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MEDITATION
POUR LA
VEILLE DE L'ASSOMPTION
DE LA SAINTE VIERGE (a).
(inédit.)
Quae est ista quae ascendit de deserto, déliciis
affluens, innixa super dilectum suum ?
Qui est celle-ci qui s'élève du désert, pleine de délices,
appuyée sur son bien-aimé? Cant., VIII, 5.
La sainte solennité dont
l'Eglise se réjouira demain par toute la terre comprend, ce me semble, trois
choses fort importantes, qui selon les conseils de la Providence se sont
heureusement accomplies en la sainte Vierge, Mère de Notre-Seigneur et la nôtre.
La première, c'est sa mort ; la seconde, c'est sa glorieuse résurrection ; la
troisième, c'est la magnificence de son triomphe. Chrétiens que je vois si
avides des louanges de Marie, je vous entretiendrai familièrement de ces trois
mystères avec l'aide du
1 S. Bern., hom. III, super Missus est, n. 9.
(a) Le manuscrit inédit jusqu'à ce jour, est à la
bibliothèque du séminaire de
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Saint-Esprit, que je prie d'étendre par sa grâce le peu que
j'ai à vous dire.
Considérez donc pour vous
préparer à cette méditation, qu'il n'y eut jamais mère qui chérît son fils avec
une telle tendresse qu'avait celle dont nous honorons la mémoire par cette
assemblée ; ce qu'il ne vous sera pas malaisé d'entendre, si vous remarquez que
la nature a distribué avec quelque sorte d'égalité l'amour des enfants entre le
père et la mère. D'où vient qu'elle imprime dans l'un une inclination plus
forte, et dans l'autre une émotion plus sensible? Et c'est pour la même raison
que , quand l'un des deux a été enlevé par la mort, l'autre se sent obligé par
un sentiment naturel à redoubler ses affections. Si bien que la très-pure Marie
n'ayant à partager avec aucun homme ce chaste et violent amour qu'elle avait
pour son Fils Jésus, vous ne sauriez assez vous imaginer jusqu'à quel point elle
en fut touchée et combien elle y ressentait de douceur. A quoi j'ajoute que
comme elle se croyait bienheureuse d'être Mère du Fils de Dieu, aussi
estimait-elle uniquement sa virginité. C'est là d'abord qu'elle trouve ses
premiers soins, lorsque surprise par la salutation de l'ange, elle l'interroge
comment il se pourra faire qu'elle conçoive ce Fils dont il lui parle, elle qui
avait résolu de ne point connaître d'homme : discours qui, à le bien prendre,
témoigne qu'elle se sent véritablement honorée d'être Mère du Messie, mais
qu'elle est néanmoins fort en peine de sa chasteté. Quand donc elle vit par le
miracle de son enfantement que Jésus, qui était descendu et s'était pour ainsi
dire enfermé en ses entrailles comme une douce rosée, eu sortait aussi comme une
fleur de sa tige sans laisser de façon ni d'autre aucun vestige de son passage,
il ne faut point douter que les baisers qu'elle lui donnait ne fussent d'autant
plus ardents et d'autant plus libres , qu'ils ne reprochaient rien à son
intégrité et qu'en cela plus heureuse que toutes les autres mères, elle
possédait ce cher Fils sans rien perdre de ce qu'elle aimait. Que si les
sentiments de la nature étaient si pressants, il est à croire que la grâce leur
donnait une toute autre impétuosité ; et que le Père qui l'avait associée à sa
génération éternelle, avait en même temps coulé dans son sein quelque chose de
cet
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amour infini qu'il a pour son Fils, et ainsi jamais il n'y
eut d'affection pareille à celle de la sainte Vierge, puisque nous y voyons
concourir ensemble la nature la plus tendre et la grâce la plus véhémente.
Jugez par là de l'affliction de
cette bonne Mère après le départ de son Fils unique. Si le grand apôtre saint
Paul veut rompre incontinent les liens du corps pour aller chercher son Maître à
la droite de son Père, quelle devait être à votre avis l'émotion du cœur
maternel l Le jeune Tobie par une absence d'un an peine le cœur de sa mère
d'innombrables douleurs. Quelle différence entre Jésus et Tobie ! Et quels
regrets a la Vierge de voir que son Fils l'eût amenée au pied de sa croix pour
le voir mourir, et lui refusât pour un si long temps de le voir régner ! Ne
serait-ce point peut-être pour cette raison que les anges demandent aujourd'hui
: « Quelle est celle-ci qui s'élève du désert ? » Quœ est ista quœ ascendit
de deserto (1), parce qu'en effet elle se croyait seule et abandonnée
n'ayant plus son Fils? Et lorsqu'elle se ressouvenait de sa tendre enfance,
qu'elle s'imaginait encore le voir reposer sur son sein, ne pouvait-elle pas lui
faire cette douce plainte : Vous m'êtes, ô mon Fils, un faisceau de myrrhe que
je tiens entre mes mamelles? Mais enfin son heure est venue; après un martyre de
tant d'années elle entend tout à coup la voix de son bien-aimé : « Venez, lui
dit-il, ma colombe et ma toute belle , venez après moi (2). » Je pense pour lors
que la joie qu'elle eut de sa mort avança ses jours ; et que son amour échauffé
par cette bienheureuse espérance désunit doucement son âme d'avec son corps,
pour la transporter dans les splendeurs éternelles où elle était attendue.
Sauveur Jésus, allumez votre amour en nos cœurs par une semblable impatience ;
et puisqu'elle naissait en son âme de cette union intime que vous aviez avec
elle , rassasiez-nous tellement de vos saints mystères, soyez tellement en nous
par la participation de votre chair et de votre sang, que vivant plus en vous
qu'en nous-mêmes, nous ne respirions autre chose que d'être consommés avec vous
dans la gloire que vous nous avez préparée. Passons maintenant à la seconde
partie de cet entretien.
1 Cant., VIII, 5. — 2 Cant., II, 10.
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Si nous reconnaissions dans la
sainte Vierge qu'elle eût été assujettie aux ordres communs, nous croirions
peut-être que son corps serait demeuré dans les ombres de la mort. Mais si nous
y remarquons au contraire une dispense générale de toutes les lois ; si nous y
voyons une conception sans péché, un enfantement sans douleur, une chair sans
rébellion , une vie sans tache , une mort sans peine ; si son époux n'est que
son gardien, son mariage la protection de sa virginité, son Fils le fruit de son
intégrité inviolable ; si lorsqu'elle le conçut, le Saint-Esprit tint la place
de la nature, et les délices de la virginité celle de la concupiscence, qui
pourra croire qu'il ne lui soit rien arrivé de miraculeux dans sa sépulture ?
Joignez à cela que cette altération qui change nos corps leur vient sans doute
de la corruption du péché ; que notre chair doit être nécessairement corrompue ,
afin que laissant à la terre ses vieilles souillures, elle puisse être un jour
renouvelée par l'esprit de Jésus-Christ, et que nous devenions ainsi enfants de
Dieu en corps et en âme, parce que nous sommes enfants de la résurrection : «
Filii sunt Dei, cùm sint filii resurrectionis (1). Or qu'y avait-il à purger
dans la chair de la sainte Vierge? C'est d'elle que le Fils de Dieu a emprunté
ce corps qu'il a donné pour le paiement de nos dettes ; et ne voyant point au
monde de source plus pure, il a puisé dans ses chastes flancs ce sang qui a lavé
nos iniquités. Elle est donc ressuscitée, la très-innocente Marie ; non, la
corruption n'a osé toucher ce corps virginal d'où celui du vainqueur de la mort
a été tiré. C'est pourquoi nous l'appelons singulièrement aujourd'hui pleine de
délices, deliciis affluens, parce qu'elle n'attend point comme les autres
âmes la réunion de son corps pour combler sa félicité. Nous qui vivons dans une
pareille espérance, purifions les nôtres avec toute la diligence possible ;
tâchons de recevoir demain avec celui de notre bon Maître les semences
d'immortalité ; croyons qu'il n'y a point de plus grande profanation que de
souiller en nous par un même sacrilège le tabernacle de l’âme, le temple du
Saint-Esprit, la victime du Père éternel.
Mais il est temps enfin que nous
considérions monter notre
1 Luc., XX, 36.
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grande Reine appuyée sur son Bien-Aimé. Digne chariot de
triomphe, et qu'elle est bien payée de la peine qu'elle a eue de le porter sur
ses bras pendant son enfance ! Certes, sainte Vierge, vous êtes véritablement
appuyée sur ce bien-aimé, c’est de lui que vous tirez toute votre gloire, sa
miséricorde est le fondement de tous vos mérites. Cieux, s'il est vrai que par
vos immuables accords vous entreteniez l'harmonie de cet univers, entonnez sur
un chant nouveau un cantique de louange. Les vertus célestes qui règlent vos
mouvements vous invitent à donner quelque marque de réjouissance. Pour moi, s'il
est permis de mêler nos conceptions à des secrets si augustes, je m'imagine que
Moïse ne put s'empêcher, voyant arriver cette Reine, de répéter cette belle
prophétie qu'il nous a laissée dans ses livres : « Il sortira une étoile de
Jacob, et une branche s'élèvera d'Israël (1). » Isaïe , enivré de l'esprit de
Dieu, chanta dans un ravissement incompréhensible : « Voici cette vierge qui
devait concevoir et enfanter un Fils (2). » Ezéchiel reconnut cette porte close
par laquelle personne n'est jamais entré ni sorti (3), parce que c'est par elle
que le Seigneur des batailles a fait son entrée. Parmi lesquels le Prophète
royal David animait une lyre céleste par cet admirable cantique : « Je vois à
votre droite, ô mon Prince, une Reine en habillement d'or, enrichie d'une
merveilleuse variété. Toute la gloire de cette Fille de Roi est intérieure, elle
est néanmoins parée d'une broderie toute divine. Les vierges après elle se
présenteront à mon Roi, on les lui amènera dans son temple avec une sainte
allégresse (4). » Cependant la Vierge elle-même tenait les esprits bienheureux
dans un respectueux silence, tirant encore une fois du fond de son cœur ces
excellentes paroles : « Mon âme exalte le Seigneur de tout son pouvoir, et mon
esprit est saisi d'une joie infinie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé
le néant de sa servante, et voici que toutes les générations m'estimeront
bienheureuse (5). » Serons- nous les seuls qui ne prendrons point de part à
cette solennité, et ne suivrons-nous point par nos applaudissements notre
incomparable Princesse? Vierge sacrée, bien
1 Num., XXIV, 17. — 2 Isa.,
VII, 14. — 3 Ezech. XLIV, 2. — 4 Psal. XLIV, 10, 14, 15. —
5 Luc., I, 46,47, 48.
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que nous soyons sur les rivages de Babylone, si est-ce
néanmoins que nous ferons retentir nos hymnes jusqu'à la céleste Jérusalem.
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