faut mériter la bienveillance de notre Juge, le fléchir par nos bonnes œuvres, et le faire notre débiteur, » il n'entend pas pour cela que la rémission des péchés et la grâce que nous acquérons par ce moyen, ne viennent pas de son sang ; car au contraire , il reconnaît que lorsque ce juste Juge donnera « à nos bonnes œuvres et v nos mérites les récompenses qu'il leur a promises, «la vie éternelle que nous obtiendrons, nous sera donnée « par son sang. Il faut, dit-il, satisfaire à Dieu pour ses péchés : » mais il faut aussi « que la satisfaction soit reçue par Notre-Seigneur (2). » Il faut croire que tout ce qu'on fait n'a rien de parfait ni de suffisant en soi-même , puisqu'après tout, quoi que nous fassions, nous ne sommes que des serviteurs inutiles, et que nous n'avons pas même à nous glorifier du peu que nous faisons , puisque , comme nous l'avons déjà rapporté , tout nous vient de Dieu par Jésus-Christ, en qui seul nous avons accès auprès du Père (3).

Voilà les paroles de saint Cyprien ; et vous voyez bien, mes chers Frères, que sa doctrine est la nôtre. Nous distinguons avec lui la grâce pleinement donnée dans le baptême d'avec celle qu'il faut obtenir par de « justes satisfactions, comme parle le même Père (4), et néanmoins qu'il ne faut attendre, dit-il encore dans le même endroit, « que de la divine miséricorde. »

Votre ministre vous a donc fait voir que saint Cyprien ne connaissait pas, non plus que les autres Pères, la justification protestante; il a raison , et il vous confirme ce que j'ai fait ailleurs b, que votre justification par pure imputation, est un mystère inconnu à toute l'antiquité , comme nous avons démontré que les protestants, et Mélanchthon même le plus zélé défenseur de cette doctrine, en demeurent d'accord. Ainsi saint Cyprien n'avait garde de parler en ce point-là comme vous faites ; et tout ce qu'a gagné votre ministre en vous citant ce saint martyr , c’a été de vous y montrer la condamnation, non d'une vérité vraiment

 

1 Cypr., De op. et eleem., p. 237 et seq. — 2 Epist. XXVI. — 3 Testim., III, 4 ; Testim., II, 27. — 4 Epist. XL, p. 54. — 5 Var., liv. V, n. 29, 30.

 

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chrétienne , mais d'un article particulier de votre Réforme.

Mais enfin, direz-vous encore, il cite un passage exprès de saint Augustin, où ce sublime théologien reconnaît qu'en combattant les hérétiques, « l'Eglise apprend tous les jours de nouvelles vérités ; ce ne sont pas, conclut le ministre , de nouvelles explications et de nouvelles manières que les hérétiques donnent moyen à l'Eglise d'apprendre, mais de nouvelles vérités (1). » Ce passage est concluant, direz-vous. Il est vrai : mais par malheur pour votre ministre, « ces nouvelles vérités » sont de son invention. Voici ce que dit saint Augustin dans le passage qu'il allègue : « Il y a, dit-il, plusieurs choses qui appartiennent à la foi catholique, lesquelles étant agitées par les hérétiques, dans l'obligation où l'on est de les soutenir contre eux , sont considérées plus soigneusement, plus clairement entendues, plus vivement inculquées ; en sorte que la question émue par les ennemis de l'Eglise, est une occasion d'apprendre (2). » Voilà tout ce que dit saint Augustin, sans y rien ajouter ni diminuer. Si j'avais eu à choisir dans tous ses ouvrages un passage exprès contre le ministre, j'aurais préféré celui-ci à tous les autres, puisqu'il est clair, selon les paroles de ce saint docteur, qu'apprendre dans cet endroit n'est pas découvrir « de nouvelles vérités, » comme le ministre l'ajoute du sien ; mais se confirmer dans celles qu'on sait, s'y rendre plus attentif, les mettre dans un plus grand jour, les défendre avec plus de force : ce qui présuppose manifestement ces vérités déjà reconnues. Après cela, fiez-vous à votre ministre, quand il vous cite des passages. Non, mes Frères, il ne les lit pas, ou il ne les lit qu'en courant, il y cherche des difficultés, et non pas des solutions ; de quoi embrouiller les esprits, et non de quoi les instruire ; et il n'épargne rien pour vous surprendre.

Comme quand pour vous faire accroire, « que la théologie des Pérès était imparfaite » sur le mystère de la Trinité, il fait dire au Père Pétau « en propres termes, qu'ils ne nous en ont donné que les premiers linéaments (3). » Mais ce savant auteur dit le contraire à l'endroit que le ministre produit, qui est la préface du

 

1 Lett. VI, p. 43, cap. I. — 2 Aug., De Civ. Dei, lib. XVI, chap. II, n. 1. — 3 Lett. VI, p. 45.

 

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tome II des Dogmes théologiques. Car il entreprend d'y prouver i que la doctrine catholique a toujours été constante sur ce sujet ; et dès le premier chapitre de cette préface, il démontre que le principal et la substance du mystère a toujours été bien connu par la tradition ; que les Pères des premiers siècles « conviennent avec nous dans le fond, dans la substance, dans la chose même, quoique non toujours dans la manière de parler (1) : » ce qu'il continue à prouver au second chapitre par le témoignage de saint Ignace, de saint Polycarpe et de tous les anciens docteurs : enfin dans le troisième chapitre, qui est celui que le ministre nous objecte , en parlant de saint Justin, celui de tous les anciens qu'on veut rendre le plus suspect, ce savant Jésuite décide que ce saint martyr « a excellemment et clairement proposé ce qu'il y a de principal et de substantiel dans ce mystère : » ce qu'il prouve aussi d'Athénagoras, de Théophile d'Antioche, des autres , « qui tous ont tenu, dit-il, le principal et la substance du dogme sans aucune tache (2) ; » d'où il conclut que s'il se trouve dans ces saints docteurs quelque passage plus obscur, c'est à cause qu'ayant à traiter avec « les païens et les philosophes, ils ne déclaraient pas avec la dernière subtilité et précision, l'intime et le secret du mystère dans les livres qu'ils donnaient au public ; et pour attirer ces philosophes, ils le tournoient d'une manière plus conforme au platonisme qu'ils avaient appris : de même qu'on a fait encore longtemps après dans les catéchismes qu'on faisait pour instruire ceux qu'on voulait attirer au christianisme, à qui au commencement on ne donnait que les premiers traits, ou, comme le ministre le traduit, les premiers linéaments des mystères : » non qu'ils ne fussent bien connus, mais parce qu'on ne jugeait pas que ces âmes encore infirmes en pussent soutenir tout le poids ; en sorte qu'on jugeait à propos de les introduire dans un secret si profond avec un ménagement convenable à leur faiblesse : voilà , « en propres termes , » ce que dit ce Père. Votre ministre lui fait dire tout le contraire « en propres termes : » il lui fait dire que « la théologie était imparfaite , » à cause qu'il dit qu'elle se tempérait et qu'elle s'accommodait à la capacité des ignorants, et il prend pour

 

1 Theol. dogm., tom. II, Prœf., cap. I, n. 10, 12. — 2 Ibid., cap. III.

 

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ignorance dans les maîtres le sage tempérament dont ils se servaient envers leurs disciples.

Et pour encore vous découvrir plus clairement les illusions dont on tâche de vous éblouir, y en a-t-il une plus grossière que celle d'avoir voulu vous faire accroire que la foi de l'Eglise n'a été formée que lorsqu'à l'occasion des hérésies survenues, il a fallu en venir à des décisions expresses ? Mais au contraire, on n'a fait les décisions qu'en proposant la foi des siècles passés. Par exemple, votre ministre a osé vous dire que la foi de l'incarnation n'a été formée qu'après qu'on eut essuyé les disputes des nestoriens et des eutychiens, c'est-à-dire dans le concile de Chalcédoine : mais ce n'est pas ce qu'en a pensé le concile même. Car par où a-t-on commencé cette vénérable assemblée, et par où a commencé saint Léon, qu'elle a eu pour conducteur? Par dire peut-être que jusqu'alors on n'avait pas bien entendu ce mystère, ni assez pénétré ce qu'en avait dit l'Ecriture? A Dieu ne plaise : on commence par faire voir que les saints docteurs l'avaient toujours entendue comme on faisait encore alors, et qu'Eutychès avait rejeté la doctrine et les expositions des Pères. C'est par là que commença saint Léon, comme on le voit par ses divines Lettres, que ce concile a admirées ; c'est ce que fait ce concile même ; et il n'approuve la lettre de saint Léon qu'à cause qu'elle est conforme à saint Athanase, à saint Hilaire, à saint Basile, à saint Grégoire de Nazianze, à saint Ambroise, à saint Chrysostome, à saint Augustin, à saint Cyrille et aux autres que saint Léon avait cités (1).

Mais peut-être qu'on crut ajouter la perfection qui manquait aux décisions des conciles précédents? Point du tout : car on commence par les rapporter tout au long et à les poser pour fondement; puis le saint concile parle ainsi : « Cette sainte assemblée suit et embrasse la règle de la foi établie à Nicée, celle qui a été confirmée à Constantinople, celle qui a été posée à Ephèse, celle que suit saint Léon homme apostolique et Pape de l'Eglise universelle, et n'y veut ni ajouter ni diminuer (2). » La foi était donc parfaite; et si l'on se fût avisé de dire à ces Pères, comme fait

 

1 Conc. Chalc., act. 2. — 2 Act. 4, col. 466 et seq.

 

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aujourd'hui votre ministre, qu'avant leur décision elle était informe, ils se seraient récriés contre cette parole téméraire comme contre un blasphème; c'est pourquoi ils commencent ainsi leur définition de foi : « Nous renouvelons la foi infaillible de nos Pères qui se sont assemblés à Nicée, à Constantinople, à Ephèse, sous Célestin et Cyrille (1). » Pourquoi donc font-ils eux-mêmes une nouvelle définition de foi? Est-ce que celle des conciles précédents n'était pas suffisante? Au contraire, « elle suffisait, continuent-ils, pour une pleine déclaration de la vérité. Car on y montre la perfection de la Trinité et de l'incarnation du Fils de Dieu. Mais parce que les ennemis de la vérité, en débitant leurs hérésies, ont inventé de nouvelles expressions, les uns en niant que la sainte Vierge fût Mère de Dieu, et les autres en introduisant une prodigieuse confusion dans les deux natures de Jésus-Christ : ce saint et grand concile enseignant que la prédication de la foi est dès le commencement toujours immuable, a ordonné que la foi des Pères demeurerait ferme, et qu'il n'y a rien à y ajouter, comme s'il y manquait quelque chose. » Ainsi la définition de ce concile n'a rien de nouveau, qu'une nouvelle déclaration de la foi des Pères et des conciles précédents appliquée à de nouvelles hérésies.

Ce qu'on fit alors à Chalcédoine, on l'a voit fait à Ephèse. On commença par y faire voir contre Nestorius, que saint Pierre d'Alexandrie, saint Athanase, le pape saint Jules, le pape saint Félix et les autres Pères avaient reconnu Jésus-Christ comme Dieu et homme tout ensemble, et par conséquent sa sainte Mère comme étant vraiment Mère de Dieu (2) ; en sorte que saint Grégoire de Nazianze n'hésitait pas à anathématiser ceux qui le niaient (3) ; on renouvela la foi de Nicée « comme pleinement suffisante » pour expliquer le mystère, et on montra que les saints Pères l'avaient entendu comme on faisait à Ephèse; on décida sur ce fondement que saint Cyrille « était défenseur de l'ancienne foi, et que Nestorius était un novateur qui devait être chassé de l'Eglise. Nous détestons, disait-on, son impiété : tout l'univers l'anathématise : que celui qui ne l'anathématise pas, soit anathème (4). »

 

1 Defin. Chalced., act. 5, col. 561. — 2 Conc. Eph., act. 1. — 3 Greg. Naz., Epist. ad Cledon. — 4 Conc. Eph., act. 1, col. 501.

 

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On vous dira qu'on n'entend parler que de Pères et de conciles, et que c'est trop négliger l'Ecriture sainte. Détrompez-vous de cette erreur : loin de négliger par là l'Ecriture, c'est le moyen qu'on prenait pour en fixer l'interprétation et ne varier jamais : on ne trouvait point de plus sûre interprétation, que celle qui avait toujours été publique et solennelle dans l'Eglise ; ainsi on faisait gloire à Chalcédoine d'entendre l'Ecriture sainte comme on avait fait à Ephèse, et à Ephèse comme on avait fait à Constantinople et à Nicée. Mais est-il vrai qu'à Nicée la foi de la Trinité fût encore informe, et qu'elle ne fut formée qu'à Constantinople, où l'on définit la divinité du Saint-Esprit? Il est vrai qu'on ne définit expressément à Nicée que ce qui était expressément révoqué en doute, qui était la divinité du Fils de Dieu : car l'Eglise toujours ferme dans sa foi, ne se presse pas dans ses décisions, et sans vouloir émouvoir de nouvelles difficultés, elle ne les résout par décrets exprès, qu'à mesure qu'on les lui fait; de sorte qu'on ne prononça aucun décret particulier sur la divinité du Saint-Esprit, dont on ne disputait pas encore alors. Cependant, comme dit très-bien le concile de Chalcédoine (1), « la foi de la Trinité était parfaite, puisqu'après avoir déclaré qu'on croyait au Père, et au Fils comme son égal; lorsqu'on disait avec la même force et la même simplicité : « Je crois au Saint-Esprit, » on nous apprenait suffisamment à y mettre notre confiance, comme on la met en Dieu : mais parce que dans la suite on fit à l'Eglise une nouvelle querelle sur le Saint-Esprit, il en fallut déclarer plus expressément la divinité dans le concile de Constantinople; » non que la foi de Nicée fût informe et insuffisante, à Dieu ne plaise, mais afin de fermer la bouche plus expressément aux esprits contentieux.

En effet il est bien certain que saint Athanase, qui était l'oracle de l'Eglise, avait parlé aussi pleinement de la divinité du Saint-Esprit qu'on fit depuis à Constantinople ; et il fait voir clairement dans sa lettre , où il expose la foi à l'empereur Jovien, que les Pères de Nicée en avaient parlé de même (2) : aussi les Pères de

 

1 Alloc. ad Marc., imp., Conc. Chalc., p. 3. — 2 Ath., Expos. fid., tom. I, p. 100; Epist. Cath., orat. 1 et seq., cont. Arian., passim.; Epist. I ad Serap. de Spir. S.; Epist. ad Antioch. ; Epist. ad Serap., III, IV.

 

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Constantinople firent profession de n'exposer que la foi ancienne, dans laquelle tous les fidèles avaient été baptisés (1) ; par ce moyen on n'innovait rien à Constantinople, mais on n'avait pas plus innové à Nicée. Saint Athanase a fait voir aux ariens que la foi de ce saint concile était celle dans laquelle « les martyrs avaient versé leur sang (2). » Ce grand homme avait vu la persécution ; il en restait dans l'Eglise un grand nombre de saints confesseurs avec qui il conversait tous les jours, et personne n'ignorait la foi des martyrs. Il démontre dans un autre endroit que la foi de la divinité de Jésus-Christ « avait passé de Père en Père jusqu'à nous (3). » Il prouve qu'Origène même, que les ariens vantaient le plus comme un des leurs, avait très-bien expliqué la saine doctrine sur l'éternité et la consubstantialité du Fils de Dieu (4). C'est « cette foi, dit-il, qui a été de tout temps : et c'est pourquoi, continue-t-il, « toutes les églises la suivent (en commençant par les plus éloignées), celles d'Espagne, de la Grande-Bretagne, de la Gaule, de l'Italie, de la Dalmatie, Dacie, Mysie, Macédoine, celles de toute la Grèce, de toute l'Afrique : les îles de Sardaigne, de Chypre, de Crète, la Pamphylie, la Lycie , l'Isaurie, l'Egypte, la Libye, le Pont, la Cappadoce : les églises voisines ont la même foi, et toutes celles d'Orient, à la réserve d'un très-petit nombre ; les peuples les plus éloignés pensent de même ; » et cela, c'était à dire non-seulement tout l'empire romain, mais encore tout l'univers. Voilà l'état où était l'Eglise sous l'empereur Jovien, un peu après la mort de Constance, afin qu'on ne s'imagine pas que ce dernier prince, pour avoir été défenseur des ariens, ait pu réduire l'Eglise à un petit nombre par ses persécutions; au contraire, poursuit saint Athanase, «tout l'univers embrasse la foi catholique, et il n'y a qu'un très-petit nombre qui la combattent. » C'est ainsi que l'ancienne foi et la foi des Pères s'était, non-seulement conservée, mais encore répandue partout. Pour, vous, disait-il, ô ariens, « quels Pères nous nommerez-vous? » Il met en fait « qu'ils n'en peuvent produire aucun, ni nommer pour leur doctrine aucun

 

1 Conc. Constant. — 2 Epist. ad Jov. imp., tom I, part. II, p. 780. — 3 De Dec. fid. Nic., tom. I, p. 208. — 4 De Dec. fid. Nic., tom. I, n. 27. — 5 Epist. ad Jov.

 

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homme sage, ni d'autres prédécesseurs que les Juifs et Caïphe (1). » Voilà comme parlait saint Athanase au commencement du quatrième siècle, dans le temps que la mémoire des trois premiers siècles était récente, et qu'on en avait tant d'écrits que nous n'avons plus. Après que les ariens ont été condamnés par toute la terre, et que le fait de leur nouveauté objecté en face à ces hérétiques par saint Athanase, a passé pour constant, nous serions trop incrédules et trop malheureux, si nous avions encore besoin qu'on nous le prouvât, ou qu'il fallût renouveler le procès avec M. Jurieu, et mettre en compromis la foi des premiers siècles sur l'éternité du Fils de Dieu.

Mais ce fait de la nouveauté des ariens étant avéré, le même saint Athanase en conclut dans un autre endroit (2) « que leur doctrine n'étant point venue des Pères , et au contraire qu'ayant été inventée depuis peu, on ne les pouvait ranger qu'au nombre de ceux dont saint Paul avait prédit « qu'il viendrait dans les derniers temps quelques gens qui abandonneraient la foi, en s'attachant à des esprits d'erreur (3) : » remarquez ces mots : Quelques gens, et ces mots : Abandonneront la foi, et ces mots : Dans les derniers temps. Les hérétiques sont toujours des gens qui « abandonnent la foi; » je dis même leur propre foi, comme remarque ici saint Athanase, puisqu'ils se séparent de leurs maîtres et de la foi qu'ils en avaient eux-mêmes reçue ; des gens qui par conséquent trouvent établi ce qu'ils quittent et ce qu'ils attaquent; qui sont donc , non pas le tout qui demeure, mais « quelques-uns » qui innovent et qui se détachent, qui viennent aussi dans « les derniers temps, » après tous les autres, dans les temps postérieurs, en tois usterois kairois, et qui n'ont pas été dès le commencement. Il n'en faut pas davantage pour les convaincre. Pour convaincre les ariens avec toutes les autres sectes, qui voulaient gagner Théodose le Grand, un saint évêque conseilla à cet empereur de leur demander s'ils s'en voulaient rapporter aux anciens Pères (4) ; ce qu'ils refusèrent tous, tant ils étaient assurés d'y trouver leur condamnation : et dès qu'Arius parut, Alexandre d'Alexandrie, son évêque, lui reprocha

 

1 De Dec. Nic. fid., ibid., n. 27, p. 233. — 2 Orat. II, in Arian., nunc orat. I, n. 8, tom. I, p. 412. — 3 I Tim., IV, 1. — 4 Soc., Lib. V, cap. X, edit. Vales.

 

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la nouveauté de sa doctrine, et le chassa de l'Eglise comme « un inventeur de fables impertinentes, » reconnaissant hautement « qu'il n'y avait qu'une seule Eglise catholique et apostolique, que tout le monde ensemble n'était pas capable de vaincre , quand il se réunirait pour la combattre (1). »

C'était donc, sans aller plus loin et sans qu'il fût nécessaire de remuer tant de livres, une preuve courte et convaincante de la nouveauté des hérétiques; c'en était, dis-je, une preuve, que lorsqu'ils venaient, tout le monde se récriait contre leur doctrine, comme on fait contre des choses inouïes. Pourquoi venez-vous nous inquiéter? leur disait-on : avant vous on ne parlait point de votre doctrine, et vous-mêmes vous avez cru comme nous. On disait aux eutychiens : « Vous avez rompu avec tous les évêques du monde, avec nos Pères et avec tout l'univers (2) : » que ne gardiez-vous la foi que vous aviez vous-mêmes reçue avec nous? Pour nous, nous ne changeons pas ; « nous conservons la foi dans laquelle nous avons été baptisés, et nous y voulons mourir comme nous y sommes nés : nous baptisons en cette foi, disaient les évêques, comme nous y avons été baptisés : c'est ce que nous avons cru et ce que nous croyons encore. Le pape Léon croit ainsi, Cyrille croyait de même : c'est la foi qui ne change pas et qui demeure toujours (3). Il n'y a donc point de variations : tout le monde est orthodoxe : qui sont ceux qui contredisent (4) ? A peine paraissaient-ils dans le grand nombre des catholiques.

        On en disait autant à Ephèse aux nestoriens. Tout l'univers anathématise l'impiété de Nestorius. « Quoi ! préférera-t-on un seul évêque à six mille évêques ? » Et ailleurs : « Ils ne sont que trente qui s'opposent à tout l'univers (5). » On en dit autant à Nicée contre Arius et les siens : à peine avaient-ils cinq ou six évêques : encore ce peu d'évêques avaient-ils cru autrefois comme les autres ; aussi ne prenaient-ils point d'autre parti « que de mépriser la simplicité de tous leurs collègues, et de se vanter d'être les

 

1 Alex. Episc. Alexand. Epist.; apud Theodoret., Hist. eccles., lib. I, cap. III, p. 533. — 2 Conc. Chalc., part. III , n. 20, 26, 57; Labb., tom. IV, col. 820 et seq. — 3 Ibid., n. 53; Conc. Chalc., act. 2, 4. — 4 Ibid., act. 4. — 5  Conc. Ephes., part. II, act. 1 ; Apol. Dalm. Conc. Ephes., part. II, edit. Rom., p. 477 ; Relat. ad Imp., act. 5.

 

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seuls sages, les seuls capables d'inventer de nouveaux dogmes (1) : » louanges que les orthodoxes ne leur enviaient pas.

Sur ce fondement inébranlable de l'antiquité de la foi et de l'innovation des hérétiques, justifiée si évidemment par leur petit nombre, les conciles prenaient aisément la résolution qu'ils devaient prendre, qui était de confirmer l'ancienne foi, qu'ils avaient trouvée établie partout, lorsque les hérésies s'étaient élevées. On estimait autant les derniers conciles que les premiers, parce qu'on sa voit qu'ils allaient tous sur les mêmes vestiges. Dans cet esprit on disait aux eutychiens : « C'est en vain que vous réclamez les anciens conciles : le concile de Chalcédoine vous doit suffire, puisque par la vertu du Saint-Esprit, tous les conciles orthodoxes y sont renfermés (2); » et si après cela on voulait douter, ou faire de nouvelles questions, « C'en est assez, disait-on : après que les choses ont été si bien discutées, ceux qui veulent encore chercher trouvent le mensonge (3). »

Cette courte histoire des quatre premiers conciles ne contient que des faits constants et incontestables, qui suffisent pour faire voir que loin que la foi de la Trinité et celle de l'incarnation fût informe, comme on vous le dit, avant leurs décisions, au contraire ces décisions la supposent déjà formée et parfaite de tout temps. On voit aussi très-clairement par les mêmes faits que les hérésies n'ont jamais été que des opinions particulières, puisqu'elles ont commencé par cinq ou six hommes ; par « quelques-uns, » nous disait saint Paul (4), « qui abandonnaient la foi » qu'ils trouvaient reçue, enseignée, établie par toute la terre et de tout temps, puisque les hérétiques mêmes, quelque effort qu'ils fissent, n'ont jamais pu marquer la date de son commencement, comme l'Eglise la montrait à chacun d'eux. De cette sorte, lorsque les hérésies se sont élevées, il n'a jamais pu être douteux quel parti l'Eglise avait à prendre , personne ne pouvant douter raisonnablement, comme dit Vincent de Lérins (5), qu'on ne dût préférer « l'antiquité à la nouveauté et l'universalité aux opinions particulières. »

 

1 Epist. Alex. Alexandrin, ad omn. Ep.; ejusd. Ep. .ap Theod., lib. III, Hist., cap. III. — 2 Conc. Chalc., p. III, n. 30.— 3 Edict. Val. et Marc, ibid., n. 3. — 4  I Tim., IV, 1. — 5 Com. I, p. 369, etc.

 

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        Mais ce qui paraît dans ces hérésies, qui ont attaqué la foi de la Trinité et celle de l'incarnation, ne paraîtrait pas moins clairement dans les autres, s'il était question d'en faire l'histoire. Votre ministre apporte comme un exemple de variations la doctrine du péché originel et de la grâce : mais c'est précisément sur cet article que saint Augustin , qu'il a cité comme favorable à sa prétention, lui dira que «la foi chrétienne et l'Eglise catholique n'ont jamais varié (1). » En effet on ne peut nier que lorsque Pelage et Célestius sont venus troubler l'Eglise sur cette matière, « leurs profanes nouveautés n'aient fait horreur par toute la terre, » comme parle saint Augustin (2), « à toutes les oreilles catholiques; » et cela, « autant en Orient qu'en Occident, » comme dit le même Père (3), puisque même ces hérésiarques ne se sauvèrent dans le concile de Diospolis en Orient, qu'en désavouant leurs erreurs ; encore trouva-t-on mauvais que ces évoques d'Orient se fussent laissés surprendre aux équivoques de ces hérésiarques, et ne les eussent pas frappés d'anathème. Voilà le sort qu'eut l'hérésie de Pelage d'abord qu'elle commença de paraître : à peine put-elle gagner cinq ou six évoques, qui furent bientôt chassés par l'unanime consentement de tous leurs collègues, avec l'applaudissement de tous les peuples et de toute l'Eglise catholique ; jusque-là que ces hérétiques étaient contraints d'avouer, comme le rapporte saint Augustin, premièrement « qu'un dogme insensé et impie avait été reçu dans tout l'Occident (4) ; » et quand ils virent que l'Orient n'était pas moins déclaré contre eux, ils dirent en général « qu'un dogme populaire prévalait, que l'Eglise avait perdu la raison, et que la folie y avait pris le dessus : ce qui était, ajoutaient-ils, la marque de la fin du monde (5) : » tant eux-mêmes ils craignaient de dire que ce malheur y eût duré, ou y put durer longtemps. Telle est la plainte commune de toute hérésie : et Julien le Pélagien la faisait en ces propres termes, pour lui et ses compagnons; en sorte qu'il ne leur restait que la malheureuse consolation de se dire eux-mêmes ce petit nombre de sages qu'il

 

1 Aug., cont. Jul., lib. I, cap. VI, n. 23. — 2 Ad Bonif., lib. IV, cap. XII, n. 32, col. 492. — 3 Lib. de gest. Pelag., n. 22, 23. — 4 Aug., Ad Bonif., lib. IV cap. VIII, n. 20, col. 480. — 5 Op. imperf. cont. Jul., lib. I , cap. XII ; ibid., lib. II, cap. II.

 

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fallait croire plutôt que « la multitude, qui était pour l'ordinaire ignorante et insensée (1) ; » ce qui était même en se vantant, un aveu formel de la singularité, et par conséquent de la nouveauté de leur doctrine. Aussi n'eut-on point de peine à les convaincre de s'être opposés à la doctrine des Pères. Saint Augustin leur en a produit des passages, où la foi de l'Eglise se trouve aussi claire, avant la dispute des pélagiens, qu'elle l'a été depuis (2) : d'où ce grand homme concluait très-bien qu'il n'y avait jamais eu de variation sur ces articles, puisqu'il était bien constant que ces saints docteurs n'avaient rien fait autre chose « que de conserver dans l'Eglise ce qu'ils y avaient trouvé ; d'enseigner ce qu'ils y avaient appris, et de laisser à leurs enfants ce qu'ils avaient reçu de leurs pères (3). » Qu'on nous allègue après cela des variations sur ces matières. Mais quand on ne voudrait pas en croire saint Augustin, témoin si irréprochable en cette occasion : sans avoir besoin de discuter les passages particuliers qu'il a produits, personne ne niera ce fait public, que les pélagiens trouvèrent toute l'Eglise en possession de baptiser les petits enfants en la rémission des péchés, et de demander dans toutes ses prières la grâce de Dieu comme un secours nécessaire, non-seulement à bien faire , mais encore à bien croire et à bien prier ; ce qui étant supposé comme constant et incontestable, il n'y aurait rien de plus insensé que de soutenir après cela que la foi de l'Eglise ne fût point parfaite sur le péché originel et sur la grâce.

Si maintenant on demande avec le ministre, comment donc il sera vrai de dire que l'Eglise a profité par les hérésies, saint Augustin répondra pour nous « que chaque hérésie introduit dans l'Eglise de nouveaux doutes, contre lesquels on défend l'Ecriture sainte avec plus de soin et d'exactitude, que si on n'y était pas forcé par une telle nécessité (4). » Ecoutez; on la défend avec plus de soin, et non pas, on l'entend mieux dans le fond. Le célèbre Vincent de Lérins prendra aussi en main notre cause, en disant (5) que le profit de la religion consiste à profiter dans la foi, et non

 

1 Aug., Op. imperf. cont. Jul., lib. I, cap. XII ; ibid., lib. II, cap. II. — 2 Aug., lib. I et II cont. Jul. ;  lib. IV ad Bonif., VIII et seq.; De prœd. SS., cap. XIV, n. 25; De Don. Pers., IV, V, XIX, n. 7 et seq. — 3 Lib. II cont. Jul., cap. X, n. 34, col. 549. — 4 Lett. VI et VII ; De Don. Pers:, cap. XX, n. 53, col. 851.— 5 Com. I.

 

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pas à la changer; qu'on y peut ajouter l’intelligence, la science, la sagesse, mais toujours dans son propre genre, c'est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, dans le même sentiment; » et ce qui tranche en un mot toute cette question, que « les dogmes peuvent recevoir avec le temps la lumière, l'évidence, la distinction; mais qu'ils conservent toujours la plénitude, l'intégrité, la propriété ; » c'est-à-dire, comme il l'explique, « que l'Eglise ne change rien, ne diminue rien, n'ajoute rien , ne perd rien de ce qui lui était propre, et ne reçoit rien de ce qui était étranger. » Qu'on nous dise après cela qu'elle varie.

Que si l'on nous presse encore, et qu'on nous demande en quoi donc ont profité à l'Eglise les nouvelles décisions, le même docteur répondra que « les décisions des conciles n'ont fait autre chose que de donner par écrit à la postérité ce que les anciens avaient cru par la seule tradition ; que de renfermer en peu de mots le principe et la substance de la foi ; et souvent pour faciliter l'intelligence, d'exprimer par quelque terme nouveau, mais propre et précis, la doctrine qui n'avait jamais été nouvelle (1) ; » en sorte, comme il venait de l'expliquer encore plus précisément en deux mots, « qu'en disant quelquefois les choses d'une manière nouvelle, on ne dit néanmoins jamais de nouvelles choses : Ut cùm dicas novè, non dicas nova. »

Et c'est encore en ceci que se fait paraître la profonde ignorance de votre savant, « L'évêque de Meaux, nous dit-il, osera-t-il bien me nier que la plus sûre marque dont les savants de l'un et de l'autre parti se servent pour distinguer les écrits supposés et faussement attribués à quelques Pérès, est le caractère et la manière de la théologie qu'on y trouve? La théologie chrétienne, poursuit-il, se perfectionnait tous les jours; et ceux qui sont un peu versez dans la lecture des anciens reconnaissent aussitôt de quel siècle est un ouvrage , parce qu'ils savent en quel état était la théologie et les dogmes en chaque siècle (2). » Il ne sait assurément ce qu'il veut dire, et confond ignoramment le vrai et le faux. Car s'il veut dire qu'on discerne ces ouvrages, parce qu'il paraît dans les derniers de nouveaux dogmes qui ne fussent point dans les

 

1 Com. I. — 2 Lett. VII, p. 51.

 

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anciens, il compose le christianisme de pièces mal assorties, et il dément tous les Pères. Que s'il veut dire qu'après la naissance des erreurs on trouve l'Eglise plus attentive, et pour ainsi dire mieux armée contre elles; qu'on emploie des termes nouveaux pour en confondre les auteurs, et qu'on répond à leurs subtilités par des preuves accommodées à leurs objections, il dit vrai; mais il s'explique mal, et ne fait rien pour lui ni contre nous.

Que ce docteur, enflé de sa vaine science, apprenne donc des anciens maîtres du christianisme, que l'Eglise n'enseigne jamais des choses nouvelles ; et qu'au contraire elle confond tous les hérétiques en ce que, lorsqu'ils commencent à paraître, la surprise et l'étonnement où tous les peuples sont jetés, fait voir que leur doctrine est nouvelle, qu'ils dégénèrent de l'antiquité et de la croyance reçue. C'est la méthode de tous les Pères ; et Vincent de Lérins, qui l'a si bien expliquée , n'a fait au fond que répéter ce que Tertullien, saint Athanase, saint Augustin et les autres avaient dit aux hérétiques de leur temps, et par des volumes entiers. Je ne veux ici rapporter que ce peu de mots de saint Athanase : « La foi de l'Eglise catholique est celle que Jésus-Christ a donnée, que les apôtres ont publiée, que les Pères ont conservée : l'Eglise est fondée sur cette foi, et celui qui s'en éloigne n'est pas chrétien (1). » Tout est compris en ces quatre mots : Jésus-Christ, les apôtres, les Pères, nous et l'Eglise catholique : c'est la chaîne qui unit tout; c'est le fil qui ne se rompt jamais; c'est là enfin notre descendance, notre race, notre noblesse, si on peut parler de la sorte, et le titre inaltérable où le catholique trouve son extraction : titre qui ne manque jamais aux vrais enfants, et que l'étranger ne peut contrefaire.

Quand nous parlons des saints Pères, nous parlons de leur consentement et de leur unanimité : si quelques-uns d'eux ont eu quelque chose de particulier dans leurs sentiments ou dans leurs expressions, tout cela s'est évanoui et n'a pas fait tige dans l'Eglise ; ce n'était pas là aussi ce qu'ils y avaient appris, ni ce qu'ils avaient tiré de la racine. Ce qui demeure, ce qu'on voit passer en décision aussitôt qu'on trouble l'Eglise en le contestant ; ce qu'on

 

1 Epist. I ad Serap. de Sp. S., n. 28, tom. I, part. II. p. 676.

 

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marque du sceau de l'Eglise comme vérité reçue de la source, et qu'on transmet aux âges suivants avec cette marque : c'est ce qui a fait et fera toujours la règle certaine de la foi.

Selon cette méthode si simple et si sûre, toutes les fois qu'il paraît quelqu'un qui tient dans l'Eglise ce hardi langage : « Venez à nous, ô vous tous ignorants et malheureux, qu'on appelle vulgairement Catholiques : venez apprendre de nous la foi véritable, que personne n'entend que nous ; qui a été cachée pendant plusieurs siècles, mais qui vient de nous être découverte (1) ; » prêtez l'oreille, mes Frères, reconnaissez qui sont ceux qui disaient au siècle passé qu'ils venaient de découvrir la vérité qui avait été inconnue durant plusieurs siècles : toutes les fois que vous entendrez de pareils discours, toutes les fois que vous entendrez de ces docteurs qui se vantent de réformer la foi qu'ils trouvent reçue, prêchée et établie dans l'Eglise quand ils paraissent; revenez à ce dépôt de la foi dont l'Eglise catholique a toujours été une fidèle gardienne : et dites à ces novateurs, dont le nombre est si petit quand ils commencent, qu'on les peut compter par trois ou quatre; dites-leur avec tous les Pères, que ce petit nombre est la conviction manifeste de leur nouveauté, et la preuve aussi sensible que démonstrative, que la doctrine qu'ils viennent combattre était l'ancienne doctrine de l'Eglise. Car si à Chalcédoine, si à Ephèse, si à Constantinople, si à Nicée on a confondu les auteurs des hérésies qu'on y condamnait par leur petit nombre, comme par une marque sensible de leur nouveauté ; si on les a convaincus, comme on vient de le faire voir par les actes les plus authentiques de l'Eglise, que tous les peuples se sont d'abord soulevés contre eux, ce qui montrait invinciblement que la doctrine qu'ils venaient combattre, non-seulement était déjà établie, mais encore avait jeté de profondes racines dans tous les esprits; si enfin on leur fermait la bouche en leur disant qu'ils avaient eux-mêmes été élevés dans la foi qu'ils attaquaient, ce qu'ils ne pouvaient nier et ce qui était pour eux et pour tous les autres une preuve d'expérience de leur nouveauté ; si non-seulement les eutychiens, et plus haut les nestoriens, et plus haut les macédoniens, et plus

 

1 Vinc. Lir., ibid.

 

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haut les ariens, mais encore les pélagiens ont été si clairement confondus par cette marque sensible, par. ce moyen positif, par cette preuve expérimentale : concluez que c'était là la preuve commune donnée à l'Eglise contre toutes les nouveautés. Car si on s'est récrié à la nouveauté lorsque ces nouvelles doctrines ont commencé à paraître, on se serait récrié de même à toute autre innovation. La doctrine qui est donc venue sans jamais avoir excité ce cri de surprise et d'aversion, porte la marque certaine d'une doctrine qui a toujours été. Jamais il ne viendra de secte nouvelle qu'on ne convainque de sa nouveauté par son petit nombre : on lui fera toujours avec Vincent de Lérins (1) ce reproche de saint Paul : « Est-ce de vous qu'est venue la parole de Dieu, ou bien n'est-elle venue qu'à vous seuls (2) ? » Comme s'il disait : Le reste de l'Eglise ne l'entend-il pas ? Comment osez-vous vous opposer au consentement universel ? Reconnaissez donc, mes Frères, que si on s'est servi dans tous les temps de cet argument tiré du consentement de l'Eglise, et si on s'en sert encore, c'est à l'exemple des apôtres ; et si encore on l'a tiré de l'exemple des apôtres, c'est à l'exemple des Pères. Que si on nous dit après cela qu'il n'y a point de sûreté dans l'opinion de la multitude, qui pour l'ordinaire est ignorante, nos Pères ou plutôt l'Ecriture même ne nous ont pas laissés sans repartie : car ils nous ont appris à fermer la bouche à ceux qui ne cédaient pas à la multitude du peuple de Dieu, en leur disant : « Pourquoi méprisez-vous la multitude que Dieu a promise à Abraham ? Je te ferai, dit-il, le père, non de plusieurs hommes, mais de plusieurs nations; et en toi seront bénis tous les peuples de la terre (3). » Distinguez donc la multitude abandonnée à elle-même et livrée à son ignorance par un juste jugement de Dieu, de la multitude choisie, de la multitude séparée, de la multitude promise et bénie, conduite par conséquent avec un soin spécial de Dieu et de son esprit; ou, pour parler avec saint Athanase, « Distinguez la multitude qui défend l'héritage de ses Pères (4) » telle qu'était la multitude que ce grand homme vient de nous montrer dans l'Eglise (5), « d'avec la multitude qui

 

1 Vinc. Lir., ibid. — 2 I Cor., XIV, 36. — 3 Vinc. Lir., ibid.— 4 Adv. eos qui ex sola mult. verit. dijudic, tom. II, p. 561 et 562. — 5 Ci-dessus, n. 30.

 

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est éprise de l'amour de la nouveauté, » et qui porte par ce moyen sa condamnation sur son front.

C'est par cette sûre méthode que tous nos Pères, sans exception, ont fermé la bouche aux hérétiques. Si votre ministre avait considéré, je ne dis pas seulement leur autorité, mais leurs raisons, il ne se serait pas laissé séduire aux illusions des sociniens, et il ne leur aurait pas abandonné jusqu'aux premiers siècles de l'Eglise sur l'éternité de la personne du Fils de Dieu et l'immutabilité de son éternelle génération. Il n'aurait non plus accordé aux pélagiens et aux autres ennemis de la grâce chrétienne, que la foi en fût « imparfaite, flottante et informe » devant eux. Mais en prenant tous ces hérétiques dans le point de leur commencement et de leur innovation, où étant en si petit nombre ils osaient rompre avec le tout dans lequel eux-mêmes ils étaient nés, ils les auraient convaincus que leur doctrine était une opinion particulière; et la contraire, la foi catholique et universelle. Mais s'il avait suivi cette sûre et infaillible méthode, dont nul autre qu'un catholique ne se peut jamais servir, il aurait à la vérité confondu les sociniens; mais il se serait aussi confondu lui-même, puisqu'aussitôt nous lui aurions objecté ce qu'il aurait objecté aux autres : c'est pourquoi il a mieux aimé avec les sociniens imputer des variations à l'Eglise catholique, que de les confondre en disant avec tous les saints, selon la promesse de Jésus-Christ, que la foi catholique est invariable.

Eveillez-vous donc ici, mes très-chers Frères, et voyez où l'on vous mène pas à pas. Dès que vos auteurs ont paru, on leur a prédit qu'en ébranlant la foi des articles déjà reçus et l'autorité de l'Eglise et de ses décrets, tout jusqu'aux articles les plus importants, jusqu'à celui de la grâce, jusqu'à celui de l'incarnation, jusqu'à celui de la Trinité, viendraient l'un après l'autre en question (1); et la chose était évidente pour deux raisons. La première, que la méthode dont on se servait contre quelques points, comme par exemple contre celui de la présence réelle, de recevoir la raison et le sens humain à expliquer l'Ecriture, portait plus loin que cet article, et allait généralement à tous les mystères. La

 

1 Var., liv. V, n. 31; liv. XV, n. 122,123.

 

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seconde, qu'en méprisant les siècles postérieurs et leurs décisions les premiers ne seraient pas plus en sûreté ; de sorte qu'il en faudrait enfin venir à renouveler toutes les questions déjà jugées, et à refondre pour ainsi dire le christianisme, comme si l'on n'y eût jamais rien décidé. C'est ainsi qu'on l'avait prédit, et c'est ainsi qu'il est arrivé. Les sociniens se sont élevés sur le fondement du luthéranisme et du calvinisme, et sont sortis de ces deux sectes : le fait est incontestable, et nous en avons fait l'histoire ailleurs (1). Mais s'il y a des opiniâtres et des entêtés qui ne veulent pas se rendre à ces preuves, la conduite que tient encore aujourd'hui votre ministre ne leur laissera aucune réplique, puisque déjà il abandonne aux sociniens, dans les articles les plus pernicieux de leur doctrine, les siècles les plus purs de l'Eglise, et que par là il se voit contraint contre ses principes à tolérer leur erreur.

Quand je lui ai reproché dans l'Histoire des Variations son relâchement manifeste envers les sociniens, jusqu'à leur avoir donné place dans l'Eglise universelle, et à faire vivre des saints et des élus parmi eux, il s'est élevé contre ce reproche d'une manière terrible, et m'a donné un démenti outrageux. « J'avoue, dit-il, que j'ai besoin de toute ma patience pour m'empêcher de dire à M. Bossuet ses vérités tout rondement. Il ne fut jamais de fausseté plus indigne, ni de calomnie plus hardie (2). » Voilà comme il parle quand il se modère, quand il craint que la patience ne lui échappe; mais il en faut venir au fond. N'est-il pas vrai qu'il a mis les sociniens dans le corps de l'Eglise universelle? La démonstration en est claire à l'endroit où il divise l'Eglise en deux parties, dont l'une s'appelle le corps, et l'autre l’âme (3) : « la première est visible, et comprend tout ce grand amas de sectes qui font profession du christianisme dans toutes les provinces du monde. » Il poursuit : « Toutes les sectes du christianisme, hérétiques, orthodoxes, schismatiques, pures, corrompues, saines, malades, vivantes et mortes, sont toutes parties de l'Eglise chrétienne, et même en quelque sorte véritables parties; c'est-à-dire qu'elles

 

1 Var., liv. XV, n.  122, 123. — 2 Lett. X, p.  19. — 3 Préj. légit., I part., chap. I, p. 8, 9.

 

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sont parties de ce que j'appelle le corps de l'Eglise; » et enfin « ces sectes qui ont rejette, ou la foi, ou la charité, ou toutes les deux ensemble, sont des membres de l'Eglise, c'est-à-dire véritablement attachés à son corps par la profession d'une même doctrine, qui est Jésus crucifié, Fils de Dieu, Rédempteur du monde; car il n'y a point de secte entre les chrétiens qui ne confesse la doctrine chrétienne, au moins jusque-là. » Remarquez : Il n'y a, dit-il, aucune secte qui ne le confesse ; par conséquent les sociniens le confessent au moins jusque-là, comme les autres, et sont compris par le ministre parmi « les membres véritables de l'Eglise chrétienne. »

Mais peut-être distinguera-t-il le corps de l'Eglise chrétienne d'avec le corps de l'Eglise catholique ou universelle, dont il est parlé dans le Symbole? Point du tout : car après avoir rejeté non-seulement la définition que nous donnons à cette Eglise catholique, mais encore celle que lui voudraient donner les protestants, la sienne est que « l'Eglise universelle ou catholique, » c'est a le corps de ceux qui font profession de croire Jésus-Christ le véritable Messie et le Rédempteur (1) : corps, ajoute-t-il, divisé en un grand nombre de sectes, mais qui conserve une considérable partie, au milieu de laquelle se trouve toujours un grand nombre d'élus qui croient véritablement, sincèrement et purement, tout ce que le corps en général fait profession de croire. » On voit ici, selon son idée, le corps et l’âme de l'Eglise catholique : ce corps est ce grand nombre de sectes divisées, et néanmoins unies en ce point de croire « Jésus-Christ le véritable Messie et le Rédempteur ; » ce qu'aussi il venait de dire qu'on croyait dans toutes les sectes, sans en excepter aucune;  de sorte  qu'ayant défini le corps de l'Eglise catholique confessée dans le Symbole par ce qui est commun à toutes les sectes, on voit qu'il les y met toutes, et par conséquent celle des sociniens comme les autres. Voilà donc les sociniens, non-seulement chrétiens, mais encore catholiques; et ce nom, autrefois si précieux et si cher aux orthodoxes, est prodigué jusqu'aux ennemis de la divinité du Fils de Dieu.

Le ministre nous répond ici qu'il a mis les sociniens parmi les

 

1 Préj. légit., I part., ch. I, p. 29.

 

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chrétiens, « comme il y a mis aussi les mahométans, qui croient que Jésus-Christ, Fils de Marie, a été conçu du Saint-Esprit, et qu'il est le Messie promis aux Juifs (1). » Mais il nous joue trop ouvertement, quand il parle ainsi. Car veut-il mettre les mahométans dans l'Eglise chrétienne? En sont-ils une véritable partie? Sont-ils compris dans cet article du Symbole : Je crois l’Eglise catholique, comme le ministre y vient de comprendre les sociniens? Et les comptera-t-il encore parmi les membres du corps de l'Eglise catholique? Je ne crois pas qu'il en vienne à cet excès : il faut pourtant y venir, ou cesser de nous faire accroire qu'il ne reçoit les sociniens dans le christianisme qu'au même titre qu'il y reconnaît les mahométans.

Le ministre triomphe néanmoins, comme s'il m'avait fermé la bouche après ce bel exemple des mahométans; et joignant le dédain avec la colère : « Le sieur Bossuet, dit-il, a leùcela; et après il dit qu'à pleine bouche je mets les sociniens entre les communions véritablement chrétiennes, dans lesquelles on peut se sauver ; il ne faut que ce seul article et ce seul exemple pour ruiner la réputation de la bonne foi de cet auteur (2). » Mais c'est vainement qu'il s'emporte; et on va voir clairement, pourvu qu'on veuille se donner la peine de considérer sa doctrine, qu'il reconnaît des élus dans la communion des sociniens.

        Il pose donc pour certain que la parole de Dieu, partout où elle est et partout où elle est prêchée, a son efficace pour la sanctification de quelques âmes. « Il est impossible, dit-il, que la parole de Dieu demeure absolument inefficace; » d'où il conclut « que la prédication de la parole de Dieu ne peut demeurer sans produire quelque véritable sanctification et le salut de quelques-uns (3). »

Mais peut-être qu'on croira que, pour avoir cet effet, il faudra, selon le ministre, que cette parole soit prêchée dans sa pureté ? Point du tout, puisqu'il met au nombre des sociétés où la prédication a son effet, des églises séparées entre elles de communion et de doctrine, telles que sont « l'éthiopienne, jacobite, nestorienne, grecque  et généralement toutes les communions de

 

1 Lett. X, p. 19. — 2 Ibid. — 3 Syst. de l’Eg., liv. I, chap. XII, p. 98, 99, 100.

 

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l'Orient, » quoiqu'elles soient « dans une grande décadence (1); » d'où il conclut « que Dieu peut se conserver des élus dans des communions et dans des sectes très-corrompues; » jusque-là qu'il s'en est conservé dans l'Eglise la plus corrompue et la plus perverse de toutes, qui est l'antichrétienne, d'où il fait sortir les cent quarante-quatre mille marqués dans l’Apocalypse, c'est-à-dire un très-grand nombre d'élus ; et tout cela parce principe général, que « la parole de Dieu n'est jamais prêchée en un pais que Dieu ne lui donne efficace à l'égard de quelques-uns, » encore, comme on voit, qu'elle soit si loin d'y être prêchée purement.

Le principe fondamental sur lequel il appuie cette doctrine, c'est, dit-il, que la parole de Dieu, « écrite et prêchée, » est pour les élus (2) et ne serait jamais adressée aux réprouvés, s'il n'y avait parmi eux des élus mêlés; ce qu'il prouve finalement et comme pour mener les choses au premier principe, en disant que « ce ne serait pas concevoir un Dieu sage et miséricordieux, s'il faisait annoncer sa parole à des peuples entre lesquels il n'a pas d'élus, » parce que cela « ne servirait qu'à les rendre plus inexcusables ; » ce qui serait « cruauté, et non pas miséricorde. »

        De principes si généraux il suit clairement que Dieu conservant parmi les sociniens sa parole « écrite et prêchée, » il a dessein de sauver quelqu'un parmi eux ; autrement cette parole ne leur servirait, non plus qu'aux autres, qu'à les rendre plus inexcusables; ce qui est selon le ministre une cruauté qu'on ne peut attribuer, sans égarement, « à un Dieu sage et miséricordieux. » Mais de peur qu'on ne nous reproche que nous imputons à M. Jurieu une conséquence qu'il rejette, il la prévoit et l'approuve par ces paroles : « On ne doit pas dire que par mon raisonnement il s'ensuivrait que Dieu pourrait avoir des élus dans les sociétés sociniennes qui conservent l'Evangile, le prêchent et le lisent; et que cependant j'ay mis les sociétés qui ruinent le fondement, entre celles où Dieu ne conserve point d'élus (3). » Voilà du moins la difficulté bien prévue et bien posée : voyez maintenant la réponse : « Je réponds que si Dieu avait permis que le socinianisme

 

I Syst. de l'Eg., liv. I, chap. XII, p. 101, 225; Préj. légit., p. 16. — 2 Syst., p. 99. — 3 Ibid., p. 102.

 

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se fût autant répandu que l'est par exemple le papisme ou la religion grecque, il aurait aussi trouvé des moyens d'y nourrir ses élus et de les empêcher de participer aux hérésies mortelles de cette secte ; comme autrefois il a trouvé bon moyen de conserver dans l'arianisme un nombre d'élus et de bonnes âmes, qui se garantirent de l'hérésie des ariens. Mais comme les sociniens ne font point de nombre dans le monde; qu'ils y sont dispersés sans y faire figure; qu'en la plupart des lieux ils n'ont point d'assemblées, ou de très-petites assemblées, il n'est point nécessaire de supposer que Dieu y sauve personne, parce qu'une si petite exception ne fait aucun préjudice à la règle générale; » savoir, que Dieu ne fait jamais prêcher sa parole où il n'a pas d'élus. Voilà le passage entier dans toute sa suite, et voilà sans difficulté la société socinienne par elle-même en état d'élever des enfants à Dieu. D'où vient donc, selon le ministre, qu'il ne s'y en trouve point à présent? Ce n'est pas à cause qu'elle rejette des vérités fondamentales, comme il faudrait dire, si on voulait l'exclure par sa propre constitution de donner à Dieu des élus ; c'est à cause que les sociniens ne sont pas assez multipliés : tout dépendait du succès; et s'ils trouvent moyen de s'étendre assez pour faire quelque figure dans le monde, ils forceront Dieu à faire naître parmi eux de vrais fidèles.

Mais pourquoi n'y en aurait-il pas eu, et n'y en aurait-il pas encore à présent, puisqu'il est constant qu'ils ont eu des églises en Pologne, et qu'ils en ont encore aujourd'hui en Transylvanie? Dieu n'est-il cruel qu'à ces sociétés? Mais pourquoi plutôt qu'aux autres? Est-ce à cause qu'il y a aussi d'autres sectes en Transylvanie? Il y en a aussi beaucoup d'autres dans les pays où notre ministre a sauvé les jacobites et les nestoriens. Mais quoi ! s'il ne restait en Transylvanie que des sociniens, y aurait-il alors de vrais fidèles parmi eux ; ou bien cette nation serait-elle la seule réprouvée de Dieu, où sa parole écrite et prêchée se conserverait sans aucun fruit, et seulement pour la rendre plus inexcusable? Quel motif pourrait avoir cette cruauté, comme l'appelle M. Jurieu? Quoi! ce petit nombre et le peu d'étendue de ces églises? Qu'on nous montre donc dans quel nombre et dans quelles bornes sont

 

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renfermées les sociétés où Dieu peut être cruel, selon le ministre?

        C'est en substance ce que j'a vois objecté dans l’Histoire des Variations (1) ; et on n'y répond que par ces paroles : « Il est vrai, dit le ministre, j'ai dit quelque part que si Dieu, par une supposition impossible, avait permis que le socinianisme eût gagné tout le monde ou une partie, comme a fait le papisme, il s'y serait conservé des élus : » illusion si grossière, qu'un aveu formel de sa faute ne serait pas plus honteux ni moins convaincant. On n'a qu'à relire le passage de son Système qu'on vient de citer, pour voir s'il y a un mot de « supposition impossible, » ou rien qui y tende : au contraire M. Jurieu prend pour exemple une chose déjà arrivée, qui est le salut dans l'arianisme : car enfin il le veut ainsi, à tort ou à droit, il ne nous importe. Il veut, dis-je encore un coup, qu'on se soit sauvé dans une société où l'on niait la divinité du Fils de Dieu. Comment donc pouvait-il exclure les sociniens après un préjugé si favorable, ou s'imaginer que leur nombre ne put jamais égaler celui des calvinistes ou des luthériens, ou le nôtre, ou celui des grecs, ou celui des nestoriens et des jacobites, ou en tout cas celui des ariens, parmi lesquels le ministre a reconnu de vrais fidèles (3)? Quel privilège avaient-ils de se multiplier malgré leurs blasphèmes contre la divinité de Jésus-Christ? Et où est-ce que Dieu a promis que les sociniens ne parviendraient jamais à ce nombre ? Mais s'il a voulu avoir des élus dans plusieurs sociétés divisées, où a-t-il dit que le grand nombre lui fût nécessaire pour y en avoir ? A quel nombre s'est-il fixé ? Et s'il méprise le petit nombre, pouvait-il avoir des élus parmi les luthériens et les calvinistes, au commencement de leur secte, où l'on sait que leur nombre était plus petit et leurs sociétés moins formées que ne sont celles qui restent aux sociniens? Ne voit-on pas qu'on se moque, lorsqu'on dit de pareilles choses, et qu'on insulte en soi-même à la crédulité d'un faible lecteur ?

Mais voici une seconde réponse : « J’ai ajouté, dit-il, en même temps, que » s'il y avait des élus ( dans une telle société, ) « Dieu

 

1 Var., liv. XV, n. 79. — 2 Jur., lett. X, p. 79. — 3 Préj., p. 16; Syst., p. 101, 225.

 

se les serait conservés par miracle, comme il a fait dans le papisme ; c'est-à-dire qu'il peut y avoir des élus et des orthodoxes cachés dans la communion des sociniens ; mais ce n'est pas à dire qu'on peut être sauvé dans la communion des hérésies sociniennes (1). » Nouvelle illusion : car que veut dire « qu'il peut y avoir des élus cachés dans la communion des sociniens? » Est-ce à dire qu'il peut y avoir de vrais chrétiens cachés au milieu des sociniens ? Ce n'est rien dire, car il y en a bien parmi les Turcs et parmi les autres mahométans. Il faut donc dire , comme il est prouvé dans l'Histoire des Variations (2), qu'il y a des élus dans la communion extérieure des sociniens, qui assistent à leurs assemblées, à leurs prêches, à leur Cène, si vous le voulez, sans aucune marque de détestation, et qui entendent tous les jours blasphémer contre Jésus-Christ dans les assemblées où ils vont pour servir Dieu : c'est ce qu'on a objecté à M. Jurieu dans le livre des Variations : c'est à quoi ce ministre ne répond rien : mais il demeure muet à une objection bien plus importante.

Je lui ai soutenu qu'on pouvait selon sa doctrine être du nombre des élus de Dieu, non-seulement en communiant à l'extérieur avec les ariens, mais encore « en tolérant leurs dogmes en esprit de paix (3). » On peut donc étendre la paix et la tolérance jusqu'à ceux qui nient la divinité de Jésus-Christ ; ce dogme est devenu indifférent, ou du moins non fondamental. C'est tout ce que demandent les sociniens, qui gagneront bientôt tout le reste , si on leur accorde ce point. Mais M. Jurieu en a fait le pas; et malgré tout ce qu'il a dit, il ne leur peut refuser la tolérance en esprit de paix, qu'il a déjà accordée à leurs frères les ariens. Le passage en est rapporté dans l'Histoire des Variations (4) ; il est tiré de mot à mot du livre des Préjugés (5) ; et le ministre, qui l'a vu cité dans l'Histoire des Variations, n'y réplique rien dans sept ou huit grandes lettres qu'il a opposées à ce livre.

Mais qu'aurait-il à y répliquer, puisque dans ces lettres mêmes il dit pis que tout cela, et qu'il dit qu'on s'est sauvé dans les premiers siècles, et même qu'on y a eu rang parmi les martyrs, en

 

1 Lett. X.— 2 Var., liv. XV, n. 80. — 3 Ibid., n. 80. — 4 Var., ibid. — 5 Préj. lég., I, p. 22.

 

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niant l'éternité de la personne du Fils de Dieu et l'immutabilité de sa génération éternelle? « Ce n'est pas là, dit-il, une variation essentielle et fondamentale. » On peut varier là-dessus, « sans varier sur les parties essentielles du mystère (1). » Il niera encore cela, car il nie tout : mais vous venez d'entendre ses propres paroles (2), et il donne gain de cause aux tolérants , qui ne sont, comme on a vu plusieurs fois, que des sociniens déguisés.

Je ne m'étonne donc pas si ces hérétiques triomphent, ni s'ils inondent de leurs écrits artificieux toute la face de la terre. Ils gagnent visiblement du pays parmi vous, puisque déjà on leur accorde des élus cachés dans leur société , et même la tolérance pour leurs dogmes principaux ; mais ce qu'il y a de pis , votre ministre les combat si faiblement et par des principes si mauvais, que jamais ils ne se sont sentis plus forts, et jamais ils n'ont conçu tant d'espérance.

C'est en vain que ce ministre répond que jamais homme n'eut plus de chagrin que lui contre les tolérants (3). Ce n'est point du chagrin qu'il faut avoir pour ceux qui errent; car outre que le chagrin met dans le cœur de l'aigreur et de l'amertume, il fait agir par passion et par humeur : chose toujours variable, comme aussi vous venez de voir une perpétuelle inconstance dans ce ministre. Ce sont des principes, c'est une doctrine constante et suivie qu'il faut opposer à ces novateurs; et parce que votre ministre n'a rien eu de tout cela à leur opposer selon les maximes de la Réforme, vous avez vu clairement qu'il n'a fait par tousses discours que relever leurs espérances.

Défiez-vous, mes chers Frères, de ces dangereux esprits, de ces hardis novateurs, en un mot des sociniens, qui bientôt si on les écoutait ne laisseraient rien d'entier dans la religion chrétienne. Ils viennent de publier leur Histoire, où ils avouent que « la vérité a cessé de paraître dans l'Eglise depuis le temps qui suit immédiatement la mort des apôtres (4);» et ils racontent que Valentin Gentil un de leurs martyrs, persécuté par Calvin et par Bèze, « s'opposait si fortement à la vulgaire croyance de la Trinité,

 

1 Lett. VI, p. 44. — 2 Ci-dessus, n. 8, 11, 12, 21. — 3 Lett. X, p. 79. — 4  Hist. réf. Pol., lib. I, cap. I.

 

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qu'on a même écrit qu'en ces temps ne sachant à quoi se résoudre dans des commencements si embarrassants et si difficiles, il lui avait préféré le mahométisme. » En effet si les sociniens et leurs prédécesseurs ont raison, le mahométisme, qui rejette la Trinité et l'incarnation, est plus pur en ce qui regarde la Divinité en général, et en particulier en ce qui regarde la personne de Jésus-Christ, que n'a été le christianisme depuis la mort des apôtres. La doctrine du Fils de Dieu est plus pure dans l’Alcoran que dans les écrits de nos premiers Pères. Mahomet est un docteur plus heureux que ne l'ont été les nôtres, puisque ses disciples ont persisté dans sa doctrine, au lieu que les chrétiens ont abandonné celle des apôtres , qui est celle de Jésus-Christ même, incontinent après leur mort. Yous avez horreur de ces blasphèmes et avec raison. Ouvrez donc les yeux, mes chers Frères, et voyez où l'on vous mène , puisque déjà on vous dit, à l'exemple des sociniens, que les disciples des apôtres et les martyrs, dont la passion a suivi la leur de si près, ont tellement dégénéré de leur doctrine, qu'ils lui ont même préféré la philosophie, avec des erreurs aussi capitales que celles que vous venez d'entendre.

Mais vous entendrez dans la suite des choses bien plus étranges que celles que j'ai relevées dans ce discours; et si étonnés de tant, de faiblesses, de tant de contradictions, des égarements si étranges de votre ministre, vous vous demandez à vous-mêmes comment , il se peut faire, je ne dis pas qu'un théologien, mais qu'un homme quel qu'il soit, pour peu qu'il ait de bon sens, y soit tombé : souvenez-vous qu'il est écrit « que Dieu envoie l'esprit de vertige , l'esprit d'étourdissement et une efficace d'erreur à ceux qui résistent à la vérité (1), » et cela véritablement par un jugement terrible sur les docteurs de mensonge; mais en même temps, mes chers Frères , par un conseil de miséricorde sur vous et sur tous ceux qui sont abusés et prévenus, afin, comme je l'ai dit au commencement de ce discours avec saint Paul (2), « que la folie de ces séducteurs étant connue de toute la terre, » le progrès de la séduction soit arrêté, et qu'on revienne du schisme et de l'erreur. C'est à quoi Dieu vous conduit, si vous n'êtes point sourds à sa voix.

 

1 Isa., XIX, 14; XXIX, 10.— 2 II Thessal., n, 11.

 

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Considérez l'état où vous êtes : votre prétendue Réforme, à ne regarder que les soutiens du dehors, ne fut jamais plus puissante ni plus unie. Tout le parti protestant se ligue, et a encore trouvé le moyen d'entraîner dans ses desseins tant de puissances catholiques, qui n'y pensent pas assez. Votre ministre triomphe; et avec un air de prophète, il publie dans toutes ses Lettres que c'est là vraiment un coup de Dieu : mais il y a des coups de Dieu de plus d'une sorte. Pendant qu'à l'extérieur la Réforme est plus redoutable et tout ensemble plus fière et plus menaçante que jamais, elle ne fut jamais plus faible dans l'intérieur, dans ce qui fait le cœur d'une religion. Sa doctrine n'a jamais paru plus déconcertée : tout s'y dément, tout s'y contredit; vous en avez déjà vu des preuves surprenantes ; vous en verrez d'autres dans la suite, mais ce que vous voyez déjà est assez étrange. Jamais on ne mit au jour tant de monstrueuses erreurs ; jamais on n'écouta tant de fables, tant de vains miracles, tant de trompeuses prophéties : la gloire du christianisme est livrée aux sociniens ; le mal est monté jusqu'à la tête, et les plus célèbres docteurs sont ceux qui s'égarent davantage. Ainsi la mesure semble être au comble, et il est temps ou jamais d'ouvrir les yeux. Dieu est assez bon et assez puissant pour confondre encore les ligues et ensemble tous les projets de la Réforme entreprenante : mais quand, contre toute apparence, elle aurait remporté autant de victoires que ses prophètes lui en promettaient, ceux qui s'y laisseraient tromper ne seraient jamais qu'un troupeau errant, enivré du succès et ébloui par les espérances du monde.

 

 

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