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PREMIER SERMON
POUR
LA FÊTE DE L'ASSOMPTION
DE LA SAINTE VIERGE (a).
Quae est ista quae ascendit de deserto, deliciis
affluens, innixa super dilectum suum ?
Qui est celle-ci qui s'élève du désert, pleine de délices,
appuyée sur son bien-aimé ? Cant., VIII, 5.
Il y a un enchaînement admirable
entre les mystères du christianisme, et celui que nous célébrons a une liaison
particulière (b) avec l'incarnation du Verbe éternel. Car si la divine
Marie a reçu autrefois le Sauveur Jésus, il est juste que le Sauveur reçoive à
son tour l'heureuse Marie ; et n'ayant pas dédaigné de descendre à elle, il doit
ensuite l'élever à soi pour la faire entrer dans sa gloire. Il ne faut donc pas
s'étonner, mes Sœurs, si la bienheureuse
(a) Nécessité de mourir par la loi de la nature, et
par la loi de la grâce qui ordonne qu'on subisse la mort pour quitter la
mortalité.
Amour de Marie pour Jésus-Christ, comme Fils, comme Dieu.
Description de cet amour (Amed. Lausan). Abyssus abyssum invocat.
Source de cet amour.
Mort de Marie par amour. Enlevée sur une nuée de saints
désirs.
Convoitises éteintes en la sainte Vierge.
Notre chair doit être corrompue pour être renouvelée comme
un bâtiment irrégulier.
Jésus-Christ a pris racine en Marie. La résurrection
anticipée. Arbre hâtif.
Humilité. Elle s'enrichit eu s'appauvrissant. Nihil
habentes et omnia possidentes (II Cor., VII, 10).
Dépouillement de Marie. Marie perd son Fils, comment? Saint
Paulin.
Prêché aux grandes Carmélites de la rue Saint-Jacques, en
1661.
Aux Carmélites, Bossuet ne parlait qu'à des religieuses, et
voilà pourquoi il emploie seulement dans notre sermon l'appellation mes Sœurs.
Dans les autres monastères il voyait autour de sa chaire, non-seulement des
personnes du cloître, mais aussi des gens du monde; alors il disait, en
s'adressant à ses auditeurs, mes Sœurs et Messieurs.
On sait que Bossuet avait prêché la même année, en 1661, le
Carême aux Carmélites.
Le manuscrit original se trouve à la bibliothèque du
séminaire de Meaux.
(b) Var. : A un rapport nécessaire.
305
Marie ressuscite avec tant d'éclat, ni si elle triomphe
avec tant de pompe. Jésus à qui cette Vierge adonné la vie, la lui rend
aujourd'hui par reconnaissance ; et comme il appartient à un Dieu de se montrer
toujours le plus magnifique, quoiqu'il n'ait reçu qu'une vie mortelle (a),
il est digne de sa grandeur de lui en donner en échange une glorieuse. Ainsi ces
deux mystères sont liés ensemble ; et afin qu'il y ait un plus grand rapport,
les anges interviennent dans l'un et dans l'autre, et se réjouissent aujourd'hui
avec Marie de voir une si belle suite du mystère qu'ils ont annoncé.
Joignons-nous, mes très-chères Sœurs, à cette pompe sacrée : mêlons nos voix à
celles des anges pour louer la divine Vierge; et de peur de ravilir leurs divins
cantiques par des paroles humaines, faisons retentir jusqu'au ciel celles qu'un
ange même en a apportées : Ave, Maria (b).
Le ciel, aussi bien que la
terre, a ses solennités (c) et ses triomphes, ses cérémonies et ses jours
d'entrée, ses magnificences et ses spectacles (d) : ou plutôt la terre
usurpe ces noms pour donner quelque éclat à ses vaines pompes ; mais les choses
ne s'en trouvent véritablement dans toute leur force que dans les fêtes augustes
de notre céleste patrie, la sainte et triomphante Jérusalem. Parmi ces
solennités glorieuses qui ont réjoui les saints anges et tous les esprits
bienheureux, vous n'ignorez pas, mes Sœurs, que celle que nous célébrons est
l'une des plus illustres (e) ; et que sans doute l'exaltation de la
sainte Vierge dans le trône que son Fils lui destine (f) doit faire l'un
des plus beaux jours de l'éternité , si toutefois nous pouvons distinguer des
jours dans cette éternité toujours permanente.
Pour vous expliquer les
magnificences de cette célèbre entrée, je pourrais vous représenter le concours,
les acclamations, les
(a) Var. : Ayant reçu seulement une vie
mortelle. — (b) Les anges interviennent dans l'un et dans l'autre, et se
réjouissent avec Marie de voir une si belle suite du mystère qu'ils ont annoncé.
Que reste-t-il maintenant sinon que pour achever cette ressemblance, nous nous
unissions tous ensemble pour faire retentir le même salut qui fut ouï la
première fois lorsque le Fils de Dieu s'incarna, et que nous disions à Marie :
Ave. — (c) Ses fêles. — (d) Ces grandeurs. — (e) Vous
n'ignorez pas, saintes âmes, que nous célébrons l'une des plus illustres. — (f)
Lui a préparé.
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cantiques de réjouissance de tous les ordres des anges et
de toute la Cour céleste ; je pourrais encore m'élever plus haut, et vous faire
voir la divine Vierge présentée par son divin Fils devant le trône du Père, pour
y recevoir de sa main une couronne de gloire immortelle : spectacle vraiment
auguste et qui ravit en admiration le ciel et la terre. Mais tout ce divin
appareil passe de trop loin nos intelligences; et d'ailleurs comme le ministère
que j'exerce m'oblige, en vous étalant des grandeurs, de vous chercher aussi des
exemples (a), je me propose, mes Sœurs, de vous faire paraître l'heureuse
Marie suivie seulement de ses vertus et toute resplendissante d'une suite si
glorieuse. En effet, les vertus de cette Princesse, c'est ce qu'il y a de plus
digne d'être regardé dans son entrée. Ses vertus en ont fait les préparatifs,
ses vertus en font tout l'éclat, ses vertus en font la perfection. C'est ce que
ce discours vous fera connaître; et afin que vous voyiez les choses plus
distinctement, voici l'ordre que je me propose.
Pour faire entrer Marie dans sa
gloire, il fallait la dépouiller avant toutes choses de cette misérable
mortalité comme d'un habit étranger; ensuite il a fallu parer son corps et son
âme de l'immortalité glorieuse comme d'un manteau royal et d'une robe
triomphante; enfin dans ce superbe appareil, il la fallait placer dans son
trône, au-dessus des chérubins et des séraphins, et de toutes les créatures.
C'est tout le mystère de cette journée, et je trouve que trois vertus de cette
Princesse ont accompli tout ce grand ouvrage : s'il faut la tirer de ce corps
de, mort, l'amour divin fera cet office. La sainte virginité, toute pure et
toute éclatante, est capable de répandre jusque sur sa chair la lumière
d'immortalité, ainsi qu'une robe céleste : et après que ces deux vertus auront
fait en cette sorte les préparatifs de cette entrée magnifique(b),
l'humilité toute-puissante achèvera la cérémonie en la plaçant dans son trône,
pour y être révérée éternellement (c) par les hommes et par les anges.
C'est ce que je tacherai de vous faire voir dans la suite de ce discours avec le
secours de la grâce.
(a) Var. : M'oblige, non-seulement à vous
étaler des grandeurs, mais encore à vous chercher des exemples. — (b)
Glorieuse,— triomphante. — (c) Où elle sera révérée éternellement.
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PREMIER POINT.
Et la nature et la grâce
concourent à établir immuablement la nécessité de mourir. C'est une loi de la
nature, que tout ce qui est mortel doit le tribut à la mort; et la grâce n'a pas
exempté les hommes de cette commune nécessité (a), parce que le Fils de
Dieu s'étant proposé de ruiner la mort par la mort même, il a posé cette loi
qu'il faut passer par ses mains pour en échapper, qu'il faut entrer au tombeau
pour en renaître, et enfin qu'il faut mourir une fois pour dépouiller
entièrement la mortalité. Ainsi cette pompe sacrée, que je dois aujourd'hui vous
représenter, a dû prendre son commencement (b) dans le trépas de la
sainte Vierge. Et c'est une partie nécessaire du triomphe de cette Reine (c),
de subir la loi de la mort pour laisser entre ses bras et dans son sein même
tout ce qu'elle avait de mortel.
Mais ne nous persuadons pas
qu'en subissant cette loi commune, elle ait dû aussi la subir d'une façon (d)
ordinaire. Tout est surnaturel en Marie : un miracle lui a donné Jésus-Christ,
un miracle lui doit rendre ce Fils bien-aimé; et sa vie, pleine de merveilles, a
dû enfin être terminée par une mort toute divine. Mais quel sera le principe de
cette mort admirable et surnaturelle? Chrétiens, ce sera l'amour maternel,
l'amour divin fera cet ouvrage : c'est lui qui enlèvera l'âme de Marie et qui
rompant les liens du corps, qui l'empêchent de joindre son Fils Jésus, réunira
dans le ciel ce qui ne peut aussi bien être séparé sans une extrême violence.
Pour bien entendre un si grand mystère , il nous faut concevoir avant toutes
choses, selon notre médiocrité, quelle est la nature de l'amour de la sainte
Vierge, quelle est sa cause, quels sont ses transports, de quels traits il se
sert et quelles blessures il imprime au cœur.
Un saint évêque (e) nous
a donné une grande idée de cet. amour maternel, lorsqu'il (f) a dit ces
beaux mots : « Pour former l'amour de Marie, deux amours se sont jointes en un :
»
(a) Var. : De cette dure obligation. — (b) A
dû commencer par. — (c) De son triomphe. — (d) De la façon. — (e)
Notre marg. : Amedens Lausanensis. — (f) Nous en a donné
une grande idée, lorsqu'il...
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Duœ dilectiones in unam convenerant, et ex duobus
amoribus factus est amor unus. Je vous prie , quel est ce mystère , et que
veut dire l'enchaînement de ces deux amours? Il l'explique par les paroles
suivantes : « C'est, dit-il, que la sainte Vierge rendait à son Fils l'amour
qu'elle devait à un Dieu, et qu'elle rendait aussi à son Dieu l'amour qu'elle
devait à un fils : » Cùm Virgo mater Filio divinitatis amorem infunderet, et
in Deo amorem nato exhiberet (1). Si vous entendez ces paroles , vous verrez
qu'on ne pouvait rien penser de plus grand, ni de plus fort, ni de plus sublime
, pour exprimer l'amour de la sainte Vierge. Car ce saint évêque veut dire que
la nature et la grâce concourent ensemble, pour faire dans le cœur de Marie des
impressions plus profondes. Il n'est rien de plus fort ni de plus pressant que
l'amour que la nature donne pour un fils, et que celui que la grâce donne pour
un Dieu. Ces deux amours sont deux abîmes, dont l'on ne peut pénétrer le fond,
ni comprendre toute l'étendue. Mais ici nous pouvons dire avec le Psalmiste :
Abyssus abyssum invocat (2) : « Un abîme appelle un autre abîme, » puisque
pour former l'amour de la sainte Vierge, il a fallu y mêler ensemble tout ce que
la nature a de plus tendre, et la grâce de plus efficace. La nature a dû s'y
trouver, parce que cet amour embrassait un fils ; la grâce a dû y agir, parce
que cet amour regardait un Dieu : Abyssus. Mais ce qui passe
l'imagination , c'est que la nature et la grâce ordinaire n'y suffisent pas ,
parce qu'il n'appartient pas à ta nature de trouver un fils dans un Dieu, et que
la grâce, du moins ordinaire, ne peut faire aimer un Dieu dans un Fils. Il faut
donc nécessairement s'élever plus haut.
Permettez-moi, chrétiens , de
porter aujourd'hui mes pensées au-dessus de la nature et de la grâce, et de
chercher la source de cet amour dans le sein même du Père éternel. Je m'y sens
obligé par cette raison, c'est que le divin Fils dont Marie est Mère lui est
commun avec Dieu. « Ce qui naîtra de vous, lui dit l'ange, sera appelé Fils de
Dieu (3). » Ainsi elle est unie avec Dieu le Père, en devenant la Mère de son
Fils unique, « qui ne lui est commun
1 De Laudib. B. Virg., homil. V, Biblioth.
PP., tom. XX, p. 1272. — 2 Psal. XLI, 8. — 3 Luc,
I, 35.
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qu'avec le Père éternel dans la manière dont elle
l'engendre : » Cum eo solo tibi est generatio ista communis (1).
Mais montons encore plus haut,
voyons d'où lui vient cet honneur et comment elle a engendré le vrai Fils de
Dieu. Vous jugez aisément, mes Sœurs, que ce n'est pas par sa fécondité
naturelle, qui ne pouvait engendrer qu'un homme; si bien que pour la rendre
capable d'engendrer un Dieu, il a fallu, dit l'Evangéliste, que le Très-Haut la
couvrît de sa vertu, c'est-à-dire qu'il étendît sur elle sa fécondité :
Virtus Altissimi obumbrabit tibi (2). C'est en cette sorte, mes Sœurs, que
Marie est associée à la génération éternelle.
Mais ce Dieu, qui a bien voulu
lui donner son Fils, lui communiquer sa vertu, répandre sur elle sa fécondité,
pour achever son ouvrage, a dû aussi faire couler dans son chaste sein quelque
rayon ou quelque étincelle de l'amour qu'il a pour ce Fils unique, qui est la
splendeur de sa gloire et la vive image de sa substance. C'est de là qu'est né
l'amour de Marie : il s'est fait une effusion du cœur de Dieu dans le sien ; et
l'amour qu'elle a pour son Fils, lui est donné de la même source qui lui a donné
son Fils même. Après cette mystérieuse communication, que direz-vous, ô raison
humaine? Prétendrez-vous pouvoir comprendre l'union de Marie avec Jésus-Christ (a)?
Car elle tient quelque chose de cette parfaite unité qui est entre le Père et
le Fils. N'entreprenez pas non plus d'expliquer quel est cet amour maternel,
qui vient d'une source si haute, et qui n'est qu'un écoulement de l'amour du
Père pour son Fils unique (b). Que si vous n'êtes pas capable d'entendre
ni sa force ni sa véhémence, croirez-vous pouvoir vous représenter et ses
mouvements et ses transports? Chrétiens, il n'est pas possible ; et tout ce que
nous pouvons entendre, c'est qu'il n'y eut jamais de si grand effort que celui
que faisait (c) Marie pour se réunir à Jésus, ni jamais de violence
pareille à celle que souffrait son cœur dans cette désunion.
1 S. Bern., serm. II, in Annunt.
B. Mar. — 2 Luc., I, 35.
(a) Var. : Entreprendrez-vous de comprendre
l'union; — ne pensez pas, — ne prétendez pas,— n'entreprenez pas de
comprendre...— (b) Car c'est un écoulement de l'amour du Père pour son
Fils unique; — car ce n'est autre chose qu'un écoulement de l'amour. — (c)
Jamais d'effort pareil à celui que faisait.
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Après la triomphante ascension
du Sauveur Jésus et la descente tant promise et tant désirée de l'Esprit de Dieu
, vous n'ignorez pas que la très-heureuse Marie demeura encore assez longtemps
sur la terre. De vous dire quelles étaient ses occupations et quels ses mérites
pendant son pèlerinage, je n'estime pas que ce soit une chose que les hommes
doivent entreprendre. Si aimer Jésus, si être aimé de Jésus, ce sont deux choses
qui attirent les divines bénédictions sur les âmes, quel abîme de grâces n'avait
point pour ainsi dire inondé celle de Marie? Qui pourrait décrire l'impétuosité
de cet amour mutuel, à laquelle concourait tout ce que la nature a de tendre,
tout ce que la grâce a d'efficace? Jésus ne se lassait jamais de se voir aimé de
sa Mère, cette sainte Mère ne croyait jamais avoir assez d'amour pour cet Unique
et ce Bien-aimé ; elle ne demandait autre grâce à son Fils sinon de l'aimer, et
cela même attirait sur elle de nouvelles grâces.
Il est certain, chrétiens, nous
pouvons bien avoir quelque idée grossière de tous ces miracles; mais de
concevoir quelle était l'ardeur, quelle la véhémence de ces torrents de flammes,
qui de Jésus allaient déborder sur Marie et de Marie retournaient
continuellement à Jésus, croyez-moi, les séraphins, tout brûlants qu'ils sont,
ne le peuvent faire. Mesurez, si vous pouvez, à son amour la sainte impatience
qu'elle avait d'être réunie à son Fils. Parce que le Fils de Dieu ne désirait
rien tant que ce baptême sanglant (1) qui devait laver nos iniquités, il se
sentait pressé en soi-même d'une manière incroyable, jusqu'à ce qu'il lut
accompli. Quoi ! il aurait eu une telle impatience de mourir pour nous, et sa
Mère n'en aurait point eu de vivre avec lui ! Si le grand Apôtre saint Paul (2)
veut rompre incontinent les liens du corps pour aller chercher son Maître à la
droite de son Père (a), quelle devait être l'émotion du sang maternel? Le
jeune Tobie, pour une absence d'un an, perce le cœur de sa mère d'inconsolables
douleurs. Quelle différence entre Jésus et Tobie ! et quels regrets la
Vierge.....Quoi ! disait-elle , quand elle voyait quelque fidèle partir de ce
monde,
1 Luc, XII, 50. — 2 Phil., I, 21, 23.
(a) Var. : Ne se peut tenir en son corps et
soupire avec un si grand empressement après sou bon Maître.
311
par exemple saint Etienne et ainsi des autres; quoi! mon
Fils, à quoi me réservez-vous désormais, et pourquoi me laissez-vous ici la
dernière? S'il ne faut que du sang pour m'ouvrir les portes du ciel, vous qui
avez voulu que votre corps fût formé du mien, vous savez bien qu'il est prêt à
être répandu pour votre service. J'ai vu dans le temple ce saint vieillard
Siméon, après vous avoir amoureusement embrassé, ne demander autre chose que de
quitter bientôt cette vie , tant il est doux de jouir même un moment de votre
présence ! Et moi je ne souhaiterais point de mourir bientôt, pour vous aller
embrasser au saint trône de votre gloire? Après m'avoir amenée au pied de votre
croix pour vous voir mourir, comment me refusez-vous si longtemps de vous voir
régner? Laissez, laissez seulement agir mon amour; il aura bientôt désuni mon
âme de ce corps mortel, pour me transporter à vous, en qui seul je vis.
Si vous m'en croyez, âmes
saintes, vous ne travaillerez pas vos esprits à chercher d'autre cause de sa
mort. Cet amour étant si ardent, si fort et si enflammé il ne poussait pas un
seul soupir qui, ne dût rompre tous les liens de ce corps mortel (a) ; il
ne formait pas un regret qui ne dût en troubler toute l'harmonie (b) ; il
n'envoyait pas un désir au ciel qui ne dût tirer avec soi l’âme de Marie. Ah! je
vous ai dit, chrétiens, que la mort de Marie est miraculeuse, je change
maintenant de discours; tellement que la mort n'est pas le miracle, c'en est
plutôt la cessation : le miracle continuel, c'était que Marie pût vivre séparée
de son bien-aimé.
Mais pourrai-je vous dire commenta fini ce miracle, et de
quelle sorte il est arrivé que l'amour ait donné le coup de la mort? Est-ce
quelque désir plus enflammé, est-ce quelque mouvement plus actif, est-ce quelque
transport plus violent (c), qui est venu détacher cette âme? S'il m'est
permis, chrétiens, de vous dire ce que je pense, j'attribue ce dernier effet,
non point à des mouvements extraordinaires, mais à la seule perfection de
l'amour de la sainte Vierge. Car comme ce divin amour régnait dans son cœur sans
aucun obstacle et occupait toutes ses pensées, il allait de jour en
(a) Var. : Les liens qui retiennent l'âme. —(b)
En déconcerter toute l'harmonie; — en rompre tous les accords. — (c) Plus
efficace.
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jour s'augmentant par son action, se perfectionnant par ses
désirs, se multipliant par soi-même; de sorte qu'il vint enfin, s'étendant
toujours, à une telle perfection, que la terre n'était plus capable de le
contenir. Va, mon fils, disait ce roi grec; étends bien loin tes conquêtes (a)
: mon royaume est trop petit pour te renfermer. O amour de la sainte Vierge, ta
perfection est trop éminente ; tu ne peux plus tenir dans un corps mortel ; ton
feu pousse des flammes trop vives (b), pour être couvert sous cette
cendre. Va briller dans l'éternité; va brûler devant la face de Dieu; va
t'étendre (c)dans son sein immense, qui seul est capable de te contenir.
Alors (d) la divine Vierge rendit, sans peine et sans violence, sa sainte
et bienheureuse âme (e) entre les mains de son Fils. Il ne fut pas
nécessaire que son amour s'efforçât par des mouvements extraordinaires. Comme la
plus légère (f) secousse détache de l'arbre un fruit déjà mûr, comme une
flamme s'élève et vole d'elle-même au lieu de son centre (g) : ainsi fut
cueillie cette âme bénite pour être tout d'un coup transportée au ciel, ainsi
mourut la divine Vierge par un élan de l'amour divin et son âme fut portée au
ciel sur une nuée de désirs sacrés (h). Et c'est ce qui fait dire aux
saints anges : «Qui est celle-ci, qui s'élève comme la fumée odoriférante d'une
composition de myrrhe et d'encens? » Quœ est ista, quœ ascendit sicut virgula
fumi ex aromatibus myrrhœ et thuris (1) »? Belle et excellente comparaison,
qui nous explique admirablement la manière de cette mort heureuse et tranquille.
Cette fumée odoriférante (i), que nous voyons s'élever d'une composition
de parfums, n'en est pas arrachée par force, ni poussée dehors avec violence ;
une chaleur douce et tempérée la détache délicatement et la tourne en une vapeur
subtile, qui s'élève comme d'elle-même. C'est ainsi que l’âme de la sainte
Vierge a été séparée du corps : on n'en a pas ébranlé tous les fondements par
une secousse violente; une divine chaleur l'a détachée doucement du
1 Cant., III, 6.
(a) Var. : Explic. : Philippe à
Alexandre. — (b) Pousse trop de flammes. — (c) Te pprdre. — (d)
En ce moment. — (e) Son âme. — (f) La moindre. — (g)
Explic. : Le centre de la flamme, d'après l'ancienne physique, ce sont les
régions supérieures. — (h) De saints désirs ont été ses ailes, et elle a
été portée jusqu'au sein de Dieu. — (i) Agréable, — délicate.
313
corps et l'a élevée à son bien-aimé sur une nuée de saints
désirs.
Apprenons de là, chrétiens, à
désirer Jésus-Christ, puisqu'il est infiniment désirable. Mais qui vous désire,
ô Jésus? Pourrai-je bien trouver dans cette audience un cœur qui soupire après
vous, et à qui ce corps soit à charge? Mes Sœurs, ces chastes désirs se trouvent
rarement clans le monde; et une marque bien évidente qu'on désire peu
Jésus-Christ, c'est le repos que l'on sent dans la jouissance des biens de la
terre. Lorsque la fortune vous rit, et que vous avez tout ensemble les richesses
pour fournir aux plaisirs (a), et la santé pour les goûter à votre aise,
en vérité, chrétiens, souhaitez-vous un autre paradis? vous imaginez-vous un
autre bonheur? Si vous laissez parler votre cœur, il vous dira qu'il se trouve
bien et qu'il se contente d'une telle vie. D.ins cette disposition, je ne crains
pas de vous assurer que vous n'êtes pas chrétiens ; et si vous voulez mériter ce
titre, savez-vous ce qu'il vous faut faire? Il faut que vous croyiez que tout
vous manque, lorsque le monde croit que tout vous abonde; il faut que vous
gémissiez parmi tout ce qui plaît à la nature, et que vous n'espériez jamais de
repos que lorsque vous serez avec Jésus-Christ. Autrement, voici un beau mot de
saint Augustin (1) : « Si vous ne gémissez pas comme voyageurs, vous ne vous
réjouirez pas comme citoyens : » Qui non gemit peregrinus, non gaudebit civis.
C'est-à-dire que vous ne serez jamais habitants du ciel, parce que vous avez
voulu l'être de la terre; refusant le travail du voyage, vous n'aurez pas le
repos de la patrie, et vous arrêtant où il faut marcher, vous n'arriverez pas où
il faut parvenir. C'est pourquoi Marie a toujours gémi en se souvenant de Sion;
son cœur n'avait point de paix, éloigné de son bien-aimé. Enfin ses désirs l'ont
conduite à lui, en lui donnant une heureuse mort; mais elle ne demeurera pas
longtemps dans son ombre, et la sainte virginité attirera bientôt sur son corps
une influence de vie ; c'est le second point de ce discours.
1 In Psal. CXLVIII, n. 4.
(a) Var. : Pour vous donner les plaisirs.
314
SECOND POINT.
Le corps sacré de Marie, le
trône de la chasteté, le temple de la sagesse incarnée, l'organe du Saint-Esprit
et le siège de la vertu du Très-Haut n'a pas dû demeurer dans le tombeau ; et le
triomphe de Marie serait imparfait, s'il s'accomplissait sans sa sainte chair (a),
qui a été comme la source de sa gloire. Venez donc, vierges de Jésus-Christ (b),
chastes épouses du Sauveur des âmes, venez admirer les beautés de cette chair
virginale, et contempler trois merveilles que la sainte virginité opère sur
elle. La sainte virginité la préserve de corruption : et ainsi elle lui conserve
l'être; la sainte virginité lui attire une influence céleste, qui la fait
ressusciter avant le temps : ainsi elle lui rend, la vie ; la sainte virginité
répand sur elle de toutes parts une lumière divine : et ainsi elle lui donne la
gloire. C'est ce qu'il nous faut expliquer par ordre.
Je dis donc avant toutes choses
que la sainte virginité est comme un baume divin, qui préserve de corruption le
corps de Marie ; et vous en serez convaincues, si vous méditez attentivement
quelle a été la perfection de sa pureté virginale. Pour nous en former quelque
idée, posons d'abord ce principe, que Jésus-Christ notre Sauveur étant uni si
étroitement selon la chair à la sainte Vierge, cette union si particulière a dû
nécessairement être accompagnée d'une entière conformité. Jésus a cherché son
semblable; et c'est pourquoi cet Epoux des vierges a voulu avoir une Mère
vierge, afin d'établir cette ressemblance comme le fondement de cette union.
Cette vérité étant supposée, vous jugez bien, âmes chrétiennes, qu'il ne faut
rien penser de commun de la pureté de Marie. Non, jamais vous ne vous en
formerez une juste idée; jamais vous n'en comprendrez la perfection, jusqu'à ce
que vous ayez entendu qu'elle a opéré dans cette Vierge-Mère une parfaite
intégrité d'esprit et de corps. Et c'est ce qui a fait dire au grand saint
Thomas (c), qu'une grâce extraordinaire a répandu sur elle avec abondance
une céleste rosée, qui a non-seulement tempéré
(a) Var. : Si elle était dépouillée de sa
sainte chair. — (b) Vierges saintes de Jésus-Christ. — (c) Aux
théologiens.
315
comme dans les autres élus, mais éteint tout le feu de la
convoitise (1); c'est-à-dire, non-seulement les mauvaises œuvres, qui sont comme
l'embrasement qu'elle excite; non-seulement les mauvais désirs, qui sont comme
la flamme qu'elle pousse; et les mauvaises inclinations, qui sont comme l'ardeur
qu'elle entretient; mais encore le brasier et le foyer même, comme parle la
théologie, fomes peccati; c'est-à-dire selon son langage, la racine la
plus profonde et la cause la plus intime du mal. Après cela, chrétiens, comment
la chair de la sainte Vierge aurait-elle été corrompue, à laquelle la virginité
d'esprit et de corps, et cette parfaite conformité avec Jésus-Christ a ôté, avec
le foyer de la convoitise, tout le principe de corruption.
Car ne vous persuadez pas que
nous devions considérer la corruption, selon les raisonnements de la médecine,
comme une suite naturelle (a) de la composition et du mélange. Il faut
élever plus haut nos pensées, et croire selon les principes du christianisme que
ce qui engage la chair à la nécessité d'être corrompue, c'est qu'elle est un
attrait au mal, une source de mauvais désirs , enfin « une chair de péché, »
comme parle l'apôtre saint Paul (2) : caro peccati. Une telle chair doit
être détruite, je dis même dans les élus, parce qu'en cet état de chair de
péché, elle ne mérite pas d'être réunie à une âme bienheureuse, ni d'entrer dans
le royaume de Dieu : Caro et sanguis regnum Dei non possidebunt (3). Il
faut donc qu'elle change sa première forme afin d'être renouvelée, et qu'elle
perde tout son premier être pour en recevoir un second de la main de Dieu. Comme
un vieux bâtiment irrégulier qu'on laisse tomber pièce à pièce afin de le
dresser de nouveau dans un plus bel ordre d'architecture, il en est de même de
cette chair toute déréglée par la convoitise. Dieu la laisse tomber en ruine,
afin de la refaire à sa mode et selon le premier plan de sa création. C'est
ainsi qu'il faut raisonner de la corruption de la chair, selon les principes de
l'Evangile ; c'est de là que nous apprenons qu'il faut que notre chair soit
réduite en poudre, parce qu'elle a servi au péché ; et de
1 III part., quœst. XXVII, art. 3. —
2 Rom., VIII, 3.
— 3 I Cor., XV, 50.
(a) Var. : Nécessaire.
316
là aussi nous devons entendre que celle de Marie étant
toute pure, elle doit par conséquent être incorruptible.
C'est aussi pour la même cause
qu'elle a dû recevoir l'immortalité par une résurrection anticipée. Car encore
que Dieu ait marqué un terme commun à la résurrection de tous les morts, il y a
des raisons particulières qui peuvent l'obliger d'avancer le temps en faveur de
la sainte Vierge. Le soleil ne produit les fruits que dans leur saison ; mais
nous voyons des terres si bien cultivées, qu'elles attirent une action plus
efficace et plus prompte. Il y a aussi des arbres hâtifs dans le jardin de notre
Epoux; et la sainte chair de Marie est une matière trop bien préparée, pour
attendre le terme ordinaire à produire des fruits d'immortalité. Sa pureté
virginale lui attire une influence particulière; sa conformité avec Jésus-Christ
la dispose à recevoir un effet plus prompt de sa vertu vivifiante. Et
certainement, chrétiens, elle peut bien attirer sa vertu, puisqu'elle l'a attiré
lui-même. Il est venu en cette chair, charmé par sa pureté ; il a aimé cette
chair jusqu'à s'y renfermer durant neuf mois, jusqu'à s'incorporer avec elle,
«jusqu'à prendre racine en elle, » comme parle Tertullien : In utero radicem
egit (1). Il ne laissera donc pas dans le tombeau cette chair qu'il a tant
aimée, mais il la transportera dans le ciel ornée d'une gloire immortelle.
La sainte virginité servira
encore à Marie pour lui donner cet habit de gloire, et en voici la raison.
Jésus-Christ nous représente, dans son Evangile, la gloire des corps ressuscites
par cette belle parole : « Ils seront comme les anges de Dieu : » Erunt sicut
angeli Dei (2). Et c'est pour cela que Tertullien, parlant de la chair
ressuscitée, l'appelle « une chair angélisée : » Angelificata caro (3).
Or de toutes les vertus chrétiennes, celle qui peut le mieux produire un si bel
effet, c'est la sainte virginité. C'est elle qui fait des anges sur la terre;
c'est elle dont saint Augustin a dit ce beau mot : Habet aliquid jam non
carnis in carne (4) : « Elle a au milieu de la chair quelque chose qui n'est
pas de la chair, » et qui tient de l'ange plutôt que de l'homme. Celle qui fait
des anges dès cette
1 De Carne Christi, n. 21. — 2 Matth., XXII,
30. — 3 De Resur. carn., n. 26. — 4 De sanctâ Virginit., n. 12.
317
vie, en pourra bien faire en la vie future; et ainsi j'ai
eu raison de vous assurer qu'elle a une vertu particulière, pour contribuer dans
les derniers temps à la gloire des corps ressuscites. Jugez par là, chrétiens,
de quel éclat, de quelle lumière sera environné celui de Marie , qui surpasse
par sa pureté les séraphins mêmes. Aussi l'Ecriture sainte cherche-t-elle des
expressions extraordinaires, afin de nous représenter un si grand éclat. Pour
nous en tracer quelque image, à peine trouve-t-elle dans le monde assez de
rayons; il a fallu ramasser tout ce qu'il y a de lumineux dans la nature (a).
Elle a mis la lune à ses pieds, les étoiles autour de sa tête. Au reste, le
soleil la pénètre toute et l'environne de ses rayons (b) : Mulier
amicta sole (1), tant il a fallu de gloire et d'éclat pour orner ce corps
virginal !
Vierges de Jésus-Christ,
réjouissez-vous à ce beau spectacle ; songez à quels honneurs la sainte
virginité prépare vos corps. Elle les purifie, elle les consacre, elle y éteint
la concupiscence, elle y mortifie les mauvais désirs ; et par tant de saintes
préparations, elle dispose cette chair mortelle à une lumière incorruptible.
Apprenez donc, mes très-chères Sœurs, à estimer ce sacré trésor, que vous portez
dans des vaisseaux de terre : Habemus autem thesaurum istum in vasis
fictilibus (2). Renouvelez-vous tous les jours par l'amour de la pureté, ne
souffrez pas qu'elle soit souillée par la moindre attache du corps; et si vous
êtes jalouses de la pureté de la chair, soyez-les encore beaucoup davantage de
la pureté de l'esprit. Par ce moyen (c) vous serez les dignes compagnes
de la bienheureuse Marie ; et portant ses glorieuses livrées, vous suivrez de
plus près son char de triomphe, dans lequel elle va monter à son trône.
Avancez-vous donc pour la suivre; elle se prépare à marcher, et elle va monter
au ciel qui l'attend. Les préparatifs sont achevés, l'amour divin a fait son
office, et lui a ôté sa robe mortelle ; la sainte virginité lui a mis son habit
royal ; je vois l'humilité qui lui tend la main et qui s'avance pour la placer
dans son trône. C'est ce qui doit finir la cérémonie, et faire le dernier point
de ce discours.
1 Apoc., XII, 2. — 2 II Cor.,
IV, 7.
(a) Dans le ciel. — (b) De sa lumière. — (c)
Ainsi.
318
TROISIÈME POINT.
Puisque c'est l'humilité seule
qui a fait le triomphe de Jésus-Christ, il faut qu'elle fasse aussi celui de
Marie; et sa gloire ne lui plairait pas, si elle y entrait par une autre voie
que par celle que son Fils a voulu choisir. Elle s'élève donc par l'humilité ,
et voici en quelle manière. Vous n'ignorez pas, chrétiens, que le propre de
l'humilité, c'est de s'appauvrir elle-même si je puis parler de la sorte, et de
se dépouiller de ses avantages. Mais aussi, par un retour merveilleux, elle
s'enrichit en se dépouillant, parce qu'elle s'assure tout ce qu'elle s'ôte ; et
rien ne lui convient mieux que cette belle parole de saint Paul (a) :
Tanquam nihil habentes et omnia possidentes (1), « qu'elle n'a rien et
possède tout. » Je pourrais établir cette vérité sur une doctrine solide et
évangélique; mais il est plus convenable à cette journée et à l'ordre de mon
discours, de vous en montrer la pratique par l'exemple de la sainte Vierge.
Elle possédait trois biens précieux : une haute dignité ,
une pureté admirable de corps et d'esprit (b); et ce qui est au-dessus de
tous les trésors, elle possédait Jésus-Christ. Elle avait un Fils bien-aimé, «
dans lequel, dit le saint Apôtre, habitait toute plénitude : » In ipso
placuit omnem plenitudinem inhabitare (2). Voilà une créature distinguée
excellemment de toutes les autres; mais son humilité très-profonde la
dépouillera en quelque façon de ces merveilleux avantages. Elle qui est élevée
au-dessus de tous par la dignité de Mère de Dieu, se range dans le commun par la
qualité de servante. Elle qui est séparée de tous par sa pureté immaculée, se
mêle parmi les pécheurs en se purifiant avec les autres. Voyez qu'elle se
dépouille, en s'humiliant, de l'honneur de sa qualité et dé la prérogative de
son innocence. Mais voici quelque chose de plus; elle perd jusqu'à son Fils sur
le Calvaire; et je ne dis pas seulement qu'elle perd son Fils parce qu'elle le
voit mourir d'une mort cruelle, mais elle le perd ce Fils bien-aimé parce qu'il
1 II Cor., VI, 10. — 2 Coloss.,
I, 19.
(a) Var. : Et nous lui pouvons appliquer
cette belle parole de saint Paul. — (b) D'esprit et de corps.
319
cesse en quelque sorte d'être son Fils, et qu'il lui en
substitue un autre en sa place : « Femme, lui dit-il, voilà votre fils (1). »
Méditez ceci, chrétiens ; et
encore que cette pensée semble peut-être un peu extraordinaire, vous verrez
néanmoins qu'elle est bien fondée. Il semble que le Sauveur ne la connaît plus
pour sa Mère; il l'appelle femme, et non pas sa Mère : « Femme, lui dit-il,
voilà votre fils. » Il ne parle pas ainsi sans mystère : il est dans un état
d'humiliation, et il faut que sa sainte Mère y soit avec lui. Jésus a un Dieu
pour son Père , et Marie un Dieu pour son Fils. Ce divin Sauveur a perdu son
Père, et il ne l'appelle plus que son Dieu. Il faut que Marie perde aussi son
Fils : il ne l'appelle que du nom de femme (a), et il ne lui donne point
le nom de sa Mère. Mais ce qui est le plus humiliant pour la sainte Vierge,
c'est qu'il lui donne un autre fils, comme si désormais il cessait de l'être et
comme s'il rompait le nœud d'une si sainte alliance : « Voilà, dit-il, votre
fils : » Ecce filius tuus. Et en voici la raison. Durant les jours de sa
chair, c'est-à-dire pendant le temps de sa vie mortelle, il rendait à sa sainte
Mère les devoirs et les services d'un fils; il était sa consolation et l'unique
appui de sa vieillesse. Maintenant qu'il va entrer dans sa gloire, il prendra
des sentiments plus dignes d'un Dieu, et c'est pourquoi il laisse à un autre les
devoirs de la piété naturelle. Je ne le dis pas de moi-même , et j'ai appris ce
mystère du grand saint Paulin : Jam Salvator ab humanâ fragilitate, que erat
natus ex fœminâ, per crucis mortem demigrans in œternitatem Dei, delegat homini
jura pietatis humanœ (2): «Jésus étant prêt de passer de la fragilité
humaine , par laquelle il était né d'une femme, à la gloire et à l'éternité de
son Père, que fait-il? Delegat; il donne saint Jean pour fils à Marie, et
il laisse à un homme mortel les sentiments de la piété humaine. »
Voilà donc Marie qui n'a plus
son Fils; Jésus son Fils bien-aimé a cédé ses droits à saint Jean (b), et
elle passe en ce triste état une longue suite d'années. Elle se plaint au divin
Sauveur : O
1 Joan., XIX, 20. — 2 Ad
August., epist. III, n. 17.
(a) Var. : C'est pourquoi il l'appelle femme.
— (b) L'a laissée entre les main? de saint Jean.
320
Jésus ma consolation, pourquoi me laissez-vous si longtemps
? Jésus ne l'écoute pas, et la laisse entre les mains de saint Jean. Qu'elle
vive avec saint Jean , qu'elle se console avec saint Jean ; c'est le fils que
Jésus lui donne. C'est votre fils, lui dit-il ; consolez-vous avec lui.
Chrétiens, quel est cet échange ? O commutationem ! s'écrie saint Bernard
»; on lui donne Jean pour Jésus, le serviteur pour le maitre, le fils de Zébédée
pour le Fils de Dieu. Il plaît à son Fils de l'humilier; saint Jean prend la
liberté de la reconnaitre pour mère : elle accepte humblement l'échange ; et cet
amour maternel, accoutumé à un Dieu, ne refuse pas de se rabaisser jusqu'à se
terminer à un homme. Oui, dit-elle, je veux bien cet homme, et je ne méritais
pas d'être la Mère d'un Dieu, tant son humilité est profonde, tant sa soumission
est admirable.
Reprenons tout ceci, Messieurs ;
et rassemblons maintenant en un tous ces actes d'humilité de la sainte Vierge.
Sa dignité ne paraît plus, elle la couvre sous l'ombre de la servitude. Sa
pureté se retire, cachée sous les marques du péché. Elle quitte jusqu'à son
Fils, et elle consent par humilité d'en avoir un autre. Ainsi vous voyez qu'elle
a tout perdu, et que son humilité l'a entièrement dépouillée : Tanquam nihil
habentes. Mais voyons la suite, mes Sœurs, et vous verrez que cette humilité
qui la dépouille lui rend tout avec avantage : Et omnia possidentes.
O Mère de Jésus-Christ, parce
que vous vous êtes appelée servante, aujourd'hui l'humilité vous prépare un
trône : Montez en cette place éminente, et recevez l'empire absolu sur toutes
les créatures. O Vierge toute sainte et toute innocente, plus pure que les
rayons du soleil, vous avez voulu vous purifier et vous mêler parmi les pécheurs
; votre humilité vous va relever : vous serez l'avocate de tous les pécheurs ;
vous serez leur second refuge et leur principale espérance après Jésus-Christ :
Refugium peccatorum. Enfin vous aviez perdu votre Fils ; il semblait
qu'il vous eût quittée , vous laissant gémir si longtemps dans cette terre
étrangère. Parce que vous avez subi avec patience une telle humiliation, ce Fils
veut rentrer dans ses droits, qu'il n'a voit cédés à Jean que pour peu de temps.
Je le vois, il vous tend les bras, et toute
1 Serm. Dom. infr. Oct. Assumpt.,
n. 15.
324
la Cour céleste vous admire, ô heureuse Vierge, montant au
ciel pleine de délices et appuyée sur ce bien-aimé : Innixa super dilectum
suum (1).
Certes, divine Vierge, vous êtes
véritablement appuyée sur ce bien-aimé : c'est de lui que vous tirez toute votre
gloire, sa miséricorde est le fondement de tous vos mérites. Cieux, s'il est
vrai que par vos immuables accords vous entreteniez l'harmonie de cet univers,
entonnez sur un chant nouveau un cantique de louanges : les Vertus célestes, qui
règlent vos mouvements, vous invitent à donner quelque marque de réjouissance.
Pour moi, s'il est permis de mêler nos conceptions à des secrets si augustes, je
m'imagine que Moïse ne put s'empêcher, voyant cette Reine, de répéter cette
belle prophétie qu'il nous a laissée dans ses Livres : « Il sortira une étoile
de Jacob, et une branche s'élèvera d'Israël (2). » Isaïe, enivré de l'esprit de
Dieu, chanta dans un ravissement incompréhensible : « Voici cette Vierge qui
devait concevoir et enfanter un Fils (3). » Ezéchiel reconnut cette porte close
(4) par laquelle personne n'est jamais entré ni sorti, parce que c'est par elle
que le Seigneur des batailles a fait son entrée. Et au milieu d'eux, le prophète
royal David animait une lyre céleste par cet admirable cantique (5) : « Je vois
à votre droite, ô mon Prince, une Reine en habillement d'or enrichi d'une
merveilleuse variété. Toute la gloire de cette Fille de roi est intérieure, elle
est néanmoins parée d'une broderie toute divine. Les vierges après elle se
présenteront à mon Roi ; on les lui amènera dans son temple avec une sainte
allégresse. » Cependant la Vierge elle-même tenait les esprits bienheureux dans
un respectueux silence, tirant encore une fois du fond de son cœur ces
excellentes paroles : « Mon âme exalte le Seigneur de tout son pouvoir, et mon
esprit est saisi d'une joie infinie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé
le néant de sa servante ; et voici que toutes les générations m'estimeront
bienheureuse (6). » Voilà, mes très-chères Sœurs, quelle est l'entrée de la
sainte Vierge : la cérémonie est conclue, toute cette pompe sacrée est finie.
Marie est placée dans son trône,
1 Cant., VIII, 5. — 2 Num.,
XXIV, 17. — 3 Isai., VII, 14. — 4 Ezech., XLIV, 2.— 5 Psal.
XLIV, 10, 11-16. — 6 Luc., I, 46.
322
entre les bras de son Fils, dans ce midi éternel, comme
parle le grand saint Bernard; et la sainte humilité a fait cet ouvrage.
Que reste-t-il maintenant, sinon
que nous rendions nos respects à cette auguste Souveraine, et que la voyant si
près de son Fils, nous la priions de nous assister par ses intercessions
toutes-puissantes? C'est à elle, dit le dévot saint Bernard, qu'il appartient
véritablement de parler au cœur de Jésus : Quis tam idoneus ut loquatur ad
cor Domini nostri Jesu Christi, ut tu felix Maria (1) ? Elle y a une fidèle
correspondance; je veux dire l'amour filial, qui viendra recevoir l'amour
maternel et accomplira ses désirs. Qu'elle parle donc pour nous à ce cœur, et
qu'elle nous obtienne par ses prières le don de l'humilité.
O sainte, ô bienheureuse Marie,
puisque vous êtes avec Jésus-Christ, jouissant dans ce midi éternel avec une
pleine allégresse de sa sainte et bienheureuse familiarité, parlez pour nous à
son cœur; parlez, car votre Fils vous écoute. Nous ne vous demandons pas les
grandeurs humaines : impétrez-nous seulement cette humilité, par laquelle vous
avez été couronnée; impétrez-la à ces saintes filles et à toute cette audience;
et faites, ô Vierge sacrée, que tous ceux qui ont célébré votre Assomption
glorieuse entrent profondément dans cette pensée, qu'il n'y a aucune grandeur
qui ne soit appuyée sur l'humilité; que c'est elle seule qui fait les triomphes
et qui distribue les couronnes; et qu'enfin il n'est rien de plus véritable que
cette parole de l'Evangile, que a celui qui s'abaisse durant cette vie sera
exalté à jamais dans la félicité éternelle, » où nous conduise le Père, le Fils
et le Saint-Esprit. Amen.
1 Ad Beat. Virg., Serm. Panegyr.,
n. 7, int. Oper. S. Bernard.
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