Nativ. Marie III
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TROISIÈME SERMON
POUR LA
FÊTE DE LA NATIVITÉ DE LA SAINTE VIERGE (a).

 

Quis, putas, puer iste erit ?

 

Quel pensez-vous que sera cet enfant? Luc, I, 66.

 

Avant la naissance du Sauveur Jésus, tout ce qu'il y avait de gens de bien sur la terre, qui vivaient attendant la rédemption d'Israël, ne faisaient autre chose que soupirer après sa venue, et par des vœux ardents pressaient le Père éternel d'envoyer bientôt à son peuple son unique Libérateur : que si parmi leurs désirs il leur paraissait quelque signe que ce temps bienheureux approchât, il n'est pas croyable avec combien de transports toutes les

 

(a) Prêché à Metz dans la fin de 1655 ou dans le commencement de 1656,

devant M. de Schomberg.

M. de Schomberg est manifestement désigné dans l'exorde. Ce grand capitaine , maréchal de France à l'âge de 36 ans, le héros de Flix et de Perpignan, de Tortose et de la nuit de Leucate, longtemps la gloire de son pays et la terreur de l'étranger; ce lion si terrible sur le champ de bataille était dans la paix l'homme le plus charitable, l'ami le plus tendre, le chrétien le plus simple et le plus pieux. Devenu gouverneur de Metz, en même temps qu'il faisait régner l'ordre, et la justice, et la religion, il remplissait la province de ses bienfaits. Sa noble et vertueuse compagne était comme lui, non-seulement le secours des pauvres et la consolation des malheureux, mais le soutien de catholiques et l'ange conducteur qui ramenoit les hérétiques à la vérité. Pendant son premier mariage, jouissant d'une grande faveur à la Cour de Louis XIII, femme d'une rare beauté, elle conquit l'estime et l'admiration générale par la délicatesse de ses rapports avec le souverain. Après une perte cruelle, Mme de Hautefort s'était retirée loin du monde dans le silence de la retraite; c'est au sein du cloître que la prit le maréchal de Schomberg pour la conduire à l'autel. Qu'on lise maintenant le deuxième alinéa de notre sermon, on verra que les paroles de l'orateur sont pour ainsi dire calquées sur le récit de l'histoire.

L'illustre maréchal mourut le 6 juin 1656, si bien qu'on doit faire remonter au delà de cette date le sermon dont il s'agit. Dira-t-on qu'il ne porte pas tous les traits de l'époque de Metz; qu'on y trouve toujours, pour ne relever que ce caractère, la forme interrogative avec la particule ne : cela est vrai; mais il ne nous a pas été donné, malgré toutes nos recherches, d'en retrouver le manuscrit original ; nous avons été forcé de le publier d'après la première édition, et Déforis n'a pas manqué de le corriger à sa façon, comme tous les chefs-d'œuvre qui ont passé par ses mains.

 

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puissances de leurs âmes éclataient en actions de grâces. Si donc ils eussent appris à la naissance de la sainte Vierge qu'elle devait être sa Mère, combien l'auraient-ils embrassée, et quel aurait été l'excès de leur ravissement dans l'espérance qu'ils auraient conçue d'être présents à ce jour si beau, auquel le Désiré des nations commencerait à paraître au monde? Ainsi ces peuples aveugles, qui pour être passionnés admirateurs de cette lumière qui nous éclaire, défèrent des honneurs divins au soleil qui en est le père, commencent à se réjouir sitôt qu'ils découvrent au ciel son avant-courrière l'aurore. C'est pourquoi, ô heureuse Marie, nous qui leur avons succédé, nous prenons part à leurs sentiments : mus d'un pieux respect pour celui qui vous a choisie, nous venons honorer votre lumière naissante et couronner votre berceau, non certes de lis et de roses, mais de ces fleurs sacrées que le Saint-Esprit fait éclore; je veux dire de saints désirs et de sincères louanges.

Monseigneur, c'est la seule chose que vous entendrez de moi aujourd'hui. L'histoire parlera assez de vos grandes et illustres journées, de vos sièges si mémorables, de vos fameuses expéditions et de toute la suite de vos actions immortelles. Pour moi, je vous l'avoue, Monseigneur, si j'avais à louer quelque chose, je parlerais bien plutôt de cette piété véritable, qui vous fait humblement déposer au pied des autels cet air majestueux et cette pompe qui vous environne. Je louerais hautement la sagesse de votre choix, qui vous a fait souhaiter d'avoir dans votre maison l'exemple d'une vertu si rare, par lequel nous pouvons convaincre les esprits les plus libertins qu'on peut conserver l'innocence parmi les plus grandes faveurs de la Cour, et dans une prudente conduite une simplicité chrétienne. Je dirais de plus, Monseigneur, que votre généreuse bonté vous a gagné pour jamais l'affection de ces peuples; et si peu que je voulusse m'étendre sur ce sujet, je le verrais confirmé par des acclamations publiques. Mais encore qu'il soit vrai que l'on vous puisse louer, vous et cette incomparable duchesse, sans aucun soupçon de flatterie, en la place où je suis il faut que j'en évite jusqu'à la moindre apparence. Je sais que je dois ce discours, et vous vos attentions à la très-heureuse Marie. Ce n'est donc plus à vous que je parle, sinon pour vous conjurer,

 

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Monseigneur, de joindre vos prières aux miennes et à celles de tout ce peuple, afin qu'il plaise à Dieu m'envoyer son Saint-Esprit par l'intercession de sa sainte Epouse, que nous allons saluer par les paroles de l'ange : Ave.

 

Pour procéder avec ordre, réduisons tout cet entretien à quelques chefs principaux. Je dis, ô aimable Marie, que vous serez à jamais bienheureuse d'être Mère de mon Sauveur. Car étant Mère de Jésus-Christ, vous aurez pour lui une affection sans égale : ce sera votre premier avantage. Aussi vous aimera-t-il d'un amour qui ne souffrira point de comparaison : c'est votre seconde prérogative. Cette sainte société que vous aurez avec lui, vous unira pour jamais très-étroitement à son Père : voilà votre troisième excellence. Enfin dans cette union avec le Père éternel, vous deviendrez la Mère des fidèles qui sont ses enfants et les frères de votre Fils; c'est par ce dernier privilège que j'achèverai ce discours.

Je vous vois surpris, ce me semble : peut-être que vous jugez que ce sujet est trop vaste, et que mon discours sera trop long ou du moins embarrassé d'une matière si ample; et toutefois il n'en sera pas ainsi, moyennant l'assistance divine. Nous avancerons pas à pas pour ne point confondre les choses, établissant par des raisons convaincantes la dignité de Marie sur sa maternité glorieuse; et encore que je reconnaisse que ces vérités sont très-hautes, je ne désespère pas de les déduire aujourd'hui avec une méthode facile. J'avoue que c'est me promettre beaucoup, et à Dieu ne plaise, fidèles, que je l'attende de mes propres forces ! J'espère que ce grand Dieu, qui inspire qui il lui plaît, me donnera la grâce aujourd'hui de glorifier son saint nom en la personne de la sainte Vierge. Le Père s'intéressera pour sa Fille bien-aimée; le Fils pour sa chère Mère ; le Saint-Esprit pour sa chaste Epouse. Animé d'une si belle espérance, que puis-je craindre dans cette entreprise? J'entre en matière avec confiance; chrétiens, rendez-vous attentifs.

 

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PREMIER POINT.

 

Je dis donc avant toutes choses qu'il n'y eut jamais mère qui chérît son fils avec une telle tendresse que faisait Marie ; je dis qu'il n'y eut jamais fils qui chérît sa mère avec une affection si puissante (a) que faisait Jésus. J'en tire la preuve des choses les plus connues. Interrogez une mère d'où vient que souvent en la présence de son fils elle fait paraître une émotion si visible ; elle vous répondra que le sang ne se peut démentir, que son fils c'est sa chair et son sang, que c'est là ce qui émeut ses entrailles et cause ces tendres mouvements à son cœur, l'Apôtre même ayant dit que « personne ne peut haïr sa chair : » Nemo enim unquàm carnem suam odio habuit (1). Que si ce que je viens de dire est véritable des autres mères, il l'est encore beaucoup plus de la sainte Vierge, parce qu'ayant conçu de la vertu du Très-Haut, elle seule a fourni toute la matière dont la sainte chair du Sauveur a été formée. Et de là je tire une autre considération.

Ne vous semble-t-il pas, chrétiens, que la nature a distribué avec quelque sorte d'égalité l'amour des enfants entre le père et la mère? C'est pourquoi elle donne ordinairement au père une affection plus forte, et imprime dans le cœur de la mère je ne sais quelle inclination plus sensible. Et ne serait-ce point peut-être pour cette raison que quand l'un des deux a été enlevé par la mort, l'autre se sent obligé par un sentiment naturel à redoubler ses affections et ses soins? Cela, ce me semble, est dans l'usage commun de la vie humaine; si bien que la très-pure Marie n'ayant à partager avec aucun homme ce tendre et violent amour qu'elle avait pour son Fils Jésus, vous ne sauriez assez vous imaginer jusqu'à quel point elle en était transportée, et combien elle y ressentait de douceurs. Ceci toutefois n'est encore qu'un commencement de ce que j'ai à vous dire.

Certes il est véritable que l'amour des enfants est si naturel, qu'il faut avoir dépouillé tout sentiment d'humanité pour ne l'avoir pas. Vous m'avouerez néanmoins qu'il s'y mêle quelquefois

 

1 Ephes., V, 29.

 

(a) Var. : Si sincère.

 

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certaines circonstances qui portent l'affection des parents à l'extrémité. Par exemple, notre père Abraham n'avait jamais cru avoir des enfants de Sara; elle était stérile, ils étaient tous deux dans un âge décrépit et caduc; Dieu ne laisse pas de les visiter et leur donne un fils. Sans doute cette rencontre fit qu'Abraham le tenait plus cher sans comparaison. Il le considérait, non tant comme son fils que comme le « Fils de la promesse » divine, promissionis filius (1), que sa foi lui avait obtenu du Ciel lorsqu'il y pensait le moins. Aussi voyons-nous qu'on l'appelle Isaac, c'est-à-dire Ris (2), parce que venant en un temps où ses parents ne l'espéraient plus, il devait être après cela toutes leurs délices. Et qui ne sait que Joseph et Benjamin étaient les bien-aimés et toute la joie de Jacob, à cause qu'il les avait eus dans son extrême vieillesse d'une femme que la main de Dieu avait rendue féconde sur le déclin de sa vie? Par où il paraît que la manière dont on a les enfants, quand elle est surprenante ou miraculeuse, les rend de beaucoup plus aimables. Ici, chrétiens, quels discours assez ardents pourraient vous dépeindre les saintes affections de Marie? Toutes les fois qu'elle regardait ce cher Fils : O Dieu ! disait-elle, mon Fils, comment est-ce que vous êtes mon Fils? Qui l'aurait jamais pu croire, que je dusse demeurer vierge et avoir un Fils si aimable? Quelle main vous a formé dans mes entrailles? Comment y êtes-vous entré, comment en êtes-vous sorti, sans laisser de façon ni d'autre aucun vestige de votre passage? Je vous laisse à considérer jusqu'à quel point elle s'estimoit bienheureuse, et quels devaient être ses transports dans ces ravissantes pensées. Car vous remarquerez, s'il vous plaît, qu'il n'y eut jamais vierge qui aimât sa virginité avec un sentiment si délicat. Vous verrez tout à l'heure où va cette réflexion.

C'est peu de vous dire qu'elle était à l'épreuve de toutes les promesses des hommes ; j'ose encore avancer qu'elle était à l'épreuve même des promesses de Dieu. Cela vous paraît étrange sans doute; mais il n'y a qu'à regarder l'histoire de l'Evangile. Gabriel aborde Marie et lui annonce qu'elle concevra dans ses entrailles le Fils du Très-Haut (3), le Roi et le Restaurateur d'Israël. Voilà d'admirables

 

1 Rom., IX, 9. — 2 Genes., XXI, 6.— 3 Luc, I, 31, 32.

 

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promesses. Qui pourrait s'imaginer qu'une femme dût être troublée d'une si heureuse nouvelle, et quelle vierge n'oublierait pas le soin de sa pureté dans une si belle espérance? Il n'en est pas ainsi de Marie. Au contraire elle y forme des difficultés. « Comment se peut-il faire, dit-elle (1), que je conçoive ce Fils dont vous me parlez, moi qui ai résolu de ne connaître aucun homme ? » Comme si elle eût dit : Ce m'est beaucoup d'honneur, à la vérité, d'être mère du Messie; mais si je la suis, que deviendra ma virginité? Apprenez, apprenez, chrétiens, à l'exemple de la sainte Vierge l'estime que vous devez faire de la pureté. Hélas! que nous faisons ordinairement peu de cas d'un si beau trésor ! Le plus souvent parmi nous on l'abandonne au premier venu, et qui le demande l'emporte. Et voici que l'on fait à Marie les plus magnifiques promesses qui puissent jamais être faites à une créature, et c'est un ange qui les lui fait de la part de Dieu, remarquez toutes ces circonstances; elle craint toutefois, elle hésite; elle est prête à dire que la chose ne se peut faire, parce qu'il lui semble que sa virginité est intéressée dans cette proposition : tant sa pureté lui est précieuse. Quand donc elle vit le miracle de son enfantement, ô mon Sauveur! quelles étaient ses joies, et quelles ses affections ! Ce fut alors qu'elle s'estima véritablement bénite entre toutes les femmes, parce qu'elle seule avait évité toutes les malédictions de son sexe. Elle avait évité la malédiction des stériles par sa fécondité bienheureuse; elle avait évité la malédiction des mères, parce qu'elle avait enfanté sans douleur, comme elle avait conçu sans corruption. Avec quel ravissement embrassait-elle son Fils, le plus aimable des fils, et en cela plus aimable qu'elle le reconnais-soit pour son Fils sans que son intégrité en fût offensée ?

Les saints Pères ont assuré (2) qu'un cœur virginal est la matière la plus propre à être embrasée de l'amour de notre Sauveur : cela est certain, chrétiens, et ils l'ont tiré de saint Paul. Quel devait donc être l'amour de la sainte Vierge? Elle savait bien que c'était particulièrement à cause de sa pureté que Dieu l'avait destinée à son Fils unique ; cela même, n'en doutez pas, cela même lui faisait aimer sa virginité beaucoup davantage ; et d'autre part

 

1 Luc, I, 34. — 2 S. Bernard., serm. XXIX in Cantic., n. 8.

 

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l’amour qu'elle avait pour sa sainte virginité, lui faisait trouver mille douceurs dans les embrassements de son Fils qui la lui avait si soigneusement conservée. Elle considérait Jésus-Christ comme une fleur que son intégrité avait poussée ; et dans ce sentiment elle lui donnait des baisers plus que d'une mère, parce que c'étaient des baisers d'une mère vierge. Voulez-vous quelque chose de plus pour comprendre l'excès de son saint amour, voici une dernière considération que je vous propose, tirée des mêmes principes.

L'antiquité nous rapporte (1) qu'une reine des Amazones souhaita passionnément d'avoir un fils de la race d'Alexandre ; mais laissons ces histoires profanes, et cherchons plutôt des exemples dans l'Histoire sainte. Nous disions tout à l'heure que le patriarche Jacob préférait Joseph à tous ses autres enfants. Outre la raison que nous en avons apportée, il y en a encore une autre qui le touchait fort, c'est qu'il l'avait eu de Rachel qui était sa bien-aimée : cela le touchait au vif. Et saint Jean Chrysostome nous rapportant dans le premier livre du Sacerdoce les paroles caressantes et affectueuses dont sa mère l'entretenait, remarque ce discours entre beaucoup d'autres : « Je ne pouvais,  disait-elle, ô mon fils, me lasser de vous regarder, parce qu'il me semblait voir sur votre visage une image vivante de feu mon mari (2). » Que veux-je dire par tous ces exemples? Je prétends faire voir qu'une des choses qui augmente autant l'affection envers les enfants, c'est quand on considère la personne dont on les a eus, et cela est bien naturel. Demandez maintenant à Marie de qui elle a eu ce cher Fils. Vient-il d'une race mortelle? A-t-il pas fallu qu'elle fût couverte de la vertu du Très-Haut? Est-ce pas le Saint-Esprit qui l’a remplie d'un germe céleste parmi les délices de ses chastes embrassements, et qui se coulant sur son corps très-pur d'une manière ineffable, y a formé celui qui devait être la consolation d'Israël et l'attente des nations? C'est pourquoi l'admirable saint Grégoire dépeint en ces termes la conception du Sauveur : Lorsque le doigt de Dieu composait la chair de son Fils du sang le plus pur de Marie, « la concupiscence, dit-il, n'osant approcher, regardait de loin avec étonnement un spectacle si nouveau, et la nature

 

1 Quint. Curt., lib. VI. — 2 De sacerd., lib. I, n. 5.

 

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s'arrêta toute surprise de voir son Seigneur et son Maître dont la seule vertu agissait sur cette chair virginale : » Stetit natura contra et concupiscentia longé Dominum naturœ intuentes in corpore mirabiliter operantem (1).

Et n'est-ce pas ce que la Vierge elle-même chante avec une telle allégresse dans ces paroles de son cantique : Fecit mihi magna qui potens est (2) : « Le Tout-Puissant m'a fait de grandes choses? » Et que vous a-t-il fait, ô Marie? Certes elle ne peut nous le dire; seulement elle s'écrie toute transportée qu'il lui a fait de grandes choses : Fecit mihi magna qui potens est. C'est qu'elle se sentait enceinte du Saint-Esprit. Elle voyait qu'elle avait un Fils qui était d'une race divine; elle ne savait comment faire, ni pour célébrer la munificence divine, ni pour témoigner assez son ravissement d'avoir conçu un Fils qui n'eût point d'autre Père que Dieu. Que si elle ne peut elle-même nous exprimer ses transports, qui suis-je, chrétiens, pour vous décrire ici la tendresse extrême et l'impétuosité de son amour maternel, qui était enflammé par des considérations si pressantes? Que les autres mères mettent si haut qu'il leur plaira cette inclination si naturelle qu'elles ressentent pour leurs enfants; je crois que tout ce qu'elles en disent est très-véritable, et nous en voyons des effets qui passent de bien loin tout ce que l'on pourrait s'en imaginer. Mais je soutiens, et je vous prie de considérer cette vérité, que l'affection d'une bonne mère n'a pas tant d'avantage par-dessus les amitiés ordinaires, que l'amour de Marie surpasse celui de toutes les autres mères. Pour quelle raison? C'est parce qu'étant mère d'une façon toute miraculeuse et avec des circonstances tout à fait extraordinaires, son amour doit être d'un rang tout particulier; et comme l'on dit, et je pense qu'il est véritable, qu'il faudrait avoir le cœur d'une mère pour bien concevoir quelle est l'affection d'une mère; je dis tout de même qu'il faudrait avoir le cœur de la sainte Vierge pour bien concevoir l'amour de la sainte Vierge (a).

 

1 Serm., II in Annunt. B. Virgin. Mariae, inter Oper. S. Greg. Thaumat.— 2 Luc., I, 49.

 

(a) Ce qu'on vient de lire depuis le commencement du premier point, est emprunte au Sermon pour le vendredi de la semaine de la Passion, sur la Compassion de la sainte Vierge, vol. IX, p. 528-532.

 

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Dites-moi, je vous prie, chrétiens, après les choses que vous avez ouïes, quelle opinion avez-vous de cet aimable enfant qui vient de naître? quel sera-t-il à votre avis dans le progrès de son âge? Quis, putas, puer iste erit? Pour moi, je ne puis que je ne m'écrie : O fille, mille et mille fois bienheureuse d'être prédestinée à un amour si excessif pour celui qui seul mérite nos affections !

Vous n'ignorez pas que l'amour du Seigneur Jésus, c'est le plus beau présent dont Dieu honore les Saints. Dès le commencement des siècles, il était, bien qu'absent, les délices des patriarches. Abraham, Isaac et Jacob ne pouvaient presque modérer leur joie, quand seulement ils songeaient qu'un jour il naîtrait de leur race. Vous donc, ô heureuse Marie, vous qui le verrez sortir de vos bénites entrailles, vous qui le contemplerez sommeillant entre vos bras ou attaché à vos chastes mamelles, comment n'en serez-vous point transportée ? En suçant votre lait virginal, ne coulera-t-il pas en votre âme l'ambroisie de son saint amour? Et quand il commencera de vous appeler sa Mère d'une parole encore bégayante ; et quand vous l'entendrez payer à Dieu son Père le tribut des premières louanges, sitôt que sa langue enfantine se sera un peu dénouée ; et quand vous le verrez dans le particulier de votre maison, souple et obéissant à vos ordres, combien grandes seront vos ardeurs !

Mais disons encore qu'une des plus grandes grâces de Dieu, c'est de penser souvent au Sauveur. Oui certes, il le faut reconnaître, son nom est un miel à la bouche ; c'est une lumière à nos yeux, c'est une flamme à nos cœurs (1) : il y a je ne sais quelle grâce (a) que Dieu a répandue et dans toutes ses paroles et dans toutes ses actions; y penser, c'est la vie éternelle. Pensez-y souvent, ô fidèles ; sans doute vous y trouverez une consolation incroyable. C'était toute la joie (b) de Marie : nous voyons dans les Evangiles que tout ce que lui disait son Fils, tout ce qu'on lui disait de son Fils, elle le conservait, elle le repassait mille et mille fois en son cœur : Maria autem conservabat omnia verba hœc in

 

1 S. Bernard., serm. XV, in Cant., n. 6.

 

(a) Var. : Il y a une certaine grâce. — (b) La douceur.

 

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corde suo (1). Il tenait si fort à son âme qu'aucune force ni violence n'était capable de l'en distraire : car il eût fallu lui tirer de ses veines jusqu'à la dernière goutte de ce sang maternel qui ne cessait de lui parler de son Fils, comme on voit que les mères prennent une part toute extraordinaire à toutes les actions de leurs fils. Que si pour l'ordinaire presque tout ce que fait un bon fils plaît à sa mère (a), quelle admiration de sa vie ! quels charmes dans ses paroles ! quelle douleur de sa passion ! quel sentiment de sa charité! quel contentement de sa gloire ! et après qu'il fut retourné à son Père, quelle impatience de le rejoindre!

Le docte saint Thomas, traitant de l'inégalité qui est entre les bienheureux (2), dit que ceux-là jouiront plus abondamment de la présence divine, qui l'auront en ce monde le plus ardemment désirée, parce que, comme dit ce grand homme, la douceur de la jouissance va à proportion des désirs. Comme une flèche qui part d'un arc bandé avec plus de violence, prenant son vol au milieu des airs avec une plus grande roideur, entre aussi plus profondément au but où elle est adressée : de même l'âme fidèle pénétrera plus avant dans l'abîme de l'essence divine, le seul terme de ses espérances, quand elle s'y sera élancée par une plus grande impétuosité de désirs. Que si le grand apôtre saint Paul frappé au vif en son âme de l'amour de Notre-Seigneur, brûle d'une telle impatience de l'aller embrasser en sa gloire, qu'il voudrait voir bientôt ruinée cette vieille masure du corps qui le sépare de Jésus-Christ : Cupio dissolvi et esse cum Christo (3), jugez des inquiétudes et des douces émotions que peut ressentir le cœur d'une mère. Le jeune Tobie, par une absence d'un an, perce celui de sa mère d'inconsolables douleurs (4) : quelle différence entre mon Sauveur et Tobie!

S'il est donc vrai, saint Enfant qui nous fournissez aujourd'hui un sujet de méditation si pieux, s'il est vrai que votre grandeur doive croître selon la mesure de vos désirs, quelle place assez auguste vous pourra-t-on trouver dans le ciel? Ne faudra-t-il pas

 

1 Luc., II, 19. — 2 I part., quaest. XII, art. VI. — 3 Philip., I, 23. — 4 Tob., V, 23 et seq.

 

(a) Var. : Comme on voit que les mères prennent une part toute extraordinaire à toutes les actions de leurs fils, quelle admiration de sa vie !...

 

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que vous passiez toutes les hiérarchies angéliques pour courir à notre Sauveur? C'est là qu'ayant laissé bien loin au-dessous de vous tous les ordres des prédestinés, toute éclatante de gloire et attirant sur vous les regards de toute la Cour céleste, vous irez prendre place près du trône de votre cher Fils pour jouir à jamais de ses plus secrètes faveurs. C'est là qu'étant charmée d'une ravissante douceur dans ses embrassements si ardemment désirés, vous parlerez à son cœur avec une efficacité merveilleuse. Eh! quel autre que vous aura plus de pouvoir sur ce cœur, puisque vous y trouverez une si fidèle correspondance; je veux dire l'amour filial, qui sera d'intelligence avec l'amour maternel, qui s'avancera pour le recevoir et qui préviendra ses désirs ?

Nous voilà tombés insensiblement sur l'amour dont le Fils de Dieu honore la sainte Vierge. Fidèles, que vous en dirai-je? Si je n'ai pu dépeindre l'affection de la Mère selon son mérite, je pourrai encore moins vous représenter celle du Fils, parce que je suis assuré qu'autant que Notre-Seigneur surpasse la sainte Vierge en toute autre chose, d'autant est-il meilleur Fils qu'elle n'était bonne Mère. Mais en demeurerons-nous là, chrétiens? Cherchons, cherchons encore quelque puissante considération dans la doctrine des Evangiles; c'est la seule qui touche les cœurs : une seule parole de l'Evangile a plus de pouvoir sur nos âmes que toute la véhémence et toutes les inventions de l’éloquence profane. Disons donc avec l'aide de Dieu quelque chose de l'Evangile; et qu'y pouvons-nous voir de plus beau que ces admirables transports avec lesquels le Seigneur Jésus a aimé la nature humaine? Permettez-moi en ce lieu une brève digression : elle ne déplaira pas à Marie, et ne sera pas inutile à votre instruction ni à mon sujet.

Certes, ce nous doit être une grande joie de voir que notre Sauveur n'a rien du tout dédaigné de ce qui était de l'homme : il a tout pris, excepté le péché; je dis tout jusqu'aux moindres choses, tout jusqu'aux plus grandes infirmités. Je ne le puis pardonner à ces hérétiques qui ayant osé nier la vérité de sa chair, ont nié par conséquent que ses souffrances et ses passions fussent véritables. Ils se privaient eux-mêmes d'une douce consolation : au lieu que

 

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reconnaissant que toutes ces choses sont effectives, quelque affliction qui me puisse arriver, je serai toujours honoré de la compagnie de mon Maître. Si je souffre quelque nécessité, je me souviens de sa faim et de sa soif, et de son extrême indigence ; si l'on fait tort à ma réputation, «il a été rassasié d'opprobres (1), » comme il est dit de lui; si je me sens abattu par quelques infirmités, il en a souffert jusqu'à la mort ; si je suis accablé d'ennuis, que je m'en aille au jardin des Olives : je le verrai dans la crainte, dans la tristesse, dans une telle consternation, qu'il sue sang et eau dans la seule appréhension de son supplice. Je n'ai jamais ouï dire que cet accident fût arrivé à d'autres personnes qu'à lui ; ce qui me fait dire que jamais homme n'a eu les passions ni si tendres, ni si délicates, ni si fortes que mon Sauveur, bien qu'elles aient toujours été extrêmement modérées, parce qu'elles étaient parfaitement soumises à la volonté de son Père.

Mais de là, me direz-vous, que s'ensuit-il pour le sujet que nous traitons? C'est ce qu'il m'est aisé de vous faire voir. Quoi donc? notre Maître se sera si franchement revêtu de ces sentiments de faiblesse qui semblaient en quelque façon être indignes de sa personne ; ces langueurs extrêmes, ces vives appréhensions, il les aura prises si pures, si entières, si sincères : et que sera-ce après cela de l'affection envers les païens, étant très-certain que dans la nature même il n'y a rien de plus naturel, de plus équitable, de plus nécessaire, particulièrement à l'égard d'une mère telle qu'était l'heureuse Marie? Car enfin elle était la seule en ce monde à qui il eût obligation de la vie; et j'ose dire de plus qu'en recevant d'elle la vie, il lui est redevable et d'une partie de sa gloire et même en quelque façon de la pureté de sa chair : de sorte que cet avantage, qui ne peut convenir à aucune autre mère qu'à celle dont nous parlons, l'obligeait d'autant plus à redoubler ses affections.

Et n'appréhendez pas, chrétiens, que je veuille déroger à la grandeur de mon Maître par cette proposition qui n'en est pas moins véritable, bien qu'elle paroisse peut-être un peu extraordinaire du moins au premier abord ; mais je prétends l'établir sur

 

1 Tren., III, 30.

 

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une doctrine si indubitable de l'admirable saint Augustin, que les esprits les plus contentieux seront contraints d'en demeurer d'accord. Ce grand homme considérant que la concupiscence se mêle dans toutes les générations ordinaires, ce qui n'est que trop véritable pour notre malheur, en tire cette conséquence que cette maudite concupiscence, qui corrompt tout ce qu'elle touche, infecte tellement la matière qui se ramasse pour former nos corps, que la chair qui en est composée en contracte aussi une corruption nécessaire. C'est pourquoi dans la résurrection, où nos corps seront tout nouveaux, c'est-à-dire tout éclatants et tout purs, ils renaîtront, non de la volonté de l'homme ni de la volonté de la chair, mais du souffle de l'Esprit de Dieu, qui prendra plaisir de les animer quand ils auront laissé à la terre les ordures de leur première génération. Or, comme ce n'est pas ici le lieu d'éclaircir cette vérité, je me contenterai de vous dire comme pour une preuve infaillible que c'est la doctrine de saint Augustin que vous trouverez merveilleusement expliquée en mille beaux endroits de ses excellents écrits, particulièrement dans ses savants livres contre Julien.

Cela étant ainsi, remarquez exactement, s'il vous plaît, ce que j'infère de cette doctrine. Je dis que si ce commerce ordinaire, parce qu'il a quelque chose d'impur, fait passer en nos corps un mélange d'impureté, nous pouvons assurer au contraire que le fruit d'une chair virginale tirera d'une racine si pure une pureté merveilleuse. Cette conséquence est certaine, et c'est une doctrine constante que le saint évêque Augustin a prise dans les Ecritures (1) : et d'autant que le corps du Sauveur, je vous prie, suivez sa pensée; d'autant, dis-je, que le corps du Sauveur devait être plus pur que les rayons du soleil, de là vient, dit ce grand personnage, qu'il s'est choisi dès l'éternité une Mère vierge, afin qu'elle l'engendrât sans aucune concupiscence par la seule vertu de la foi : Ideo virginem matrem..., piâ fide sanctum germen in se fieri promerentem..., de quâ crearetur elegit. Car il était bienséant (a) que la sainte chair du Sauveur fût pour ainsi dire embellie

 

1 De Peccat. merit., lib. II, Q. 38.

 

(aVar. : Il fallait.

 

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de toute la pureté d'un sang virginal (a), afin qu'elle fût digne d'être unie au Verbe divin et d'être présentée au Père éternel comme une victime vivante pour l'expiation de nos fautes. Tellement que la pureté qui est dans la chair de Jésus, est dérivée en partie de cette pureté angélique que le Saint-Esprit coula dans le corps de la Vierge, lorsque charmé de son intégrité inviolable, il la sanctifia par sa présence et la consacra comme un temple vivant au Fils du Dieu vivant.

Faites maintenant avec moi cette réflexion, chrétiens. Mon Sauveur, c'est l'amant et le chaste Epoux des vierges : il se glorifie d'être appelé le Fils d'une Vierge, il veut absolument qu'on lui amène les vierges, il les a toujours en sa compagnie, elles suivent cet Agneau sans tache partout où il va. Que s'il aime si passionnément les vierges dont il a purifié la chair par son sang, quelle sera sa tendresse pour cette Vierge incomparable qu'il a élue dès l'éternité, pour en tirer la pureté de sa chair et de son sang (b)?

Après ces grands avantages qui sont préparés à Marie, ô Dieu, quel sera un jour cet enfant? Quis, putas, puer iste erit? Heureuse mille et mille fois d'aimer si fort le Sauveur, d'être si fort aimée du Sauveur. Aimer le Fils de Dieu, c'est une grâce que les hommes ne reçoivent que de lui-même ; et parce que Marie est sa Mère, et qu'une mère aime naturellement ses enfants, ce qui est grâce pour tous les autres, lui est comme passé en nature. D'autre part, être aimé du Fils de Dieu, est une pure libéralité dont il daigne honorer les hommes; et parce qu'il est Fils de Marie et qu'il n'y a point de fils qui ne soit obligé de chérir sa mère, ce qui est libéralité pour les autres, à l'égard de la sainte Vierge devient une obligation. S'il l'aime de cette sorte, il faudra par nécessité qu'il lui donne : il ne lui pourra donner autre chose que ses propres biens. Les biens du Fils de Dieu sont les vertus et les grâces, c'est son sang innocent qui les fait inonder sur les hommes, et à quel autre pensez-vous qu'il donnerait (c) plus de part à son sang qu'à celle dont il a tiré tout son sang? Pour moi, il me

 

(a) Var. : Fut formé du sang d'une vierge. — (b) Le passage qu'on a lu depuis ces mots: « Car il était bienséant que la sainte chair du Sauveur fût, » etc., est emprunté au Second sermon pour le vendredi de la semaine de la  Passion, sur la Compassion de la sainte Vierge. — (c) Et à quel autre donnerait-il ?

 

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semble que ce sang précieux prenait plaisir de ruisseler pour elle à gros bouillons sur la croix, sentant bien qu'en elle était la source de laquelle il était premièrement découlé. Bien plus, ne savons-nous pas que le Père éternel ne peut s'empêcher d'aimer tout ce qui touche de près à son Fils? N'est-ce pas en sa personne que le ciel et la terre s'embrassent et se réconcilient? N'est-il pas le nœud éternel des affections de Dieu et des hommes? N'est-ce pas là toute noire gloire et le seul fondement de nos espérances? Comment n'aimera-t-il donc pas la très-heureuse Marie, qui vivra avec son Fils dans une société si parfaite ? Tout cela semble établi sur des maximes inébranlables. Mais d'autant que quelques-uns pourraient se persuader que cette sainte société n'a point d'autres liens que ceux de la chair et du sang, mettons la dernière main à l'ouvrage que nous avons commencé : faisons voir en ce lieu, comme nous l'avons promis, avec quels avantages la sainte Vierge est entrée dans l'alliance du Père éternel par sa maternité glorieuse.

 

SECOND  POINT.

 

C'est ici le point le plus haut et le plus difficile de tout le discours d'aujourd'hui, pour lequel toutefois il ne sera pas besoin de beaucoup de paroles, parce que nos raisonnements précédents en facilitent l'entrée, et que ce ne sera que comme une suite de nos premières considérations. Or pour vous expliquer ma pensée, j'ai à vous proposer une doctrine sur laquelle il est nécessaire d'aller avec retenue, de peur de tomber dans l'erreur; et plût à Dieu que je pusse la déduire aussi nettement qu'elle me semble solide ! Voici donc de quelle façon je raisonne. Cet amour de la Vierge, dont je vous parlais tout à l'heure, ne s'arrêtait pas à la seule humanité de son Fils. Non, certes, il allait plus avant; et par l'humanité, comme par un moyen d'union, il passait à la nature divine, qui en est inséparable. C'est une haute théologie qu'il nous faut tâcher d'éclaircir par quelque chose de plus intelligible. N'est-il pas vrai qu'une bonne mère aime tout ce qui touche à la personne de son fils? J'ai déjà dit cela bien des fois, et je ne le recommence pas sans raison. Je sais bien qu'elle va

 

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quelquefois plus avant, qu'elle porte son amitié jusqu'à ses amis et généralement à toutes les choses qui lui appartiennent; mais particulièrement pour ce qui regarde la propre personne de son fds, vous savez qu'elle y est sensible au dernier point. Je vous demande maintenant : qu'était la divinité au Fils de Marie? comment touchait-elle à sa personne? lui était-elle étrangère ? Je ne veux point ici vous faire de questions extraordinaires; j'interpelle seulement votre foi : qu'elle me réponde. Vous dites tous les jours en récitant le Symbole, que vous croyez en Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui est né de la Vierge Marie : celui que vous reconnaissez pour le Fils de Dieu tout-puissant, et celui qui est né de la Vierge, sont-ce deux personnes? Sans doute ce n'est pas ainsi que vous l'entendez. C'est le même qui étant Dieu et homme, selon la nature divine est le Fils de Dieu, et selon l'humanité le Fils de Marie. C'est pourquoi nos saints Pères ont enseigné que la Vierge est Mère de Dieu. C'est cette foi, chrétiens, qui a triomphé des blasphèmes de Nestorius, et qui jusqu'à la consommation des siècles fera trembler les démons. Si je dis après cela que la bienheureuse Marie aime son Fils tout entier, quelqu'un de la compagnie pourra-t-il désavouer une vérité si plausible? Par conséquent ce Fils qu'elle chérissait tant, elle le chérissait comme un Homme-Dieu : et d'autant que ce mystère n'a rien de semblable sur la terre, je suis contraint d'élever bien haut mon esprit, pour avoir recours à un grand exemple, je veux dire à l'exemple du Père éternel.

Depuis que l'humanité a été unie à la personne du Verbe, elle est devenue l'objet nécessaire des complaisances du Père. Ces vérités sont hautes, je l'avoue; mais comme ce sont des maximes fondamentales du christianisme, il est important qu'elles soient entendues de tous les fidèles, et je ne veux rien avancer que je n'en allègue la preuve par les Ecritures. Dites-moi, s'il vous plaît, chrétiens, quand cette voix miraculeuse éclata sur le Thabor de la part de Dieu: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé dans lequel je me suis plu (1), » de qui pensez-vous que parlât le Père éternel? N'était-ce pas de ce Dieu revêtu de chair, qui paraissait tout

 

1 Matth., XVII, 5.

 

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resplendissant aux yeux des apôtres ? Cela étant ainsi, vous voyez bien par une déclaration si authentique qu'il étend son amour paternel jusqu'à l'humanité de son Fils ; et qu'ayant uni si étroitement la nature humaine avec la divine, il ne les veut plus séparer dans son affection. Aussi est-ce là, si nous l'entendons bien, tout le fondement de notre espérance, quand nous considérons que Jésus, qui est homme tout ainsi que nous, est reconnu et aimé de Dieu comme son Fils propre.

Ne vous offensez pas, si je dis qu'il y a quelque chose de pareil dans l'affection de la sainte Vierge, et que son amour embrasse tout ensemble la divinité et l'humanité de son Fils, que la main puissante de Dieu a si bien unies. Car Dieu par un conseil admirable ayant jugé à propos que la Vierge engendrât dans le temps celui qu'il engendre continuellement dans l'éternité, il l'a par ce moyen associée en quelque façon à sa génération éternelle. Fidèles, entendez ce mystère. C'est l'associer à sa génération que de la faire Mère d'un même Fils avec lui. Partant puisqu'il l'a comme associée à sa génération éternelle, il était convenable qu'il coulât en même temps dans son sein quelque étincelle de cet amour infini qu'il a pour son Fils; cela est bien digne de sa sagesse. Comme sa Providence dispose toutes choses avec une justesse admirable, il fallait qu'il imprimât dans le cœur de la sainte Vierge une affection qui passât de bien loin la nature et qu'il allât jusqu'au dernier degré de la grâce, afin qu'elle eût pour son Fils des sentiments dignes d'une Mère de Dieu et dignes d'un Homme-Dieu.

Après cela, ô Marie, quand j'aurais l'esprit d'un ange et de la plus sublime hiérarchie, mes conceptions seraient trop ravalées pour comprendre l'union très-parfaite du Père éternel avec vous. « Dieu a tant aimé le monde, dit notre Sauveur, qu'il lui a donné son Fils unique (1)l. » Et en effet, comme remarque l'Apôtre, «nous donnant son Fils, ne nous a-t-il pas donné toute sorte de biens avec lui (2)? » Que s'il nous a fait paraître une affection si sincère parce qu'il nous l’a donné comme Maître et comme Sauveur, l'amour ineffable qu'il avait pour vous lui a fait concevoir bien d'autres desseins en votre faveur. Il a ordonné qu'il fût à vous en

 

1 Joan., III, 16. — 2 Rom., VIII, 32.

 

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la même qualité qu'il lui appartient; et pour établir avec vous une société éternelle, il a voulu que vous fussiez la Mère de son Fils unique, et être le Père du vôtre. O prodige ! ô abîme de charité ! quel esprit ne se perdrait pas dans la considération de ces complaisances incompréhensibles qu'il a eues pour vous, depuis que vous lui touchez de si près par ce commun Fils, le nœud inviolable de votre sainte alliance, le gage de vos affections mutuelles, que vous vous êtes donné amoureusement l'un à l'autre ; lui, plein d'une divinité impassible ; vous, revêtu pour lui obéir d'une chair mortelle.

Croissez donc, ô heureux Enfant, croissez à la bonne heure ; que le ciel propice puisse faire tomber sur votre tête innocente les plus douces de ses influences. Croissez, et puissent bientôt toutes les nations de la terre venir adorer votre Fils ! puisse votre gloire être reconnue de tous les peuples du monde, auxquels votre enfantement donnera une paix éternelle ! Pour nous, mus d'un pieux respect pour celui qui vous a choisie, nous venons honorer votre lumière naissante et jeter sur votre berceau non des roses et des lis, mais des bouquets sacrés de désirs ardents et de sincères louanges. Certes, je l'avoue, Vierge sainte, celles que je vous ai données sont beaucoup au-dessous de vos grandeurs, et beaucoup au-dessous de mes vœux ; et toutefois je me sens ébloui d'avoir si longtemps contemplé, quoiqu'à travers tant de nuages, ce haut éclat qui vous environne; je suis contraint de baisser la vue. Mais comme nos faibles yeux éblouis des rayons du soleil dans l'ardeur de son midi, l'attendent quelquefois pour le regarder plus à leur aise lorsqu'il penche sur son couchant, dans lequel il semble à nos sens qu'il descende plus près de la terre : ainsi étant étonné, ô Vierge admirable, d'avoir osé vous considérer si longtemps dans cette qualité éminente de Mère de Dieu, qui vous approche si près de la Majesté divine et vous élève si fort au-dessus de nous, il faut pour me remettre que je vous considère un moment dans la qualité de Mère des fidèles, qui vous abaisse jusqu'à nous par une miséricordieuse condescendance, et vous fait pour ainsi dire descendre jusqu'à nos faiblesses, auxquelles vous compatissez avec une piété maternelle. Je ne m'éloignerai point des principes que

 

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j'ai posés ; mais il faut que je tâche d'en tirer quelques instructions. Achevons, chrétiens, achevons ; il est temps désormais de conclure.

Intercédez pour nous, ô sainte et bienheureuse Marie. Car, comme dit votre dévot saint Bernard (1), quelle autre peut plutôt que vous parler au cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ? Vous y avez une fidèle correspondance, je veux dire l'amour filial qui viendra accueillir l'amour maternel et même qui préviendra ses désirs; et partant que ne devons-nous point espérer de vos pieuses intercessions ?

Certes, fidèles; il n'est pas croyable quelle utilité il nous en revient, et c'est avec beaucoup de raison que l'Eglise répandue par toute la terre, nous exhorte à nous mettre sous sa protection spéciale. Mais toutefois je ne craindrai point de vous dire que plusieurs se trompent dans la dévotion de la Vierge : plusieurs croient lui être dévots, qui ne le sont pas : plusieurs l'appellent Mère, qu'elle ne reconnait pas pour enfants : plusieurs implorent son assistance, à qui cette Vierge très-pure n'accorde pas le secours de ses prières. Apprenez donc, chrétiens, apprenez quelle est la vraie dévotion pour la sainte Vierge, de peur que ne l'ayant pas comme il faut, vous ne perdiez toute l'utilité d'une chose qui pourrait vous être très-fructueuse.

Quand l'Eglise invite tous ses enfants à se recommander aux prières des Saints qui règnent avec Jésus-Christ, elle considère sans doute que nous en retirons divers avantages très-importants. Mais je ne craindrai point de vous assurer que le plus grand de tous, c'est qu'en honorant leurs vertus, cette pieuse commémoration nous enflamme à imiter l'exemple de leur bonne vie : autrement, c'est en vain, chrétiens, que nous choisissons pour patrons ceux dont nous ne voulons pas être les imitateurs. « Il faut, dit saint Augustin, qu'ils trouvent en nous quelques traces de leurs vertus, pour qu'ils daignent s'intéresser pour nous auprès du Seigneur : » Debent enim in nobis aliquid recognoscere de suis virtutibus, ut pro nobis dignentur Domino supplicare (2);de sorte que c'est une prétention ridicule, de croire que la très-sainte Mère

 

1 Ad B. Virg. serm. Panegyr., n. 7, inter op. S. Bern. — 2 Serm. de Symbolo, cap. XIII ; in Append.

 

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de Dieu admette au nombre de ses enfants, ceux qui ne tâchent pas de se conformer à ce beau et admirable exemplaire.

Et qu'imiterons-nous particulièrement de la sainte Vierge, si ce n'est cet amour si fort et si tendre qu'elle a eu pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est, comme vous avez vu, la plus vive source des excellences et des perfections de Marie? D'ailleurs que pouvons-nous faire qui lui plaise plus, que d'attacher toutes nos affections à celui qui a été et sera éternellement toutes ses délices ? Enfin qu'y a-t-il qui nous soit ni plus nécessaire, ni plus honorable, ni plus doux et plus agréable que cet amour? Quelle plus grande nécessité que d'aimer celui dont il est écrit : « Si quelqu'un n'aime pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème (1) ? » Et quel plus grand honneur que d'aimer un Dieu, et quelle plus ravissante douceur que d'aimer uniquement un Dieu-Homme ?

Certes, fidèles, rien n'est plus vrai : Dieu est infiniment aimable en lui-même ; mais quand je considère ce Dieu fait homme, je me perds et je ne sais plus ni que dire ni que penser ; et je conçois, ce me semble, sensiblement que je suis la plus méchante, la plus déloyale, la plus ingrate, la plus méprisable des créatures, si je ne l'aime par-dessus toutes choses. Car qu'est-ce, fidèles, que ce Dieu Jésus, qu'est-ce autre chose qu'un Dieu nous cherchant, un Dieu se familiarisant avec nous, un Dieu brûlant d'amour pour nous, un Dieu se donnant à nous tout entier, et qui se donnant à nous tout entier, pour toute récompense ne veut que nous? Ingrat mille et mille fois qui ne l'aime pas! malheureux et infiuiment malheureux qui ne l'aime pas, et qui ne comprend pas combien doux est cet amour aux âmes pieuses ! Fidèles, nous devrions être honteux de ce que le seul nom de Jésus n'échauffe pas incontinent nos esprits, de ce qu'il n'attendrit pas nos affections.

Donc si vous voulez plaire à Marie, faites tout pour Jésus ; vivez en Jésus, vivez de Jésus : c'est l'unique moyen de gagner le cœur de cette bonne Mère, si vous imitez son affection. Elle est Mère de Jésus-Christ ; nous sommes ses membres : elle a conçu la chair de Jésus; nous la recevons: son sang est coulé dans nos veines par les sacrements; nous en sommes lavés et nourris : et Jésus lui-même,

 

1 I Cor., XVI, 22.

 

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comme on lui disait : « Votre Mère et vos frères vous cherchent, » étend ses mains à ses disciples, disant : « Voilà ma mère, voilà mes frères ; et celui qui fait la volonté de mon Père céleste, celui-là est mon frère, et ma sœur et ma mère (1). » O douces et ravissantes paroles, les fidèles sont ses frères! Ce n'est pas assez; ils sont ses frères et ses sœurs : c'est trop peu; ils sont ses frères, ses sœurs et sa mère. Non, mes Frères, notre Sauveur nous aime si fort, qu'il ne refuse avec nous aucun titre d'affinité, ni aucun degré d'alliance : il nous donne quel nom il nous plaît ; nous lui touchons de si près qu'il nous plaît, pourvu que nous fassions la volonté de son Père céleste. Et quelle est la volonté du Père céleste, sinon que nous aimions son bien-aimé? « Celui-ci, dit-il, est mon Fils bien-aimé, dans lequel je me suis plu dès l'éternité (2). » Tout lui plaît en Jésus, et rien ne lui plaît qu'en Jésus, et il ne reconnaît pas pour siens ceux qui ne consacrent pas leur cœur à Jésus. Ah! que je vous demande, fidèles, le faisons-nous? Notre Sauveur a dit : « Si quelqu'un veut me suivre, qu'il renonce à soi-même (3). » Qui de nous a renoncé à soi-même? « Tous cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ : » Omnes quœ sua sunt quœrunt, non quœ Jesu Christii. Avez-vous jamais bien compris quel ouvrage c'est et de quelle difficulté, que de renoncer à soi-même ? Vous avez, dites-vous, quitté les mauvaises inclinations aux plaisirs mortels : Dieu vous en fasse la grâce par sa bonté ! Mais une injure vous est demeurée sur le cœur; vous en poursuivez la vengeance : vous n'avez point renoncé à vous-mêmes. — Mais j'ai surmonté ce mauvais désir; c'est tout ce que Jésus-Christ demande de moi. — Nullement, ne vous y trompez pas ; ce n'est pas assez : recherchez les secrets de vos consciences ; peut-être que l'avarice, peut-être que ce poison subtil de la vaine gloire, peut-être qu'un certain repos de la vie, un vain désir de plaire au monde, et cette inclination si naturelle aux hommes de s'élever toujours au-dessus des autres, ou quelque autre affection pareille règne en vous. Si cela est ainsi, vous n'avez point renoncé à vous-mêmes. Bref considérez, chrétiens, nous sommes au

 

1 Marc.,  III, 32, 33, 34,  35. — 2 Matth.,  III,  17. — 3 Matth.,   XVI,   24.  — 4 Philip., II, 21.

 

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milieu d'une infinité d'objets qui nous sollicitent sans cesse : tant qu'il y a une fibre de notre cœur qui est attachée aux choses mortelles, nous n'avons point renoncé à nous-mêmes ; et par conséquent nous ne suivons pas celui qui a dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même. » Et si nous ne le suivons pas, où en sommes-nous?

Qui est donc celui, direz-vous, qui a vraiment renoncé à soi-même ? Celui qui méprise le siècle présent, qui ne craint rien tant que de s'y plaire, qui regarde cette vie comme un exil; « qui use des biens qu'elle nous présente comme n'en usant pas, considérant sans cesse que la figure de ce monde passe (1) ; » qui soupire après Jésus-Christ, qui croit n'avoir aucun vrai bien ni aucun repos jusqu'à ce qu'il soit avec lui. Celui-là a renoncé à soi-même, et peut présenter à Jésus un cœur qui lui sera agréable, parce qu'il ne brûle que pour lui seul. Si nous n'avons pas atteint cette perfection, comme sans doute nous en sommes bien éloignés, tendons-y du moins de toutes nos forces, si nous voulons être appelés chrétiens. Vivant ainsi, fidèles, vous pourrez prier la Vierge avec confiance qu'elle présente vos oraisons à son Fils Jésus : vous serez ses véritables enfants en Notre-Seigneur Jésus-Christ: vous l'aimerez; elle vous aimera pour Notre-Seigneur Jésus-Christ ; elle priera pour vous au nom de son Fils Jésus-Christ; elle vous obtiendra la jouissance parfaite de son Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est l'unique félicité. Amen.

 

1 I Cor., VII, 31.

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