Ursulines Meaux II
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SECONDE EXHORTATION
AUX URSULINES  DE  MEAUX  (a).

 

Sit autem omnis homo velox ad audiendum, tardus autem ad loquendum.

 

« Que tout homme soit prompt à écouter, et tardif à parler. » Paroles de l’Epitre de saint Jacques, I, 19.

 

Dans ces paroles, mes Filles, je renferme tout le fruit de la visite, et j'y fais consister toute la perfection de cette communauté. Je me restreins seulement à vous recommander ces deux choses. Qu'on soit prompt à écouter, et tardif à parler. Que veut dire, mes Sœurs, être prompt à écouter? Qu'est-ce que vous devez écouter? et qui devez-vous écouter?

Vous devez écouter premièrement cette chaste vérité qui vient se répandre dans notre cœur, quand elle le trouve préparé, tranquille et pacifique. C'est l'Esprit de Jésus-Christ qu'il faut écouter au dedans de vous-mêmes, et qui vous parle par ses inspirations, par ses vocations intérieures, par ses attraits et par ses touches secrètes, par ses impressions amoureuses et par ses grâces prévenantes. Il faut, mes Filles, l'écouter avec attention et observer ses moments favorables, où il veut répandre dans votre cœur les pures lumières de la sagesse et de la grâce. Il faut se rendre bien attentive quand ce divin Esprit frappe à la porte de ce même cœur, pour s'y faire entendre en qualité de Docteur et de Maître. C'est on ces temps heureux où il faut être tranquille, et parfaitement dégagée du bruit et du tumulte des créatures. Il faut être libre de toute inquiétude, de toute passion forte ; en un mot, il faut un silence et une récollection parfaite, pour entendre intérieurement la voix de Dieu. Quand le Créateur parle , il faut que la créature cesse de parler, et qu'elle se taise par un grand recueillement. L'Esprit de Dieu, qui ne se plaît à demeurer que dans un cœur paisible et tranquille, ne vient jamais dans une âme toujours

 

(a) Prononcée à la conclusion de la visite pastorale déjà mentionnée le 27 avril 1685 : telles sont les indications que portait l'analyse faite par une religieuse

 

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agitée, ou souvent troublée par le désordre et le bruit que causent ses passions et l'émotion de ses sentiments : il n'habite point aussi dans une âme dissipée, distraite, qui aime l'épanchement, et qui cherche à se répandre au dehors par ces discours inutiles et ces conversations si ennemies de la vie intérieure.

Prenez donc garde, mes Filles, de ne pas vous étourdir vous-mêmes, et n'empêchez pas l'Esprit-Saint, qui est en vous, de parler à vos cœurs. Souvenez-vous que c'est un esprit pacifique, qui vient se communiquer avec paix et avec douceur, non avec force et violence, et qui n'entre jamais dans un cœur au milieu des tempêtes, des orages et de ces vents furieux, qui ne sont propres qu'à déraciner les cèdres du Liban : il y veut venir avec une paix amoureuse et dans un agréable et doux zéphyr, dont parle l'Ecriture sainte (1), qui anime une âme et qui la remplisse d'une véritable joie par la douceur des grâces qui lui sont données, et que cet Esprit de sainteté lui communique en se venant insinuer en elle suavement, bénignement, parce qu'il la trouve dans la paix et dans le silence. Ecoutez donc Dieu parler au fond de vous-mêmes , et n'ayez que le soin de votre perfection, sans vous mettre en peine que de ce qui vous peut empêcher d'y parvenir.

Il n'y a qu'une seule chose nécessaire ; c'est Dieu seul, qui doit occuper vos pensées et posséder votre cœur. Hé ! de quoi profitent les applications que l'on donne aux choses de la terre, et tant d'empressements superflus et distrayants que l'amour-propre fait naître dans le cœur humain ? Si vous retranchez tout cela par le dégagement des créatures, vous aurez cette félicité qui se goûte dans la cessation et le repos de tous les désirs. Jésus-Christ est le centre de votre paix ; et tous les troubles, toutes les peines et les difficultés qui vous peuvent faire obstacle en la voie de la perfection et de votre salut, ne viennent que des dissipations et des amusements hors de lui, et ensuite des passions du cœur mal mortifiées et déréglées , qui suivent ces états trop ordinaires de distraction et d'égarement parmi les choses terrestres, où l'on fait de si grandes pertes.

Mes Filles, il n'y a plus rien pour vous sur la terre de

 

1 III Reg., XIX, 12.

 

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nécessaire ; Jésus-Christ est votre unique besoin, le seul Lien qui vous suffit et qu'il faut que vous cherchiez sans cesse. Ayez donc une âme pure et simple, et qui tende toujours à réunir en Dieu toutes ses puissances intérieures et ses opérations extérieures par la récollection et la retraite, où vous entendrez la voix de votre Epoux. Ce n'est que dans le silence et dans le retranchement des discours inutiles et distrayants, qu'il vous visitera par ses inspirations et par ses grâces, et qu'il fera sentir sa présence à votre intérieur.

Mais il faut encore écouter Dieu parler par le ministère des supérieurs, qui vous représentent Jésus-Christ, et spécialement dans les visites pastorales, où le Saint-Esprit préside infailliblement.

Ici, mes Filles, je suis bien aise de vous dire en passant que si vous ne tirez pas de cette visite le fruit que j'attends et que vous devez en recueillir, assurément Jésus-Christ vous en demandera un compte rigoureux et sévère cà son tribunal, qui sera très-redoutable à celles qui n'auront pas fait un bon et digne usage des grâces attachées à cette même visite. Prenez-y garde, mes Sœurs; je vous citerai et je m'élèverai contre vous au jour du Seigneur : ce ne sera pas moi qui vous jugerai, non, ce ne sera pas moi ; mais, je vous le dis, ce seront mes paroles qui vous condamneront, si vous ne les écoutez pas avec l'attention requise, et si vous les recevez avec moins de soumission d'esprit que vous ne devez pour en faire un véritable profit. Il est dit en la sainte Ecriture que les pasteurs de l'Eglise s'élèveront, au jugement de Dieu, contre ceux qui n'auront pas fait état de leurs paroles, qui ne les auront pas écoutés avec respect, et qui auront méprisé ou négligé leurs avertissements. Cela, mes Filles, vous doit porter à l'observance fidèle et exacte de ce que nous vous disons; et il faut aussi que vous ayez pour vos confesseurs et directeurs beaucoup d'estime, de soumission et de déférence.

Ils vous parlent de la part de Dieu ; vous devez donc écouter l'Esprit de Jésus-Christ dans leur ministère. N'a-t-il pas dit dans l'Evangile, parlant d'eux : «Qui vous écoute, m'écoute (1)?» Puisque

 

1 Luc, X, 16.

 

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c'est Jésus-Christ qui nous assure de cette vérité, prenez garde à ces paroles si dignes de respect : ayez une singulière vénération pour vos confesseurs et directeurs ; ce sont eux qui sont chargés de vos âmes ; c'est par eux que Dieu vous parle, n'en doutez point ; et puisqu'ils vous déclarent ses volontés, vous devez les écouter avec humilité et docilité, et vous soumettre humblement à leurs ordres et à leur conduite , bien loin d'en murmurer, d'en dire vos sentiments, de vous plaindre mal à propos en des assemblées secrètes. L'Esprit de Jésus-Christ ne se trouve nullement dans ces plaintes indiscrètes et dans ces murmures que l'on fait de ses ministres. Dans la sainte Ecriture, il est expressément défendu de mal parler d'eux (1) : elle ordonne de les respecter, de les honorer, et de ne point toucher aux oints du Seigneur (2). Si vous considériez bien leur grand pouvoir et leur sublime dignité , sans doute que vous auriez pour leur personne plus de respect. Bannissez d'entre vous ces plaintes et ces murmures.

Je vous en conjure, mes Filles, que je n'entende plus parler de mécontentement, ni de ces discours qui causent parmi vous des émotions. Ne regardez que l’autorité que Dieu a donnée sur vous à ses ministres. Je défends ces plaintes et ces entretiens des sentiments contraires à l'humilité et à la paix. Si quelque chose vous fait peine, je n'entends pas que vous ne puissiez en parler à vos supérieurs pour vous instruire : on le peut dans quelques rencontres, mais jamais pour s'abandonner au murmure, ni pour condamner les ministres de Dieu, ce qui ne lui peut être agréable; hors de là vous pouvez communiquer vos difficultés aux supérieurs. Non, je n'ôte point la liberté de s'adresser à ceux à qui on les peut dire, j'entends aux pasteurs et aux susdits supérieurs ; moi-même je veux bien encore vous écouter dans votre besoin, et quand il sera nécessaire pour votre consolation. Sachez que je vous porte toutes dans mon sein et dans mes entrailles : vous m'êtes toutes présentes à l'esprit jour et nuit, et tout ce que vous ni avez dit toutes en particulier. Croyez, mes chères Filles, que pas une syllabe ne m'est échappée de la mémoire ; je pense à toutes vos nécessités, tant en général qu'en particulier.

 

1 Exod., XXII, 28; Act, XXII, 5. — 2 Psal. CIV, 15.

 

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Mettez-vous donc en repos, si vous m'avez déclaré les choses comme vous les diriez si vous alliez dans un quart d'heure paraître devant la majesté de Dieu : n'ayez plus aucun souci à présent, puisque je veux bien me charger de tout ce que vous m'avez dit. Ne vous l'ai-je pas dit au commencement de cette visite, que je me charge de tout ce que vous m'avez déclaré? Cela étant, attendez en paix et avec patience que Dieu vous manifeste sa volonté par mon ministère; et puisque vous vous déchargez sur nous de tout ce qui vous concerne tant en général qu'en particulier, c'est à vous à demeurer en repos et dans l'indifférence par une soumission à tout ce que l'Esprit de Dieu nous inspirera, dans le temps, de vous dire pour votre perfection. Je ne négligerai rien pour votre avancement; j'y apporterai tous mes soins et toute mon application, et je veillerai sur tous vos besoins spirituels. Assurez-vous, mes Filles, que vous êtes toutes présentes à mon esprit, et qu'à l'avenir j'étendrai de plus en plus mon soin pastoral sur vous toutes, vous permettant même la liberté d'avoir recours à notre autorité épiscopale dans vos plus pressantes nécessités. Venez donc à moi, mes Filles, quand vous vous trouverez chargées et oppressées; je vous soulagerai et donnerai le repos à vos âmes. Venez, puisque je vous recevrai avec douceur et avec joie, voulant bien vous écouter quand il sera nécessaire ; mais toutefois faites que cela n'arrive que dans de grands besoins, et dans les occurrences de choses de conséquence. A cela nous discernerons les esprits, et nous en connaîtrons la sagesse et la prudence par l'importance des choses que l'on viendra nous dire.

Cependant, mes Filles, observez ce que nous vous prescrivons pour votre salut et pour votre perfection. Ecoutez Dieu parler en vous : écoutez-le parlant par vos supérieurs et par le saint ministère de vos confesseurs et directeurs, puisque c'est le Saint-Esprit qui vous conduit par eux : enfin écoutez encore ce même Dieu parler par votre supérieure, parce que la supérieure en sa manière vous tient aussi la place de Jésus-Christ. Vous devez avoir pour elle respect, amour et confiance. C'est une mère spirituelle, qui vous doit porter toutes dans ses entrailles : c'est pourquoi il faut qu'une supérieure reçoive avec un cœur vraiment maternel et

 

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qu'elle porte dans son sein les fortes et les faibles, et que sa charité s'étende sur toutes en général et en particulier, sans favoriser plus les unes que les autres. Il faut qu'elle parle à toutes dans leurs besoins avec douceur et bonté : mais aussi il ne faut pas qu'il y en ait qui se fâchent et qui observent si elle parle plus souvent à quelques-unes. Croyez que celles-là en ont plus de besoin, et que leurs nécessités sont plus grandes et plus pressantes que les vôtres; et que cela étant, celles-là doivent recourir plus fréquemment à la charité de la supérieure, pour être conduites sûrement dans le chemin de la perfection. Sachez, mes Filles, que Dieu a attaché votre perfection à l'obéissance que vous devez rendre à votre supérieure. Assurez-vous que la voix de votre supérieure est la voix de Dieu même, et que c'est lui qui vous parle quand elle vous ordonne quelque chose. Respectez donc l'autorité de Jésus-Christ, qui est en elle et qui y réside. Ecoutez ses paroles avec autant de respect que vous feriez celles de Jésus-Christ même, puisqu'il dit en la personne des supérieurs: « Qui vous écoute, m'écoute. » Je sais bien que les choses qu'elle ordonne peuvent paraître quelquefois n'être pas si justes. Eh bien, il y a de l'infirmité, mais je sais aussi qu'elle peut avoir des raisons que les particulières ne peuvent pas pénétrer.

Voilà, mes Sœurs, comme vous devez écouter Dieu parler; c'est ainsi qu'il faut entendre et pratiquer ces paroles de saint Jacques : « Que tout homme soit prompt à écouter. » Soyez donc promptes à écouter Dieu parler dans votre cœur et par la bouche de ceux qu'il vous donne pour votre conduite, mais aussi soyez tardives à parler. Aimez le silence, la retraite et la solitude : ne dites jamais aucune parole dont vous puissiez ensuite vous repentir; soyez fort circonspectes à parler et ne dites jamais rien, comme dit saint Augustin, sans l'avoir conçu dans le cœur et ensuite pesé et ordonné par la raison, avant que de le laisser échapper ou sortir de votre bouche. Le désir de parler est commun à tout homme, mais surtout à votre sexe ; cette inclination vous est naturelle , toutefois il la faut combattre. Vous n'aurez jamais regret d'avoir gardé le silence, quelque peine et contrainte qu'il faille souffrir. Il y a de la mortification, je vous l'avoue, à garder le silence. Eh bien,

 

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on dira une parole piquante de mépris ou de raillerie : on se satisfait, on se fait justice à soi-même par ses plaintes et ses murmures ; mais aussi combien blessez-vous la charité, et combien de fautes fait-on pour ne savoir pas garder le silence en ces occasions ?

Dieu m'a fait connaître, dans la lumière de son Esprit, que la cause principale du trouble et de la division de la communauté ne vient point d'ailleurs que de ce qu'on est trop prompt à parler et du défaut de silence. Si donc le silence y était bien observé, je crois que la charité y serait parfaite et les fruits de la paix se trouveraient en cette maison. C'est ce que vous avez vous-mêmes fort bien remarqué, et chacune de vous ajustement mis le doigt sur la source du mal. Presque toutes m'ont dit leur pensée sur ce sujet, m'avouant que le silence n'était point gardé religieusement, et que cette grande liberté de parler en tout temps, de communiquer ses sentiments sur toutes choses et de se dire des paroles contre la charité et la douceur, était l'unique cause de tous les désordres qui troublaient la paix et le repos de chacune. Puis donc que vous reconnaissez que ce défaut est une source de discorde, apportez toutes vos diligences pour le retrancher tout à fait.

Je vous puis dire pour votre consolation, mes Filles, que j'ai trouvé beaucoup de bien dans cette maison : il y a de la vertu, de bons principes de piété. Presque toutes m'ont fait paraître de grands désirs de renouvellement : toutes désirent la paix : et dans toutes les plaintes qui nous ont été faites assez exactement pour et contre, je n'ai trouvé aucun sujet considérable et capable de désunir les esprits, et de les aliéner les uns des autres. Hé ! faut-il donc, pour un entêtement et pour je ne sais quelle préoccupation d'esprit, que l'union et la charité ne soient pas parmi vous au point où elles y devraient être ? Que chacune donc s'efforce de retenir ses pensées et ses sentiments en elle-même, sans se les communiquer l'une à l'autre pour s'indisposer. Vous ne devez jamais, quelque peine que vous sentiez et nonobstant les sujets de vous plaindre que vous pourriez avoir, vous ne devez jamais, dis-je, vous porter à parler avec une liberté contraire à la charité et à la paix. Il ne vous est point permis de vous faire justice à

 

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vous-mêmes. Vous pouvez parler aux personnes à qui il convient : je n'entends pas à celles qui seraient intéressées ou qui se pourraient indisposer ; je dis à la supérieure, et encore d'une manière qui ne lui puisse pas donner d'éloignement des autres, mais avec les circonstances que là prudence et la discrétion enseignent. Les supérieurs sont des fontaines publiques : il ne faut pas les empoisonner. C'est comme cela, mes Sœurs, qu'il faut manier les intérêts de la charité, et que vous devez ménager et procurer toujours les biens de la paix, sans vous faire tort les unes aux autres ni vous désobliger.

Eh bien, mes Filles, je vous défends de la part de Dieu et par l'autorité que j'ai sur vous de vous maltraiter. Quand je dis maltraiter, j'entends de vous offenser par aucun emportement de paroles rudes et piquantes , qui blessent et qui aigrissent, qui témoignent du mépris, de l'aliénation et trop de fierté ; et même de dire aucune chose contre le respect que vous vous devez les unes aux autres, de faire des divisions entre vous et de parler contre les personnes consacrées à Dieu, cela étant tout à fait indigne de vous et opposé aux devoirs de votre état vraiment saint. Supportez-vous donc toutes, et traitez-vous avec une charité sincère. « Prévenez-vous les unes les autres en honneur et en honnêteté (1), » comme vous conseille saint Paul. Et moi je vous conjure au nom de Dieu , et je vous l'ordonne même , de ne jamais vous parler qu'avec douceur, modestie et charité ; d'éloigner de votre conversation toutes ces paroles désagréables, contrariantes ou de raillerie ; en un mot, tout ce qui est contraire à l'union et à cette civilité qui doit paraître et qu'il faut faire régner dans vos entretiens. Parmi les grands et les princes du monde, nous voyons qu'ils se traitent tous les uns les autres avec honneur et respect, quoiqu'ils soient égaux en qualité, chacun d'eux se rendant honneur réciproquement sans craindre de se rabaisser : et n'est-ce pas se faire honneur à soi-même que de traiter avec honneur les personnes de même dignité? C'est ainsi, mes Filles, que vous devez en user parmi vous : non que je désire une civilité affectée et mondaine, ce n'est pas celle-là que je demande; celle que je vous

 

1 Rom., XII, 10.

 

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recommande d'avoir entre vous doit être fondée sur ce que vous êtes à Jésus-Christ.

Hé quoi ! mes Filles, pour qui vous prenez-vous ? Qui pensez-vous être, pour vous traiter avec tant de mépris et de grossièreté? Ne savez-vous pas que vous appartenez à Jésus-Christ, que « vous êtes rachetées d'un grand prix (1), » que vous faites la plus illustre portion de l'Eglise étant les véritables épouses du Seigneur, et que son Esprit-Saint habite en vous par sa grâce ? Pourriez-vous manquer de charité et de douceur envers vos Sœurs ? Si vous considériez en elles un Jésus-Christ pauvre, un Jésus obéissant, un Jésus anéanti et humilié, un Jésus mortifié et crucifié, pour un jour le voir ressuscité et glorieux en elles; si vous aviez ces saintes pensées pour toutes vos Sœurs , n'est-il pas vrai que vous n'auriez pour elles que des sentiments de respect et d'estime, et que jamais il ne sortirait une seule parole de votre bouche contraire à la charité ? Si on les considérait comme les anges de la terre, on se garderait bien de les mépriser. Mes Filles, occupez-vous de ces mêmes pensées à l'avenir : retenez la plus petite parole qui puisse désagréer à Jésus-Christ et contrister son divin Esprit, qui est au dedans de vous toutes : craignez de lui déplaire, et de l'offenser en la personne de vos Sœurs.

Il y a encore une chose dont vous devez vous abstenir pour maintenir et conserver la charité ; c'est, mes Sœurs, de bannir de vos récréations et de vos entretiens ces partialités et contentions, qui naissent souvent entre vous pour de certaines différences. On dit : Les filles de celui-ci, les filles de celui-là : Pour moi, dit-on, je suis à ce directeur ; l'autre dit : Je serai à cet autre ; celle-là est la fille d'un tel ou d'un tel. Saint Paul, en pareilles partialités, parle ainsi aux Corinthiens : « Puisqu'il y a parmi vous de l'envie et du débat, n'êtes-vous pas charnels et ne parlez-vous pas selon l'homme, lorsque l'un dit : Pour moi, je suis de Paul ; un autre, d'Apollo : n'êtes-vous pas des hommes, de parler en ces termes (2) ? »

Ne pourrais-je pas vous dire ici la même chose que disait l'Apôtre parlant à des hommes ? Il leur reprochait qu'ils étaient de chair, parce qu'ils parlaient ainsi en hommes. Moi, je vous dirai

 

1 I Cor., VI, 20. — 2 Ibid., III, 3, 4.

 

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aussi que vous êtes des filles, que vous parlez en filles. Et en effet dans cette rencontre n'êtes-vous pas des filles, et ne parlez-vous pas en vraies filles, lorsque vous tenez ces discours? Ne savez-vous pas, mes Sœurs, que vous n'avez qu'un seul Maître, qui est Jésus-Christ, qui vous est représenté par ses ministres ? C'est à lui seul et à nous, qui vous tenons sa place, à qui vous appartenez et de qui vous devez dépendre absolument : les autres vous sont donnés seulement comme des secours, que l'on vous accorde simplement pour les temps où vous pouvez en avoir besoin. Si vous ne considériez que Jésus-Christ en ces personnes, vous ne feriez point de distinctions qui ne sont pas dignes des épouses du Seigneur. Ne parlez donc plus dans ces termes qui ressentent encore trop la chair et le sang : agissez d'une manière plus dégagée et éloignée de toutes bassesses. Vous êtes l'ornement de l'Eglise, que vous embellissez ; vous en êtes les victimes saintes, qui êtes consacrées à Dieu, et profitables au public par la profession de votre institut. Je vous regarde comme des anges sur la terre, comme les épouses de Jésus-Christ et comme les enfants de Dieu. Espérez donc miséricorde , puisque vous êtes enfants de miséricorde, formées à la louange de la grâce de Jésus-Christ.

Voilà, mes Filles, ce que j'avais à vous dire pour votre perfection touchant le silence , l'union et la charité. Que chacune s'étudie à présent à l'observer, et tâche de se conformer à tout ce que je viens de prescrire. N'empêchez point le Saint-Esprit d'entrer en vous ; n'apportez point de résistance ni d'obstacles aux grâces qu'il a dessein de vous faire par mon ministère en cette visite. Vous me direz : Tout cela ne se fait pas tout d'un coup. Il est vrai, mais je vous répondrai qu'avec un grand désir et une volonté efficace on vient à bout de tout. Travaillez-y, mes Filles, et souvenez-vous toujours de ces paroles que je vous ai dites au commencement de ce discours : « Que tout homme soit prompt à écouter et tardif à parler. » Ecoutez Dieu parler au fond de vos cœurs ; écoutez-le quand il vous parle par l'organe de vos supérieurs et directeurs ; enfin écoutez-le encore parlant en la personne de votre supérieure; et surtout je vous recommande d'être tardives à parler. Aimez le silence et le repos dans l'obéissance ; et

 

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n'ayez plus qu'un seul et unique désir, qu'une seule occupation, qui est le soin de votre perfection et avancement spirituel, et de faire du progrès dans la vertu.

 

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