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PREMIER SERMON
POUR
LA VÊTURE D'UNE NOUVELLE
CATHOLIQUE (a).
Induimini Dominum Jesum Christum.
Revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Rom.,
XIII, 14.
Ne vous persuadez pas, ma
très-chère Sœur, que la cérémonie de ce jour ne soit qu'un simple changement
d'habit. Une telle cérémonie ne mériterait pas d'être sanctifiée par la parole
de Dieu, et l'Eglise notre sainte Mère ne voudrait pas employer ses ministres à
une chose de si peu d'importance. Mais comme vous quittez un habit que le siècle
tâche de rendre honorable par le luxe et par les vanités, afin d'en prendre un
autre qui tire tout son ornement de la modestie et de la pudeur : ainsi
devez-vous penser qu'il faut « vous dépouiller aujourd'hui du vieil homme et de
ses convoitises, afin de vous revêtir du nouveau, qui est Notre-Seigneur
Jésus-Christ, créé selon la volonté de Dieu, »
(a) Prêché dans la maison des Nouvelles-Catholiques,
à Metz, un 25 mars, vers 1664.
L'illustre prédicateur dit dans la péroraison : « Mes
très-chères Sœurs,.... il semble que la Providence divine vous a conduites en ce
lieu non sans quelque secret conseil : ces âmes, que Dieu a retirées des
ténèbres de l'hérésie pour les donner à l'Eglise par votre main, en sont un
témoignage évident. » Ces paroles désignent manifestement les religieuses que
Vincent de Paul avait envoyées à Metz, pour diriger la maison de retraite que
Bossuet avait fondée en faveur des Nouvelles Converties. La postulante, qui
allait recevoir la vêture, appartenait à cette maison ; car l'orateur dit aussi
: « Mes très-chères Sœurs, recevez cette jeune fille, que vous avez si bien
élevée. »
D'un autre côté, ces paroles de l'exorde : « C'est ici la
bienheureuse journée eu laquelle le Fds de Dieu se fit homme ; » et celles-ci du
second point : « Cette sainte clôture où vous méditez de vous retirer, est-elle
plus étroite que cette prison volontaire du ventre de la sainte Vierge, où le
Fils de Dieu se met aujourd'hui; » ces paroles,, dis-je, indiquent jusqu'à
l'évidence le jour de l'Incarnation, le 25 mars. Enfin, quand on aura lu le
discours, on verra que la profondeur des pensées, la fermeté de la logique et
l'élévation du langage commandent de le placer dans la grande époque du plus
grand de nos orateurs. Bossuet le prononça dans un des nombreux voyages qu'il
faisait à Metz.
Nous l'avons reproduit d'après les premiers éditeurs.
392
comme dit l'Apôtre aux Ephésiens : Induite novum
hominem, qui secundùm Deum creatus est (1). C'est à quoi vous exhorte saint
Paul dans le'texte que j'ai allégué ; et encore que cette parole s'adresse
généralement à tous les fidèles, il me semble que c'est à vous qu'il parle en
particulier, et qu'il vous dit avec sa charité ordinaire : « Revêtez-vous, ma
Sœur, de Notre-Seigneur Jésus-Christ : » Induimini Dominum nostrum Jesum
Christum. C'est ici la bienheureuse journée en laquelle le Fils de Dieu se
fit homme afin de nous faire des dieux. Réjouissez-vous donc en Notre-Seigneur,
et revêtez-vous de celui qui a daigné aujourd'hui se revêtir de notre nature.
Peut-être vous me demanderez de
quelle sorte cela se peut faire, et comment l'homme se peut revêtir de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ? C'est ce que je tâcherai de vous exposer, avec
l'assistance divine, par une méthode facile et familière. Mais ne pensez pas, ma
très-chère Sœur, que j'ose me promettre de ma propre suffisance l'explication
d'un si haut mystère. Je ne suis ni assez téméraire pour l'entreprendre, ni
assez intelligent pour l'exécuter. A Dieu ne plaise que, dans cette chaire, je
vous propose une autre doctrine que celle de l'Evangile. J'irai sous la conduite
du grand apôtre saint Paul, qui sera notre prédicateur. Voici de quelle sorte ce
saint personnage parle dans son Epître aux Philippiens : « Ayez, dit-il, mes
Frères, ayez cette même affection en vous-mêmes , qui a été en Notre-Seigneur
Jésus-Christ : » Hoc sentite in vobis, quod et in Christo Jesu (2) :
c'est-à-dire prenez les sentiments du Sauveur; soyez tous envers lui comme il a
été envers vous ; que ce qu'il a fait pour votre salut soit le modèle et la
règle de ce que vous devez faire pour son service : ainsi vous serez revêtus du
Sauveur, quand vous serez imitateurs de sa charité. Considérons donc quels ont
été les sentiments du Fils de Dieu dans le mystère de l'incarnation, et après
imprimons les mêmes pensées en nous-mêmes, et nous serons revêtus de
Notre-Seigneur Jésus-Christ selon le commandement de l'Apôtre. C'est le précis
de cet entretien : Dieu le fasse fructifier par sa grâce à l'édification de nos
âmes.
1 Ephes., IV, 24. — 2 Philip., II, 5.
393
PREMIER POINT.
Qui dit Dieu, dit un océan
infini de toute perfection ; tous ses attributs divins sont sans bornes et sans
limites. Son immensité passe tous les lieux, son éternité domine sur tous les
temps : les siècles ne sont rien devant lui ; ils sont comme le jour d'hier qui
est passé et ne peut plus revenir : Tanquam dies hesterna quœ prœteriit,
chantait le prophète David (1). Si vous demandez ce qu'il est, il est impossible
qu'on vous réponde. Il est, personne n'en peut douter, et c'est aussi tout ce
qu'on en peut dire : « Je suis celui qui est, c'est celui qui est qui te parle,
» disait-il autrefois à Moïse (2). Je suis; n'en demande pas davantage : c'est
parce qu'il est impossible de définir ni de limiter ce qu'il est. Il n'est rien
de ce que vous voyez, parce qu'il est le Dieu et le créateur de tout ce que vous
voyez ; il est tout ce que vous voyez, parce qu'il enferme tout dans son essence
infinie. Elle est une et indivisible ; mais il n'y a aucune multitude qui puisse
jamais égaler cette unité admirable. Auprès de cette unité, toutes les créatures
disparaissent et s'évanouissent dans le néant. Ce que je viens de vous dire,
fidèles, et ce qu'il est impossible que je vous explique, c'est le Dieu que nous
adorons, loué et glorifié aux siècles des siècles. Voilà ce qu'est le Fils de
Dieu par nature ; voyons, je vous prie, ce qu'il est devenu par miséricorde et
par grâce.
Certes, je vous l'avoue,
chrétiens, quand j'entends cette trompette , ou plutôt ce tonnerre de
l'Evangile, ainsi que l'appellent les Pères : In principio erat Verbum
(3) : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe
était Dieu. C'est lui qui était en Dieu au commencement; toutes choses ont été
faites par lui; en lui était la vie : » quand j'entends, dis-je, ces choses, mon
âme demeure étonnée d'une telle magnificence. Mais lorsque passant plus loin
dans la lecture de cet Evangile, je vois que ce Verbe a été fait chair : Et
Verbum caro factum est (4), je ne suis pas moins surpris d'un si grand
anéantissement. O Dieu, dis-je incontinent en moi-même, qui l'eût jamais pu
croire, qu'un commencement si majestueux dût avoir une fin qui semble si
1 Psal. LXXXIX, 4. — 2 Exod.,
III, 14. — 3 Joan., I, 1. — 4 Ibid., 14.
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méprisable, et que d'une telle grandeur on dût jamais
tomber dans une telle bassesse? Et toutefois, ma très-chère Sœur, c'est ce que
le Fils de Dieu, touché d'amour pour notre nature, a fait dans la plénitude des
temps. Cette immensité, dont je vous par-lois, s'est comme renfermée clans les
entrailles d'une sainte Vierge. L'infini est devenu un enfant; l'Eternel s'est
soumis à la loi des temps. Les hommes ont vu l'heure de sa mort, après avoir
compté le premier jour de sa vie. Ainsi a-t-il plu à notre grand Dieu de faire
voir sa toute-puissance, en élevant à la dignité la plus haute la chose du monde
la plus vile et la plus infirme.
Considérez ceci, chrétiens : je
vous ai représenté la nature divine en bégayant, je l'avoue, et que pouvais-je
faire autre chose? mais enfin je vous l'ai en quelque sorte représentée dans sa
grande et vaste étendue, sans bornes et sans limites; et dans l'incarnation elle
s'est comme raccourcie : Verbum breviatum, parole mise en abrégé. Elle
s'est comme épuisée et anéantie, ainsi que parle saint Paul (1) : non pas
qu'elle ait rien perdu de ses qualités naturelles; elle n'est pas capable de
changement; elle s'est communiquée à nous sans être diminuée en elle-même. Mais
enfin elle s'est unie à notre misérable nature, elle s'est chargée de notre
néant, elle a pris sur soi nos infirmités. « Le Fils de Dieu égal à son Père,
étant en la forme de Dieu, a pris la forme d'esclave (2). » Et cela qu'est-ce
autre chose, sinon se prescrire certaines bornes, sinon s'abaisser et
s'anéantir? N'est-ce pas, en quelque sorte, se dépouiller de sa majesté pour se
revêtir de notre faiblesse? C'est ce que nous enseigne l'Apôtre, dans le texte
que j'ai allégué de l’Epître aux Philippiens. O bonté incroyable de notre
Dieu! ô amour ineffable pour notre nature, qui porte le Fils du Dieu vivant à
s'unir si étroitement avec nous, dont la vie n'est qu'une langueur et une
défaillance continuelle !
Mais qu'est-il arrivé,
chrétiens, de cette profonde humiliation? Comprenez, s'il vous plaît, ce que je
veux dire. Ah ! quand le Fils de Dieu est venu au monde, Dieu n'était presque
point connu sur la terre, bien que la connaissance de Dieu soit la vie
éternelle. Le Fils de Dieu prêchant les vérités de son Père, « a manifesté son
1 Rom., IX, 28. — 2 Philip., II, 6, 7.
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nom aux hommes (1) : » ce sont ses propres paroles; et
après son ascension triomphante, il a envoyé ses disciples, qui parcourant tout
le monde, ont ramené les peuples à la connaissance du Créateur. De tous les
endroits de la terre, les fidèles se sont assemblés pour adorer le vrai Dieu, au
nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ; s'assemblant de la sorte , ils se sont unis
à cet Homme-Dieu, qui est mort pour l'amour de nous : et par ce moyen ils sont
devenus, non-seulement les amis, mais les membres de Jésus-Christ, ainsi que
l'enseigne saint Paul (2).
Et comment pourrais-je vous
dire, mes Frères, combien cette sainte union nous a été profitable? Quel bonheur
à nous autres, pauvres mortels, d'être unis si étroitement à la sainte humanité
de Jésus, qui est pleine de la nature divine l Car c'est par ce moyen que toutes
les grâces découlent sur nous. Nous unissant au Fils de Dieu selon ce qu'il
s'est fait pour l'amour de nous, c'est-à-dire selon la chair qu'il a prise de
nous, nous entrons en société de la nature divine, nous participons en quelque
sorte à la divinité, parce que nous sommes en Dieu et Dieu en nous; et c'est la
nouvelle alliance que Dieu a contractée avec nous par Notre-Seigneur
Jésus-Christ. « J'habiterai en eux, dit le Seigneur par la bouche de son
prophète, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (3). » C'est pourquoi
l'Apôtre nous avertit que nous sommes remplis de l'Esprit de Dieu, et que nos
corps et nos âmes sont les temples du Dieu vivant (4). Dieu donc habitant en
nous , comme il est un feu consumant, ainsi que parle l'Ecriture divine (5), il
nous change et nous transforme en soi-même par une opération ineffable et
toute-puissante, jusqu'à ce qu'étant parvenus à la gloire où il nous appelle , «
nous serons semblables à lui, dit le bien-aimé disciple (6), parce que nous le
verrons comme il est : » et alors arrivera ce que dit l'apôtre saint Paul (7)
que tout ce qu'il y a en nous de mortel et de défectueux étant dissipé par
l'Esprit de Dieu, nous serons tout resplendissants de l'éclat de sa majesté
divine, et « Dieu sera tout en tous : » Erit Deus omnia in omnibus (8). O
joie et consolation des justes et des gens de bien !
1 Joan., XVIl, 6. — 2 Ephes.,
V, 30. — 3 Levit., XXVI, 12. — 4 I Cor., III, 16 ; VI, 19. — 5
Deut., IV, 24. — 6 I Joan., III, 2. — 7 I Cor., XV, 54. — 8
Ibid., 28.
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Ce que je viens de vous dire,
mes Frères, c'est la pure Ecriture sainte. Si Dieu est tout en tous, sa gloire
s'étendra sur tous les fidèles : la divinité se répandra en quelque sorte sur
nous; et bien qu'elle ne soit pas accrue en soi-même parce qu'on ne peut lui
rien ajouter, toutefois elle sera en quelque façon dilatée par la manifestation
de son nom. Et c'est ce qui a fait dire au Prophète que Dieu étendra ses ailes
sur nous (1) ; et ailleurs, «qu'il marchera au milieu de nous : » Inambulabo
inter eos (2); voulant signifier par ces termes que Dieu se dilatera en nous
et sur nous par l'opération de sa grâce, et par la communication de sa gloire.
Mais cette dilatation, permettez-moi de parler de la sorte, se fait par le Fils
de Dieu incarné, ainsi que nous vous l'avons fait voir. Et, fidèles, vous le
savez, s'il y a quelqu'un sur la terre qui attende aucune grâce de Dieu
autrement que par les mérites du Verbe fait chair, c'est un impie , c'est un
sacrilège, qui renverse les Ecritures divines et la sainte société que Dieu a
voulu avoir avec nous par le moyen de son Fils unique.
Par où vous voyez, chrétiens,
que la nature divine voulant se répandre sur nous, s'est premièrement en quelque
sorte resserrée et anéantie en nous. Le Fils éternel du Dieu vivant, le Verbe et
la Sagesse du Père, a voulu que sa Divinité toute entière fut revêtue et chargée
d'un corps mortel, où il semblait qu'elle fût rétrécie selon l'expression de
l'Apôtre s, et de là il l'a répandue sur tous les fidèles. L'humiliation est
cause de l'exaltation. Cette amplitude, cette dilatation dont je viens de vous
parler, je ne sais si je me fais bien entendre, elle est venue ensuite de cet
anéantissement; c'est le dessein du Fils de Dieu, lorsqu'il s'est fait chair
pour l'amour de nous. Que reste-t-il maintenant, sinon de vous exhorter avec
l'apôtre saint Paul : « Revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ : »
Induimini Dominum Jesum Christum. Et comment nous en revêtirons-nous? « Ayez
le même sentiment en vous-mêmes, qu'avait le Sauveur Jésus : » Hoc sentite in
vobis, quod et in Christo Jesu (4) : c'est ce qui me reste à vous exposer.
1 Isai., VIII, 8. — 2 II Cor., VI, 16. — 3
Philip., II, 7. — 4 Ibid., 5.
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SECOND POINT.
Retenez ce que je viens de vous
dire, parce que tout ce discours, si je ne me trompe, n'a qu'une même suite de
raisonnement; et comme toutes les parties s'entretiennent, elles demandent une
attention plus exacte.
Quand on enseigne aux hommes
qu'il faut modérer leurs désirs, qu'il faut se retrancher et se restreindre, que
ce leur est une dure parole! Nous sommes nés, tous tant que nous sommes, dans
une puissante inclination de faire ce qu'il nous plaît. Nous sommes jaloux de
notre liberté, disons-nous; et nous mettons cette liberté à vivre comme bon nous
semble, sans gène et sans contrainte; c'est là tout le plaisir et toute la
douceur de la vie. Parlez à un avare , dites-lui qu'il est temps de donner
quelques bornes à ce désir insatiable d'amasser toujours, il ne comprend pas ce
que vous lui dites; sa passion n'est pas satisfaite; c'est un abime sans fin,
qui ne dit jamais : C'est assez. Dites à un jeune ambitieux, qui dans l'ardeur
d'un âge bouillant ne respire que les grands honneurs, qu'il faut mépriser les
honneurs, et qu'il faut se réduire à ce que Dieu voudra ordonner de sa vie et de
sa fortune : ah! la fâcheuse sentence! Ainsi en est-il de nos autres désirs.
Nous avons tous cela de mauvais, que toutes nos convoitises sont infimes; et
cela vient du dérèglement de notre esprit, qui n'est pas capable de prendre ses
mesures bien justes, ni de vouloir les choses modérément. Nous sommes véhéments
dans tous nos désirs : s'il y en a quelques-uns peut-être dont nous nous
départons aisément, nous avons nos passions dominantes, sur lesquelles nous ne
souffrons pas qu'on nous choque : nous nous plaignons incontinent qu'on nous ôte
notre repos, qu'on veut nous faire vivre dans la servitude. C'est pourquoi la
vertu est si difficile et si épineuse, parce qu'elle entreprend de nous modérer.
Qu'a fait le Fils de Dieu?
Résolu de venir au monde comme le réformateur du genre humain, il nous donne
lui-même l'exemple : Je viens, dit-il, pour vous ordonner de mortifier vos
appétits déréglés ; je vous défends de suivre ces vagues et impétueux désirs,
auxquels vous vous laissez emporter. Gardez-vous bien de
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marcher dans cette voie large et délicieuse, qui vous
mènerait à la mort : allez par la voie étroite, qui vous conduira au salut. Ici
les hommes résistent ; impatiens de contrainte, ils refusent d'obéir au Sauveur
; ils veulent avoir partout leurs commodités et leurs aises. Et pourquoi,
disent-ils, ô Seigneur, pourquoi nous commandez-vous de marcher dans ce sentier
difficile ? Pourquoi contraindre si fort nos inclinations, et nous tenir
éternellement dans la gêne ? — Eh ! quelle est cette manie, chrétiens ?
Considérez le Sauveur Jésus : voyez la Divinité, qui a daigné se couvrir d'une
chair humaine. Autant que sa nature l'a pu permettre, elle a restreint son
immensité : un Dieu a bien voulu se soumettre aux lois qu'il avait faites pour
ses créatures. Quel antre assez obscur, et quelle prison assez noire égale
l'obscurité des entrailles maternelles ? Et cependant ce divin Enfant, qui était
homme fait dès le premier moment de sa vie, à cause de la maturité de sa
connaissance, s'y étant enfermé volontairement, y a passé neuf mois sans
impatience. Et toi, misérable mortel, tu veux jouir d'une liberté insolente ; tu
ne veux souffrir aucun joug, non pas même celui de Dieu ; tu demandes
témérairement qu'on lâche la bride à tes désirs. Ah ! chrétiens, ayez en
vous-mêmes les sentiments du Sauveur Jésus. Ayant une étendue infinie , il s'est
mis à l'étroit pour l'amour de nous ; étant en la forme de Dieu, il a pris la
forme d'esclave ; étant la source de tout être, il s'est anéanti pour notre
salut ; et nous qui ne sommes rien, nous ne pouvons supporter la moindre
contrainte pour son service ! Certes, si nous croyons véritablement ce que nous
professons tous les jours, que le Fils de Dieu pour nous donner la vie éternelle
, a pris une chair humaine, notre impudence est extrême de ne pas renoncer à
notre volonté, pour nous laisser gouverner par la sienne.
Ainsi, ma très-chère Sœur,
revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette sainte clôture où vous
méditez de vous retirer, est-elle plus étroite que cette prison volontaire du
ventre de la sainte Vierge, où le Fils de Dieu se met aujourd'hui? Ne portez
point d'envie à celles de votre sexe, qui courent deçà et delà dans le monde,
éternellement occupées à rendre et à recevoir des visites. Certainement elles
semblent avoir quelque sorte de liberté ;
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mais c'est une liberté imaginaire, qui les empêche d'être à
elles-mêmes , et qui les rend esclaves de tant de diverses circonspections que
la loi de la civilité et le point d'honneur ont établies dans le monde. Que si
le monde a ses contraintes , que je vous loue, ma très-chère Sœur, vous qui
estimant trop votre liberté pour la soumettre aux lois de la terre , protestez
hautement de ne vouloir vous captiver que pour le Sauveur Jésus , qui se faisant
esclave pour l'amour de nous , nous a affranchis de la servitude ! C'est dans
cette sainte contrainte que se trouve la vraie liberté ; c'est dans cette voie
étroite que l’âme est dilatée par le Saint-Esprit , pour recevoir l'abondance
des grâces divines. La charité de Jésus, pénétrant au fond de nos âmes, ne les
resserre que pour les ouvrir.
Remarquez ceci, ma très-chère
Sœur.: la voie étroite, c'est une voie large ; et bien qu'il soit vrai que les
saints ont à marcher en ce monde dans un sentier étroit, ils ne laissent pas de
marcher dans un chemin spacieux. En voulez-vous la preuve par les Ecritures
divines, écoutez le prophète David : Latum mandatum tuum nimis (1) : «
Votre commandement est extrêmement large. » Que veut dire ce saint Prophète ?
Certes le commandement c'est la voie par laquelle nous devons avancer ; d'où
vient que le Sauveur a dit : « Si tu veux parvenir à la vie, observe les
commandements (2). » Les voies de Dieu et les ordonnances de Dieu, c'est la même
chose dans les Ecritures : « Heureux est celui, dit David, qui marche dans la
voie du Seigneurs, » c'est-à-dire qui garde ses lois ; or le commandement est
large : c'est ainsi que parle David.
Et comment est-ce donc qu'il est
dit que les voies du salut sont étroites? Ah ! chrétiens, sentons en nous-mêmes
ce que le Sauveur Jésus a senti. Il s'est mis à l'étroit, afin de se répandre
plus abondamment : ainsi nous devons être dans une salutaire contrainte , pour
donner à notre âme sa véritable étendue. Contraignons-nous en domptant nos
désirs, en mortifiant notre chair; mettons-nous à l'étroit par l'exercice de la
pénitence, et notre âme sera dilatée par l'inspiration de la charité. « La
charité élargit les voies, dit l'admirable saint Augustin : c'est elle qui
dilate l’âme, et qui
1 Psal. CXVIII, 96. — 2 Matth.,
XIX, 17. — 3 Psal. CXVIII, 1.
400
la rend capable de recevoir Dieu (1). » — « Mon âme se
dilate sur vous, ô Corinthiens; vous n'êtes pointa l'étroit dans mon cœur (2), »
disait l'apôtre saint Paul; c'est qu'il les aimait par une charité très-sincère.
Et ailleurs le même saint Paul : « La charité de Jésus-Christ nous presse (3). »
Grand Apôtre, si elle nous presse, comment est-ce qu'elle nous dilate? Ah ! nous
répondrait-il, chrétiens, plus elle nous presse , plus elle nous dilate : autant
qu'elle presse nos cœurs pour en chasser les délices du monde, autant elle les
dilate pour recevoir les grâces célestes et la sainte dilection. Ainsi
réjouissez-vous, ma très-chère Sœur : autant que la vie à laquelle vous êtes
résolue de vous préparer est difficile et contrainte, autant est-elle libre et
aisée : autant qu'elle a d'incommodités selon la chair et selon les sens, autant
elle abonde en esprit de divines et bienheureuses consolations. Mais si vous y
voulez profiter, revêtez-vous auparavant de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; prenez
les sentiments du Sauveur : il a voulu que le mystère que nous célébrons
aujourd'hui fût préparé et accompli par obéissance. Si l'ange parle à Marie ,
c'est de la part de Dieu qu'il lui parle ; si Marie conçoit le Sauveur, elle le
conçoit par l'obéissance : « Je suis la servante du Seigneur (4). » Cette parole
de soumission a attiré le Fils de Dieu, du plus haut des cieux, dans ses bénites
entrailles. Car elle l'a conçu, non par l'opération de la chair, mais par
l'opération de l'Esprit de Dieu ; et le Saint-Esprit ne repose que dans les âmes
obéissantes. Enfin le Verbe est descendu sur la terre, mais il y était envoyé
par son Père ; et le premier acte qu'il fit, ce lut un acte d'obéissance. « Il
est écrit, dit-il, au commencement du Livre, que je ferai votre volonté, ô mon
Père. » Ce sont les propres paroles que l'apôtre saint Paul lui fait dire, au
moment qu'il entre en ce monde : Ingrediens mundum dicit.... In capite libri
scriptum est de me, ut faciam, Deus, voluntatem tuam (5).
Prenez donc les sentiments du
Sauveur Jésus. Gardez-vous bien d'entrer dans ce nouveau genre de vie , si vous
n'y êtes appelée de la part de Dieu. L'Eglise ne veut pas que vous vous y
engagiez
1 Enarr. II, in Psal. XXX,
n. 15. — 2 II Cor., VI, 11. — 3 II Cor., V, 14. — 4 Luc.,
I, 38. — 5 Hebr., X, 5, 7.
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témérairement ; et c'est pour cette raison qu'elle vous
donne ce temps d'épreuve. Eprouvez quel est le bon plaisir de Dieu ;
étudiez-vous vous-même; consultez les personnes spirituelles. La vie à laquelle
vous vous destinez est la plus calme et la plus tranquille de toutes pour celles
qui sont bien appelées; mais pour celles qui ne le sont pas, il n'y a point de
pareilles tempêtes : et telle que serait la témérité d'un homme qui, ne sachant
ce que c'est que la navigation, se mettrait sur mer sans pilote, telle est la
folie d'une créature qui embrasse la vie religieuse, sans avoir la volonté de
Dieu pour son guide.
Car je vous prie de considérer,
ma très-chère Sœur, que ce n'est pas par vos propres forces que vous pouvez
accomplir les devoirs de la vie religieuse. C'est donc par l'assistance divine :
et avec quelle confiance imploreriez-vous l'assistance de Dieu pour exécuter une
chose, si vous l'aviez entreprise contre sa volonté ? Par conséquent songez
quelle est votre vocation, et que ce soit là toute votre étude. Sachez que la
perfection de la vie chrétienne n'est pas de se jeter dans un cloître, mais de
faire la volonté de Dieu; c'est là notre nourriture , selon ce que dit le
Sauveur : Meus cibus est, ut faciam voluntatem ejus qui misit me (1).
Cependant recevez des mains de
la sainte Eglise le voile qu'elle vous donnera, bénit par l'invocation du nom de
Dieu, qui sanctifie toutes choses. Mais .en même temps recevez invisiblement de
l'Esprit de Dieu un voile spirituel, qui est la simplicité et la modestie :
qu'elle couvre et vos yeux et votre visage : qu'elle ne vous permette pas
d'élever la vue, sinon à ces saintes montagnes d'où vous doit venir le secours.
Epouse de Jésus-Christ, si quelque chose vous plaît excepté Jésus, vous êtes une
infidèle et une adultère, et votre virginité vous tourne en prostitution.
Dépouillez-vous donc généreusement de l'habit du siècle : laissez-lui sa pompe
et ses vanités : ornez votre corps et votre âme des choses qui plaisent à votre
Epoux : que la candeur de votre innocence soit colorée par l'ardeur du zèle, et
par la pudeur modeste et timide. Ce n'est que par le silence, ou par des
réponses d'humilité que votre bouche doit être embellie. Insérez à vos oreilles,
c'est
1 Joan., IV, 34.
402
Tertullien qui vous y exhorte (1) ; insérez à vos oreilles
la sainte parole de Dieu : ayez votre âme élevée à Dieu ; alors votre taille
sera droite, et votre contenance (a) agréable. Que toutes vos actions
soient animées de la charité , et tout ce que vous ferez aura bonne grâce. C'est
la seule beauté que je vous souhaite, parce que c'est la seule qui plaît au
Verbe incarné votre Epoux.
Et vous, mes très-chères Sœurs,
recevez cette jeune fille, que vous avez si bien élevée. Eh Dieu ! que
pourrai-je vous dire pour votre consolation? Sans doute votre piété a déjà
prévenu tous mes soins. Ah ! que le Fils de Dieu vous aura donné de douceurs en
mangeant cette même chair, cette chair sainte, cette chair vivante et pleine
d'esprit de vie, qu'il a prise aujourd'hui pour notre salut. Achevez votre
course avec le même courage : veillez en prières et en oraisons ; et surtout
dans ces oraisons priez pour l'ordre ecclésiastique, afin qu'il plaise à la
bonté divine de nous faire selon son cœur, à la gloire de la sainte Eglise et à
la confusion de ses ennemis. Certes je ne craindrai pas de le dire, il semble
que la Providence divine vous a conduites en ce lieu non sans quelque secret
conseil : ces âmes, que Dieu a retirées des ténèbres de l'hérésie pour les
donner à l'Eglise par votre main, en sont un témoignage évident. Heureuses mille
et mille fois d'être employées au salut des âmes, pour lesquelles le Sauveur
Jésus a répandu tout son sang. Rendez à sa bonté de continuelles actions de
grâces : imprimez la crainte de Dieu dans ces âmes tendres et innocentes, que
l'on vous a confiées.
Et pour vous, ma très-chère Sœur
( car puisque cet entretien a commencé par vous, il faut que ce soit par vous
qu'il finisse ), revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus- Christ ; souvenez-vous
toute votre vie, pour votre consolation, que vous vous êtes dédiée à l'épreuve
d'une vie plus retirée et plus solitaire, le même jour que par une bonté infinie
il s'est jeté dans une prison volontaire. N'oubliez pas aussi que cette même
journée est sainte par la mémoire de la très-pure Marie. Priez-la de vous
assister par ses pieuses intercessions; imitez sa pureté angélique et son
1 De Cult, fœmin., lib. II, n. 13.
(a) Var. : Et votre maintien.
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obéissance fidèle ; dites avec elle de tout votre cœur : «
Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » Vivez,
ma très-chère Sœur , selon la parole de Dieu, et vous serez récompensée selon sa
parole. Si vous faites selon la parole de Dieu, il vous sera fait selon sa
parole. Amen.
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