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LIVRE XII.


Depuis 1571 jusqu'à 1579, et depuis 1603 jusqu'à 1615.

 

SOMMAIRE.

 

En France même les églises de la Réforme troublées du mot de substance. Il est maintenu comme établi selon la parole de Dieu dans un synode, et dans l'autre réduit à rien en faveur des Suisses, qui se fâchaient de la décision. Foi pour la France, et foi pour la Suisse. Assemblée de Francfort, et projet de nouvelle confession de foi pour tout le second parti des protestants; ce qu'on y voulait supprimer en faveur des luthériens. Détestation de la présence réelle, établie et supprimée en même temps. L'affaire de Piscator, et décision doctrinale de quatre synodes nationaux réduite à rien. Principes des calvinistes, et démonstrations qu'on en tire en notre faveur. Propositions de Dumoulin reçues au synode d'Ay. Rien de solide ni de sérieux dans la Réforme.

 

L'union de s’endormir n'eut son effet qu'en Pologne. En Suisse les zuingliens demeurèrent fermes à rejeter les équivoques. Déjà les François commençaient à entrer dans leurs sentiments. Plusieurs soutenaient ouvertement qu'il fallait rejeter le mot de substance, et changer l'article XXXVI de la Confession de foi présentée à Charles IX, où la Cène était expliquée. Ce n'était pas des particuliers qui faisaient cette dangereuse proposition, mais les églises entières, et encore les principales églises, celles de l'Ile de France et de Brie, celle de Paris, celle de Meaux, où l'exercice du calvinisme avait commencé, et les voisines. Ces églises voulaient changer un article si considérable de la confession de foi que dix ans auparavant on avait donnée comme n'enseignant autre chose que la pure parole de Dieu : c'eût été trop décrier le nouveau parti. Le synode de la Rochelle, où Bèze fut président, résolut de condamner ces réformateurs de la Réforme en 1571.

C'était le cas de parler précisément. La contestation étant émue et les parties étant présentes, il n'y avait qu'à trancher en peu de mots : mais ce n'est que les idées nettes qui produisent la brièveté. Voici donc de mot à mot comme on parla; et je demande seulement qu'il me soit permis de diviser le décret en plusieurs parties, et de le réciter comme à trois reprises.

 

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On commence par rejeter ce qui est mauvais, et on le fait assez bien. Poser, ce sera la grande peine; mais lisons : « Sur le XXXVIe article de la Confession de foi, les députez de l'Isle de France représentèrent qu'il serait besoin d'expliquer cet article, en ce qu'il parle de la participation de la substance de Jésus-Christ. Après une assez longue conférence, le synode approuvant l'article XXXVI, rejette l'opinion de ceux qui ne veulent recevoir le mot de substance, par lequel mot on n'entend aucune confusion, commixtion ou conjonction qui soit d'une façon charnelle ni autrement naturelle, mais une conjonction vraie, très-étroite et d'une façon spirituelle, par laquelle Jésus-Christ lui-même est tellement fait notre, et nous siens, qu'il n'y a aucune conjonction de corps ni naturelle ni artificielle qui soit tant étroite; laquelle ne tend point à cette fin toutefois que de sa substance et personne, jointe avec nos substances et personnes, soit composée quelque troisième personne et substance, mais seulement à ce que sa vertu et tout ce qui est en lui requis à notre salut nous soit par ce moyen plus étroitement donné et communiqué , ne consentant avec ceux qui nous disent que nous nous joignons avec tous ses mérites et dons et avec son esprit seulement, sans que lui-même soit notre. » Voilà bien des paroles sans rien dire. Ce n'est pas une commixtion charnelle ni naturelle : qui ne le sait pas? Elle n'a rien de commun avec les mélanges vulgaires : la fin en est divine; la manière en est toute céleste, et en ce sens spirituelle : qui en doute? Mais quelqu'un a-t-il jamais seulement songé que de la substance de Jésus-Christ unie à la nôtre il s'en fît une troisième personne, une troisième substance? Il ne faut point tant perdre de temps à rejeter ces prodiges qui ne sont jamais entrés dans aucun esprit.

C'est quelque chose de rejeter ceux qui ne veulent participer qu'aux mérites de Jésus-Christ, à ses dons et à son esprit, sans que lui-même se donne à nous : il ne faudrait qu'ajouter qu'il se donne à nous en la propre et naturelle substance de sa chair et de son sang ; car c'est de quoi il s'agit, c'est ce qu'il faut expliquer. Les catholiques le font très-nettement; car ils disent que Jésus-Christ en prononçant : « Ceci est mon corps ; » le même « qui a été

 

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livré pour vous. Ceci est mon sang, » le même « qui a été répandu pour vous (1), » en désigne non la figure, mais la substance, laquelle en disant : Prenez, il rend toute nôtre, n'y ayant rien qui soit plus à nous que ce qui nous est donné de cette sorte. Cela parle, cela s'entend. Au lieu de s'expliquer ainsi nettement et précisément, nous allons voir nos ministres se perdre en vagues discours, et entasser passages sur passages sans rien conclure. Reprenons où nous avons fini ; voici ce qui se présente : «  Ne consentant, poursuivent-ils, avec ceux qui disent que nous nous joignons avec ses mérites et avec ses dons et son esprit seulement, mais admirant avec l'Apôtre, Eph., V, ce secret supernaturel et incompréhensible à notre raison, nous croyons que nous sommes faits participais du corps livré pour nous et du sang répandu pour nous; que nous sommes chair de sa chair, et os de ses os, et le recevons avec tous ses dons avec lui par foi engendré en nous par l'efficace et vertu incompréhensible du Saint-Esprit; en entendant ainsi ce qui est dit : « Qui mange la chair et boit le sang a la vie éternelle ; » item : « Christ est le sep et nous les sarments, » et qu'il nous fait « demeurer en lui afin de porter fruit, » et que nous sommes « membres de son corps, de sa chair et de ses os. » » On craint assurément d'être entendu, ou plutôt on ne s'entend pas soi-même quand on se charge de tant de paroles inutiles, de tant de phrases enveloppées, de tant de passages confusément entassés. Car enfin ce qu'il faut montrer, c'est le tort qu'ont ceux qui ne voulant reconnaître dans l'Eucharistie que la communication des mérites et de l'esprit de Jésus-Christ, rejettent de ce mystère «la propre substance de son corps et de son sang. » Or c'est ce qui ne paraît dans aucun de ces passages entassés. Ces passages concluent seulement que nous recevons quelque chose découlée de Jésus-Christ pour nous vivifier, comme les membres reçoivent du chef l'esprit qui les anime ; mais ne concluent nullement que nous recevions la propre substance de son corps et de son sang. Il n'y a aucun de ces passages, à la réserve d'un seul, c'est-à-dire celui de saint Jean, VI, qui regarde l'Eucharistie ; et encore ce lui de saint Jean, VI, ne la regarde-t-il pas, si nous en croyons les calvinistes. Et si ce passage bien

 

1 Matth., XXVI, 26, 28; Luc, XXII, 19, 20; I Cor., XI, 24.

 

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entendu montre en effet dans l'Eucharistie la propre substance de la chair et du sang de Jésus-Christ, il ne la montre plus de la manière qu'il est ici employé par les ministres, puisque tout leur discours se réduit enfin à dire « que nous recevons Jésus-Christ avec tous ses dons avec lui par foi engendré en nous. Or Jésus-Christ par foi engendré en nous n'est rien moins que Jésus-Christ uni à nous en la propre et véritable substance de sa chair et de son sang, la première de ces unions n'étant que morale, faite par de pieuses affections de l’âme  ; et la seconde étant physique, réelle et immédiate de corps à corps et de substance à substance : ainsi ce grand synode n'explique rien moins que ce qu'il veut expliquer.

Je remarque dans ce décret que les calvinistes ayant entrepris d'expliquer le mystère de l'Eucharistie, et dans ce mystère la propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ qui en est le fond, nous allèguent toute autre chose que les paroles de l'institution : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ; » car ils sentent bien qu'en disant que ces mots emportent la propre substance du corps et du sang, c'est faire clairement paraître que le dessein de Notre-Seigneur a été d'exprimer le corps et le sang, non point en figure ni même en vertu, mais en effet, en vérité et en substance. Ainsi cette substance sera, non-seulement par la foi dans l'esprit et dans la pensée du fidèle, mais en effet et en vérité sous les espèces sacramentelles où Jésus-Christ la désigne, et par là même dans nos corps où il nous est ordonné de la recevoir, afin qu'en toutes manières nous jouissions de notre Sauveur et participions à notre victime.

Au reste comme le décret n'avait allégué aucun passage qui établit la propre substance dont il était question, mais plutôt qu'il l'avait exclue en ne montrant Jésus-Christ uni que par foi, on revient enfin à la substance par les paroles suivantes : « Et de fait, ainsi que nous tirons notre mort du premier Adam en tant que nous participons à sa substance ; ainsi faut-il que nous participions vraiment au second Adam Jésus-Christ afin d'en tirer notre vie. Partant seront tous pasteurs, et généralement tous fidèles exhortez à ne donner aucun lieu aux opinions contraires à ce que dessus, qui a fondement exprès en la parole de Dieu. »

 

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Les saints Pères se sont servis de cette comparaison d'Adam pour montrer que Jésus-Christ devait être en nous autrement que par foi ou par affection, ou moralement : car ce n'est point seulement par affection et par la pensée qu'Adam et les parents sont dans leurs enfants ; c'est par la communication du même sang et de la même substance : et c'est pourquoi l'union que nous avons avec nos parents, et par leur moyen avec Adam d'où nous sommes tous descendus, n'est pas seulement morale, mais physique et substantielle. Les Pères ont conclu de là que le nouvel Adam devait être en nous d'une manière aussi physique et aussi substantielle , afin que nous pussions tirer de lui l'immortalité, comme nous tirons la mortalité de notre premier père. C'est aussi ce qu'ils ont trouvé, et bien plus abondamment dans l'Eucharistie que dans la génération ordinaire, puisque ce n'est pas une portion du sang et de la substance, mais que c'est toute la substance et tout le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous y est communiqué. Dire maintenant avec les ministres que cette communication se fasse simplement par foi, c'est non-seulement affaiblir la comparaison, mais encore anéantir le mystère ; c'est en ôter la substance ; et au lieu qu'elle se trouve plus abondamment en Jésus-Christ qu'en Adam, c'est faire qu'elle s'y trouve beaucoup moins, ou plutôt point du tout.

C'est ainsi que nos docteurs s'embarrassent, et que plus ils font d'efforts pour s'expliquer, plus ils jettent d'obscurité dans les esprits. Cependant à travers ces obscurités on démêle clairement que parmi les défenseurs du sens figuré, il y avait à la vérité une opinion qui ne voulait dans l'Eucharistie que les dons et les mérites de Jésus-Christ ou tout au plus son esprit, et non pas la propre substance de sa chair et de son sang ; mais que cette opinion était expressément contraire à la parole de Dieu, et ne devait trouver aucun lieu parmi les fidèles.

Il n'est pas malaisé de deviner qui étaient les défenseurs de cette opinion : c'étaient les Suisses disciples de Zuingle, et les François qui en approuvant leur sentiment, voulaient faire réformer l'article. C'est pourquoi on entendit aussitôt les plaintes des Suisses, qui crurent voir leur condamnation dans le synode de la

 

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Rochelle, et la fraternité rompue, puisque malgré le tour de douceur qu'on prenait dans le décret, leur doctrine au fond était rejetée comme contraire à la parole de Dieu, avec expresse exhortation à n'y donner aucun lieu parmi les pasteurs et les fidèles.

Ils écrivirent à Bèze dans cet esprit (1), et la réponse qu'on leur fit fut surprenante. Bèze eut ordre de leur écrire que le décret du synode de la Rochelle ne les regardait pas, mais seulement certains François ; de sorte qu'il y avait une confession de foi pour la France , et une autre pour la Suisse , comme si la foi variait selon les pays, et qu'il ne fût pas aussi véritable qu'en Jésus-Christ il n'y a ni Suisse, ni François, qu'il est véritable, selon saint Paul, qu'il n'y a « ni Scithe, ni Grec (2). » Au surplus Bèze ajoutait, pour contenter les Suisses, que « les Eglises de France détestaient la présence substantielle et charnelle, » avec les monstres de la transsubstantiation et de la consubstantiation. Voilà donc en passant, les luthériens aussi maltraités que les catholiques, et leur doctrine regardée comme également monstrueuse, mais c'est en écrivant aux Suisses : nous avons vu qu'on sait s'adoucir quand on écrit aux luthériens, et que la consubstantiation est épargnée.

Les Suisses ne se payèrent pas de ces subtilités du synode de la Rochelle, et ils virent bien qu'on les attaquait sous le nom de ces François. Bullinger ministre de Zurich, qui eut ordre de répondre à Bèze, lui sut bien dire que c'était eux en effet que l'on avait condamnés : « Vous condamnez, répondit-il, ceux qui rejettent le mot de propre substance ; et qui ne sait que nous sommes de ce nombre? » Ce que Bèze avait ajouté contre la présence charnelle et substantielle n'ôtait pas la difficulté ; Bullinger savait assez que les catholiques aussi bien que les luthériens se plaignent qu'on leur attribue une présence charnelle à quoi ils ne pensent pas, et d'ailleurs il ne savait ce que c'était de recevoir en substance ce qui n'est pas substantiellement présent : ainsi ne comprenant rien dans les raffinements de Bèze, ni dans sa substance unie sans être présente, il lui répondit « qu'il fallait parler nettement en matière de foi, pour ne point réduire les simples à ne savoir plus que croire ; » d'où il conclut, « qu'il fallait adoucir

 

1 Hospin., 1571, p. 344. — 2 Coloss., III, 11. —3 Hospin., ibid.

 

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le décret, » et ne proposa que ce seul moyen d'accommodement. Il y fallut enfin venir; et l'année suivante , dans le synode de Nîmes, on réduisit la substance à si peu de chose, qu'il eût autant valu la supprimer tout à fait. Au lieu qu'au synode de la Rochelle il s'agissait de réprimer une opinion contraire à ce qui avait fondement exprès en la parole de Dieu, on tâche d'insinuer qu'il ne s'agit que d'un mot. On efface du décret de la Rochelle ces mots qui en faisaient tout le fort : « Le synode rejette l'opinion de ceux qui ne veulent recevoir le mot de substance. » On déclare qu'on ne veut point préjudicier aux étrangers; et on a tant de complaisance pour eux, que ces grands mots de propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ tant affectés par Calvin, tant soutenus par ses disciples, si soigneusement conservés au synode de la Rochelle et à la fin réduits à rien par nos réformés, ne paraissent plus dans leur confession de foi que pour être un monument de l'impression de réalité et de substance que les paroles de Jésus-Christ avaient faites naturellement dans l'esprit de leurs auteurs et dans celui de Calvin même.

Cependant s'ils veulent penser à ces affaiblissements de leur première doctrine, ils y pourront remarquer comment l'esprit de séduction les a surpris. Leurs pères ne se seraient pas aisément privés de la substance du corps et du sang de Jésus-Christ. Accoutumés dans l'Eglise à cette douce présence du corps et du sang de leur Sauveur, qui est le gage d'un amour immense, on ne les aurait pas aisément réduits à des ombres et à des figures, ni à une simple vertu découlée de ce corps et de ce sang. Calvin leur avait promis quelque chose de plus. Ils s'étaient laissés attirer par une idée de réalité et de substance continuellement inculquée dans ses livres, dans ses sermons, dans ses commentaires, dans ses confessions de foi, dans ses catéchismes : fausse idée, je le confesse, puisqu'elle y était en paroles seulement, et non en effet ; mais enfin cette belle idée les avait charmés ; et ne croyant rien perdre de ce qu'ils avaient dans l'Eglise, ils n'ont pas craint de la quitter. Maintenant que Zuingle a pris le dessus de l'aveu de leurs synodes, et que les grands mots de Calvin demeurent visiblement sans force et sans aucun sens, que ne reviennent-ils de leur erreur, et

 

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que ne cherchent-ils dans l'Eglise la réelle possession dont on les avait flattés ?

Les Suisses zuingliens furent apaisés par l'explication du synode de Nîmes : mais le fond de la division subsistait toujours. Tant de différentes confessions de foi en étaient une marque trop convaincante pour pouvoir être dissimulée. Cependant les François, et les Suisses, et les Anglais, et les Polonais avaient la leur, que chacun gardait sans prendre celle des autres; et leur union semblait plus tenir de la politique que d'une concorde sincère.

On a souvent cherché des remèdes à cet inconvénient, mais en vain. En 1577 il se tint une assemblée à Francfort, où se trouvèrent les ambassadeurs de la reine Elisabeth, avec des députés de France, de Pologne, de Hongrie et des Pays-Ras. Le comte palatin Jean Casimir, qui l'année précédente avait amené en France un si grand secours à nos réformés, procura cette assemblée (1). Tout le parti qui défendait le sens figuré, dont ce prince était lui-même, y était assemblé, à la réserve des Suisses et des Bohémiens. Mais ceux-ci avaient envoyé leur déclaration, par laquelle ils se soumettaient à ce qui serait résolu : et pour les Suisses, le Palatin fit déclarer par son ambassadeur qu'il s'en tenait assuré. Le dessein de cette assemblée, comme il paraît tant par le discours du député lorsqu'il en fit l'ouverture, que par le consentement unanime de tous les autres députés, était de dresser une commune confession de foi de ces églises (2) ; et la raison qui avait porté le Palatin à faire cette proposition, c'est que les luthériens d'Allemagne, après avoir fait ce fameux livre de la Concorde dont nous avons souvent parlé, devaient tenir une assemblée à Magdebourg, pour y prononcer d'un commun accord l'approbation de ce livre, et à la fois la condamnation de tous ceux qui ne voudraient pas y souscrire ; en sorte qu'étant déclarés hérétiques, ils fussent exclus de la tolérance que l'Empire avait accordée sur le sujet de la religion. Par ce moyen tous les défenseurs du sens figuré étaient proscrits, et le monstre de l'ubiquité soutenu dans ce livre était établi. Il était de l'intérêt de ces églises que l'on voulait condamner, de paraître alors nombreuses, puissantes et unies. On les décriait comme

 

1 Act. auth. Blond., p. 59. — 2 Ibid., p. 60.

 

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ayant chacune leur confession de foi particulière; et les luthériens réunis sous le nom commun de la Confession d’Augsbourg, se portaient aisément à proscrire un parti que sa désunion faisait mépriser.

On y couvrait néanmoins le mieux qu'on pouvait un si grand mal par des paroles spécieuses; et le député palatin disait que toutes ces confessions de foi, « conformes dans la doctrine, ne différaient que dans la méthode et dans la manière de parler. » Mais il savait bien le contraire, et les différences n'étaient que trop réelles pour ces églises. Quoi qu'il en soit, il leur importait, pour arrêter les luthériens, de leur faire voir leur union par une confession de foi aussi reçue entre eux tous que l'était celle d'Augsbourg dans le parti luthérien. Mais on avait un dessein encore plus général : car en faisant cette nouvelle confession de foi commune aux défenseurs du sens figuré, on voulait chercher des expressions dont les luthériens défenseurs du sens littéral pussent convenir, et faire par ce moyen un même corps de tout le parti qui se disait réformé. Les députés n'avaient point de meilleur moyen d'empêcher la condamnation dont le parti luthérien les menaçait. C'est pourquoi le décret qu'ils firent sur cette « commune confession de foi » fut tourné de cette sorte : « Qu'il la fallait faire, et la faire claire, pleine et solide, avec une claire et brève réfutation de toutes les hérésies de ce temps en tempérant néanmoins tellement le style, qu'on attirât plutôt que d'aigrir ceux qui confessent purement la Confession d’Augsbourg, autant que la vérité le pourrait permettre (1). »

La faire claire, la faire pleine, la faire solide cette confession de foi, avec une claire et courte réfutation de toutes les hérésies de ce temps, c'était une grande affaire; de beaux mots, mais une chose bien difficile, pour ne pas dire impossible, parmi des gens dont les sentiments étaient si divers : surtout pour n'irriter pas davantage les luthériens si zélés défenseurs du sens littéral, il fallait passer bien légèrement sur la présence réelle, et sur les autres articles si souvent marqués. On nomma des théologiens « bien instruits des maux de l'Eglise, » c'est-à-dire des divisions

 

1 Act. auth. Blond., p. 62.

 

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de la Réforme, et des confessions de foi qui la partageaient. Rodolphe Gaultier et Théodore de Bèze, ministres l'un de Zurich et l'autre de Genève « devaient mettre la dernière main à l'ouvrage, » qu'on devait ensuite envoyer « à toutes les églises pour être lu, examiné, corrigé et augmenté comme on le trouverait à propos. »

Pour préparer un ouvrage d'un si grand raffinement, et empêcher la condamnation que les luthériens allaient faire éclore, on résolut d'écrire au nom de toute l'assemblée une lettre qui fût capable de les adoucir. On leur dit donc « que cette assemblée avait été convoquée de plusieurs endroits du monde chrétien, pour s'opposer aux entreprises du Pape, après les avis qu'on avait eus qu'il réunissait contre eux les plus puissants princes de la chrétienté ; » c'était à dire l'Empereur, le roi de France, et le roi d'Espagne; « mais que ce qui les avait le plus affligez était que quelques princes d'Allemagne, qui invoquent, disaient-ils, le même Dieu que nous, » comme si les catholiques en avaient un autre, « et détestaient avec nous la tyrannie de l'Antéchrist romain, se préparaient à condamner la doctrine de leurs églises; et qu'ainsi parmi les malheurs qui les accablaient, ils se voyaient attaquez par ceux dont la vertu et la sagesse faisait la meilleure partie de leur espérance. »

Ensuite ils représentaient à ceux de la Confession d’Augsbourg, que le Pape en ruinant les autres églises ne les épargnerait pas : «car comment, poursuivent-ils, haïroit-il moins ceux qui les premiers lui ont donné le coup mortel? » c'est-à-dire, les luthériens qu'ils mettent par ce moyen à la tête de tout le parti. Ils proposent un concile libre pour s'unir entre eux, et s'opposer à l'ennemi commun. Enfin après s'être plaints qu'on les voulait condamner sans les ouïr, ils disent que la controverse qui les divise le plus d'avec ceux de la Confession d’Augsbourg, c'est-à-dire celle de la Cène et de la présence réelle, n'a pas tant de difficulté qu'on s'imagine, et qu'on leur fait tort en les accusant de rejeter la Confession d’Augsbourg. Mais ils ajoutent qu'elle avait besoin d'explication en quelques endroits, et que Luther même et Mélanchthon y avaient fait quelques corrections ; par où ils

 

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entendent manifestement ces diverses éditions où l'on a fait les changements que nous avons vus durant la vie de Luther et de Mélanchthon.

L'année suivante les calvinistes de France tinrent leur synode national de Sainte-Foi, où ils donnèrent pouvoir de changer la Confession de foi qu'ils avaient si solennellement présentée à nos rois, et qu'ils se glorifiaient de soutenir jusqu'à répandre tout leur sang. Le décret en est mémorable : il y est porté « qu'après avoir vu les instructions de l'assemblée tenue à Francfort par le moyen du duc Jean Casimir, ils entrent dans le dessein de lier en une sainte union de pure doctrine toutes les églises reformées de la chrétienté, dont certains théologiens protestants voulaient condamner la plus grande et saine partie ; et approuvent le dessein de faire et dresser un formulaire de Confession de foi commune à toutes les églises, aussi bien que l'invitation faite nommément aux églises de ce royaume, pour envoyer au lieu assigné gens bien approuvez et autorisez avec ample procuration, pour traiter, accorder et décider de tous les points de la doctrine et autres choses concernant l'union, repos, et conservation de l'Eglise et du pur service de Dieu. » En exécution de ce projet ils nomment quatre députés pour dresser cette commune confession de foi, mais avec un pouvoir beaucoup plus ample que celui qu'on leur avait demandé dans l'assemblée de Francfort. Car au lieu que cette assemblée, qui n'avait pu croire que les églises pussent convenir d'une confession de foi sans la voir, avait ordonné qu'après qu'elle aurait été composée par certains ministres et limée par d'autres, elle serait envoyée à toutes les églises pour l'examiner et corriger : ce synode facile au de la de tout ce qu'on avait pu imaginer, non-seulement « donne charge expresse » à ces quatre députés « de se trouver au lieu et jour assigné, avec amples procurations tant des ministres qu'en particulier de monseigneur le vicomte de Turenne ; » mais y ajoute de plus, « qu'en cas même qu'on n'eût le moyen d'examiner par toutes les provinces cette confession de foi, on se remet à leur prudence et sain jugement pour accorder et conclure tous les points qui seront mis en  délibération,   soit pour la doctrine, ou autres  choses

 

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concernant le bien, union et repos de toutes les églises (1). »

Voilà donc manifestement, par l'autorité de tout un synode national, la foi des églises prétendues de France entre les mains de quatre ministres et de M. de Turenne, avec pouvoir d'en régler ce qu'il leur plairait ; et ceux qui ne veulent pas qu'on puisse s'en rapporter à toute l'Eglise dans les moindres points de la foi, s'en rapportent à leurs députés.

On s'étonnera peut-être de voir M. de Turenne nommé entre ces docteurs : mais c'est que « ce bien , union et repos de toutes les églises, » pour lequel on faisait la députation, disait beaucoup plus qu'il ne paraissait d'abord. Car le duc Jean Casimir et Henri de la Tour vicomte de Turenne, qu'on députe avec les ministres, songeaient à établir ce repos par autre chose que par des discours et des confessions de foi : mais elles entraient nécessairement dans la négociation ; et l'expérience avait fait voir qu'on ne pou voit liguer comme il faut ces églises nouvellement réformées, sans auparavant convenir dans la doctrine. Toute la France était embrasée de guerres civiles ; et le vicomte de Turenne jeune alors, mais plein d'esprit et de valeur, que le malheur des temps avait entraîné dans le parti depuis deux ou trois ans seulement, s'y était donné d'abord tant d'autorité, moins encore par son illustre naissance qui le liait aux plus grandes maisons du royaume que par sa haute capacité et par sa valeur , qu'il était déjà lieutenant du roi de Navarre depuis Henri IV. Un homme de ce génie entra aisément dans le dessein de réunir tous les protestants : mais Dieu ne permit pas qu'il en vînt à bout. On trouva les luthériens intraitables; et les confessions de foi, malgré la résolution qu'on avait prise unanimement de les changer toutes, subsistèrent comme contenant la pure parole de Dieu, à laquelle il n'est permis ni d'ôter ni d'ajouter.

Nous voyons que l'année d'après, c'est-à-dire en 1579, on espérait encore l'union, puisque les calvinistes des Pays-Bas écrivirent en commun aux luthériens auteurs du livre de la Concorde, à Kemnice, à Chytré, à Jacques André et aux autres outrés défenseurs

 

1 Hist. de l’ass. de Franc, Act. auth. Blond., p. 63; Syn. de Sainte-Foi, p. 5, 6.

 

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de l'ubiquité, qu'ils ne laissaient pas d'appeler non-seulement leurs frères, mais leur chair; tant leur union était intime malgré des divisions si considérables, les invitant « à prendre des conseils modérez, à entrer dans les moyens d'union pour lesquels le synode de France (c'était celui de Sainte-Foi) avait nommé des députez; et à l'exemple, disent-ils, de nos saints pères, Luther, Zuingle, Capiton, Bucer, Mélanchthon, Bullinger, Calvin, » qui s'étaient entendus comme on a vu. Voilà donc les pères communs des sacramentaires et des luthériens ; voilà ceux dont les calvinistes vantent la concorde et les conseils modérés.

Tous ces desseins d'union furent sans effet; et les défenseurs du sens figuré, loin de pouvoir convenir d'une commune confession de foi avec les luthériens défenseurs du sens littéral, n'en purent pas même convenir entre eux. On en renouvela souvent la proposition, et encore presque de nos jours en l'an 1014 au synode de Tonneins, ce qui fut suivi en 1615 des expédients proposés par le célèbre Pierre Dumoulin. Mais quoiqu'il en eût été remercié par le synode de l'Isle de France, tenu la même année au bourg d'Ay en Champagne (1), et qu'il eût le crédit qu'on sait non-seulement en France parmi ses confrères, mais encore en Angleterre et dans tout son parti, tout demeura inutile. Les églises qui défendent le sens figuré ont reconnu le mal essentiel de leur désunion, mais elles ont reconnu en même temps qu'il était irrémédiable ; et cette commune confession de foi tant désirée et tant recherchée est devenue une idée de Platon.

Ce serait une partie de l'histoire de rapporter les réponses des ministres à ce décret de Sainte-Foi, après qu'il eut été produit (2). Mais tout tombe parle récit que je viens de faire. Les uns disaient qu'il s'agissait seulement d'une tolérance mutuelle : mais on voit bien qu'une commune confession de foi n'y eût pas été nécessaire, puisque l'effet de cette tolérance n'est pas de se faire une foi commune, mais de souffrir mutuellement chacun dans la sienne. D'autres, pour excuser le grand pouvoir qu'on donnait à quatre députés de décider de la doctrine, ont répondu que c'est qu'on savait « à peu près » de quoi on pouvait convenir (3). Cet à peu près

 

1 Act. auth. Blond., p. 72.— 2 Exp., art. 20, t. XIII, p. 102— 3 An., II Rep., p. 365.

 

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est admirable. On est sans doute peu délicat sur les questions de la foi, quand on se contente de savoir à peu près ce qu'il en faut dire; et on sait encore bien peu à quoi s'en tenir, quand faute de le savoir on est contraint de donner à des députés un pouvoir indéfini de conclure tout ce qu'ils voudront. Le ministre Claude répondait qu'on savait précisément ce qu'on pouvait dire ; et que si les députés eussent passé outre, on eût été en droit de les désavouer comme gens qui auraient outrepassé leur pouvoir (1). Je le veux : mais cette réponse ne satisfait pas à la principale difficulté. C'est enfin que pour complaire aux luthériens il eût fallu leur abandonner tout ce qui tendait à exclure tant la présence réelle que les autres points contestés avec eux, c'est-à-dire changer manifestement dans des articles si considérables une profession de foi qu'on dit expressément contenue dans la parole de Dieu.

Il se faut bien garder de confondre ensemble ce qu'on voulut faire alors et ce qu'on a fait depuis, en recevant les luthériens à la communion au synode de Charenton en 1631. Cette dernière action marque seulement que les calvinistes peuvent supporter la doctrine luthérienne comme une doctrine qui ne donne aucune atteinte aux fondements de la foi. Mais certainement c'est autre chose de supporter dans la confession de foi des luthériens ce qu'on croit y être une erreur ; autre chose de supprimer dans la sienne propre ce qu'on y croit une vérité révélée de Dieu, et déclarée expressément par sa parole. C'est ce qu'on avait résolu de faire, dans l'assemblée de Francfort et au synode de Sainte-Foi; c'est ce qu'on aurait exécuté s'il avait plu aux luthériens : de sorte qu'il n'a tenu qu'aux défenseurs de la présence réelle qu'on n'ait effacé tout ce qui la choque dans les confessions de foi des sacramentaires. Mais c'est qu'on s'expose à changer souvent quand on a une fois changé : une confession de foi qui change la doctrine des siècles passés montre dès là qu'elle peut elle-même être changée; et il ne faut pas s'étonner que le synode de Sainte-Foi ait cru pouvoir corriger en 1578 ce que le synode de Paris avait établi en 1559.

Tous ces moyens d'accommodement dont nous venons de parler, loin de diminuer la désunion de nos réformés, l'ont augmentée.

 

1 M. Claude, dans la Conf.. Nog., Rep. à l'Exp., p. 149.

 

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On voyait des gens, qui sans bien savoir encore à quoi s'en tenir , avaient commencé par rompre avec toute la chrétienté. On sen-toit une religion bâtie sur le sable, qui n'avait pas même de stabilité dans ses confessions de foi, quoique faites avec tant de soin et publiées avec tant d'appareil. On ne pou voit se persuader qu'on n'eût pas le droit d'innover dans une religion si changeante; et c'est ce qui produisit les nouveautés de Jean Fischer ou le Pécheur, connu sous le nom de Piscator, et celles d'Arminius.

L'affaire de Piscator nous apprendra beaucoup de choses importantes; et je demande qu'il me soit permis de la rapporter tout au long, d'autant plus qu'elle est peu connue par la plupart de nos réformés.

Piscator enseignait la théologie dans l'académie de Herborne, ville du comté de Nassau, vers la fin du siècle passé. En examinant la doctrine de la justice imputée, il dit que la justice de Jésus-Christ, qui nous était imputée, n'était pas celle qu'il avait pratiquée dans tout le cours de sa vie, mais celle qu'il avait subie en portant volontairement la peine de notre péché sur la croix; c'é toit-à-dire que la mort de Notre-Seigneur étant le sacrifice de prix infini par lequel il avait satisfait et payé pour nous, c'était aussi par cet acte seul que le Fils de Dieu était proprement Sauveur, sans qu'il fût besoin d'y en joindre d'autres, parce que celui-ci était suffisant : de sorte que si nous avions à être justifiés par imputation, c'était par celle de cet acte, en vertu duquel précisément nous nous trouvions quittes envers Dieu, et « où l'original de la sentence portée contre nous avait été effacé, » comme dit saint Paul, « par le sang qui pacifie le ciel et la terre (1). »

Cette doctrine fut détestée par nos calvinistes dans le synode de Gap, en 1603, comme contraire aux articles XVIII, XX et XXII de la Confession de foi; et on arrête « qu'il sera écrit à M. Piscator et à l'université en laquelle il enseigne (2). »

Il est certain que ces trois articles ne décidaient rien sur l'affaire de Piscator : c'est pourquoi nous ne voyons plus qu'on ait parlé des articles XXII et XXIII. Et pour le XVIIIe, où l'on prétendit toujours qu'était la décision, il ne disait autre chose, sinon que

 

1 Coloss., II, 11. — 2 Syn. de Gap, chap. de la Conf. de foy

 

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« nous étions justifiez par l'obéissance de Jésus-Christ, laquelle nous était allouée, » sans spécifier quelle obéissance : de sorte que Piscator n'avait point de peine à se défendre de la confession de foi. Mais puisqu'on veut qu'il ait innové au préjudice de la confession des prétendus réformés de ce royaume , qui avait été souscrite par ceux des Pays-Bas, j'y consens.

        On écrivit à Piscator de la part du synode, ainsi qu'il avait été résolu ; et sa réponse modeste , mais ferme dans son sentiment, fut lue au synode de la Rochelle en l'année 1607. Après cette lecture on fit ce décret : « Sur les lettres du docteur Jean Piscator, professeur en l'académie de Herborne, responsives à celle du synode de Gap, pour raison de sa doctrine, où il établit la justification par la seule obéissance de Christ en sa mort et passion imputée à justice aux croyants, et non par l'obéissance de sa vie; la compagnie n'approuvant la division des causes si conjointes, a déclaré que toute l'obéissance de Christ en sa vie et en sa mort nous est imputée pour l'entière rémission de nos péchez , comme n’étant qu'une seule et même obéissance. »

Sur ces dernières paroles je demanderais volontiers à nos réformés pourquoi ils requièrent, pour nous mériter la rémission des péchés, non-seulement l'obéissance de la mort, mais encore celle de toute la vie de Notre-Seigneur ? Est-ce que le mérite de Jésus-Christ mourant n'est pas infini, et dès là plus que suffisant à notre salut? Ils ne le diront pas ; et il faudra donc qu'ils disent que ce qu'on requiert comme nécessaire après un mérite infini n'en ôte ni l'infinité, ni la suffisance; mais en même temps il s'ensuit que considérer Jésus-Christ comme continuant son intercession par sa présence, non-seulement dans le ciel, mais encore sur nos autels dans le sacrifice de l'Eucharistie, ce n'est rien ôter à l'infinité de la propitiation faite à la croix ; c'est seulement, comme parle le synode de la Rochelle, ne vouloir pas diviser « des choses conjointes, » et regarder tout ce qu'a fait Jésus-Christ dans sa vie, tout ce qu'il a fait dans sa mort et tout ce qu'il fait encore, soit dans le ciel où il se présente pour nous à son Père, soit sur nos autels où il est présent d'une autre sorte, comme la continuation d'une même intercession et d'une même obéissance, qu'il a commencée

 

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dans sa vie, qu'il a consommée dans sa mort et qu'il ne cesse de renouveler et dans le ciel et dans les mystères, pour nous en faire une vive et perpétuelle application.

La doctrine de Piscator eut ses partisans. On ne trouvait rien contre lui dans les articles XVIII, XX et XXII de la Confession de foi. En effet on abandonna les deux derniers pour s'arrêter au XVIIIe , qui ne disait pas davantage, comme on a vu; et afin de pousser à bout Piscator et sa doctrine, on en vint dans le synode national de Privas jusqu'à obliger tous les pasteurs à souscrire expressément contre Piscator, en ces termes : « Je soussigné N..., sur le contenu en l'article XVIII de la confession de foi des églises réformées, touchant notre justification, déclare et proteste que je l'entends selon le sens reçu en nos églises, approuvé par les synodes nationaux, et conforme à la parole de Dieu ; qui est que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été sujet à la loi morale et cérémoniale, non-seulement pour notre bien, mais en notre place; et que toute l'obéissance qu'il a rendue à la loi nous est imputée, et que notre justification consiste non-seulement en la rémission des péchez, mais en l'imputation de la justice active; et m'assujettissant à la parole de Dieu, je crois que le Fils de l'homme est venu pour servir, et non pour être servi, et qu'il a servi pour ce qu'il est venu : promettant de ne me départir jamais de la doctrine reçue en nos églises, et de m'assujettir aux règlements des synodes nationaux sur ce sujet. »

A quoi sert à la justice imputée que Jésus-Christ « soit venu pour servir, et non pour être servi : » et ce que fait ce passage venu tout à coup sans liaison au milieu de ce décret, le devine qui pourra. Je ne vois pas aussi à quoi nous sert l'imputation de la loi cérémoniale, qui n'a jamais été faite pour nous, ni pour quelle raison il a fallu que Jésus-Christ « y fût sujet non-seulement pour notre bien, mais en notre place. » Je comprends bien comment Jésus-Christ ayant dissipé par sa mort les ombres et les figures de la loi, nous a laissés libres de la servitude des lois cérémonielles, qui n'étaient qu'ombres et figures; mais qu'il ait fallu pour cela qu'il y ait été sujet en notre place, la conséquence en serait pernicieuse, et on conclurait de même qu'il nous a aussi

 

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déchargés de la loi morale en l'accomplissant. Tout cela montre le peu de justesse de nos réformés, plus soigneux d'étaler de l'érudition et de jeter en l'air de grands mots, que de parler avec précision dans leurs décrets.

Je ne sais pourquoi l'affaire de Piscator tenait si extraordinairement au cœur à nos réformés de France , ni pourquoi le synode de Privas en était venu aux dernières précautions, en ordonnant la souscription que nous avons vue. Il fallait du moins s'en tenir là : un formulaire de foi qu'on fait souscrire à tous les pasteurs, doit expliquer la matière pleinement et précisément. Néanmoins, après cette souscription et tous les décrets précédents, on eut besoin de faire encore une nouvelle déclaration au synode de Tonneins en 1614. Quatre grands décrets coup sur coup, et en termes si différents, sur un article particulier et dans une matière si bornée , c'est assurément beaucoup : mais dans la nouvelle Réforme on trouve toujours quelque chose qu'il faut ajouter ou diminuer; et jamais on n'y explique la foi si sincèrement, ni avec une si pleine suffisance, qu'on s'en tienne précisément aux premières décisions.

Pour achever cette affaire, je ferai une courte réflexion sur le fond de la doctrine, et quelques autres réflexions sur la procédure.

Sur le fond , j'entends bien que la mort de Jésus-Christ, et le paiement qu'il a fait pour nous à la justice divine de la peine dont nous étions redevables envers elle, nous est imputé comme on impute à un débiteur le paiement que sa caution fait à sa décharge. Mais que la justice parfaite accomplie par Notre-Seigneur dans sa vie et dans sa mort, et l'obéissance absolue qu'il a rendue à la loi nous soit imputée ou, comme on parle, allouée dans le même sens que le paiement de la caution est imputé au débiteur : c'est dire que par sa justice il nous décharge de l'obligation d'être gens de bien, comme par son supplice il nous décharge de l'obligation de subir celui que nos péchés avaient mérité.

J'entends donc et très-clairement d'une autre manière à quoi il nous sert d'avoir un Sauveur d'une sainteté infinie. Car par là je le vois seul digne de nous impétrer toutes les grâces nécessaires

 

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pour nous faire justes. Mais que formellement nous soyons faits justes parce que Jésus-Christ l'a été , et que sa justice nous soit allouée comme s'il avait accompli la loi à notre décharge, ni l'Ecriture ne le dit, ni aucun homme de hon sens ne le peut entendre.

Par ce moyen, en comptant pour rien la justice que nous avons intérieurement, et celle que nous pratiquons par la grâce, on nous fait tous dans le fond également justes, parce que la justice de Jésus-Christ, qu'on suppose être la seule qui nous rende justes, est infinie.

On ravit aussi aux élus de Dieu la couronne de justice, que le juste Juge réserve à chacun en particulier, puisqu'on suppose qu'ils ont tous la même justice qui est infinie ; ou si enfin on avoue que cette justice infinie nous est allouée par divers degrés, suivant que nous en approchons plus ou moins parla justice particulière que la grâce met en nous, c'est avec des expressions extraordinaires ne dire que la même chose que les catholiques.

Voilà en peu de paroles ce que j'avais à dire sur le fond. J'aurai encore plutôt fait sur la procédure : elle n'a rien que de faible, . rien de grave ni de sérieux. L'acte le plus important est le formulaire de souscription ordonné au synode de Privas : mais d'abord on n'y songe pas seulement à convaincre Piscator par les Ecritures. Il s'agissait d'établir « que l'obéissance de Jésus-Christ, par laquelle il a accompli toute la loi dans sa vie et dans sa mort, nous est allouée pour nous rendre justes; » ce qu'on appelle dans le formulaire de Privas, comme on avait fait à Gap, l'imputation de la justice active.

Or tout ce qu'on a pu trouver en quatre synodes pour établir cette doctrine et l'imputation de cette justice active par les Ecritures , c'est que « le Fils de l'homme est venu non pas pour être servi, mais pour servir : » passage si peu convenant à la justice imputée, qu'on ne peut pas même entrevoir pourquoi il est allégué.

C'est-à-dire que dans la nouvelle Réforme, pourvu qu'on ait nommé la parole de Dieu avec emphase et qu'ensuite on ait jeté un passage en l'air, on croit avoir satisfait à la profession qu'on a

 

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faite de n'en croire que l'Ecriture en termes exprès. Les peuples sont éblouis de ces magnifiques promesses, et ne sentent pas même ce que fait sur eux l'autorité de leurs ministres, quoique ce soit elle au fond qui les détermine.

Non-seulement on n'a rien prouvé contre Piscator par la parole de Dieu, mais encore on n'a rien prouvé par la confession de foi qu'on lui opposait.

Car nous avons vu d'abord qu'on abandonne à Privas les articles XX et XXII qu'on avait allégués à Gap. On se réduit au XVIIIe ; et comme il ne disait rien que de général et d'indéfini, on s'avise de faire dire dans le formulaire : « Je déclare et proteste que j'entends l'article XVIII de notre confession de foi selon le sens reçu en nos églises, approuvé par les synodes et conforme à la parole de Dieu. »

La parole de Dieu eût suffi seule : mais comme on en disputait, pour finir, il en fallut revenir à l'autorité des choses jugées, et s'en tenir à l'article de la confession de foi, « en l'entendant, » non selon ses termes précis, mais « selon le sens reçu dans les Eglises et approuvé dans les synodes nationaux ; » ce qui enfin règle la dispute par la tradition, et nous montre que le moyen le plus assuré pour entendre ce qui est écrit, c'est de voir comment on l'a toujours entendu.

Voilà ce qui se passa dans l'affaire de Piscator en quatre synodes nationaux. Le dernier avait été celui de Tonneins, tenu en 1614, où après la souscription ordonnée dans le synode de Privas tout paraissait défini de la manière du monde la plus sérieuse : et néanmoins ce n'était rien ; car l'année d'après, sans aller plus loin, c'est-à-dire en 1615, Dumoulin, le plus célèbre de tous les ministres , s'en moqua ouvertement avec l'approbation de tout un synode : en voici l'histoire.

On était toujours inquiet dans le parti de la Réforme opposé au luthéranisme, de n'y avoir jamais pu parvenir à une commune confession de foi qui en réunît tous les membres, comme la Confession d’Augsbourg réunissait les luthériens. Tant de diverses confessions de foi montraient un fond de division qui affaiblissait le parti. On revint donc encore une fois au dessein de les réunir. Dumoulin en proposa les moyens dans un écrit envoyé au synode

 

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de l'Isle de France. Tout allait à dissimuler les dogmes dont on ne pouvait convenir; et Dumoulin écrit entérines formels que parmi les choses qu'il faudra dissimuler dans cette nouvelle confession de foi, il faut mettre « la question de Piscator touchant la justification (1) : » une doctrine tant détestée par quatre synodes nationaux devient tout à coup indifférente, selon l'opinion de ce ministre; et le synode de l'Isle de France, de la même main dont il venait de souscrire à la condamnation de Piscator, et la plume, pour ainsi dire, encore toute trempée de l'encre dont il avait fait cette souscription, remercie Dumoulin par lettres expresses de cette ouverture (2) : tant il y a d'instabilité dans la nouvelle Réforme , et tant on y sacrifie les plus grandes choses à cette commune confession qui ne s'est pu faire.

Les paroles de Dumoulin sont trop mémorables pour n'être pas rapportées : «Là, dit-il, dans cette assemblée qu'on tiendra pour cette nouvelle confession de foi, je ne voudras point qu'on disputât de la religion : car depuis que les esprits se sont échauffez, ils ne se rendent jamais, et chacun en s'en retournant dit qu'il a vaincu : mais je voudras que sur la table fut mise la confession des églises de France , d'Angleterre, d'Ecosse, des Pays-Bas, du Palatinat, des Suisses, etc. Que de ces confessions on tâchât d'en dresser une commune, en laquelle on dissimulât plusieurs choses, sans la connaissance desquelles on peut être sauvé   comme est la question de Piscator sur la justification, et plusieurs opinions subtiles proposées par Arminius sur le franc arbitre , la prédestination et la persévérance des saints (3). »

Il ajoute que Satan, qui « a corrompu l'Eglise romaine par le trop avoir, » c'est-à-dire, « par l'avarice et l'ambition, tâche à corrompre les églises » de la nouvelle Réforme « par le trop savoir, » c'est-à-dire par la curiosité, qui est en effet la tentation où succombent tous les hérétiques, et le piège où ils sont pris : et conclut que sur les voies d'accommodement « on aura fait une grande partie du chemin, si on veut se commander d'ignorer plusieurs choses, se contenter des nécessaires à salut, et se supporter dans les autres. »

 

1 Act. auth., Blond., pièce VI, p. 72. — 2 Ibid. — 3 Ibid., n. 4.

 

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La question eût été d'en convenir : car si par les choses dont la connaissance est nécessaire à salut, il entend celles que chaque particulier est obligé à savoir expressément sous peine de damnation, cette commune confession de foi est déjà faite dans le Symbole des apôtres et dans celui de Nicée. L'union que l'on ferait sur ce fondement s'étendrait bien loin au de la des églises nouvellement réformées, et on ne pourrait s'empêcher de nous y comprendre : mais « si par la connaissance des choses nécessaires à salut » il entend la pleine explication de toutes les vérités expressément révélées de Dieu, qui n'en a révélé aucune dont la connaissance ne tende à assurer le salut de ses fidèles ; « y dissimuler » ce que les synodes ont déclaré « expressément révélé de Dieu avec détestation » des erreurs contraires, c'est se moquer de l'Eglise, en tenir les décrets pour des illusions même après les avoir signés, trahir sa religion et sa conscience.

Au reste quand on verra que ce même Dumoulin, qui passe ici si légèrement avec les propositions de Piscator les propositions bien plus importantes d'Arminius, en fut dans la suite un des plus impitoyables censeurs : on reconnaîtra dans son procédé la perpétuelle inconstance de la nouvelle Réforme qui accommode ses dogmes à l'occasion.

        Pour achever le récit du projet de réunion qu'on fit alors, après cette commune confession de foi du parti opposé aux luthériens, on voulait encore en faire une plus vague et plus générale, où les luthériens seraient compris. Dumoulin développe ici toutes les manières dont on pourrait s'expliquer, « sans condamner ni la présence réelle , ni l'ubiquité , ni la nécessité du baptême (1), » ni les autres dogmes luthériens ; et ce qu'il ne peut sauver par des équivoques ou des expressions vagues, il l'enveloppe le mieux qu'il peut dans le silence : il espère par ce moyen abolir les mots de Luthériens, de Calvinistes, de Sacramentaires, et faire par ses équivoques qu'il ne reste plus aux protestants que le nom commun d'Eglise chrétienne réformée. Tout le synode de l'Isle de France applaudit à ce beau projet; et c'est après cette union qu'il serait temps, poursuit Dumoulin, de solliciter d'accord l'Eglise romaine :

 

1 Act. auth., Blond., n. 12, 13.

 

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mais il doute qu'on y réussît. Il a raison ; car nous n'avons point d'exemple qu'en matière de religion elle ait jamais approuvé des équivoques, ou consenti à la suppression des articles qu'elle a crus une fois révélés de Dieu.

Au reste je n'accorde pas à Dumoulin et aux autres de même parti, que les diversités de leurs confessions de foi ne soient que dans la méthode et dans les expressions, ou bien en police et cérémonies ; ou si c'était sur les matières de foi, que ce fût en choses qui n'étaient encore passées en loi ni règlement public : car on a pu voir et on verra le contraire dans toute la suite de cette histoire. Et peut-on dire, par exemple, que la doctrine de l'épiscopat, où l'église d'Angleterre est si ferme, et qu'elle pousse si loin qu'elle ne reçoit les ministres calvinistes qu'en les ordonnant de nouveau, soit une affaire de langage, ou en tout cas de pure police et de pure cérémonie? N'est-ce rien de regarder une église comme n'ayant point de pasteurs légitimement ordonnés? Il est vrai qu'on leur rend bien la pareille, puisqu'un fameux ministre du calvinisme a écrit ces mots : « Si quelqu'un des nôtres enseignait la distinction de l’évêque et du prêtre, et qu'il n'y a pas de vrai ministère sans évêques, nous ne le pourrions souffrir dans notre communion, c'est-à-dire au moins dans notre ministère (1). » Les protestants anglais en sont donc exclus. Est-ce là un différend de peu d'importance? Ce n'est pas ainsi qu'en parle le même ministre , puisqu'il demeure d'accord que « pour ces différences, » qu'il veut appeler « petites, de gouvernement et de discipline, on se traite comme des excommuniez (2). » Que si l'on vient au particulier de ces confessions de foi, combien trouvera-t-on de points dans les unes qui ne sont point dans les autres? Et en effet si la différence n'était que dans les mots, il y aurait trop d'opiniâtreté à n'en pouvoir convenir après l'avoir si souvent tenté : si elle n'était qu'en cérémonies, la faiblesse serait trop grande de s'y arrêter ; mais c'est que chacun ressent qu'on n'est pas d'accord dans le fond ; et si on se vante cependant d'être bien unis, cela ne sert qu'à confirmer que l'union de la nouvelle réformation est plus politique qu'ecclésiastique.

 

1 Jur., Syst., p. 214. — 2 Id., Avis aux Protest., n. 5, à la tête des Préj. lég.

 

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Il ne me reste qu'à prier nos Frères de considérer les grands pas qu'ils ont vu faire, non pas à des particuliers, mais à leurs églises en corps, sur des choses qu'on y avait décidées avec toute l'autorité , disait-on , de la parole de Dieu : cependant tous ces décrets n'ont rien été. C'est un style de la Réforme de nommer toujours la parole de Dieu : on n'en croit pas pour cela davantage, et on supprime sans crainte ce qu'on avait avancé avec une si grande autorité, mais il ne faut pas s'en étonner. Il n'y a rien de plus authentique dans la religion que des confessions de foi : rien ne doit avoir été plus autorisé par la parole de Dieu que ce que les calvinistes y avaient dit contre la présence réelle et contre les autres dogmes des luthériens. Ce n'était pas seulement Calvin qui avait traité « de détestable l'invention de la présence corporelle : » De corporali praesentiâ detestabile commentum (1) : toute la Réforme de France venait de dire en corps par la bouche de Bèze, « qu'elle détestait ce monstre et la consubstantiation » luthérienne, avec « la transsubstantiation » papistique (2). Mais il n'y a rien de sincère ni de sérieux dans ces détestations de la présence réelle, puisqu'on a été prêt à retrancher tout ce qu'on avait dit contre, et que ce retranchement se devait faire, non-seulement par un décret d'un synode national, mais encore par un commun résultat de tout le parti assemblé solennellement à Francfort. La doctrine du sens figuré, pour ne point parler ici des autres, après tant de combats et tant de martyres prétendus, serait supprimée par un éternel silence, s'il avait plu aux luthériens. L'Angleterre, la France, l'Allemagne, les Suisses, les Pays-Bas, en un mot tout ce qu'il y a de calvinistes dans le monde ont consenti à la suppression. Comment donc peut-on demeurer si attaché à un dogme qu'on voit si peu révélé de Dieu, que par les vœux communs de tout le parti il est déjà retranché de la profession du christianisme ?

 

1 II Déf. cont. Vestph., op. 83. — 2 Ci-dessus, n. 9.

 

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